0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
191 vues34 pages

Fondement de La Prescription

L'article examine les origines et fondements de la prescription extinctive des droits personnels en droit civil. Il vise à identifier les sources et circonstances ayant mené à l'émergence de la prescription afin de retracer son évolution depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui, tout en clarifiant ses fondements. Bien que fondamentale, cette question demeure peu étudiée dans la littérature juridique contemporaine, les auteurs se concentrant davantage sur les règles techniques sans analyser adéquatement les raisons d'être de l'institution.

Transféré par

hamid maddoui
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
191 vues34 pages

Fondement de La Prescription

L'article examine les origines et fondements de la prescription extinctive des droits personnels en droit civil. Il vise à identifier les sources et circonstances ayant mené à l'émergence de la prescription afin de retracer son évolution depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui, tout en clarifiant ses fondements. Bien que fondamentale, cette question demeure peu étudiée dans la littérature juridique contemporaine, les auteurs se concentrant davantage sur les règles techniques sans analyser adéquatement les raisons d'être de l'institution.

Transféré par

hamid maddoui
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 34

NOTE DE RECHERCHE

LORSQUE LE TEMPS
EST L’ENNEMI DE LA JUSTICE :
LES FONDEMENTS ET LES ORIGINES
DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE
DES DROITS PERSONNELS*
par Frédéric LEVESQUE**
François TREMBLAY***
Caroline LEPAGE****

Lorsqu’une personne doit recourir au système judiciaire pour obtenir


justice, il lui faut se montrer diligente, car le temps est son ennemi. La
législation de la plupart des États fixe des délais, ceux-ci variant selon la
nature de l’injustice subie et le remède demandé. Leur non-respect par le
justiciable éteint son droit de recourir aux tribunaux : dans les pays de
tradition de droit civil, il s’agit de la prescription extinctive. En apparence
injuste, celle-ci est pourtant jugée fondamentale dans tout système de droit.
Conséquemment, la présente étude a un triple objet : mettre en évidence les
causes véritables et les circonstances réelles de la naissance de la
prescription extinctive des droits personnels, préciser ses fondements et
suivre l’évolution de cette notion, de sa conception jusqu’à aujourd’hui.

When one resorts to the legal system in order to seek justice, one must act
diligently because of time constraints. The law in almost all jurisdictions establishes
time limits within which one must act and which may vary according to the nature
of the injustice suffered and the remedy sought. The failure to respect these time
limits extinguishes the right to have recourse to the courts. In civilian jurisdictions,
these time limits are called extinctive prescription. Despite an appearance of
injustice, extinctive prescription is considered fundamental necessity in all systems
of law. This article aims at identifying the sources and circumstances which have
led to the inception of extinctive prescription in relation to personal rights, describing
its foundations and retracing the evolution of prescription from its origin to the
present.

*. La présente étude a été rendue possible grâce au soutien financier du


Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et de son
programme Établissement de nouveaux professeurs-chercheurs.
**. Avocat; professeur agrégé, Faculté de droit, Université Laval.
***. Avocat, Bretton Woods Law Canada; B.A. (Études internationales et
langues modernes).
****. Étudiante à la maîtrise en droit notarial.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
576 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

SOMMAIRE

1. Les fondements de la prescription .............................. 579


1.1 Généralités ......................................................... 580
1.2 Ordre public et stabilité du droit ......................... 583
1.3 Présomptions et préservation de la preuve ........... 584
1.4 Sanction contre le créancier négligent et
protection du débiteur......................................... 586
1.5 Mécanisme d’adéquation du droit aux faits .......... 587
1.6 Fondements révélés par les systèmes de
common law ....................................................... 587

2. Les origines et l’évolution de la prescription ............. 590


2.1 Les véritables origines en droit grec antique ........ 590
2.2 Le droit romain ................................................... 592
2.3 L’ancien droit français ......................................... 594
2.4 L’œuvre du Code Napoléon et du Code civil
du Bas Canada ................................................... 596
2.5 Le Code civil du Québec (1994) et la réforme
française de 2008................................................ 597
2.6 Les solutions appliquées dans le droit de
tradition anglaise (common law) .......................... 603

Conclusion ............................................................................. 607


Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 577
de la prescription extinctive des droits personnels

Lorsqu’une personne doit recourir au système judiciaire pour


obtenir justice, il lui faut se montrer diligente, car le temps est son
ennemi. La législation de la plupart des États fixe des délais, ceux-
ci variant selon la nature de l’injustice subie et le remède demandé.
Leur non-respect par le justiciable éteint son droit de recourir aux
tribunaux : dans les pays de tradition de droit civil, il s’agit de la
prescription extinctive. Les critiques de la prescription soutiennent
(avec raison) qu’il est profondément injuste de priver une personne
agressée sexuellement durant son enfance d’obtenir réparation une
fois qu’elle est devenue adulte et alors pleinement consciente des
torts qui lui ont été causés. C’est d’ailleurs une situation
particulière en matière de prescription. Les défenseurs de
l’institution répliquent en donnant l’exemple de l’agence de
recouvrement qui tarde à demander son dû à un entrepreneur en
construction ou à un consommateur. Or, un justiciable pourrait
aussi attendre, sans sa faute, trop longtemps pour demander une
réparation contre un entrepreneur en construction qui l’a floué.
Pourquoi avoir prévu ainsi que le simple écoulement du temps fait
perdre le droit de demander justice? Pourquoi existe-t-il
actuellement une tendance à la réduction des délais de la
prescription extinctive pour les droits personnels dans les systèmes
juridiques de droit civil? Au Québec par exemple, le délai de droit
commun en matière de droits personnels, applicable en l’absence
d’une disposition législative particulière, a été réduit en 1994 de 30
à 3 ans. La France a également raccourci ses délais en 20081.

Malgré son importance capitale, le sujet demeure un parent


pauvre dans la littérature juridique civiliste contemporaine. Les
auteurs du XXIe siècle n’insistent pas sur la naissance et les
fondements de la prescription extinctive. Ils se concentrent plutôt
sur l’exposé des règles techniques du droit positif, comme le point
de départ des délais, leur durée, leur suspension, leur interruption
et la renonciation possible. Les fondements des règles de la
prescription sont systématiquement repris sans véritable
discussion; ils semblent même tenus pour acquis. De plus, dans les
quelques paragraphes consacrés à ce thème dans leurs ouvrages

1. Voir infra, section 2.5.


Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
578 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

respectifs, les auteurs ne s’entendent pas sur les causes et les


circonstances de la naissance de l’institution : ancien droit romain,
fin de l’Empire, apport de l’empire d’Orient, ancien droit français,
institution autonome ou simple excroissance de la prescription
acquisitive qui a fini par s’émanciper? Par contre, ils s’accordent
pour dire que la prescription extinctive est une institution
fondamentale2.

Conséquemment, nous voulons, dans la présente étude,


mettre en évidence les causes véritables et les circonstances réelles
de la naissance de la prescription extinctive des droits personnels,
préciser ses fondements et suivre l’évolution de cette notion, de sa
conception jusqu’à aujourd’hui. Sur le plan méthodologique, notre
étude consiste essentiellement en un compte rendu doctrinal et
historique qui n’a pas pour prétention de révolutionner l’état des
connaissances. Nous souhaitons principalement remettre au goût
du jour et rapporter des informations qui ont été traitées en

2. Voir en droit québécois : Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et


Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd. par P.-G. JOBIN et N. VÉZINA,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 1112-1115, p. 1343-1344;
Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La
responsabilité civile, vol. I, « Principes généraux », 8e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1293-1296, p. 1137-1139; Maurice
TANCELIN, Des obligations en droit mixte du Québec, 7e éd., Montréal, Wilson
& Lafleur, 2009, par. 1437-1442, p. 968-970; Frédéric LEVESQUE, Précis de
droit québécois des obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014,
par. 1137, p. 592. En droit français : Rémy CABRILLAC, Droit des
obligations, 12e éd., Paris, Dalloz, 2016, par. 522, p. 425; Jacques GHESTIN,
Marc BILLIAU et Grégoire LOISEAU, Traité de droit civil : le régime des
créances et des dettes, coll. « Traité de droit civil », Paris, LGDJ, 2005, par.
1114, p. 1130-1133; Henri, Léon, Jean MAZEAUD et François CHABAS,
Leçons de droit civil, t. 2, vol. 1 « Obligations : théorie générale », 9e éd. par
Fr. CHABAS, Paris, Montchrestien, 1998, par. 1166-1167, p. 1201-1202.
Voir dans les ouvrages spécialisés sur le sujet : Céline GERVAIS, La
prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 1-5; Odette JOBIN-
LABERGE et Maude LAFORTUNE-BÉLAIR, « Prescription extinctive », dans
JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Preuve et prescription, fasc. 22,
Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 2; Pierre MARTINEAU,
La prescription, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1977, par.
232-235, p. 241-242; Julie MCCANN, Prescriptions extinctives et fin de non-
recevoir, coll. « Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 74-83.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 579
de la prescription extinctive des droits personnels

profondeur par les auteurs classiques du XVIIIe, du XIXe et du début


du XXe siècle, et qui semblent maintenant tomber dans l’oubli,
autant pour les auteurs que pour les informations. Ces derniers
révèlent pourtant une foule d’éléments pertinents et intéressants
pour mieux comprendre le droit positif actuel. Comme les périodes
historiques visées sont parfois très longues et en raison de la
barrière de la langue (latin, grec ancien), nous avons décidé, en
toute connaissance de cause, de nous restreindre à l’étude de ces
sources dites « secondaires ». À plus long terme, ces résultats nous
serviront pour confronter le droit positif en vigueur et déterminer si
ce droit est compatible avec la réalité sociale moderne, mais surtout
avec ses exigences d’accès à la justice et de respect des droits
fondamentaux de la personne, des victimes et des consommateurs.
Notre étude est essentiellement consacrée au droit civil québécois
et français, à l’ancien droit et au droit romain. Nous ferons
également quelques incursions en common law canadienne et
anglaise, de même que dans les lois adoptées dans ces États. Cela
nous permettra de consolider certains acquis et même de découvrir
de nouveaux fondements. Enfin, malgré quelques commentaires
sur la prescription acquisitive et la prescription extinctive de droits
réels, qui se rapportent toutes deux essentiellement au droit des
biens, nous nous concentrerons sur la prescription extinctive des
droits personnels, sur le droit des obligations, les droits de créance
et le droit d’une personne d’exiger une prestation d’une autre
personne3. La prescription des droits réels, tant acquisitive
qu’extinctive, fera l’objet d’une étude ultérieure.

1. Les fondements de la prescription

Comme plusieurs institutions du droit, la prescription est


apparue à la suite du constat de sa nécessité. Afin de mieux faire
saisir le concept, nous estimons nécessaire de nous référer aux
impératifs ayant motivé son adoption. Après avoir traité des
fondements les plus fréquemment mentionnés par la doctrine
civiliste ainsi que de certains plus méconnus, nous étudierons plus
en détail chacune des grandes lignes parmi lesquelles ils peuvent

3. Voir, sur la distinction entre droits personnels et réels, l’affaire Anglo


Pacific Group c. Ernst & Young, 2013 QCCA 1323, par. 39-41.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
580 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

être divisés. Aux fins de complément et de comparaison, nous


présenterons les justifications apportées par la common law à
l’existence de la prescription.

1.1 Généralités

La prescription est expliquée et justifiée par les mêmes


éléments chez les auteurs modernes. Ces fondements peuvent se
regrouper autour des axes principaux suivants, qui se trouvent
dans une forme ou une autre dans la plupart des ouvrages de droit
civil généraux et de droit des obligations qui abordent la question,
de même que dans les ouvrages plus spécialisés4 :

- Ordre public :
o Stabilité des rapports de droit;
o Stabilité des patrimoines;
o Ordre social général;
o Assure le repos et la tranquillité;
- Présomptions et preuve :
o Présomption de paiement;
o Présomption de renonciation;
o Préservation de la preuve contre les effets du
temps;
o Diminuer l’obligation de conservation de la
preuve;
o Élimine les risques liés aux pertes de titres ou
aux vices de forme;
- Sanction du créancier et protection du
débiteur :
o Sanction envers le créancier négligent;
o Protection du débiteur par rapport à son
créancier négligent.

Cette conception générale des fondements de la prescription


semble directement héritée des auteurs classiques5, à qui, comme

4. Préc., note 2.
5. Robert Joseph POTHIER, Traités sur différentes matières de droit civil,
appliquées à l’usage du Barreau et de jurisprudence françoise, t. 1, « Traité
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 581
de la prescription extinctive des droits personnels

nous l’avons mentionné en introduction, plusieurs auteurs


modernes font simplement référence sans développements plus
poussés.

Outre les grands axes mentionnés plus haut, des fondements


plus précis ou uniques sont également indiqués, notamment :

- un droit « fondamental » de connaître son sort à la


suite d’un incident générateur de droit6;
- un consentement tacite de celui qui laisse son
droit prescrire7;
- une protection du débiteur vulnérable contre
l’accumulation des dettes8;
- un mécanisme d’adéquation du droit aux faits9;
- un désengorgement des tribunaux, en réduisant le
nombre de poursuites et en évitant des procès

des obligations », Paris, Jean Debure, Orléans, Ronzeau-Montaut, 1773,


par. 678, p. 346; Gabriel BAUDRY-LACANTINERIE et Albert TISSIER, Traité
théorique et pratique de droit civil – De la prescription, Paris, L. Larose,
1895, par. 27-29, p. 18-22; François Ignace DUNOD DE CHARNAGE, Traités
des prescriptions de l’aliénation des biens d’Église, et des dixmes : suivant
les droits civils et canons, 3e éd., Paris, Briasson, 1774, p. 1-2; Louis
Vincent GUILLOUARD, Traité de la prescription, 2 vol., Paris, A. Pedone,
1900-1901, par. 1-3, p. 1-4; Victor-Napoléon MARCADÉ et Paul PONT,
Explication théorique et pratique du Code civil, 6e éd., t. 12, « De la
prescription », Paris, Delamotte et fils, 1867, par. 2-14, p. 3-21; Marcel
PLANIOL et Georges RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. 7,
« Obligations – 2e partie », Paris, L.G.D.J., 1931, par. 1325, p. 654-655;
P. Antoine FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil,
t. 15, Osnabrück, Otto Zeller Verlag, 1827 (réédition : 1968), p. 590.
6. Voir les propos du juge François Chevalier dans l’affaire Girard c. Danis,
[1975] C.S. 813, p. 815-816, cité dans Édith LAMBERT, La prescription (art.
2875 à 2933 C.c.Q.), coll. « Commentaires sur le Code civil du Québec
(DCQ) », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 2921-555, p. 955.
7. Fr.I. DUNOD DE CHARNAGE, préc., note 5, p. 213.
8. Infra, section 1.4.
9. Émile VIDRASCU, « La nature juridique de la prescription extinctive : droit
comparé et québécois », (1995-1996) 98 R. du N. 3, p. 47-48; Monique
BANDRAC, La nature juridique de la prescription extinctive en matière civile,
Paris, Economica, 1986, par. 183, p. 180.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
582 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

souvent longs, à l’issue trop aléatoire et


incertaine10.

Enfin, bien que ce fondement soit mentionné en


matière de prescription extinctive en droit criminel, ajoutons,
mutatis mutandis, un droit à l’oubli pour le responsable du
préjudice causé :

Le droit à l’oubli doit se comprendre comme un droit de


l’auteur de l’infraction à être oublié. Deux justifications
peuvent être invoquées. La première, essentielle, est que,
au-delà d’un certain temps, il est préférable de fermer les
plaies du passé plutôt que les rouvrir. La seconde tient dans
la forme de sanction que subit le délinquant d’avoir vécu
longtemps dans l’angoisse d’être pris11.

Ces fondements permettent de distinguer la prescription des


autres limites de temps imposées par la loi qui lui ressemblent
parfois, comme les délais de déchéance ou les délais préfix, qui sont
motivés par une volonté d’encourager, voire de forcer le justiciable
à agir rapidement dans certains cas pour des motifs d’intérêts
publics supérieurs12.

10. Voir en droit québécois : Witold RODYS, Traité de droit civil du Québec, t.
15, art. 2183-2270 C.c.B.C., Montréal, Wilson & Lafleur, 1958, p. 23. En
droit français : Alain BÉNABENT, Droit des obligations, 13e éd., Paris,
Montchrestien Lextenso, 2012, par. 890, p. 642-644. Chez les auteurs
classiques : Fr.I. DUNOD DE CHARNAGE, préc., note 5, p. 2; François-Antoine
VAZEILLE, Traité des prescriptions, suivant les nouveaux codes français, t. I,
Paris, Bavoux, 1832, par. 312, p. 358. En droit comparé : Jean-Luc
NIKLAUS, La prescription extinctive, modifications conventionnelles et
renonciation, coll. « Neuchâtelloise », Bâle, Helbing Lichtenhahn, 2008, p.
14-17.
11. Evan RASCHEL, « Amnésie d’un viol : refus du recul du point de départ de
la prescription », Gaz. Pal. 2014.032.
12. H., L., J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, préc., note 2, par. 1170, p. 1202-1204;
François TERRÉ, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil, les
obligations, 11e éd., Paris, Dalloz, 2013, par. 1473, p. 1509-1511; Charles
AUBRY et Charles RAU, Cours de droit civil français, t. 8, Paris, J. Dumaine,
1878, p. 426; L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 43-44, p. 37-39; M.
PLANIOL et G. RIPERT, préc., note 5, par. 1403, p. 736-738. Sur la notion de
délais préfix, voir Fr. LEVESQUE, préc., note 2, par. 1151-1154, p. 597-600.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 583
de la prescription extinctive des droits personnels

1.2 Ordre public et stabilité du droit

Le premier des fondements de la prescription, et le plus


évident, est sa nécessité dans l’intérêt général de la société. Sur cet
aspect, la prescription a été décrite comme « une de ces institutions
bienfaisantes et salutaires sur lesquelles repose la tranquillité de
tout un chacun13 ». L’ordre social a intérêt à ce que les rapports de
droit soient clairs et stables, et que le droit corresponde aux
situations de fait14. La stabilité des patrimoines s’avère un objectif
important à cet égard15. L’absence de prescription créerait en effet
une incertitude constante des personnes par rapport à leurs droits :
la prescription vient donc apporter une certitude, une tranquillité
d’esprit salutaire et nécessaire. Cette stabilité est d’autant plus
essentielle si l’on considère que, sans la prescription, les dettes
pourraient se transmettre aux héritiers et ayants droit lointains, ce
qui créerait ainsi davantage de situations problématiques16.

La prescription implique une certaine part d’injustice et


d’immoralité. Elle est même, en quelque sorte, opposée à l’équité
naturelle17. Un créancier sera, au bout du compte, privé de son
droit, ce qui constitue une certaine injustice et protège parfois des
débiteurs malhonnêtes. Cette injustice est toutefois justifiée compte
tenu de toute la nécessité générale de la prescription dans le
maintien de l’ordre public18. C’est pourquoi la bonne foi n’est
habituellement pas une condition sine qua non en matière de

13. P.A. FENET, préc., note 5, p. 604.


14. É. VIDRASCU, préc., note 9, p. 51.
15. Ch. AUBRY et Ch. RAU, préc., note 12, p. 423.
16. Pierre-Basile MIGNAULT, Le droit civil canadien, v. 9, Montréal, Wilson &
Lafleur, 1916, p. 336-337.
17. Voir par exemple : Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 15, p. 15; P.
MARTINEAU, préc., note 2, par. 233, p. 241.
18. Voir, notamment, chez les auteurs modernes : Mario NACCARATO,
« Dispositions générales », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil »,
Preuve et prescription, fasc. 19, Montréal, LexisNexis Canada, par. 15,
feuilles mobiles. Chez les auteurs classiques : François LANGELIER, Cours
de droit civil de la province de Québec, t. 6, Montréal, Wilson & Lafleur,
1911, p. 435; P.-B. MIGNAULT, préc., note 16, p. 336-337; G. BAUDRY-
LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 27-29, 33, p. 18-22, 25; Fr.I.
DUNOD DE CHARNAGE, préc., note 5, p. 3.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
584 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

prescription extinctive19. C’est également pour cette raison que le


droit se montre généralement réticent à reconnaître toute cause de
suspension ou d’interruption, même dans des situations
exceptionnelles20 : toute mesure qui restreint le cours de la
prescription est une mesure d’exception qui doit être traitée comme
telle21.

Ce fondement de la prescription ne fait toutefois pas


l’unanimité. Son caractère même d’ordre public est mis en doute,
étant donné que l’on peut, en règle générale, y renoncer22.
Cependant, ce paradoxe sera réconcilié en distinguant l’institution
de la prescription, qui est d’ordre public, et son application dans les
cas spécifiques, qui est d’intérêt privé et à laquelle un débiteur
pourra être amené à vouloir renoncer, notamment en raison de sa
conscience23.

1.3 Présomptions et préservation de la preuve

La finalité probatoire de la prescription s’envisage comme


une dispense de preuve prévue par la loi pour le justiciable qui est
dans une situation légitime, mais autrement incapable de le
prouver24. Ce sont surtout les courtes prescriptions qui ont été
considérées par les auteurs français comme fondées sur des
présomptions (irréfragables) de paiement. Précisons que les courtes
prescriptions existaient généralement en matière commerciale. La
rapidité et la fréquence des transactions dans ce domaine faisaient

19. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 41-42, p. 34-35;


L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 300, p. 273-274; Fr.-A. VAZEILLE, préc.,
note 10, par. 330-333, p. 383-386.
20. Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 315, p. 361-367.
21. H., L., J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, préc., note 2, par. 1181-1183, p. 1213-
1216.
22. M. PLANIOL et G. RIPERT, préc., note 5, par. 1325, p. 654-655; É. VIDRASCU,
préc., note 9, p. 47-48.
23. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 41-42, p. 34-35;
L.V. GUILLOUARD, Traité de la prescription, préc., note 5, par. 300, p. 273-
274; Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 330-333, p. 383-386.
24. Fr. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, préc., note 12, par. 1472, p. 1508;
Julie KLEIN, Le point de départ de la prescription, coll. « Recherches
juridiques », Paris, Economica, 2013, par. 531-532, p. 393-395.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 585
de la prescription extinctive des droits personnels

en sorte qu’il était présumé que les créances étaient habituellement


réclamées et payées rapidement, sans quittance formelle25.

La présomption de paiement peut être perçue de façon plus


large, comme une présomption générale que celui qui jouit d’un
droit le fait à juste titre, et qu’à l’inverse celui qui se tait à propos
d’un droit n’en jouit plus26. L’objectif de la prescription à cet égard
est double. Il consiste, dans un premier temps, à éviter que les
tribunaux aient à trancher des litiges dont les faits générateurs
seraient si anciens qu’il deviendrait impossible aux parties de
présenter des éléments de preuve, les pièces ou les quittances ayant
été perdues ou détruites à la suite du passage du temps et les
témoins pouvant être morts27. Le second volet de cette fin probatoire
de la prescription est de libérer les créanciers de l’obligation d’avoir
à conserver éternellement des archives de toutes leurs transactions,
afin de se prémunir contre un éventuel litige fondé sur une créance
ancienne, que l’on croyait oubliée28. Cet aspect probatoire de la
prescription amène un autre effet pratique bénéfique, soit de
désengorger les tribunaux de litiges anciens qui pourraient se
révéler fastidieux et interminables29.

La présomption de paiement est un élément important à


l’origine de la notion moderne de la prescription. Néanmoins, même
chez les auteurs classiques, cette présomption ne faisait pas
l’unanimité. En principe, une présomption doit reposer sur des faits
démontrés, ce qui, en raison du passage du temps, devient
pratiquement impossible en matière de prescription30. Il est
cependant difficile, en droit positif, de soutenir cette qualification.
La distinction a longtemps été importante en droit français, puisque
certains effets de la prescription pouvaient être repoussés selon

25. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 723-725, p. 439-


441.
26. W. RODYS, préc., note 10, p. 31-32; L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 2,
p. 2-3.
27. J. MCCANN, préc., note 2, p. 80-82; Fr. LANGELIER, préc., note 18, p. 435.
28. J. MCCANN, préc., note 2, p. 80-82.
29. P.-B. MIGNAULT, préc., note 16, p. 339.
30. Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 1-3, p. 2-4.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
586 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

qu’il s’agissait ou non d’une présomption de paiement31. Une


réforme du droit français de la prescription en 2008 a toutefois
éliminé cette distinction32.

1.4 Sanction contre le créancier négligent et protection du


débiteur

Les justifications de cet aspect de la prescription sont


multiples, mais elles peuvent s’expliquer principalement sous deux
angles, à savoir celui de la punition du créancier et celui de la
protection du débiteur. Premier angle, l’aspect de la punition du
créancier est couramment repris et se comprend par le fait que celui
qui ne fait pas preuve de diligence dans la poursuite de ses droits
et qui se désintéresse de ses créances ne mérite pas la protection
de la loi33. C’est ce que dit une formule connue : « Celui qui néglige
ainsi ses droits est au-dessus du besoin34. » Cette préoccupation
existait dès le droit romain35. Second angle, l’aspect de la protection
du débiteur se justifie par le fait que la négligence du créancier n’a
pas uniquement des conséquences à son égard, mais est également
susceptible de porter préjudice à son débiteur. Le cas le plus
souvent avancé est celui de la prescription des arrérages et des
dettes périodiques36. Le créancier qui, longtemps inactif, déciderait
subitement de poursuivre son débiteur pour la totalité de sa dette

31. R.J. POTHIER, préc., note 5, par. 718-722, p. 364-365; Ch. AUBRY et Ch.
RAU, préc., note 12, p. 447; G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc.,
note 5, par. 741-751, p. 451-458.
32. Fr. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, préc., note 12, par. 1476, p. 1512.
33. J. MCCANN, préc., note 2, p. 77; P.-B. MIGNAULT, préc., note 16, p. 336-337,
467.
34. Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 4, p. 6.
35. Emmanuelle CHEVREAU, Le temps et le droit : la réponse de Rome :
l’approche du droit privé, coll. « Romanité et modernité du droit », Paris, De
Boccard, 2006, p. 113-117.
36. Voir notamment : Fr. LANGELIER, préc., note 18, p. 502; P.-B. MIGNAULT,
préc., note 16, p. 485-486; W. RODYS, préc., note 10, p. 265; Ch. AUBRY et
Ch. RAU, préc., note 12, p. 433; G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc.,
note 7, par. 767, p. 470-471; L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 654, p.
95-96; V.-N. MARCADÉ et P. PONT, préc., note 5, par. 282-290, p. 315-332;
M. PLANIOL et G. RIPERT, préc., note 5, par. 1333, p. 660-661; Fr.-A.
VAZEILLE, préc., note 10, par. 609, p. 207.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 587
de la prescription extinctive des droits personnels

accumulée placerait ce dernier dans une situation souvent


insoutenable, le menant potentiellement à la ruine, et pour cela il
doit être empêché de le faire. La prescription vient également
protéger le débiteur d’avoir à payer plus d’une fois à un créancier
qui, par malhonnêteté ou par oubli, lui réclamerait une seconde fois
une dette déjà payée37.

1.5 Mécanisme d’adéquation du droit aux faits

Bien que cette raison d’être soit secondaire par rapport aux
autres, la prescription fait en sorte que la réalité juridique
corresponde à la réalité factuelle. Nous pouvons y voir une condition
nécessaire au maintien de la suprématie du droit, celui-ci devant
s’adapter, se plier à certaines situations factuelles immuables, afin
de demeurer conforme à la réalité38. C’est pour le droit une façon
d’admettre qu’il ne peut se soustraire à la réalité du temps39. Vue
sous cet angle, la prescription extinctive ne cherche pas à éteindre
des droits, mais bien à consolider des situations de fait40.

1.6 Fondements révélés par les systèmes de common law

Les systèmes de common law peuvent-ils éclairer notre


étude, en consolidant les fondements déjà trouvés ou encore en
nous révélant des assises différentes? Les fondements et les
principes que nous présentons ici correspondent aux justifications
avancées par les auteurs à propos des statutes of limitation,
l’équivalent fonctionnel dans les systèmes juridiques de common
law des règles de la prescription extinctive en droit civil41. Certaines

37. A. BÉNABENT, préc., note 10, par. 891, p. 643.


38. M. BANDRAC, préc., note 9, par. 239, p. 221-223.
39. E. CHEVREAU, préc., note 35, p. 141-147.
40. Ch. AUBRY et Ch. RAU, préc., note 12, p. 323.
41. Patrick Mac Chombaich DE COLQUHOUN, A Summary of the Roman Civil
Law, t. 2, Londres, V. and R. Stevens, 1849-1860 (ré-éd. : Littleton, F.B.
Rothman, 1988), par. 1131, p. 153-154; Patrick Mac Chombaich DE
COLQUHOUN, A Summary of the Roman Civil Law, t. 3, Londres, V. and R.
Stevens, 1849-1860 (ré-éd. : Littleton, F.B. Rothman, 1988), par. 2216 et
2373-2374, p. 513-515 et p. 618-620; Reinhard ZIMMERMANN, Comparative
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
588 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

de ces justifications s’avèrent pratiquement identiques à celles qui


sont avancées en droit civil. Par exemple, il existe en droit de
tradition anglaise la notion de peace and repose selon laquelle le
débiteur, après un certain temps, a droit à une certaine tranquillité
d’esprit42. L’impact du passage du temps sur la qualité de la preuve
fait également partie des justifications traditionnelles43.

Le droit de tradition anglaise révèle toutefois des fondements


inédits, mais parfaitement compatibles avec ceux qui sont
mentionnés en droit civil, qui permettent de consolider la pertinence
de la prescription. Rejoignant le motif plus rarement mentionné en
droit civil de l’adéquation du droit aux faits, nous trouvons dans la
littérature l’impact de l’évolution de la société sur le regard posé par
le juge sur les mêmes évènements mais à des époques différentes44.
Selon ce fondement, la prescription favorise l’équité des jugements
rendus en contribuant à ce que ceux-ci reflètent réellement l’état
du droit et les valeurs de la société au moment où les faits sont
survenus.

La présomption de renonciation à poursuivre constitue un


fondement en soi à la prescription en droit civil. En common law,
elle est à l’origine de la doctrine of acquiscence, qui permet au juge
de déclarer un recours prescrit à deux conditions : un créancier ne
poursuit pas son débiteur et son inaction ou l’acte duquel on induit
la renonciation à poursuivre survient en toute connaissance de
cause45. Également, la doctrine of laches46, basée sur la punition du

Foundations of a European Law of Set-Off and Compensation, Cambridge,


Cambridge University Press, 2002, p. 62-63.
42. J. MCCANN, préc., note 2, p. 80-82; É. VIDRASCU, préc., note 9, p. 28;
Graeme MEW, The Law of Limitations, 3e éd., Toronto, LexisNexis Quicklaw,
2015, [En ligne] par. 1.52; James C. MORTON, Limitation of Civil Actions,
Toronto, Carswell, 1988, p. 7.
43. G. MEW, préc., note 42, par. 1.53. Voir également, Jeremy S. WILLIAMS,
Limitation of Actions in Canada, Toronto, Butterworths, 1972, p. 6.
44. J.C. MORTON, préc., note 42, p. 7. Voir également G. MEW, préc., note 40,
par. 1.56.
45. G. MEW, préc., note 42, par. 2.84-2.91; J.C. MORTON, préc., note 42, p. 45;
J.S. WILLIAMS, préc., note 43, p. 33.
46. G. MEW, préc., note 42, par. 2.75-2.83; J.C. MORTON, préc., note 42, p. 41;
J.S. WILLIAMS, préc., note 43, p. 31.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 589
de la prescription extinctive des droits personnels

créancier négligent, entraîne le rejet d’une demande fondée sur un


recours en equity si le créancier a laissé s’écouler une période de
temps suffisamment longue après laquelle le débiteur pouvait croire
qu’il n’était plus sujet à poursuite et qu’il a modifié sa situation
juridique et patrimoniale en conséquence.

Le droit de tradition anglaise révèle un fondement


complètement inédit en droit civil. Comme elle circonscrit le risque
de poursuites, la prescription contribue à rendre la responsabilité
civile (particulièrement celle des commerçants) assurable à un prix
raisonnable47. Ce fondement confirme que l’analyse économique du
droit a souvent été considérée dans les origines et l’évolution de la
responsabilité civile en common law48. Même si elle est fondée sur
cette évolution particulière de la common law, cette justification
s’avère pertinente dans le contexte du droit civil. La logique veut
que les principes actuariels et la méthodologie dans le domaine des
assurances soient plutôt uniformes, considérant le besoin
grandissant d’obtenir des couvertures d’assurance semblables d’un
État à l’autre dans le contexte actuel de mondialisation des
marchés49.

De tous les fondements invoqués tant en droit civil qu’en


droit de tradition anglaise, il se dégage un grand dénominateur
commun : la stabilité et la certitude du droit50. Un système
juridique moderne ne peut laisser perdurer l’incertitude qui
régnerait en permanence si les situations juridiques entre débiteurs
et créanciers n’étaient pas, éventuellement, cristallisées dans le

47. G. MEW, préc., note 42, par. 1.54-1.55; J.S. WILLIAMS, préc., note 43, p. 7.
48. Par exemple, la condition d’un devoir de diligence (duty of care) établi dans
l’affaire Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562, p. 578-580 (Lord Atkin),
a pour objet de limiter la responsabilité civile aux personnes à qui il est
raisonnable d’apporter un soin particulier afin de réduire les cas où des
indemnisations seront accordées.
49. Sur l’opposition des assureurs à l’allongement d’un délai de prescription
en droit civil québécois : Frédéric LEVESQUE et Claudie-Émilie WAGNER-
LAPIERRE, « La réforme de la prescription civile en matière d'infraction
criminelle: une occasion manquée pour les victimes de préjudice
corporel », (2015) 49 R.J.T. 685, 711-713.
50. R. ZIMMERMANN, préc., note 41, p. 69.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
590 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

temps et closes par l’effet de son passage. Il apparaît donc clair que
la prescription est nécessaire dans un ordre juridique fonctionnel
et équitable. Demeurent désormais entière la question de son
évolution dans le temps, au gré des changements socioculturels, et
celle de la durée des délais, que nous abordons ci-dessous.

2. Les origines et l’évolution de la prescription

La prescription serait à l’origine de droit naturel. Le droit civil


ne l’a pas créée mais bien aménagée en fonction de la réalité de la
société51. Nous suivrons l’évolution de la prescription dans un ordre
chronologique et logique. Avant d’étudier l’institution en question
telle qu’elle a été traitée en ancien droit français, nous croyons
qu’un détour par le droit grec antique et le droit romain s’impose.
Par la suite, l’évolution de la prescription en France et au Québec
précédera celle qu’elle a suivie en droit de tradition anglaise.

2.1 Les véritables origines en droit grec antique

La prescription extinctive des actions n’a pas été pas créée


par le droit romain, celle-ci allant à l’encontre du principe de base
de la perpétuité des actions52. La véritable origine du concept de
prescription extinctive est plutôt le droit de la Grèce antique. Bien
que les sources historiques concernant le droit grec antique soient
infiniment moins abondantes et détaillées que celles qui portent sur
le droit romain, il semble clair que les anciens Grecs ont connu la
prescription extinctive des actions personnelles. L’institution porte
le nom de prothesmia et regroupe tous les concepts apparentés,

51. Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 4-5, p. 5-8. Pour un court mais
intéressant survol de l’histoire de la prescription dans « les pays civilisés »,
pour reprendre l’expression de l’auteur, voir Rodolphe DARESTE, De la
prescription en droit civil, Paris, Librairie Picard et fils, 1894, p. 1, p. 5-9.
52. Emmanuelle CHEVREAU, Yves MAUSEN et Claire BOUGLÉ, Histoire du droit
des obligations, 2e éd., Paris, LexisNexis Litec, 2011, par. 21, p. 35-36.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 591
de la prescription extinctive des droits personnels

comme la forclusion et la déchéance53. Le délai général semble avoir


été de 5 ans54.

Le droit romain a toujours été confronté aux traditions


locales des nouvelles provinces de l’Empire. Il a sans cesse toujours
dû faire preuve d’une certaine adaptabilité dans ces circonstances,
mais l’apport des traditions locales s’est surtout fait sentir durant
dans la période postérieure à l’édit de l’empereur Caracalla étendant
la citoyenneté à tous les sujets libres de l’Empire. La prescription
extinctive se serait graduellement répandue dans l’ensemble de
l’Empire romain à travers les coutumes des citoyens romains
d’origine hellénistique55. C’est là un cas où la coutume juridique
locale est devenue le droit romain56.

La prescription extinctive aurait surtout été motivée par une


finalité probatoire, le temps étant considéré comme la « meilleure
preuve à opposer aux imposteurs ». Cette finalité s’avère d’autant
plus importante considérant la place centrale de la preuve
testimoniale dans les procès athéniens, et le fait que « les témoins
ne peuvent pas vivre pour toujours57 ». On a voulu éviter qu’une
personne malhonnête n’attende la mort de témoins clés pour
intenter une action mal fondée58. La prescription grecque aurait
également été motivée par un désir de préserver l’harmonie entre
différentes communautés après leur intégration, d’empêcher que de
vieilles querelles entre communautés ne ressurgissent après

53. Aude CASSAYRE, La justice dans les cités grecques : de la formation de


royaumes hellénistiques au legs d'Attale, coll. « Histoire », Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2010, p. 235-239.
54. Ludovic BEAUCHET, Histoire du droit privé de la République athénienne, t. 3,
Paris, Chevalier-Marescq, 1897, p. 523; John Walter JONES, The Law and
Legal Theory of the Greeks : An Introduction, Oxford, Clarendon Press,
1956, p. 233. Voir également R. DARESTE, préc., note 51, p. 2-3.
55. L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 4-5, p. 4-6; E. CHEVREAU, préc., note
35, p. 132.
56. Joseph MÉLÈZE MODRZEJEWSKI, Le droit grec après Alexandre, Paris, Dalloz,
2012, p. 95-96.
57. L. BEAUCHET, préc., note 54, p. 521; J.W. JONES, préc., note 54, p. 124-
125.
58. J.W. JONES, préc., note 54, p. 302.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
592 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

plusieurs années afin de maintenir un climat favorable à la vie


civique59.

2.2 Le droit romain

Nous observons un consensus sur la présence de la


prescription en droit romain, de même que sur les grandes lignes
de son évolution historique, et cela, autant dans les ouvrages
modernes60 ou classiques61 sur la prescription que dans les
ouvrages spécialisés en histoire du droit62. Les grandes lignes
peuvent se résumer ainsi :

- À l’origine, les droits et les actions civils sont


pratiquement tous imprescriptibles, la perpétuité
des actions étant un principe de base en droit
romain;
- La perpétuité ne vaut généralement que pour les
actions de droit civil strict;
- Les actions prétoriennes sont, en règle générale,
prescriptibles par un an, puisqu’elles doivent être
terminées à l’intérieur du mandat du préteur qui
accorde l’action63. Les préteurs peuvent utiliser

59. A. CASSAYRE, préc., note 53, p. 235-239.


60. É. LAMBERT, préc., note 6, par. 2875-555, p. 11-12; J. MCCANN, préc., note
2, p. 71-73; É. VIDRASCU, préc., note 9, p. 7-11.
61. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 1-14, p. 1-8;
L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 6-13, p. 7-13; W. RODYS, préc., note
10, p. 21-29; P.A. FENET, préc., note 5, p. 587-589; R. DARESTE, préc., note
51, p. 3-5.
62. Jean-François BRÉGI, Droit romain : les obligations, Paris, Ellipses, 2006,
p. 284; E. CHEVREAU, préc., note 35, p. 98-147; P.M.C. DE COLQUHOUN,
préc., note 41, t. 2, par. 1117, p. 144-145; Jean-Philippe LÉVY et André
CASTALDO, Histoire du droit civil, 2e éd., Paris, Dalloz, 2010, par. 408-432
et 732-735, p. 625-670 et 1071-1077. Pour une vision théologique : Jean-
Léon ALLIE, L’argument de prescription dans le droit romain : en
apologétique et en théologie dogmatique, Ottawa, Éditions de l’Université
d’Ottawa, 1940, p. 39-56.
63. Witold WOLODKIEWICZ, « Le temps dans le Code Théodosien » dans Sylvie
CROGIEZ-PÉTREQUIN et Pierre JAILLETTE, Société, économie, administration
dans le Code Théodosien, coll. « Histoire et civilisations », Villeneuve-
d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012, p. 188.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 593
de la prescription extinctive des droits personnels

leur pouvoir discrétionnaire pour débouter une


action vétuste;
- Le premier type de prescription à être reconnu sera
la prescription acquisitive, appelée usucapio. Ce
type de prescription est connu déjà sous l’antique
Loi des Douze Tables, mais est d’application
limitée aux citoyens romains;
- Apparaît ensuite, en droit prétorien, la praescriptio
longi temporis, qui est essentiellement une défense
contre une action en revendication, que l’on
oppose (pré-inscrit) en tête de formule, à la
manière d’un moyen préliminaire. Cette
prescription est davantage un dérivé de l’usucapio
et de la prescription acquisitive. Elle permet au
possesseur de repousser l’action du véritable
propriétaire et de conserver le bien. À l’origine, elle
n’autorise pas toutefois l’acquisition de la
propriété;
- Le droit grec ancien influence le droit romain;
- La prescription générale et inconditionnelle des
actions par un délai de 30 ans sera consolidée sous
l’empereur Théodose II en 424, mais il demeure
quelques exceptions. Un objectif de cette loi aurait
été de punir les demandeurs apathiques;
- Une prescription résiduaire de 40 ans est ensuite
introduite par l’empereur Anastase (qui a régné de
491 à 518) pour combler les quelques situations
qui ne sont toujours pas visées par la prescription
trentenaire;
- La réforme du droit opérée par Justinien en 531
vient fusionner les deux types de prescription,
acquisitive et extinctive. Néanmoins, Justinien
voulait plutôt réunir et fusionner les deux types de
prescription acquisitive, ce qui a été fait. Il aurait
toutefois, également, dans sa compilation du droit,
maladroitement amalgamé la prescription
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
594 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

acquisitive et la prescription extinctive, qui avaient


toujours été distinctes64.

C’est donc du droit romain que vient le terme « prescription »


pour désigner cette institution en général. En droit romain, les
premiers moyens de défense assimilables à la prescription moderne
devaient être inscrits en tête de la formule, avant l’argumentation
sur le fond, donc « écrits en avant », (praescriptio, en latin)65. Ce
terme désignait à l’origine tout moyen de droit qui devait être ainsi
invoqué avant d’argumenter au fond, s’apparentant aux moyens
déclinatoires du droit moderne. Ce n’était pas le seul moyen
préliminaire de la sorte, mais il était d’une importance telle que,
avec le temps, le terme général praescriptio a désigné uniquement
ce que nous appelons aujourd’hui « prescription66 ».

2.3 L’ancien droit français

Le droit romain a eu une influence importante en ancien


droit français et la prescription, telle que les Romains l’ont conçue,
a été graduellement adoptée par les différents peuples barbares qui
ont habité la France à l’époque. Ces derniers ont reconnu son utilité
sociale67. Cependant, cette réception a été inégale selon les régions.
Les peuples gaulois auraient généralement reconnu la prescription
des actions, ce qui a pu faciliter sa réception68. Ainsi, le délai de
prescription de 30 ans, hérité du droit romain, en est venu à être

64. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 14, p. 8.


65. Fr. LANGELIER, préc., note 18, p. 431; L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par.
9, p. 9; V.-N. MARCADÉ et P. PONT, préc., note 5, par. 1, p. 2; E. CHEVREAU,
préc., note 35, p. 104-107; P.M.C. DE COLQUHOUN, préc., note 41, t. 3, par.
2234, p. 528-529.
66. Charles Phineas SHERMAN, Roman Law in the Modern World, 2e éd., t. II,
New Haven, New Haven Law Book Co., 1922 (ré-éd. Holmes Beach, Wm.
W. Gaunt & Sons, 1994), par. 645 et 848, p. 215 et 402.
67. Fr.I. DUNOD DE CHARNAGE, préc., note 5, p. 195; L.V. GUILLOUARD, préc., note
5, par. 14-15, p. 13-15; Pascal PICHONNAZ, Les fondements romains du droit
privé, Zurich, Schulthess, 2008, p. 284.
68. Louis-Firmin-Julien LAFERRIÈRE, Histoire du droit civil de Rome et du droit
français, t. 2, Paris, Joubert, 1846, p. 123-136. Voir également R. DARESTE,
préc., note 51, p. 10-14.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 595
de la prescription extinctive des droits personnels

admis assez largement pendant la période de l’ancien droit en


France69.

Aux règles romaines classiques se sont graduellement


ajoutées des règles spécifiques provenant d’ordonnances royales :
c’est ainsi qu’ont été introduites les prescriptions plus courtes,
inexistantes en droit romain classique70. Par exemple, l’ordonnance
du roi Louis XII, de juin 1510, prévoit que les actions en rescision
de contrats fondées sur « dol, fraude, circonvention, crainte,
violence, ou déception de moitié de juste prix » se prescrivent par
10 ans (art. 46)71. Les ordonnances royales sont également venues
introduire plusieurs règles spécifiques pour la prescription des
dettes commerciales : c’est le cas de l’ordonnance de Louis XII de
1512, qui introduit une prescription de 6 mois pour les paiements
dus à certains commerçants. Au sein de la Coutume de Paris,
l’ordonnance de 1673 créera des distinctions entre différentes
catégories de commerçants. D’une manière générale, ces
prescriptions sont considérées comme des présomptions de
paiement72.

L’influence du droit canonique s’est également fait sentir. Les


canonistes étaient généralement hostiles à l’institution, l’estimant
un moyen de spoliation immoral73. Dans la mesure où les
canonistes acceptent la prescription, ils insistent sur l’importance
de la bonne foi. Ces réticences ont retardé l’implantation générale
de la prescription en droit civil moderne, malgré son utilité sociale74.
L’apport des canonistes se trouve principalement dans l’élaboration

69. J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, préc., note 62, par. 734-735, p. 1073-1077.
70. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 15-18, p. 8-10.
71. L.V. GUILLOUARD, préc., note 5, par. 19, p. 16-17. L’auteur donne plusieurs
autres exemples.
72. Préc., note 24; P.A. FENET, préc., note 5, p. 594-598.
73. E. CHEVREAU, Y. MAUSEN et C. BOUGLÉ, préc., note 52, par. 116, p. 185; J.-
Ph. LÉVY et A. CASTALDO, préc., note 62, par. 408 et 734, p. 625 et 1073-
1074.
74. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 19, p. 10-12; Fr.I.
DUNOD DE CHARNAGE, préc., note 5, p. 42-45.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
596 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

de la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio75,


d’où découle la notion d’impossibilité en fait d’agir telle que nous la
connaissons aujourd’hui.

2.4 L’œuvre du Code Napoléon et du Code civil du Bas


Canada

Le Code Napoléon de 1804 a été principalement inspiré par


les travaux de Dunod de Charnage et de Domat, de même que par
la Coutume de Paris76. Dans l’ancien droit subsistait une trop
grande diversité de délais et de règles particulières, mélange
hétéroclite de droit romain, canonique et coutumier. Devant ce
chaos législatif, le Code Napoléon a voulu mettre de l’ordre. Il a
éliminé les prescriptions plus longues que 30 ans et le délai
trentenaire est devenu le délai résiduaire, général, qui remplace
toutes les autres prescriptions qui ne sont pas l’objet de normes
spécifiques77. Malgré cette simplification, l’application du délai
général de 30 ans demeure limitée en raison de l’existence de
plusieurs délais spécifiques, notamment en matière commerciale.

Dès son adoption, le Code Napoléon prévoit de très courtes


prescriptions édictées aux articles 2271 à 2273, soit des délais
variant de 6 mois à 5 ans pour les créances liées aux services
rendus par des commerçants et professionnels : hôteliers (art. 2271
al. 2), huissiers (art. 2272 al.1), médecins (art. 2272 al. 3) et
marchands (art. 2272 al. 4) faisaient tout un chacun l’objet de
dispositions spécifiques. Un total de huit délais (6 mois, 1 an, 2 ans,
3 ans, 5 ans, 10 ans, 20 ans et 30 ans) peut être recensé. Jusqu’en
1985, les recours en responsabilité civile autant contractuelle
qu’extracontractuelle étaient soumis à la prescription trentenaire
de droit commun (art. 2262)78. De 1985 à 2008, les actions en
responsabilité civile extracontractuelle étaient prescriptibles par 10

75. Sophie CATTELET, Réflexions sur les sources de la prescription extinctive,


thèse de doctorat, Rouen, Faculté de droit, des sciences économiques et
de gestion, Université de Rouen, 2000, par. 51-52, p. 38-39.
76. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 22, p. 13-14.
77. Fr.-A. VAZEILLE, préc., note 10, par. 355-356, p. 425-429.
78. S. CATTELET, préc., note 75, par. 132, p. 89.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 597
de la prescription extinctive des droits personnels

ans à compter de la manifestation du dommage ou de son


aggravation79, alors que la responsabilité contractuelle tombait
toujours sous le coup de l’article 2262.

Le Code civil du Bas Canada a repris pour l’essentiel les


règles du Code Napoléon. Le délai de droit commun de 30 ans
apparaît à l’article 2242 C.c.B.C. Par contre, en vertu de l’article
2261 (2) C.c.B.C., les actions pour les dommages causés par un
délit ou un quasi-délit se prescrivent par 2 ans. Pour ce qui est de
la diffamation et du préjudice corporel, bien que les termes
employés à cette époque diffèrent, les actions les concernant se
prescrivent par 1 an en vertu de l’article 2262 (1) et (2) C.c.B.C.
L’action en nullité contractuelle, quant à elle, se prescrit par 10 ans
(art. 2258 C.c.B.C.). Même si les délais prévus ne sont pas
exactement les mêmes dans les hypothèses particulières, les cas
spécifiques visés aux articles 2260 à 2262 C.c.B.C. et aux articles
2271 à 2273 et 2277 du Code Napoléon sont très semblables :
créances périodiques, services professionnels du médecin et de
l’avocat ainsi que services d’hôtellerie font l’objet de dispositions
particulières. Les délais du Code civil du Bas Canada en ces
matières sont généralement plus longs et moins nombreux. On
dénombre en effet huit délais dans le Code Napoléon, tandis que le
Code civil du Bas Canada en contient six (1 an, 2 ans, 3 ans, 5 ans,
10 ans et 30 ans).

Outre les délais, le Code civil du Bas Canada et le Code


Napoléon définissent l’institution de la prescription en utilisant les
mêmes termes et les règles techniques (renonciation, interruption
et suspension) diffèrent peu.

2.5 Le Code civil du Québec (1994) et la réforme française de


2008

La première prescription extinctive générale pour les actions


en justice est apparue en 424 sous l’empereur byzantin Théodose
II. Elle prévoyait un délai de 30 ans. Cette prescription est demeurée

79. Art. 2270-1 Code Napoléon.


Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
598 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

sans altérations majeures le délai de droit commun en droit civil,


tant en France qu’au Québec, jusqu’à une période récente. Ces
délais contenus dans le Code Napoléon et dans le Code civil du Bas
Canada sont considérés comme beaucoup trop longs depuis fort
longtemps. Ils étaient déjà critiqués par plusieurs auteurs
classiques du XIXe et du début du XXe siècle80. Ces derniers
constatent et encouragent depuis longtemps une tendance générale
vers des délais de prescription plus courts mieux appropriés pour
la vie moderne81. L’évolution technologique et les communications
modernes font en sorte que les longs délais qui pouvaient être
essentiels pour la sauvegarde des droits des justiciables par le
passé ne sont plus nécessairement requis aujourd’hui. Dans ce
contexte, un raccourcissement général des délais de prescription
vient accentuer son rôle de « police juridique », de maintien de la
stabilité des rapports de droit82.

La complexité des règles entourant les délais de prescription


a également fait l’objet de préoccupations dans la doctrine, tant
classique que moderne. Les commentaires des auteurs français
sont révélateurs à cet égard83. La complexité des règles finit par faire
en sorte que les justiciables peuvent parfois perdre des droits en
dépit de leur diligence. Bien que le droit antique ait proposé de

80. Voir par exemple : M. PLANIOL et G. RIPERT, préc., note 5, par. 1327, p. 656;
R. DARESTE, préc., note 51, p. 15-20 : « Les délais institués par le droit
romain se justifiaient au temps de Théodose et de Justinien. Les guerres
étaient fréquentes, l’ordre mal assuré, les communications lentes et
difficiles […] Mais aujourd’hui (en 1894!), dans l’état actuel des relations
sociales, ces délais devraient être fortement abrégés. »
81. En droit québécois : J.-L. BAUDOUIN, P.-G. JOBIN et N. VÉZINA, préc., note 2,
par. 1112-1115, p. 1343-1344. En droit français : H., L., J. MAZEAUD et Fr.
CHABAS, préc., note 2, par. 1193, p. 1226-1227; Fr. TERRÉ, P. SIMLER et Y.
LEQUETTE, préc., note 12, par. 1477, p. 1513-1514.
82. Voir notamment M. TANCELIN, préc., note 2, par. 1452, p. 976-977.
83. A. BÉNABENT, préc., note 10, par. 892, p. 643-644; H., L., J. MAZEAUD et Fr.
CHABAS, préc., note 2, par. 1193, p. 1226-1227; Alain BÉNABENT, « Le chaos
du droit de la prescription extinctive », dans Mélanges dédiés à Louis
Boyer, Toulouse, Université des sciences sociales de Toulouse, 1996, p.
124-126; Philippe MALAURIE, « Exposé des motifs » dans MINISTÈRE DE LA
JUSTICE ET DES LIBERTÉS, Avant-projet de réforme du droit des obligations et
de la prescription, Paris, La Documentation française, 2006, p. 193-207.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 599
de la prescription extinctive des droits personnels

prime abord un régime uniforme, qui ne prévoyait que quelques


délais généraux, un système fort complexe de multiples délais
spécifiques, parfois difficiles à circonscrire, a fini par se développer
par l’entremise de lois, d’édits et d’ordonnances royales diverses. La
standardisation des délais était l’un des objectifs des codificateurs
du Code Napoléon, comme en témoignent les commentaires des
auteurs et l’adoption de l’article 225184, mais le régime demeurera
complexe malgré cette codification85. Plusieurs auteurs se sont dits
en faveur d’une élimination des délais spécifiques afin d’en arriver
à un régime plus uniforme et facile d’application86.

Le législateur québécois a été le premier à agir, lors de


l’adoption du Code civil du Québec en 1994. La réforme du droit civil
québécois s’est faite en plusieurs étapes et s’est échelonnée sur
quelques décennies87. Le premier document à examiner est le
rapport du Comité sur la prescription de l’Office de révision du Code
civil (ORCC). Le Comité avait expressément pour objectif de
simplifier, de clarifier et d’unifier le droit de la prescription88. Ses
propositions pour y parvenir comportaient une réduction du
nombre de délais existants et de leur longueur. Le délai plus que
millénaire de 30 ans devait immanquablement être réduit89. Le
Comité prévoyait un délai général de 5 ans pour les droits et recours
personnels, soit une bonne part du droit des obligations, et
reconduisait le délai du Code civil du Bas Canada de 2 ans en
matière de délits et de quasi-délits90. Par ailleurs, le Comité innovait

84. G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. TISSIER, préc., note 5, par. 365, p. 217-218.


85. Voir, notamment, Joseph Claude François BOUSQUET, Dictionnaire des
prescriptions : en matière civile, commerciale, criminelle, en matière de délits
et de contraventions, en matière administrative et fiscale, Paris, Librairie de
jurisprudence ancienne et moderne de Cotillon, 1838, dont l’analyse
détaillée des délais existants démontre clairement que la simplification
opérée par le Code Napoléon n’a été que partielle.
86. Voir notamment en droit québécois : M. TANCELIN, préc., note 2, par. 1452-
1454, p. 976-977; P. MARTINEAU, préc., note 2, par. 305-306, p. 321-323.
87. Voir Fr. LEVESQUE, préc., note 2, par. 18, p. 9-11.
88. QUÉBEC, OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, COMITÉ DU DROIT DE LA
PRESCRIPTION, Rapport sur le droit de la prescription, Montréal, Office de
révision du code civil, Comité du droit de la prescription, 1970, p. III.
89. Id., p. 5.
90. Id., p. 3-5.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
600 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

en prévoyant deux délais préfix. En matière de responsabilité civile,


le report du point de départ ou la suspension de la prescription ne
pouvait faire en sorte de prolonger le délai original au-delà de 10
ans après la commission du fait dommageable. La même chose était
prévue en matière de nullité contractuelle, la sanction ne pouvant
plus être prononcée 10 ans après la conclusion du contrat91. Enfin,
élément intéressant, le Comité proposait d’abroger l’ensemble des
dispositions contenues dans les diverses lois et concernant la
prescription, ce qui aurait redonné au Code civil un véritable rôle
de droit commun et même de source unique du droit en matière de
prescription92.

La version définitive du rapport de l’ORCC reprend les


grandes lignes de celle du Comité, à une exception notable près93.
L’ORCC recommande l’adoption d’un délai général de 3 ans en
matière de droit des obligations (droits personnels), essentiellement
pour limiter les distinctions entre la responsabilité civile et le droit
contractuel, dans un désir louable de simplification et
d’uniformisation. La durée du délai semble être un choix mitoyen
entre les délais de 2 et de 5 ans prévus dans le rapport du Comité.
Le délai de 3 ans est repris dans l’Avant-projet de loi portant réforme
au Code civil du Québec du droit de la preuve et de la prescription et
du droit international privé de 198894 et dans le Projet de loi no 125
de 1990, dernière version provisoire du Code civil95. Dans ses
commentaires sur le Projet de loi no 125, le ministre de la Justice
mentionne que le délai de 3 ans est « un heureux compromis entre
le délai de cinq ans trop long et celui trop court d’un an96 ». Notre

91. Id., p. 77.


92. Id., p. 115.
93. QUÉBEC (PROVINCE), OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, Rapport sur le Code
civil du Québec, Québec, Éditeur officiel, 1977, t. 1, p. 567, t. 2, p. 919-
921 et 933-934.
94. Avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit de la
preuve et de la prescription et du droit international privé (présentation – 16
juin 1988), 2e sess., 33e légis. (Qc), art. 3106.
95. Code civil du Québec, projet de loi n° 125 (présentation – 18 décembre
1990), 1re sess., 34e légis. (Qc), art. 2909.
96. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Projet de loi 125, Code civil du Québec :
commentaires détaillés sur les dispositions du projet, Livre VIII – La
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 601
de la prescription extinctive des droits personnels

intuition sur les raisons du choix du délai de 3 ans se confirme. Le


délai de 1 an auquel le ministre fait référence est celui qui se trouve
applicable aux lésions corporelles et aux injures verbales dans le
Code civil du Bas Canada.

La version définitive du Code civil du Québec retient le délai


de 3 ans comme nouveau délai de droit commun en matière de
droits personnels à son article 2925. Selon les commentaires du
ministre de la Justice, les fondements de ce raccourcissement du
délai de droit commun sont les suivants : « Cette adaptation de la
prescription extinctive aux temps actuels s’appuie […] sur l’intérêt
[…] d’une certaine stabilité et rapidité dans les affaires courantes et
[…] sur la valeur de la preuve et ses possibilités de
dépérissement97 ». Si le raccourcissement du délai de droit commun
est une réussite, celui du nombre des délais se révèle, à notre avis,
un échec. Le Code civil contient un délai de 1 an en certaines
matières (art. 2928 et 2929), de 10 ans dans d’autres (art. 2924),
un faux délai de droit commun (pratiquement jamais utilisé en
raison de l’englobante exception de l’article 2925) pour l’ensemble
de la prescription extinctive de 10 ans (art. 2922)98, sans compter
les modifications de 2013 qui ont réintroduit un délai de 10 et de
30 ans en matière d’acte criminel causant un préjudice corporel et
d’agression sexuelle (art. 2926.1)99. Qui plus est, les lois
particulières qui prévoient des délais particuliers sont toujours en
vigueur, contrairement aux souhaits de l’ORCC. Au moins, l’article
2930 C.c.Q. prévoit depuis 1994 que les lois particulières ne
peuvent imposer l’envoi d’un avis ou un délai de prescription plus
court que 3 ans en matière de préjudice corporel (depuis 2013, les
nouveaux délais de 10 et de 30 ans ont été ajoutés). En apparence

prescription, Québec, 1991, reproduit dans É. LAMBERT, préc., note 6, par.


2925-200, p. 1052.
97. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires du ministre de la
Justice : le Code civil du Québec – Un mouvement de société, t. 2, Québec,
Les Publications du Québec, 1993, p. 1836.
98. Voir Fr. LEVESQUE, préc., note 2, par. 1148, p. 596.
99. Loi modifiant la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, la Loi
visant à favoriser le civisme et certaines dispositions du Code civil relatives
à la prescription, L.Q. 2013, c. 8. Voir à ce sujet Fr. LEVESQUE et Cl.-É.
WAGNER-LAPIERRE, préc., note 49.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
602 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

neutre, cet article visait assurément à contrecarrer l’application des


courtes prescriptions prévues en droit municipal, principalement
l’article 585 de la Loi sur les cités et villes100.

Qu’en est-il maintenant du cas français? Sous l’influence de


réformes en cours ou récentes, dont celle qui a eu lieu en
Allemagne101, le législateur français a décidé, en 2008, d’intervenir
dans le domaine de la prescription. L’épuration opérée par le Code
Napoléon ne suffisait plus. La doctrine critiquait alors
principalement la longueur et le nombre des délais existants102. Le
législateur a donc adapté la longueur des délais à une société
française dont le rythme de vie a considérablement accéléré au
cours des dernières décennies. Le délai de droit commun a ainsi
décru de 30 à 5 ans103. Une certaine place a été accordée à la liberté
contractuelle en permettant aux parties d’allonger ou d’abréger les
délais de prescription dans leurs rapports juridiques, à condition
que le nouveau délai soit de plus de 1 an et de moins de 10 ans104.
Le législateur, dans un souci de prudence, a toutefois exclu cette
possibilité dans certains domaines105. La doctrine semble s’accorder
pour dire que la réforme, bien qu’elle soit positive à certains égards,
aurait dû être poussée un peu plus loin, ce qui lui a valu quelques
critiques acerbes106. Cependant, le nombre de délais a été réduit,

100. Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19; Fr. LEVESQUE, préc., note 2, par.
1166, p. 605; Doré c. Verdun, [1997] 2 R.C.S. 862.
101. Ph. MALAURIE, préc., note 83, p. 195.
102. S. CATTELET, préc., note 75, par. 19 et 142-149, p. 21 et 96-104.
103. Ancien article 2262, art. 2224 C. civ. français actuel. Sur la réforme en
général, voir : Cécile BIGUENET-MAUREL, Réforme de la prescription civile,
Levallois, Éditions Francis Lefebvre, 2008; Philippe CASSON et Philippe
PIERRE (dir.), La réforme de la prescription en matière civile – Le chaos enfin
régulé?, Paris, Dalloz, 2010.
104. Art. 2254 al. 1 C. civ. français actuel.
105. C’est le cas notamment du contrat de travail et de location (art. 2254 al. 3
C. civ. français actuel), en matière d’assurance (art. L114-3 Code des
assurances) et de consommation (art. L218-1 Code de la consommation).
106. Monique BANDRAC, « La nouvelle nature juridique de la prescription
extinctive en matière civile », Revue des contrats, 2008.4.1413, par. 36-38;
J. KLEIN, préc., note 24, par. 447, p. 341-342. Sur la question du point de
départ, auquel l’auteure a consacré sa thèse, voir par. 6, 384-387 et 629,
p. 5-6, 289-293 et 469.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 603
de la prescription extinctive des droits personnels

considérant que le Code civil français contient désormais quatre


délais différents (5, 10, 20 et 30 ans) plutôt que huit et, surtout,
que le nombre de cas visés par une disposition particulière a chuté
de façon importante. Tout bien considéré, cette réforme constitue
indubitablement un pas dans la bonne direction, compte tenu de
l’abandon attendu de la règle plus que millénaire de la prescription
trentenaire.

2.6 Les solutions appliquées dans le droit de tradition


anglaise (common law)

À l’origine, la common law ne connaissait pas de délais de


prescription107. Petit à petit, d’une façon analogue à ce qui s’est
produit en France à la même époque, certaines ordonnances royales
ont commencé à limiter les actions dans le temps, la toute première
œuvre législative connue en la matière étant le Statute of Merton,
1236108. Fait intéressant : les recours n’étaient pas prescrits par
l’écoulement d’un délai en tant que tel, mais le devenaient à une
date butoir, généralement liée à un fait historique, peu importe la
période de temps qui s’était écoulée entre l’évènement générateur
de droit et le fait historique. Ce sera trois siècles plus tard, en 1540,
que la première loi dite moderne et prévoyant un réel délai
s’écoulant à partir de la naissance de la cause d’action sera
édictée109.

La prescription de common law est inspirée du droit


romain110 : c’est pourquoi son fonctionnement participe autant de
la logique déductive du droit civil que de la logique inductive de la
common law. Effectivement, alors que le législateur du droit civil
développe un principe général que les juges appliquent au cas
particulier, le juge de common law élabore à partir du cas
particulier une règle à vocation plus générale qui sera parfois

107. G. MEW, préc., note 42, par. 1.6; J.C. MORTON, préc., note 42, p. 8; J.S.
WILLIAMS, préc., note 43, p. 24.
108. G. MEW, préc., note 42, par. 1.6; J.C. MORTON, préc., note 42, p. 8; J.S.
WILLIAMS, préc., note 43, p. 25.
109. G. MEW, préc, note 42, par. 1.6.
110. J. MCCANN, préc., note 2, p. 73-74.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
604 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

tempérée par le législateur et appliquée à d’autres cas particuliers.


La prescription conserve cette logique en raison, notamment, de
l’importance de l’interprétation jurisprudentielle de la loi et de la
spécificité des délais prévus dans la loi. En effet, plutôt que de
prévoir un délai de droit commun avec diverses exceptions, la
législation plus classique, telle qu’elle est présentée en doctrine,
établit plutôt une myriade de délais particuliers complétés par un
délai subsidiaire111. Toutefois, elle possède un caractère spécifique
en raison du fait de son élaboration qui tient sa source principale
dans la loi et non dans la jurisprudence. Les auteurs de doctrine
soulignent d’ailleurs avec une certaine insistance le fait que la
prescription a pour source la loi, alors que cela irait de soi en droit
civil. Ainsi, dans les provinces canadiennes de common law, la
source première des règles relatives à la prescription se retrouve
invariablement dans une loi dont l’appellation peut varier : Statute
of limitations, Limitation Act, Limitations Act ou encore Limitations of
Actions Act112. Il faut immanquablement ajouter à cette source la
loi d’interprétation de la province113, puisque s’y trouvent les règles

111. Everett Lane WEAVER, Limitations. Being a Treatise on the Time Limit on
Actions in Canada, Toronto, Canadian Law List Publishing Compagny,
1939, p. VIII-XI.
112. Voici la liste des neuf lois des provinces canadiennes de common law
relative à la prescription, d’ouest en est :
• Colombie-Britannique (BC) : Limitation Act, R.S.B.C. 2012, c. 13;
• Alberta (AB) : Limitations Act, R.S.A. 2000, c. L-12;
• Saskatchewan (SK) : Limitations Act, S.S. 2004, c. L-16.1;
• Manitoba (MB) : Loi sur la prescription, C.P.L.M., c. L150;
• Ontario (ON) : Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O.
2002, c. 24, annexe B;
• Nouveau-Brunswick (NB) : Loi sur la prescription, S.N.B. 2009, c.
L-8.5;
• Nouvelle-Écosse (NS) : Limitation of Actions Act, R.S.N.S. 2014, c.
35;
• Île-du-Prince-Édouard (PE) : Statute of Limitations, R.S.P.E.I.
1988, c. S-7;
• Terre-Neuve-Labrador (NL) : Limitations Act, S.N.L. 1995, c. L-
16.1.
113. G. MEW, préc., note 42, par. 3.122. Voici la liste des neuf lois des provinces
canadiennes de common law, d’ouest en est :
• BC : Interpretation Act, R.S.B.C., c. 238;
• AB : Interpretation Act, R.S.A., c. I-8;
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 605
de la prescription extinctive des droits personnels

relatives à la computation des délais. Les règles de fond et les règles


plus techniques sont scindées, contrairement à la situation qui
règne en droit québécois de la prescription114.

Une différence majeure entre le droit de la prescription en


common law canadienne et le droit civil québécois mérite d’être
soulignée, soit la présence récurrente de délais préfix d’application
générale. Contrairement à la situation qui existe au Québec, les lois
des provinces du reste du pays prévoient toutes, à l’exception de
celle de l’Île-du-Prince-Édouard, un délai maximal d’application
générale courant à partir d’un moment précis dans le temps (soit la
survenance de l’acte ou de l’omission entraînant responsabilité) au-
delà duquel le recours est prescrit, sans égard aux causes de
suspension reconnues pour les délais de prescription. Ces délais,
plus longs que les délais de prescription, sont d’une durée de 10,
de 15 ou de 30 ans, selon la province115. Leur présence presque
universelle est vraisemblablement une conséquence de la réduction
généralisée de la longueur des délais lors des dernières réformes,
celles-ci ayant poussé les tribunaux et les législateurs à être
davantage généreux envers les créanciers en matière de
suspension116. Si la suspension est plus facilement reconnue, un
mécanisme doit faire en sorte que la prescription parvienne à
remplir les fonctions pour lesquelles elle a été créée.

• SK : Interpretation Act, 1995, S.S. 1995, c. I-11.2;


• MB : Loi d’interprétation, C.P.L.M. c. I80;
• ON : Loi de 2006 sur la législation, L.O., 2006, c. 21, annexe F;
• NB : Loi d’interprétation, R.S.N.B. 1973, c. I-13;
• NS : Interpretation Act, R.S.N.S. 1989, c. 235;
• PE : Interpretation Act, R.S.P.E.I. 1988, c. I-8;
• NL : Interpretation Act, R.S.N.L. 1990, c. 1-19.
114. Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991, art. 2879.
115. Délai de 10 ans : art. 3(1)b) Limitations Act (AB). Délai de 15 ans : art. 21(1)
Limitation Act (BC); art. 7(1) Limitations Act (SK); art. 15(2) Loi de 2002 sur
la prescription des actions (ON); art. 5(1)b) Loi sur la prescription (NB); art.
8(1)b) Limitation of Actions Act (NS). Délai de 30 ans : art. 14(4) Loi sur la
prescription (MB), art. 22 Limitations Act (NL).
116. R. ZIMMERMANN, préc., note 41, p. 99-100.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
606 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

Il est intéressant de remarquer que les réformes actuelles de


la prescription ont lieu à la fois dans les États de tradition civiliste
et dans ceux de la common law. Au Canada, les lois relatives à la
prescription ont, à l’exception de celle qui est en vigueur à l’Île-du-
Prince-Édouard, toutes été adoptées ou modifiées depuis le début
du XXIe siècle117. Ces réformes sont généralement inspirées par les
travaux de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada
et, plus précisément, de la Loi uniforme sur la prescription des
actions de 2005. Ce projet de loi type est lui-même basé sur des
réformes relatives à la prescription en Alberta, en Ontario et en
Saskatchewan, découlant elles-mêmes des travaux de l’Alberta Law
Reform Institute sur la prescription, qui datent des années 80118.
De plus, la similitude des critiques des auteurs de common law et
des auteurs de droit civil119 quant aux régimes de la prescription,
étant à la source de ces réformes, témoigne de leurs origines
communes et confirme que les législateurs des deux traditions
juridiques ont dû résoudre des problèmes de même nature dans ce
domaine du droit.

Actuellement, la tendance au raccourcissement des délais


s’observe aussi dans les provinces de common law. La Colombie-
Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, l’Ontario, le Nouveau-
Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont adopté des délais d’application
générale de 2 ans (basic limitation periods)120, complétés par des
délais spécifiques qui y dérogent. Dans leur application, ces
dispositions sont très semblables à l’article 2925 C.c.Q. Toutefois,
dans les provinces de l’Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve-et-

117. NS : adoption en 2014; NL : modifications en 2008; NB : adoption en 2009;


BC : adoption en 2012; AB : adoption en 2000; SK : adoption en 2004;
ON : adoption en 2002; MB : modifications en 2002, 2005, 2010 et 2013.
118. CONFÉRENCE POUR L’HARMONISATION DES LOIS AU CANADA, GROUPE DE TRAVAIL DE
LA LOI UNIFORME SUR LA PRESCRIPTION DES ACTIONS, Rapport sur la Loi uniforme
sur la prescription, août 2005, p. 3, [En ligne]
[www.ulcc.ca/images/stories/2005_French_pdf/2005chlc0035_Uniform_
Limitations_Act_Rep_Fr.pdf> (PDF)].
119. S. CATTELET, préc., note 75, par. 128, p. 87; R. ZIMMERMANN, préc., note 41,
p. 81-85.
120. Art. 6 (1) BC; art. 3 (1) a) AB; art. 5 SK; art. 4 ON; art. 5 (1) a) NB; art. 8
(1) a) NS.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
(2016) 46 R.D.U.S. les fondements et les origines 607
de la prescription extinctive des droits personnels

Labrador et du Manitoba, on trouve plutôt de nombreux délais


spécifiques et un délai subsidiaire de 6 ans (default limitation
periods)121, malgré les réformes. Ce délai de 6 ans est considéré par
la doctrine comme le délai « classique » de la common law122, un peu
à la façon dont le délai de 30 ans était le délai « classique » du droit
civil. Aux fins de comparaison, il convient de mentionner que la
formulation de ces délais se rapproche de celle de l’article 2922
C.c.Q., dont les hypothèses d’application demeurent rares au
Québec123. Pour ce qui est de la diffamation, alors qu’elle est
soumise à un délai de 2 ans dans la plupart des États lorsqu’elle
émane d’un particulier124, les lois de certaines provinces prévoient
un délai plus court lorsqu'elle est faite par un organisme de presse
reconnu125. C’est là un autre point commun avec le droit civil
québécois.

Conclusion

La prescription extinctive n’est pas l’ennemie tant décriée du


justiciable, mais plutôt, dans l’ensemble, une importante alliée de
celui-ci. L’institution existe depuis près de 3 000 ans et elle s’avère
fondamentalement juste et équitable envers les deux parties dans
un litige privé, sans oublier qu’elle est nécessaire dans l’intérêt
public. Un auteur classique québécois déconstruit bien le mythe
tenace encore trop souvent accolé à la prescription : « On a dit que
la prescription était un moyen de spoliation donné aux gens
malhonnêtes. Il est possible qu’elle favorise quelquefois des
malhonnêtes gens, mais le plus souvent, au contraire, elle sert à
protéger un honnête homme contre des prétentions
malhonnêtes 126 ». Son effet, parfois déroutant pour le profane, serait
probablement mieux compris et accepté si les citoyens étaient
davantage renseignés sur l’existence et sur la durée des délais

121. Art. 9 NL; art. 2 (1) g) PE; art. 2 (1) n) MB.


122. Colette REID, Civil Litigation, New York (Oxford), Oxford University Press,
2004, p. 19.
123. Fr. LEVESQUE, préc. note 2, par. 1161, p. 603.
124. G. MEW, préc., note 42, par. 8.21.
125. Id., par. 8.28-8.29.
126. Fr. LANGELIER, préc., note 18, p. 435.
Lorsque le temps est l’ennemi de la justice :
608 les fondements et les origines (2016) 46 R.D.U.S.
de la prescription extinctive des droits personnels

prévus par la loi127. La maxime « Nul n’est censé ignorer la loi » a


rarement paru aussi désuète et illusoire qu’en matière de
prescription128.

127. Merci à Mme Rachel Nadeau, alors étudiante au baccalauréat en droit, mais
inscrite à un cours de maîtrise, pour l’inspiration.
128. S. CATTELET, préc., note 75, par. 367, p. 343-344.

Vous aimerez peut-être aussi