Au bal fleuri
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À propos de ce livre électronique
Dans ce roman historique foisonnant et documenté, avec humour et élégance, Pierre-François Ranucci nous fait découvrir une Europe médiévale en pleine mutation.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre-François Ranucci a été directeur de l’Alliance Française de Catamarca (Argentine).
Il a visité ou séjourné dans plus de cinquante pays. Les plus curieux et les plus exotiques servent de décor à ses romans et ses nouvelles et de matière à ses conférences.
Il partage son goût de la rédaction avec les participants aux ateliers d’écriture qu’il anime en région parisienne et dans ses terres d’adoption du Quercy.
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Aperçu du livre
Au bal fleuri - Pierre-François Ranucci
PRÉAMBULE
–Encore un nom lapon, viens voir, cria mon fils tout excité en me tirant par la Manche.
–Ici aussi, regarde, insista ma fille en me tirant l’autre manche.
–Arrêtez, calmez-vous les enfants, vous allez finir par déchirer le blouson de papa.
Singulière visite du cimetière de ce petit village côtier au nord du Portugal. À défaut de curiosités touristiques remarquables, nous avions choisi cet endroit isolé, sauvage, battu par les vents et tout proche des rochers qui entouraient la plage. À deux ou trois reprises, l’écume des vagues avait franchi les murs d’enceinte du cimetière et surpris les enfants qui attendaient bravement la prochaine attaque de l’océan.
Les deux garnements n’avaient pas grand mérite à découvrir les noms à consonance lapone inscrits sur les tombes car ma femme s’était donnée la peine de traduire l’inscription gravée sur une plaque à l’entrée. Elle évoquait une bataille navale et la victoire éclatante et inattendue remportée vers l’an 1100 par une petite flottille portugaise contre des troupes lapones aguerries et bien supérieures en nombre. Les Laponnes et Lapons survivants faits prisonniers obtinrent l’autorisation d’enterrer leurs morts dans le cimetière communal. Au fil du temps les prisonniers une fois libérés convolèrent avec des habitants du village puis essaimèrent dans le pays.
De retour en France, la visite du cimetière prit place parmi tous nos bons souvenirs de vacances, ni plus ni moins. Pourtant en cours d’année un évènement anodin me la remit en mémoire.
J’aidais mon fils à répertorier les différentes techniques de fabrication des cerfs-volants, un travail demandé par son maître. Sur un site, nous étions en train d’explorer la rubrique « Réalisation d’un cerf-volant » lorsqu’il poussa un cri à la vue d’un encadré qu’il s’empressa de me signaler. Il s’agissait d’une relation de la bataille navale évoquée dans le cimetière. Ma curiosité piquée, je me plongeai également dans plusieurs documents mentionnant maintes aventures vécues par les descendants de ces lapons à la suite de la fameuse bataille.
Trois d’entre elles figurent dans le présent recueil, je vous souhaite autant de plaisir à les lire que j’en ai éprouvé à les découvrir.
I
Par vents et marées
CHAPITRE 1
Légende ou réalité ? Les Lapons auraient émigré en masse à partir du Xème siècle à cause des persécutions des trappeurs finnois qui les traitaient comme des esclaves et s’enrichissaient en pratiquant la traite des plus valides. Ce peuple a souffert constamment à travers les siècles. Les pays scandinaves voisins ont harcelé, morcelé, dépecé cette pauvre Laponie qui a dû subir pour finir le joug de la Russie. On ne parle plus de Laponie tout court mais de Laponie danoise ou finlandaise… Les lapons qui ne sont plus que quelques milliers dans l’extrême nord ont été éparpillés dans les pays prédateurs comme par le souffle d’un cyclone.
Afin d’éviter de servir de proies, un fort contingent de Lapons décida donc de quitter ces territoires hostiles. Ils se rassemblèrent à proximité du cap Nord dans le port d’Alta qui leur servit de point de base pour préparer leur périple maritime. Dans un premier temps ils se firent bûcherons pour couper les arbres de différentes essences qui leur serviraient à construire leurs navires, se muèrent ensuite en charpentiers pour bâtir les coques et dresser les mâts, ce qui leur prit plusieurs saisons. Les trappeurs finnois, leurs pires tortionnaires, ne s’aventuraient heureusement pas dans cette région inhospitalière, balayée par des vents glacés et des tempêtes de neige continuelles qui retardaient l’avancement des travaux. Les premiers voiliers sortis des chantiers servirent à former des navigateurs dont les meilleurs furent choisis comme capitaines. Au cinquantième bateau mis à l’eau la fabrication cessa, le chef de la troupe qui se révéla également le plus doué des capitaines et répondait au nom de Bagdadi Bagdada, fut nommé amiral de la flotte qu’il soumit à plusieurs sorties en haute mer toutes parfaitement exécutées malgré le manque d’expérience des marins improvisés. Dès lors son autorité et son pouvoir ne furent plus contestés s’ils l’avaient jamais été.
Le conseil des sages formé par l’amiral estima qu’il valait mieux se diriger vers des contrées au climat tempéré car pousser plein nord aurait été de la folie à cause des monstrueux icebergs et des températures polaires. Une fois les navires terminés, les marins durent s’aventurer sur les mers en se fiant à leur instinct et aux témoignages des rares navigateurs qui les avaient précédés et connu la fortune de revenir sains et saufs. Toutes les familles qui avaient gagné la région purent embarquer sous réserve de se tenir seulement dans les endroits du bateau autorisés, ceux où ils ne gêneraient pas la manœuvre.
Leur flotte ne s’éloigna guère des côtes qu’ils devaient longer pour s’approvisionner en nourriture. Au fil des incursions dans les terres où ils prélevaient les provisions nécessaires à leur survie, ces hommes traqués auparavant comme du gibier, apprirent à combattre et à s’approprier par la lutte les biens qui leur faisaient défaut. Ils allèrent jusqu’à capturer des chevaux lors de leurs expéditions à l’intérieur des terres pour disposer d’une cavalerie apte au combat en cas de besoin. C’est donc cette flotte puissante et redoutable qui se positionna en ordre de bataille en face du port de Vila da Conde au nord de la Lusitanie.
Depuis le début de leur périple Les Lapons guignaient une terre où ils pourraient s’arrêter pour y démarrer une nouvelle vie, une première exploration menée par l’amiral Bagdadi Bagdada leur fit penser qu’ils touchaient au but.
Les Lapons, persuadés d’avoir enfin trouvé leur lieu propre, celui que tout être humain recherche, poussèrent un soupir de soulagement, leur longue quête prenait fin !
CHAPITRE 2
La flotte entière criait sa joie. Au-delà du port, par-delà les collines, s’étendait une plaine immense où poussaient à l’envi des fruits divins, des légumes en abondance, des fleurs le long des chemins. Ces habitants du grand nord habitués à des températures éprouvantes croyaient avoir atteint le paradis.
Restait à mesurer la qualité d’accueil des autochtones. Jusqu’ici, à chacune des arrivées, les premières chaloupes mises à l’eau avaient été criblées de flèches et les rameurs forcés de souquer ferme pour revenir au flanc du navire protecteur. À maintes reprises il avait fallu faire usage de la force pour débarquer, s’imposer, lâcher la cavalerie qui taillait en pièces les opposants. Jamais les forces de l’amiral n’avaient été en mesure de nouer un contact avec les natifs. Cette fois serait peut-être la bonne car Il y avait bien présence humaine sur ce littoral, celle-ci étant attestée par la présence de barques de pêche amarrées à des barres de bois fixées sur un des quais. Ces barques disposaient d’une voile carrée coupée dans de la mauvaise toile, leur peinture s’écaillait, rien de bien réjouissant pour les yeux. Aucun pêcheur n’était visible autour des barques ni sur le quai.
Plus étrange encore, la vigie du navire amiral signala une fuite générale des habitants que l’on voyait courir au loin à travers la campagne, s’éloignant le plus vite possible du port. Il est vrai que la flotte composée de cinquante navires occupant tout l’horizon projetait une ombre immense sur les eaux de l’océan, de quoi impressionner de pauvres villageois qui ne connaissaient en fait d’embarcations que de méchantes barques en piteux état.
L’amiral Bagdadi Bagdada tint conseil avec ses officiers, la plupart témoins de la fuite sans gloire des habitants optèrent pour un débarquement immédiat. L’amiral prêt à se ranger à leur avis allait donner des consignes en ce sens lorsque pour une raison qui resta ignorée des humains, Zeus irrité, brandit son sceptre, le tonnerre gronda précédant une série d’éclairs spectaculaires, de lourds nuages noirs se postèrent comme un fait exprès au-dessus des navires de la flotte, l’océan prit une vilaine couleur d’encre noire. L’amiral convoqua immédiatement son conseiller météo, lequel péremptoire à son habitude déclara qu’il s’agissait d’un grain passager et que le reste de la journée serait magnifique avec une température ressentie égale à celle de la veille.
Cinquante bateaux superbes portés par les vents favorables cinglaient droit sur Vila da Ponte au son des tambours tendus de peaux de renne. En tête venaient les avisos fins comme des lames de dague, les imposants navires de transport des soldats et montures les suivaient de près tandis que le navire amiral donnait la cadence pendant que Bagdadi Bagdada debout sur la dunette saluait le bras tendu l’ensemble des équipages. Ah ce n’était pas une flotte d’opérette que cette armada, ils allaient s’emparer sans coup férir de Vila da ponte et de la région riche et magnifique toute proche à présent.
Parmi les habitants de Vila da Ponte, contrairement à ce qu’avaient estimé les vigies, tous n’avaient pas fui en apercevant l’impressionnante flotte surgie des flots comme un animal marin malfaisant. Les pêcheurs étaient restés par nécessité professionnelle plus forte que la peur suscitée par l’apparition de la puissante armada. En effet, la veille, les équipages embarqués à trois ou quatre sur leurs felouques dérisoires s’étaient échinés à poser des nasses au large dans des endroits de l’océan connus d’eux seuls. C’étaient des lieux privilégiés où ils attiraient, grâce à leurs appâts disposés dans les nasses, quantités de langoustes, homards et accessoirement loups de mer et baudroies dont ils tiraient de substantiels revenus. Par expérience ils savaient que certaines espèces capturées ne pouvaient y séjourner ensemble longtemps et qu’après s’être observées elles se battaient comme des gamins dans une cour de récréation avec une telle fureur qu’elles détruisaient les nasses qu’il fallait alors remplacer. Les pêcheurs demandèrent poliment aux équipages des premiers avisos dépêchés en reconnaissance par l’amiral la permission d’aller récupérer leurs nasses. Ils manifestaient une telle soumission que l’autorisation leur fut accordée séance tenante par les lapons amusés par les manières dociles des pêcheurs craintifs. Pauvres pêcheurs, quand ils croisèrent les navires géants de la flotte, leurs dérisoires embarcations furent agitées si fortement par les remous qu’ils devaient agripper le mât pour éviter de tomber à l’eau. Leurs efforts pathétiques faisaient beaucoup rire les familles de Lapons privées de distraction pendant leur périple maritime. Accoudés au bastingage, marins et passagers assistaient au spectacle en applaudissant les pêcheurs quand ils parvenaient à retrouver leur équilibre. Exercice assez délicat car ils étaient vêtus de tenues de pêche quasi hermétiques et encombrantes qui devaient les protéger des embruns mais les rendaient quelque peu patauds.
Les mamans lapones encouragèrent bientôt leur progéniture à manifester leur joie en jetant des présents aux pêcheurs : fruits, friandises, graines de tournesol, parvinrent aux felouques en si grand nombre que les pêcheurs reconnaissants, tout en louvoyant au milieu des bateaux de la flotte, lancèrent dans les airs de petits jouets légers à armature, retenus par de longues ficelles. Les enfants du grand nord voyant pour la première fois des cerfs-volants décrire des arabesques dans les airs s’extasièrent ainsi que leurs parents. Habiles, les marins profitaient des courants ascendants pour multiplier les évolutions des cerfs-volants et en lâcher de plus en plus dans le ciel en se livrant à une compétition amicale à qui atteindrait la plus grande hauteur. Sur les ponts des voiliers, les parents se joignirent à leurs rejetons pour désigner le gagnant. Piqués au jeu, les pêcheurs enjolivèrent leur prestation en faisant monter le long des ficelles, à l’aide des courants ascensionnels, des boîtes en terre cuite de petites dimensions, tant et tant de boites qui grimpaient si vite qu’elles venaient se fracasser à l’arrivée contre les structures des cerfs-volants. Sur les ponts des navires, les Lapons applaudissaient chaque ascension de boite en riant aux éclats.
Soudain ce fut l’enfer !
Les boites en terre, pulvérisées au contact des cerfs-volants, étaient en fait des essaims de guêpes ouvrières que le choc faisait jaillir dans les airs puis redescendre en volant à la recherche d’un support où pouvoir se poser. Elles prirent appui instinctivement sur les ponts des navires et sur les épaules des spectateurs piqués bientôt sur le visage et le corps. Tous subirent l’attaque féroce sans pouvoir se défendre : femmes, enfants, hommes d’équipage, nourrissons, peu importait, les guêpes acharnées ne pratiquaient pas la discrimination.
Les hommes de barre subirent le même traitement simultanément et les mains piquées, abandonnèrent leurs gouvernails, ce fut le commencement de la fin car depuis le début du périple, en respectant les règles de navigation, tous les capitaines de la flotte maintenaient la distance réglementaire entre les bateaux qui avançaient ou viraient de concert dans un ordre parfait. En l’occurrence, sans personne à la barre pour les diriger, les navires se rapprochèrent dangereusement les uns des autres, sur le pont c’était un sauve-qui-peut généralisé, courant en tous sens pour échapper aux dards des guêpes déchaînées la plupart se jetaient à l’eau croyant y trouver leur salut. Les guêpes ayant piqué tous ceux qui se trouvaient sur le pont ainsi que les vigies immobilisées en haut des mâts explorèrent les cales et trouvèrent une autre pâture en découvrant les chevaux parqués dans l’attente de l’attaque sur la terre ferme. Elles s’en donnèrent à cœur joie, excitées par l’affolement des pur-sang qui frappaient tant et plus la coque des bateaux de leurs sabots frénétiques.
L’amiral avait déjà vécu des situations périlleuses et mené ses troupes à l’assaut au péril de sa vie mais jamais il ne s’était mesuré à des essaims de guêpes ouvrières, il tenta de rallier les plus vaillants, s’aperçut rapidement de la vanité de ses tentatives. Personne ne l’écoutait, chacun dans son coin essayait de sauver sa peau boursouflée. Autour de lui, attirés peut-être par les dorures brillantes de son uniforme, les insectes se massèrent davantage en attaquant partout à la fois. Bagdadi Bagdada, fait du même bois que ses compagnons, finit par céder, ne trouvant son salut que dans la fuite. Terrorisé il courut se réfugier dans le carré des officiers dont il ferma la porte sur les guêpes agressives. Hélas, il n’avait pas été assez prompt pour les éloigner toutes et encore moins celles qui tentaient de le piquer à travers son uniforme. Le remède fut pire que le mal, certes peu de guêpes se trouvaient enfermées dans le carré, mais se sentant prisonnières et ne pouvant plus sortir à l’air libre elles concentrèrent leur fureur meurtrière sur le seul être humain présent.
L’amiral succomba aux piqûres rapidement ce qui lui épargna le spectacle affligeant du désastre subi par sa flotte. Il n’entendit pas non plus les bateaux s’entrechoquer, les craquements sinistres des coques, les plaintes de ses compagnons, les hennissements affolés des chevaux. Et surtout lui fut ainsi épargnée la joie des pêcheurs protégés des piqûres par leurs tenues d’apiculteurs.
Les habitants de Vila da conde qui avaient fait croire aux vigies qu’ils s’enfuyaient par peur de la flotte s’unirent aux pêcheurs et firent leur part de travail en ligotant les malheureux lapons survivants dès leur sortie de l’eau. Quant aux bateaux qui n’avaient pas coulé, ils furent intégralement vidés de leur contenu, le bois fut prestement récupéré ainsi que les voiles dont les pêcheurs avaient grand besoin.
À la décharge des autochtones, il faut souligner que le sort des lapons faits prisonniers fut nettement plus heureux que celui qu’ils avaient enduré sous le joug des trappeurs finnois, leur libération intervint rapidement, ils contractèrent des unions solides avec des natives et natifs du pays et leurs descendants se sentirent chez eux dans ce pays tolérant et accueillant. Il n’empêche que tous les ans au solstice d’été la victoire d’une petite flottille à l’apparence inoffensive contre une flotte titanesque est célébrée dans la région de Vila da conde sous le nom de « Bataille des cerfs-volants ».
CHAPITRE 3
Les enfants de Vila da conde et des environs n’en peuvent plus d’attendre le solstice d’été jour de la commémoration de la bataille des cerfs-volants. Pendant que les petits rongent leurs freins tous ceux qui sont en âge de faire fonctionner ces jouets s’exercent pour être fins prêts le jour de la commémoration. S’ils ont bien travaillé en classe et se sont correctement tenus à la maison, ils reçoivent un cerf-volant de compétition en ce jour férié. Les familles les accompagnent à la plage en face de l’endroit où fut vaincue la grande armada. Pendant qu’ils font voler le plus haut possible leurs jouets, les mères préparent un pique-nique géant qui sera dévoré plus tard. Les familles généreuses sur les quantités se partagent les beignets de poisson, les pâtisseries et le vin cuit.
Les années passèrent sans heurts ni traumatismes, la plupart des Lapons s’intégrèrent parfaitement à la vie locale au point que nombre de leurs descendants issus de croisements divers et variés fêtaient dorénavant le jour du cerf-volant comme s’ils avaient occulté la cuisante et humiliante défaite subie par leurs ancêtres. Une partie non négligeable pourtant ne participait pas à ces fêtes et lui substituait une cérémonie dédiée à la mémoire des ancêtres courageux et entreprenants qui avaient secoué le joug de leurs tortionnaires finnois.
Parmi de nombreuses familles se perpétuait donc le culte de celui qui avait réussi à soustraire à la main de fer des odieux trappeurs finnois leurs ancêtres persécutés, le glorieux amiral de la flotte vaincue par un malencontreux coup du sort, l’incomparable Bagdadi Bagdada, dont le portrait ornait les entrées des logements. Une niche en regard permettait de brûler des bougies à la mémoire du héros en contemplant son portrait. Chacun gardait ainsi gravés comme dans le marbre les traits virils et volontaires du héros, mâtinés d’un brin de fantaisie perceptible dans le regard.
À l’orée du deuxième millénaire advint un évènement extraordinaire qui laissa pantois les descendants qu’ils fussent partisans des cerfs-volants ou voués au culte de l’amiral. L’une des mères d’une famille qui cultivait la mémoire du héros légendaire donna naissance à un bébé braillard qui pesait l’équivalent de dix oranges et mesurait sous la toise la taille moyenne des enfants de Carélie à la naissance. Jusque-là rien de notable à signaler, pas de fée au-dessus du berceau, ni de rois mages venus apporter la myrrhe ou l’encens, non aucune de ces fables merveilleuses transmises à la veillée par les grands-mères pour faire briller les yeux des enfants.
Dans ce cas précis, ce qui frappa toutes les personnes qui se penchèrent sur son berceau, ce fut la ressemblance frappante entre le nouveau-né et l’amiral prestigieux disparu des lustres auparavant. Dans la maison du petit enfant, à l’entrée dans une niche se trouvait un portrait du regretté Bagdadi Bagdada,