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Le chant bouleversant des criquets
Le chant bouleversant des criquets
Le chant bouleversant des criquets
Livre électronique209 pages2 heures

Le chant bouleversant des criquets

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À propos de ce livre électronique

Le tout petit village de Montegelido, guère plus grand qu’un hameau, est coupé en deux depuis que le château médiéval et ses habitants ont été engloutis par un énorme glissement de terrain en 1725, emportant avec lui la moitié du rocher sur lequel il avait été édifié, dont la chapelle qu’avait restaurée Saint François en 1210, ses six moines, et les deux familles de paysans au service du seigneur du lieu.

Entre l’église, construite au IXe siècle sur les ruines d’un temple romain dédié aux Dioscures et l’ancienne cour du Château aux petites maisons basses, une vaste cuvette profonde d’une centaine de mètres où personne n’ose s’aventurer, par respect pour les morts qui ont été engloutis lors de l’éboulement, mais également par la crainte qu’alimentent les histoires les plus drolatiques.

Lamberto, second fils du comte Premilcuore, est le mari de Lella, la fille d’Olindo, le régisseur de ses biens. Les deux hommes ont le même âge, Lella, vingt-cinq ans de moins que son mari.

Ce mercredi 13 septembre 2000, Lamberto s’apprête à accompagner sa femme au marché de Sassopietra, un gros bourg agricole à une dizaine de kilomètres de Montegelido. Une banale panne de voiture va provoquer des réactions en chaîne. Passé et présent se fondent dans cette aventure humaine où les tensions s’exaspèrent au fur et à mesure que passent les heures.

Jusqu’à ce que tombe finalement la nuit et que commence le chant bouleversant des criquets.

À PROPOS DE L'AUTEUR



Enseignant de Français Langue Étrangère dans le Secondaire en Italie, Pierre Hauzy est également traducteur, voix hors champ de documentaires et vidéos institutionnels, rédacteur de magazines de langue française et auteur de réductions de classiques de la littérature, visibles sur le site de l’éditeur à l’adresse : https://www.eligradedreaders.com/francais

En 2015 une grave maladie a brusquement mis un terme à sa carrière d’enseignant. Hospitalisé pour une leucémie aigüe myéloïde, il est resté plus de six mois enfermé dans une chambre stérile avant de subir la greffe de moelle osseuse qui l’a sauvé. Obligé de garder le lit, il s’est mis à dessiner à l’aide d’un logiciel de peinture numérique des paysages, des gens, puis des formes aux couleurs franches et vives.

Ses œuvres sont visibles à l’adresse : https://www.artmajeur.com/jean-paul-pierozzi
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie17 oct. 2024
ISBN9782386254529
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    Aperçu du livre

    Le chant bouleversant des criquets - Pierre Hauzy

    1

    Mercredi 13 septembre 2000

    La journée avait mal commencé. On était mercredi, jour de marché, un rituel qu’elle n’aurait manqué pour rien au monde. Fin prête à sept heures et demie, elle piaffait devant la maison, prêtant l’oreille aux bruits qui lui arrivaient des fenêtres ouvertes. Le robinet de la salle de bains ne coulait plus, c’était bon signe : il avait au moins fini sa toilette ; la porte de l’armoire avait grincé : il allait s’habiller ; le double choc sourd sur le carreau rouge de la cuisine : ses chaussures. On y était presque. Ce qu’il pouvait l’irriter à prendre ainsi son temps sans songer à celui des autres !

    Alentour c’était la campagne, un arrière-pays de collines où serpentaient des routes qui semblaient n’aller nulle part, disparaissaient brusquement, réapparaissaient tout aussi inattendues de derrière un bosquet, une chapelle votive. Elle les revoyait de mémoire longeant une clôture, une haie, un hangar à poulets, se dévidant comme un ruban noir sur les plissements des ravins d’argile bleue. Elle parcourait alors sa jeunesse derrière les basques de son père, en espérant y rencontrer l’homme de sa vie. Hélas.

    C’était la fin de l’été. Il faisait beau, mais il avait dû pleuvoir quelque part, plus haut dans les montagnes, loin derrière les routes qu’elle connaissait et celles qu’elle ne savait pas, si loin qu’on ne distinguait plus que la masse sombre des forêts sur les lourdes épaules des monts chauves : les premiers contreforts des Apennins, le pays des trois frontières. L’idée lui fit froid dans le dos ; elle mit son petit gilet de coton ajouré et se félicita d’avoir pensé à le prendre en sortant. Le ciel était bleu, il faisait frais mais beau, elle allait au marché. Elle était encore de bonne humeur.

    Il arriva enfin, au-delà de toute attente, et la trouva assise dans la voiture, droite comme un barreau de chaise, son petit sac sur les genoux serrés l’un contre l’autre. Il évita de la regarder en se baissant pour entrer. Son regard à elle fixait la porte de la maison, l’escalier qui montait jusqu’au petit perron, comme si elle les voyait pour la première fois. Il connaissait bien cette apparente indifférence qui signifiait qu’elle ne manquerait pas d’être désagréable pendant le trajet. Bref, ils n’étaient pas encore partis que c’était déjà mal parti.

    Il tourna la clé dans le démarreur espérant tout de même qu’elle ne lui ferait plus la tête une fois arrivés au marché. Rien. Une seconde fois, idem. La voiture ne donnait pas le moindre signe de vie. En moins d’une seconde, il fit le tour en pensée de ce que cela pouvait être : démarreur ? Contact ? Un fusible, peut-être ? Mais lequel ? La batterie ! Cela ne pouvait être que la batterie. Il tourna à nouveau sans conviction. La voiture resta muette, comme sa passagère d’ailleurs qui n’avait pas bougé d’un pouce sur son siège. Il klaxonna pour confirmation : un tout petit bruit de trompette aphone s’exhala du capot.

    Alors elle se tourna vers lui, le regard si loin qu’il lui sembla qu’elle avait puisé son mépris tout en haut des monts là-bas.

    –C’est la batterie, hein ?

    –Je crois.

    –Eh bien moi j’en suis sûre. Elle a quel âge cette batterie, trois ans ?... Plus ?

    –Mais non, voyons !…

    –Il n’y a que toi pour imaginer qu’une batterie puisse durer aussi longtemps qu’une voiture. Au lieu d’être tout le temps fourré dans tes encyclopédies débiles, tu aurais mieux fait d’ouvrir le capot de la voiture pour voir ce qu’il y a dedans.

    –Ne t’énerve pas, on va la pousser jusqu’au bord de la côte ; une fois dans la voiture, je lui laisse prendre de la vitesse, je passe la seconde et elle démarre immédiatement.

    –Si au moins tu l’avais mise dans le sens de la marche !

    2

    Ils habitaient en haut d’un petit éperon rocheux proéminent comme une saillie au-dessus du vide. On y accédait par un chemin vicinal qui débouchait sur une vaste cour bordée de vieilles et pauvres maisons selon la disposition typique des anciens fiefs fortifiés du Moyen-Âge. Habitaient là les descendants des anciens braccianti qui, nomen omen, n’avaient pu compter que sur leurs bras pour nourrir leurs nombreuses familles. Avec le temps, soit bien des siècles plus tard, ils étaient devenus ouvriers agricoles sans que leur sort en soit pour autant changé. Ils cultivaient les champs d’un patron qu’ils ne voyaient jamais, et se faisaient un devoir de remettre au régisseur du domaine un présent en nature à son intention, à la Noël, à Pâques et au quinze août. Noble ou roturier fortuné, quelle importance puisqu’ils ne le voyaient jamais ? Et tant pis si le régisseur se sucrait au passage, ils étaient nés pour faire confiance.

    Après la guerre et les famines des années quarante-cinquante, leurs fils avaient été employés dans les élevages de poulets qui empestaient l’air les jours de grande chaleur, ou à la fabrique de confiture en bas dans la vallée, tout aussi nauséabonde lors des grandes cuissons à la fin de l’été. Quant au château du comte Saltafossi, ancien seigneur du lieu, il avait tout bonnement disparu, englouti lors du terrible glissement de terrain de l’hiver 1725, emportant avec lui une bonne moitié du rocher, dont la chapelle qu’avait restaurée saint François d’Assise en 1210.

    Malgré la dense végétation qui recouvrait à présent l’éperon, composée essentiellement de chênes et de robiniers qu’étouffaient d’impénétrables buissons épineux, la cassure en forme de nez grec, au bout duquel pendait un précipice d’une centaine de mètres, était encore bien visible. Personne depuis cette année funeste n’avait osé s’aventurer au fond du Trou. Par respect pour les morts qui avaient été engloutis lors de l’éboulement, six moines et deux familles de paysans dont les corps à jamais enfouis sous les ronces forçaient encore le respect des habitants du lieu, mais également par la crainte qu’alimentaient les histoires les plus drolatiques. Une vieille femme d’un village voisin prétendit un jour qu’elle avait aperçu la silhouette d’un loup aux abords du précipice ; elle l’avait juré sur la mémoire de son pauvre mari. Son témoignage avait été vivement relayé d’une tombe à l’autre du petit cimetière local par les veuves qui s’y retrouvaient les jours de beau temps pour la toilette de leurs pierres tombales, lesquelles affirmaient, qui avoir entendu le hurlement à nul autre pareil de l’animal, qui avoir vu ses yeux rouges ou ses empreintes. Un chasseur découvrit au cours d’une battue, non loin du Trou, d’étranges fumées et les prit pour celles du loup que personne n’avait vu, mais que tout le monde connaissait. S’il se garda bien d’en parler pendant les parties de boules du dimanche après-midi par peur du ridicule, il évita de rire par la suite de ces histoires de bonnes femmes. Personne n’avait encore osé dire s’être trouvé nez à nez avec la bête, mais ce n’était qu’une question de temps.

    Au loup que personne n’avait vu mais dont tout le monde parlait, s’ajoutaient les esprits frappeurs, lesquels contribuaient davantage encore à tenir éloignés du Trou les habitants du lieu. On avait beau savoir ce qu’il en était vraiment, l’explication laissait la porte ouverte à toutes les conjectures. C’étaient principalement les giboulées de grêle, portées par la tramontane certains jours de mars-avril qui, tombant avec force au fond du Trou, faisaient sonner et résonner la cloche d’airain du couvent, aux trois quarts ensevelie. On frissonnait à la ronde d’entendre distinctement ce requiem lugubre et monocorde qui glaçait un peu plus les sangs des veuves, tandis que les maris restés en vie se touchaient visiblement l’entrejambe, geste apotropaïque courant en Italie, censé conjurer les disgrazie, les malheurs de toutes sortes. Et le mauvais sort.

    Sitôt l’intempérie passée, le phénomène acoustique donnait lieu à de sérieuses interprétations divinatoires. À l’épicerie, qui faisait aussi boulangerie, tabac, mercerie et petite quincaillerie, chacun y allait de sa prophétie personnelle, de plus ou moins bon augure selon le jour du mois où était tombée l’averse, et le saint tutélaire inscrit à cet endroit sur le calendrier. Des animaux de la basse-cour au petit bétail, toute la ferme y passait. Et les humains n’étaient pas en reste, à commencer par les femmes enceintes, suivies des personnes âgées, des malades, des infirmes, des enfants turbulents et des jeunes filles aménorrhéiques.

    3

    Quand ils eurent fini de manœuvrer la voiture, elle était en nage. Son petit gilet noué autour du cou, la croupe en bataille, elle avait l’air d’une furie prête à laisser éclater toute sa colère. Il s’en aperçut et se garda bien de dire un mot. Il attendit sans broncher qu’elle monte dans la voiture, regardant ostensiblement par-delà le pare-brise pour ne pas risquer de l’exaspérer davantage. Quand il entendit la portière avant se refermer, il enclencha la seconde, le pied à fond sur l’embrayage, baissa le frein à main, et laissa la voiture prendre son élan. On n’entendait que le crissement des roues sur le chemin de gravier blanc ; dans l’habitacle, pendant que la voiture prenait lentement de la vitesse, elle feignait l’indifférence, comme si la chose ne la concernait pas. Elle sursauta néanmoins lorsqu’il relâcha la pression de son pied sur la pédale de l’embrayage, et que la voiture hoqueta une fois, deux fois, trois fois pour rien. Il réappuya immédiatement sur l’embrayage pour lui faire reprendre de la vitesse, mais la descente s’épuisait déjà : au bord de la ligne blanche du STOP en bas de la côte, la Mercedes eut un dernier sursaut, à vide.

    –Tu n’es bon à rien, mais à rien ! Moi qui suis une femme, j’en sais plus que toi sur la manière de faire démarrer une voiture en descente.

    Il eut à peine le temps de dire :

    –La voiture n’avait pas assez d’élan, c’est pour ça…

    …que la portière lui claqua au visage. Il la vit dans le rétroviseur grimper la côte au pas de charge, et l’entendit par les vitres baissées lui faire un cours de mécanique sur le ton professoral des pimbêches de collège.

    –On lâche l’embrayage doucement, monsieur, tout doucement. Ce n’est pas un tracteur ! Si ça se trouve, tu as noyé le moteur !

    ‒…

    –C’est quand même pas compliqué… doucement ! Qu’elle criait encore presque en haut de la côte.

    ‒…

    ‒ Inepte, va !

    Elle disparut derrière la maison et sa voix se perdit avec elle. Resté seul, il n’essaya pas de téléphoner : au fond du chemin creux où était la voiture, son portable n’aurait capté aucun signal. Il aurait dû sortir, prendre la départementale à droite en direction du village et marcher une bonne centaine de mètres avant de rencontrer un réseau. Et si entre-temps elle était revenue et qu’elle ne l’avait pas trouvé où elle l’avait laissé ? Sa priorité était de rester assis à la place du conducteur, le moindre faux pas aurait mis le feu aux poudres. Il sourit néanmoins en pensant qu’il l’avait échappé belle. Si elle lui avait demandé de téléphoner tout à l’heure pour que quelqu’un vienne les dépanner, il aurait eu droit aux mêmes remontrances que précédemment : depuis le temps qu’elle lui disait de changer son téléphone qu’elle réputait obsolète. Un mot qu’elle utilisait à dessein pour lui signifier, entre les lignes, ce qu’il était devenu à ses yeux : un vieux portable sans aucune utilité, encombrant et disgracieux.

    Pourtant, cela n’avait pas toujours été ainsi. Les scènes de ménage pour un rien, les cris, les vexations n’étaient venus qu’après. Elle l’avait trouvé si moderne dans sa voiture de sport, la première fois qu’elle l’avait vu arriver dans la cour du Château. Oui, car le Castello avait beau ne plus y être depuis deux cent cinquante ans, la cour bordée de maisons en contrehaut de l’éperon portait encore son nom, ce dont les habitants du lieu n’étaient pas peu fiers.

    4

    Elle revint quelques instants plus tard, précédant de quelques mètres le bruit hargneux et rêche du vieux motoculteur de son voisin de père. Il était entre ses deux rangées de vigne, éliminant les grappes à demi mangées, jurant tout ce qu’il savait. Il avait dû laisser son travail en plan et s’en venir chercher son motoculteur dans la remise. Sa voix à elle, suraiguë, couvrait la rouspétance du moteur. Pour gagner du temps, elle exposait al babbo, à son père, lequel avançait tel un automate les deux bras tendus sur le guidon, ce qu’elle comptait faire.

    Arrivée à hauteur de la portière ouverte du conducteur :

    –Allez, descends, cette fois c’est moi qui conduis, dit-elle de ce ton péremptoire qui ne l’agaçait même plus.

    Il s’exécuta, fit mine d’aller serrer la main de son beau-père occupé à manœuvrer son engin pour le positionner dans le sens de la montée. L’étroitesse du chemin creux rendait l’opération longue et malaisée.

    –Bonjour Olindo, je crois que c’est la batterie, eut-il le temps de

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