Le jeune héritier de Briord
Par Thérez Loquais
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Thérez Loquais a débuté sa carrière comme infirmière, guidée par une profonde humanité. Devenue ensuite responsable d’établissement de soins et formatrice, elle a contribué à faire évoluer les pratiques professionnelles en santé. Aujourd’hui, elle poursuit son engagement en empruntant le chemin de l’écriture, où elle donne vie à des récits sensibles et ancrés dans l’histoire, avec une plume à la fois rigoureuse et poétique.
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Aperçu du livre
Le jeune héritier de Briord - Thérez Loquais
Avant-propos
Les membres de la famille qui ne s’adaptent pas aux règles ou aux traditions familiales, ceux qui cherchent constamment à révolutionner les croyances. Ceux qui choisissent des routes contraires aux chemins tout tracés des lignées familiales, ceux qui sont critiqués, jugés et même rejetés.
Ceux-là sont appelés à libérer la famille des schémas répétitifs qui frustrent des générations entières. Ces soi-disant « moutons noirs », ceux qui ne s’adaptent pas, ceux qui hurlent à la rébellion, en réalité, réparent, détoxifient et créent de nouvelles branches florissantes dans leur arbre généalogique…
D’innombrables désirs non réalisés, de rêves inachevés ou de talents frustrés de nos ancêtres se manifestent à travers cette révolte. Par inertie, l’arbre généalogique fera tout pour maintenir le cours castrant et toxique de son tronc, ce qui rendra la tâche du révolté difficile et conflictuelle…
Arrêtez de douter et prenez soin de votre « rareté » comme étant la fleur la plus précieuse de votre arbre.
« Vous êtes le rêve de tous vos ancêtres ».
Bert Hellinger
Une photographie énigmatique
En 2022, Marie, à l’aube de ses quatre-vingts ans, femme sage et passionnée de généalogie, feuillette un vieil album photo aux côtés de sa jeune sœur Françoise, tout juste sexagénaire.
Les pages défilent, révélant des visages figés dans le temps, des paysages oubliés, des sourires évanouis.
Puis, soudain, Françoise tourne une page et s’arrête net.
Marie perçoit son léger tressaillement avant que son propre regard ne soit happé par une photographie en noir et blanc.
Un mariage en 1914…
Devant le perron d’un château, des invités en tenue d’apparat se tiennent en rang, l’air sérieux.
Mais c’est un homme en particulier qui capte l’attention de Françoise.
Elle plisse les yeux et pointe du doigt un détail troublant :
— Marie… regarde son bras gauche. On dirait… quelque chose d’étrange… La photo est floue, mais cela ne ressemble pas à une main ordinaire. Ou alors, il la cache dans une manche un peu trop longue ?
Marie, pensive, se perd dans ses souvenirs :
— Oui… Je me suis souvent interrogée sur ce personnage. Il ne figure pas dans notre arbre généalogique, et pourtant, il apparaît à plusieurs reprises.
— Tu sais qui il est ?
— Pas exactement, mais il devait jouer un rôle important ce jour-là. Peut-être un ami du marié ? Un invité de marque… Ou un personnage connu de l’époque ?
Françoise sent son esprit s’emballer :
— Ce serait intéressant d’en savoir plus… Ce château existe toujours ?
Marie acquiesce :
— Oui. Il est en pleine restauration par son nouveau propriétaire, un certain Monsieur Éric. Il veut lui redonner son prestige d’antan : l’excentrique folie nantaise.¹
— Alors, il a peut-être encore des archives ?
Sans attendre, Françoise saisit son téléphone et effectue une rapide recherche. Elle trouve un numéro et le compose.
Une voix masculine lui répond après quelques sonneries :
— Château de Briord, à qui ai-je l’honneur ?
Elle prend une inspiration :
— Bonjour, Monsieur. Je suis Françoise, petite-fille de Jean, qui était régisseur au château, et de Pierre, cocher du domaine de Briord au XIXe siècle. En feuilletant un vieil album de famille, j’ai découvert une photo intrigante prise devant votre château en 1914. Un mariage… et parmi les invités, un homme intriguant. J’aimerais en savoir plus sur cette époque. Auriez-vous des archives accessibles ?
Un silence, puis une réponse pleine d’intérêt :
— Votre demande me questionne. J’ai moi-même retrouvé des documents anciens en rénovant le château. Ce serait un honneur de vous aider dans vos recherches.
Le sourire de Françoise s’élargit :
— Merci infiniment, Monsieur Éric.
— À bientôt, qui sait, peut-être parviendrons-nous à retracer un destin hors du commun de cet homme…
Marie referme doucement l’album, pensive. L’histoire ne demande qu’à être éclaircie, et elles sont bien décidées à lever le voile.
Jean-Simon Voruz
Un homme d’exception
I
En 1877, le vicomte Michel-Adolphe Pelet de Lautrec surgit dans la chapelle, édifice rattaché au domaine de Briord, comprenant son château et ses terres. Sa silhouette, puissante, se découpe dans la porte entrée.
Celle-ci, alors dédiée à Saint-Germain et à la Vierge Marie, offre un intérieur sobre, mais empreint de ferveur et de détails symboliques. Les murs en tuffeau, pierre locale d’un blanc crayeux, apportent une luminosité presque éthérée. Par endroits, les douze croix de consécration, gravées lors de la cérémonie de bénédiction du 15 juin 1853, sont finement sculptées dans la pierre.
L’autel principal est simple et s’agrémente de quelques motifs floraux discrets. Il porte des lustres de cuivre, souvent soigneusement polis pour refléter le scintillement des bougies. Un petit retable en bois, peint dans des tons de vert et or, présente des figures de la reine des cieux et de Saint-Germain, rehaussant l’espace de couleurs sobres, mais vives.
À l’arrière, un modeste lutrin en bois accueille le missel, ainsi que quelques feuillets de chants liturgiques.
D’un geste brusque, il referme la porte derrière lui. Le bruit sec résonne.
Sa femme, Mathilde de Lautrec, se tient à genoux sur le prie-Dieu, les yeux fermés, les mains jointes autour d’un chapelet. À ses côtés, Théotiste, sa voyante, et l’abbé Cloquet, imposant dans sa soutane noire, écoutent la litanie de la vicomtesse, les yeux mi-clos, l’air exalté.
Cette compagnie forme un trio étrange, presque inquiétant, perdu dans ce qu’ils prennent pour une vision divine.
— Cette fois, ça en devient insupportable ! s’écrie le vicomte, brisant l’ambiance mystique.
Les trois se tournent vers lui, des regards pleins de griefs.
— Comment osez-vous, cher Michel-Adolphe nous interrompre en pleine prière ! répond Mathilde d’une voix teintée de reproche.
Elle glisse une œillade vers l’abbé, qui, impassible, croise les bras, comme pour montrer que rien ne pourrait ébranler sa foi. Théotiste frémit légèrement, mais elle soutient l’inflexibilité du vicomte avec une lueur de défi.
Les poings serrés, il répète d’une voix dure :
— Cessez ces simagrées, tous les trois ! Cette obsession du surnaturel vous fait perdre la réalité.
Mathilde se redresse, une expression glaciale dans les yeux :
— Vous ne comprenez jamais rien, Michel-Adolphe. Ces apparitions sont un signe, une clarté que vous refusez de voir !
Elle jette un coup d’œil à l’abbé Cloquet, qui incline la tête en signe d’approbation silencieuse, son aspect habité par une certaine gravité, comme pour rappeler que cette foi qu’ils partagent les élève au-dessus des jugements terrestres.
Mais le vicomte, exaspéré, l’interrompt :
— Un signe ? Vous êtes en train de ruiner ma famille ! Les gens jasent dans le comté, des dettes de jeu de notre fils, de vous, de vos visions, et de votre relation… tendancieuse avec cet abbé.
Sa voix se fait mordante :
— Je ne resterai plus ici pour assister à cette déchéance. J’ai décidé de prendre résidence à Port-Saint-Père et de vendre tous mes biens. Dès demain, nous entamerons les démarches de séparation de corps, et j’enverrai mes avocats pour prendre les dispositions nécessaires.
Quant à ce château et ses mystères, vous pourrez en disposer comme bon vous semble, mais sans moi.
Cette déclaration les choque.
L’abbé se racle la gorge, soudain mal à l’aise, et Mathilde serre les lèvres, livide :
— Faites ce que vous voulez, Michel-Adolphe. Sachez que vous ne pourrez jamais briser ce lien qui nous unit, moi et…
Elle marque une pause, hésitante, puis ajoute :
— Le divin, murmure-t-elle d’une voix étranglée, masquant mal l’émotion qui l’envahit.
Quelques mois s’écoulent avant que le vicomte Pelet de Lautrec parte pour la Martinique, abandonnant sa femme à son sort.
Mathilde de Lautrec, accablée par des dettes écrasantes, se voit contrainte de vendre peu à peu ce bien familial. Une partie des trésors du château, témoins de siècles d’histoire, est mise aux enchères et dispersée entre les mains des plus offrants, sous l’œil froid et détaché de Maître Jamont, le notaire.
Quant à la propriété, elle présente un véritable casse-tête : les contours restent flous dans le cadastre, rendant toute adjudication finale complexe et longue, qui s’étalera vraisemblablement sur plusieurs années après un long travail de recherches.
Pour l’heure, les ventes visent à éponger, ne serait-ce qu’en partie, le gouffre des dettes qui engloutit peu à peu l’héritage des Lautrec.
La vieille habitation perd alors ses maîtres, et dans le calme des couloirs vides, certains disent que l’on peut encore entendre, par les nuits d’orage, une prière murmurée ou le bruissement d’un chapelet oublié, comme le dernier souffle d’une âme inconsolable.
En avril de cette même année, une foule se groupe devant l’entrée du château pour assister à la vente aux enchères.
Ce majestueux domaine, fondé en 1770 par Joseph Charette de Briord, occupe le site d’une ancienne seigneurie médiévale, autrefois puissante et influente.
Dès l’approche, on devine son histoire marquée par les siècles : un profond fossé entourant l’édifice, franchissable uniquement par un pont d’accès, rappelle ses anciennes fonctions défensives.
L’architecture du bâtiment se révèle dès le premier coup d’œil : des lignes symétriques et épurées caractéristiques du style néoclassique des XVIIIe et XIXe siècles. Les façades, rehaussées de mascarons² sculptés, allient sobriété et raffinement, rendant hommage à l’équilibre et à la beauté de cette époque.
La surface s’étend sur deux cent cinquante hectares, où s’épanouissent forêts, jardins soignés, vergers généreux, vignobles et terres agricoles. Le bâti, quant à lui, s’élève sur quatre niveaux, offrant plus de 1200 m² d’espaces sous combles et caves. Les matériaux, choisis dans les régions voisines, ajoutent encore à son charme et à sa solidité : du granit robuste pour les soubassements, du schiste pour les murs, du tuffeau lumineux en façade, et enfin de l’ardoise noire qui coiffe élégamment les toitures.
Sous l’observation des gens du village rassemblés, la vente prend des airs de tragédie silencieuse. Tous contemplent avec tristesse Madame de Lautrec, la noble propriétaire qui, malgré sa ruine, conserve une dignité douloureuse, le regard fixé sur cette splendide maison qu’elle va devoir quitter.
Autrefois symbole de puissance et de grandeur, le château a vu s’épanouir des générations sous ses toits, et chaque pierre raconte des histoires.
Les habitants chuchotent entre eux, rappelant les jours où Madame de Lautrec organisait des réceptions somptueuses, des promenades dans les vastes jardins, où les enfants du village s’aventuraient parfois à la dérobée. Certains se souviennent des masques sculptés sur les façades, souriants, mais figés, comme pour se moquer de la destinée de leur maîtresse. Ces mascarons, autrefois protecteurs, paraissent aujourd’hui impuissants face à la ruine.
Les vieux campagnards se signent, et même les cadets ressentent le poids de cette perte. Ils savent qu’un chapitre se referme, emportant avec lui les rêves de grandeurs passées.
Certains observent avec une curiosité mêlée de pitié, d’autres, au contraire, pour se repaître du malheur de cette famille autrefois influente. Madame de Lautrec, debout sur le seuil, reluque les acheteurs et les curieux. Sa silhouette frêle cherche à préserver un reste de dignité.
Le commissaire-priseur énonce chaque lot d’une voix impersonnelle, martelant le prix des pièces héritées de génération en génération : du mobilier précieux, des tableaux représentant les ancêtres de la famille, des voitures, des ustensiles agricoles, des sièges, des tables, des lits, des commodes en acajou, des pendules dorées et une fontaine de cuivre…
— Lot numéro 47 : une commode Louis XV en acajou massif, tiroirs marquetés, poignées en bronze ciselé. Mise à prix : cinq cents francs. Qui dit mieux ?
Un murmure parcourt la salle. Un homme en redingote lève discrètement la main.
— Cinq cents francs, adjugé ?
— Cinq cent cinquante ! lance une voix au fond.
— Nous avons cinq cent cinquante francs ! Qui surenchérit ?
Un silence tendu envahit l’espace. L’héritier, pâle, serre les poings.
— Vendu ! Martèle le commissaire-priseur en abattant son marteau sur le pupitre.
L’inventaire continue, implacable, effaçant peu à peu l’histoire d’une lignée.
Madame de Lautrec, immobile, suit chaque adjudication avec une résignation glacée. La fortune, autrefois dévouée aux fastes et aux mystères du château, s’évanouit sous le marteau implacable de Maître Jamont.
Au seuil de cette demeure autrefois rayonnante, elle se tient droite, son œillade chargée de fierté, voire d’arrogance, errant avec une quiétude résignée sur chaque pierre, chaque recoin de ce qui fut son univers. Elle sait que, bientôt, les salles qui résonnaient de rires et de musique cesseront de vibrer sous ses pas, mais désormais sous ceux d’inconnus. Sa mine, d’une pâleur fragile, porte à elle seule le poids des souvenirs, des espoirs fanés et des promesses non tenues.
Les chevaux, attelés au carrosse qui emportera Madame de Lautrec, frappent le sol d’impatience. Alors, d’un pas mesuré, elle s’éloigne, sans daigner accorder un seul regard en arrière. Les villageois s’inclinent à son passage, et elle monte dans la voiture avec une grâce infinie, ne laissant rien paraître de la tempête intérieure qui la ronge.
Le carrosse s’ébranle lentement, emportant la dernière héritière de Briord et, avec elle, les échos d’une époque révolue. Les derniers vestiges de la grandeur du couple Mathilde et Michel-Adolphe Pelet de Lautrec, ainsi que de leur fils, Marie-Raymond-Bernard, s’effacent comme une feuille emportée par le vent.
Tandis que la poussière soulevée retombe peu à peu, le territoire se fige dans l’attente de jours nouveaux, et les habitants, le cœur lourd, s’éloignent un à un, emmenant le souvenir de cette noble dame mystérieuse et mystique.
Un seul homme suit ce départ avec un intérêt particulier. Il ressent de la joie et entrevoit un bel avenir pour ce domaine qu’il apprécie tant.
Depuis dix ans, il fait partie des invités du cercle nantais.
Jean-Simon Voruz, industriel de Nantes, envie cette propriété. Pour lui, cette demeure incarne la réussite.
II
Dans les entreprises de fonderie de Jean-Simon Voruz, les ateliers vibrent d’une énergie brute et d’une effervescence presque palpable.
Les fourneaux crépitent, éclairant l’ombre des ouvriers dont les silhouettes se dessinent dans la lueur vacillante des flammes. Jean-Simon, vêtu d’un tablier noirci par la suie, observe avec attention chaque étape du travail.
Depuis la mort de son frère, une mélancolie le hante, mais elle nourrit en lui une détermination tenace. Il ambitionne de convertir la fonderie de cuivre et de bronze en une puissante forge de fer, un secteur en plein essor.
Jean-Simon a des ambitions démesurées. Après avoir consacré des années à perfectionner son ingéniosité, il élargit désormais ses horizons : le fer constitue l’avenir, et il veut en être un pionnier. La douleur de la perte de son frère, bien qu’amère, a ravi en lui un désir brûlant de réussir, de modifier ses usines en un bastion de l’industrie moderne.
À travers cette vision, il veut laisser une marque indélébile et prouver au monde que les ateliers Voruz sont capables de transformer le métal en un véritable instrument de puissance, façonné pour répondre aux exigences de l’époque et marquer son temps.
Les mille six cents ouvriers qui animent ses usines sont des hommes et de jeunes gens aux traits marqués par l’effort.
Les muscles tendus, ils travaillent à un rythme soutenu, manipulent des barres de fer brûlantes avec des pinces, moulant des pièces à une cadence presque militaire. Les étincelles jaillissent des enclumes tandis que les marteaux frappent, créant une symphonie métallique qui résonne dans toute l’usine. La chaleur étouffante, le grondement des machines et l’odeur du métal en fusion s’ajoutent à cette ambiance de ruche usinière.
Chaque effort, chaque goutte de sueur contribue à cette révolution industrielle.
Les ouvriers, conscients de cet élan, mettent toute leur ardeur dans le travail. Certains rêvent de pouvoir grimper dans les rangs, d’autres n’ont qu’une pensée : ramener le pain à leur famille. Chaque marteau frappant le fer, chaque éclat d’étincelle illuminant leur faciès tordu par l’effort témoigne d’une solidarité presque palpable, d’un engagement partagé.
Ainsi l’usine, à travers cette danse de force et de sueur, avance, un battement après l’autre, vers un futur façonné par le fer.
Clarisse arrive plus tôt ce matin avec son garçon de huit ans et frappe au bureau du maître d’atelier. Tout timidement, elle demande :
— Je cherche un travail pour mon petit Jacques.
L’homme observe l’enfant un instant avant de croiser les bras :
— Madame, vous savez que j’ai toujours essayé d’aider les familles en difficulté, commence-t-il d’une voix grave. Mais huit ans, c’est bien jeune…
— Il est robuste, Monsieur, et très dégourdi, insiste Clarisse. Il a déjà l’habitude d’aider à la maison, il sait porter du bois, nettoyer, et il apprend vite !
Le maître d’atelier soupire et jette un regard vers l’usine en contrebas :
— La fonderie n’est pas un endroit pour un enfant… Mais je ne peux ignorer votre détresse. Il commencera demain, sur des tâches simples et sous la surveillance d’un ouvrier.
Jacques retient un sourire fier tandis que sa mère acquiesce, soulagée :
— Merci, Monsieur. Vous ne le regretterez pas.
— Nous verrons. Sachez que Mr Voruz réfléchit à un projet. Un apprentissage encadré, où ces jeunes pourront aussi apprendre à lire et à écrire…
Clarisse ouvre de grands yeux :
— Ce serait une chance, pour eux…
— Pour nous tous, corrige le maître d’atelier. Un ouvrier instruit est un ouvrier plus habile et plus sûr.
Il repose un regard appuyé sur Jacques :
— Demain à l’aube, petit, ne sois pas en retard.
Jacques serre les poings, prêt à prouver sa valeur.
Avant-Gardiste, Jean-Simon Voruz, aux conceptions paternalistes, soucieux du bien-être de ces très jeunes travailleurs, cherche à améliorer leurs conditions de travail. Convaincu de l’importance de l’apprentissage, il crée une école où les enfants peuvent se former tout en bénéficiant d’un encadrement adapté. Il s’appuie sur une nouvelle loi imposant la mise en place de contrats d’apprentissage officiels.
À douze ans, Jacques intègre ce lieu. Il y reçoit un enseignement lié à son futur métier, tout en apprenant les bases de mathématiques et de français. Grâce à cette formation, il pourra devenir un ouvrier qualifié
