Éclats de verre
Par Yves Naudon et Christian Perrière
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DES AUTEURS
"Éclats de verre" prend sa source sur les ruines d’anciens sites industriels. Après avoir laissé l’appareil productif se détruire, de hauts potentiels intouchables prennent conscience de son rôle essentiel dans la prospérité de la nation et prônent désormais une réindustrialisation. Forts d’une solide expérience en tant qu’ingénieurs et cadres, Yves Naudon et Christian Perrière créent une entreprise imaginaire et profitent de ce roman humoristique pour se moquer de ceux qui, à défaut de sérieux, se prennent au sérieux.
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Aperçu du livre
Éclats de verre - Yves Naudon
Première partie
Les illusions de la jeunesse
Promesses d’avenirs
Dix-sept ans qu’il attendait.
Enfin !
Après une éternité de souffrances, son nom s’affichait là, en tout petit, mais en lettres capitales, au bas d’une liste interminable qu’il avait parcourue dans l’angoisse quelques minutes auparavant. Et, sous cet ardent soleil de juin, au fond de la cour du lycée professionnel Jeanne d’Arc, devant ce grand mur de béton gris, Christian découvrit le sésame de ses années de pénitence :
Admis
Deux voyelles et trois consonnes qui allaient bouleverser sa vie et qui signifiaient liberté, délivrance, promesses d’avenirs. Cinq misérables petites lettres qui se métamorphosaient en mot de Cambronne pour trancher aussi sûrement que la guillotine avec cette école détestée qui lui avait rendu coup pour coup, encore que le bilan restât à établir.
Il est vrai que le mammouth avait tiré le premier en tentant de l’aplatir dès la maternelle alors qu’il testait une peinture qui aurait pu être du plus bel effet si elle n’était constituée de confiture groseille-cassis et appliquée sur la tête d’une inconsolable camarade de classe. L’infortunée égérie, sans doute mal initiée par l’artiste, s’en était ouverte en pleurs auprès de la maîtresse. La voie hiérarchique parfaitement huilée de l’établissement permit à la directrice de convoquer la mère du garnement le matin du drame pour lui expliquer que lorsqu’un enfant débute ainsi une scolarité, il n’y a malheureusement plus rien à espérer… prophétie pour le moins rapide et brutale, mais qui s’avérerait juste en ce qui concerne son itinéraire chaotique, dans un système éducatif manifestement incompatible, et même hostile, aux amateurs d’une utilisation non conventionnelle des desserts fruités.
C’était si loin !
Son dernier trajet école – maison fut accompli sans qu’il ne s’en rende compte. Il avait déjà mentalement substitué son chemin de gravier serpentant laborieusement autour de sa cité à une autoroute qui l’extrayait à grande vitesse de son bourbier scolaire. L’horizon se dégageait, aucun obstacle ne pouvait dorénavant l’empêcher d’atteindre la cour des grands, celle tant attendue des hommes et du travail.
Quoique.
Cette vision un peu fantasmée de la réalité, exaltée sans doute par la réussite sans précédent de cet examen fraîchement acquis pourrait paraître anachronique tant le contexte général du pays ne se prêtait pas à la moindre euphorie. Politiquement en effet, la gauche, arrivée au pouvoir au début des années 80, avait rapidement renoncé à ses idéaux et à son paradigme de gestion financière vaincus par l’inflation galopante, la crise de l’emploi, le manque de croissance, les dévaluations répétées, l’échec de la relance. Elle avait finalement préféré briser les clivages socioéconomiques habituels par le virage de la rigueur, se détournant des rêves d’une classe ouvrière qu’elle abandonnait au profit d’une catégorie plus favorisée.
Si de plus, comme Christian, l’on habite un village paumé de la Loire, bien loin de Saint-Étienne et son emblématique stade de foot en cette fin de décade, il serait effectivement plus sage de relativiser ses espoirs et perspectives. L’économie de la région plonge depuis vingt ans et l’ensemble des domaines d’activité est confronté à un effondrement majeur. La désindustrialisation a produit sa cohorte bien connue de ravages. Le chômage avait bondi pendant que la ville perdait dix pour cent de ses paroissiens, qui avaient fui la paupérisation. L’ancienne puissance métallurgique incluant les fonderies, les aciéries, les ateliers de grosse mécanique avait quasiment disparu, tout comme le traditionnel secteur des mines, et ne parlons pas du textile.
L’environnement lui-même évoluait. Si la marque du charbon persistait par son empreinte noire sur les murs de la cité, avec ses crassiers encore stériles à toute végétation, d’immenses friches industrielles venaient maintenant s’ajouter à cette désolation, apportant une touche quasi surnaturelle les soirs brumeux d’hiver.
Même l’ASSE, redescendu brièvement en deuxième division, avait perdu son ange vert parti pour le PSG… De toute façon, en l’absence de prédisposition à la maîtrise du ballon rond, il demeurait préférable d’envisager la réussite de ses projets personnels comme la consommation de sucreries : avec modération. L’horizon de Christian se dégageait, certes, mais le paysage qui se dessinait semblait tout aussi angoissant que le brouillard qui le précédait.
L’annonce
Sa famille était ainsi originaire d’une charmante bourgade joliment arborée en bordure de fleuve, enfin pour être précis au bord du ruisseau qui se déverse dans une rivière qui se jette ensuite dans la Loire 50 kilomètres plus loin, le tout en pleine forêt et en limite de district, près à basculer en Haute-Loire ou en Ardèche au moindre éboulement de terrain. Ils habitaient au dernier étage d’un vieil immeuble qui en comptait quatre. Celui-ci était situé tout près d’une verrerie où son père avait été embauché au retour de son service militaire et qui allait rapidement, sans qu’il le sache encore, devenir son quotidien professionnel.
Après avoir survolé les niveaux d’escaliers constitués d’une pierre qu’il pensait aussi grise que ces années passées, Christian entra triomphalement dans l’appartement familial en exultant dès le seuil franchi :
Un hurlement accompagna l’apparition de Denis. Quelques enjambées le projetèrent dans les bras de son frère.
C’était ainsi le premier à obtenir un diplôme. Non qu’ils n’en possèdent les capacités, la vie n’avait tout bonnement pas permis à ses parents de s’asseoir confortablement sur les bancs de l’école. Comme toute une génération née juste avant-guerre, le travail s’imposait souvent dès que le compteur d’âge franchissait deux chiffres.
Une famille simple.
Son père, le Dudu, avait sans même le certificat d’études, intégré la verrerie proche et ne l’avait jamais quittée. Il en était devenu un responsable de production aimé autant pour ses compétences professionnelles que pour ses qualités humaines.
Il avait réussi à installer son foyer dans un des bâtiments avoisinants à l’entreprise depuis une bonne vingtaine d’années et l’appartement était maintenant totalement remboursé. Autrefois, toutes les habitations du quartier faisaient partie du patrimoine de la fabrique, qui en garantissait l’entretien du temps de sa splendeur. Malheureusement, les périodes de crises et de gestions déshumanisées avaient eu raison du système. Le groupe industriel auquel appartenait l’usine avait au bout du compte renoncé à la conservation de l’ensemble immobilier en donnant toutefois priorité à ses occupants lors de la cession.
La mère, appelée discrètement « la Clodette » pour des motivations mystérieuses, mais assurément sans lien avec les danseuses de Claude François, avait l’apparence d’une faible femme, frêle, aux cheveux courts et au visage faussement doux. Travailleuse infatigable, elle s’était dévouée à son époux et ses enfants, ce qui ne l’empêchait pas de réaliser régulièrement des heures de ménage chez quelques particuliers fortunés pour arrondir les fins de mois. Elle n’avait jamais manqué d’ambition, mais l’approche désespérément conventionnelle de la vie par son mari – un ouvrier restera toujours un ouvrier – contrecarra ses rêves secrets.
Elle plaça alors toutes ses attentes dans ses deux fils, mais se résigna une nouvelle fois devant l’évidence, l’un comme l’autre, inconscients des enjeux scolaires, avaient préféré la cabriole à l’école.
Sa résignation n’empêchait pas sa rancune, tenace, dont elle ne se libérait que par des propos venimeux dès que l’occasion se présentait.
Denis, le frère unique et jumeau, avait rapidement quitté le collège pour naviguer entre apprentissages divers et pratique intensive du water-polo. Un domaine où il brillait plus que son double. Il comptait d’ailleurs mettre à profit ses talents hydrophiles pour en réaliser un jour son métier. Maître-Nageur-Sauveteur. MNS, ça sonnait bien ! Même si Denis ne manquait ni d’audace ni de personnalité, il n’avait pas osé faire de l’ombre à l’ascension de Christian brillant de réussite à l’épreuve du panneau d’affichage.
Et lui, enfin. Christian !
En son for intérieur, la mère ne décolérait pas. Curieusement, la réussite de cet examen, plutôt que la réjouir, la plongeait irrémédiablement dans ses souvenirs les plus pénibles.
Pour elle, tout avait mal commencé très tôt, avant même la naissance du bougre, avec l’approche délicieusement psychologue d’un médecin, qui avait annoncé au jeune couple après avoir ausculté la future maman, qu’il s’attendait soit à un monstre soit à des jumeaux.
La mi-juillet donna le jour à deux magnifiques bambins dont l’un, malheureusement gaucher, demeurait la preuve indéniable selon sa mère, que le docteur ne s’était pas complètement trompé.
Alors que peut-on faire lorsqu’on est bon à rien et gaucher de surcroît ?
Une carrière artistique ?
Celle-ci s’était arrêtée net autour de ses huit ans, à la minute où il testait son art débutant avec des éclats de briques rouges sur les portières blanches de la voiture flambant neuve du paternel. Le Dudu, pourtant d’une gentillesse et d’un calme héroïque, avait perdu le sourire à la découverte de l’œuvre. Il l’avait d’abord recherché en vociférant, puis l’apercevant, tenta de le rattraper en courant, hirsute, la face écarlate, la bave aux lèvres et un cric à la main ; ce dernier sans doute utile à une explication sur la métaphore de l’ascension, des progrès restants à accomplir dans le domaine symbolique, à moins que l’idée dominante ne s’appuie sur une irrésistible envie de l’assommer.
Christian, qui n’était pas dépourvu d’intuition, se doutait que l’addition des facteurs injures et objet contondant ne pouvait que s’accompagner de bleus. L’heure était à la fuite.
Cet épisode lui permit de réaliser pour la seconde fois, après celui plus ancien de la confiture, que sa conception trop avant-gardiste de l’esthétique n’était pas une voie à défricher plus avant, tant le delta d’incompréhension pouvait se retrouver important et dans certains cas se révéler potentiellement dangereux.
Un métier de bouche alors ? Et pourquoi pas cuisinier ?
La cause avait été entendue un 24 décembre en soirée. En prévision des fêtes de fin d’année, la Claudette avait acheté à prix d’or un magnifique et énorme bloc de foie gras. Le trésor, élaboré par un éleveur-charcutier de ses connaissances, attisait sa convoitise depuis des années. Toute la région salivait des recettes du commerçant et en bonne mère de famille responsable, la vieille avait décidé après mûre réflexion, qu’exceptionnellement, ils découvriraient tous ensemble les saveurs d’un mets de riche à l’occasion du repas de réveillon.
Le matin même, elle était revenue précipitamment du travail déposer sa surprise au réfrigérateur. Comme pour un bijou entreposé au coffre et que l’on vient d’acquérir, elle était pressée d’en vérifier la présence le soir en rentrant.
La terrible nouvelle se révéla graduellement :
Elle s’étonna de ne pas le retrouver immédiatement, à l’emplacement exact posé au matin.
Méthodiquement, elle vérifia tous les compartiments du frigo.
Calmement, elle inspira longuement, l’idée d’un vol paraissant ridicule.
Doutant soudainement d’elle, elle crut l’avoir oublié pendant son trajet matinal, entre le magasin et la maison ; l’espoir revint alors qu’elle se revoyait mentalement poser son précieux sur l’étagère des fromages.
Lentement, comme si elle repoussait déjà inconsciemment l’inéluctable, elle déplaça et vérifia à nouveau l’intégralité du contenu de la chambre frigorifique. Une blague des jumeaux expliquerait tout…
Fébrilement, elle se retourna et tout en claquant la porte du meuble, parcourut du regard la cuisine. Rien. Rien. Rien.
Tremblante, elle s’accrochait à l’espoir fragile d’une fin heureuse en arpentant la pièce de long en large, ouvrant une fois encore les placards à la volée. C’était une farce, tout allait s’arranger.
Le coup de grâce lui fut porté en écartant le rideau sous l’évier. Elle reconnut instantanément le torchon à petits damiers rouge et blanc utilisé spécifiquement pour l’occasion et qui enveloppait il y a peu son cadeau de Noël. Il gisait là, abandonné, recroquevillé au plus profond de la poubelle. Sur le côté, restaient dans la gamelle du chien, quelques minuscules morceaux, dont la couleur caractéristique la fit tressaillir. Elle s’en approcha, l’odeur la stupéfia.
Un fou. Seul un fou avait pu se laisser aller à cette abjection. On avait donné le foie gras au chien. L’irrationalité la gagna. Fallait trouver le coupable. Le dépecer, l’interner à jamais, l’embastiller, le priver de tout, le déchoir de sa nationalité, l’empêcher de se reproduire, le couler en pleine mer, le marquer au fer rouge, rouvrir Cayenne.
Son dernier espoir, en s’évanouissant, avait donné naissance à une colère que seuls la recherche puis le châtiment sans jugement du dément pourraient atténuer.
Retrouver le Dudu certainement au bistro, tendre un piège aux jumeaux, faire parler le clébard, ne rien laisser au hasard.
La soirée se montra aussi sombre que la vérité. Christian avoua sans remords qu’il avait agi comme n’importe qui de sensé l’aurait fait à sa place. À la recherche d’un yaourt en fin d’après-midi, il avait découvert un morceau gluant, jaune, enveloppé d’un vieux chiffon au fond du réfrigérateur. Il aurait, semble-t-il, rendu service à tout le monde en jetant cette déjection à la poubelle, le chien s’étant chargé du reste.
En