Ferdinand: Grandeur et misère d’une famille terrienne au XIXe siècle
Par Christian Chapus
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur de quatre romans dont l’un est consacré à son village natal et les autres aux années allant de 1939 à 2020, Christian Chapus nous propose, avec ce cinquième ouvrage, Ferdinand, grandeur et misère d’une famille terrienne au XIXe siècle , un passionnant voyage en Ardèche et en Normandie au temps de Napoléon III et de la IIIe République.
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Aperçu du livre
Ferdinand - Christian Chapus
Chapitre I
Premiers cris…
En ce matin du 2 janvier 1848, le temps était couvert et le jour tardait à se lever. Depuis la Noël, un froid sibérien s’était abattu sur le pays et les habitants de Saint-Michel s’étaient recroquevillés autour des cheminées qui peinaient à tempérer leurs maisons. Après avoir jeté un coup d’œil à l’extérieur, Fernand Pouzols pénétra dans l’étable, persuadé que les premiers flocons tomberaient avant le soir. Une fois au milieu de ses vaches, il s’installa sur son tabouret en châtaignier et, s’éclairant à la faible lueur d’une lampe tempête posée dans la mangeoire, il plaça la seille entre ses genoux, puis il se mit à l’ouvrage. Tout en tirant avec ses deux mains sur les trayons de la Chaillette qui délivrait généreusement son lait bourru, il demeurait attentif à ce qui se passait dans la pièce d’à côté et il tendait l’oreille au moindre bruit. En effet, une simple cloison en bois de pin séparait le bétail de la chambre matrimoniale, ce qui lui permettait habituellement de surveiller ses bêtes à toute heure de la nuit et d’intervenir à la moindre alerte. Depuis quelques minutes, il entendait nettement les gémissements de son épouse, entourée par deux guérisseuses accourues au premier appel. Selon elles, l’accouchement devrait bien se dérouler vu que le bébé se présentait la tête en avant.
Toutefois, au goût de Fernand, le travail s’éternisait et il désespérait de pouvoir enfin prendre le nouveau-né dans ses bras. Ce serait un garçon, sans aucun doute, comme le lui avait confirmé Marie, sa mère, alors que les voisines étaient d’avis contraire : « Ventre pointu, sexe fendu ! », s’étaient-elles écriées lors de leur dernière visite. Comme les choses traînaient en longueur, il eut tout le loisir de repenser aux mots de sa belle-mère qui le contrariaient vivement : « Si le bébé tarde à sortir, c’est qu’il s’agit d’une fille, car elle prend le temps de faire sa toilette ! » Effectivement, Fernand aurait préféré un petit bonhomme plutôt qu’une « pisseuse », étant donné qu’il avait besoin d’un solide gaillard pour l’aider à l’avenir aux travaux pénibles et ensuite pour prendre sa succession comme cela avait été le cas avec son père, quelques années auparavant. Dans le pays, il en était toujours ainsi depuis des générations, quand l’ancien, perclus de rhumatismes, devait rendre les armes ! De plus, étant donné que le nom de Pouzols était bien ancré dans les murs de cette ferme, il ne devait plus les quitter, alors qu’avec une fille, les choses seraient très différentes : après avoir constitué son trousseau, elle laisserait ces terres narceuses⁴ pour rejoindre celles de son mari !
Après la traite, Fernand passa de l’étable à la cuisine en portant la seille pleine de lait qu’il posa délicatement sur la maie, à côté de l’évier en pierre. Tandis que les cris s’amplifiaient derrière la cloison, il retourna auprès de ses bêtes pour enlever le fumier de la nuit et étaler de la litière propre. Il savait que pendant quelques jours, en plus de son travail il lui incomberait des tâches inhabituelles comme éplucher les légumes et manier la baratte, qui étaient normalement dévolues à sa chère et tendre Délila.
À cet instant, des bruits de sabots ferrés retentirent sur les pavés de la cour, accompagnés par l’aboiement des chiens qui étaient couchés dans la paille sous le hangar. C’était certainement le cabriolet du médecin : en effet, deux heures auparavant, dès que les contractions étaient devenues plus régulières, Fernand avait pris soin d’envoyer son jeune frère Marcel jusqu’au domaine du Serre afin de réveiller le docteur. Depuis la Noël, celui-ci avait quitté Privas pour venir se reposer quelques jours dans sa demeure familiale, toutefois il ne refusait jamais une intervention, conformément à l’allégeance qu’il avait faite à Hippocrate dont le serment était affiché en bonne place dans la salle d’attente de son cabinet.
Sans attendre, Fernand appuya sa fourche contre le mur et se précipita à l’extérieur pour l’accueillir à la lumière de sa lampe. À peine entré dans la maison, le docteur demanda une cuvette en fer blanc et il se lava soigneusement les mains avec l’eau chaude puisée dans la grande marmite en fonte suspendue à la crémaillère de la cheminée. Bien que cinquantenaire et formé à l’ancienne école, il se tenait régulièrement au courant des dernières découvertes médicales. En particulier, il avait été sensibilisé par les conseils d’hygiène de Philippe Semmelweis, cet obstétricien hongrois qui révolutionnait certaines pratiques ancestrales, causes d’infections et de décès chez les jeunes mamans. De même, après l’accouchement, le docteur Auguste Chambert interdisait de laver le nouveau-né avec l’urine de la parturiente, comme cela se faisait depuis des lustres ! Cette habitude archaïque n’avait aucune justification scientifique et présentait même le risque d’enflammer la peau fragile des nourrissons. Sa lourde sacoche en cuir à la main, le médecin pénétra dans la chambre et referma la porte au nez du futur papa qui retourna à son occupation matinale.
Alors qu’il étalait la dernière fourchée de paille, Fernand entendit les cris du bébé, il comprit tout de suite que c’était enfin le dénouement tant attendu. « C’est un garçon ! » s’écria le docteur Chambert, tout sourire. Alors Fernand se débarrassa de ses sabots crottés, se précipita dans la cuisine et attendit de longues minutes avant que la porte de la chambre ne s’ouvrît, lui donnant libre accès à son héritier. Le petit s’appellerait Ferdinand ! C’était décidé depuis longtemps, car il en était ainsi dans famille Pouzols : un Ferdinand succédait toujours à un Fernand et vice-versa. Quant aux filles, c’était une Léonie qui suivait une Léoncie ! Le nouveau papa avait lui aussi vu le jour au même endroit vingt-huit ans auparavant, exactement le 11 février 1820, alors que la France grelottait par moins quinze degrés et que l’Eyrieux était bloqué par les glaces. Au bout de quelques minutes, le médecin enveloppa le bébé dans des linges chauds et le plaça délicatement dans le berceau en osier qui avait été tressé jadis par le grand-père. Ensuite, il quitta discrètement la pièce afin de laisser le couple tout à son bonheur. Les guérisseuses firent de même et rentrèrent directement chez elles, promettant de repasser plus tard dans la journée. Se retrouvant seul en compagnie de Marcel, monsieur Chambert attendit patiemment dans la cuisine en dégustant le café d’orge qui avait été préparé à son intention. Tout en caressant le gros chat gris qui ronronnait sur une chaise près de l’âtre incandescent, il engagea avec son hôte la discussion qui tourna autour du temps qu’il faisait depuis quelques jours et ils en convinrent tous les deux que la neige n’était pas loin.
— Il faudra que je rentre à Privas avant ce soir, si je ne veux pas rester bloqué au col des Buffes ou au Moulin-à-vent !
— C’est plus prudent ! Avec la burle, vous ne seriez pas le premier à devoir passer la nuit sous un calabert⁵ ! répondit Marcel.
Ravi, Fernand revint dans la cuisine afin de payer le docteur. Ce n’était pas tout le monde qui pouvait s’offrir les services d’un médecin, en raison du prix élevé de la visite et il en avait parfaitement conscience. À l’entour, tous les voisins étaient habitués à faire appel à la vieille Rachel, qui bénéficiait d’une solide réputation de guérisseuse, acquise tout au long de sa vie. Toutefois, elle ne jouissait pas des connaissances médicales de monsieur Chambert, mais, question tarif, il n’y avait aucune comparaison puisqu’elle se contentait d’un panier de victuailles en échange de son intervention.
— Encore merci, docteur, de vous être déplacé en pleine nuit ! Mon frère vous a dérangé dans votre sommeil ! lui dit-il.
— C’est tout naturel ! Je me le serais reproché tout le reste de ma vie, si les choses s’étaient mal passées, en mon absence ! Et puis, vous savez, je suis un homme du matin ! Quand je suis à Privas, j’ai l’habitude de me lever de bonne heure, ainsi je profite du calme pour m’occuper de mes nombreuses paperasses, avant le début des consultations !
En guise de remerciements, Fernand lui tendit un paquet, enveloppé dans un torchon, en lui disant :
— Et, avec madame Chambert, vous goûterez cette spécialité de la ferme ! Ce sont des caillettes que Marcel a cuites hier soir dans notre four à pain !
— Merci beaucoup, nous allons les apprécier en les mangeant avec des pommes de terre rondes !
Fernand expliqua que, chez les Pouzols, un cochon était toujours tué entre Noël et le Jour de l’An de manière à pouvoir refaire le plein de charcutailles avant les premières neiges. Cette précaution se justifiait afin de ne pas être démuni au cas où les congères viendraient à bloquer le pays et empêcheraient le saigneur de se rendre aux Sagnes. Ensuite, une deuxième bête était exécutée plus tard, courant février : il n’y avait pas d’urgence vu que l’archou ⁶et le saloir étaient déjà bien garnis.
— Vous savez, il est arrivé qu’on ne puisse pas mettre le nez dehors pendant plusieurs jours, alors il vaut mieux avoir des provisions en abondance ! Dans notre campagne, on n’est jamais trop prévoyant ! C’est pareil pour le bétail, je n’aime pas voir la fenière⁷ vide : je rentre les fenassiers⁸ sans attendre que les vaches aient fini leurs réserves !
Ensuite, tout en continuant sa discussion, le maître de maison tira du placard une bouteille de gnôle expressément réservée pour les heureux évènements et il remplit les tasses à moitié, en disant :
— Ce garçon, cela fait si longtemps que je l’attends. Je n’ose même pas y croire ! Et je garde une seconde bouteille que j’ouvrirai seulement le jour de ses vingt et un ans, si Dieu veut bien me prêter vie !
Cette conversation se prolongea quelques minutes encore : le docteur Chambert prenait le temps de savourer ces rares moments de bonheur partagé qui suivaient des interventions délicates au cours desquelles l’existence même d’un être humain était en jeu. Il n’avait pas très souvent l’occasion de sourire et de plaisanter dans les maisons de ses patients étant donné qu’il était, dans la plupart des cas, appelé trop tard et qu’il ne pouvait que constater le décès. Il n’avait pas oublié la tragédie de la ferme de la Grangette qui l’avait marqué à jamais tandis qu’il débutait tout juste dans la carrière. Il avait dû choisir de sauver le bébé et de sacrifier la maman qui expira dans d’atroces souffrances, laissant un mari désemparé qui pleurait son épouse tout en consolant le nouveau-né. Finalement, les hennissements de sa jument le rappelèrent à la réalité ; alors il empoigna sa sacoche et il sortit en renouvelant les recommandations habituelles.
— Prenez bien soin de votre bout de chou et de votre épouse, il lui faut du repos pendant quelques jours. Qu’elle ne fasse pas comme votre voisine Berthe, qui a voulu se lever dès l’accouchement terminé et qui s’est étendue de tout son long dans sa chambre ! Les femmes sont affaiblies par neuf mois de gestation et par toutes ces contractions douloureuses ! Je ne sais pas si nous, les hommes, on arriverait à les supporter ! Je repasserai voir le bébé et la jeune maman la prochaine fois que je me rendrai à Saint-Michel.
— Au revoir, docteur et encore merci à vous, répliqua Fernand.
— Et, longue vie à votre petit Ferdinand ! conclut le médecin en remontant sur son cabriolet.
Prévoyante et appliquée, Délila avait tout préparé pour la venue de leur rejeton, passant une bonne partie de l’automne à tricoter des brassières et d’autres vêtements chauds. D’ailleurs, elle n’avait pas manqué de remercier sa belle-mère qui s’était employée à filer au rouet toute la laine des moutons tondus par Fernand, au début du printemps. Effectivement, une naissance en plein hiver laissait craindre que la frêle créature ne souffrît des conditions climatiques extrêmes. Il est inutile de préciser que, dans les fermes de la montagne ardéchoise, seule une cheminée réchauffait la cuisine, laissant le reste de la maison en proie au froid et aux courants d’air. Le matin, il n’était pas rare de retrouver la petite fenêtre de la chambre recouverte d’une épaisse couche de givre que le pâle soleil de janvier n’arrivait pas à faire disparaître !
Pendant très longtemps, les Pouzols n’avaient été que de simples métayers et ils étaient passés de ferme en ferme, au gré des évènements, avant de s’installer définitivement aux Sagnes. Pour plusieurs générations, la vie n’avait pas été facile lorsqu’il fallait partager les récoltes avec le propriétaire et n’en conserver que la moitié ! Cependant, à la veille de la Révolution, à force de ténacité et de privations, ils avaient pu acheter, à un prix avantageux, la métairie ayant appartenu à un vieux garçon qui avait quitté ce monde sans laisser d’héritier. Toutefois, quoique solidement construits en pierres de pays, les bâtiments donnaient quelques signes de faiblesse et Fernand devait régulièrement monter sur les toits afin de réparer des gouttières, comme l’avaient fait son père et son grand-père avant lui.
— Il suffit qu’un chat fasse glisser une tuile et, à la première averse, c’est le foin qui reçoit toute la pluie. Alors, il ne tarde pas à prendre un goût de moisi et les vaches refusent de le manger, précisait-il à son épouse, angoissée en le voyant se promener en hauteur, à la manière d’un acrobate.
— Fais bien attention ! Un accident est si vite arrivé ! lui répondait-elle, pour l’inciter à la prudence.
Pour ce faire, il appuyait son échelle contre la maison, quittait ses sabots et il escaladait prudemment les barreaux, un à un. Auparavant, il avait pris soin d’enfiler de grosses chaussettes de laine qui lui assuraient une certaine protection et lui évitaient de se couper les pieds sur une ébréchure. Une fois sur la toiture, il préférait marcher à quatre pattes afin de répartir équitablement son poids. « Les tuiles creuses sont vieilles et très fragiles ! Si tu n’y prends pas garde, elles s’écrasent comme des tommes fraîches ! » disait-il.
Chapitre II
Fernand, un ancien de la coloniale…
Fernand s’était marié tardivement, après six ans de service militaire qui avaient rogné une bonne partie de sa jeunesse ; il avait eu la malchance de tirer le mauvais numéro lors du conseil de révision et il avait été envoyé en Afrique du Nord. Son frère cadet, à la main plus heureuse, avait pu rester à la ferme et apporter une aide précieuse à ses parents, usés prématurément par la dureté des travaux des champs. Déjà perclus de rhumatismes à cinquante ans, le père Pouzols peinait à manier le daille ⁹et à conduire l’araire dans les petits échamps¹⁰ qui dévalaient en escaliers jusqu’à la rivière.
En participant à cette expédition coloniale sous les ordres du général Sillègue, chargé par le roi Louis-Philippe 1° de « pacifier la région », Fernand avait pu voir pour la première fois la mer Méditerranée, embarquer sur un bateau à vapeur flambant neuf et découvrir un pays aux richesses infinies. Il n’était pas près d’oublier les couchers de soleil sur les dunes ni les senteurs exotiques qui venaient jusqu’à lui lorsqu’il traversait les villages berbères ! Hélas, son Ardèche natale lui manquait terriblement et il regrettait la bonne soupe au lard qui embaumait la maison de ses parents. Du reste, la nourriture était un des sujets de discussion habituels entre les soldats lors de leurs haltes nocturnes en plein désert.
— La semoule et le mouton, ça commence à bien faire ! répétait-il à ses camarades assis en tailleur autour du feu. Rien ne vaut ce que prépare ma mère !
— Je suis d’accord avec toi ! Pour moi, c’est pareil, je préfère la cuisine alsacienne, c’est la meilleure ! Je ne comprends pas qu’on ne trouve pas de saucisses de porc dans ce pays ! Ils ne savent pas ce qui est bon !
— Que veux-tu ? C’est leur religion ! En France, les catholiques ne mangent pas de viande le vendredi !
— Et puis, avec la chaleur qu’il fait ici, ils ne pourraient pas conserver la charcutaille toute une année !
— C’est vrai ! Elle rancirait tout de suite !
— Et moi qui suis lyonnais, je languis de manger à nouveau des quenelles !
— Ah ! J’ai oublié de vous dire qu’aux Sagnes on finit toujours nos repas avec un fromage de chèvre, accompagné d’un verre de vin rouge ! Et, pour que le fromage ait du goût, il faut qu’il soit couvert d’artisous ! surenchérit Ferdinand.
— C’est quoi ces arti… ?
— Les artisous ? Des petits vers !
— Et tu les manges ?
— Comme on veut ! Si tu es délicat, tu peux les enlever en raclant la croûte avec ton couteau ! C’est ce que fait ma mère ! Les artisous, ça lui donne envie de vomir !
— En somme, c’est comme de la viande !
De son séjour en Algérie, Fernand n’avait pas rapporté que de bons souvenirs : il avait perdu son meilleur camarade d’aventure, Louis Sagnard, originaire d’Alboussière, qui avait expiré dans ses bras à Taguine en mai 1843, mortellement blessé d’une balle à la tête lors de la prise de la Smalah d’Abd el-Kader. Bien que cité plusieurs fois à l’ordre du régiment pour ses actes de bravoure, Fernand n’était pas fier de tous ses faits et gestes, notamment d’avoir été complice, en juin 1845, de « l’enfumade » du Dahra où des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants avaient perdu la vie par asphyxie, dans des grottes aux issues bloquées par d’immenses brasiers de ronces. En rentrant à Saint-Michel, il n’avait pas souhaité parler de ces cavernes transformées en tombeaux ni des méthodes barbares employées sur le terrain. Il n’avait jamais pu demeurer insensible devant tous ces cadavres marqués