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Les ENQUÊTES DE MAUD DELAGE- L'INTÉGRALE 2
Les ENQUÊTES DE MAUD DELAGE- L'INTÉGRALE 2
Les ENQUÊTES DE MAUD DELAGE- L'INTÉGRALE 2
Livre électronique726 pages9 heuresLes enquêtes de Maud Delage

Les ENQUÊTES DE MAUD DELAGE- L'INTÉGRALE 2

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À propos de ce livre électronique

Une chute fatale du troisième étage. Un homme disparu sans laisser de traces. Un couple menacé de mort à répétition. Un manoir hanté par la peur et la folie. Un psychiatre victime de persécutions macabres. La brillante inspectrice Maud Delage et ses fidèles acolytes, Irwan et Xavier, auront fort à faire pour résoudre cette série d’événements mystérieux qui troublent la quiétude d’Angoulême
et de sa région. La liste des victimes s’allonge, les ténèbres deviennent de plus en plus oppressantes et la terreur gagne du terrain. Mais quand l’amour s’en mêle, il peut s’avérer difficile de garder la tête froide… Ce deuxième volet réunit les cinq dernières enquêtes de Maud Delage, héroïne de la saga policière menée tambour battant par l’auteure de renom Marie-Bernadette Dupuy.
LangueFrançais
ÉditeurÉditions JCL
Date de sortie9 nov. 2022
ISBN9782898042157
Les ENQUÊTES DE MAUD DELAGE- L'INTÉGRALE 2
Auteur

Marie-Bernadette Dupuy

Marie-Bernadette Dupuy est née à Angoulême, dans la Charente française, en 1952. Petite fille un peu rêveuse, son enfance s’est déroulée dans les rues étroites de la vieille ville médiévale. Depuis le début de sa carrière d'auteure, madame Dupuy a fait paraître plus d’une trentaine de livres, dont plusieurs polars. L’Orpheline du Bois des Loups, publié en 2002 aux Éditions JCL, est son premier ouvrage disponible en terre canadienne. Se sont ajoutés depuis: L’Amour écorché paru en 2003, puis, en mars 2004, toujours chez JCL, Les Enfants du Pas du Loup et, en septembre, Le Chant de l'Océan. Elle revient en 2005 avec Le Refuge aux roses, l’histoire d’un amour plus fort que la mort. Tout juste quelques mois plus tard, de la plume prolifique de Marie-Bernadette Dupuy nous arrive La Demoiselle des Bories, suite attendue de L’Orpheline du Bois des Loups. Pour sa part, Le Cachot de Hautefaille, est sur le marché depuis août 2006. Son ouvrage suivant, Le Val de l'espoir, évoque un problème caractéristique de notre époque, les ravages que cause la drogue. Depuis l'été 2007, madame Dupuy nous présente une grande saga en plusieurs tomes, dont le premier, Le Moulin du loup, fut presque aussitôt suivi par Le Chemin des falaises, puis par Les Tristes Noces, au tout début du printemps 2008. Paru quelques mois plus tard, à l'automne 2008, L'Enfant des neiges raconte la fascinante histoire de Hermine, une jeune fille douée pour le chant, demeurant au début du siècle dernier dans le pittoresque village de Val-Jalbert, au Lac-Saint-Jean. Parallèlement, elle livre au début de l'hiver 2009 le quatrième tome d'une série de cinq, La Grotte aux fées. Entre-temps, madame Dupuy livre au public québécois Le Rossignol de Val-Jalbert, suite attendue se déroulant toujours au Lac-Saint-Jean. Enfin, à l'hiver 2010, Les Fiancés du Rhin se révèle une magnifique histoire d'amour entre une Française et un Allemand pendant la Deuxième Guerre mondiale. Puis, Les Ravages de la passion, édité également au début de 2010, constitue le cinquième tome de la saga mettant en scène la famille Roy. Du même souffle, en septembre de la même année, elle présente à ses fans Les Soupirs du vent, troisième tome mettant en vedette Hermine et Toshan. Très attendu, le quatrième tome de la série Les Marionnettes du destin est disponible depuis mai 2011. À l'automne 2011, madame Dupuy s'attaque à une nouvelle série dont Angélina : les mains de la vie constitue le premier tome. Découvrez le site personnel de l'auteure : mbdupuy.free.fr

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    Aperçu du livre

    Les ENQUÊTES DE MAUD DELAGE- L'INTÉGRALE 2 - Marie-Bernadette Dupuy

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : Les enquêtes de Maud Delage : l’intégrale / Marie-Bernadette Dupuy

    Nom : Dupuy, Marie-Bernadette, 1952- , auteure

    Identifiants : Canadiana 20210054883 | ISBN 9782898042157 (vol. 2)

    Classification : LCC PQ2664.U693 E56 2021 | CDD 843/.914–dc23

    © Les éditions JCL, 2013, 2022

    Images de la couverture :

    Tugolukof / Adobe Stock

    Vladimir / Depositphotos

    Blorg / Wikimedia Commons

    Les éditions JCL bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Édition 

    LES ÉDITIONS JCL

    editionsjcl.com

    Distribution nationale

    MESSAGERIES ADP

    messageries-adp.com

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2022

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Note de l’auteure

    C’est en 1995, à une époque où les techniques d’inves­tigation étaient bien moins sophistiquées, que j’ai créé cette série policière, tout d’abord par goût du suspense et des intrigues, mais aussi pour le plaisir de parcourir au fil des pages ma terre natale, la Charente. Département riche en sites préhistoriques, parsemé de châteaux ou de ruines ­romantiques, doté de paysages variés, il y avait là matière à emballer mon imagination.

    Ainsi, par le biais des enquêtes de Maud Delage, mes lecteurs de l’époque ont pu se pencher sur l’histoire de la région, son patrimoine, découvrir des lieux méconnus. En quelque sorte, faire un peu de ­tourisme sur les traces de mon héroïne.

    Je tiens à préciser qu’aucun des événements relatés ne s’est réellement produit et que ces textes, hormis les ­références historiques et touristiques, sont de pures fictions.

    I

    COGNAC,

    UN FESTIVAL MEURTRIER

    1

    Angoulême, début du printemps 1998

    La jeune femme se regarda sous tous les angles, lissa ses cheveux blonds très clairs, puis maquilla ses yeux avec soin. Elle était assez contente de l’image que lui renvoyait le miroir de la salle de bains.

    Je n’ai plus qu’à appeler Océane, songea-t-elle. Elle doit déjà attendre près de son téléphone, comme d’habitude. Ah ! si les hommes étaient aussi impatients !

    Virginie étira son joli corps moulé dans une robe de laine. D’une démarche souple, elle alla s’appuyer à la fenêtre, alluma une cigarette, contempla le va-et-vient des voitures dans la rue, trois étages plus bas. Elle fredonnait un air à la mode, heureuse de la soirée à venir, de ces instants paisibles qu’elle venait de passer dans son appartement décoré selon ses goûts. Le bruit d’un camion qui passait à vive allure l’empêcha d’entendre des pas derrière elle, et la moquette était si épaisse, si douce, que le moindre son était assourdi.

    Cinq minutes plus tard, après une chute de quinze mètres, Virginie gisait les bras en croix sur la chaussée. Son cou portait les marques d’un début de strangulation, ses prunelles dorées étaient éteintes à jamais. Les gens accouraient, l’un d’une voiture, l’autre d’une maison voisine. Exclamations consternées, circulation arrêtée, remarques un peu stupides face à cet accident étrange qui surprenait et intriguait.

    Une femme d’une soixantaine d’années décida d’appeler la police de son domicile. Elle connaissait la victime de vue et se demandait ce qui avait bien pu se passer là-haut, dans l’immeuble ancien où habitait la jeune fille.

    Il ne fallut pas plus de dix minutes à Irwan Vernier, inspecteur divisionnaire, pour arriver sur les lieux. Mince, un mètre quatre-vingt-trois, la chevelure légèrement bouclée d’un châtain clair, la quarantaine séduisante, ce Breton exilé en Charente avait – sans doute à cause de son regard vert clair, incisif, serti dans un visage buriné aux traits fins – des allures de fauve en liberté.

    Une jeune femme l’avait suivi sur les lieux de l’accident, et, à les voir ensemble, on devinait une vieille complicité, une entente parfaite loin d’être dues au seul fait de travailler dans le même service, à l’hôtel de police d’Angoulême.

    Maud Delage, car c’est d’elle qu’il s’agissait, avait tous les atouts pour faire tourner les têtes masculines, mais, trop occupée par son métier, elle n’en abusait pas. Cheveux mi-longs d’un blond foncé, grands yeux bleu océan, bretonne elle aussi – ce qui l’avait rapprochée du séduisant Irwan –, cet inspecteur de charme à l’existence palpitante présentait ce jour-là aux badauds des formes exquises, que révélaient un jean serré et un petit gilet noir à l’échancrure coquine. Elle fut la première à se pencher sur la malheureuse Virginie, toujours allongée sur le bitume, et examina sa gorge.

    — Eh bien ! On ne peut pas conclure à une chute accidentelle. Regarde, Irwan.

    — Ouais… Tu as raison. La pauvre gosse a dû se débattre, mais elle n’était pas de taille… Il faut appeler l’Identité judiciaire et une ambulance, et vite, à cause de la circulation. Je m’en charge, ne bouge pas, et tente d’éloigner les curieux !

    Maud fronça les sourcils, perplexe.

    — Mais il y a peut-être des témoins, Irwan ! s’écria-t-elle.

    — Fais ton boulot.

    Maud leva les yeux au ciel, agacée, et commença à interroger ceux qui l’entouraient. Elle comprit vite que personne n’avait rien vu d’insolite, à part ce corps disloqué sur la chaussée qui avait vite attiré l’attention. La voisine qui les avait prévenus donna enfin l’adresse exacte de la défunte :

    — Elle habitait là-haut, au troisième étage, cette maison sur votre droite ! Une fille sérieuse, qui travaillait comme vendeuse.

    Bientôt, les hommes de l’Identité judiciaire arrivèrent et s’affairèrent à relever la position de la morte, les éventuelles empreintes ou traces suspectes. Le commissaire Valardy et le substitut du procureur, alertés par Irwan, firent une brève apparition.

    — Alors, patron ? On ouvre une enquête, bien entendu ? demanda l’inspecteur divisionnaire.

    — Puisque tu affirmes que c’est un crime, je pense que ça semble nécessaire. Faites au mieux, les enfants. À mon avis, il ne faudra pas chercher bien loin. Il y a de fortes chances que cette jolie personne ait été molestée et défenestrée par son amant.

    L’ambulance emporta Virginie vers Girac pour l’autopsie, tandis que Maud et son collègue montaient jusqu’au troisième étage de l’immeuble pour passer au peigne fin l’appartement de la victime. Dans ce quartier assez tranquille de la ville, presque résidentiel, car il était assez éloigné des artères commerçantes, les logements demeuraient spacieux, vu la structure ancienne des maisons.

    Bâtie sur une avancée rocheuse, Angoulême possède cette plaisante particularité de voir ses rues se couler à flanc de coteau, rejoindre la plaine envahie par les constructions neuves et les zones industrielles, ou bien grimper vers le plateau où se dressent les flèches des églises, où bat le vrai cœur de la cité, entre l’hôtel de ville, le théâtre, et d’autres monuments à l’architecture admirable. La rampe du Secours est ainsi faite, abrupte, en forte dénivellation, et la chute de Virginie équivalait bien à une condamnation à mort.

    Maud parcourut du regard la pièce principale, aménagée en salon, avec le classique canapé de cuir, la télévision, des plantes vertes luxuriantes, des murs blancs. Une petite cuisine la jouxtait, puis une chambre de belles dimensions, dans les tons de rose, sur laquelle donnait une salle de bains où flottait une tenace odeur de parfum de qualité.

    — C’est d’ici qu’on l’a poussée, ou qu’elle a basculé en se débattant, constata Irwan, penché à la fenêtre de la chambre.

    — Oui. Tiens, un cendrier renversé, et une plante par terre. Il y a eu une sorte de lutte, tu ne crois pas ?

    Ils continuèrent leurs investigations, et Maud se défendit de céder à cette sensiblerie qu’on lui reprochait souvent. Pourtant, ce n’était pas si facile, lorsqu’on était confronté fréquemment à la mort, avec toutes les facettes que lui imposaient le destin et ses caprices.

    Là encore, dans ce décor typiquement féminin, avec dans l’atmosphère des senteurs très douces, Maud avait le cœur serré en songeant à la jeune victime, aux parents qui allaient apprendre son décès, probablement par ses soins, à un possible fiancé aussi. La voix d’Irwan, un peu rauque, mais très tendre, la tira de sa mélancolie :

    — Maud, j’ai trouvé un carnet d’adresses. Il était près du téléphone. Jette un coup d’œil.

    Elle s’approcha de lui, prit le petit cahier à la reliure fleurie, le feuilleta. Bientôt, elle déclara d’un ton surpris :

    — Il n’y a que des noms de femmes. Ah ! voici l’adresse de ses parents : ils habitent à Bourg-Charente. Je vais noter tout ce qui paraît intéressant.

    — Tu te charges des interrogatoires à domicile, tu préviens la famille. Moi, j’irai à l’autopsie. À moins que tu préfères inverser les rôles, pour une fois…

    Maud haussa les épaules, planta son regard bleu dans celui de son collègue. À voix basse, mais d’un ton câlin, elle soupira :

    — Très drôle, inspecteur.

    — Oh ! Si on ne peut plus plaisanter… Allez, je file au Central. Attends ici un moment. Je t’envoie Olivier ou Dimitri pour t’accompagner, puisque notre cher Xavier est parti en vacances au fin fond de la Creuse. Celui-là… Il va nous rapporter une collection de diapos, comme d’habitude.

    — Sûrement. Bien, mon cher Irwan, à plus tard. Quand tu veux.

    — OK. J’y réfléchirai… Salut.

    L’inspecteur Vernier sortit de l’appartement de sa démarche nonchalante. Maud se retrouva seule dans la chambre de Virginie. Elle ne put s’empêcher de songer à ce lien étrange qui s’était noué peu à peu entre Irwan et elle. Depuis six mois, ils vivaient une sorte de liaison en dents de scie, parfois très bons amis, et sur la défensive quand le désir s’en mêlait, souvent amoureux fous et pressés de retrouver l’ombre d’une chambre, un grand lit, leur complicité d’amants épisodiques.

    Ce que Maud appréciait le plus, c’étaient, blottis dans les bras l’un de l’autre sur le canapé du salon, les soirées en tête à tête, les longues discussions après un petit dîner aux chandelles. Leurs rencontres avaient lieu exclusivement chez la jeune femme, qui, en fait, n’avait jamais mis les pieds chez Irwan. Peu lui importait ; sa préoccupation actuelle, c’était l’attitude presque indifférente de cet homme flegmatique, sa froideur certains matins, et, récemment, son peu d’empressement à la rencontrer en privé. Il y avait plus de quinze jours qu’il jouait les blasés et dédaignait ses charmes.

    — Tant pis pour vous, inspecteur Vernier, chuchota-t-elle dans la pièce silencieuse.

    Le son de sa voix lui avait paru enfantin.

    Se reprochant ces instants de rêverie, elle se dirigea vers la cuisine, l’inspecta, retourna dans la chambre, alla à la fenêtre pour mieux observer la rue. Les maisons en face étaient inhabitées, sauf une, un peu plus haut. Les volets étaient accrochés. Maud se dit que, de cet endroit, on devait très bien voir ce qui se passait chez Virginie.

    Cinq minutes plus tard, escortée de Dimitri, un ancien stagiaire qui était en bonne voie pour s’intégrer à leur équipe, Maud sonna à la porte de l’immeuble qui l’intéressait. Sur les trois sonnettes, aucune réponse. Elle en conclut que les habitants du lieu n’étaient pas encore rentrés et décida d’aller immédiatement prévenir les parents de la pauvre Virginie.

    Bourg-Charente était un beau village, assez cossu, qui se mirait dans les eaux profondes du fleuve dont il portait le nom. Une église romane veillait sur les toits anciens, et l’on apercevait, sur l’autre rive de la Charente, un joli château de style Renaissance. Tout était si paisible, dans ce décor verdoyant, déjà fleuri de quelques jonquilles d’un jaune vif, que Maud regretta d’être venue ici avec de sinistres nouvelles. Les parents de Virginie avaient élu domicile dans une maison toute proche d’un grand restaurant qui donnait sur le bord de l’eau, Le Restaurant du fleuve.

    — Je crois que Xavier m’a parlé un jour de cet établissement, chuchota-t-elle à son adjoint. Il paraît que la cuisine est excellente. C’est un lieu très agréable et prisé de certaines personnalités du spectacle. Si seulement nous étions là en touristes…

    Dimitri la réconforta d’un sourire gêné. Il comprenait parfaitement combien ce genre de démarche lui était pénible.

    Une heure plus tard, les deux inspecteurs quittaient la demeure de M. et Mme Cottin. Le jour déclinait, et, au bout d’un champ, le soleil d’avril dorait les grands frênes aux feuilles neuves qui ponctuaient de leurs hautes silhouettes les berges du fleuve.

    — Sale boulot, vraiment ! s’exclama le jeune homme en montant dans la voiture de police.

    — Tu peux le dire, j’ai horreur de ça. La mère de Virginie a mal supporté le choc, et le père, c’est le genre justicier solitaire. Il faut les comprendre : leur fille cadette, à vingt-trois ans… Une épreuve atroce.

    — Tu leur as pourtant parlé avec des gants. On ne peut pas être plus délicate.

    — Merci, Dimitri, tu es gentil. Dans la mesure du possible, j’essaie de trouver les mots justes, mais je n’évite pas le chagrin, hélas. Allez, en route. J’aimerais rendre visite à la dénommée Océane Rieul avant de repasser au Central. J’ai vu ce nom et cette adresse dans le carnet retrouvé chez la victime, et c’est sur notre chemin.

    De retour à Angoulême, ils se garèrent vers 7 heures du soir rue Léonard-Jarraud, où logeait, selon toute probabilité, l’amie de Virginie. Là, ils furent accueillis très froidement par Océane Rieul en personne.

    — Qu’est-ce que vous me voulez ? s’écria-t-elle. Je n’ai rien à voir avec la police.

    — Madame, permettez-moi de vous expliquer pourquoi nous sommes ici, répliqua Maud. Je voudrais savoir quelles étaient vos relations avec Virginie Cottin, si vous étiez très amies. Votre nom figure dans son agenda, et je suis obligée de vous interroger.

    — Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Virginie, c’est une copine. D’ailleurs, elle devait m’appeler, mais j’attends toujours. On dîne ensemble de temps en temps, c’est tout.

    Dimitri, qui écoutait en simple témoin cette discussion houleuse, porta un regard critique sur la femme qui se tenait en face d’eux. La trentaine, ou plus, très maquillée, grande et forte, Océane avait des traits un peu durs et de jolis yeux verts. Selon l’avis du jeune inspecteur, elle ne pouvait rivaliser en grâce et beauté avec Maud, à qui il vouait une vive admiration. Pourtant, cette femme possédait une voix sensuelle, mais un peu vulgaire.

    — Alors, ajouta Océane Rieul, que voulez-vous savoir de plus sur moi ?

    — Nous verrons tout à l’heure. Madame, j’ai une pénible nouvelle à vous annoncer, déclara Maud. Votre amie est décédée cet après-midi. Une chute du troisième étage, qui, d’après nous, n’est pas accidentelle.

    — Virginie ? Morte ? Non !

    Les policiers virent pâlir le visage d’Océane, puis elle tituba, s’écroula sur la moquette, évanouie.

    — Madame… Oh ! non ! s’écria Maud. Vite, de l’eau froide, Dimitri. Je ne pensais pas qu’elle réagirait si violemment.

    Quand la malheureuse revint à elle, ce fut pour sangloter, assise par terre. Entre deux spasmes, elle parvint à dire d’un ton horrifié :

    — Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Qui a fait ça ? Ma pauvre petite Virginie… Ce n’est pas vrai, dites ?

    — Calmez-vous, madame. Je vous en prie. Vous pouvez justement nous aider dans nos recherches en nous racontant tout ce que vous savez sur la vie privée de votre amie.

    Maud avait parlé avec conviction, la main posée sur l’épaule d’Océane, qui eut alors un geste singulier : elle effleura de ses doigts aux ongles rouges, effilés, le poignet de l’inspecteur Delage, et le caressa sans cesser de pleurer.

    — Je voudrais bien vous aider, mais comment ? Virginie a une vie toute simple, elle travaille comme vendeuse dans une boutique et sort très peu.

    — A-t-elle un ami ?

    — Non, enfin, si vous voulez dire un fiancé, non, aucun.

    — Et Élise Vincent, Laurence Duroux ? Vous les connaissez ? J’ai relevé leurs noms dans l’agenda de Virginie. Ils étaient soulignés.

    — Oui… Surtout Laurence, une très belle fille, et si vive ! Élise, je ne l’ai rencontrée qu’une fois, pour un repas d’anniversaire. Elle est adorable, mais trop nerveuse à mon goût.

    Surpris de la manière qu’Océane présentait ces jeunes personnes, Dimitri fronça les sourcils. La jeune femme s’assit dans un fauteuil et répondit encore à quelques questions. Avant de prendre congé, Maud lui dit d’un ton amical :

    — N’hésitez pas à me joindre si quelque chose vous revenait en mémoire. Je comprends votre peine, et je ne veux pas vous importuner plus longtemps. Reposez-vous, appelez quelqu’un pour vous tenir compagnie.

    Toujours en larmes, Océane balbutia en leur serrant la main :

    — C’est facile à dire. Vous ne savez pas ce que je perds en perdant Virginie. Nous étions si proches, toutes les deux.

    La porte se referma sur ces paroles pleines de sous-entendus, si bien que Dimitri adressa à Maud une moue dubitative. Il leur restait à contacter Élise, Laurence et Hervé, le frère aîné de la victime.

    — Nous allons retourner rampe du Secours pour interroger les gens qui habitent en face de l’appartement de Virginie. Leur témoignage peut être capital, si toutefois ils étaient là au bon moment… Pour les autres noms du carnet d’adresses, je téléphonerai de mon bureau. Je prendrai des rendez-vous pour demain.

    Décidément, Maud n’avait pas de chance : la locataire dont la fenêtre était dans le bon angle pour assister à la chute de la jeune fille affirma s’être absentée de 14 à 17 heures. Elle leur apprit aussi que les autres logements étaient pour l’instant inoccupés. C’était une femme entre deux âges, aux cheveux courts, grisonnants.

    — C’est bien dommage pour cette pauvre gamine. Elle était polie et sérieuse. Si j’avais pu imaginer une chose pareille.

    — Vous vivez seule ? demanda Dimitri par acquit de conscience.

    — Oui. Mon mari est mort il y a plus de dix ans.

    — Excusez-nous. Merci, madame.

    Ils repartirent, découragés. La nuit vint doucement, les réverbères du rempart de l’Est s’allumèrent, et, en contrebas, l’église d’Obézine semblait veiller sur les quartiers de la ville qui s’étageaient là, le long des rues désertes.

    Deux heures plus tard, Maud rentra chez elle après avoir dîné en vitesse dans une brasserie avec le commissaire Valardy et Dimitri. Irwan avait prétexté un dossier à terminer et s’était contenté d’un sandwich et d’une bière dans son bureau.

    Le chat Albert reçut sa maîtresse avec des ronronnements câlins, se frotta à ses jambes.

    — Coquin, va. Tu es content parce que je n’ai plus de visites. Tu as bien raison. Viens là. J’ai besoin d’affection.

    Maud prit le chat dans ses bras, frotta sa joue contre sa fourrure soyeuse, d’un blanc immaculé. Réconfortée par la douceur de ce fidèle compagnon, elle mit un peu de musique, se servit un verre de jus d’orange :

    — Ce soir, Albert, repos. On regarde la télé et après on va au lit.

    Malgré sa tonalité musicale, la sonnerie du téléphone fit sursauter Maud qui sentit son cœur battre plus vite :

    — Si c’était Irwan ? II a peut-être changé d’avis.

    Elle décrocha. Une voix d’homme, familière mais oubliée, la frappa de stupeur. Elle hésita à mettre un nom sur ce timbre grave qui demanda :

    — Je suis bien chez Maud Delage ?

    — Oui.

    — C’est Stéphane.

    — Stéphane ? répéta-t-elle, stupéfaite.

    — Oui, Stéphane Jomel.

    Maud soupira, secoua la tête. Elle se demanda sincèrement par quel hasard ou ironie du sort son premier amour l’appelait un soir de solitude, alors que l’homme de ses pensées la boudait sans raison. Avec un petit frisson mi-joyeux, mi-inquiet, elle s’exclama gaiement :

    — Stéphane ! Comment vas-tu ?

    2

    Maud, un peu nerveuse, s’était assise sur l’accoudoir d’un fauteuil. Elle écouta Stéphane lui parler de la Bretagne, de son métier de journaliste et de ses projets à long terme. Soudain, la mine consternée, elle s’écria :

    — Tu dis que nous ne nous sommes pas revus depuis huit ans ? Tu en es sûr ? Je n’ai pas vu le temps passer ! Dis donc, comment as-tu obtenu mon numéro de téléphone ?

    — Par tes parents. Je suis allé leur rendre visite, et ils m’ont donné de tes nouvelles. Et comme je viens pour la première fois dans ton pays d’exil, la Charente, à l’occasion du Festival du film policier de Cognac, j’ai décidé de te revoir.

    Maud fronça les sourcils, puis ajouta d’un ton moqueur :

    — Et qu’en pense la jolie Delfina ? Elle était si jalouse, jadis.

    — Je l’ai quittée, Maud, il y a plus d’un an. Et je ne le regrette pas : nous n’avions plus rien à partager. Alors, m’accordes-tu un rendez-vous ?

    — Oui, pour savoir à quoi tu ressembles avec huit ans de plus. Toujours ma sacrée curiosité, je n’ai pas changé, tu sais.

    Après quelques plaisanteries d’usage, Stéphane raccrocha en « embrassant très fort » Maud. Intriguée, elle se demanda bien ce qui pourrait résulter d’une telle rencontre. Son ancien fiancé s’était montré charmeur et tendre, mais il était ainsi depuis longtemps. Elle avait oublié combien ce grand garçon aux yeux vert clair, pailletés d’or, aux cheveux d’un blond cendré, séduisait – sans bien s’en rendre compte d’ailleurs – toutes les femmes par sa galanterie, son humour bon enfant, sa voix posée et suave. D’ailleurs, c’est le souvenir qu’elle en avait : une image d’élégance discrète redevable à une éducation sans faille. Un futur gentleman, disait la mère de ce brillant personnage, très réservé cependant.

    On verra ce qu’il est devenu, songea Maud, émue à l’idée de se trouver confrontée à une page révolue de son passé amoureux.

    Albert miaula, désappointé de la voir si lointaine. Il sauta sur les genoux de sa maîtresse, implora une caresse.

    — Oui, je suis là, mon bébé ! Ne t’inquiète pas, je suis certaine que le téléphone ne sonnera plus. M. Irwan Vernier ne veut plus entendre parler de nous. Mais, moi, j’ai rendez-vous à Cognac après-demain, à 17 heures, pendant le festival, au Café des Arts avec un dénommé Stéphane Jomel ! C’est une chance que je ne sois pas de service ce soir-là !

    *

    Le lendemain matin, dès son arrivée à l’hôtel de police, Maud rencontra Irwan. Il l’entraîna dans son bureau, lui donna le rapport d’autopsie et lui demanda sèchement si elle avait convoqué les personnes figurant dans le carnet d’adresses de Virginie.

    — J’ai interrogé Océane Rieul, hier soir, et prévenu les parents de la jeune fille. Vu l’heure, je n’ai pas jugé bon de joindre les autres jeunes femmes.

    — Tu as le droit de leur rendre visite n’importe quand lorsqu’il y a présomption de meurtre, Maud. Combien de fois devrai-je te le répéter ? Tu es flic, pas assistante sociale.

    — Irwan ! Tu es malade, ce matin ? Il est 8 heures, j’allais justement passer des coups de fil, et tu me fais perdre de précieuses minutes. J’en ai assez de ta mauvaise humeur. Salut.

    L’inspecteur divisionnaire Vernier serra les dents :

    — Écoute-moi, c’est sérieux. Tu prends ces recherches en main, et avec un peu de nerfs ce coup-ci. Je pensais vraiment que tu aurais déjà les rapports d’interrogatoire. Une gosse de vingt-trois ans a été balancée par sa fenêtre de chambre comme un paquet de linge sale. Ce n’est pas le moment de flâner.

    Pour toute réponse, Maud sortit en claquant la porte violemment. Vexée par les reproches d’Irwan, elle avait envie de pleurer, mais la rage l’emporta. Heureusement, dans son propre bureau, Dimitri l’attendait avec du café et un grand sourire.

    — Salut, Maud ! Ça va ?

    — Oui, si on veut. Bon, au boulot. Il y a urgence si l’on en croit le tigre qui rugit de l’autre côté du couloir.

    — Tu parles de Vernier ?

    — Hum…, ouais. Je ne sais pas ce qu’il a, mais j’en viens à déplorer l’absence de ce cher Xavier. Lui, au moins, apporte un peu de fantaisie au Central.

    Maud se tut, but une tasse de café, s’installa et commença à téléphoner. Une heure plus tard, elle sut que Laurence Duroux était absente, car elle avait réussi à joindre ses parents. La jeune femme, qui habitait Cognac – ce détail fit sourire Maud –, était en vacances aux Baléares. Quant à Élise Vincent, Maud devait la rencontrer à 14 heures à son domicile, à Jarnac. Seul Hervé Cottin, le frère de Virginie, avait promis de se présenter à l’inspecteur Delage en fin de matinée.

    — Bien. J’avais deux autres noms, mais c’est sans intérêt : une cousine qui m’a dit ce qu’elle savait, peu de choses, et la propriétaire de la boutique où travaillait Virginie. Je passerai la voir vers 18 heures. Je t’emmène cet après-midi, Dimitri. Tu prendras des notes.

    — D’accord, fit le jeune homme, enchanté.

    *

    Hervé Cottin fut fidèle à ses engagements. Ce fut un homme mince aux cheveux bruns qui, à peine entré dans le bureau, tendit une main assurée à Maud. Grand, vêtu d’une chemisette de sport et d’un jean noir, le frère de la jeune victime avait l’allure d’un athlète. Il portait des lunettes à verres teintés, mais les enleva vite, et l’on put voir des yeux rougis par les larmes.

    — Bonjour, inspecteur. Je suis un peu en retard, excusez-moi.

    — Non, je vous en prie. Je suis désolée pour votre sœur. J’ai fait la connaissance de vos parents hier soir, et je les ai laissés très affligés. Comment vont-ils ?

    — Mal. Papa jure vengeance, et maman est sous calmants. Je ne comprends pas pourquoi ça nous arrive à nous. Virginie était si gentille, si heureuse de vivre.

    — Je sais, c’est terrible, répondit Maud.

    Il se passa alors quelque chose d’étonnant. La porte s’ouvrit avec brusquerie, et Irwan fit irruption dans la pièce. Sans saluer personne, il alla se poster derrière Maud et prit la feuille qu’elle tenait à la main. D’une voix dure, il lança :

    — Monsieur Cottin, je vous écoute ! D’abord, qu’avez-vous à dire sur le décès de votre sœur ? D’après vous, qui a fait ça ? Vous devez être bien placé pour nous en apprendre plus sur la personnalité de Virginie ?

    Déconcerté, Hervé Cottin hésita. Maud fut prise d’une fureur glacée, mais n’osa pas intervenir, car elle n’appréciait pas les règlements de comptes en public. Baissant la tête, après avoir gratifié leur visiteur d’un sourire d’encouragement, elle laissa Irwan mener l’interrogatoire.

    — Alors, votre sœur connaissait-elle des gens susceptibles de lui nuire ? Avait-elle un ami ?

    — Non, je ne vois pas qui aurait pu en vouloir à Virginie. Elle vivait seule en ville depuis quatre ans, dans le même appartement. Elle déjeunait chez moi tous les samedis. Ma femme l’aimait beaucoup, vous savez, articula calmement Hervé, qui resta très digne.

    — Et sa vie amoureuse ?

    — Ça ne nous concernait pas, monsieur.

    — Oui, mais ça nous intéresse, car, voyez-vous, le crime passionnel existe toujours, rétorqua Irwan d’un ton glacial.

    — Virginie a eu un ami il y a deux ans, mais ça n’a pas duré. C’était une aventure sans lendemain qui ne lui a pas laissé un bon souvenir, et, depuis, elle préférait ses amies, sa famille.

    — Le nom ?

    — Oh ! un certain Roger. Roger Chaplain. Mais je crois qu’il vit aux Antilles à présent.

    — Bon, on vérifiera. Monsieur Cottin, vous devez me trouver peu aimable et brusque, sans doute. Cependant, je suis obligé de chercher la moindre piste convenable. Votre sœur a été assassinée, excusez-moi d’être si précis… Nous devons trouver la personne qui a fait ça. Et vite. Donc, il faut identifier les fausses cartes, si vous voyez ce que je veux dire.

    — Je comprends très bien, mais je ne peux pas inventer des renseignements. Je sais seulement que Virginie avait une amie très proche, Océane Rieul, rien de plus.

    Maud saisit l’occasion de reprendre les choses en main. Se levant vivement pour faire les cent pas, d’une démarche résolue que l’on devinait nerveuse, elle indiqua :

    — J’ai vu Océane Rieul hier soir et je lui ai appris la triste nouvelle. Sa déposition concorde avec la vôtre, monsieur Cottin. Nous vous remercions. Dimitri va vous raccompagner.

    Irwan et Maud se retrouvèrent seuls dans le bureau, et l’atmosphère était à l’orage. Ils se regardèrent sans aucune gentillesse, puis, très vite, la jeune femme laissa libre cours à sa colère :

    — Qui t’a permis de te conduire comme un mufle ? C’est moi qui devais interroger cet homme, et il ne méritait pas un tel traitement.

    — Et toi, tu n’avais pas à le renvoyer aussitôt. Il ne nous a pas tout dit.

    — Qu’est-ce que tu veux qu’il ajoute ? Tu as vu ses yeux ? Ce type a du chagrin. Il est en état de choc. On peut se montrer poli et respectueux dans ce métier, non ?

    — Poli et respectueux… Et ménager tout le monde, pour accumuler les zones d’ombre. J’ai mon idée sur ce meurtre, mais si tu t’en mêles je n’aurai aucune preuve.

    — Ça, c’est trop fort ! Je sais ce que j’ai à faire !

    — Je me le demande vraiment ! Bien, sur ce, je te laisse ­bosser.

    — Irwan ! Qu’est-ce que tu as ? J’ai l’impression d’être en face d’un étranger. Tu ne m’as jamais traitée ainsi.

    — Il faut un début à tout.

    Maud le dévisagea, et il vit ses beaux yeux embués de larmes. Pendant quelques secondes, cette détresse l’émut, mais il se domina.

    — Écoute, dit-il cependant d’un ton radouci. J’ai été un peu dur, c’est vrai. Mais c’est dans ton intérêt, et j’aurais dû agir comme ça dès ton arrivée ici. Tu es inspecteur de police, et je te vois devenir de plus en plus tolérante, souple. Tu manques de punch, et je m’en juge responsable. Tu sais pourquoi ? Nous n’avions pas à céder au désir, à cette tendresse qui nous gênent dans le travail. À ce rythme, tu vas tout laisser tomber pour m’attendre à la maison, devant tes fourneaux, avec des marmots pendus à tes jupes, et moi, comme un idiot, je serai pressé de rentrer te voir. Je ne veux pas de ça. Alors, je préfère mettre les choses au point. OK ?

    Sur ces mots, il sortit en claquant la porte. Maud se laissa tomber sur une chaise, abasourdie.

    Il est fou, songea-t-elle. Fou ou stupide.

    Un petit sourire triste passa sur les traits charmants de la jeune policière. De tout ce qu’elle avait entendu, une seule chose lui sembla claire : Irwan la fuyait et la rabrouait uniquement parce qu’il se sentait en danger.

    Il n’est pas fou, seulement trop prudent, et puis stupide, oui, vraiment stupide !

    Dimitri réapparut enfin, mais n’osa pas lui adresser la parole tant elle avait l’air soucieuse. Ils quittèrent tous deux l’hôtel de police vers midi, avec le projet de déjeuner sur la route de Jarnac, afin de se présenter à 14 heures précises chez Mlle Élise Vincent.

    *

    La jeune femme, fille de viticulteurs, ce qui n’avait rien de surprenant vu la région, leur ouvrit elle-même la porte de la propriété familiale. Ses parents n’étaient pas de gros exploitants, mais ils disposaient de revenus confortables. Élise, comme l’avait annoncé Océane Rieul, était une adorable créature, menue, gracieuse, aux cheveux très noirs, longs et lisses. Bien que manifestement très anxieuse, elle les reçut avec gentillesse.

    — Je n’arrête pas de pleurer depuis ce matin, déclara-t-elle d’un ton navré. Cette pauvre Virginie, je ne peux pas croire qu’elle soit morte. Asseyez-vous, je suis à votre disposition. Que voulez-vous savoir ?

    Devant tant de bonne volonté, Maud retint un sourire apitoyé. La jeune fille qui se tenait près d’elle sur le canapé avait quelque chose d’enfantin malgré ses vingt ans et les cigarettes qu’elle allumait coup sur coup. Les policiers apprirent très vite qu’Élise habitait chez ses parents, suivait des études pour être architecte, et tenait à son célibat. Dimitri, surpris, insista :

    — Vous n’avez même pas un copain, ou un ami ?

    — Non, pas du tout ; mes études d’abord. Et puis j’ai une passion : le karaté. Je suis des cours. Maman y tenait. Elle avait peur pour moi, car je suis un petit modèle.

    Élise éclata de rire, soudain égayée, et se tourna vers Maud :

    — Je ris, mais c’est nerveux. Je suis d’un caractère pessimiste, si vous saviez… Ce qui est arrivé à Virginie me bouleverse. Ce n’était qu’une camarade, en fait. Ma meilleure amie, c’est Laurence. D’ailleurs, elle fait du karaté avec moi, au même club. Virginie, je la connaissais, sans plus, c’était une fille sympa, décontractée.

    Maud soupira, un peu agacée par ce refrain que l’on s’obstinait à lui lancer dès qu’il s’agissait de la jeune victime. Comme s’il n’y avait rien d’autre à dire sur elle et que sa mort fût un accident. Plus froide, l’inspecteur Delage demanda :

    — Même si c’est un fou ou un maniaque qui a attaqué Virginie, il me semble qu’il y a peut-être des explications. Vraiment, mademoiselle, vous ne savez rien de particulier, d’étrange sur elle ?

    — Mais non ! Je vous assure. Si mes parents n’étaient pas absents cet après-midi, ils vous donneraient les mêmes réponses. J’avais fait une fête ici, pour un anniversaire. Virginie et Océane sont venues, Laurence aussi. Nous nous sommes bien amusées, le gâteau était énorme, mais je ne vois pas de quoi attirer des soupçons sur qui que ce soit.

    Élise alluma une cigarette, leur jeta un regard excédé. Dimitri, qui n’aimait pourtant pas intervenir dans ces circonstances, se permit de poser une question :

    — Il y avait bien des garçons à cette petite fête… Pouvez-vous donner la date et des noms ?

    Maud approuva d’un signe, guetta les réactions de la jeune fille. Élise haussa les épaules, s’écria d’une voix plaintive :

    — Bien sûr qu’il y avait des copains, mais ils n’ont aucun rapport avec la mort de Virginie ! La fête, c’était pour mon anniversaire, le 15 janvier. Mes frères étaient là, mes cousins, et un copain d’Océane, qui est coiffeur. Voilà, vous êtes contents ? Je peux vous donner leurs noms, mais vous perdrez votre temps.

    — C’est à nous d’en juger, rétorqua durement Maud, qui se remémora les reproches d’Irwan.

    De plus, son intuition lui soufflait que la jolie Élise mentait sur un point, ou leur dissimulait des détails peut-être importants. Quelque chose clochait dans toute cette histoire.

    Un peu plus tard, tout en prenant congé de la jeune fille, elle se promit de consacrer sa soirée à étudier le problème. Dans la voiture, Dimitri sifflotait, l’air distrait. Sans regarder sa collègue, il l’interrogea :

    — Tu ne la trouves pas un peu bizarre, cette championne en herbe de karaté ?

    — Si ! Bizarre et mal à l’aise. Un homme de la trempe d’Irwan en aurait sans doute tiré plus de renseignements, par intimidation, ou en la faisant craquer. Elle était à bout de nerfs. Une piste à surveiller. Je lui ai dit de ne pas quitter le département. J’espère qu’elle ne va pas s’envoler rejoindre Laurence aux Baléares !

    — Elle rentre quand, cette autre demoiselle ?

    — D’après sa mère, demain ou après-demain. C’est une fana du Festival de Cognac. Son appartement donne rue d’Angoulême, elle est aux premières loges pour voir passer les acteurs.

    — Je n’y suis jamais allé, à cette manifestation. Et toi ?

    — Oh ! moi… Je suis dans la région depuis trois ans environ, et je n’ai guère le temps de m’amuser. Mais j’ai rendez-vous là-bas, demain justement, avec celui qui fut mon grand amour, en Bretagne, ma seule patrie.

    Maud avait parlé d’un ton emphatique, ce qui fit s’esclaffer le jeune homme. Ils roulèrent vers Angoulême en bavardant gaiement, quand le téléphone sonna. Dimitri décrocha, puis passa aussitôt l’appareil à Maud. Elle reconnut la voix grave d’Irwan, et son cœur s’affola un peu, comme toujours :

    — Où es-tu exactement ?

    — Près d’Hiersac.

    — Rentre illico ! Du nouveau. Tu viens directement rue Léonard-Jarraud. Je suis sur les lieux. On a retrouvé Océane Rieul sur la chaussée. Elle a été défenestrée à son tour ! Aucune marque de strangulation, cette fois, mais un coup sur la nuque.

    — Elle est morte ?

    — Non, dans le coma. On va l’emmener à Girac. J’attends l’ambulance.

    — OK. J’arrive !

    Des curieux rôdaient dans la rue Léonard-Jarraud malgré le barrage de police. Maud se gara en catastrophe, se précipita hors du véhicule de fonction et rejoignit Irwan. On venait d’emporter la blessée. Autour de la silhouette de l’accidentée, tracée à la craie sur le goudron, se tenaient le commissaire Valardy et le procureur en personne. Maud les salua, son regard bleu lourd de questions impatientes.

    — J’espère que ça va s’arrêter là, lança Irwan, lugubre.

    — Oui, moi aussi ! grogna le commissaire qui se grattait le menton, furieux. Maud, cette jeune femme était une amie de Virginie Cottin ?

    — Oui, patron, sa meilleure amie.

    — Nous pensions à un fou sadique, un misogyne à coup sûr, mais le hasard n’est pas de mise. Il y a un rapport entre ces deux crimes. Il faut trouver lequel, mes enfants, et vite. Vous avez le feu vert. Cherchez dans les relations de ces malheureuses. Je ne comprends pas la raison de tels actes, commis d’une manière si ostensible. Vous n’avez pas avancé dans l’enquête sur la première fille ?

    — Non, s’empressa de répondre Maud. Je viens d’interroger Élise Vincent, une de leurs amies, mais le résultat est presque nul.

    Irwan dressa l’oreille, puis demanda durement :

    — Que veux-tu dire par « nul » ?

    — Nous en reparlerons au Central. Pas devant tous ces gens. Je vais passer voir la patronne de Virginie, ensuite, je te rejoins au bureau.

    — D’accord, fais vite.

    Dimitri, bouleversé par cette deuxième défenestration, emboîta le pas de l’inspecteur Delage. Irwan les observa d’un œil glacé. Le commissaire capta ce regard hargneux et toussota. Sous ses allures paternalistes et maussades, il étudiait à la dérobée « ses enfants », ce qui lui apportait parfois quelques surprises ou sujets de réflexion. Là encore, il n’était pas dupe et ne put résister à mettre son grain de sel :

    — Dis donc, Irwan, ils font bonne équipe, Maud et Dimitri. Crois-tu qu’il y a une romance dans l’air ?

    — Avec ce gamin prétentieux ? ronchonna Irwan, pris au piège.

    — Pourquoi pas ? Les jeunes sont plus galants et attentionnés que les célibataires endurcis. Sans compter que Maud a le prestige d’une solide carrière. Ce que j’apprécie le plus, vois-tu, c’est qu’elle apporte à son boulot un peu d’humanité, d’amabilité. On nous a assez reproché notre manque de tact. Qu’est-ce que tu en penses ?

    — Rien du tout. Je me dis qu’il y a une heure à peine on a voulu tuer une femme. Je ne veux pas que ça recommence. C’est tout, patron.

    Sur cette déclaration on ne peut plus succincte, l’inspecteur Vernier serra la main du procureur, salua le commissaire d’un signe amical et, accompagné d’un des adjoints de service, entra dans l’immeuble d’Océane Rieul. L’Identité judiciaire était déjà là-haut, dans l’appartement, à chercher des traces, des empreintes, des indices. Les autres locataires furent interrogés un par un, les voisins également. Personne n’avait rien vu. Il y avait toujours du passage, des allées et venues, des voitures qui se garaient, puis repartaient.

    — Eh bien ! s’écria Irwan. C’est l’homme invisible qui a fait le coup !

    *

    Deux heures plus tard, Maud entra pleine d’appréhension dans le bureau de l’inspecteur divisionnaire Vernier, qui l’attendait, le front appuyé à un des carreaux de la fenêtre.

    — Je viens au rapport, fit-elle.

    Il se retourna, puis la détailla sans sourire, flegmatique selon son habitude. Il nota ses yeux cernés, sa bouche boudeuse, puis s’attarda sur sa poitrine ronde, sa taille fine, les longues cuisses moulées dans un jean noir.

    Je suis bien bête de me priver de tous ces trésors, songea-t-il, pris de remords. Au nom de ma chère liberté, du métier… Enfin, c’est pour elle aussi. Il faut la pousser en avant, qu’elle reprenne du poil de la bête.

    — Serais-tu devenu sourd et muet après avoir perdu la raison ? demanda-t-elle.

    Saisi, il fronça les sourcils, fit trois pas vers elle, feignant la colère :

    — J’ai perdu la raison, moi ?

    — Oui, nous en reparlerons. Alors, pour l’affaire Océane, avez-vous une piste, des indices ?

    — Rien du tout. Le mystérieux assassin qui adore jeter ses victimes par la fenêtre doit être un gros malin ou un sorcier doué de pouvoirs magiques. Remarque, pourquoi serait-ce un homme, après tout ? Et si c’était une femme ?

    Maud se mordit les lèvres, interloquée. Ne quittant pas Irwan des yeux, elle dit tout bas :

    — Pourquoi une femme ?

    — Parce que mon instinct me chuchote que ces demoiselles, en apparence si sages, si sérieuses, avaient peut-être des mœurs bien singulières. Ce sont des choses qui arrivent, mon enfant. Sans vouloir choquer vos chastes oreilles, certaines femmes préfèrent les femmes aux hommes. Les inconscientes…

    — Tu n’as pas perdu ton flair légendaire, Irwan. Justement, je venais t’apprendre une chose de ce genre. J’ai longuement discuté avec la dame qui employait Virginie, et, vois-tu, elle a eu les mêmes soupçons que toi.

    — Seulement des soupçons ?

    — Non, presque des certitudes. Océane venait souvent chercher Virginie à la boutique, et, un soir d’hiver, la patronne les a vues s’embrasser dans leur voiture, sur la bouche. Et je vais t’étonner : j’y ai songé hier soir aussi, quand Océane m’a caressé le poignet après son évanouissement. Dimitri semblait perplexe.

    — Formidable ! Nous devrions vite trouver la coupable. Si on dînait ensemble pour fêter ça ?

    — Chez moi ?

    — Pourquoi pas ? Albert me manque un peu, et il sera ravi de me revoir.

    — Ça, j’en suis pas certaine ! plaisanta Maud, toute joyeuse.

    3

    — Tu as appelé Girac, Irwan ? Océane est toujours dans le coma ?

    — Oui, hélas. Son état est grave. Il y a peu de chances qu’elle reprenne connaissance avant longtemps, si elle s’en sort. C’est dommage, car elle aurait pu nous dire qui l’a attaquée. En tout cas, selon les premiers rapports, son agresseur était ganté et n’a laissé aucune trace. Aucun désordre. Ce n’était pas un inconnu pour elle, puisqu’il est entré sans effraction.

    — Il… ou elle… a pu se présenter comme un démarcheur ou un employé d’administration.

    — Hum ! Et si c’était un ami, une amie, elle n’avait pas de raison de se méfier. On peut imaginer le même scénario pour Virginie, malgré les constats de lutte.

    Maud servit à Irwan une part de quiche lorraine et lui proposa de la salade. Ils étaient attablés dans la cuisine, sous la lumière dorée d’une antique suspension modernisée par les doigts habiles de Xavier. Comme prévu, le chat Albert boudait dans le salon, hiératique statue du mécontentement posée sur l’accoudoir du canapé.

    — Délicieuse, ta quiche. Toujours du fait maison ou un vrai surgelé ? interrogea Irwan avec un clin d’œil.

    — Du vrai surgelé pour mes dîners en solitaire, répliqua Maud.

    — Tu m’en veux pour aujourd’hui ? Je me suis conduit comme un goujat.

    — Non, je t’en prie. Tu as dit des choses si touchantes ! M’imaginer à la maison avec nos enfants, et toi pressé de rentrer au bercail. Je me suis inquiétée pour ta santé mentale.

    — Vraiment ?

    — Oui, et pour ce qui est de mon attitude professionnelle, j’ai fait le point et j’ai conclu que tu n’avais pas tort : je manque de punch.

    Irwan secoua la tête, sourit en coin. D’un geste spontané, il prit la main de la jeune femme, la regarda intensément :

    — Maud, ne te fais pas de souci pour le boulot. Le patron m’a encore vanté tes qualités et tes mérites cet après-midi. Lui, ce qu’il aime en toi, c’est justement ce que je te reprochais. Alors, je m’incline devant le grand chef. Son jugement vaut mieux que le mien, surtout quand le mien part de mauvais sentiments. Bon, trêve de gentillesse, on a une drôle d’enquête sur les bras, et nous devions partir après le café surveiller la petite Élise. Il est plus de 21 heures, il faudrait y aller.

    Maud se leva, prépara deux cafés instantanés, puis monta se changer. Irwan attendit, troublé, résistant à l’envie de la suivre dans cette chambre où il avait vécu des heures de passion et de folie charnelle. Lorsqu’elle redescendit, il fumait une cigarette et compulsait son carnet de notes.

    — On y va ?

    — Oui, je suis prête.

    Leur planque dans une voiture banalisée, garée en face de la propriété des Vincent, ne donna rien. Les parents d’Élise devaient être couchés. Seule une fenêtre, à l’étage, était allumée.

    — Si on sonnait ? suggéra Irwan. On demande à interroger leur fille. Ce serait logique après ce qui s’est passé aujourd’hui.

    — Fais comme tu veux. Élise est convoquée demain matin. Je l’ai appelée pour lui dire ce qui est arrivé. Elle était vraiment affolée. Inutile de déranger ces gens.

    — Je ne suis pas d’accord, Maud. Viens.

    C’est Mme Paule Vincent qui leur ouvrit, et, en apprenant leur fonction d’inspecteurs de police, elle joua les effarées. Quand ils demandèrent à voir Élise, elle perdit toute retenue. Tremblante, elle affirma d’une voix aiguë que sa fille dormait après avoir avalé des tranquillisants, puis ajouta :

    — Elle doit se rendre à Angoulême, à vos bureaux, demain matin. Laissez-la se reposer. Elle est effrayée par ces crimes. Et moi aussi.

    — Madame, allez la chercher, insista Irwan.

    — Non. Elle n’a rien fait de mal.

    — Bien, je monte.

    Irwan feignit d’avancer dans le hall au mobilier cossu, ce qui provoqua une réaction de panique de la part de la mère de la jeune fille.

    — Monsieur, je vous en prie. Allons, faites-moi confiance. La petite dort. La lumière que vous voyez là-haut est celle de notre chambre. Je lisais, et mon mari est endormi aussi. Il est de santé fragile.

    Maud était désemparée, mais se garda d’intervenir. Irwan continua ses manœuvres d’intimidation et, très calme, décréta :

    — Madame, pourquoi mentir ainsi ? Je suis certain que votre fille n’est pas là. Pour la bonne raison que nous l’avons vue sortir tout à l’heure.

    Maud, suffoquée par ce qu’avançait son collègue, se demanda comment tout cela allait finir. Irwan gagna la partie, comme toujours. Leur hôtesse capitula en geignant :

    — Si vous l’avez vue partir, pourquoi m’ennuyer de la sorte ? Vous êtes bien de la police, tenez. Quelles méthodes !

    — Il suffisait de nous dire franchement que votre fille n’était pas là. Elle n’est pas assignée à résidence. Où est-elle ?

    Mme Vincent se mit à pleurer et les entraîna sur le perron en chuchotant :

    — Je ne sais pas où elle est, je vous l’assure. Et c’est ce qui me tracasse. Pour cette raison, je n’osais pas vous avouer son départ. Son père n’est pas au courant. Élise est si capricieuse. Elle ne veut pas qu’on l’interroge, qu’on la surveille. Elle a pris sa moto et elle est partie.

    — Je sais, affirma Irwan d’un ton assuré. Et vous n’avez aucune idée du lieu où elle allait ?

    — Non. Je n’en dors pas. Avec tout ce qu’on voit en ce moment, j’en suis malade.

    — Bien, je vous remercie, madame. Nous lui demanderons demain matin où elle se rendait.

    Les deux inspecteurs de police retournèrent dans la voiture. Maud prit le volant et démarra, suivant à la lettre les directives de son compagnon. Elle éprouvait un sentiment de culpabilité et d’échec, car, à la place d’Irwan, elle aurait cru sur parole la mère d’Élise, qui, pourtant, mentait pour protéger son enfant.

    — Gare-toi là. On a une vue parfaite sur la maison des Vincent. J’ai des jumelles. On va attendre le retour de cette demoiselle, histoire de vérifier si elle rentre vraiment dormir chez papa et maman. Dire qu’elle est peut-être en train de défenestrer une autre de ses maîtresses.

    Maud haussa les épaules, sceptique, mais amusée. Se retrouver seule la nuit près d’Irwan la transportait de joie, car elle aimait cette atmosphère de complicité, d’aventure. Les discussions à voix basse, les mille suppositions, l’odeur de la cigarette, c’était tout un univers qui lui était précieux. Ils attendirent au moins deux heures en discutant de l’enquête en cours, de l’homosexualité en général, de toute une foule de problèmes qui ne les concernaient pas vraiment, mais auxquels ils étaient confrontés fréquemment.

    — Il est tard. Je pense qu’Élise va découcher, soupira Maud, un peu lasse.

    — Je veux savoir à quelle heure elle sera de retour pour la confondre demain. Bien sûr, elle peut ne pas rentrer de la nuit. Dors, si tu veux.

    — Non. Je tiendrai le coup. Je n’ai pas bu assez de café, par contre.

    Elle se tourna vers Irwan, lui lança un regard langoureux. Il ne vit rien, les yeux rivés beaucoup plus loin, sur les alentours de la demeure qu’ils surveillaient. Maud, enhardie par leur intimité, avança la main, la posa sur le bras de son compagnon. De là, elle remonta, lui caressa le cou, entre la chemise et une barbe naissante.

    — Un peu de tenue, inspecteur Delage. Jamais pendant le service, murmura Irwan d’un ton équivoque.

    — Pourquoi pas ?

    — Et notre planque ? Tu as déjà pu guetter quelqu’un en faisant l’amour, toi ?

    — Il me semble bien que oui ! dit Maud d’une voix douce ¹.

    Irwan éclata de rire sans lui jeter le moindre coup d’œil. Pourtant, il sentit le désir l’envahir au souvenir de leur première étreinte dans une estafette banalisée du Central.

    — Tiens, un bruit de moto ! s’écria-t-il. Ah ! voici notre petite Élise. Donne-moi vite les jumelles.

    Là-bas, en contrebas, à plus de cent mètres, de l’autre côté de la route départementale, une grosse cylindrée arriva, moteur au ralenti. Le motard qui la chevauchait avait des formes bien menues,

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