Art Rupestre de Tata: Histoire et Découvertes
Art Rupestre de Tata: Histoire et Découvertes
D’ART RUPESTRE
MARRAKECH
Décembre 2003
AMAR, Dar El Bacha, Rmila, 40000 Marrakech, Tél. 068 16 58 99 ; e-mail : [email protected]
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Introduction
L'art rupestre est une manifestation expressive de nos ancêtres préhistoriques ayant la
roche comme support. C'est une extension de l'idée à travers le mouvement qui
consistait à graver ou à peindre pour la matérialiser et l’immortaliser. De ce fait, l'art
rupestre avait deux dimensions à la fois artistique et fonctionnelle.
Les décennies 1960, 1970 et 1980 ont été marquées par de nombreuses recherches
scientifiques dans ce domaine à la suite de plusieurs découvertes ayant intéressé
essentiellement la vallée du Dra, le Haut-Atlas les régions sahariennes. Parmi les
chercheurs qui se sont investi dans ce domaine on citera entre autres A. Simoneau, A.
Jodin, G. Souville, R. Chenorkian, A. Rodrigue, etc. Ces recherches ont abouti à une
somme importante de publications dans des revues scientifiques ou des actes de
colloques internationaux. Cet intérêt grandissant pour ce domaine a incité les autorités
compétentes, en l'occurrence le Ministère des Affaires Culturelles à engager A
Simoneau pour l'établissement d'un inventaire général des gravures rupestres connues
au Maroc. Après un travail de longue haleine, l'inventaire a été publié en 1977. Aussi
lacunaire soit-il, il a le mérite d'énumérer les sites rupestres du Maroc tout en donnant
des indications sur le trait, la technique et la période chronologique.
En définitive, malgré le fait que le Maroc compte parmi les pays les plus riches en
sites d’art rupestre, ce patrimoine unique a été le parent pauvre de la recherche
archéologique. Hormis le travail systématique de quelques chercheurs, les
publications réalisées depuis le XIXe siècle sont pour la plupart le fait d’initiatives
individuelles et donc non organisés ou parfois même clandestines.
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Plus tard, le Ministère des Affaires Culturelles a concrétisé l'importance accordée à ce
domaine par la création en 1994 du Parc National du Patrimoine Rupestre. Sise à
Marrakech, cette institution s'est assignée dès le départ la mise en place d'une stratégie
générale à long terme visant l'inventaire général et l'archivage du patrimoine rupestre
marocain.
● Site rupestre
О Localité
//// Aire rupestre de Tata
Figure 1. Répartition des sites rupestres dans la région de Tata (Kaache B, 2001)
3
La région de Tata avec ses affluents de l’Oued Draa renferme plus de soixante sites
rupestres majeurs, elle reste une zone à grand potentiel surtout pour les découvertes de
sites mineurs qui contiennent une ou deux dalles gravées. Cette région représente
également un intérêt scientifique majeur du fait que les sites qu’elle renferme sont
aussi bien variés qu’ils accumulent des superpositions allant des représentations du
proto-historiques, voire préhistoriques jusqu’à la période historique. Les sites
rupestres de la région sont aussi très riches en matériel archéologique accompagnant
les œuvres d’art. Ce matériel témoigne d’une occupation humaine très ancienne. Les
pièces archéologiques qui jonchent le sol immédiat des sites rupestres se présentent
sous forme de concentrations de plein air non stratifiées, ce qui rend leur datation
difficile comme c’est souvent le cas des représentations gravées pendant des
millénaires mais sur le même support. La nature des pièces archéologiques se résume
à des types d’outils en pierre, des articles de parure et des fragments de poterie. Parmi
les outils fréquemment rencontrés on peut citer : les bifaces en quartzite, les éclats
retouchés, les lames et lamelles retouchées, les nucléus de différents types et matières
premières, les racloirs, les grattoirs, les encoches, les pointes et pointes de flèche, les
tessons de poterie, bref toutes les étapes préhistoriques de l’Acheuléen jusqu’à la fin
du néolithique. A tout cela s’ajoute les nombreux tumuli qui témoignent d’une
tradition funéraire ancienne, riche et complexe.
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Les sites de Tata retracent donc, d’une façon assez complète, le parcours historique de
la région et l’évolution technologique de la culture matérielle sur des milliers
d’années. C’est à travers ces témoignages archéologiques que nous pouvons
reconstituer l’image des principales formations socio-économiques du Pré-Sahara
marocain. Les représentations rupestres sont, dans quelques cas, les seuls documents
sur lesquels nous pouvons nous baser pour traiter des origines de la domestication, de
l’invention du métal, de la transhumance, des croyances et rites funéraires, de
l’apparition de l’écriture dans le Nord de l’Afrique en général et enfin de l’origine de
ce que nous sommes aujourd’hui.
Les gravures rupestres de Tata ont aussi le mérite d’être des documents qui
accompagnent l’évolution climatique de la région. Le fait que Tata soit une région
située dans la zone périphérique nord-ouest du Grand Sahara, elle a attiré les groupes
humains, pendant tout le quaternaire, grâce aux conditions climatiques relativement
clémentes en comparaison avec le Sahara central.
D’après les spécialistes, quatre étapes peuvent être dégagées de l’évolution climatique
depuis 40.000 ans (BENABID A. 2002) :
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période pluviale, également, à l’intérieur du Sahara en Mauritanie actuelle, au Tchad
et au Sénégal, les lacs ont connu leur grande extension.
Les grands cours d’eau comme le Draa et la Seguiet El Hamra gardent une certaine
humidité qui va attirer la faune du grand Sahara asséché, ainsi on assiste à l’apparition
des premières représentations d’art rupestre au Maroc dans la région actuelle de
Smara. Les cultures archéologiques néolithiques commencent à s’installer. Le
processus de l’adaptation humaine à des conditions climatiques extrêmes commence.
C’est la fin de l’épipaléolithique et le début du changement radical dans les cultures
matérielles des groupes humains qui changent, sans arrêt, d’espace et de moyens de
production. C’est à ces cultures de la fin du paléolithique et du début du néolithique
qu’on doit l’évolution spectaculaire de la chasse, de la domestication et de
l’expression de matérialiser l’idée à travers le mouvement sur au moins un support qui
est la roche. La zone de Tata va subir, comme tout le Pré-Sahara, l’influence des
déplacements des anticyclones et le climat actuel va régner sur la région depuis
environ 5000 ans passés.
L’art rupestre de Tata est, comme tous les sites marocains, difficile à dater. Plusieurs
raisons rendent la datation de l’art rupestre, particulièrement les gravures, difficile.
Les arguments sur lesquels les chercheurs se basent souvent ne résistent pas à la
critique. La comparaison de patines, de styles, de techniques de réalisations et le
bestiaire figuré pour une éventuelle reconstitution du milieu ne donnent pas toujours
des résultats convaincants.
Sur la soixantaine de sites que renferme la région de Tata nous n’avons visité, pendant
cette sortie, que huit : Tiggane, Ighir n’Ighnain, Tizgui, Oum Laâlègue, Meskaou, Sidi
Ali Ouazza, Jbel Feggoussate et Azrou Iklane à Imitek. Nous avons jugé que ces sites
peuvent, dans une excursion scientifique de dix (10) jours, donner une idée sur l’art
rupestre de toute la région de Drâa Bani qui représente, en fait, les principales étapes
de l’évolution du patrimoine rupestre national en général. Les stations choisies sont
également représentatives du point de vue de l’écologie des sites ; ainsi nous avons les
sites de Tamanart, témoignage spectaculaire de l’adaptation aux Oueds et affluents
dans les zones arides ; les sites de Tizgui, Oum Laâlègue, Meskaou, et Sidi Ali
Ouazza sont l’exemple des sites de plein air qui occupe les crêtes dominantes des
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dépressions ou cuvettes et enfin le Jbel Feggoussate comme exemple encore vivant
des sites qui se sont développer autour des cours d’eau permanents.
Photo 2. Site du Jbel Feggoussate. Exemple de cours d’eau permanent. C’est ce paysage qui devait prépondérant
pendant les cycles humides du néolithique
Le tableau que nous allons brosser, on se basant sur les données cueillies pendant
notre sortie, est loin d’être complet.
Photo 3. Bovinae d’Azrou Iklane à Imi Tek. Exemple de grandes figures sur paroi verticale. Technique
combinée de piquetage et polissage.
Un deuxième style qui consiste à réaliser la gravure par un contour bien poli et
profond. C’est le style dit de « Tazina ». Les sujets gravés appartiennent
principalement à une faune sauvage dite « éthiopienne », constituée d’antilopinae
associée à des éléphants, des girafes, des rhinocéros, des felidae et à différents signes
et symboles difficiles à interpréter. Les figures sont en général de petite taille ; par
moment la faune est accompagnée de figures de chasseurs armés d’arcs ou tout
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simplement s’approchant de fauves ou de pachydermes. Les traits des gravures sont
assez profonds et ils affectent la roche (voir figures 2, 3 et 4). Le bestiaire gravé de ce
style est généralement schématique. L’animal est dessiné sous un profil absolu, les
pattes et la queue sont souvent exagérées voir même fantaisistes. Ceci est surtout
attesté sur les figures de différentes antilopes.
Photo 4. Le style dit “Tazina” du site de Sidi Ali Ouazza (à gauche) et figures de nasses dans le site de
Meskaou (à droite).
Un troisième style, qui peut être associé aux figurations taziniennes, consiste à réaliser
la gravure par un simple trait incisé. Dans la région de Tata, on trouve ce style
particulièrement à Tiggane. Ce sont des miniatures qui représentent de petits
anthropomorphes chasseurs armés en arcs sous une vue de profil qui laisse lire des
détails caractéristique (fesses rondes bombées et tête petite). Ces petits chasseurs
portent, sur certaines gravures, une sorte de ceinture au niveau des hanches.
Un quatrième style est entièrement réalisé par piquetage. Les figures ont soit un
contour piqueté fermé ou non, soit une surface complètement travaillée. Ce style va se
développer vers des figures piquetées dépourvues de surface où le trait est la règle
générale des canons de représentations.
Photo 5. Représentations d’autruches à Jbel Feggoussate (remarquez bien les traces de moulage
clandestin à la silicone chimique)et canis (Chiens) sur plage de cupules. Piquetage du style libyco-
amazigh.
Ce style est représenté dans tous les sites que nous avons visités. Il s’est développé
depuis le néolithique jusqu’à l’Age des métaux.
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III. 2. Quelques données sur la patine et le vernis naturel
Toute roche exposée à l’air libre interagit avec son environnement. L’altération de la
surface de la roche exposée est appelée patine. C’est une réaction chimique dans
laquelle plusieurs agents interviennent, les minéraux de la roche, l’air ambiant, les
pluies, la fonte des neiges, l’action des micro-organismes, etc. Tous ces agents entrent
en action pour provoquer une oxydation très lente mais bien visible dans le temps sur
la surface de la roche. Cette oxydation marque, donc, le temps car, une fois la roche
gravée par l’homme, à une époque donnée, l’action perturbe l’épaisseur de la patine et
entame la roche mère. Nous avons dans ce cas une remise à zéro du temps
anthropique et la réaction chimique reprend sur la surface dénudée par le percuteur du
graveur. La patine dans ce cas est anthropisée, puisqu’elle est provoquée par la main
de l’Homme. Le support est visé pour matérialiser l’idée à travers l’action de graver.
L’exploitation du phénomène de la patine dans les datations des sites rupestres reste
problématique. Chaque type de roche réagit différemment, chaque région à ses
conditions climatiques, ses agents de dégradation qui différent et donc l’épaisseur de
la patine dans le temps n’est pas toujours la même.
Nous pouvons dégager, dans les sites rupestres de Tata, trois types de patines selon
l’épaisseur et la couleur du vernis superficiel.
Figure 4. Grés à patine naturelle et grés patiné anthropisé. Processus déclenché en même temps.
Le deuxième type est une intervention du graveur après le 1er type dans le temps.
Nous avons donc un trait gravé qui perturbe la patine déjà existante, la dépasse en
profondeur pour entamer le niveau non encore patiné. Ce trait déclenche le processus
de nouveau pour marquer la remise à zéro du temps qui est égale au moment de la
réalisation de la gravure. Nous avons dans ce cas deux patines, l’une naturelle et
l’autre anthropisée, déclenchée par l’action de l’Homme :
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Figure 5. Patine naturelle dépassée par le trait de la gravure. Processus déclenché de nouveau.
Le troisième type de patine est en réalité une dégradation anthropique (le graveur) de
l’épaisseur de la patine naturelle déjà existante. Dans ce cas les traits de la gravure ne
dépassent guère la croûte patinée de la roche support. C’est le cas de presque toutes
les représentations du style dit « libyco-amazighe » :
A chaque fois que l’Homme intervient pour graver, il donne chance aux micro-
organismes et autres agents de pénétrer profondément dans la structure du support. En
se basant sur la patine, on peut donc reconstituer, d’une manière relative, les grandes
étapes de développement des gravures rupestres.
Les sujets représentés sur les dalles de grès ou de quartzite des sites rupestres visités
peuvent être divisés en trois grands groupes : les zoomorphes, les anthropomorphes et
les signes / symboles.
Dans la région de Tata, la majorité des figures zoomorphes représente les bovidae en
général qui est une famille d’Ongulés avec, plus particulièrement, les bovinae et les
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antilopinae, alors que les caprinae occupent la troisième place et ils sont gravés
surtout dans un style lbyco-amazighe.
Les bovinae
Ils sont représentés dans tous les sites de la région, mais leur répartition est inégale.
La grande concentration des figures de cet animal se trouve à Tamanart (Imi n’Tart,
Ighir n’Oughnain, et autres) et dans la région d’Akka (Adrar Metgourine et Imitek).
Cet animal est représenté par deux types : des gravures de petits buffles et des figures
de bœuf de dimensions très variées. Les bovinae gravés se caractérisent par leur
grande taille, en les comparant aux autres figures en général, leur cornes très variées
et leur queue longue portant un postiche à l’extrémité.
Les sites de la région de Tata sont très connus par leurs bœufs porteurs. C’est le
marqueur de l’épanouissement d’une société bovidienne qui a non seulement
domestiqué les bovinae mais elle les a exploités comme force de travail pour
développer le niveau de sa production. Ces figures de bœufs porteurs sont bien
lisibles. Nous les avons surtout notées dans le site d’Azrou Iklane à Imitek.
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Photo 8. Bœuf monté d’Azrou Iklane, Imi Tek.
Les antilopinae.
Elles sont gravées dans tous les sites de la région de Drâa Bani. Elles sont
reconnaissables à leur corps bien proportionné, leur tête fine et leur cornes orientées
vers l’avant légèrement incurvées à l’extrémité. Parmi ces représentations, bien
appréciées par les chasseurs, nous pouvons facilement reconnaître le genre gazella qui
continue, en nombre fort réduit, à vivre dans la région. Plusieurs autres antilopinae
sont difficiles à déterminer puisqu’elles sont généralement très schématiques gravées
sous une vue de profil absolu.
Les alcelaphinae
Cette sous-famille des bovidae occupe la troisième place après les bovinae et Les
antilopinae. Les alcelaphinae sont figurées surtout dans les sites où le style Tazina est
majoritaire. Ainsi nous les avons à Oum Lalègue, à Meskaou et à Tiggane et en
nombre plus restreint dans les autres sites. Les figures ne permettent pas de
déterminer s’il s’agit du bubale, du damalisque ou du gnou. Mais les figures montrent
la silhouette générale qui est très proche des bovinae, mais moins lourde et plus haute
avec une tête allongée et surtout un museau aplati.
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Photo 10. Alcélaphinae du site d’Oum Lalègue.
A part ces trois types de zoomorphes qui sont bien visibles dans les sites de la région
de Tata, les autres sont représentés en nombre très limité mais original.
Les Hippotraginae
Elles sont représentées dans la région de Tata uniquement par l’oryx qui est facile à
interpréter par ses longues cornes rallongeant, presque, tout son dos. Ci-après un
exemple du site de Bezt à Tizgui, dans la commune d’Aït Ouabelli.
Les caprinae.
Cette sous-famille des bovidae comprend les bouquetins, les chèvres, les moutons et
les mouflons. Les caprinae sont gravés dans tous les sites de la région, mais bien
présents en nombre dans les sites d’Azrou Iklane à Imitek, de Bezt à Tizgui, de
Meskaou à Akka et en partie à Jbel Feggoussate à Tissint. Ces animaux prédominent
dans le milieu dit « libyco-amazighe ». Les caprinae sont souvent gravés dans un
style piqueté d’une patine généralement claire à l’exception de ceux représentés à
Meskaou où ils rappellent vaguement des mouflons et sont d’une patine assez sombre
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Photo 12. Caprinae suivis de chiens. Scène de chasse.
Les rhinocerotidae
Ces animaux herbivores sont représentés dans les sites de Tata par une seule sous-
famille, les dicerorhinae. C’est un rhinocéros à deux cornes. Il est gravé dans tous les
sites que nous avons visités dans la région de Tata. Les caractéristiques de cet animal
permettent facilement la lecture de ses gravures : corps massif, pattes courtes et
trapues, tête volumineuse et deux cornes nasales, l’une plus longue que l’autre. C’est
un animal indicateur d’une humidité du milieu assez suffisante pour qu’il puisse y
vivre.
Photo 13. dicerorhinae Drâa-Bani. Oum Lalègue (àgauche) Sidi Ali Ouazza (à droite).
Les elephantidae.
Cette famille est représentée par la sous-famille elephantinae. Il sont reconnaissables
parmi les gravures de la région de Tata par leur cou court, leur corps massif et leur
pattes trapus et surtout par leur trompe. L’éléphant est un animal qui a besoin d’une
grande quantité d’herbe pour vivre (400 kg/jour environ). Cela démontre encore une
fois que la région était plus humide qu’actuellement.
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Les equidae.
Ils sont très variés et leur lecture dans les gravures est très problématique. « Au
nombre très réduit des représentations équidiennes, s’ajoute l’épineux problème de la
discrimination des espèces. En effet, il est souvent difficile de distinguer les trois
espèces connues : Equus asinus, Equus mauritanicus et Equus caballus ou le cheval
proprement dit. Le graveur se contente dans la plupart des cas de réaliser le contour de
la silhouette sans insister sur les caractères discriminants (les rayures, la longueur des
oreilles, la crinière, etc.) »1. Dans les sites de la Région de Tata, nous n’avons relevé
que les chevaux représentés dans le site d’Azrou Iklane. Ce sont des représentations
du style libyco-amazighe. Ils sont montés par des cavaliers armés de petits boucliers
ronds dans des scènes de chasse ou de combat.
Photo 15. Cavaliers libyco-amazigh. Technique de piquetage. Site d’Azrou Iklane à Imi Tek.
Les equidae d’Azrou Iklane sont typiquement libyco-amazighe (au niveau stylistique)
et sont parfaitement comparables à ceux des sites de la région de Zagora (Jourf El
Khil, Foum Chenna et autres).
Les giraffidae.
Cette famille est constituée de deux genres dont un seulement, la girafe, est présent
dans les sites rupestres de Tata. Les figures de cet animal se distinguent par leur cou
très long, leurs petites cornes sur une petite tête à museau parfois aplati. L’exemple ci-
dessous se trouve dans le site de Bezt à Tizgui dans la commune d’Aït Ouabelli.
Photo 16. Giraffidae. à gauche Jbel Feggoussate ; à droite girafes poursuivies par des chasseurs armés
en arcs.
1
Extrait du texte de El Mustapha Nami, Exposition sur le cheval, Ministère de la Culture, Rabat 2003.
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Les carnivores
Ils sont représentés, dans les huit sites visités, par les canidae (chacals, chiens
domestiques et autres indéterminés) et les lions.
Ces gravures traduisent plus ou moins les détails des carnivores à savoir des faces
assez allongées, des têtes volumineuses, et des membres bien proportionnés.
Les chiens et chacals sont représentés au site d’Azrou Iklane à Imitek, alors que les
lions sont gravés au site de Jbel Feggoussate à Tissint et à Tamanart. Dans tous les
cas, ces représentations se trouvent, à notre avis, dans un contexte libyco-amazighe.
Elles sont toutes piquetées, d’une patine brune-claire.
Photo 17. Jbel Feggoussate. Lion à surface entièrement piquetée. Patine brune claire.
Une opposition de deux canidae à Azrou Iklane attire l’attention par la représentation
d’un chien domestique bien connu dans les gravures libyco-amazighes (accompagnant
le troupeau de chèvres ou des cavaliers à Foum Chenna à Tinzouline, Zagora)
affrontant un autre gravé soigneusement et marchant sur une plage de cupules. La
question se pose s’il s’agit d’un idéogramme qui traduit une scène de chasse au chien,
dans ce cas le canidae bien soigné doit être un gibier ou un prédateur (chacal ?) qui
menace le troupeau ?
Photo 18. site Azrou Iklane à Imi Tek Deux canidae piquetés face à face (à gauche). Chien poursuivant
une gazelle.
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Dans tous les cas cette figure rappelle la forme du chien dit slougui qui est très
fréquente dans l’art rupestre de l’Afrique du Nord et plus particulièrement dans le
Tassili en Algérie.
Une figure dans le même site a particulièrement attiré notre attention par sa forme qui
évoque un canidae qui vie actuellement dans les steppes du Mexique.
Photo 19. Site d’Azrou Iklane. Canidae superposé à une autre gravure. Technique de piquetage.
La majorité écrasante revient aux Struthionidés représentées par l’autruche. Elle est
gravée dans les différents étages et donc sa patine est variée.
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Photo 20. Autruches piquetées. Jbel Feggoussate.
Ces grands oiseaux sont figurés en profil absolu, en mouvement, poursuivis par des
chasseurs à l’arc ou tout simplement en groupe. Dans quelques représentations rares
on peut bien remarquer que le graveur avait le souci de souligner les deux orteils sur
lesquels s’appuie l’autruche pour courir.
Sachant que l’autruche existait au Maghreb depuis les temps préhistoriques, elle a
continué à vivre au Maroc jusqu’aux années 1950. (Monteil, 1951)
Photo 21. A gauche et au centre, oiseaux de Meskaou. Adroite, autruche ? de Sidi Ali Ouazza.
Les autres types d’oiseaux figurés sont difficiles à interpréter, mais on peut les
rapprocher, d’après leur silhouette, à des types comme les oies (à Jbel Feggoussate) à
des outardes à Sidi Ali Ouazza, ou encore à des échassiers à Tamanart.
Photo 22 A gauche (Sidi Ali Ouazza)un anthropomorphe associé à une antilope et un oiseau. Au centre
(Bzt à Tizgui) des anthropomorphes visent avec leurs arcs des giraffidae. A droite dtail.
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Les anthropomorphes existent aussi bien dans le contexte tazinien que dans
l’ambiance bovidienne et libyco-amazighe. Dans les gravures polies et profondes les
anthropomorphes sont associés aux animaux sauvages comme les éléphants, les
fauves, les antilopes. Dans les gravures piquetées du bovidien, ils sont surtout sur les
dos de bovinae. Alors que les anthropomorphes libyco-amazighes sont représentés sur
des chevaux ou sur des dromadaires, en scènes de chasse ou de combat.
Les signes et symboles sont très diversifiés. Pour les classer nous avons procédé au
système le plus simple :
Bases des signes et symboles : traits, points ou cupules, combinaisons de
traits, de points et des cercles ;
Signes et symboles isolés ;
Signes et symboles associés à d’autres gravures (zoomorphes et
anthropomorphes) ;
Inscriptions.
Dans les plus anciens étages à patine brune très sombre, les signes et symboles sont
souvent piquetés et représentent des méandres, des spirales, des chevrons ou tout
simplement des plages de petites cupules qui évoquent, parfois, le corps d’un oiseau
ou une forme géométrique dont les surfaces sont complètement travaillées par
piquetage.
Des losanges, des carrées ou rectangles emboîtés ou encore des cercles qui devancent
des figures zoomorphes, sont des gravures très fréquentes dans les iconographies des
sites rupestres de Tata. Mais les symboles les plus problématiques sont les différentes
formes de « nasses » ou pièges, comme les archéologues aiment les appeler. Ce sont
des formes qui rappellent vaguement ce qu’on appelle les cornues (tête de bœuf vue
d’en face) dans les sites sud-européen. La gravure est une forme ovoïdale qui se
rétréci d’une extrémité pour laisser la place à une sorte de cornes perpendiculaires à
l’ovoïde.
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Photo 24. Nasse ou piège associé à des antilopes. Site de Sidi Ali Ouazza à Oued El Kharouaâ.
Ces symboles, liés probablement aux activités de la chasse, sont répartis sur une
grande zone historico-culturelle qui occupe toute la vallée de Drâa et le Sud du
Sarhro. Les nasses du site de Meskaou sont parfaitement identiques à celles que nous
avons examinées à Aït Ouazik dans la région de Tazzarine.
Dans le contexte bovidien, les signes et symboles vont garder leur place parmi les
figures de différents types de bovinae et on assiste à une extension des formes en
spirales. Dans le site d’Azrou Iklane, ces spirales sont spectaculaires.
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« La répartition géographique des inscriptions amazighes fait partie des sites d’art
rupestre. Comme ces derniers, leur répartition s’étend du Nord-Est au Sud-Ouest
selon deux systèmes paléo-écologiques : les oasis et les anciens cours d’eau (Figuig,
Zagora, affluents du Draa, Seguiet el Hamra et Oued ed-Dahab) ; les montagnes
(Yagour, Oukaïmeden, Rat et Oussikis dans le Haut-Atlas).
D’après les documents qui ont été partiellement déchiffrés, il semble que les usages
de l’écriture amazighe se limiteraient à des dédicaces, des nécrologies et à la
consignation de courts messages. Dans l’état actuel de nos recherches, peu d’essais de
déchiffrement d’inscriptions rupestres marocaines ont été faits Seul un travail de
déchiffrement de longue haleine (collecte des inscriptions, analyse pluridisciplinaire,
étude comparative entre différentes régions de la zone historico-culturelle, etc.)
permettra, à l’avenir, de restituer quelques contenus.
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Tanger
Carte 1 : Répartition
des inscriptions
rupestres amazighes
Oujda
au Maroc
Fes
Rabat
Dakhla
MAURITANIE
MALI
7
©GRIAM 2002
Aousserd
5 0 200 km
Les inscriptions sont réparties de façon inégale sur les sites : cela va de la plus grande
concentration d’inscriptions amazighes (à Foum Chenna dans la région de Zagora)
jusqu’aux sites qui ne présentent qu’une seule inscription (Tisserfine, Yagour,
Boukerkour), en passant par des sites qui recèlent plusieurs inscriptions (Oussikis,
Meskaou, Taouz, Waramdaz …). Dans beaucoup de sites, se pose le problème de la
dégradation due à différents agents : le cas de l’Oukaïmeden qui, du temps de J.
Malhomme (années 1950), comptait cinq inscriptions n’en conserve qu’une seule,
celle de la frise aux éléphants publiée par A. Rodrigue (1987), constituée de trois
lignes dont une est pratiquement illisible, et qui a échappé à l’observation de l’auteur.
Celui du Yagour doit à J. Malhomme et à L. Galand d’avoir immortalisé par la
publication une inscription de la plus haute importance, aujourd’hui détruite en grande
partie. »2.
2
Skounti, A. Lemjidi, A. et Nami, E., Tirra, Aux origines de l’écriture au Maroc. Corpus des
inscriptions amazighes des sites d’art rupestres, Publications de l’IRCAM, Rabat 2004
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Site panneaux lignes lignes lignes Lignes caractères
horiz. vert. Obliques
ou autre
1 Foum 32 64 19 43 2* 402
Chenna
2 Meskaou 4 14 1 12 1 87
3 Oussikis 4 7 1 6 0 28
4 Oukaïmeden 3 5 3 2 0 54
5 Lejouad 2 6 0 6 0 21
6 Yagour 1 1 0 1 0 16
7 Chaïf Ould 1 7 0 7 0 40
Atia
8 Boukerkour 1 1 0 0 1 14
II
9 Ifran-n- 2 4 2 0 2 26
Tazka
10 Tisserfine 1 1 0 1 0 5
11 Loumat el- 1 1 0 0 1** 26
Asli
12 Waramdaz 1 5 2 2 1 45
13 Taouz 7 17 5 8 4 101
Total 60 133 33 88 12 865
Tableau récapitulatif du nombre d’inscriptions dans les sites rupestres marocains, (GRIAM, 2003)
La région de Tata est l’une des plus riches au Maroc par son patrimoine rupestre et sa
biodiversité. Ce patrimoine et cette biodiversité sont fragiles, il est de notre devoir de
les protéger.
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Références bibliographiques
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