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Koni: Descendre une 504 en Afrique
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Koni: Descendre une 504 en Afrique
Livre électronique377 pages6 heures

Koni: Descendre une 504 en Afrique

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À propos de ce livre électronique

Lorsque quatre jeunes banlieusards décident de s’aventurer vers l’Afrique Noire au volant de leurs Peugeot 504, il faut s’attendre à tout. Munis de faux papiers, ils se lancent à corps perdu dans la traversée du Sahara. Cependant, leur périple se révèle infiniment plus complexe qu’ils ne l’avaient imaginé. Entre le marché noir et la contrebande d’alcool, ils affronteront les convoitises de douaniers corrompus tout en supportant un bras de fer permanent avec les sables du Sahara dont ils découvriront les splendeurs. Plongés au cœur des différentes cultures rencontrées, se jouant des multiples pièges qui les attendent, ils se perdront, se querelleront, se retrouveront… Leur amitié survivra-t-elle à cette traversée épique qui les poussera bien au-delà de leurs limites ?




À PROPOS DE L'AUTEUR 

Thierry Lapi a exercé de nombreuses professions, chacune d’elles étant pour lui une expérience indispensable. Il enseigne le français à des mineurs isolés près de Montpellier. Son ouvrage, "Koni – Descendre une 504 en Afrique", explore les thèmes de l’aventure, du voyage, du dépassement de soi et de l’amitié.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie17 août 2024
ISBN9791042236328
Koni: Descendre une 504 en Afrique

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    Aperçu du livre

    Koni - Thierry Lapi

    Thierry Lapi

    Koni

    Descendre une 504 en Afrique

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Thierry Lapi

    ISBN : 979-10-422-3631-1

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    À mes enfants Thomas et Mario,

    Pour qu’ils connaissent cette histoire,

    À Cristofe et Renaud,

    À Fred que j’avais promis d’emmener,

    Mais surtout à Salim, mon ami, mon frère

    Qui ne lira jamais ce livre,

    Et à tous ceux qui ont fait la piste.

    Note de l’auteur

    Cher ami lecteur, vous trouverez, dans ce livre, quelques photos de notre périple. Certaines sont de piètre qualité, car à l’époque, notre but n’était pas d’en faire un reportage. Jamais je n’aurais imaginé écrire ce livre un jour, encore moins publier ces quelques images encore en ma possession après toutes ces années. Tout de même, il m’a paru intéressant de les insérer dans l’ouvrage, afin de mieux en illustrer le récit. Ainsi, vous pourrez mettre un visage sur chacun de nous.

    N’abaisse jamais ta garde

    Quand bien même

    Tout danger te semble écarté

    I

    « La gazette du Val-d’Oise » était le journal local qui compilait toutes sortes de petites annonces, internet n’existant pas encore. Il était distribué dès le mercredi matin : boîte à lettres, bar, cages d’escalier, boutiques… Il ne sortait pas en kiosque.

    Depuis quelques semaines déjà, j’écumais copieusement les annonces pour trouver la perle rare. Jusque-là, la chance n’avait pas été de mon côté, mais je ne désespérais pas. J’attendais patiemment que le distributeur de prospectus passe déposer sa pile dans ma cage d’escalier. Trop patiemment peut-être.

    Ce matin-là, je m’étais levé de bonne heure pour l’intercepter aux premières lueurs de l’aube, à la sortie du dépôt. C’était ça la bonne méthode ! Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Le lire avant tout le monde, être le premier sur la bonne affaire, le premier à appeler, le premier à baratiner un type désireux de s’en débarrasser. Oui, c’était ça, il suffisait d’y penser. J’avais bien essayé le marché d’Argenteuil le dimanche matin. J’en avais déjà vu pas mal ; berlines, breaks et même des familiales qui se vendraient là-bas un poil plus cher. Mais aucun des vendeurs ne m’avait inspiré confiance : « Aucun problème, tout marche bien ! Il n’y a qu’à tourner la clé comme ça », disaient-ils.

    À chaque fois, en y regardant de plus près, je remarquais tantôt de la mayonnaise sous le bouchon d’huile moteur, tantôt un rafistolage médiocre sur certains points de rouille de la carrosserie. Les arbres qui cachent la forêt. Loin de moi l’envie de traîner des emmerdes en plein cœur du Sahara.

    Le voyage commençait ici, en pleine ZUP d’Argenteuil, à 6 h du matin, par un froid glacial de décembre 1985, sous la lumière blafarde d’un réverbère de banlieue.

    Quelques livreurs étaient déjà plantés devant le dépôt, attendant de charger. Les plus riches confortablement calés au chaud dans leurs voitures ; les plus pauvres à califourchon sur leurs mobylettes, soufflant dans leurs gants pour glaner un peu de chaleur et réchauffer des doigts gelés par l’hiver.

    Quelqu’un dans le local alluma. L’atmosphère morose fit place à une agitation soudaine. Un gaillard costaud ouvrit la porte et salua rapidement. Il distribua des piles de journaux et des poignées de main. Chacun sa tournée. Surpris, le type me toisa :

    — Mais qu’est-ce que tu fous là, toi ?

    — Moi ? Je viens chercher un journal, s’il vous plaît.

    — Quoi ? Un seul ? Mais j’ai pas que ça à faire, moi ! Distribuer des journaux à l’unité, manquerait plus que ça !

    — Je veux bien en prendre une pile si vous voulez. Mais je ne vais rien en faire. J’ai juste besoin d’un exemplaire pour consulter les petites annonces de voitures.

    — Et qu’est-ce que tu cherches comme voiture ?

    — Une 504 Peugeot.

    — Pour l’amener en Afrique ?

    — Exactement.

    Il n’avait pas prévu qu’un couillon se planterait là à 6 h pour n’en prendre qu’un. Des piles bien ficelées, ça oui, il y en avait partout. Mais un seul exemplaire ? Il finit par m’en sortir un de derrière l’imprimerie, tout juste sorti de la presse. Je sentis la moiteur du papier et de l’encre fraîche sous mes doigts. Je le tenais avant tous les autres. Le Saint Graal ! Je serais le premier à lire les annonces, le premier à appeler. Vite, la rubrique voiture. Peugeot. 504.

    « Vends 504 berline GL marron clair 11 CV, 1978, 97 000 km 5 000 francs. »

    Une bouffée de chaleur parcourut ma colonne vertébrale, comme un serpent chaud qui remontait jusqu’à ma nuque. Ça y est, je la tenais, je la sentais ; c’était l’affaire de l’année. Celle-là et pas une autre. Elle était à portée de main, à un coup de fil. Téléphoner. Tout de suite. Merde ! Avais-je seulement pensé à faire de la monnaie pour téléphoner d’une cabine ? Attendre le prochain train et rentrer à la maison pour appeler ? Et pour essayer la voiture, comment faire ? J’étais à pied.

    Mille pensées me traversèrent la tête en même temps, je ne tenais plus en place. Téléphoner ? Oui, c’était la première chose à faire.

    Je levai les yeux vers le ciel quand un détail, pourtant évident, mais auquel je n’avais pas pensé, frappa mon esprit : pouvais-je décemment appeler le propriétaire à une heure si matinale ? Et si je le dérangeais et qu’il m’envoyait promener ? Adieu la belle affaire. Il se fâcherait contre moi pour la vendre à quelqu’un de moins casse-pied. Du tact, je devais faire preuve de tact.

    Non ! Il me fallait essayer. Il n’y a que le culot qui paie. Et puis, les gens bien, ça travaille ; donc, ça se lève tôt. Si c’est un lève-tard, c’est un glandeur qui a besoin d’argent et donc, un arnaqueur qui cherche un pigeon.

    Je n’avais même pas pris soin de regarder les autres annonces. Je repris mes esprits, entrai dans le bar du terminus à l’angle de la gare et commandai un chocolat brûlant.

    Il était six heures vingt. Je me résolus à attendre sept heures pour appeler. Sept heures, c’était la bonne heure. À cette heure-là, les gens qui travaillent se lèvent ou sont déjà debout. À sept heures, je payai mon chocolat et fis de la monnaie, puis me dirigeai vers une cabine. D’excitation, mon index dérapa sur le cadran circulaire et je dus recomposer plusieurs fois le numéro :

    Merde ! Un gitan peut-être, avec son histoire de caravane, pensai-je. Mais non, les gitans vivent dans leurs caravanes et ne partent pas en vacances.

    Bingo ! Un bourgeois bien loti, pas un gitan.

    La journée s’annonçait sous des auspices on ne peut plus favorables. En un clin d’œil, la vie peut parfois prendre une tournure inattendue. Je piétinais depuis des semaines pour trouver une 504, et là, elle était au bout du fil. J’avais jusqu’au soir pour me préparer : retirer du liquide et trouver quelqu’un pour m’y conduire.

    Salim venait d’acheter sa voiture quelques jours plus tôt à Asnières. Après une inspection minutieuse du véhicule, celle-ci lui inspirant confiance, il avait lâché 5 000 balles en billets de 10 sacs (100 francs). Je prévoyais faire de même ce soir.

    Je passai dans la matinée au Crédit Lyonnais de l’avenue Marcel Cachin pour soulager mon compte d’une large part de son numéraire. C’était la première fois de ma vie que je me baladais avec une telle somme dans la poche. J’avais tout juste 20 ans et bien peu d’économies. Idem pour la conduite. Si je conduisais déjà des motos sans permis depuis longtemps, je venais tout fraîchement de réussir mon permis de conduire voiture. Je n’avais aucune véritable expérience de la conduite en solo, que ce soit en ville ou sur route. Encore moins dans des pays aussi différents que le Maroc, l’Algérie et le Niger, pour lesquels j’ignorais totalement les codes de conduite. Novice, je prévoyais allègrement de me lancer, tête baissée, sur l’itinéraire du Paris-Dakar, au volant d’un engin de ville tout juste bon à tracter des caravanes. Pure folie ! Mais on est fou quand on a 20 ans et la vie devant soi, surtout avec une belle bande de potes avec qui on a grandi et prête à tenter l’aventure.

    La 504 Peugeot était un monstre de robustesse dotée d’un moteur 2 litres diesel ou essence de 11 chevaux. Déclinée sous différentes versions de 1968 à 2005, elle régna sur l’Afrique de l’Ouest pendant plus de 30 ans. Devenue mythique après avoir gagné plusieurs rallyes, le peuple africain lui-même l’adouba comme le véhicule par excellence lorsqu’elle succéda à sa grande sœur, la 404. Les Africains ne s’y étaient pas trompés : une mécanique simple et solide capable de se jouer des sables comme de la boue. Véritable char du désert, aujourd’hui gouffre d’émissions de gaz à effet de serre, elle fut le rêve d’une génération d’Africains désireux d’abandonner la traction animale. Et c’est sur ce rêve-là que ma bande de potes et moi projetions d’aller surfer. Les Peugeot, reines de l’Afrique d’une époque, sont désormais détrônées par les Toyota.

    J’allais directement chez Salim, ou plutôt chez son père puisque nous habitions encore tous chez nos parents. Je sonnai. Assia, sa belle-mère d’une cinquantaine d’années, m’ouvrit la porte.

    J’ouvris la porte sans frapper. Salim était à son bureau et se retourna d’un coup.

    Pétard du matin, pas bien ! Fidèle à ses habitudes, Salim ne pouvait démarrer sa journée autrement qu’avec un bon joint.

    — Ah ouais, elle a l’air bien ! Vas-y, fonce.

    Salim était l’unique mâle d’une famille kabyle pour laquelle la France avait respecté son contrat. Son père occupait un bon poste à la mairie de Paris qui lui permettait d’élever sa nombreuse famille : sept enfants, ça faisait beaucoup de bouches à nourrir. Sa mère était décédée alors qu’il avait huit ans. Peu après, son père avait fait venir du bled une femme qu’il avait épousée en secondes noces pour l’aider dans sa tâche. Élevé au milieu de toutes ces femmes, Salim en avait gardé une misogynie peu commune.

    Lors de sa conception, son père avait sûrement culbuté sa mère sur une Cocotte-Minute, car il était en ébullition permanente. Toujours au courant de tout, fouinant dans tous les coins à la recherche d’un scoop à colporter, certains l’avaient surnommé « France soir ». Une vraie tête de série ! D’une spontanéité doublée d’un baratin à toute épreuve, il s’inventait mille vies selon le degré de crédulité de son interlocuteur. L’incroyable, c’est que plus c’était gros, mieux ça passait. Étudiant en médecine, joueur de hockey au Canada, pilote d’hélicoptère… Il débitait ses bobards avec un tel aplomb qu’il était impossible d’en douter. Sa fréquentation nous avait appris à ne juger l’autre que sur ses actes, jamais sur ses paroles. Viré du collège à seize ans, il n’avait aucun diplôme et ne travaillait que quand ça lui chantait sur de très courtes périodes, dans l’animation essentiellement. Un instable dans l’âme.

    Il m’accompagna jusqu’à la zone pavillonnaire de Frépillon, petite ville près de Pontoise : quartiers pavillonnaires huppés pour cadres moyens et supérieurs de la grande banlieue parisienne. Ça sentait le propre et la bonne famille. Des pavillons bien rangés derrière des clôtures en dur, du gazon bien tondu et des gens bien à l’abri dans le confort d’un foyer douillet.

    Je fus accueilli par un quarantenaire, comme je me l’imaginais. Propre sur lui, langage soigné, meubles cossus et maison bien tenue. D’emblée, je sus que je pouvais négocier. Grappiller quelques centaines de Francs, c’était toujours ça de pris. Quelques billets de plus ou de moins pour une famille comme celle-ci, s’en rendrait-elle seulement compte ?

    Elle était comme je l’imaginais : impeccable ! Il fit tourner le moteur, qui l’était tout autant. Il n’y avait rien à redire… Cependant, acheter au prix initial me dérangeait, même si elle les valait largement. Il me fallait baisser le prix. Mais sur quels arguments ?

    On retourna dans la maison tandis que j’étais bien embêté pour trouver un angle d’amorce à ma négociation.

    Le téléphone sonna :

    C’était cuit pour tenter de baisser le prix. Je devais conclure l’affaire rapidement vu le nombre de types qui comme moi la voulaient ; je n’étais donc pas en bonne posture pour négocier.

    Tentant le tout pour le tout, je sortis 4 000 francs de ma poche, comptai chaque billet en les posant un à un sur la table. M’arrêtant à 4 000, j’annonçai enfin mon prix. Il se mit à rire. Nous n’étions pas du même monde.

    Je lui racontai notre projet. Je lisais dans ses yeux tout l’intérêt qu’il portait à ma future aventure. Je sentis qu’il voulait y participer aussi, à sa façon. Et sa façon m’arrangea parfaitement quand je le vis ramasser la liasse de billets sagement déposée sur la table. Il me tendit les clés et barra la carte grise. Il avait accepté mon prix sans discuter.

    Cette fois, c’était sûr : je partais. Quelles palpitations je ressentis ! Cette simple petite clé posée là, sur la table, m’ouvrait toutes grandes les portes de l’aventure. Et quelle aventure ! L’infini des espaces sahariens réservés seulement aux initiés : René Caillé, Théodore Monod, Saint-Exupéry, Monfreid et pourquoi pas Lawrence ! Moi aussi, j’allais vivre une grande aventure. Moi aussi, j’aurai quelque chose à raconter à mes enfants quand je serai vieux.

    Poignée de main, au revoir et bon voyage, je m’installai enfin au volant du monstre pour contempler un instant le capot démesuré à travers le pare-brise. Dieu qu’elle était grosse cette bagnole, comparée à la 205 de l’auto-école, seule voiture que j’eusse jamais prise en main jusque-là ! Je tournai la clé, le moteur démarra et j’accélérai un grand coup. C’était parti ! Sans assurance, bien sûr.

    Un tel voyage ne s’improvisait pas. Il nécessitait un minimum de garantie au niveau mécanique, car une pièce pouvait lâcher à tout moment. Compter se fournir en pièces de rechange en Algérie était risqué, le pays étant mal approvisionné. Depuis l’ère Boumédiène, le pays avait tourné le dos à l’ancien colonisateur et son économie de marché pour se tourner vers l’Union Soviétique. Le pays tournait au ralenti et peinait même à se fournir en produits de première nécessité. Si on y trouvait certains produits en abondance, d’autres faisaient cruellement défaut. C’était si aléatoire qu’il valait mieux ne compter que sur soi.

    Pour pallier toute panne éventuelle, quelle qu’elle soit, nous devions amener un stock de pièces conséquent : moteur, alternateur, démarreur, radiateur, boîte de vitesse, optiques… En fait, nous devions quasiment emporter une voiture de rechange, à l’exception des éléments de carrosserie, trop encombrants.

    Un investissement plutôt qu’une dépense inutile, car toutes ces pièces se revendaient plus cher en Afrique noire.

    Par bonheur, notre convoi devait compter cinq véhicules. Une juste répartition ne serait encombrante pour personne. Seul le moteur présentait un problème, par son poids et son volume. Renaud s’en était chargé. Français du continent par son père, mais corse par sa mère, ses parents avaient divorcé quand il avait dix ans. Depuis, il vivait seul avec sa mère. D’un tempérament nonchalant, calme, affable, toujours de bonne humeur et prêt à rendre service, il stabilisait le groupe. À l’issue de son CAP de charcutier, quelques années de travail chez Olida, le numéro 1 de la charcuterie industrielle de l’époque, l’assuraient de toucher les ASSEDIC pour quelques années encore.

    Renaud allait conduire la Peugeot !

    « Tu t’appelles Renaud et tu conduis la Peugeot ! » Que ce soit en Algérie ou en Afrique noire, ce jeu de mots nous faciliterait bien des passages de police.

    II

    Bien loin encore des sables d’Afrique, le voyage débutait par une longue liste de préparatifs à faire méthodiquement.

    Nous nous étions donc réunis à Saint-Gratien dans la maison de famille de Cristofe. Si chacun de nous avait rencontré l’autre séparément pour discuter du voyage, le quatuor se réunissait pour la première fois.

    Salim, Cristofe et moi habitions la même cité, le même escalier depuis l’enfance. Nos familles se connaissaient bien, nous faisions les quatre cents coups ensemble depuis notre plus jeune âge. Renaud habitait la cité d’à côté, juste une rue à traverser. Nous avions usé nos culottes sur les bancs de la même école primaire, fréquenté les mêmes bistrots et chapardé dans les mêmes magasins. Entre nous, la confiance était totale.

    Salim, Renaud et moi tournions un peu en rond quant à la marche à suivre. Certes, l’achat de la voiture demandait un maximum de discernement pour éviter d’investir sur une épave. Mais il s’agissait juste d’un achat.

    Plus compliquée se révélait la suite des opérations, faite d’une multitude de petits achats dans des endroits très divers. Pièces de rechange, outils, cartes grises, carnets de passage en douane, bidons vides, habits usagés, Sintofer, batterie de cuisine, petits cadeaux pour graisser des pattes… La liste donnait le tournis et nous ne savions par où commencer.

    La maison du père de Cristofe était comme un grenier sorti tout droit d’un roman. Sa famille se composait d’une fratrie de six garçons dont il était le cadet. Leur mère avait été emportée par une leucémie fulgurante quelques années auparavant. Son décès avait secoué toute la cité, tant cette femme était appréciée pour sa bonne humeur et sa douceur. Institutrice en maternelle de métier, la plupart d’entre nous l’avaient eue comme maîtresse. Une femme d’une grande beauté avec des yeux verts et des cheveux noirs très longs et fins, dont la forte stature trahissait les nombreuses grossesses. Toujours habillée de robes longues et amples, des tas de bracelets cliquetant à chaque mouvement autour de ses poignets, sa sérénité et sa prestance la rendaient unique. Par contraste, les femmes de notre petit monde de HLM de banlieue étaient toutes coiffées de la même mise en plis, véritable standard de la femme des années 70/80.

    Son père était artiste peintre dans l’âme. Fils d’une famille bourgeoise de banlieue, il peignait depuis sa jeunesse. Ses thèmes avaient évolué pour se focaliser essentiellement sur deux choses : les bohémiens et la banlieue. Son style de peinture collait parfaitement avec les descriptions de Blaise Cendrars quand il traitait de la Zone. Les murs de la maison se couvraient d’une seconde tapisserie : des portraits de manouches, des scènes de camps de gitan aux roulottes fatiguées, des montagnes de pneus, des casses de voitures… Mais aussi ces paysages glauques et froids à toutes les ZUP : des citadelles de béton percées de trous béants, réduites à leur plus simple expression. Dans la cité, personne ne comprenait ce style de peinture. Mais pourquoi peignait-il des trucs aussi peu dignes d’intérêt ?

    Côté professionnel, son père possédait la plus petite société de taxis parisiens : trois véhicules. Les deux revenus suffisaient à faire vivre la famille qui passait, non à tort, pour la plus originale qui soit.

    L’été, la famille partait à la découverte du monde avec le Peugeot J7 aménagé en camping-car. D’Irlande, du Maroc, ils ramenaient des photos d’un style de voyage qui me faisait rêver : partir dormir n’importe où, sans savoir où on va, qui on va rencontrer…

    Leurs récits réveillaient en moi cette atavique âme de nomade qui repose au fin fond de chacun d’entre nous comme un vieux rêve assoupi.

    Au décès de la mère, la famille quitta la cité après dix-sept ans passés dans cet immeuble de la ZUP sud d’Argenteuil pour s’installer dans la maison familiale de Saint-Gratien.

    De cette maison sur 3 niveaux, autrefois bourgeoise, mais toujours meublée à l’ancienne, émanait une atmosphère décatie et très personnelle. Les œuvres du père, placardées sur tous les murs, révélaient enfin leur pouvoir hypnotique. Mobilier campagnard en bois massif, bibliothèque de livres reliés, pas de télévision… Qu’il nous semblait loin, le formica de nos univers quotidiens !

    La palme revenait au croquis d’un constat d’accident de voiture affiché dans l’entrée de la salle à manger. Celui-ci indiquait les angles du véhicule impliquant ou non la responsabilité du conducteur. L’avant et le droit en rouge, l’arrière et le gauche en vert. Ce dessin était placé là où nos parents auraient mis un Poulbot de Montmartre, déroulé sur fond de velours noir. À nulle autre comparable, cette maison était une caverne aux mille surprises.

    Pour l’heure, nous devions mettre en place une marche à suivre, un programme d’actions pour mener à bien notre projet.

    À quoi je répondis :

    Le ton montait à mesure que le temps passait et que rien n’avançait. On s’en rendait compte. En fait, nous tournions en rond.

    Cristofe, qui nous regardait sans mot dire, prit soudain la parole :

    Et voilà, c’était dit ; aussi simple que ça.

    Ces idées désordonnées, Cristofe les aligna toutes sur une feuille de papier. Il les lista ensuite dans l’ordre d’exécution. Enfin, on se les répartit selon les aptitudes de chacun. Et finalement, on fixa la date de notre prochain conseil.

    Ça prenait forme ; le cap semblait enfin fixé. Dans un groupe, il faut toujours une personne dotée d’une vision globale capable de synthétiser les différentes énergies, elles convergent ainsi positivement pour voir aboutir le projet commun. Pas un chef, mais un leader qui fait l’unanimité par son charisme et son aptitude à prendre les bonnes décisions aux moments opportuns.

    Cristofe était celui-là. Dans sa prime jeunesse, leur oncle maternel, un personnage des plus excentriques, emmenait toute la fratrie vendre des glaces aux touristes sur les plages de La Baule en été. Glacière en bandoulière, les gosses arpentaient la plage sous un soleil cuisant. Mais, en fin de saison, ils en revenaient pleins aux as. Il s’était forgé une solide expérience du voyage dans les Kibboutz israéliens et dans les fermes irlandaises, où il avait travaillé comme berger. Une force de caractère en acier trempé, capable d’affronter n’importe quelle galère sans jamais se démonter. Ne rien lâcher, coûte que coûte aller de l’avant sans se laisser démonter par les pertes matérielles, telle paraissait être sa devise.

    Il descendait un véhicule en Afrique pour la troisième année consécutive. L’année précédente, il s’était lancé dans le convoyage avec cinq véhicules à son nom, trois 404 et deux 504, offrant gratuité du voyage aux chauffeurs (dont Salim et Renaud) en échange de leurs talents de pilote. Mais ce voyage n’avait que moyennement marché : trop de choses à gérer, d’épreuves à surmonter, de soucis à esquiver pour, au final, un gain certes non négligeable, mais peu rentable compte tenu du risque encouru.

    Cette fois-ci serait différente. L’itinéraire déjà. Non pas le Tanezrouft, mais le Hoggar. Passer non par le Mali, mais par le Niger. Et, ces pistes-là, aucun de nous ne les connaissait. L’inconnu s’offrirait à nous peu après notre entrée en Algérie.

    Outre les bagages personnels et ceux destinés au marché noir, nous avions « collectivisé » l’achat des incontournables. Dans cette répartition, le plus malheureux fut Renaud, car il écopa du moteur. Un moteur de 504, c’est un truc énorme qui pèse son quintal : impossible de le déplacer une fois calé. Et de la place, il en prend, surtout dans une berline. Sans compter l’odeur de graisse et les coulées d’huile moteur qui trouvent toujours un orifice pour se répandre, comme un corps qu’on aurait découpé.

    Salim devait trouver une batterie de cuisine et les pièces moteur, de l’alternateur à la colonne de direction, sans oublier les pare-brise avant et arrière.

    Cristofe devait l’épauler dans cette tâche, plus assurer la coordination de l’ensemble tandis que je me voyais affecté aux plaques de désensablage, outils mécaniques et à la rédaction des carnets de passage. Par le plus grand des hasards, je trouvai facilement des plaques chez un métallier dans ma rue ; des plaques de l’armée qu’il me découpa au chalumeau dans le sens de la longueur feraient très bien l’affaire, avec une pelle de charbonnier dénichée à la brocante du marché

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