Puisque l'obscurité
Par Baptiste Luaces
()
À propos de ce livre électronique
Le PRP, un parti d'extrême droite accède au pouvoir.
Dans la nuit, de terribles pogroms éclatent. Ils annoncent l'avènement d'un régime autoritaire, ségrégationniste et violent.
Kiran, pour sauver sa famille, doit fuir un pays devenu méconnaissable. Quinze ans plus tard, Rima, hantée par un passé qui ne lui appartient pas tout à fait, tente de recoller les morceaux de sa mémoire et de son identité. À travers son journal, elle évoque ses blessures, sa fragilité, et l'amour qui, peut-être renaît.
Parallèlement, la jeune femme mène une série d'entretiens avec Martin Scrivia, ancien ministre du régime déchu. Il livre une vérité brutale et des justifications bancales. Ce qu'il reste de lui, après.
Trois voix. Trois récits.
Un roman épistolaire bouleversant, qui interroge la mémoire, le mal, et les cicatrices laissées par les tragédies intimes et collectives.
Comment vit-on après l'horreur ? Peut-on encore aimer, comprendre, transmettre ?
Après "Une étoile filante", Baptiste Luaces signe un deuxième texte plus personnel. Dans "Puisque l'obscurité", il explore sans détour ses angoisses et interroge notre fragilité, notre résilience et cette part d'ombre tapie en chacun de nous. Une œuvre profondément humaine, traversée par des lumières et des failles.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Baptiste Luaces a été baigné dans l'univers de la littérature depuis tout petit. Son amour des lettres l'a conduit à rédiger de façon informelle depuis l'enfance des poèmes, des chansons et des nouvelles. Il a grandi sur l'île de La Réunion et exerce aujourd'hui la médecine dans un petit village du Lot-et-Garonne. Demeuré grand lecteur, il écrit désormais de façon plus régulière.
Lié à Puisque l'obscurité
Livres électroniques liés
Le silence de Jimmy: Un roman poignant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe sourire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPoupées de cendres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDouleurs et drames de nos vies Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNuits Blanches Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL' INVENTION DE LA TRIBU Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBrille encore ( un peu ) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRencontre dans un jardin: nouvelles illustrées arrosées d'un soupçon d'étrangeté Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEmmenez-moi toucher l'horizon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationD'abord derrière les roses: Journal d'un vieillard Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNe m’oubliez pas Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEncore quelques instants Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationJe ne serai jamais loin… Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationArrêt à Ré Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationIncertitudes... Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe parfum des pins Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe monstre à deux têtes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne AME SUFFIT Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes graviers blancs Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationChroniques par petits bouts…: … décousus Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMaman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFuir encore: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBreizh vindicte: Crève sur la grève Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Maisons Bleues Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSens-Tu Mon Coeur Battre ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationImagine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFenêtres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Enflammé Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn oiseau sur l'épaule Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMarine et Lila: Un roman sur l'amitié à l'épreuve de la maladie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction historique pour vous
La Sorcière - Version intégrale (Livre I-livre II) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLES SOEURS DEBLOIS, TOME 1: Charlotte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Rougon-Macquart (Série Intégrale): La Collection Intégrale des ROUGON-MACQUART (20 titres) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Comte de Monte-Cristo - Tome I Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Un Conte de deux villes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Légende du Roi Arthur - Version Intégrale: Tomes I, II, III, IV Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNouvelles de Taiwan: Récits de voyage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Garage Rose, tome 1 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Quand l'Afrique s'éveille entre le marteau et l'enclume: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa guerre du feu Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5La Quincaillerie J.A. Picard & fils: Place des Érables, tome 1 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Histoire du Moyen-âge Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Trésor des Cathares: Rennes-Le-Château ou Montségur ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Misérables: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe dernier feu: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Noble satyre: Une romance historique georgienne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMathilde Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLA PROMESSE DES GÉLINAS, TOME 2: Édouard Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5LA PROMESSE DES GÉLINAS, TOME 1: Adèle Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Sa Duchesse, suite du Noble satyre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSon Duc, suite de Sa Duchesse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPetit abécédaire d'étonnements Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadame Chrysanthème: Récit de voyage au Japon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Comte de Monte-Cristo - Tome IV Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Fille de Joseph, La, édition de luxe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVingt ans après Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu fil du chapeau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Saignée: Les Soirées de Médan Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe café Procope Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Puisque l'obscurité
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Puisque l'obscurité - Baptiste Luaces
(Extrait de « Radioscopie d’un monstre ?
Entretiens avec Martin Scrivia. » 2044. Belkacem R.)
Repères chronologiques
•Juillet 2024 : Le Président de la République française dissout de manière anticipée l’Assemblée nationale. La coalition des gauches obtient une majorité relative.
•Juillet 2024 : Malgré sa victoire aux élections législatives, l’Union des Gauches est écartée du pouvoir au profit d’un gouvernement marqué à droite. S’ensuit une instabilité persistante de l’Exécutif.
•Juin 2026 : Dans un contexte de crise sociale (hyperinflation, paupérisation généralisée…) et d’instabilité institutionnelle, des manifestations quotidiennes sont organisées dans toute la France. Un gouvernement d’« Union Nationale » est formé. Il compte en son sein des représentants issus de la plupart des courants politiques du pays, depuis le « Parti pour le Rassemblement Patriotique » (PRP) classé par les observateurs à l’extrême droite jusqu’à la gauche dite modérée.
•Septembre 2026 : sous pression des ministres PRP, la peine capitale est réintroduite en France.
•3 décembre 2026 : ces mêmes ministres démissionnent, dénonçant « le laxisme et l’indigence de la politique migratoire et sécuritaire d’un gouvernement fantoche [qu’ils ne veulent] plus cautionner par [leur] présence ».
Kiran, 2034.
1. JOUR J-12
Raïssa. Ma fille.
Vient pour moi l’heure de débuter ce récit et je ne sais comment l’entreprendre. Comment dire. Comment raconter.
Les immenses malheurs.
Ceux de la minuscule histoire de Kiran Zaneguy. Cet homme naïf qui ne nourrissait d’autre ambition que celle d’une vie simple et heureuse.
Anecdotiques.
Les immenses malheurs.
Ceux de la marche infinie de l’humanité. Qui l’ont fait trembler sur son socle. Presque chavirer.
J’écris. Par correction envers toi. Moi qui n’ai jamais su t’accompagner, je te dois au moins la vérité.
Non !
Me voilà encore pris à fabuler. À travestir.
LA vérité n’existe pas. Je ne peux que t’en offrir un avatar.
Partial.
Imparfait.
Je garde l’espoir que tu essaies de comprendre. Un peu. Que tu explores la possibilité d’un pardon. Un jour lointain peut-être. Lorsque le temps aura passé. Lorsque je ne serai plus que poussière. Un souvenir.
Égoïsme ordinaire ? Peut-être.
Je sais que ces mots te seront pourtant indispensables. Pour avancer. Pour te construire. Pour survivre…
Je ne saurais débuter autrement que par l’accident.
L’accident.
Ce moment où toute lumière s’est éteinte pour moi. J’ai souvent repensé à la manière dont une existence peut se briser. À quel point le quotidien est chose précaire. À quel point le bonheur demeure hasardeux. Comment une fraction de seconde bouscule notre monde.
De tout à rien.
À cette époque, notre rituel du dimanche matin consistait à feindre de dormir le plus longtemps possible, jusqu’à ce que l’autre (ta mère ou moi) finisse par céder et se rende à la boulangerie. Nous déjeunions ensuite tous les cinq autour d’une table où se mêlaient les taches de gras sur la nappe, la lumière blanche du soleil à travers la vitre et l’odeur sucrée teintée d’amertume du chocolat chaud. Les rires aussi. Si l’expression être heureux revêt une signification, elle demeure pour moi accolée à ces moments fugaces.
Ce jour-là, mon opiniâtreté à mimer le sommeil avait eu raison d’Houria qui s’était levée, tout en maugréant un peu pour la forme. Tes deux frères étaient déjà debout, mais seul Sofian se proposa de l’accompagner.
Revivant encore et encore, avec toujours plus de douleur ces instants où tout aurait pu advenir différemment, j’en suis venu à la conclusion que nos existences ne sont que de ridicules coquilles de noix au milieu d’une tempête déchaînée. Contre laquelle nos volontés ne peuvent rien. Ou pas grand-chose. Cette réflexion, telle une pensée magique m’a aidé à ne pas perdre définitivement la raison.
Sans doute ne gardes-tu pas un souvenir net de ce qui a suivi, mais cela t’a été conté tant de fois que je ne t’apprendrai rien. La voiture conduite par un fêtard qui n’avait cessé de boire toute la nuit, l’attente de leur retour vite remplacée par l’inquiétude, puis le coup de fil du gendarme au moment où je m’apprêtais à partir à leur recherche. Sofian est mort sur le coup, Houria dans l’ambulance du SAMU. Le chauffard aussi.
Quelques jours plus tard, notre famille amputée « célébrait » ton anniversaire. Celui de tes six ans. Ce soir-là, tu te réveillas en pleine nuit. En m’asseyant sur le rebord de ton lit, je lus dans ton regard une gravité que je ne reconnus pas. Qui me fit un peu frissonner, à vrai dire. Je me rappelle encore avec précision les mots que nous avons échangés : « Tout va bien ma grande. Ce n’est qu’un cauchemar.
— Papa, il faut que je te pose une question. C’est effrayant de mourir ?
Effrayant. Je ne me doutais même pas que tu connaisses ce mot. Mes yeux s’emplirent de larmes.
— Eh bien… je ne sais pas. Mais toi, tu ne vas pas mourir.
— Je ne parle pas de moi. Mais je suis un peu rassurée que maman accompagne Sofian. Il aura moins peur. Il est courageux, mais il n’est pas encore un adulte. »
J’ai traversé les jours qui ont suivi tel un automate. J’ai contacté les pompes funèbres, sélectionné les cercueils, signé les papiers, essuyé vos larmes, retenu les miennes, subi les condoléances sincères ou affectées.
J’ai tenu la barre.
Tout cela sans ne cesser une seule seconde d’éprouver la sensation de ne plus exister. Une âme damnée contrainte de demeurer sur terre.
Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est un chien qui m’a extrait de cet état de stupeur.
Le déclic. Comme si l’animal avait enclenché le commutateur.
Je ne parle pas de bonheur, je ne l’ai plus jamais approché depuis l’accident. Mais d’une existence. Un ersatz. Suffisamment bien imité pour qu’Ikram et toi retrouviez un père. Le début du commencement d’une ébauche d’un mieux.
Pas grand-chose.
Toujours plus que le néant.
Un vendredi soir, vers dix-neuf heures trente. Ikram t’avait récupérée à l’école et prenait soin de toi jusqu’à mon retour du travail. Il demeurait un grand frère exceptionnel. Lui qui avait pourtant perdu si douloureusement le sien.
Je me trouvais dans ma voiture, en chemin pour la maison. À la sortie d’un virage, je le vis. Sur la chaussée. Le chien le plus vilain que tu puisses imaginer. Un air très éloigné du Labrador. Jaune, des poils longs et ébouriffés, court sur pattes. Une unique oreille. Je klaxonnai pour le faire fuir. Il ne bougea pas. Il se tourna dans ma direction, affublé d’un regard — que j’ai interprété comme — suppliant.
Je me suis toujours opposé à l’idée d’adopter un animal de compagnie. Je n’ai jamais entendu l’utilité de se rajouter un fil à la patte lorsque l’on croule déjà sous des obligations diverses et variées. Voilà peut-être la seule source de conflit que je n’ai jamais entretenue avec ta mère. Elle fantasmait un foyer empli de chats, de chiens, de hamsters, de lapins et de poules. Arguant une allergie de circonstance… je n’avais jamais cédé. Et là, devant ce pitoyable clebs de couleur canari, je n’hésitai pas une minute. J’ouvris la portière. Il monta.
À sa vue ton frère et toi bondîtes comme des marsupiaux survoltés. Pour la première fois, des rires se frayaient à nouveau un étroit passage dans notre maison. Durant quelques secondes, peut-être des minutes, notre grande peine se tut. Elle demeura tapie dans un coin. Prête à mordre de nouveau, mais édentée en l’instant. Nous avons côtoyé la joie. J’écris ces mots le sourire aux lèvres tandis que des larmes roulent sur mes joues.
Ambivalence du moment : dans cette liesse éphémère, j’entraperçus la vie que nous aurions dû avoir.
Qui nous avait été arrachée.
Après m’être assuré au moyen d’une petite enquête dans le voisinage, ainsi que chez le vétérinaire que le chien n’appartenait à personne, je pris la décision de le nommer « Corniaud ». Une raison simple et pragmatique avait guidé mon choix : il possédait très objectivement une tête de corniaud. Ikram et toi n’ayant aucune idée de la signification du mot, vous n’y avez pas vu malice. Peu à peu, Corniaud et moi sommes devenus très proches. Presque inséparables. Il s’est mué en une sorte de bouée de sauvetage à laquelle je me suis accroché.
Il dormait au pied de mon lit, il me suivait partout dans la maison et lorsque j’effectuais des visites au domicile de mes patients, il m’accompagnait dans la voiture. Sans que je ne puisse l’expliquer, je crois aujourd’hui que ce chien m’a permis de percevoir que la vie ne pouvait simplement pas s’arrêter. Qu’avec deux enfants à charge, cela s’avérait impossible. Alors contre toute attente, je me suis relevé.
Péniblement.
Maladroitement.
Imparfaitement.
Bancal, mais debout.
J’ai refait couler du café le matin. J’ai à nouveau repassé mes chemises. J’ai tenu ta main pour t’accompagner au portail de l’école. J’ai shooté dans un ballon avec Ikram. J’ai cuisiné des gâteaux. J’ai pris du plaisir à les manger.
Peu à peu.
Jour après jour.
Marche après marche.
Tout s’est déroulé comme dans ces livres de psychiatrie que j’avais étudiés sur l’acceptation. Oui, j’ai accepté. Et vous aussi, en quelque sorte. Bien sûr, l’eau nous semblait moins fraîche, le miel moins doux, les couleurs moins vives et le temps plus long.
Mais nous avons survécu.
Ensemble.
Je ne pouvais alors imaginer que nous ne faisions qu’entamer notre chemin de croix.
Voilà donc comment j’ai choisi de débuter l’histoire que je désire te livrer.
Choisi ? Mais en quoi ai-je seulement choisi ?
Comment tenter de décrire le tableau sans en évoquer l’esquisse ?
Selon moi, tous les évènements dramatiques qui ont suivi étaient déjà contenus dans ce sombre dimanche.
Tout le reste aura uniquement consisté à en dérouler le fil.
N’aie crainte, je ne compte pas me soustraire à ton jugement. Mais avant de poursuivre, je m’aperçois que je ne t’ai rien dit de mon enfance. Ni de la rencontre de tes parents. Leur amour. Tes origines. Tu étais trop petite pour cela, et moi trop vieux.
Trop cabossé.
Il s’agit pourtant d’une belle histoire.
Un rêve brisé demeure un rêve.
Un espoir anéanti,
un espoir.
Rima, 2042.
1. Candide Crush
Et j’ai des centaines de flèches dans le cœur
(tu m’entends, tu m’entends ?)
Et j’ai des millions d’envies de te plaire
(vraiment, vraiment !)
Flirt, je m’allume, on devient insouciants
Sur le bitume, on sourit un instant
Thérapie Taxi
Chère Raïssa,
Ce matin en me rendant au journal tandis que j’écoute d’une oreille distraite la radio, je tombe sur l’interview d’une écrivaine. J’augmente le volume parce que j’adore ses bouquins. Pourquoi ? Hum… dur à expliquer.
Lorsque je la lis, je vois une puncheuse sur un ring et j’assiste à son combat.
Dit ainsi, cela sonne bizarre et je délire probablement. Je ne fais que partager une sensation. Cette femme tape juste. Au risque d’éclabousser. Elle n’affecte pas, ne grime pas, ne soudoie pas ses lecteurs. Elle fait mine de ne pas se soucier d’être aimée (forcément ça m’impressionne !).
C’est une écrivaine.
Bref, elle explique comment elle s’est mise à rédiger un journal intime. Pour une amie imaginaire qu’elle avait prénommée « Julia ». Elle a commencé le jour de ses 12 ans, je crois. Entendre cette dame respectable qui doit bien avoir soufflé ses 70 bougies raconter son carnet d’adolescente, je ne sais pas, ça me touche. Elle a poursuivi cet exercice jusqu’à un âge avancé. La trentaine. Dans ces eaux-là. Alors évidemment, je me sens moins ridicule à me lancer là-dedans et à partager avec toi, Raïssa — mon amie imaginaire —, mes petits tracas de jeune adulte un peu paumée. J’ai constaté à plusieurs reprises qu’écrire apaisait mes angoisses…
Quelques mots en guise de présentation : je m’appelle Rima Belkacem, je viens de fêter mes 23 ans et je vivote en vendant quelques piges à « Sud-Ouest ». En vérité, je survis surtout grâce à mon boulot de serveuse. Dans un bar à Agen.
J’ai grandi à l’île de La Réunion et j’ai débarqué en France pour étudier le journalisme.
J’ai l’objectif chevaleresque. Quichottien. Devenir une reporter reconnue, mais surtout crainte des puissants de notre monde : révéler des scandales, faire tomber des politiciens corrompus, écrire des portraits sans concession de personnages contemporains importants. D’ailleurs, je débute un gros truc en ce moment, mais je t’en parlerai plus tard.
Le problème pour faire preuve de franchise, c’est que les rares articles que je signe concernent plutôt la sardinade annuelle de Mézin, les dimensions du dernier silure pêché à Colayrac (2,41 mètres tout de même !) ou la fête donnée pour la doyenne de Laparade (106 bougies soufflées en novembre).
Ma meilleure pote se nomme Augustine. Je la connais depuis que je suis arrivée à Bordeaux pour débuter mes grandes études de grande journaliste. Mais ce n’est pas à l’école que nous nous sommes rencontrées, c’est dans le premier bar où je bossais à l’époque. Elle pour patienter avant de devenir comédienne, moi pour payer mon loyer en attendant mon prix Pulitzer.
Bref, deux galériennes dans la ville immense.
À cette époque, je dessinais le projet de changer le monde, elle, cherchait plutôt à changer son propre monde. Ce qui constitue déjà un bon début.
Augustine ne parvenait pas à percer à Bordeaux, alors j’imagine qu’elle s’est dit « tiens si j’allais tenter ma chance dans le grand centre névralgique de la culture que représente Agen ». En vrai, je pense que lorsque j’ai déniché ce boulot de pigiste dans la ville du pruneau, elle ne s’est pas sentie de continuer toute seule. Elle a préféré me suivre. On se serre les coudes quoi. Elle a dégoté une troupe ici, avec laquelle elle répète plus qu’elle ne joue. Mais bon, il paraît que c’est normal. Au total, elle bosse toujours avec moi dans le nouveau bar. Rien n’a vraiment changé excepté le fait que nous nous trouvons maintenant dans un bled moins grand, moins animé, et objectivement moins sympa.
Deux galériennes dans la petite ville.
Je n’oublie pas Marcus. Cela fait environ six mois que nous sortons ensemble après avoir partagé une amitié on ne peut plus platonique pendant quelque temps. C’est un gros gaillard enrobé. Gentil.
Non.
Le plus gentil du monde.
Il termine ses études en informatique. Je ne peux pas t’expliquer exactement en quoi ça consiste, mais lorsque mon traitement de texte foire il me le répare en moins de dix minutes. Présenté ainsi, tu comprends que nous ne vivons pas une romance passionnée. Moi cela me convient très bien. Je ne cherche pas le grand amour. Ni même le petit. Je ne cherche rien.
Une présence.
Le truc, c’est que lui semble un peu plus épris de moi. Augustine dit qu’il est « complètement accroc ». Ne prends pas pour argent comptant tout ce qu’elle raconte. Mais oui, j’agirais de façon plus honnête en lui révélant mes sentiments. Leur absence, en l’espèce. En théorie, c’est ce que je devrais faire. En pratique… Bon ben autant être sincère, je manque de courage. On s’entend bien, il est cool, il cuisine comme un chef. Ça me convient quoi.
Tout à l’heure, en évoquant le journalisme, je t’ai dit que je m’étais lancé e sur « un gros truc ». Eh bien voilà : je vais écrire un livre d’entretiens avec Martin Scrivia. Pour te la faire courte, le type peut difficilement être décrit d’une autre manière que comme une putain d’ordure. Ministre PRP après l’élection de 2027, il a ordonné de nombreux massacres. Je sais de source sûre qu’il s’est aussi personnellement sali les mains. Bien sûr, il a été jugé à la chute du régime. Il a évité la peine capitale uniquement de peu et a été condamné à 30 ans ferme. Mais l’an dernier, ils ont pondu leur grande loi de « Réconciliation nationale » et ont décidé qu’il était temps de tourner la page. Ils nous ont expliqué que le moment était venu de libérer les « prisonniers politiques ».
Prisonnier politique ? On se fout du monde ! Un criminel plutôt ! Dans le genre efficace, j’avoue. Une crapule performante quoi.
Enfin bref. La rédaction de « Sud-Ouest » a publié un article sur lui. Voilà de quelle manière j’en ai entendu parler. Il purge sa peine à Bordeaux et va sortir dans quelques semaines. Il revient vivre dans le village de ses parents. Un bled à 20 bornes d’Agen dans lequel il a grandi. Un bled que je connais un peu aussi…
Je lui ai écrit lorsqu’il se trouvait encore en taule, et il a accepté le projet ! Pourquoi avoir refusé toutes les propositions précédentes d’interview ? Aucune idée. Peut-être a-t-il considéré le temps venu pour lui de se mettre à table. En vrai, je me tape de ses raisons. J’ai déjà choisi le titre du bouquin : « Radioscopie d’un monstre ? ». Ça claque, non ? Oui, ça claque ! Surtout le point d’interrogation à la fin. Je crois, enfin j’espère que ce livre trouvera un public à un moment où certains tentent de faire comme si rien ne s’était déroulé. Ça a eu lieu il y a moins de quinze ans bordel ! Et puis, d’un point de vue plus personnel, j’aimerais comprendre aussi. Qu’est-ce qui peut bien se passer dans le crâne d’un type lambda, un minable ordinaire qui le pousse à devenir une telle bête féroce.
Mais vais-je pouvoir affronter ? Cette violence sans borne, cette crasse, cette… dégueulasserie. En même temps, j’ai déjà trop reculé. Le temps est venu de regarder dans les yeux cette partie de mon histoire.
Je vais tout de même tenter d’achever cette première lettre à mon amie imaginaire sur une touche un peu plus légère. Moins de massacres, moins d’assassinats, moins de sang. C’est sympa aussi…
Il s’agit d’un truc qui m’est