À l'ombre de l'Arole
Par Janie Ansermot
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À propos de ce livre électronique
Hymne à la vie simple où peuvent éclore l’espoir, le respect et la tendresse.
Un roman qui se respire, et se goûte aussi.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Janie Ansermot, née de Kalbermatten, est originaire de Genève. À 19 ans, après quelques années à étudier l’art dramatique, elle s’envole pour Montréal en quête de nouvelles expériences théâtrales. Dix ans plus tard, elle revient, la nationalité canadienne en guise de souvenir. Mais c’est proche de Vevey qu’elle pose ses valises et fonde sa famille, tout en gardant de solides attaches familiales à Genève. Ce livre est son premier roman.
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Aperçu du livre
À l'ombre de l'Arole - Janie Ansermot
Paul
Refuge Diavolezza
Haute-Engadine, Grisons, Suisse
Carnet de course du vendredi 2 mars 2004:
• Montagne: Piz Palü
• Sommet oriental: 3 882 m
• Degré: D+
• Rocher: bon sens de l’itinéraire et maniement de corde efficace sont nécessaires, longs passages d’escalade, demandant le plus souvent l’assurage avec relais.
• Pentes très raides, nombreuses crevasses, rimaye continue.
• Météo: soleil, vent fort au sommet, temps doux pour la saison.
• Durée et dénivelé: depuis la cabane 4-5h d’ascension 1’150m - 3h de descente 1’150m.
• Points à surveiller: labyrinthe de crevasses.
• Meilleurs souvenirs:
Fin d’après-midi, nous atteignons le refuge Diavolezza. Fatigue, et soif étanchée par quelques bières que mes clients savourent après leur semaine de travail à Pontresina. Le dernier téléphérique est parti, emportant sa foule de touristes de passage et le refuge s’apaise, enfin.
Mes épaisses semelles résonnent sur les planches de bois de la terrasse. J’observe les choucas à bec jaune jouer avec les bourrasques du soir. Admiration. Liberté absolue. Je contemple les ombres et les lumières qui se dessinent entre la neige et la roche. Je ferme les yeux pour mieux te sentir; ma montagne.
Puissante, rassurante, monstrueuse. Exigeante et autoritaire. Tu nous accueilles sur ton territoire tels que nous sommes, pour partager un moment d’éternité.
Dès que le soleil a décoché son dernier rayon, les degrés chutent et nous rentrons manger; gratin de pâtes, lardons et haricots secs. J’affectionne la camaraderie qui règne entre les marcheurs; à chaque nouvelle course, un nouveau groupe, de nouvelles histoires. Des hommes et des femmes venus relever un défi, car c’est toujours pour repousser une limite qu’ils prennent un guide. Pour aller un peu plus loin, un peu plus haut.
C’est un privilège d’être le spectateur des plus grandes émotions humaines. C’est pour cela que je suis devenu guide; un pont entre la montagne et les hommes.
Je rappelle à l’ordre une dizaine de trentenaires, plus âgés que moi. Il est temps d’aller dormir, car demain nous attend le Piz Palü qui culmine à trois mille neuf cents mètres d’altitude. Sa voie d’accès n’est pas difficile, son intérêt réside dans l’ascension de trois splendides pics; l’une des plus imposantes et plus belles formations montagneuses des Alpes, qu’on surnomme le Palais d’argent.
Pendant que mes clients se préparent pour aller dormir en chahutant comme des gamins, je sors contrôler une dernière fois le matériel. Cordes, crampons, harnais, piolets. À chaque sortie, mes mains et ma tête reproduisent un enchaînement de règles de sécurité que j’ai répétées maintes fois lors de ma formation.
Je me glisse dans mon sac de couchage, faisant une dernière fois le parcours mentalement. Environ cinq heures de montée et trois heures de descente jusqu’à la cabane, puis trois heures jusqu’au village. La météo n’annonce rien qui puisse mettre en péril notre expédition. Je me garde seulement de ne pas redescendre trop tard dans l’après-midi, lorsque les ponts neigeux sur les crevasses des glaciers ramollissent. Une neige abondante est tombée il y a trois jours et risque d’avoir effacé les traces des cordées précédentes. Le temps qu’il me faudra pour trouver un bon itinéraire entre les séracs de la Cambrena me fait avancer le réveil à 5 heures.
L’équipe est motivée et l’humeur est joviale. Malgré quelques passages techniques, ils s’en sortent très bien. Moments forts; lever de soleil et passage de la crête entre deux pics. Cris de joie et tapes dans le dos de satisfaction. Tout va bien. Quelle belle journée!
L’ascension se déroule sans accroc, sous un ciel étincelant. J’aurais dû me méfier. À trop avoir peur des intempéries, on en oublie les dangers du beau temps. Après une pause et de belles prises de vue par les amateurs de photographie, je suis impatient de redescendre. La neige de la semaine dernière a effectivement recouvert toutes les traces des passages précédents. Je vais devoir prendre le temps d’éviter les crevasses dans ce labyrinthe. Nous progressons lentement et j’entends les jeunes cadres commerciaux s’impatienter. Bières et femmes les attendent. J’accélère le pas.
Je n’aurais pas dû.
Car, moi aussi, j’ai une femme. La plus jolie de toutes, Andrea.
Je me souviens de notre première rentrée scolaire, nous avions cinq ans. Ce jour-là, il pleuvait, les petites filles étaient à l’abri sous leur parapluie rose. Elle, non. Deux petites couettes blondes bouclées et une salopette jaune moutarde trempées jusqu’aux os avaient attiré mon attention. Moi, je ne pensais qu’à fuir et retourner à la ferme, jouer avec mon chien et retrouver mon petit frère. Elle s’est approchée timidement, a mis sa petite main dans la mienne, sans même me regarder, elle m’a dit: Tu viens? On ne s’est plus jamais quittés.
Nous venons d’acheter une vieille ferme pour y élever des chèvres. Andrea a un diplôme de productrice de lait; elle souhaite créer un troupeau et passer l’été à l’alpage.
Sa vie n’aurait pas dû prendre ce chemin. Je n’ai pas imaginé que le pas que j’allais poser devant moi serait le dernier et que, pour elle aussi, d’une certaine manière, tout s’arrêterait. Quand on tombe, on emmène parfois du monde avec nous.
Je n’ai pas eu le temps de crier. J’ai traversé un mince opercule givré sous le bruit d’un tintement de cristal brisé. J’ai senti la corde brûler ma main droite, ma tête a heurté l’ouverture de la crevasse. Le choc et mon poids ont créé une avalanche de glace qui a sectionné la corde, j’ai été emporté au fond de la crevasse. Un repos éternel dans le Palais d’argent.
Quel dommage, une si jolie journée. Andrea m’avait préparé une tarte aux pommes.
Un caillou dans la main
Je trace mon chemin
Car demain est incertain
Aujourd’hui.
Andrea
Löbbia, 1436 m alt.
Engadine, Grisons, Suisse.
J’ouvre doucement les paupières sous l’effet des rayons du soleil. Il fait bon sous ma couette de plumes. J’écoute la vie qui s’éveille dans la forêt. Ma cabane est entourée d’aroles, le «pin des Alpes». De solides montagnards qui nous défendent, ma petite maison et moi, du vent, de la neige et du soleil lors des ardents après-midi d’août. Que j’aime l’odeur de son bois, elle apaise mes nuits et rien, alors, ne peut plus m’atteindre. Depuis mon lit, je contemple à travers la fenêtre du toit leurs fines branches se bercer aux vents. Sur l’une d’elle, mon petit ami appelle.
– Kree kree kree.
Avec son cri rauque, ce petit cassenoix aux plumes brunes parsemées de taches blanches en forme de gouttes remplace n’importe quel réveille-matin. Je glisse un pied hors du duvet, comme on trempe un orteil dans la rivière pour évaluer la température de l’eau. Le poêle à bois s’est éteint mais diffuse encore une douce chaleur. En hiver, je me lève au milieu de la nuit pour ajouter une bûche, mais ces derniers temps, le froid ne me réveille plus, signe que le printemps est bel et bien là. J’étire mon corps endolori.
Au lever du jour, le jardin est recouvert de perles de rosée et c’est seulement lorsque le soleil surplombe les montagnes avoisinantes en début d’après-midi que je peux prendre une pause pour savourer la douce chaleur de ses rayons. Sensation d’être un tournesol, jambes bien plantées dans la terre et le visage qui suit l’astre solaire. Dans notre belle région d’Engadine, à plus de mille quatre cents mètres d’altitude, l’hiver est rude, l’été fugace.
Dehors, tout me crie: «Lève-toi, on part à l’alpage!» Les chèvres sont impatientes et dans quelques jours, il ne sera plus possible de les garder enfermées. Après un hiver au calme, la mise bas entre janvier et mars me prend tout mon temps. Chaque jour entre deux et quatre petits naissaient et entre les soins des mères et des cabris, je n’ai pas vu passer les semaines. C’est alors que commence la période de traite et de production de lait que j’aime tant.
En me levant, je ressens une violente douleur aux reins. Ce n’est pas vraiment une surprise, cela fait trois jours que je passe mes journées arc-boutée à planter les pommes de terre. Je garde mon maillot de la nuit et m’habille des vêtements de la veille; jean usé, pull de laine, veste sans manches. À 42 ans, j’ai le corps d’une adolescente et, comme la plupart des femmes des monts, nous n’avons ni l’argent, ni le temps, ni l’utilité de revêtir les apparats de la féminité. Un coup d’œil dans le petit miroir cloué au mur. Rien à déclarer. Mes cheveux blonds et bouclés coupés à la garçonne vivent leur vie comme les herbes folles des prés. Doucement, je vois le temps passer, quelques crins blancs et des rides d’expression autour de mes yeux verts. Je suis une louve solitaire. Je passe la main dans ma chevelure en guise de peigne et sors en tirant la porte derrière moi. Il n’y a pas de verrou, pas de clé. Ma maison est installée aux abords de la propriété, tel un petit banc à côté d’un arbre centenaire.
Et cet arbre, c’est notre ferme familiale. Une vieille femme faite de pierres et de bois de mélèze. Un peu sorcière, un peu magicienne. Elle se nomme «l’Izun». Elle semble avoir poussé là par sa propre volonté en symbiose avec les êtres qui y vivent: nous. Elle veille sur notre famille du premier au dernier souffle. Nous accueillant après nos batailles comme une Terre Sainte. Merveilleuse conteuse l’hiver, nous nous installons au coin du feu écoutant ses histoires inventées juste pour nous. Mais c’est au printemps qu’elle redevient la jolie mademoiselle Izun, en revêtant sa délicate robe de géraniums roses et rouges, se pavanant aux fenêtres, en courtisane.
Je traverse le jardin sur les petits rondins de bois posés là pour éviter les flaques et la boue. Je saute de l’un à l’autre en veillant à ne pas glisser avec mes bottes en caoutchouc, contournant le bâtiment pour entrer par la petite porte de la cuisine; la clochette tinte annonçant mon arrivée.
– Bun di, Geneviève!
– Bon matin, ma jolie. Je viens juste de faire du café, sers-toi! me dit-elle en suspendant son geste pour me regarder.
Elle replonge sa spatule en bois dans la grande casserole en cuivre et brasse à deux mains son contenu.
Que j’aime son accent québécois, un vieux français imagé et teinté d’anglais. Chez nous, on mélange le romanche, l’allemand que nous parlons à l’école, le français langue maternelle de notre maman, et l’italien celle de notre père. Mais nous avons pris l’habitude de parler français à l’arrivée de Geneviève.
Je passe derrière elle, entoure de mes bras ses épaules et l’embrasse sur la joue d’un bec sonore.
– Ça sent drôlement bon! dis-je en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule.
– Attention, c’est brûlant! Je fais de la confiture de rhubarbe, mais il n’y en aura pas beaucoup cette année, les limaces sont voraces!
Quand une tornade blonde entre dans la cuisine; Simon. Il embrasse sa maman.
– Ciao, Tata André. T’as fini de couper les ongles des chèvres?
– Non, mon cabri, je dois finir cela ce matin.
– Ah! Tant mieux, je peux venir t’aider?
– Tes devoirs, Simon! lui rappelle sa maman.
– Mais ils peuvent bien attendre, eux. Les chèvres, elles ont besoin de moi! ajoute Simon.
Sa tête disparaît derrière son bol de lait. Et elle en ressort avec de belles moustaches blanches.
– Simon, sois raisonnable!
– Maman, j’ai douze ans, j’ai toute la vie pour être raisonnable, rouspète-t-il.
Les pas