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Choromanski - Iglesia Como Comunion

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Universit de Fribourg Suisse Institut dtudes cumniques

LEGLISE COMME COMMUNION VERS UNE ECCLESIOLOGIE COMMUNE A LAGE DE LCUMENISME Trois tudes sur la communion

Thse prsente la Facult de thologie de lUniversit de Fribourg, Suisse pour obtenir le grade de docteur par Andrzej CHOROMASKI Sous la direction du professeur Guido VERGAUWEN

FRIBOURG (SUISSE) 2004

Cette thse a t approuve par la Facult de thologie de lUniversit de Fribourg, Suisse, en sa sance du 24. 11. 2004 sur la proposition de MM. les professeurs : Guido Vergauwen, O.P. (1er censeur), Mme. Barbara Hallensleben (2e censeur, Doyenne), Benot-Dominique de La Soujeole, O.P. (Prsident du Jury).

AVANT PROPOS La prsente dissertation est le rsultat de plusieurs annes dtude et de recherches, consacres lecclsiologie et surtout la question de lunit de lEglise. Lide est ne la suite de mon travail de licence consacr lintercommunion1. Il ma permis de constater que les diffrentes disciplines ecclsiastiques concernant le partage eucharistique avec les chrtiens appartenant dautres Eglises que la sienne, trouvaient leurs principaux motifs doctrinaux dans diffrentes conceptions de la place de leucharistie dans le mystre de lEglise. En dautres termes, le cur du problme du partage eucharistique entre les chrtiens diviss se situait du ct de lecclsiologie. Mme si lpoque actuelle, il existe diffrentes pratiques concernant lhospitalit eucharistique, les Eglises engages dans le mouvement cumnique reconnaissent que la pleine communion eucharistique entre tous les chrtiens ne pourra se raliser avant que ne soit atteinte la plnitude de leur communion dans lEglise visiblement unie. Ceci exige que les Eglises de traditions diffrentes se mettent daccord sur ce que cela signifie tre lEglise et faire partie de lEglise. Dans les pages qui suivent, nous examinerons diffrentes visions de lEglise et de son unit dans la perspective de la communion. La notion de communion (koinniacommunio), en effet, constitue aujourdhui le point focal du dialogue cumnique sur lEglise. Par le prsent travail, nous voulons prendre part ce dialogue, ayant cur lexhortation de Jsus : que tous ceux qui croient en lui soient un (cf. Jn 17, 20-21). Mon intrt et ma sensibilit cumniques ont t renforcs lors de mes tudes par une exprience personnelle sur le terrain. Pendant plusieurs annes, en effet, simultanment llaboration de cette dissertation, jai assum la tche de cure dune paroisse catholique, dans une rgion de la Suisse le Jura bernois majorit protestante. Lcumnisme vcu dans la pratique ma confirm dans la conviction que pour faire avancer la cause de lunit, il est ncessaire que nos efforts pastoraux se fondent sur des connaissances approfondies des autres traditions chrtiennes, sur lamour de sa propre Eglise et sur la fidlit personnelle et ecclsiale
1 Intercommunion. La pratique des Eglises et une rflexion thologique sur la position catholique. Universit de Fribourg Suisse, 1998. Ecrit sous la direction du professeur L. Walsh.

toujours plus grande, au Christ. Sinon, nous risquons de tomber dans un cumnisme dindiffrentisme, qui conduit au renversement des perspectives o la recherche des autres chrtiens prend le dessus sur la recherche commune du Christ et de sa volont pour lEglise. Il est indispensable que les chrtiens soient conscients du fait que ce nest pas en allant les uns vers les autres en oubliant leurs identits ecclsiales propres quils parviendront liminer les causes et les consquences de leurs divisions, mais en allant ensemble vers le Christ et dans lobissance toujours plus parfaite son vangile. Cest par un cumnisme de vrit qui ne contourne pas les problmes mais les affronte avec humilit et courage, que les Eglises contribueront le mieux la cause de lunit chrtienne. Cest avec une telle conviction au fond du cur que jai entrepris cette tude sur lecclsiologie dont le but ultime tait de mesurer la valeur relle de la notion de communion dans le dialogue cumnique actuel sur lEglise. Au terme de ce long cheminement, jalonn tantt par des priodes denthousiasme et de ferveur, tantt par des moments de dcouragement et de lassitude, je rends grce au Seigneur qui, dans son infinie bont, ma permis dachever ce travail malgr mes insuffisances personnelles de toutes sortes. Il est le Dieu damour qui ne nous abandonne jamais et nous accompagne par sa grce dans tous les projets entrepris, pour faire resplendir davantage sa gloire parmi les hommes et faire crotre son Eglise dans le monde. Aussi humble quil puisse tre, ce travail na pas eu dautres raisons. Tout au long de llaboration de ce projet, jtais entour de ma famille, mes proches et mes amis fidles. Leur prire de loin ou de prs et leur soutient moral me portaient continuellement et me fortifiaient aux temps de dcouragement. Je suis profondment convaincu que ce travail naurait pas pu tre accompli sans leur prsence physique ou spirituelle mes cts. Quil me soit permis cet endroit de les remercier pour tout le bien reu, sans citer leurs noms qui sont gravs dans mon cur. Je pense, avec une grande reconnaissance dans le cur, notre Alma Mater Friburgensis et tous les professeurs de thologie et dautres sciences, qui ont contribu mon ducation par leurs cours et leurs livres, et qui ont ainsi une participation indirecte mais relle dans ce travail. Cette dissertation a t rdige sous la direction de Monsieur le professeur Guido Vergauwen de lInstitut dEtudes cumniques.
II

Llaboration du projet, surtout dans sa premire phase, tait plutt difficile, marque par des hsitations et des incertitudes concernant aussi bien des questions de fond que de mthodologie. Plusieurs fois le plan a t remani et mme considrablement chang. Jexprime ma grande reconnaissance au professeur Vergauwen qui a su me suggrer des pistes de recherches et des solutions adquates aux moments de blocage tout en respectant mes ides et ma faon de penser et de travailler. Je remercie galement Madame la professeure Barbara Hallensleben, dont les suggestions ont t une aide dcisive dans le dernier remaniement du plan de lensemble. Ce projet a aussi profit des changes avec dautres tudiants et tudiantes notamment lors de colloques semestriels organiss par le pre Vergauwen. Leurs remarques et critiques amicales mont permis de clarifier et de mieux laborer plusieurs questions particulires ; jen suis reconnaissant chacune et chacun deux. Je tiens galement exprimer ma sincre reconnaissance luvre St Justin Fribourg, qui ma accord une bourse dtudes pendant plusieurs annes, et sans laquelle ce travail naurait pu voir le jour. Toutes ces personnes qui, de quelque manire que ce soit, ont contribu laccomplissement de ce projet, je les remercie du fond de mon cur et je les recommande au Seigneur dans une prire pleine de reconnaissance.

Andrzej Choromanski

Fribourg, Suisse Le 18 juin 2004

III

IV

TABLE DES MATIERES

AVANT PROPOS....................................................................... I TABLE DES MATIERES ........................................................... V ABREVIATIONS ET SIGLES ................................................. XV INTRODUCTION........................................................................ 1 P R E M I E R E E T U D E : La notion de communion quelques claircissements sur le terme, sa comprhension et son volution ................................................................................. 7 Notes mthodologiques ................................................................ 8 1. Le mot communion volution du sens ................................. 9 2. La Koinnia dans le grec classique ....................................... 14 3. Communio, communicatio et communicare dans le latin classique ...................................................................................... 18 4. La communion dans la Bible................................................. 21
4.1. La communion dans lAncien Testament et la culture juive 21 4.2. La communion dans le Nouveau Testament .......................... 24
4.2.1. Introduction................................................................................... 24 4.2.2. La koinnia comme mise en commun des ressources matrielles et spirituelles ............................................................................................... 28 4.2.3. La koinnia comme participation communautaire ........................ 30 4.2.4. La koinnia comme communaut ................................................. 38 4.2.5. La koinnia une ralit multiple................................................. 42

4.2.6. La koinnia et lintercommunion la lumire du Nouveau Testament................................................................................................ 45

5. Le concept de communion selon les Pres ........................... 47


5.1. La koinnia chez les Pres grecs ............................................. 47 5.2. La communio chez les Pres latins.......................................... 53 5.3. La communion : vie partage lments du concept chez les Pres ................................................................................................. 55

D E U X I E M E E T U D E : LEglise en tant que communion dans la Foi et Constitution et le Conseil cumnique des Eglises.......................................................................................... 59 Notes mthodologiques .............................................................. 60 1. Lmergence du concept........................................................ 63 2. La troisime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Nouvelle Delhi 1961 ............................................. 68
2.1. Lunit est communion ............................................................ 68 2.2. Don de Dieu et dfi pour lEglise ............................................ 70 2.3. Les composantes de la communion......................................... 70
2.3.1. Le baptme.................................................................................... 71 2.3.2. La foi et son annonce au monde.................................................... 73 2.3.3. La prire et leucharistie................................................................ 75 2.3.4. Le ministre................................................................................... 77 2.3.5. La vie commune............................................................................ 77 2.3.6. Les structures ................................................................................ 79

2.4. Conclusion................................................................................. 80

3. La quatrime Confrence mondiale de la Foi & Constitution Montral 1963.......................................................................... 82


3.1. La confrence et ses thmes..................................................... 82

VI

3.2. LEglise selon Montral ........................................................... 84

4. La quatrime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Upsal 1968 ............................................................ 90
4.1. La prsentation de lAssemble .............................................. 90 4.2. La catholicit selon Upsal ........................................................ 92 4.3. Les apprciations et les critiques ............................................ 96

5. La cinquime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Nairobi 1975 ....................................................... 103
5.1. LEglise, communaut conciliaire Dclaration de Nairobi ......................................................................................................... 103 5.2. Le terme et le dveloppement du concept de conciliarit dans le COE ............................................................................................ 104 5.3. Concile et conseil distinction des concepts ........................ 106 5.4. La communaut conciliaire selon Nairobi ........................... 108
5.4.1. La communaut unie dans la foi ................................................. 108 5.4.2. La communaut catholique ......................................................... 109 5.4.3. Les dimensions et les niveaux de la conciliarit ......................... 112

5.5. Critiques de Nairobi............................................................... 115

6. La sixime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Vancouver 1983 ........................................................ 117
6.1. Elargir et approfondir la communaut cumnique de vie ......................................................................................................... 117 6.2. LEglise lie au monde ........................................................... 118 6.3. LEglise distincte du monde .................................................. 122 6.4. Les Exigences du processus conciliaire ................................ 124 6.5. Promouvoir le modle de la communaut conciliaire ......... 128

7. La septime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Canberra 1991.................................................... 130
7.1. Le Message de lAssemble.................................................... 130

VII

7.2. Thme gnral : Viens, Esprit Saint, renouvelle toute la cration........................................................................................... 131 7.3. Thme particulier : Esprit dunit, rconcilie ton peuple .. 134 7.4. Une tude orthodoxe sur lunit............................................ 139 7.5. Une tude catholique sur la diversit.................................... 142 7.6. La Dclaration de Canberra.................................................. 148 7.7. Les commentaires thologiques de la Dclaration............... 153
7.7.1. Un commentaire anglican............................................................ 153 7.7.2. Un commentaire catholique ........................................................ 155 7.7.3. Un commentaire orthodoxe......................................................... 157 7.7.4. Un commentaire luthrien........................................................... 159 7.7.5. Un commentaire rform ............................................................ 160

8. La cinquime Confrence mondiale de la Foi & Constitution Saint-Jacques-de-Compostelle 1993 .................................... 162
8.1. La structure et les buts de la Confrence ............................. 162 8.2. La complexit de la notion de koinnia................................ 164 8.3. La koinnia divine et la koinnia ecclsiale ......................... 167 8.4. Aspects de la koinnia ecclsiale ........................................... 172
8.4.1. La koinnia dans la foi et sa porte relle ................................... 172 8.4.2. La koinnia dans les structures, notamment le ministre............ 176 8.4.3. La koinnia dans la vie et ses implications concrtes ................. 179 8.4.4. La koinnia dans le tmoignage et ses exigences existentielles.. 186

8.5. Le Message final de Saint Jacques de Compostelle une conclusion....................................................................................... 193

9. Vers une vision commune de lEglise dclaration provisoire de la Foi & Constitution sur lEglise.................... 196
9.1. Introduction : koinnia fondement dune ecclsiologie commune ........................................................................................ 196 9.2. LEglise dans ses origines de communion ............................ 200
9.2.1. LEglise de Dieu ......................................................................... 201 9.2.2. LEglise du Christ ....................................................................... 201 9.2.3. LEglise de lEsprit-Saint............................................................ 201

VIII

9.3. LEglise dans son tre de communion .................................. 203


9.3.1. LEglise une et multiple .............................................................. 203 9.3.2. LEglise sainte et pcheresse....................................................... 205 9.3.3. LEglise catholique, apostolique et eschatologique .................... 206 9.3.4. LEglise sacramentelle et missionnaire....................................... 209 9.3.5. LEglise universelle et locale ...................................................... 212

9.4. LEglise dans sa vie de communion ...................................... 215


9.4.1. La foi........................................................................................... 215 9.4.2. Le baptme.................................................................................. 218 9.4.3. Leucharistie................................................................................ 220 9.4.4. Le ministre................................................................................. 222 9.4.5. Lpiscop................................................................................... 226 9.4.6. Primaut collgialit conciliarit........................................... 229

9.5. Conclusion............................................................................... 232

10. Conclusions gnrales de la deuxime tude ................... 235


10.1. Le dveloppement doctrinal de la notion de communion . 235 10.2. Atouts du concept de communion....................................... 238 10.3. Limites du concept de communion ..................................... 247

T R O I S I E M E E T U D E : LEglise comme communion selon la doctrine de lEglise catholique. Autour de Vatican II .................................................................................................... 253 Notes mthodologiques ............................................................ 254 1. Lmergence du concept de communion dans lecclsiologie catholique contemporaine ....................................................... 255
1.1. Vatican II un nouveau regard sur lEglise........................ 255 1.2. LEglise comme societas perfecta et hierarchica un rappel de lecclsiologie prconciliaire ........................................ 257 1.3. Vatican II : entre societas et communio une ecclsiologie en tension.................................................................. 263
IX

1.4. Influences non-catholiques sur lecclsiologie conciliaire... 270 1.5. Le concept de communion comme la clef dune relecture actualise de lecclsiologie de Vatican II ................................... 274

2. La personne humaine comme un tre relationnel fondements anthropologiques de lecclsiologie conciliaire de communion ............................................................................... 278
2.1. De l animal social l tre relationnel quelques repres philosophiques.................................................................. 278 2.2. Cr comme un tre de communion ..................................... 286
2.2.1. En communion avec Dieu ........................................................... 286 2.2.2. Cr pour une vie de communion homme et femme................ 287

2.3. Le Christ homme de communion....................................... 289


2.3.1. Lhomme la lumire du Christ ................................................. 289 2.3.2. Le Christ membre de la socit et modle dune vie de communion ........................................................................................... 290

2.4. La vie sociale et lappel la communion.............................. 291 2.5. LEglise et la vocation de lhomme la communion........... 295 2.6. Lhomme, un tre de communion selon Vatican II une conclusion....................................................................................... 297

3. Triple perspective thologique de lecclsiologie de communion ............................................................................... 299


3.1. Perspective trinitaire : communion trinitaire source et modle de la communion ecclsiale.............................................. 299
3.1.1. Dieu est une communion............................................................. 300 3.1.1.1. Quelques repres bibliques et patristiques........................... 300 3.1.1.2. La prichorse comme mode de communion en Dieu......... 303 3.1.1.3. Lamour comme le ciment de la communion trinitaire ....... 304 3.1.2. La communion de lEglise un mystre trinitaire ...................... 305 3.1.2.1. Ecclesia de Trinitate Ecclesia ad Trinitatem..................... 305 3.1.2.2. La communion ecclsiale : une icne de la communion trinitaire ............................................................................................ 310 3.1.2.3. La communion trinitaire comme modle de vie partage pour lEglise ............................................................................................. 313 3.1.3. Leucharistie comme lieu de communion de lEglise avec la Trinit le Rapport de Munich......................................................................... 314

3.2. Perspective sacramentelle : Eglise sacrement de la communion .................................................................................... 318


3.2.1. Introduction................................................................................. 318 3.2.2. LEglise comme mystre dans la Bible....................................... 319 3.2.2.1. Introduction ......................................................................... 319 3.2.2.2. LAncien Testament ............................................................ 320 3.2.2.3. Le Nouveau Testament........................................................ 321 3.2.3. Lappellation de lEglise comme sacrement dans lecclsiologie catholique.............................................................................................. 324 3.2.3.1. Rappel historique................................................................. 324 3.2.3.2. Un conceptclef de lecclsiologie conciliaire .................... 329 3.2.4. La sacramentalit de lEglise la lumire de la sacramentalit du Christ..................................................................................................... 332 3.2.4.1. Le Christ sacrement fondamental et universel du salut .... 332 3.2.4.2. LEglise sacrement de la communion in Christo......... 333 3.2.5. LEconomie sacramentelle du salut dans lEglise....................... 337 3.2.5.1. La communaut visible comme signe et moyen de la communion spirituelle...................................................................... 337 3.2.5.2. Le rgime sacramentel du salut ........................................... 339 3.2.6. LEglise sacrement pour le monde........................................... 344 3.2.6.1. La sacramentalit de lEglise et son universalit................. 344 3.2.6.2. La vocation missionnaire de lEglise la lumire de sa sacramentalit................................................................................... 346 3.2.6.3. Lappartenance lEglise la lumire de sa sacramentalit349 3.2.6.4. La fraternit la lumire de la sacramentalit..................... 351 3.2.7. Conclusions................................................................................. 353

3.3. Perspective eschatologique : communion ecclsiale lavantgot de la communion du Royaume ............................................ 355
3.3.1. Introduction................................................................................. 355 3.3.2. Leschatologie dans lhistoire de lEglise un aperu................ 356 3.3.3. Leschatologie et le contexte socioculturel ............................... 365 3.3.4. LEglise et le Royaume entre identification et distinction ....... 368 3.3.4.1. Perspective scripturaire ....................................................... 370 3.3.4.2. Perspective conciliaire......................................................... 372 3.3.4.3. Applications existentielles dans le contexte social .............. 376 3.3.5. La communio sanctorum............................................................. 381 3.3.6. Leucharistie comme sacrement de la communion eschatologique .............................................................................................................. 385 3.3.7. Conclusions................................................................................. 390

4. Notae Ecclesiae dans la perspective de communion.......... 394

XI

4.1. Introduction ............................................................................ 394 4.2. Lunit et la diversit dans la communion ecclsiale .......... 396
4.2.1. Fondements divins de lunit et de la diversit ecclsiales ......... 396 4.2.1.1. Laspect trinitaire ................................................................ 396 4.2.1.2. Laspect christologique ....................................................... 399 4.2.1.3. Laspect pneumatologique................................................... 401 4.2.2. LEglise une et multiple depuis ses origines ............................... 402 4.2.3. La primaut de lunit ................................................................. 406 4.2.4. Domaines de lunit et de la diversit ......................................... 411 4.2.4.1. La foi rvle....................................................................... 411 4.2.4.2. Les sacrements, surtout leucharistie................................... 415 4.2.4.3. Les structures visibles dunit ............................................. 425 4.2.4.4. La charit............................................................................. 427 4.2.5. La diversit socioculturelle et linculturation............................ 428

4.3. La catholicit de la communion ecclsiale............................ 433


4.3.1. Deux regards sur lEglise une introduction .............................. 433 4.3.2. Sens du terme catholicit selon quelques tmoignages de la Tradition................................................................................................ 435 4.3.3. La conscience de la catholicit dans lEglise primitive............... 440 4.3.4. Racines et caractristiques de la catholicit selon Vatican II...... 445 4.3.5. LEglise universelle comme communion des Eglises locales ..... 448 4.3.5.1. Distinctions des termes........................................................ 448 4.3.5.2. Le caractre universel de lappartenance ecclsiale dun fidle .......................................................................................................... 451 4.3.5.3. La relation entre lEglise universelle et lEglise locale dans la communion catholique ..................................................................... 453

4.4. Lapostolicit de la communion ecclsiale............................ 462


4.4.1. Lapostolicit comme critre dcisif de lauthenticit de lEglise462 4.4.2. Les aptres selon le Nouveau Testament .................................... 463 4.4.3. Le sens de lapostolicit aperu historique............................... 470 4.4.4. Lpostolicit de lEglise selon lecclsiologie catholique contemporaine....................................................................................... 473 4.4.4.1. Le caractre total de lapostolicit....................................... 473 4.4.4.2. Lapostolicit de la foi et lapostolat de lEglise ................. 474 4.4.4.3. Lapostolicit du ministre et la communion ...................... 481 4.4.4.3.1. La succession apostolique et le ministre piscopal .... 481 4.4.4.3.2. Les munera et les potestas dans le ministre de communion de lvque............................................................... 488 4.4.4.3.3. La collgialit des vques et la communion............... 492 4.4.4.3.4. Le ministre dunit du pontife romain ....................... 498

XII

4.5. Conclusions ............................................................................. 505


4.5.1. Lunit......................................................................................... 505 4.5.2. La catholicit............................................................................... 508 4.5.3. Lapostolicit .............................................................................. 511

Vers une vision commune de lEglise observations finales .................................................................. 517 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE............................................. 525

XIII

XIV

ABREVIATIONS ET SIGLES AA AG AAS ARCIC Apostolicam Actuositatem. Dcret sur lapostolat des lac du Concile de Vatican II, 18. 11. 1965 Ad Gentes. Dcret sur lactivit missionnaire de lEglise du Concile de Vatican II, 07. 12. 1965 Acta Apostolicae Sedis, Commentarium officiale, Roma Commission Mixte Internationale du Dialogue entre la Communion Anglicane et lEglise Catholique Romaine Bibliothque augustinienne, Paris Corpus Canonum Ecclesiarum Orientalium. Promulgu par le pape Jean-Paul II, le 18 octobre 1990 Commission Mixte Internationale de Dialogue entre lEglise Catholique Romaine et lEglise Orthodoxe Corpus christianorum series Latina, Tournai Christus Dominus. Dcret sur la charge pastorale des vques du Concile de Vatican II, 28. 10. 1965 Congrgation pour la Doctrine de la Foi Congrgation pour les Evques Catchisme de lEglise Catholique. Promulgu par le pape Jean-Paul II, le 11 octobre 1992 (cit ici daprs la version dfinitive franaise, 1998) Congregation Pour lEvangelisation des Peuples Codex Iuris Canonici. Promulgu par le pape JeanPaul II le 23 janvier 1983 Conseil cumnique des Eglises, Genve (= WCC) Commission Biblique Pontificale Conseil Pontifical Pour le Dialogue Interreligieux Conseil Pontifical Pour lUnit des Chrtiens Church Quarterly Review, London Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, Vienne Commission Thologique Internationale La Documentation Catholique, Paris Dignitatis Humanae. Dclaration sur la libert religieuse du Concile de Vatican II, 07. 12. 1965 Dictionnaire de Thologie Catholique, Paris Enchiridion Symbolorum, H. Denzinger, Fribourg
XV

BA CCEO CCRO CCSL CD CDF CE CEC

CEP CIC COE CPB CPDIR CPUC CQR CSEL CTI DC DH DThC Dz

D.S. DS DV ER EThL EV FC FO GS

JBL JES JThS LG LWF LV Mansi

MD NA NRT NV OE

ParLi ParP PG PL PLS

Dictionnaire de spiritualit Enchiridion Symbolorum, H. DezingerSchnmmetzer, Fribourg, 1963 Dei Verbum. Constitution dogmatique sur la rvlation divine du Concile de Vatican II, 18. 11. 1965 The Ecumenical Review, Geneva Ephemerides Theologicae Lovanienses, Louvain Esprit et Vie, Longres Foi & Constitution, Genve (= FO) Faith & Order, Geneva (= FC) Gaudium et Spes. Constitution pastorale sur lEglise dans le monde de ce temps du Concile de Vatican II, 07. 12. 1965 Journal of Biblical Literature, Boston Journal of Ecumenical Studies, Philadelphia Journal of Theological Studies, Londres Lumen Gentium. Constitution dogmatique sur lEglise du Concile de Vatican II, 21. 11. 1964 Lutheran World Federation Lumire et Vie, Lyon J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, nouvelle d. L. Petit et J.B. Martin, Paris, 60 vol. La Maison Dieu, Paris Nostra Aetate. Dcret sur lEglise et les relisions non chrtiennes du Concile de Vatican II, 21. 11. 1964 Nouvelle Revue Thologique, TournaiLouvainParis Nova et Vetera, Genve Orientalium Ecclesiarum. Dcret sur les Eglises catholiques orientales du Concile de Vatican II, 21. 11. 1964 Paroisse et Liturgie, Bruges Parole et Pain Patrologiae coursus completus. Series Graeca. Accurante J.P. Migne, Paris, 18571866 Patrologiae coursus completus. Series Latina. Accurante J.P. Migne, Paris, 18781890 Patrologiae latinae supplementum, d. Hamman, A., Paris
XVI

PO QLP RB RevSR RSR RHE RHPR RSPhTh RThom RTL RTP SC SCh SJTh StLi ThS UnSa UR WCC

Presbyterorum Ordinis. Dcret sur le ministre et la vie des prtres du Concile de Vatican II, 07. 12. 1965 Questions Liturgiques et Paroissiales, Louvain Revue biblique, Paris Revue des sciences Religieuses, Paris Recherches de Science Religieuse, Paris Revue dHistoire Ecclsiastique, Louvain Revue dHistoire et de Philosophie Religieuse, Strasbourg Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques, Paris Revue Thomiste, Paris Revue Thologique de Louvain Revue de Thologie et de Philosophie, Lausanne Sacrosanctum Concilium. Constitution sur la Liturgie du Concile de Vatican II, 04. 12. 1963 Sources Chrtiennes, Paris Scottish Journal of Theology, Edinburgh Studia Liturgica, London Theological Studies, Baltimore Unam Sanctam, Paris Unitatis Redintegratio. Dcret sur lcumnisme du Concile de Vatican II, 21. 11. 1964 World Council of Churches, Geneva (= COE)

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INTRODUCTION Toutes les Eglises engages dans le dialogue cumnique sont daccord pour dire que la notion de communion (koinniacommunio) exprime ce quest lEglise dans son tre, sa vie et sa destine ultime. Comme le dit le pape JeanPaul II dans sa lettre apostolique pour la clture du grand Jubil de lan 2000, la communion incarne et manifeste l'essencemme du mystre de l'Eglise1. Les Eglises runies au sein du Conseil cumnique des Eglises, ainsi que celles qui sont reprsentes dans la commission Foi & Constitution sans ncessairement tre membres du Conseil comme lEglise catholique romaine , sont unanimes pour dire que la notion de koinnia est un concept cl dans le rcent dbat cumnique sur l'Eglise2, et quelle est fondamentale pour la relance d'une conception commune de la nature de l'Eglise et de son unit visible3. Pourtant, aussi paradoxal que a puisse paratre, tout en tant daccord pour dire que lEglise est une communion, les Eglises continuent avoir des conceptions divergentes de ce que signifie tre lEglise, tre une Eglise ou tre une communaut dEglise. Le paradoxe est dautant plus grand que sur le fondement des Ecritures saintes et de la Tradition ancienne commune, elles reconnaissent gnralement les mmes parties intgrantes dans le concept de communion. Malgr tout, elles continuent concevoir diffremment la nature, le but et lunit visible de lEglise. Il est vident que tant que les chrtiens auront des conceptions diffrentes de ce qui constitue lEglise dans son tre et dans sa vie, la pleine communion visible ne saura pas se raliser. Il est donc ncessaire quils persvrent dans un dialogue cumnique honnte et continuent

JEANPAUL II, Novo Millennio Ineunte. Lettre Apostolique pour la clture du grand Jubil de lan 2000, 6 janvier 2001, n42, cf. nos43-47 (http://www.vatican.va, 01. 04. 2004). 2 Vers une conception et une vision communes du Conseil cumnique des Eglises. Dclaration dorientation gnrale, n3.3 (http://www.wcc-coe.org/wcc/assembly/or-6af.html, 23. 04. 2004). 3 FOI & CONSTITUTION, La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune, Document de Foi et Constitution 181(novembre 1998), n48 (http://www.wcc-coe.org/wcc/what/faith/nat1-f.html, 23. 04. 2004).

scruter ensemble le mystre de lEglise, dans lespoir de pouvoir atteindre un jour la communion pleine et visible, qui sexprimera dans la clbration commune de leucharistie. En voquant le concile Vatican II et lengagement irrvocable de lEglise catholique dans le mouvement cumnique moderne, JeanPaul II dans son encyclique Ut unum sint, consacre la question cumnique, encourage toutes les Eglises ce dialogue et en explique les conditions ncessaires du point de vue de lEglise catholique1. Conscient de limportance fondamentale de la doctrine, il rappelle que l'unit voulue par Dieu ne pourra pas se raliser par des compromis doctrinaux, puisquen matire de foi, le compromis est en contradiction avec Dieu qui est Vrit, mais bien par l'adhsion commune la totalit du contenu rvl de la foi2. En effet, l'amour de la vrit est la dimension la plus profonde d'une recherche authentique de la pleine communion entre les chrtiens3. Cest pourquoi, chacune des parties qui participent au dialogue doit prsupposer chez son interlocuteur une volont d'unit dans la vrit4. Cest avec de tels prsupposs de base que nous avons voulu participer, par le prsent travail, au dialogue sur lEglise men actuellement au sein du mouvement cumnique. Cette dissertation se veut tre une voix personnelle qui entend demeurer entirement fidle la foi de notre Eglise cestdire lEglise catholique romaine , et, en mme temps, sensible aux convictions de foi manant des autres traditions chrtiennes. La place de premire importance accorde la notion de communion dans la recherche ecclsiologique actuelle, ainsi que les difficults quelle suscite, nous ont incits scruter, une fois de plus, ses potentialits et ses limites dans le processus actuel dlaboration dune conception commune de lEglise ; processus lanc, il y a quelques annes, par le document de la Foi & Constitution intitul La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune5.

JEANPAUL II, Ut unum sint. Lettre encyclique sur lengagement cumnique de lEglise catholique, nos28-39 et 77-79 (http://www.vatican.va/edocs/FRA0080/_INDEX.HTM, 20. 10. 2003). 2 Ibid., n18. 3 Ibid., n36. 4 Ibid., n29. 5 FOI & CONSTITUTION, La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune (novembre 1998), Document n 181 (http://www.wcccoe.org/wcc/what/faith/nat1-f.html, 23. 04. 2004).

Notre dissertation est compose de trois tudes dingale longueur, dont chacune poursuit un but propre et suit dautres principes mthodologiques, lesquels sont expliqus chaque fois dans une note introductive. Lunit de lensemble est due au fait que chacune des tudes traite de la mme question qui est celle de la communion ecclsiale. La structure de trois tudes peu typique pour une thse de doctorat nous semble bien correspondre au but que nous nous sommes fixs dans notre dissertation, savoir : proposer une contribution catholique au dialogue cumnique actuel sur lEglise, au cur duquel se trouve la notion de communion. Dans cette perspective, nous avons privilgi lEglise catholique en accordant la plus grande place la prsentation de sa doctrine sur lEglise. Cependant, pour avoir un caractre cumnique, un travail de thologie catholique doit, dune part, tenir compte de la foi commune de tous les chrtiens et assimiler de manire organique des conceptions et visions manant des autres traditions qui ne sopposent pas sa doctrine et, dautre part, dmontrer les points de divergence et les impasses qui persistent. Cest pourquoi nous avons largi ce travail par deux autres tudes, dont lune est consacre la notion de communion en soi, et lautre lecclsiologie cumnique de communion labore dans les structures du Conseil cumnique des Eglises. Ltude par laquelle commence le prsent ouvrage vise nous faire connatre la notion de koinniacommunio, ses parties intgrantes, ses exigences et ses implications ecclsiales ncessaires travers une approche smantique, une approche biblique et une approche patristique, prcdes dune prsentation de lvolution historique du sens du mot communion dans lusage ecclsiastique. La plus courte de toutes les trois, elle est conue comme une sorte dintroduction dveloppe la problmatique. La deuxime tude, beaucoup plus longue, retrace le dveloppement thologique de la notion de koinniacommunio et de lecclsiologie de communion travers les contributions successives apportes par les Assembles mondiales du Conseil cumnique des Eglises, et les Confrences mondiales de la commission Foi & Constitution partir du dbut des annes soixante et jusqu la fin du 20me sicle. Lintrt dune telle prsentation nous semblait tre double. Premirement, notre connaissance, aucune tude, na retrac de manire systmatique lvolution chronologique de la thologie de la communion ecclsiale dans le dialogue cumnique men au sein du Conseil. Il existait donc
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un rel intrt dentreprendre une telle tude, ct de lhistoire doctrinale du mouvement cumnique, et plus spcifiquement du Conseil cumnique des Eglises et de sa commission Foi & Constitution. Deuximement et ctait notre intrt principal , il sagissait de cerner, travers ce dveloppement la vision de la communion ecclsiale telle que le Conseil la labore en identifiant ses parties intgrantes et ses conditions ncessaires. Avoir une apprhension claire de cette vision cumnique de la communion qui a t forme au cours dun demi sicle de dialogue doctrinal entre diverses traditions chrtiennes, partir de sources communes de la foi nous tait indispensable pour pouvoir la comparer avec la conception spcifiquement catholique fonde sur la doctrine de Vatican II. La troisime tude, qui est aussi la plus longue, est une prsentation de lecclsiologie catholique contemporaine sur le fondement des documents du concile Vatican II et du Magistre postconciliaire. Ella a la forme dun dveloppement systmatique construit autour des quelques thmes fondamentaux de lecclsiologie grande porte cumnique, et qui sont tous traits la lumire de la notion de communion. En plus, les thmes sont mis dans la perspective des donnes bibliques, patristiques et relvant de la Tradition thologique de lEglise, parfois claires par lapport des sciences philosophiques ou sociologiques. Tout en esprant avoir propos dans cette tude une vision de lEglise qui soit cohrente et conforme la doctrine de foi catholique, notre prsentation ne prtend pas lexhaustivit. Sans aucun doute, dautres questions auraient pu y tre traites ; la mme problmatique aurait pu tre expose suivant un plan diffrent. Il sagit donc dune prsentation personnelle de la doctrine catholique sur lEglise comprise comme communion, laquelle prsentation est inspire par une double proccupation : dune part, elle veut demeurer fidle lesprit de Vatican II ; dautre part, elle veut tre ouverte aux questions cumniques actuelles, et dont la rsolution est indispensable pour faire avancer le dialogue doctrinal sur lEglise entre les diffrentes traditions chrtiennes. Dans la conclusion gnrale, nous avons mis au jour les parits et les disparits qui existent encore (ou toujours) entre la vision catholique et la vision cumnique de la communion ecclsiale. Avoir une conscience claire des impasses actuelles et des ouvertures possibles de lecclsiologie cumnique est en effet fondamental si lon veut valuer les conditions ncessaires et les possibilits relles de llaboration
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dune vision commune de lEglise, comme : sa nature, son but, sa place dans lconomie divine du salut, son unit et sa destine ultime. Quant au genre littraire, ce travail se rapproche tantt dun trait, tantt dun essai de thologie. Il est la fois un crit o sont exposs dune manire systmatique plusieurs sujets particuliers relatifs au thme de communion ecclsiale ce qui lapproche dun trait classique de thologie , et un ouvrage o sont dveloppes des rflexions diverses sur plusieurs thmes sans pour autant les puiser ce qui lapproche dun essai. Rdige en franais, notre dissertation se nourrit surtout de la littrature disponible dans cette langue. Des textes en anglais y sont galement largement analyss (surtout dans la seconde tude) ainsi que, sporadiquement, des ouvrages en italien. Nous regrettons de navoir pu explorer la riche littrature allemande, surtout rcente, sur le thme de la communion. Malheureusement, ignorant cette langue, nous avons d nous limiter quelques traductions franaises ou anglaises disponibles. Ecrivant ltranger nous ne disposions pas de la littrature thologique dans notre langue maternelle le polonais. Malgr ces manquements et bien dautres sans doute , nous esprons avoir crit un texte qui tienne compte de luniversalit de lEglise, sinon quant la diversit linguistique, au moins quant lcumnicit thologique.

PREMIERE ETUDE : La notion de communion quelques claircissements sur le terme, sa comprhension et son volution

Notes mthodologiques
Cette premire tude, la plus courte de toutes les trois, est conue comme une sorte dintroduction au thme de notre dissertation la communion (koinniacommunio). Son but consiste nous familiariser avec la notion de communion travers trois approches complmentaires une smantique, une biblique et une patristique , qui sont prcdes par une prsentation de lvolution historique du sens du mot communion dans lusage des Eglises. Bien des tudes linguistiques, scripturaires et patristiques qui donnent des analyses dtailles et bien documentes, ont t consacres cette notion au cours du dernier demi sicle du dialogue cumnique ; nous en mentionnons plusieurs dans les pages qui suivent. Cependant, nous nenvisageons pas en produire une autre ; conformment lobjectif exprim dans le titre de cette tude, nous fournissons ici quelques claircissements relatifs au terme et sa comprhension, qui constituent une porte dentre dans la problmatique complexe de la communion.

1. Le mot communion volution du sens


Il est significatif que le thme de lEglise communion (ou de lEglise comme communion) ait apparu dans le dialogue cumnique loccasion du dbat consacr leucharistie et plus prcisment lintercommunion. Ce simple fait nous indique dj au moins deux choses importantes pour notre sujet. Premirement, nous constatons une certaine ambigut dans le terme communion qui peut dsigner soit lEglise, soit leucharistie, soit lune et lautre en mme temps. Deuximement, nous relevons aussi quil existe un lien troit entre leucharistie dun ct et lEglise de lautre. En effet, la notion de communion constitue le point culminant du dbat cumnique concernant le partage eucharistique, considr par toutes les Eglises comme la plus importante expression visible de lunit ecclsiale des chrtiens. Jusquune poque rcente, le terme communion tait employ presquexclusivement tant dans la thologie que dans la pastorale comme une abrviation de lexpression communion eucharistique. Aujourdhui encore, pour beaucoup de chrtiens, il renvoie essentiellement la clbration de la messe ou du culte eucharistique, et se rattache plus spcifiquement ce moment prcis de la liturgie eucharistique o les fidles reoivent le corps et le sang du Christ en partageant le pain et le vin de la communion1. Le verbe communier, qui renvoie laction de recevoir la communion eucharistique et le participe communiant, qui utilis la manire dun substantif dsigne la personne qui la reoit, possdent ainsi des acceptions correspondantes. Dans lensemble des Eglises, ce sens eucharistique a domin pendant des sicles dans lusage ecclsial du mot communion. Cependant, sous limpulsion du mouvement cumnique, la thologie de la seconde moiti du 20me sicle a montr un intrt renouvel pour
Des dictionnaires et des encyclopdies thologiques en tmoignent. Jusquaux annes rcentes, lorsquils parlaient de la communion, il y tait presque exclusivement question des diffrents aspects de la communion eucharistique : les conditions et lge de sa rception, la communion frquente, la communion sous une ou deux espces, lantienne de la communion, etc. Le Dictionnaire de Spiritualit des annes cinquante, par exemple, parle uniquement de la communion au sens de la communion eucharistique, sans mme mentionner le sens ecclsiologique du terme (t. 2, Paris, 1953, 1188-1288).
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ce que lOccident chrtien dsigne par le mot communio et lOrient par le mot koinnia. Des tudes approfondies dans les Eglises et au sein du mouvement cumnique ont t consacres la signification du terme, lvolution du concept, aux conditions et exigences de la communion suivant diffrentes traditions confessionnelles, et au dveloppement historique de la doctrine et de la pastorale de la communion dans les Eglises1. Ces recherches ont dmontr que la limitation du sens du terme communion au seul domaine eucharistique tait incorrecte la lumire des donnes smantiques, bibliques et patristiques, et quelle constituait un appauvrissement de son sens originel et original. Sous limpulsion de ces dcouvertes, ds la fin des annes cinquante, le terme a fait une vritable carrire thologique, en devenant rapidement la catgorie dominante dans le dialogue cumnique sur le rtablissement de lunit visible entre les Eglises. Dans cette volution de lusage, le sens ecclsiologique est devenu prpondrant, sans pour autant que le sens eucharistique ft perdu ou oubli. En effet, les Eglises ont mieux saisi que la communion ecclsiale et la communion eucharistique sont insparables et que la vraie et pleine communion ecclsiale doit ncessairement sexprimer dans la communion eucharistique. Dans le langage actuel des Eglises, le terme communion indique le but vers lequel tend le mouvement cumnique. Il dsigne la communion voulue par le Christ2. Les Eglises reconnaissent que cette communion ecclsiale saccomplit sacramentellement, et se manifeste visiblement au plus haut degr dans la clbration communautaire de leucharistie. La participation commune la table eucharistique implique et exprime la communion des participants avec Dieu et des participants entre eux.

1 Pour une vue densemble voir, BIRMELE, A., Status questionis de la thologie de la communion travers les dialogues cumniques et lvolution des diffrentes thologies confessionnelles , dans Dossetti, G (d.), La Ricerca Constituente 19451952, Il Mulino, 1994, 245-284 ; cf. TILLARD, J.M.R., art. Communion , dans Lacoste, J.Y. (d.), Dictionnaire critique de thologie, PUF, 1998, 236-242 ; CONGAR, Y.M., art. Koinnia Dictionnaire de Spiritualit, t. VIII, Paris, 1974, col. 1743-1769 et du mme auteur Diversit et communion, Paris, 1982, 126-134. Parmi les tudes plus dtailles sur la communion, il convient de consulter, WCC, On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference of Faith and Order, Geneva, WCC, 1994 ; CDF, Communionis notio. Lettre sur lEglise comprise comme communion, 28 mai 1992, www.vatican.va, 11. 03. 2003. 2 WORLD COUNCIL OF CHURCHES, Terminologie cumnique, Genve, WCC Publications, 1975, 227.

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Une telle comprhension de la notion de communion, avec ses diffrentes harmoniques, met en valeur lenracinement ecclsial de la communion eucharistique et lenracinement eucharistique de la communion ecclsiale des fidles. Cest pourquoi, leucharistie peut tre appele le sacrement de la communion ecclsiale. La Tradition de lEglise tmoigne unanimement que lEglise est insparable de leucharistie comme leucharistie de lEglise1. Ceci rvle le caractre total de la communion, qui est ecclsiale et eucharistique en mme temps. Les deux aspects sont indissociables et complmentaires, au point que les frontires entre eux seffacent : mot communion renvoie tantt la communaut des croyants, tantt leucharistie ; comme en tmoigne dj la doctrine paulinienne du corps du Christ (1Co 10, 1617)2. Mme si le mot communion se distingue par une forte coloration eucharistique, le mouvement cumnique a dmontr quil sagissait dune notion dont le sens originel dominant tait ecclsiologique. Les dictionnaires profanes de la langue nous enseignent dj que ce terme dsigne, en premier lieu, la profonde unit desprit et de vie entre les personnes appartenant une mme Eglise, partageant les mmes croyances de type religieux, et entretenant des formes spcifiques de la vie commune3. En accord avec cette acception smantique fondamentale, ds le dbut du mouvement cumnique contemporain, le terme communion tait frquemment utilis pour dsigner diffrentes communauts confessionnelles dans le christianisme. On parlait ainsi de la communion catholique, orthodoxe, anglicane, luthrienne, rforme, etc4. Dans le monde protestant, o est n le mouvement cumnique
Lintensit du lien entre lEglise et leucharistie dans la conscience de lEglise, travers les sicles, se trouve illustre par le renversement de sens qui sest opr entre les expressions corpus mysticum et corpus verum au MoyenAge. Originellement, lappellation corpus mysticum sappliquait leucharistie et lappelation corpus verum lEglise. Peu peu, par un jeu des diverses circonstances dont lenchanement est subtil et complexe, cest lEglise qui, lissue de la crise brengarienne au 12me sicle, est appele le corpus mysticum et leucharistie le corpus verum (Voir ce sujet, DE LUBAC, H., Corpus mysticum. LEglise et leucharistie au MoyenAge, Paris, 19492). 2 Sur ce texte voir, supra, 5.2.3 : Koinnia comme participation communautaire. 3 Communion , Le Grand Robert de la langue franaise, t. II, Paris, 1985 ; Communion dans Trsors de la langue franaise, t. V, Paris, 1977. 4 Cet usage actuel nest cependant pas une pratique invente par le mouvement cumnique contemporain. Dans lantiquit dj nous constatons ce type demploi du terme communion. Cest, par exemple, le cas de saint Augustin qui lutilisait pour parler
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moderne, ce type dusage du mot communion saccompagnait de lclosion progressive dune nouvelle conscience ecclsiologique, laquelle concevait lEglise universelle comme une communion de communions confessionnelles diverses1. Selon cette conception, prconise pendent longtemps au sein du Conseil cumnique des Eglises, la communion ecclsiale nimpliquait pas, de soi, lappartenance de tous les chrtiens la mme communaut ecclsiastique. LEglise du Christ tait considre essentiellement comme une communaut mystique et invisible, compose de tous les baptiss (ou de tous les croyants) qui confessaient les points fondamentaux de la foi chrtienne ; notamment la seigneurie du Christ. Lunique Eglise universelle existait ainsi rpandue en une multitude de communions confessionnelles distinctes et indpendantes au niveau de structures ecclsiastique mais unies par la rfrence commune au mme et unique Sauveur, JsusChrist. Cependant, les recherches cumniques rcentes puisant surtout dans la Bible, les Pres et la liturgie et sappuyant galement sur la philosophie, la psychologie et la linguistique , ont permis la thologie actuelle dapprofondir le sens de la notion de communion et den redcouvrir la richesse authentique. Elles ont dmontr que le sens ecclsiologique du mot communion ne peut tre rduit ni une simple association extrieure de personnes rsultant de leur appartenance aux mmes structures ecclsiastiques (societas ecclesiastica), ni une communion purement spirituelle et sans aucun cadre visible (communio spiritualis). A la lumire de ces acquis, les Eglises engages dans les dialogues cumniques sont gnralement daccord pour dire que lunit ecclsiale, qui est dsigne par le terme communion (koinnia communio), est multidimensionnelle : elle signifie simultanment lunion de plusieurs personnes dans la mme foi (communio fidei), une communaut de prire (communio liturgica) et une vie de fraternit entre elles (communio existentialis), tout cela encadr par une structure sociale (communio socialis) qui rend possible et effective la communion. Cest donc une ralit beaucoup plus riche que le sens

tant de lEglise catholique que de celle des donatistes : comme les catholiques, les donatistes, eux aussi, formaient dans le monde une communio (AUGUSTIN, Contra Epist. Pareniani I, 3, 5: PL 43, 37; De baptismo I, 10, 14: PL 43, 117). 1 CONGAR, Y.M., Note sur les mots Confession, Eglise et Communion , Irnikon, 23 (1950), 30-36.

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mystique de communio spiritualis, et beaucoup plus intime que ne revt le sens socitaire de communio socialis. Mme si leucharistie se trouve au centre de la vie de lEglise, il nest pas correct de limiter la communion ecclsiale la clbration de la cne, ni de rduire le sens de ce mot cette acception particulire. Dans lEglise, la communion se noue travers des liens multiples dont certains sont divins et dautres humains. Grce ces liens, les membres de lEglise se savent en communion si organique et si profonde avec le Seigneur et entre eux quils nhsitent pas sappeler le corps du Christ. Lvolution par laquelle est pass le terme communion au cours des dernires dcennies, grce au mouvement cumnique, est double et concerne tant son usage que sa comprhension. Concernant lusage, le terme nest plus rserv exclusivement au domaine eucharistique, et est devenu courant dans lecclsiologie ; dans le mouvement cumnique, cet emploi ecclsiologique est actuellement dominant. Concernant la comprhension, diffrentes vues unilatrales, prconises dans certaines Eglises, ont cd progressivement la place une conception plus globale, dans laquelle sont organiquement associs diffrents aspects de la communion. Ce qui pose problme aux Eglises daujourdhui, ce nest plus tellement la comprhension de la notion de communion, mais, comme nous allons le voir dans cette dissertation, les conceptions diffrentes de ses diverses parties intgrantes. Lorsque les Eglises affirment ensemble que la communion implique la profession de la mme foi, cela ne signifie pas encore quelles sont daccord sur linterprtation de ses divers articles ; si les Eglises admettent que la pleine communion visible de lEglise implique le partage commun de leucharistie, elles se distinguent pourtant considrablement dans leurs doctrines eucharistiques respectives, et dans les conditions dadmission la table du Seigneur ; si elles reconnaissent toutes que des structures communes sont ncessaires pour maintenir lEglise en communion visible, elles en ont toutes des conceptions varies, et souvent incompatibles entre elles ; etc. Revenons pourtant notre mot, afin de savoir sil est possible de chercher des solutions communes ces problmes particuliers partir de lanalyse de la notion elle-mme1.
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Ajoutant encore que mme si communion est un mot par excellence religieux, il se rencontre galement dans la littrature profane. Dans cet usage littraire, qui sinspire sans doute du sens religieux, la notion de communion se rapporte parfois au partage des

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2. La Koinnia dans le grec classique


Dans le franais ecclsiastique, le mot communion traduit plusieurs termes des langues anciennes lesquels possdent des sens associs mais distincts. Il sagit tout dabord du terme grec koinnia et des autres mots drivs de la racine koinos. Les mots de ce groupe y compris la forme nominale koinnia ne sont pas propres la culture chrtienne. Leur usage littraire remonte aux temps des crivains et des philosophes grecs de lantiquit classique. Etymologiquement, koinos dsigne ce qui est publique, commun, accessible tous, ordinaire et soppose idios qui dsigne ce qui est propre , particulier, priv1. Les formes verbales drives de koinos se traduisent par mettre en commun, communiquer, participer , avoir part . Il existe deux formes nominales : koinnia et koinonos. Le substantif fminin koinnia dsigne la communaut ou la collectivit, tandis que le substantif masculin koinonos dsigne un particulier qui peut tre un ami proche, un compagnon de route fortuit, ou un associ dans une affaire quelconque. Quant ladjectif koinonikos, son sens est qui concerne la communaut. Tous les mots du groupe koinos expriment lide de communion entre des personnes. Cette communion peut pourtant avoir divers degrs dintensit. Suivant le cas, il peut sagir aussi bien dune association purement extrieure base sur la communaut dintrts, que dune communion intrieure ancre dans lunit de sentiments et de penses. Dans tous les cas cependant, il sagit dune relation de relative proximit entre des personnes qui tendent ensemble vers un mme but, ou qui mettent lusage commun leurs biens propres ou encore qui partagent une vie commune quelle que soit sa forme (famille, habitation

activits de la vie quotidienne par les membres dune famille, ou par de proches amis ; parfois, il dsigne une profonde relation affective et sentimentale entre des personnes lies par des liens damiti ou damour ; on la trouve galement employe pour dsigner la relation sexuelle par laquelle sexprime lamour entre un homme et une femme (Cf. Communion , Trsor de la langue franaise, t. V, Paris, 1977 et Communier et Communion dans RAY, A. d., Dictionnaire historique de la langue franaise, Paris, 1992 ; nous trouverons dans ces articles des rfrences des auteurs et des uvres). 1 Cf. koinos et idios , dans Dictionnaire tymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, 1968.

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commune, etc.). Deux ides y sont associes intimement : celle de donner et celle de recevoir. Platon, par exemple, utilise le terme koinnia dans trois acceptions qui refltent trois degrs de proximit entre les personnes concernes. Au niveau le plus bas et dans un sens trs large, la koinnia exprime chez lui lide de rencontre entre des personnes humaines quil sagisse dune fte ou dun voyage fait ensemble. A un niveau plus lev se situe une koinnia base sur lamiti ou lamour. Au sommet de cette hirarchie, il y a la koinnia entre les humains et les dieux, o le ciel et la terre sont relis1. Aristote, par contre, nutilise jamais les termes du groupe koinos pour exprimer lide de communion entre les humains et les dieux ; il les rserve uniquement au contexte dune communaut humaine, quil sagisse de la cit, de larme, de la tribu ou de la famille. De mme, il fait une distinction entre une koinnia dintrt et une koinnia desprit. Dans la premire situation, des personnes sassocient sur le fondement dun intrt commun ou pour atteindre plus facilement un mme but ; cependant, mme dans ce cas, le sens est plus profond que celui dassociation extrieure : le partage du mme intrt ou la poursuite du mme but font natre entre les gens des liens de solidarit, une sorte de camaraderie. Dans la seconde situation, il sagit dune communaut intime de sentiments damiti ou damour, lesquels sentiments poussent les personnes concernes tablir des formes stables de vie communes et sengager dfinitivement les unes envers les autres. Selon Aristote, ce second cas constitue une forme plus leve et plus parfaite de la koinnia que le premier. Le terme koinnia revient rgulirement dans La Politique et dans LEthique Nicomaque2. Pour Aristote, lhomme est par nature un tre communionnel, incapable de parvenir son plein panouissement ni datteindre son bonheur propre sans sassocier dautres hommes. Cette inclination naturelle le pousse crer diffrentes communauts, dont les trois fondamentales sont la famille, le village et la cit (ltat). Toute

1 SIEBEN, H.J., Koinnia [chez Platon et Aristote], Dictionnaire de Spiritualit, t. VIII, Paris, 1974, col. 1743-1745 ; KITTEL, G. (ed)., Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids, 1965, 789-800. 2 Pour la notion de koinnia dans lensemble de luvre dAristote, voir, ARISTOTE, Politique. Livre I et II, d. de la Collection des Universits de France (par J. Aubonnet), Paris, 19682, note explicative n4, p. 106.

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communaut se compose de plusieurs tres humains qui sont diffrents les uns des autres et qui tablissent entre eux des relations de types divers. Toute communaut implique lexistence dau moins un but commun sur la base duquel plusieurs personnes sunissent dans une action commune. Grce aux changes qui peuvent concerner des biens matriels ou des biens spirituels les membres de la communaut saident mutuellement bien vivre, cestdire mener une vie vertueuse, synonyme chez Aristote de la vie heureuse. Lide dune koinnia entre les hommes et les dieux, prsente dj chez Platon, sera reprise par le stocisme. Les stociens considrent que laspiration de lhomme une vie de communion stend non seulement sur ses semblables mais galement sur les dieux. Selon Pythagore de Samos (+580 av. J-C), le fait dappartenir un mme dieu doit sexprimer dans une vie de koinnia entre ses adorateurs, koinnia qui doit consister dans le dvouement mutuel et la mise en commun des biens. Ces quelques exemples nous permettent de distinguer les trois principales situations dans lesquelles le mot koinnia et les termes associs sont utiliss par des auteurs grecs. Il peut sagir soit dune association des citoyens (village, cit), soit dune communaut intime entre des personnes humaines (famille, amis, amoureux), soit dune union entre des hommes et des dieux, sur base de laquelle se construit une vie de communion entre les hommes se rfrant au mme dieu. Quel que soit le cas, deux ideclefs se conjuguent dans le concept grec de koinnia : celle dune association de plusieurs personnes en vue dune action commune, et celle dune participation commune aux mmes biens (matriels ou spirituels) ; association et participation sont insparables lune de lautre. Il sagit au fond dune vie partage bien que lextension et lintensit de ce partage puissent varier suivant les situations. Chez les philosophes grecs la conviction domine que la koinnia correspond la nature sociale de lhomme : lhomme est un tre communionnel qui ne peut pas se raliser pleinement ni dvelopper ses potentialits humaines dans lexclusion des autres1. Dans la culture grecque antique, lamiti entre des hommes (philia) tait considre comme la ralisation la plus parfaite de la koinnia. Lidal de cette

Cf., supra, Troisime tude, 2.1. De l animal social l tre relationnel quelques repres philosophiques.

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koinnia de type adelphique vcue au sein dun petit groupe damis et o tout est partag, est bien exprim dans un proverbe attribu aux pythagoriciens mais trs estim par la quasi-totalit de philosophes de lantiquit : entre amis tout est commun1. Lidal de la koinnia adelphique tait rpandu et grandement estim dans le monde grec lapparition du christianisme.

1 On trouve cette ide chez tous les grands philosophes de lantiquit. A titre dexemple, PLATON, Lysis, 507c ; ARISTOTE, Eth. Nic., VIII, 11, 1159b 31 ; TERENCE, Adelphes, 804.

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3. Communio, communicatio et communicare dans le latin classique


Communion est la transcription franaise du substantif latin communio. Grammaticalement, communio se compose de cum et munus1. Etymologiquement, il reflte donc les diverses significations vhicules par ces deux composants. Les principaux sens de la prposition cum sont : avec, du ct de, ensemble, en mme temps, simultanment. Dans lusage profane habituellement militaire ou civique , le nom munus signifie charge, obligation ou devoir accomplir (envers la patrie, la cit, etc.) ; tandis que dans lusage religieux (mais pas ncessairement chrtien), munus signifie sacrifice offert pour des morts ou offrande rendue la divinit ; le contexte est habituellement cultuel et liturgique. Vhiculant simultanment le sens dassociation d la prposition cum et le sens de responsabilit drivant du substantif munus, le nom compos com/munio dsigne la communaut dans sa ralit vivante dassociation de personnes lies entre elles par la participation une mission commune et portant ensemble une commune responsabilit. Selon ce sens smantique, la communio na donc rien dun assemblage accidentel des personnes qui se seraient trouves ensemble en raison de circonstances extrieures et indpendantes de leur volont. Au contraire, la communio apparat comme le rsultat dun choix dlibr de la part de personnes qui veulent sassocier pour accomplir une charge commune ou pour poursuivre ensemble un mme but. Derrire le nom latin de communio, il se cache ainsi un rseau de liens divers, dont certains sont extrieurs (objectifs poursuivis) et dautres intrieurs (sentiments), grce auxquels se ralise une profonde unit entre les personnes qui communiquent entre elles et participent dlibrment ensemble la mme ralit. Communiquer et communier rendent en franais le verbe latin communicare qui possde un double contenu. Suivant le cas, il vhicule le sens de rendre commun, mettre en commun, faire la cause commune, ou celui de prendre part , avoir part , participer . Il possde ainsi
Il faut se garder dune fausse tymologie instinctive qui tirerait le mot communio de cum- et unio. En effet, le verbe unire et le nom union sont postrieurs communio (Cf. les articles, Communio , Communicatio , Cum et Munus , dans Oxford Latin Dictionary, Oxford, 1968).
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une dimension active de donner et une dimension passive de recevoir ; dimensions qui sont associes. Ces deux facettes du mot communicare correspondent aux lments dynamique et statique dans la vie de toute communaut humaine. Toute communaut est tablie dans sa structure statique dentit sociologique, en vertu de la communication dynamique qui se fait entre ses membres. Ainsi, la communion (communio) apparat comme le rsultat de la communication (communicare communicatio). Communio, communicatio et communicare, avec toutes les nuances de sens dgages plus haut, sont employs par des auteurs latins classiques1. Ainsi, chez Cicron (+43 av. J-C), le terme communicatio signifie le partage de sentiments intimes et de projets de vie entre des amis, tandis que communio rvle une relation particulirement forte qui rsulte de ces changes. Le caractre exceptionnellement intime et profond dune relation entre des humains et dcrite comme communio, est confirme par le fait que Cicron utilise le mme terme pour dcrire les liens du sang au sein de la mme famille (communio sanguinis). Cicron, et un sicle plus tard lhistorien Tacite (~ +120 ap. J-C), recourent frquemment aux termes du groupe communio-communicatio pour dsigner le partage des joies et des malheurs par des personnes qui vivent ensemble (communicare res adversas, labores, gloriam, inimicitatis). Un autre historien romain, Valre Maxime, contemporain de Tacite, utilise la formule communicare concordiam cum aliquod pour exprimer lide de rconciliation base sur la concorde entre tous. Plaute (~ +184 av. J-C) utilise le verbe communicare pour dsigner le partage dun repas avec quelquun (communicabo te mensa) ; cette communaut de table devient un signe des relations amicales entre les participants. Homme dtat, historien et penseur, Jules Csar (+44 av. J-C) y recourt pour dcrire le partage des biens matriels notamment de largent entre les poux : le mari et la femme sont senss recevoir et mettre en usage commun les mmes biens et dots (Viri quantas pecunias ab uxoribus acceperunt, tantas ex suis bonis cum dotibus communicant). Dans le latin classique quil sagisse de lassociation en vue de poursuivre un mme but, de la possession commune dune chose, du partage dun repas commun ou de la concorde fraternelle , les mots du groupe communio-communicatio-communicare dcrivent toujours les
1 Tous les exemples cits dans ce paragraphe sont puiss dans les articles Communicatio , Communico et Communio , dans Nouveau Dictionnaire Latin Franais, Paris, 1936, 286+ ; nous y trouvons les rfrences aux auteurs cits.

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relations de proximit entre des amis ou les membres de la mme famille. Lide dominante est celle de la proximit spirituelle qui sexprime travers diffrentes formes de la vie commune. Communion apparat ainsi comme la forme la plus leve de convivere. Mme si le substantif munus est parfois utilis pour dsigner loffrande rendue aux dieux, ni les noms communio et communicatio ni le verbe communicare ne sont jamais utiliss chez les auteurs non chrtiens pour exprimer le sens dune communion entre les dieux et les hommes, ou celle entre les membres dun groupe religieux. Ce type dusage apparatra seulement avec lavnement du christianisme.

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4. La communion dans la Bible


4.1. La communion dans lAncien Testament et la culture juive Dans lhbreu, cest surtout la racine hbr et ses drivs qui expriment lide de communion1. Les versions grecques de la Bible traduisent les mots du groupe hbr par diffrents termes du groupe koinos. Ils sont plutt rares ; quelques emplois peine dans le canon hbreux et quelques autres dans les apocryphes2. Il faut remarquer aussi que la racine koinon nest pas lquivalent exact du hbr. Si hbr soriente davantage vers le sens commun et ordinaire, koinon soriente davantage vers le sens avec ou ensemble. La racine hbr, en effet, dcrit originellement ce qui est mis lusage commun en contraste avec ce qui est rserv un usage particulier ou priv. A partir de ce sens gnral, sest dvelopp avec le temps un sens plus prcis avec une connotation religieuse. Dans la littrature rabbinique, le terme hbr dnote ainsi ce qui est profane, en opposition ce qui est sacr ou saint. Il peut sagir, par exemple, des jours de travail en opposition Sabbat, ou de largent utilis pour pourvoir aux besoins de la vie quotidienne en opposition largent offert comme don pour les besoins religieux (entretient du temple ou de la synagogue, clbration du culte, etc.) ou encore des nourritures destines la consommation du peuple en opposition aux nourritures des sacrifices (pains et viande) rserves la consommation des prtres. Dans le judasme hellnistique, les mots du groupe koinos ne possdent pas le sens profane ou ordinaire, typique de la racine hbraque hbr dans la terre juive. Comme nous lavons vu, ils sont utiliss pour dsigner diffrents aspects de la vie commune des gens et ne se rfrent jamais aux objets mais toujours aux personnes. Sous linfluence de ce sens grec, les mots du groupe koinos, lorsquils sont employs dans des

HAUCK, F., Koinos in the Old Testament and Judaism and Koinon- in the Israelite-Jewish Sphere , in Kittel, G. (ed)., Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids, 1965, 790-791 and 800-803. 2 Koinonikos 3x dans le canon juif et 3x dans les Apocryphes ; koinoneo 5x dans le canon et 7x dans les Apocryphes ; koinnia 1x dans le canon et 1x dans les Apocryphes.

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crits religieux juifs pour traduire des termes du groupe hbr, acquirent des harmoniques nouvelles. Dans la Septante, les mots du groupe koinon se rfrent aux diffrentes relations entre les hommes. Les exemples sont divers1 : partage de la mme charge (Job 40, 30), association de type social ou professionnel (Ct 1, 7 ; 8, 13), vie en commun, quil sagisse de la famille ou des amis (Qo 4, 10 ; 2Ch 20, 35 ; Ml 2, 14 ; Si 42, 3). Lide centrale est toujours celle dune communaut de personnes rsultant de leur participation commune la mme chose, ou de la poursuite dun mme but. A la diffrence de lusage classique grec, les mots du groupe koinos ne sont presque jamais utiliss par les Juifs hellnistes pour dcrire les rapports entre Dieu et les hommes ; ni dans la Septante ni dans les crits rabbiniques2. La raison de cette rticence rside, sans doute, dans le sentiment quavaient les Isralites de la distance infinie qui les sparait du Dieu trois fois saint. Dans lIsral, par exemple, nous ne trouvons pas dide damiti entre les hommes et Dieu telle que nous la trouvons chez les Grecs. On ne parle pas de la communion avec Dieu car lide mme de communion implique une certaine galit des partenaires ; or quel Juif oserait se croire gal Dieu ? Non, dans le langage religieux dIsral, on parle de la seigneurie de Dieu et de lassujettissement des croyants3. Mme dans le contexte dun repas sacrificiel qui implique une proximit tout fait exceptionnelle entre les fidles qui loffrent et Dieu qui le reoit, lAncien Testament vite le vocabulaire de la communion4. Les sacrifices des Isralites expriment moins lide dune communion de vie que celle dun engagement rciproque en vertu de lAlliance scelle dans le sang des animaux et confirm par un repas sacr (Ex 24, 1+). Il sagit davantage dune prsence rciproque de Dieu devant et pour le peuple et du peuple devant et pour Dieu, que dune vraie

Cf. diffrents termes de ce groupe dans HATCH, E. & REDPATH, H. (ed), A Concordance to Septuagint, Graz, 1975. 2 Philon est la seule exception connue. Influenc, sans doute, par lusage courant dans le grec classique, il emploie plusieurs reprises des mots du groupe koinos pour exprimer lide de la communion entre Dieu et les hommes (Vit. Mos., I, 158) ; ou dans le contexte dun repas sacrificiel (Spec. Leg., I, 221). Le vocabulaire de koinnia est parfois utilis dans la Bible pour dcrire la communion des nations paennes avec leurs dieux (Is 44, 11 ; Os 4, 17). 3 REUMANN, J. Koinnia in Scripture , in On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference of Faith and Order, Geneva, WCC, 1994, 42-44. 4 HAUCK, F., Op. cit., 790-791 et 801-802.

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communion de vie. Le Code deutronomique qui donne des prescriptions exactes de la manire de clbrer ces repas parle de manger et se rjouir en prsence de Dieu et non pas en communion avec lui (Dt 12, 1-28, notamment vv. 7, 12, 18). Dans le milieu religieux juif, les termes du groupe hbr-koinnia apparaissent, partir du deuxime sicle avant JsusChrist, dans le courant pharisien qui connat des Habrah des communauts fraternelles de disciples qui, sous la direction dun matre, sefforcent de suivre solidairement la Loi dune faon extrmement rigoureuse. Bien que le contexte soit explicitement religieux, les termes de communion sont utiliss ici pour dcrire les relations rciproques dfinies en dtails par les prescriptions lgales entre les membres de la communaut et non pas celles qui les lient Dieu. La communaut de Qoumrn utilise trs rarement des termes drivs de hbr et elle ne le fait jamais pour parler de la relation de ses membres avec Dieu. Et mme en parlant des relations entre les membres de la communaut, elle prfre le terme yahad qui appartient au langage religieux et exprime la solidarit spirituelle entre les membres, ancre dans le partage de la mme foi et non pas dans les sentiments humains. Toutefois, Philon et Josphe parlent avec admiration de la koinnia de vie ralise dans lordre des Essniens1. Dans le contexte de la vie religieuse des Isralites, lide de communaut fraternelle rassemble au nom de Dieu est exprime surtout par les termes ecclesia et synagog2 ou par lusage de diffrentes images et comparaisons3. En concluant nous pouvons dire trois choses : a) les mots du groupe koinos sont rares dans le judasme hellnistique ; b) mme si le terme koinnia rend en grec le terme hbreux hbr, il ny pas dquivalence smantique entre ces deux mots ; c) dans la littrature religieuse, les termes du groupe koinos ne sont jamais utiliss pour parler des relations divinohumaines au sein de la communaut de croyants. Dans cette
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PHILON, Omn. Prob. Lib., 75-91; JOSEPHE, Bell., II, 122s; Ant., 18, 20. Ce dernier dcrit quelquefois par le mot to koinon lunit du peuple autour du gouvernement qui le dirige et veille sur la cohrence et lharmonie de la vie sociale. Dans cet emploi, lide est celle de lunit ethnique, nationale et politique du peuple juif autour de ses dirigeants. 2 HAUCK, F., Op. cit., 790. 3 Cf. ONAIYEKAN, J., The Blessing promised to the nations : the Call of Abraham, Gn 12, 1-9. A personal Vision of Koinonia , in On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference of Faith and Order, Geneva, WCC, 1994, 70-80.

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acception spcifique, cest une notion proprement chrtienne qui apparatra avec le Nouveau Testament. 4.2. La communion dans le Nouveau Testament 4.2.1. Introduction Pour toutes les Eglises chrtiennes, le Nouveau Testament demeure la rfrence principale dans les matires de la foi. Il est donc ncessaire que nous fassions une enqute, au moins rapide, sur le concept de koinnia dans le Nouveau Testament avec une attention particulire aux aspects eucharistiques et ecclsiologiques du problme1. Traiter de la koinnia dans le Nouveau Testament pose cependant un problme mthodologique que lon peut formuler dans linterrogation suivante : doit-on se limiter prsenter les divers emplois que les auteurs bibliques font des mots du groupe koinos, ou doit-on parler du concept notestamentaire de communion dans un sens plus large en se rfrant galement dautres termes, expressions et images, qui apportent des claircissements sur divers aspects du problme ? La premire approche relverait de la stricte exgse littraire du terme tandis que la seconde de la thologie biblique. Dans les lignes qui suivent nous entendons nous placer au point de rencontre de ces deux approches : prenant pour base de nos dveloppements les textes contenant des termes du groupe koinos, nous les mettrons dans un contexte plus large en voquant galement des textes ou ce vocabulaire napparat pas mais qui jettent une lumire de comprhension sur la conception biblique de la koinnia2. Cet largissement de la perspective

Notre enqute se base essentiellement sur les tudes suivantes : BEST, T. and GASSMANN, G. (eds), On the Way to Fuller Koinonia, ch.3 : The Biblical Witness to Koinonia (plusieurs tudes), Faith & Order Paper 166, Geneva, WCC, 1994, 36-69 ; DUPONT, J., La koinnia des premiers chrtiens dans les Actes des Aptres , dans DErcole, G. & Stickler, A.M. (dir.), Communione interecclesiale, collegialit, primato, ecumenismo, Rome, 1972, 41-61 et PANIKULAM, G., Koinnia in the New Testament, Rome, 1979. 2 La mme conviction a t celle de la 5me Confrence mondiale de la Foi & Constitution qui sest proccupe, entre autres, du problme de la koinnia dans la Bible. En effet, plusieurs tudes prsentes lors des dbats traitaient la vision biblique de la koinnia en se basant sur des textes dans lesquels napparaissait aucun mot du groupe koinos. Voir : ONAIYEKAN, J., The blessing promised to the Nations : the Call of Abraham (Gn 12, 1-9). A personal vision of Koinonia ; LEE, D., A vision of

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nous parat dautant plus lgitime et ncessaire que dans aucun texte du Nouveau Testament le thme de koinnia nest ni exclusif ni mme central ; au contraire, il apparat toujours dans des ensembles contenant diffrents mots fondamentaux du langage chrtien. Dans cette tude introductive nous ne pouvons pourtant pas nous tendre sur lensemble des problmes thologiques qui entrent dans lorbite de la koinnia et qui seront prsents dans les deux tudes suivantes. Cest pourquoi, nous ne pouvons pas dvelopper ici une thologie biblique complte de ce thme. Dans notre investigation, nous allons nous laisser guider par les trois sens gnriques qui se dgagent de lanalyse des termes du groupe koinos dans les crits notestamentaires et nous les complterons par des textes qui apportent des harmoniques importantes au thme de la communion. Le vocabulaire de koinnia-communio est utilis dans le Nouveau Testament pour parler des ralits diverses et dans des contextes varis1. En parcourant une concordance biblique, on saperoit que, dune part, certaines acceptions apparaissent dj dans lAncien Testament tandis que dautres sont propres au langage du Nouveau Testament et, dautre part, certains emplois vtrotestamentaires disparaissent du langage chrtien2. La Koinnia nest jamais utilise dans le Nouveau Testament comme nom de lEglise. Cependant les mots du groupe koinos sont employs pour parler des lments essentiels de la vie la communaut chrtienne : lunit dans la foi en Christ, la communion fraternelle entre les croyants qui implique aussi bien le partage des sentiments que celui des biens

koinnia: the anointing at Bethany (Jn 12, 1-8) , dans BEST, T. and GASSMANN, G. (eds), Op. cit., respectivement, 71-80 et 81-84. 1 Pour les occurrences du vocabulaire de la koinnia-communio dans le Nouveau Testament, voir, FISCHER, B. (ed.), Novae Concordantiae Bibliorum Sacrorum iuxta Vulgatam versionem critice editam, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1977 ; LETHIELLEUX, P., Table pastorale de la Bible. Index analytique et analogique, Paris, 1974 ; BOMPOIS, C., Concordance des actes et des ptres, Mame, 1970. 2 On ne trouve pas dans le Nouveau Testament le sens vtrotestamentaire sacrifice de communion (Ex 12, 4 ; 18, 12 ; Lv 7, 15 ; Ez 44, 3, etc.) ; par contre, comme nous lavons vu dans le paragraphe prcdent, on ne trouve pas, dans lAncien Testament le sens communion avec Dieu (ou avec les personnes divines prises sparment) prsent dans le Nouveau Testament ni, videment, celui de communion au corps et au sang du Christ.

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matriels, la clbration communautaire du repas du Seigneur, lassociation dans la mission dvanglisation du monde et lattente commune de la Parousie. On peut dire, que le vocabulaire de la koinnia est employ pour dcrire lEglise des premiers chrtiens dans son tre, sa vie, sa mission et son destin ultime. Ainsi, koinnia apparat comme une notion gnrique qui exprime lide de communion (ou communaut) chrtienne dans ses divers aspects. Cest surtout laptre Paul qui en fait un usage abondant : sur 64 emplois des termes drivs de koinos dans lensemble du Nouveau Testament, 33 se trouvent dans le corpus paulinien1. Pour Paul, les mots de ce groupe, lorsquils se rapportent aux chrtiens, ont toujours une forte coloration religieuse, quil sagisse de la communion des croyants avec les personnes de la Trinit et leur participation aux bndictions spirituelles, ou de la communion entre les fidles au sein de la communaut et de leur vie communautaire. Une analyse des textes contenant des mots du groupe koinniacommunio permet de dfinir quatre contextes diffrents dans lesquels ils apparaissent sur les pages du Nouveau Testament. Un premier est le contexte que lon pourrait appeler trinitaire. Il convient de prciser demble que le terme koinnia nest jamais employ dans la Bible pour parler des relations internes entre le Pre, le Fils et lEsprit2. Il sagit des textes o des mots de ce groupe apparaissent pour parler des liens existant entre les fidles et diffrentes personnes divines : Pre (1 Jn 1, 3b. 6), Fils (1Co 1, 9 ; Ph 3, 10) et lEsprit (2Co 13, 13 ; Ph 2, 1) ou, dans un sens plus gnral, de la participation des croyants la nature et la vie divines (2P 1, 4)3. Un deuxime contexte, que lon pourrait appel eucharistique, est propre saint Paul. LAptre emploie des mots du groupe koinos pour parler de la communion au corps et au sang du

Cette statistique comprend quelques rares passages o les termes de koinos vhiculent le sens de profane ou dimpur et ne se rfrent pas la vie des chrtiens. La forme nominale koinnia apparat dans le Nouveau Testament 19 reprises dont 13 fois chez Paul. Le plus ancien crit chrtien contenant le vocabulaire de koinnia est La premire Lettre aux Corinthiens. 2 REUMANN, J. Koinnia in Scripture , in BEST, T. and GASSMANN, G. (eds), Op.cit., 61. 3 En sortant du contexte proprement chrtien, on peut associer cette acception le sens de communion avec une divinit quelconque, par exemple avec les dmons, comme cest le cas dans 1Co 10, 20.

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Christ lors du repas du Seigneur (1Co 10, 16-18)1. Un troisime contexte est celui de la vie communautaire o diffrents liens qui relient les chrtiens entre eux au sein de la communaut sont prsents au moyen des termes de ce groupe (Ac 2, 42 ; 4, 32+; Ga 2, 9 ; 1Jn 1, 7). Un quatrime et dernier contexte, que lon pourrait appel eschatologique, est celui o il sagit de la communion des saints (Ep 2, 19 ; Ap 7, 9). Nous voyons donc que le vocabulaire de la koinnia tel quil est employ dans le Nouveau Testament est riche en acceptions varies et que son sens ne se limite pas au champ smantique propre au mot franais communion. Dans la Vulgate dj, les mots du groupe koinos ne sont pas rendus toujours par des termes du groupe communiocommunicatio. En effet, comme nous lavons dj remarqu, koinnia et communio ne se recouvrent pas totalement. Jrme traduit le vocabulaire de koinnia au moyen de plusieurs termes, dont certains soulignent laspect dynamique de la communion (participatio), tandis que dautres mettent laccent sur le caractre tabli et structur de la communaut (societas)2. Jusqu nos jours, les traducteurs en langues occidentalles ont suivi gnralement les propositions de Jrme. A lpoque actuelle, sous linfluence cumnique, ils optent plutt pour des mots communion et participation que pour celui de socit3. Aprs ces quelques considrations dordre gnral, nous passons maintenant une analyse plus dtaille de la conception de la

De toute vidence, lide de communier au corps et au sang du Christ est centrale dans les rcits de linstitution de leucharistie (1Co 11, 23-26 ; Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 14-20). Pourtant, aucun deux ne contient de mots du groupe koinniacommunio. 2 La Vulgate traduit koinnia par societas 9x ; par communicatio 5x ; par participatio 1x ; par communio 1x ; par collatio 1x. Ladjectif koinonos est rendu par communicator, socius ou participes ; le verbe koinonein par communicare et par participem fieri. La liste exhaustive avec les indications des endroits prcis est donne dans DEWAILLY, L.M., Communio Communicatio. Brves notes sur lhistoire dun smantme , Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques, 1 (1970), 49 ; cf. On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference of Faith and Order, Geneva, WCC, 1994, surtout le tableau la page 39 qui numre toutes les apparitions des mots du groupe koinos dans le Nouveau Testament. 3 La dernire dition critique de la Vulgate a t corrige dans ce sens (diffrentes versions de la Vulgate se trouvent rassembles sur le CD ROM BibleWorks, plusieurs ditions).

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communion telle quelle apparat nos yeux la lecture des textes du Nouveau Testament. 4.2.2. La koinnia comme mise en commun des ressources matrielles et spirituelles Parmi diffrents sens du terme koinnia dans le Nouveau Testament, nous trouvons celui de donner une part, faire part, mettre en commun. Lide centrale exprime par divers passages contenant le vocabulaire de la koinnia dans cette acception, est celle du partage qui ralise et manifeste la communion de foi et damour entre les chrtiens. Dans le contexte de la collecte de Paul pour les chrtiens de Jrusalem (Ac 2, 42-47 ; 2Co 8, 4), il sagit du partage des ressources matrielles avec les pauvres membres de lEglise. Mais il ne faut pas y voir un altruisme de type humaniste bas sur lamour purement naturel de la personne humaine. La vraie motivation de la collecte est proprement religieuse : ce geste doit manifester la communion de foi, de cur et de vie entre ceux qui partagent la mme foi en Christ. Pour Paul, il sagit de se conformer aux exigences de la foi en mettant en pratique les appels du Christ la charit et la fraternit qui doivent caractriser les disciples. A regarder de plus prs les motivations de la collecte laquelle Paul tient autant, on se rend compte que laspect spirituel prime sur laspect matriel : mettre une part de ses ressources matrielles la disposition des frres qui sont dans le besoin soude la communion spirituelle entre ceux qui donnent et ceux qui reoivent. Donner, ne se limite pas faire un don matriel mais cre une situation de communion spirituelle entre les donateurs et les receveurs par del le don, celui qui donne participe celui qui reoit et celui qui reoit celui qui donne. Le fait que la collecte soit organise parmi les chrtiens venant du paganisme et destine la communaut de Jrusalem acquiert une importance particulire. Pour Paul, les paens qui participent aux bndictions spirituelles accordes originellement aux fils dIsral, sont moralement obligs de partager avec les pauvres frres de Jrusalem leurs ressources matrielles (Rm 15, 26- 27). Il y a ici lide dune ncessaire rciprocit dans le partage, et qui constitue un trait essentiel de la koinnia chrtienne : dans lEglise du Christ, personne ne doit abuser personne mais chacun est appel partager avec les autres les biens dont il dispose ; que ces biens soient matriels ou spirituels. Le fait que des paens pourvoient aux besoins vitaux des Juifs constitue
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pour Paul le cur du projet et la raison de sa grande dtermination personnelle pour le mener sa fin (Ga 2, 10). La collecte doit manifester lunit de la communion ecclsiale travers le monde ; unit constitue des communauts locales dont les unes sont formes des Juifs et les autres des paens. Paul agit au nom de la conviction (qui ntait pas vidente lpoque mme parmi certains chrtiens) selon laquelle la communion chrtienne transcende toutes les frontires : gographiques, nationales, sociales, culturelle, etc. La collecte devient alors une expression concrte de la rconciliation universelle et dfinitive entre les diffrentes fractions de lhumanit que le Christ a initie sur la croix en dtruisant le mur de haine qui les sparait, et les runissant dans lunit de son corps (Ep 2, 14. 16). A cet aspect de partage avec ses diffrentes dimensions symboliques, sajoute un autre, celui de limitation du Christ qui permet au fidle dentrer en communion avec lui. Faire don dune partie de ses biens pour secourir des frres dans le besoin rend le chrtien semblable au Christ qui, de riche quil tait sest fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvret (2Co 8, 4-9). La communion acquise ainsi nest donc pas uniquement celle avec les autres chrtiens, mais aussi, travers eux, celle avec le Seigneur lui-mme. Se dpossder de quelque chose cause de la foi en Christ et de lamour du prochain qui senracine dans cette foi, est un don de soi qui fait participer le fidle au sacrifice du Christ sur la croix. Dans lptre aux Hbreux, le partage de biens matriels est insr dans un contexte cultuel qui lui confre une valeur spcifique doffrande spirituelle agrable Dieu (He 13, 16). Donner une part se rfre aussi bien une contribution pcuniaire qu la prdication de la parole et lenseignement de la foi. Paul parle de la communion qui existe entre les fidles qui pourvoient ses besoins matriels, et lui-mme qui pourvoit leurs besoins spirituels par son ministre daptre. Avec reconnaissance, il voque le geste des Philippiens qui lont soutenu financirement ds le dbut de son ministre daptre notamment lorsquil sjournait Thessalonique dans le cadre de son premier voyage missionnaire (Ph 4, 15-16). De nouveau, ce nest pas laspect matriel qui est le plus important pour Paul. Lorsquil exprime sa gratitude envers ses bienfaiteurs, il tient prciser quil ne recherche pas les dons (v. 17), car il est habitu vivre aussi bien dans labondance que dans le dnuement (v. 12). Ce qui importe pour lui, cest la communion spirituelle qui se noue travers le don matriel ; pour cette raison, il loue les Philippiens qui ont bien fait de
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prendre part son preuve (v. 14). Sidentifiant aux besoins de Paul, ils ont montr leur sens dempathie et leur solidarit enracine dans la foi en Christ. De cette foi, ils sont bnficiaires grce lvangile qui leur a t transmis par des aptres, il est donc naturel que ces derniers bnficient leur tour de leur soutient matriel ncessaire pour la continuation de la mission. En sadressant aux Galates, il demande que le disciple fasse part de toute sorte de biens celui qui lui enseigne la parole (Ga 6, 6)1. Dune manire gnrale, les aptres qui font part des biens spirituels aux membres de la communaut par leur ministre ont le droit de vivre des biens matriels que la communaut met leur disposition (1Co 9, 1-14). Cette rgle fait cho la recommandation donne par Jsus lui-mme ses aptres au moment de leur envoi en mission, recommandation selon laquelle louvrier qui prche la Bonne Nouvelle au nom du Christ mrite sa nourriture (Mt 10, 10 ; Lc 10, 7 ; cf. 1Tm 5, 18). LEglise du Christ est une communion dchanges entre les membres : on ny donne pas sans recevoir mais on ne reoit pas non plus sans vouloir partager avec les autres ce que lon a soi-mme. 4.2.3. La koinnia comme participation communautaire Les mots du groupe koinos sont souvent utiliss pour exprimer lide de participer avec des autres, prendre part ensemble, avoir communion quelque chose avec quelquun. En effet, ce sens est le plus frquent dans lensemble du Nouveau Testament en gnral, et dans le corpus paulinien en particulier. Il apparat dans des contextes varis. Dans plusieurs passages, il sagit davoir part la communion qui existe entre le Pre, le Fils et lEsprit Saint. En passant du langage de lexgse celui de la thologie, on parlerait alors de la participation la vie divine ou trinitaire. Cette koinnia est un lien vital en vertu duquel les fidles deviennent participants (koinonoi) de la nature divine (2P 1, 4). Toute la premire lettre de Saint Jean vhicule lide selon laquelle tre chrtien signifie avoir communion avec Dieu le Pre et son Fils JsusChrist (1Jn 1, 3). Il sagit dune relation de proximit qui commence dans ce

Certains y voient une rfrence aux sophistes grecs qui enseignaient en change de largent, ou encore lidal grec de lamiti fonde sur le principe dchange et de rciprocit. Il parat cependant plus probable que Paul se rfre directement au Christ et aux exigences de son vangile, sans avoir ncessairement dans lesprit les rgles et normes empruntes aux autres cultures ou religions.

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monde pour sachever dans le monde venir (1Jn 3, 2). La communion des fidles avec Dieu, dans le Christ, ralise par la foi et lamour (1Jn 4, 8. 16), est le fondement de la communion qui stablit entre les frres au sein de la communaut de croyants (1Jn 1, 7+) ; elle est la motivation profonde de lesprit de communion qui anime la vie de la communaut et qui sexprime dans la charit fraternelle (1Jn 2, 10-11 ; 3, 10. 17)1. De nombreux textes de saint Paul sentendent dans le mme sens : la communion des chrtiens est fonde en Dieu, par le Christ, dans lEsprit. Cest Dieu qui appelle les croyants la communion avec son Fils JsusChrist (1Co 1, 9) et qui les fait entrer dans la communion du Saint Esprit (2Co 13, 13) qui vient de Dieu (1Co 2, 12). Ainsi, la koinnia de vie qui saccomplit lintrieur de la communaut de fidles est ancre dans la koinnia qui existe lintrieur de Dieu. Et comme Dieu demeure unique en trois personnes, lEglise demeure unique dans la multitude de ses membres : le mme Esprit est lorigine de divers dons spirituels qui sert ldification de lEglise, lunique Seigneur suscite la multiplicit des ministres, et le mme Dieu opre tout en tous (1Co 12, 6, cf. Ep 4, 4-6). Tout cela saccomplit en vue du bien commun (1Co 12, 7) et ralise la communion entre les membres nombreux de lunique corps du Christ (1Co 12, 27). Limage du corps du Christ applique par Paul lEglise vhicule un trait essentiel de son ecclsiologie : comme le corps humain ramne lunit la pluralit de ses membres, ainsi, le Christ principe unificateur de son Eglise , ramne tous les chrtiens lunit de son corps. Cette image est en accord parfait avec la thologie paulinienne de la koinnia : comme dans le corps humain tous les membres participent la mme vie naturelle, de mme, dans lEglise tous les membres du corps du Christ participent la mme vie divine en vertu de la participation lunique Esprit. Paul emploie quelquefois lexpression koinnia (tou giou) pneumatos (2Co 13, 13 ; Ph 2, 1), traduite en franais par communion du Saint Esprit. Diffrentes explications de cette formule ont t proposes, et toutes sont possibles du point de vue de la critique littraire. Sans se contredire, elles se compltent plutt et clairent divers aspects de la
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Outre le vocabulaire de la koinnia, Jean emploie dautres termes pour dcrire cette communion qui existe entre Dieu et le chrtien et entre les chrtiens. A titre dexemple, nous pouvons voquer limage de la vigne et des sarments (15, 1-6) ou la prire de Jsus pour lunit avant la passion et la mort (17 11, 20-26).

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communion de lEsprit Saint1. La premire lecture possible est celle qui y voit une rfrence directe la troisime personne divine. L encore, deux possibilits dinterprtation existent. Dans le premier cas on peut lire la formule comme communion (participation) lEsprit Saint, et dans le second cas comme communion entre les chrtiens dans lEglise ralise par lEsprit Saint. Dans ce cas-l, nous pensons instinctivement aux diffrents dons de lEsprit (1Co 12, 4-11) grce auxquels lEglise est difie en tant que le corps du Christ (1Co 12, 7 ; Rm 12, 4-8). LEsprit Saint sy rvle comme lEsprit de lEglise qui ralise la communion entre les membres du corps du Christ. Si nous optons pour la premire variante communion (participation) lEsprit Saint , cela nous amne penser surtout au baptme chrtien qui a le pouvoir efficace de donner le Saint Esprit au croyant (Ac 11, 16). Ainsi, la koinnia des fidles se rvle comme un effet de la grce baptismale, par laquelle tous les chrtiens ont t plongs dans lunique Esprit (1Co 12, 11-13). Cet Esprit est celui du Christ mort et ressuscit pour nous (Rm 6, 3). Ceux qui ont reu le baptme en son nom et qui lui appartiennent par la foi quils soient Juifs ou paens et quel que soit leur statut social ne font quun en lui (Ga 3, 27). Par consquent, avoir part lunique Esprit reu par le baptme (confr au nom du Christ, Ac 2, 38), fait entrer le croyant la communion de lunique Eglise du Christ. Une troisime lecture, qui ne fait pas de rfrence directe la personne de lEsprit Saint, est possible. Certains estiment que dans les deux textes bibliques le contexte permet de traduire lexpression koinnia tou pneumatos par communion desprit qui fait la rfrence lamour, la compassion et laccord des sentiments et des penses entre les fidles lintrieur de la communaut. Dans ce cas, laccent est mis sur lunanimit desprit et la vie de communion qui doivent caractriser les chrtiens dans leurs rapports rciproques. Sans nous croire comptents pour entrer dans un dbat exgtique sur la critique de lexpression, nous pouvons pourtant affirmer avec certitude que les trois variantes restent en accord avec la foi de lEglise telle quelle se trouve exprime dans lensemble des Ecritures et confirme par la Tradition de lEglise. Si les deux premires insistent sur le caractre sacr de la koinnia

REUMANN, J. Koinnia in Scripture , in BEST, T. and GASSMANN, G. (eds), Op. cit., 46-47.

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ecclsiale qui est une participation la koinnia divine elle-mme ralise par lEsprit Saint, la troisime souligne limportance des exigences thiques pour ldification et le maintien de cette koinnia entre les membres de lEglise qui ont t abreuvs du mme Esprit. Dans le contexte de la vie de la communaut chrtienne, la koinnia prend le caractre dune motivation intrieure profonde qui inspire aux fidles la charit, la fraternit, lattitude de partage, lhospitalit, lharmonie, la paix, la justice lgalit, etc. La koinnia implique une faon de vivre et de se comporter, enracine dans la participation de tous les membres de la communaut lunique Esprit qui est la fois et insparablement lEsprit de Dieu et du Christ et lEsprit de lEglise. Cette vie de communion laquelle les chrtiens sont appels dans le Christ ne se limite pas la participation commune aux diffrents dons de lEsprit et aux bndictions spirituelles. Ceux qui forment ensemble lunique Eglise sont appels prendre part les uns avec les autres aux souffrances dont souffre le corps du Christ dans le monde. Paul utilise le langage de la koinnia pour parler de la participation commune des fidles aux souffrances du Christ (Ph 3, 10). Il sagit des souffrances quendurent les membres de lEglise dans le monde cause du Christ et de son vangile. Pour ceux qui appartiennent au Christ et sadonnent rpandre son message du salut travers le monde, des preuves et des tribulations peuvent venir. Pourtant, les chrtiens qui demeurent unis au Christ par la foi sont dj consols, au sein mme des souffrances, et appels communiquer cette consolation aux autres qui souffrent aussi cause du Christ (2Co 1, 4-7 ; 7, 4). Les chrtiens doivent tre en communion les uns avec les autres dans les joies aussi bien que dans les souffrances. Le contexte est clairement ecclsiologique. Pour Paul, il ne sagit pas dune thique individualiste dimitation qui viserait la perfection personnelle du fidle par une sorte de reproduction de la vie du Christ dans sa propre vie. Sil se rjouit de ses souffrances daptre, cest parce quelles sont endures pour lEglise du Christ (Col 1, 24)1.
1 Nous ne voulons pas entrer ici dans la discussion exgtique et thologique sur la prtention de Paul complter dans sa chair ce qui manque aux tribulations du Christ. Signalons simplement que toute son uvre tmoigne, sans quivoque, de sa conviction inbranlable selon laquelle le Christ, crucifi dans sa chair pour nos pchs, est le Sauveur unique et universel dont le sacrifice a t parfait (Col 1, 19-20. 22 ; 2, 9-10. 1314 ; 3, 1). Ce que Paul doit complter, ce ne sont pas les souffrances rdemptrices du Christ pour lEglise, mais son ministre daptre quil appelle les tribulations du Christ en ma chair pour lEglise. Quelle que soit linterprtation que lont puisse donner aux

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Dans lesprit de Paul, chaque fidle doit prendre sa part aux preuves de lEglise dans le monde. Cette solidarit dans les souffrances donne aux fidles le droit de prendre part ensemble la consolation que le Christ accordera, en temps voulu, son Eglise (2Co 1, 3-7). La consolation dfinitive sera eschatologique : ceux qui prennent part aujourdhui aux souffrances du Christ dans lEglise, auront le privilge de partager sa future Gloire (Ph 3, 10-11). La loi de communion stend ainsi de la participation aux afflictions du temps prsent, jusqu la participation la rsurrection la fin des temps et la gloire ternelle : ni dans la souffrance, ni dans le salut, le chrtien nest isol des autres, mais tout est vcu en communion avec les autres, cestdire en Eglise. Cette dimension communautaire de lEglise se manifeste aussi dans lassociation des chrtiens dans la mission dvanglisation du monde. Dans certains passages du Nouveau Testament, le vocabulaire de koinnia est utilis dans le sens de partenariat entre des personnes qui accomplissent ensemble cette tche. Ainsi, Tite est lassoci et cooprateur de Paul auprs des Corinthiens, dans la mission de leur enseigner lvangile du Christ (2Co 8, 23), de mme, il est considr par laptre comme son vritable enfant dans la foi qui leur est commune (Tit 1, 4). La koinnia de lEglise se manifeste dune manire particulirement forte et visible dans la communaut chrtienne rassemble autour dune mme table pour prendre part ensemble au repas du Seigneur. Leucharistie se trouve au cur mme de la vie de communion de la communaut chrtienne. Dans la Premire lettre de Paul aux Corinthiens le plus ancien crit notestamentaire o nous rencontrons le vocabulaire de la koinnia le contexte est explicitement eucharistique. Paul parle ici de la communion au corps et au sang du Christ qui se ralise travers le partage commun du mme pain et la participation commune la mme coupe de bndiction : La coupe de bndiction que nous bnissons nest-elle pas participation/communion (koinnia) au sang du Christ ? Le pain que

souffrances de Paul en tant quaptre, quatre choses sont clairement affirmes dans ses lettres : 1) le Christ est lunique Sauveur, 2) les souffrances de Paul sont une participation aux souffrances du Christ aspect christologique, 3) elles sont endures pour le bien de lEglise aspect ecclsiologique, 4) elles donnent lesprance de la rsurrection aspect eschatologique.

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nous rompons nest-il pas participation/communion (koinnia) au corps du Christ ? (1Co 10, 16)1. Le fait de consommer le pain et le vin, offerts par le Seigneur comme son corps et son sang dans le repas eucharistique, confre aux participants la communion avec le Christ. Cette communion avec le Seigneur ressuscit, laquelle les croyants participent ensemble au cours dune clbration commune, est le fondement et la source de la communion entre eux au sein de la communaut. Dans toute la lettre, Paul condamne avec vigueur les divisions survenues dans la communaut de Corinthe, et qui se sont manifestes lors de la clbration du repas du Seigneur : il les juge contraires lesprit eucharistique. En effet, tous ceux qui participent lunique pain ne forment quun seul corps et doivent le manifester par leur vie car leucharistie non seulement ralise la communion mais aussi lexige (1Co 10, 17 ; cf. 12, 12+). Dans un argument rhtorique, Paul passe de la christologie lecclsiologie. La situation de conflits internes qui dchirent la communaut de Corinthe nous claire sur la vise pdagogique de son enseignement : encourager lesprit communionnel parmi les chrtiens dont la synaxe eucharistique est la fois une source et une expression. Lunit de lEglise est son souci principal. Cette unit doit tre prserve avec zle car elle est de caractre sacr en raison de son enracinement dans la participation commune des fidles au corps et au sang du Christ. Dans lesprit de Paul, lEglise dans son tre le plus profond, est eucharistique et la communion entre les chrtiens ne peut pas exister sans tre ancre dans la clbration du repas du Seigneur : la communaut devient lEglise prcisment par la participation de tous les membres lunique eucharistie qui les unit dans le Christ. Le passage de 1Co 10, 16-17 mis en rapport avec dautres passages de Paul sur lunit du corps du Christ (1Co 12, 12+ ; Rm 12, 4-5+ ; Ep 4, 3-6 ; Ga 3, 28 ;

Il est possible que ces formules ne soient pas entirement de Paul. Certains exgtes estiment quelles ont t labores par les chrtiens de Corinthe, eux-mmes essayant dexpliquer la signification du repas du Seigneur dans des termes de leur propre culture. Quel que soit lauteur originel des expressions koinnia estin tou aimatos tou Christou et koinonia tou somatos tou Christou, le fait que Paul les introduit dans son enseignement sur leucharistie manifeste quil juge le vocabulaire de la koinnia comme tant en accord avec sa thologie du corps du Christ (HUSER, G., Communion with Christ and Christian Community in 1 Corinthians : A study of Pauls Concept of Koinonia, Durham, 1992).

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Col 3, 11+) et sur leucharistie (1Co 11, 23-26+) rvle clairement le caractre eucharistique de lEglise1. Cette dimension eucharistique de la communion ecclsiale lui confre un caractre de double exclusivit : dune part, le repas eucharistique ne peut tre partag que par ceux qui appartiennent au Christ et font partie de son Eglise ; dautre part, ceux qui participent la table du Seigneur ne peuvent pas participer la table des idoles pour ne pas avoir part avec eux (1Co 10, 18-21). Paul dduit cette exclusivit de la foi que la participation au repas du Seigneur confre de la communion avec lui. Cette foi est ancre dans la promesse du Christ selon laquelle ceux qui partagent le pain et le vin pendant le repas du Seigneur participent son corps et son sang, cestdire sa vie. Paul associe cette foi la thologie vtrotestamentaire du repas sacrificiel par lequel les participants entraient en communion avec lautel symbole de la prsence divine. Cela le conduit opposer le repas du Seigneur aux repas sacrs paens qui suivaient les sacrifices offerts aux divinits. En effet, comme il ny a pas dentente entre le Christ et Bliar, il ne peut y avoir dassociation entre fidle et infidle (2Co 6, 14-16) ; comme il ny a pas daccord entre le temple de Dieu et les idoles, de mme il ny a pas dassociation entre les disciples du Christ qui sont le temple de Dieu vivant et les infidles que ces premiers doivent fuir (2Co 6, 14-17). Ces infidles, ce sont surtout les membres de la communaut chrtienne qui trahissent lEglise en participant des repas sacrs offerts des dieux trangers (1Co 8, 10). Agissant ainsi, ils pchent contre leurs frres dans lEglise et contre le Christ (v. 11). Mais les adeptes des autres religions qui offrent des sacrifices des dmons et participent des repas sacrs qui les mettent en communion avec des idoles trangres appartiennent aussi cette catgorie aucune communion nest possible entre ceux

Les passage ici mentionns avec, au cur 1Co 10, 16-17 constituent la base notestamentaire fondamentale de lecclsiologie eucharistique remise en valeur au 20me sicle dans le dialogue cumnique, grce surtout aux thologiens orthodoxes. Voir ce sujet, CLEMENT, O., Lecclsiologie orthodoxe comme ecclsiologie de communion , Contacts 61 (1968), 10-36 ; ZIZIOULAS, J., LEucharistie : quelques aspects bibliques , dans Zizioulas, J. & Tillard, J.M.R., & Von Allmen, J.J., LEucharistie, col. Eglises en dialogues 12, Mame, 1970 ; AFANASSIEFF, N., LEglise du Saint Esprit, col. Cogitatio Fidei 83, Paris, 1975 ; SCHMEMANN, A., Leucharistie, sacrement du Royaume, col. LEchelle de Jacob, Paris, 1985 ; cf. McPARTLAN, P., Sacrament of salvation. An Introduction to Eucharistic Ecclesiology, Edinburgh, T&T Clark, 1995.

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qui clbrent le repas du Seigneur et ceux qui immolent aux idoles. Comme il ny a pas de communion entre la lumire et les tnbres (2Co 6, 14), de mme les enfants de la Lumire ne peuvent pas avoir communion avec les enfants des tnbres, pour ne pas se rendre coupables de leur pch (Ep 5, 11)1. Pour Paul, cest surtout leucharistie qui interdit aux chrtiens dtablir la communion avec les incroyants. Dune manire gnrale, dans le langage des premiers chrtiens, lusage du vocabulaire de koinnia se limite aux chrtiens et ventuellement ceux qui sont lobjet de leur mission dvanglisation2. Il ne sapplique jamais aux relations entre les chrtiens et les non chrtiens, quils soient Juifs ou paens. Cette exclusivit dusage est une autre indication que, pour lEglise primitive, il ny a pas de communion entre ceux qui sont dans le Christ et ceux qui sont en dehors de lui, entre ceux qui croient en lui et ceux qui ne le reconnaissent pas comme le Messie envoy par Dieu pour le salut du monde3. Certes, les uns et les autres vivent cte cte mais ils appartiennent deux communauts distinctes : le monde et lEglise4. Chez Paul, le contexte gnral dans lequel apparat le vocabulaire de la koinnia est celui du salut par et dans le Christ. Il conoit ce salut comme une koinnia : pour Paul, tre sauv, cest avoir part la vie ternelle avec le Christ, entrer en communion avec lui, faire communaut en lui. Certes, cela ne sera pleinement ralis qu la fin

Le dualisme lumire tnbres est frquent dans le Nouveau Testament. Il symbolise deux mondes qui sopposent, lun sefforant de vaincre lautre (Lc 22, 53 ; Jn 13, 2730). Le premier, cest le monde des disciples du Christ qui vivent suivant sa lumire, le second, cest le monde des adversaires du Christ sous la domination de Satan prince des tnbres (2Co 6, 14 ; Col, 1, 12-13). Face au Christ Lumire du monde (Jn 8, 12), personne ne peut rester indiffrent, chacun doit se prononcer pour ou contre (Jn 3, 1921 ; 9, 39). Il nest pas possible dtre la fois dans la lumire et dans les tnbres. Lopposition entre la lumire et les tnbres est une autre faon de souligner le caractre exclusif de la communaut chrtienne. 2 Sauf quelques rares exceptions o le terme koinnia possde un sens ngatif de condamnation ou dinterdiction. Matthieu met dans la bouche de Jsus la condamnation de ceux qui communient au mme pch (Mt 23, 30) ; dautres textes appellent les chrtiens viter les pcheurs pour ne pas avoir de communion avec leur pch (2Jn 11 ; 1Tm 5, 22). 3 REUMANN, J. Op. cit., 48. 4 Plus tard Augustin dveloppera magistralement cette distinction dans son clbre De Civitate.

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des temps, lorsque le Seigneur reviendra dans sa gloire et nous amnera avec lui dans les nus (1Th 4, 17). Cependant, les croyants runis en Ecclesia anticipent dj cette communion eschatologique en prenant part ensemble son vangile et en partageant en commun le repas du Seigneur. La communion ecclsiale apparat ainsi comme une anticipation de la communion eschatologique du salut. 4.2.4. La koinnia comme communaut Dans la Bible la forme nominale koinnia, relativement rare, semploie habituellement pour dsigner lEglise en tant que communaut de fidles, avec toute la richesse des liens intrieurs et extrieurs qui la maintiennent dans lexistence. Ce troisime sens rsulte des deux prcdents. Il sagit de ce que lon pourrait appeler le fait communautaire chrtien, cestdire une forme spcifique de la vie commune enracine dans la foi en Christ, et sexprimant dans des comportements fraternels entre les croyants vivant ensemble et selon des principes communs. Le Christ ressuscit, qui a promis de ne jamais abandonner ses disciples (Mt 28, 20), est la source vivante de laquelle jaillit et dans laquelle se nourrit continuellement la koinnia des chrtiens. Les principes existentiels qui grent les relations humaines au sein de la communaut ecclsiale se trouvent dans son vangile qui est une parole damour donnant la vie ternelle1. La communaut de vie entre les croyants ne peut pas tre dtache de leur communion spirituelle avec le Christ, car elle en est une consquence directe. Etant ainsi unis lui et entre eux, les chrtiens nappartiennent plus euxmmes (1Co 6, 19), mais au Christ (2Co 5, 15) et les uns aux autres (Ep 4, 25). Fonde dans lamour du Christ, la koinnia des chrtiens dans lEglise implique la pratique de lamour fraternel (Jn 13, 34 ; 1P 1, 22). En effet, lamour du Christ exige des chrtiens une vie conforme aux exigences de son vangile (Jn 14, 15) dont la premire et la plus importante est lamour (Jn 13, 34). Cet amour fraternel sexprime dans le partage des biens matriels (argent, nourriture, habits, etc.) et spirituels (foi, charit, esprance, charismes) ; les uns et les autres vont

Certains ont estim que la communaut de vie des premiers chrtiens tait une forme christianise de lidal grec de la koinnia adelphique. Cependant, cette hypothse ne semble pas se justifier la lumire des crits notestamentaires qui ne font aucune rfrence cet idal. Il semble correct de dire que le Christ et son vangile taient le fondement sur lequel sest construite la communaut de vie des premiers croyants.

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ensemble et ne doivent pas tre spars dans la vie de la communaut (Rm 15, 26-27 ; 2Co 8, 4 ; 9, 13 ; Ga 6, 6 ; Ph 4, 15-17). Ces biens partags sont un signe de lunion des curs des membres de la communaut (Ac 2, 42 ; 4, 32-35 et 5, 12-16). La communion de vie implique galement la participation des actions communes (Ap 1, 9) et le partage des sentiments (Ph 2, 2. 5) et des penses (1Co 1, 10, cf. Rm 15, 5). Il sagit donc la fois dune manire commune de vivre et dagir, et dune profonde communion de cur et desprit entre les chrtiens qui sont les uns pour les autres comme des membres de la mme famille. En effet, toutes les diffrences sont surpasses dans lEglise puisquil n'y a plus en elle ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme; car tous ne font qu'un dans le Christ Jsus (cf. Ga 3, 28). Au sein de la communaut, les chrtiens doivent prserver lunanimit entre eux pour glorifier dun mme cur et dune mme bouche le Dieu et Pre de notre Seigneur JsusChrist (Rm 15, 6). Cette concorde fraternelle entre les membres de la communaut chrtienne est une consquence de leur foi commune en celui qui a vaincu la haine qui divisait les hommes (Ep 2, 14-16). Le Christ ressuscit et son message damour se trouvent au cur de ces relations nouvelles entre ceux qui, par la foi, reoivent la vie nouvelle de lui. Le passage de ltat de pcheur ltat de saint, saccomplit rituellement par le baptme au nom du Christ, qui est la source de cette vie nouvelle. Plongs dans la mort du Christ et esprant une rsurrection semblable la sienne (Rm 6, 5), les croyants deviennent en lui une crature nouvelle (2Co 5, 17 ; Ga 6, 15) et sont appels une vie nouvelle (Rm 6, 3-4). Le baptme est ainsi la base dune relation nouvelle qui stablit la fois entre le baptis et le Christ, et entre tous ceux qui ont reu le mme baptme : relation que saint Paul appelle justement la koinnia. Dans 1Co 1, 9, il rend grce Dieu pour la koinnia vcue par les baptiss avec le Christ. Elle consiste tre sanctifis dans le Christ en communion avec tous ceux qui en tout lieu invoquent son nom (1Co 1, 2) ; ceux qui ont t lavs de leurs fautes et sanctifis par le nom du Seigneur JsusChrist et par l'Esprit de Dieu (1Co 6, 11). Justifis par la grce baptismale et rnovs par lEsprit Saint (Tt 3, 5-7), les croyants ne forment quun seul corps (1Co 12, 13), lEglise, dont le Seigneur ressuscit est la tte (Col 1, 18). Dans le Nouveau Testament, le baptme apparat comme un rite chrtien fondamental en vertu duquel un croyant est intgr dans la koinnia de disciples du Christ.

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Le baptme ne peut pas tre spar de la foi. Dans Ac 2, 42, le terme koinnia dnote la communaut fraternelle entre les croyants qui gardent unanimement l'enseignement des aptres, cestdire quils participent ensemble la foi quils ont reue des aptres. Cette foi nest pas un vague sentiment : elle doit rendre effectif en chacun lesprit de communion, afin de raliser ensemble tout le bien quil est en notre pouvoir daccomplir pour le Christ (Phm 6). La communion fonde sur la foi et la charit (v. 5), sexprime dans des actions concrtes pour soulager les curs des saints (v. 7). En accueillant par la foi lenseignement apostolique, les chrtiens ont leur part ensemble lvangile qui est le message du salut apport par le Christ (Ph 1, 5). Mais cette participation lvangile ne se limite pas son accueil pour le salut personnel, elle implique aussi la mission de le proclamer face au monde pour le salut des tous1. Les premiers chrtiens ont eu une conscience trs aigu du devoir de proclamer la Bonne Nouvelle selon lordre que le Christ leur a laiss aprs sa rsurrection (Mc 16, 15). Et ils taient persuads que cette mission leur avait t assigne comme une tche communautaire laquelle ils devaient participer ensemble. Dans Ga 2, 9, le geste de se donner la main entre Paul et Pierre (et leurs associs dans la mission) est une expression de la koinnia dans la mission dvanglisation que les aptres partagent dans la mme foi en Christ, mme si les uns sont envoys vers les paens et les autres vers les Juifs. La koinnia des chrtiens fonde sur la foi et le baptme et exprim dans la vie communautaire et la participation commune la mission dvanglisation , se parachve dans le repas du Seigneur. La clbration de leucharistie manifeste la conviction commune des chrtiens selon laquelle, cest le Christ lui-mme qui est la pierre vivante sur laquelle slve ldifice de leur communaut spirituelle (1P 2, 4-7). Chaque fois que la communaut chrtienne se rassemble pour la synaxe eucharistique, elle exprime sa foi en la prsence vivante et agissante du Seigneur ressuscit au milieu delle. Prenant part leucharistie, les fidles sunissent dabord celui qui est la source de leur communion. Cest lui qui les rassemble dans lunit de son corps lorsquils partagent le mme pain et boivent la mme coupe. Cest

REUMANN, J. Koinnia in Scripture , in On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference of Faith and Order, Geneva, WCC, 1994, 45.

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donc de cette communion lunique Seigneur reprsent par un seul pain , que dcoule la communion entre les fidles en un seul corps lEglise. Celle-ci sexprime au quotidien dans une vie eucharistique entre les frres, vie anime par les sentiments du Christ dont ils se nourrissent. La clbration de leucharistie se trouve ainsi au centre des relations fraternelles entre les chrtiens. Il ne fait aucun doute que, dans la perspective notestamentaire (et notamment chez Paul), leucharistie est lorigine et au centre de la koinnia fraternelle des chrtiens. La communaut de lEglise ne se limite pourtant pas aux chrtiens vivant sur la terre ; elle treint aussi tous les saints qui demeurent dj au ciel. Entre les uns et les autres, il existe une communion spirituelle qui trouve sa source dans le Christ lui-mme car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc, dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur (Rm 14, 8). En vertu de cette appartenance commune au Christ, les saints (cestdire les croyants) quils soient encore vivants ou dj morts , forment une seule communaut car ils appartiennent tous au mme Christ qui est mort et revenu la vie pour tre le Seigneur des morts et des vivants (Rm 14, 9). Cette communaut, qui stend au-del des frontires de la mort et que les Pres appelleront plus tard la communion des saints (communio sanctorum)1 est dj vcue la synaxe eucharistique qui les unit tous lunique Seigneur, et en qui les vivants et les morts ne forment quun seul corps. La table du Seigneur devient ainsi la table du Royaume qui annonce le banquet eschatologique que tous les sauvs partageront ensemble dans la gloire des cieux. Selon les paroles de Jsus, beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin dans le Royaume des cieux (Mt 8, 11). A la dernire Cne, le Seigneur fait comprendre aux disciples que leucharistie, quil leur ordonne de clbrer en mmoire de lui, est une anticipation de ce banquet eschatologique quil partagera avec eux dans le Royaume de Dieu (Mt 26, 29 ; Lc 22, 18 ; Mc 14, 15).

Lexpression ne se retrouve pas dans la Bible. Pour la premire fois, elle apparat dans une version grecque, koinonia ton agon chez Cyrille de Jrusalem, avec le sens de participation aux choses saintes (cest--dire leucharistie). La formule latine communio sanctorum apparat en Occident au IV sicle, chez Nictas de Rmsiana, dans son commentaire du Symbole des Aptres avec la signification communion des saintes personnes (RORDORF, W., Ta aga tois agios dans Irnikon, 3-4/1999, 346363).

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Le rassemblement eucharistique des fidles autour du Seigneur ressuscit inaugure et reprsente la communaut eschatologique des saints qui sera ralise lorsque Dieu, selon son dessein bienveillant, ramnera toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les tres clestes comme les terrestres (Ep 1, 9+)1. Leucharistie devient ainsi un avantgot du salut ternel qui ne sera autre chose que la plnitude de communion avec le Christ et entre les sauvs. Mais cette communion ternelle laquelle aspirent les croyants ne soprera pas seulement avec le Christ mais aussi avec son Pre : la vie ternelle qui sest manifeste au monde dans le Christ est tourne vers le Pre de qui vient tout et vers qui tout se dirige (1Jn 1, 3). Cest pourquoi, la fin des temps, lorsque toutes choses auront t soumises au Christ, alors le Fils lui-mme se soumettra Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous (1Co 15, 28). La plnitude de la koinnia consistera dans lunit parfaite du tout et de tous ; unit ralise ternellement en Dieu (Plrome). 4.2.5. La koinnia une ralit multiple Telle quelle se dgage des pages du Nouveau Testament, la koinnia est une ralit chrtienne originale qui ne trouve de correspondant exact ni dans la culture paenne ni dans la religion juive. Dans les crits notestamentaires, elle apparat comme un nom parmi dautres, que leurs auteurs emploient pour dfinir la relation spcifique qui relie les chrtiens au Pre par le Fils et dans lEsprit Saint, et sur base de laquelle se construit une relation fraternelle entre eux. La communaut de vie et damour entre les croyants nest donc pas un simple rsultat de lentente mutuelle entre eux, ni leffet de leurs sentiments fraternels purement humains mais une ralit caractre sacr et enracine dans la communion trinitaire de laquelle vient la grce divine et par laquelle ils sont souds en un seul corps in Ecclesia. Lamour de Dieu, la foi en ChristSauveur et la vie dans lEsprit-Saint, sont le fondement des rapports nouveaux de bienveillance, de solidarit et entraide fraternelle qui caractrisent la vie des fidles au sein de lEglise. Mme si la lumire de la critique exgtique, il nest pas justifiable dutiliser indistinctement tous les textes parlant de la koinnia pour
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Lptre aux Ephsiens tout entire dveloppe lide du Christ runissant sous son autorit pour le ramener Dieu le monde divis par le pch. Il rtablit la communaut entre les Juifs et les paens pour les rendre participants dun mme salut, dont la plnitude sera ralise la fin des temps.

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expliquer ou expliciter la notion decclesia, il faut cependant noter que tout cet ensemble est relatif lEglise et sa vie. Dun passage lautre se rvlent divers aspects de ce mystre de communion de Dieu avec les hommes quest lEglise. Outre les textes dont le sens est explicitement celui de communaut ou de communion, tous les autres supposent implicitement une telle communion et y apportent un clairage. Toutefois, pour avoir une vision intgrale de lenseignement notestamentaire sur lEglise en tant que le lieu et le moyen de la communion avec Dieu et entre les fidles, il nest pas suffisant de se limiter lexamen du vocabulaire de la koinnia. On ne doit pas oublier que les termes drivs de koinos apparaissent assez rarement dans les pages du Nouveau Testament et dune manire que lon pourrait mme dire occasionnelle. Aucun auteur quil sagisse des synoptiques, de Paul ou de Jean ne fait de la koinnia un concept central ni de sa pense en gnral, ni de son ecclsiologie en particulier. Pour dcrire la ralit communionnelle de lEglise dans la conformit au message biblique, il faut complter le vocabulaire de la koinnia par dautres notions et expressions qui apportent des claircissements complmentaires la riche ralit ecclsiale qui se cache derrire cette appellation1. Telle quelle est employe dans le Nouveau Testament, la
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Nous pensons surtout aux diffrentes images de lEglise dans le Nouveau Testament et qui vhiculent, elles aussi, lide de communion. De manire la plus claire et la plus puissante, elle est exprime dans limage paulinienne de corps du Christ (1Co 12, 27, etc.) et dans limage johannique de vigne (Jn 15, 1-17). Quil sagisse de lune ou de lautre, elles saccordent sur lessentiel : lEglise est une communion qui rsulte de la participation de tous les fidles la mme vie divine dont JsusChrist est la source. Chez Jean, le Christ est la vigne vritable dont les croyants sont des sarments. Pour vivre et apporter du fruit, ils doivent demeurer en communion avec le tronc de qui vient la sve assurant la vie et la fcondit. Selon saint Paul, lEglise est le corps dont le Christ est la tte et les croyants, des membres (Ep 1, 22 ; Col 1, 18). Limage du corps vhicule lide dune unit organique qui dpasse une simple cohrence institutionnelle. Il sagit dune communion de vie qui rsulte de la participation de tous les membres la mme vie de la tte. Cest lintrieur de cette communion spirituelle que se dveloppent des liens fraternels et des structures institutionnelles qui permettent lEglise son existence terrestre en tant quune communaut de personnes. Notons encore que limage du corps, chez Paul, est intimement lie leucharistie : le corps du Christ partag par tous dans le repas du Seigneur est la nourriture de la communion ecclsiale comprise, elle aussi, comme corps du Christ (1Co 10, 16-17). A travers leucharistie, le Seigneur ressuscit sunit en un seul corps avec tous ses membres et par-l il les incorpore dans la communion de la vie divine qui circule entre le Pre, le Fils et lEsprit Saint au sein de la Trinit. Dautres images qui expriment diffrentes dimensions de la ralit ecclsiale

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notion communio nest pas un quivalent de la notion ecclesia, mais elle dcrit plusieurs de ses aspects essentiels, notamment son unit dans la foi, la vie et le tmoignage. Sur le fondement de la foi commune, la koinnia se noue dans le baptme pour spanouir dans le partage des sentiments et des biens matriels dans la vie quotidienne, pour sachever dans le partage eucharistique du corps et du sang du Christ par lequel les croyants participent aux effets salvifiques de sa mort et de sa rsurrection. Ainsi, tous ceux qui sont en communion avec lEglise corps du Christ vivifi et anim par son Esprit participent aux bndictions spirituelles qui annoncent ds maintenant la gloire du ciel. Vcue par les fidles dans le pas encore de la vie actuelle, la koinnia saccomplira dans le dj de la gloire qui doit tre rvle (1P 5, 1) lorsque tous seront emports dans la communion ternelle de Dieu. Dans le Nouveau Testament la notion de koinnia exprime lunit fondamentale de lEglise qui nest pas corrompue malgr la pluralit des membres et la diversit des opinions qui existent au sein de la communaut chrtienne sur les questions aussi importantes que lorganisation de la vie ecclsiale o lengagement missionnaire. La koinnia est le nom de ce lien divin, qui maintient dans lunit la riche ralit de tout ce qui se trouve exprim dans la notion decclesia. Elle est complexe et multidimensionnelle comme lEglise elle-mme. Elle est la fois un attribut divin incorruptible accord lEglise par la grce de lEsprit-Saint, un dfi relever par celle-ci au jour le jour et une ralit eschatologique dont elle ne jouira pleinement que dans le monde venir. La multiple ralit de la koinnia, telle quelle nous apparat la lumire des textes bibliques, peut tre exprime dans une prire compose des textes de saint Paul et contenant des mots du groupe koinos1 : Nous te rendons grce, Pre car tu nous as appels la communion avec ton Fils (1Co 1, 9) et tu as mis dans nos curs les arrhes de l'Esprit Saint (2Co 1, 22 ; 13, 13)

compltent le tableau : pouse du Christ (Ep 5, 25-26), troupeau (Is 40, 11; Ez 34, 11+) dont le Seigneur est le bon Pasteur (Jn 10, 11 ; 1P 5, 4), la cit sainte (Ap 21, 2+), etc. Elles ont t incluses dans la doctrine sur lEglise de Vatican II (cf. LG, 6-7). 1 Cette prire est emprunte FRANCO, E., Communione e Participatione : La koinnia nellepistolario paolino, Aloisiana 20, Brescia, 1986, 295.

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pour faire de nous par la communion au corps et au sang du Christ un seul corps, ton Eglise (1Co 10, 16-17). Nous te prions encore : Que notre participation lvangile (Ph 1, 5) devienne en nous agissante par laccomplissement de tout le bien qu'il est en notre pouvoir d'accomplir pour le Christ (Phm 6) et que notre amour saccrot (Ph 1, 9) par la contribution aux besoins des pauvres (Rm 12, 13) et la capacit dtre unanime (Ph 2, 2) afin que nous devenions par la communion la passion du Christ co-participants de sa rsurrection (Ph 3, 10-11 ; 1Co 1, 7). A toi la gloire, par JsusChrist notre Seigneur dans lunit de lEsprit Saint maintenant et jamais. Amen. 4.2.6. La koinnia et lintercommunion la lumire du Nouveau Testament Les tudes cumniques sur le thme de la koinnia ont t occasionnes directement par la recherche commune dune solution au problme du partage eucharistique entre les chrtiens diviss. Il semble donc utile de se demander lissue de cette tude scripturaire si les communauts chrtiennes dcrites dans le Nouveau Testament auraient admis au partage eucharistique les personnes avouant la foi en Christ mais nayant pas de koinnia avec elles ? Evidemment, la rponse ne peut tre quune spculation, car aucun texte notestamentaire ne mentionne une telle situation ; ce qui suggre indirectement que les premires Eglises chrtiennes ntaient pas confrontes ce problme. Est-il pourtant possible den dire un mot daprs le concept notestamentaire de koinnia ? Lanalyse que nous avons faite dans ce chapitre nous a rvl que la koinnia ecclsiale des premiers chrtiens tait une ralit complexe et multidimensionnelle. Ces lments essentiels se trouvent rassembls par lauteur des Actes des Aptres pour lequel les membres de la premire communaut chrtienne se montraient assidus l'enseignement des aptres et fidles la communion fraternelle, la fraction du pain et aux prires (2, 42). Dans ce texte, la fraction du pain dsignant sans doute la communion eucharistique , est insre dans tout un ensemble de conditions qui caractrisent la vie de koinnia des premiers chrtiens. Dans cet ensemble dexigences englobant divers domaines de la vie, le repas du
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Seigneur nest quun lment parmi dautres, mais, comme nous lavons vu plus haut, llment central autour duquel oscille toute la koinnia. Conformment aux textes notestamentaires, la koinnia chrtienne se prsente comme une ralit totale et indivisible, et il ne semble pas concevable dans cette perspective que les premiers chrtiens eussent admis une participation partielle et incomplte la vie de la communaut. A notre avis, tout indique, qu la lumire de la conception notestamentaire de la koinnia, il nest pas parmi de sparer la communion eucharistique de lensemble de la communion ecclsiale. La pratique que nous appelons aujourdhui du nom dintercommunion nous semble ainsi aller lencontre de lintuition ecclsiologique fondamentale des premiers chrtiens, pour lesquels le partage communautaire du repas du Seigneur exprimait, attestait et achevait leur unit dans lEglise, corps du Christ unique et indivisible. Le geste de rompre le mme pain et de boire la mme coupe autour de la mme table du Seigneur signifiait, pour eux, tre en koinnia les uns avec les autres in Christo. Conformment une telle vision totale, l o la koinnia est brise par division rsultat du pch , la rconciliation avec lEglise simpose comme une condition pralable du partage eucharistique. La difficult de transposer sans rserve cette vision originelle la situation actuelle, rside dans le fait que la fragmentation de la chrtient en une multitude de communauts confessionnelles spares les unes des autres ntait pas connue lpoque. Toutefois, si nous nous tenons aux principes notestamentaires, nous devons affirmer que la communion eucharistique ne peut pas tre spare de lensemble de la koinnia ecclsiale qui exige lunit dans la foi, le culte et la vie (impliquant la morale). Il semble justifi de dire, qu la lumire du Nouveau Testament, le rtablissement de la pleine communion entre les Eglises divises apparat comme condition pralable du partage eucharistique. Pour cette raison, il est important que les Eglises dfinissent ensemble quelles sont les conditions ncessaires de la reconnaissance mutuelle de leur communion ecclsiale, travers les diversits actuelles dans la doctrine, la vie liturgique et les visions thiques. Malgr tout le progrs cumnique dj accompli, cette reconnaissance nest pas encore pleine et pour cette raison plusieurs Eglises se refusent partager la communion eucharistique avec les chrtiens qui ne font pas visiblement partie de leur koinnia.

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5. Le concept de communion selon les Pres


Le vocabulaire de koinniacommunio napparat que sporadiquement chez les Pres apostoliques. Cependant, ds la deuxime moiti du deuxime sicle, koinnia dans la sphre culturelle et linguistique grecque et communio dans le monde latin, entrent largement dans le vocabulaire des Pres lorsquils parlent de Dieu et de lEglise. Toutefois, comme dans la Bible, les mots de ce groupe ne constituent pas un vocabulaire particulirement privilgi ; ils sont utiliss parmi beaucoup dautres dont se servent les Pres pour dcrire diffrents aspects de la communaut chrtienne1. Bien que trs rarement utiliss comme synonymes decclesia ou de synagugu, souvent mais pas uniquement, les mots du groupe koinniacommunio se rapportent chez les Pres aux ralits qui appartiennent la vie ecclsiale des chrtiens. 5.1. La koinnia chez les Pres grecs Le vocabulaire de koinnia est frquent chez les Pres grecs partir de la fin du deuxime sicle ; presque tous lutilisent. Cependant, cest surtout chez Clment dAlexandrie, Jean Chrysostome, Grgoire de Nysse et Basile que nous trouvons des recours particulirement nombreux et les plus significatifs thologiquement. A Patristic Greek Lexicon distingue plusieurs sens que les Pres grecs attribuent au mot koinnia et ses drivs2. Quelquefois, il sagit des ralits profanes touchant la vie des gens en gnral, sans une connotation spcifiquement chrtienne. Ainsi, Chrysostome parle de la koinnia qui existe entre tous les hommes en vertu de leur participation la mme nature humaine3. Il arrive Justin de dsigner par ce mot lensemble des relations entre les hommes, quelles que soient leur nature et leur extention4. Clment dAlexandrie, dans un sens similaire,

1 Lusage des termes ecclesia, unitas, societas, fraternitas et caritas est frquent chez les Pres latins lorsquils parlent de la communaut ecclsiale. Chez les Pres grecs, nous pouvons noter dans le contexte similaire lusage frquent des termes sumphonsis, metekhein, metok, eiren, agap. 2 Koinnia et koinonikos dans LAMPE, G.W.H. (ed.), A Patristic Greek Lexicon, Oxford, 1961. 3 JEAN CHRYSOSTOME, Hom. in Jo. 37, 3: PG 59, 23. 4 JUSTIN, 1 Apol. 55, 2 : PG 6, 412b.

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dsigne par koinnia le simple fait de sassocier avec des autres dans un but quelconque1. Quelquefois, il sagit des relations plus profondes qui ne sortent pourtant pas du cadre purement humain ; ainsi, la koinnia peut dsigner les liens daffection entre des amis particulirement proches et qui expriment leur amiti dans le partage dun repas commun2. Clment utilise le mot koinnia pour parler des relations intimes entre lhomme et la femme dans le cadre dun mariage3. Le plus souvent, cependant, les Pres grecs emploient le vocabulaire de la koinnia pour dcrire diffrentes dimensions de la vie des chrtiens dans lEglise. Avant de passer aux usages proprement thologiques, il convient de mentionner un cas intressant que nous trouvons chez le PseudoDenys, et qui se place au point de rencontre entre la philosophie et la thologie. Il dcrit comme koinnia lordre universel du cosmos organis selon une hirarchie divinement institue4. Selon lui, lunivers est une cration de Dieu, gre par des lois qui proviennent de lui et qui font son unit dans lordre. Il y a une harmonie universelle entre tous les lments du cosmos dont le Crateur est lauteur. Ainsi, lunivers apparat comme une koinnia dont Dieu est lorigine, le point culminant et lachvement. Dans le contexte proprement chrtien, koinnia prend plusieurs sens que nous pouvons systmatiser dans trois catgories. Dans la premire catgorie nous rangeons les textes o les mots du groupe koinos se rfrent directement la Trinit en elle-mme ; dans la deuxime, ceux qui dcrivent les relations entre les personnes de la Trinit et les hommes notamment entre le Christ et les chrtiens ; et dans la troisime, les textes o ils concernent la vie des fidles lintrieur de lEglise et les relations entre eux. Grgoire de Nysse se sert du terme koinnia pour dsigner les relations qui existent entre le Pre, le Fils et lEsprit Saint lintrieur de la Trinit5. Mme si les trois personnes restent distinctes et si chacune delles est diffrente des deux autres, elles partagent toutes la mme et unique vie divine qui fait leur communion. Sinspirant probablement de saint Jean, Basile dcrit par le mot koinnia la relation qui existe entre le

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CLEMENT DALEXANDRIE, Stromateis 4, 3: PG 8, 1224c. Chronicon Paschale, PG 92, 729a. 3 CLEMENT DALEXANDRIE, Paedagogus 1, 4: PG 8, 260c. 4 PSEUDODENYS, De caelesti hierarchia 9, 2 : PG 3, 260 b. 5 GREGOIRE DE NYSSE, De differentia essentiae et hypostaseos 4 : PG 32, 332a.

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JsusChrist historique le Fils de Dieu devenu homme , et Dieu le Pre qui est aux cieux1. Il sagit dune koinnia base sur lunit dtre et de mission du Pre et du Fils : le Fils qui est consubstantiel au Pre accomplit dans le monde lternel dessein du salut de Dieu. Nous trouvons le sens similaire chez Athenagoras dAthnes, qui, par le mot koinnia, dcrit la relation unique dans son genre liant le Pre au Fils2. Athanase recourt au terme koinnia pour parler de lIncarnation : dans la personne de JsusChrist, le Logos ternel communie la condition humaine3. La koinnia exprime ici la parfaite union du divin avec lhumain et de lternel avec le temporel dans la personne de Jsus Christ : il est en mme temps le Fils de Dieu et un fils dhomme. Mais lIncarnation ne concerne pas que le Christ : elle est la base dune relation nouvelle appele nouvelle alliance , que Dieu a tablie avec toute lhumanit dans la personne de son Fils. Le Pseudo-Denys lAropagite voit dans lIncarnation le fondement de notre koinnia avec Dieu4. Le Christ est le mustrion du Pre par lequel tout croyant peut entrer en communion avec Dieu. Souvent le Pseudo-Denys emploie le terme koinnia dans le sens de communion personnelle de chaque fidle avec le Christ qui stablit par les sacrements5. Denys nous fait passer ainsi la deuxime catgorie dexemples, o il est question des relations entre Dieu et les croyants. A toutes ces relations, quelle que soit leur nature, Irne donne le nom de koinnia6. Mthode dOlympe, quant lui, qualifie de ce nom la communion qui stablit entre le Logos incarn et les membres de lEglise en vertu du baptme7. Les fidles sont appels maintenir et approfondir continuellement cette communion baptismale par la rception des autres sacrements qui font de lEglise une communion sacramentelle8. Au

BASILE, Liber de Spiritu sancto 15 : PG 32, 93b. ATHENAGORAS DATHENES, Legatio pro Christianis 12, 2: PG 6, 913b. 3 ATHANASE, Ep. Ad Epictetum 9: PG 26, 1065b. 4 GANDILLAC, M. de, uvres compltes du Pseudo-Denys lAropagite, Paris, 1943 (ce thme est bien prsent dans lintroduction). 5 ROQUES, R., Lunivers dionysien, Paris, 1954, 256-271. 6 IRENEE, Adv. haer. 5, 27, 1: PG 7, 1196b. 7 METHODE DOLYMPE, Symposium seu convivium virginum, 3, 8: PG 18, 73b. 8 Le sens de la communion sacramentelle est trs frquent dans la patristique grecque. A titre dexemple voir : Concile dAncyre de 314, can. 16 ; ATHANASE, Ep. ad Serapionem de morte Arii 2 : PG 25, 688a ; BASILE, Ep. 69, 2 : PG 32, 432c (un choix abondant dautres exemples est trouver dans LAMPE, G.W.H., Op. cit.).
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centre de celle-ci se trouve la communion eucharistique, qui est la participation au corps et au sang du Christ1. Selon Ignace dAntioche, ni le baptme ni leucharistie ni rien de ce qui regarde lEglise ne peut se faire en dehors de lvque2. En tant quimage du Christ vivant au milieu des siens, lvque est le centre de toute communaut ecclsiale. Dans son ministre de pasteur, il est entour des presbytres et des diacres qui laident et le reprsentent auprs des fidles3. Seuls ceux qui sont unis lvque, son presbytre et aux diacres, appartiennent la koinnia de lEglise qui est la fois charnelle (cestdire ralise dans le corps ecclsial) et spirituelle4. Il nest donc pas surprenant que le terme koinnia soit employ pour dcrire tantt lappartenance lEglise, tantt la participation leucharistie commune prside par lvque. Basile, pour sa part, appelle koinonos ceux qui se rassemblent autour dune mme table du Seigneur pour la clbration commune de leucharistie5. Mais Justin utilise le mme mot dans un sens beaucoup plus global, pour dsigner les membres de lEglise6. Cet emploi du mme vocabulaire pour parler de la communaut eucharistique en particulier et de la communaut ecclsiale en gnral montrent que dans lesprit des Pres grecs, lEglise est la fois une communaut de chrtiens et une assemble eucharistique : ceux qui partagent le corps du Christ la table de leucharistie, sont galement des membres de son corps ecclsial dans lequel ils entrent par le baptme. Cette koinnia ecclsiale btie sur le baptme et clbre la synaxe eucharistique serait dpourvue de tout sens sans la foi en Christ qui en est le fondement : demeurer dans la foi se prsente ainsi comme une condition indispensable pour tre dans la communion de lEglise7. La koinnia laquelle participent les fidles dans lEglise nest pas uniquement celle

BASILE, Ep. 217 can. 82 : PG 32, 808a; GREGOIRE DE NYSSE, Ep. Canonica : PG 45, 225c; JEAN CHRYSOSTOME, Proditionem Judae 1,1 : PG 61, 687; IGNACE DANTIOCHE, Smyrn. 7, 1 (tr. fr. de Camelot, P.Th., Ignace dAntioche. Lettres aux Eglises. Cerf, 1975, 65). 2 IGNACE DANTIOCHE, Smyrn. 8, 1-2 (tr. fr. Camelot, P.Th., Op. cit.), 65-66. 3 IGNACE DANTIOCHE, Eph. 9 ; Mag. 7 ; Tral 7 ; Smyrn 8, (tr. fr. Camelot, P.Th., Op. cit.). 4 IGNACE DANTIOCHE, Mag. 13, 1-2. 5 BASILE, Ep. 218 : PG 32, 809c. 6 JUSTIN, Dial 58,1 : PG 6, 608a. 7 CLEMENT DALEXANDRIE, Stromateis 7, 9 : PG 9, 437b ; ORIGENE, Contr. Celsum 3, 28 : PG 11, 956d.

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avec Dieu, mais aussi celle avec les autres membres de la communaut. Nous passons ainsi la troisime catgorie dexemples, o la koinnia dsigne les relations entre les chrtiens au sein de la communaut. Basile parle cet gard de la communion de saints (ta aga tois agios), qui existe entre les membres de lEglise1. Cette communion nest pas une ide abstraite mais une ralit existentielle concrte, vcue par les fidles au quotidien, et qui sexprime dans la charit, le pardon, le partage des biens spirituels et matriels, lentraide et le soutient fraternel2. Les Pres prsentent souvent lEglise comme une koinnia de vie des fidles, enracine dans la foi en Dieu : puisque celui qui naime pas son frre ne peut pas aimer Dieu, une vie de charit et de fraternit est la fois une condition et une consquence de la communion avec Dieu3. Ajoutons encore que les Pres voient la koinnia dans une perspective eschatologique : telle quelle est ralise dans lEglise en marche vers le Royaume, elle nest pas encore parfaite. Eusbe de Csare nous rappelle que la plnitude de la koinnia avec Dieu et entre les fidles sera ralise dans le monde venir4. Selon Mthode dOlympe la vie dans lEglise est lanticipation de la koinnia eschatologique dans laquelle nous entrerons la fin des temps par la rsurrection5. Comme nous lavons dj remarqu dans lintroduction, koinnia nest quun mot parmi dautres, quutilisent les auteurs patristiques pour dcrire lEglise dans sa ralit riche de communion divinohumaine. Dans le vocabulaire liturgique grec, par exemple, cest le terme synaxis qui simpose partir du deuxime sicle, pour dsigner la communaut ecclsiale rassemble pour la clbration de leucharistie. Justin, quant lui, lorsquil parle de lEglise, prconise la terminologie drive du verbe metazein (participer, prendre part ensemble) qui souligne davantage le caractre dynamique de la communion ecclsiale. Pour lui, la clbration eucharistique est une manifestation de lEglise dans sa plnitude et, pour cette raison, ceux qui prennent part ensemble la table eucharistique doivent tre membres de lEglise par le baptme,

BASILE, De baptismo 1, 2, 17 : PG 31, 1556b. CLEMENT DALEXANDRIE, Stromateis 3, 4 ; ATHANASE, Ep. Festivalis trecesima nona 45: PG 26, 1441c; BASILE, Ep. 223, 2: PG 32, 824b. 3 CLEMENT DALEXANDRIE, Stromateis 2, 9 : PG 8, 976b. 4 EUSEBE DE CESAREE, Contra Marcellum 2, 1 : PG 24, 781b. 5 METHODE DOLYMPE, De resurrectione mortuorum 3, 16 : PG 118, 888a.
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persvrer ensemble dans la vraie doctrine et mener une vie selon les percepts du Christ1. La koinnia dans la prire et la vie sacramentelle, notamment eucharistique, ne peut jamais tre isole dune koinnia beaucoup plus large qui treint la totalit de la vie des fidles dans lEglise. Le partage en commun du corps et du sang du Christ se prsente dans ce contexte comme une manifestation privilgie de la communion ecclsiale. Eusbe de Csare, insiste sur cet aspect lorsquil rapporte le cas de Polycarpe et dAnicet qui ont communi ensemble en signe de lunit de leurs Eglises2. Ce recueil sommaire dexemples concernant le vocabulaire de la koinnia chez les Pres grecs, aussi incomplet quil soit, nous permet cependant de risquer quelques affirmations en guise de conclusion. Diffrents mots du groupe koinos se rencontrent frquemment dans les textes patristiques grecs. Ils ny sont jamais employs comme des synonymes des termes ecclesia ou synagog, mais pour dcrire diffrents aspects de ltre et de la vie de lEglise. Pour les Pres grecs et, comme nous allons le voir, ils sont en cela en parfait accord avec leurs homologues latins , lEglise est une koinnia de ceux qui ont reu le baptme chrtien, qui confessent la mme foi rvle, qui demeurent unis au collge piscopal reprsent dans chaque communaut par lvque du lieu, et qui vivent selon les enseignements vangliques. Cette koinnia de foi, de vie et de cur, aboutit la koinnia eucharistique qui la prsuppose et la clbre. Une seule eucharistie, un seul autel, un seul vque, une seule Eglise, un seul Christ et un seul Dieu, voici la vision de la koinnia chrtienne qui perce travers lenseignement des Pres grecs3.

JUSTIN, 1 Apologiae 66, 1 : PG 6, 328. EUSEBE DE CESAREE, H.E., V, 24, 17, traduction de BRADY, G., SCh 41, 1955, 71 (Il est important de remarquer ici quils ont pu partager leucharistie malgr une grave msentente concernant la clbration de Pques : lappartenance la koinnia de lEglise nexclut donc pas une lgitime diversit dans les usages liturgiques et les traditions locales). 3 Cf. IGNACE DANTIOCHE, Philad. 4 ; Smyrn. 7 (tr. fr. Camelot, P.Th., Op.cit.). On peut ajouter ici que, contrairement au mot latin communio qui en Occident est devenu avec le temps un synonyme de leucharistie, le terme grec de koinnia a toujours gard plus dampleur en dsignant paralllement la communion eucharistique et la communion ecclsiale (DEWAILLY, L.M., Communio Communicatio. Brves notes sur lhistoire dun smantme , Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques, 1, 1970, 55).
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5.2. La communio chez les Pres latins Chez les Pres crivant en latin, nous retrouvons assez frquemment le vocabulaire de communio-communicatio-communicare pour exprimer diverses ralits ecclsiales. Il convient de remarquer, ds le dbut, que le latin patristique privilgie communicatio et communicare communio ; sans doute pour accentuer davantage llment actif et dynamique dans lEglise. Cest ainsi, par exemple, que la Vulgate de Jrme nemploie que deux fois communio (dont une seule fois dans le Nouveau Testament), en lui prfrant nettement communicatio utilis cinq fois1. Il en va de mme pour Tertullien qui utilise rarement communio, mais se sert volontiers des termes communicatio et communicare2. De manire gnrale, chez les Pres latins semblablement aux Pres grecs, le vocabulaire de communio et communicare (ou communicatio) se rapporte aux liens multiples qui unissent les fidles Dieu et entre eux, dans lEglise conue comme une communio organique et vivante. Il sagit souvent dune participation commune des croyants tout ce que Dieu ne cesse de leur communiquer lintrieur de lEglise. Communio exprime ainsi lunion lEglise, avec le partage de la foi, du culte, des sacrements, et jusqu lentraide matrielle des frres3. Un texte de Tertullien lillustre bien : oui, nous partageons (communicamus) avec eux [les fidles de toutes les Eglises fondes par les aptres] le droit au baiser de paix et le nom de frres. Entre eux et nous, cest une seule et mme foi : un seul Dieu, le mme Christ, la mme esprance, les mmes rites sacramentels du

Dans lAncien Testament, communio se trouve dans Si 9, 20 o il na pas dquivalent littral dans le grec. Dans le Nouveau Testament, communio traduit koinnia en He 13, 16. Dans les autres cas, la Vulgate traduit koinnia par societas 9x ; par communicatio 5x ; par participatio 1x ; par collatio 1x. Ladjectif koinonos est rendu par communicator, socius ou participes ; le verbe koinonein par communicare et par participem fieri. La liste complte avec les indications des endroits est donne dans DEWAILLY, L.M., Communio Communicatio. Brves notes sur lhistoire dun smantme , Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques, 1 (1970), 49. 2 Quelques emplois typiques chez TERTULLIEN : De praescr. 43, 5 : PL 2, 58-59 ; De virg. Vel. 2, : PL 2, 891. 3 DEWAILLY, L.M., Op.cit., 48.

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baptme ; en un mot, nous sommes une seule Eglise. Ainsi, tout ce qui est aux ntres est nous ; autrement, on divise le corps1. Dans ce texte, lEglise apparat comme une communion multiforme, totale et indivisible fonde sur la participation de tous les fidles aux mmes ralits dont elle est la dtentrice et la dispensatrice. Les biens auxquels communiquent les membres de lEglise sont nombreux : la foi, la prire, la charit, la fraternit, la paix, etc. Ils ralisent tous la communion des fidles enunseulcorps. Les chrtiens du monde entier et de tous les temps constituent une communaut unique car ils ont tous part tout ce que Dieu leur communique dans et par lEglise. Cest prcisment cette participation commune aux mmes biens spirituels et matriels qui permet aux chrtiens de se reconnatre membres dune Eglise unique et universelle qui traverse toute lhistoire et le monde entier, et o tout ce qui est aux ntres est nous. Tertullien semble insister particulirement sur la paix et la fraternit qui sont pour lui le ciment de la communion des fidles au sein de la communaut ecclsiale. Il attribue aussi un rle important la vie morale conforme aux prceptes de lvangile, comme tant une expression de lunit de lEglise2. Dans le texte que nous avons cit, il mentionne le baptme parmi les lments essentiels de la communion ecclsiale, mais nvoque pas leucharistie ce qui semble quelque peu surprenant ; certains y voient largument de silence car, dans lensemble de son uvre, leucharistie se prsente comme la perspective ultime de son ecclsiologie et de sa morale3. Pour Augustin, lEglise est une communio sanctorum qui se construit par la communio sacramentorum et plus spcialement par la communio eucharistica : cest quand tous les fidles partagent un mme pain et participent une seule coupe autour du mme autel (communicare altari) que se forme et se manifeste le Chrisus totus, caput et corpus4.
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Le voile des vierges, 2, 3 : PL 2, 891 (SCh 424, Paris, 1997, 135). Mais l o est Dieu, l se trouve la crainte de Dieu, qui est le commencement de la sagesse ; et l o est la crainte de Dieu, on trouve aussi le srieux de la vie, le zle scrupuleux, le soin empress, le choix attentif, la communion mrement pese, lavancement d aux loyaux services, la soumission religieuse, le zle du service divin, la modestie de la dmarche, et lEglise unie, et tout y est de Dieu (Trait de la prescription contre les hrtiques, 43, 5 : PL 2, 58-59 ; SCh 46, Paris, 1957, 150). 3 DEWAILLY, L.M., Op.cit., 51, surtout, la note de bas de page n19. 4 AUGUSTIN, Serm. 57, 7: PL 38, 389 ; Serm. 227: PL 38, 1099. Augustin emploie souvent lexpression Christus totus pour exprimer lide de lEglise unie son chef et ne

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La participation commune ces trsors spirituels exprime et ralise la communion de lEglise dans le don du salut quils communiquent. Par consquent, lEglise elle-mme apparat comme la communio qui rsulte de la communicatio de la vie divine aux chrtiens. La communion des fidles dans lEglise est enracine dans le Christ qui, par les sacrements, les fait vivre de sa propre vie. Cette EcclesiaCommunio est le corps du Christ anim par son Esprit. Le Christ est le communicator du salut, lEsprit est le communicator des dons du Pre : ces dons concrtisent ce salut et, par eux, lEglise se manifeste comme une communio gratiae dans laquelle chacun est participens des biens de la gnrosit divine1. Dans lEglise, il y a donc la communication aux biens du salut dont la source se trouve en Dieu, et auxquels les membres du corps du Christ communiquent grce son Esprit. Cest grce cette communication de la vie divine que lEglise est une communio. Tant Tertullien quAugustin conoivent la communio comme une ralit ecclsiale multiforme qui senracine en Dieu, se communique surtout dans les sacrements et sexprime dans une vie fraternelle entre les fidles noue dans la paix. 5.3. La communion : vie partage lments du concept chez les Pres Ces quelques exemples patristiques tirs chez des Pres grecs et latins, nous permettent de dgager plusieurs aspects du concept de communion selon leur vision. Suivant lauteur et le contexte, les mot grec koinnia et latin communio, ainsi que leurs drivs, possdent des sens varis mais lis entre eux par une ide centrale qui les traverse comme un fil conducteur : celle dune participation communautaire aux mmes ralits spirituelles ou temporelles , dont lEglise est la dtentrice et la dispensatrice. Quil sagisse de la confession de la mme foi, de lappartenance la mme communaut locale, de la participation au culte commun notamment la synaxe eucharistique , ou encore du partage des biens matriels et des sentiments fraternels, nous sommes toujours en face dune ralit vraiment vcue par les fidles. LEglise de lpoque patristique se prsente ainsi nos yeux comme tant la fois

formant quune seule ralit avec lui ; cf. In Joh., 28, 1 : PL 43, 302 ; Enarr. In Ps. 56, 1 : PL 36, 662 ; 61, 4 : PL 36, 730 ; 127, 3 : PL 37, 1679 ; 138, 2 : PL 37, 1784. 1 TILLARD, J.M.R., Communion , dans Lacoste, J.Y. (d.), Dictionnaire critique de thologie, PUF, 1998, 237.

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une communion spirituelle et une communaut existentielle, o la mme foi et la charit fraternelle sexpriment travers diverses formes de participation la vie communautaire tous ses niveaux. Elle englobe le partage des biens matriels, la persvrance dans les sentiments damour et de fraternit et va jusqu la communion dans les souffrances. Il est vident que pour les Pres, la communion ecclsiale nest pas une ralit uniquement spirituelle : enracine dans le baptme et culminant dans leucharistie, elle stend aux domaines les plus varis et les plus pratiques de la vie des chrtiens, comme lentraide fraternelle (avec une attention particulire aux membres ncessiteux de lEglise), ou encore lassociation dans la mission dvanglisation. Elle nest pas non plus uniquement religieuse dans le sens dune limitation la communion aux croyances et au culte ; elle est aussi humaine, ce qui correspond la nature mme de lEglise compose dun lment divin et dun lment humain : celui qui partage la vie de Dieu doit aussi partager celle de son frre car celui qui naime pas son frre ne peut pas prtendre aimer Dieu. A lpoque patristique, la communion ecclsiale est comprise comme une ralit concrte : elle ne se limite pas un sentiment du cur mais implique des gestes pratiques. Elle nest donc pas un concept philosophique abstrait mais une ralit existentielle dont le mot dordre est partage. Au cur mme de cette communion se trouve la clbration eucharistique. A cette poque la notion de communion nest pas un terme technique pour dsigner la communion eucharistique quelle deviendra au MoyenAge en Occident. Elle nappartient ni la thologie sacramentaire, ni la liturgie, mais lecclsiologie. Toutefois, ds le dbut, elle est marque dune forte coloration eucharistique car la synaxe eucharistique, qui, chaque dimanche runit la communaut chrtienne autour de la table du Seigneur, constitue le cur de la vie de lEglise et de sa communion. A la synaxe eucharistique, ceux qui partagent la mme foi et vivent dans la charit fraternelle clbrent ensemble leur communion avec le Seigneur et entre eux. Mme si les Pres la considrent comme un lment parmi biens dautres de la communion, ils lui attribuent le rle de llment central, qui suppose, rcapitule et couronne tous les autres1. Dans lusage que font les Pres des mots du groupe koinnia-communio, le

DEWAILLY, L.M., Op.cit., 48.

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sens eucharistique de la communion est toujours implicite, mme dans les textes o il nest pas directement mentionn. Il est pratiquement impossible de trancher en disant que dans tel ou tel texte, il est question uniquement de la communion eucharistique et dans un autre de la communion ecclsiale : les frontires entre les deux semblent se recouvrir ou, tout le moins, sont-elles vagues. Il faut alors parler de la communion des saints dans un sens large et incluant les diverses facettes de la vie de lEglise, avec la communion eucharistique au centre et au sommet. Dans ce contexte eucharistique, un rle important est attribu lvque : dans sa qualit de prsident de lassemble eucharistique, il est le centre visible de la communaut locale et le gardien de son unit. En mme temps demeurant en communion avec tous les vques travers le monde et dont chacun remplit la mme fonction dunit dans sa communaut , il est un signe de la communion universelle des Eglises. Partout o leucharistie est offerte, lvque et son peuple sont en communion avec tous les chrtiens du monde entier qui clbrent, eux aussi, le mme repas du Seigneur. Il convient de mentionner encore que lpoque patristique est aussi le temps de lettres de communion (litterae communicatoriae en latin, et koinnik grammata en grec) une pratique connue tant en Occident quen Orient1. Leur rle tait dexprimer et de garantir la communion entre les vques et les Eglises locales. Tertullien les mentionne dj en disant quelles probant unitatem communicatio pacis et appelatio fraternitatis et contesseratio hospitalitatis2. En plus de ces lettres, chaque communaut possdait des listes de noms et dadresses quon pouvait en cas de voyage consulter pour savoir quelle Eglise et quel vque fallait-il sadresser en traversant telle ou telle rgion ; ceci afin dtre sr de rester dans la koinniacommunio de lEglise du Christ. Ces diffrents signes de communion permettaient la reconnaissance mutuelle entre les communauts disperses travers le monde, et protgeaient contre la fausse communion avec ceux qui nappartenaient pas lunit ecclsiale. Ces quelques exemples patristiques nous persuadent que les chrtiens des premiers sicles avaient une conception de la communion ecclsiale

1 2

BOTTE, B., Etudes sur le sacrement de lordre, col. Lex orandi 22, Paris, 1957, 114. TERTULLIEN, De praescr. 20, 8 : PL 2, 32.

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que lon appellerait aujourdhui totale, cestdire englobant le tout de lEglise et tous les membres de lEglise.

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DEUXIEME ETUDE : LEglise en tant que communion dans la Foi et Constitution et le Conseil cumnique des Eglises

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Notes mthodologiques
La prsente tude a pour but de prsenter le dveloppement doctrinal du concept de communion dans le Conseil cumnique des Eglises et dans sa commission thologique Foi & Constitution travers une approche chronologique jalonne par les Assembles mondiales du COE, et les Confrences mondiales de la FC. En raison de la large reprsentation de toutes les traditions chrtiennes dans ces deux structures cumniques, nous jugeons que leurs documents officiels peuvent tre considrs comme reprsentatifs pour lensemble de la chrtient. Toutefois, il est clair que le mot reprsentatif doit tre entendu ici de manire relative, car ces textes ne peuvent tre identifis la doctrine particulire daucune des Eglises reprsentes au sein de ces organismes multiconfessionnels1. Ils traduisent cependant des convergences, et parfois de rels consensus, auxquels elles sont parvenues sur certaines questions controverses de la doctrine, en cheminant ensemble vers lunit dans la foi2. Depuis ladoption de la notion de communion comme la catgorie dominante de lecclsiologie cumnique contemporaine, le dialogue doctrinal, men au sein du Conseil et en particulier dans la Foi & Constitution, a donn une quantit considrable dtudes et de documents sur sa comprhension, ses lments constitutifs, ses limites et sa porte ecclsiologique. Ils tmoignent dun dveloppement doctrinal complexe et multidirectionnel, jalonn par des tudes approfondies sur diffrentes composantes du concept et une multitude de thmes annexes. Il nest pas possible de les prsenter tous ici sans courir le risque de sloigner de lintrt principal de ce travail et de se disperser dans des dtails secondaires et des rptitions. Il est donc

Deux prcisions simposent cet gard : 1 Mme signs par des reprsentants officiellement dsigns par les Eglises, ces documents nengagent formellement les Eglises que lorsquils sont ratifis par les instances comptentes lintrieur de chaque Eglise ; 2 En tant que documents supraconfessionnels, produits dun compromis thologique entre diverses traditions doctrinales, habituellement, ils ne correspondent pas entirement aux positions tenues officiellement par les Eglises. Cependant, sans les identifier leur doctrine propre, les Eglises, en les signant, y reconnaissent une part de vrit chrtienne universelle. 2 Il y a consensus l o lon reconnat lentire identit quant la foi professe ; on parle de convergence l o les ides se rapprochent, mais o lunanimit nest pas encore atteinte dans tous les dtails (Cf. HELLER, D., Convergences cumniques sur la doctrine eucharistique , Irnikon 3-4/1999, 542).

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ncessaire, demble, de dfinir quelques limites notre tude. Ainsi, nous allons prsenter le dveloppement thologique du concept de communion travers les documents officiels produits par les Assembles mondiales du Conseil cumnique des Eglises et par les Confrences mondiales de la commission Foi & Constitution, depuis Nouvelle Delhi jusqu Saint-Jacques-de-Compostelle : Nous complterons cette tude par lanalyse du document La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune, produit par la commission Foi & Constitution en 1998, la mme anne o sest tenue, Harare dans le Zimbabwe, la 8me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises marquant son cinquantenaire. Ce document est le dernier en date consacr entirement lecclsiologie, en mme temps quil constitue le dbut dun processus devant conduire par la suite les Eglises une dclaration commune sur lEglise. En principe, nous nallons pas analyser dtudes intermdiaires labores par diverses commissions ou dans le cadre des colloques prparatoires. Toutefois, l o il sagira de textes spcialement importants, ils seront voqus soit dans le corps du texte, soit dans les notes ; ils seront parfois mme brivement prsents et analyss. Les documents labors par les Assembles mondiales du Conseil et les Confrences mondiales de la Foi & Constitution se nourrissent des rsultats de ces recherches intermdiaires et les assimilent, en marquant ainsi de grands pas dans le dialogue cumnique qui vise llaboration progressive dune conception commune de lunit ecclsiale1. Le choix de prsenter dans un seul chapitre les documents du Conseil cumnique des Eglises et les documents de la commission Foi & Constitution se justifie par le fait que les deux organismes sont intimement lis ; ils collaborent troitement entre eux sur le champ doctrinal et il existe une incontestable continuit dans leur rflexion thologique. Intgre organiquement dans les structures de travail du Conseil cumnique des Eglises, la commission Foi & Constitution est
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Nous omettrons aussi les dialogues bilatraux et les sances de la commission permanente de la Foi & Constitution car le cadre de ce travail ne nous permet pas une telle analyse dtaille. Dune manire gnrale, leurs rsultats se refltent dans les dclarations officielles adoptes loccasion des rencontres au niveau mondial. Pour une vue densemble, voir BIRMELE, A., Op.cit., 245-284. Sur les dveloppements particuliers au sein de la Foi & Constitution voir, GASSMANN, G. (ed.), Documentary History of Faith and Order 1963-1993, Faith and Order Paper n159, Geneva, WCC, 1993.

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souvent appele sa cellule thologique car, en ralit, cest elle qui prpare la majeure partie de ses textes doctrinaux . Comme la remarqu lun de ses membres, les dclarations les plus significatives du Conseil sur lunit ont toutes t labores par la Foi & Constitution1. Ceci nest pas surprenant, car si le but ultime du Conseil est lunit visible de lEglise en une seule foi et en une seule communaut eucharistique, exprime dans le culte et dans la vie commune en Christ, travers le tmoignage et le service au monde2, celui de la Foi & Constitution consiste surtout approfondir la conception commune de ce but et des moyens de l'atteindre3. Pour cette raison, il y a un dveloppement homogne du concept de communion travers les documents des deux organismes ports par le mme souci cumnique. Ce choix nous permettra dchapper des rptitions qui seraient invitables en prsentant les acquis des deux institutions sparment. Pour cette mme raison, nous nallons pas prsenter chaque fois tout ce qui a t dit au sujet de lunit des chrtiens, mais nous allons nous concentrer sur les lments nouveaux introduits par les documents successifs, ou sur les approfondissements apports aux textes prcdents qui marquent le dveloppement doctrinal de la conception de la communion ecclsiale dans les structures du Conseil.

GASSMANN, G., From Montreal 1963 to Santiago de Compostela 1993. Issues and Results of Faith and Order Work , in Crow, P. & Gassmann, G. (eds), Lausanne 1927 to Santiago de Compostela 1993. The Faith and Order World Conferences, and Issues and Results of the Working Period 1963-1993, Geneva, 1993, 16. 2 COE, Constitution, n3 : http://www.wcc-coe.org/wcc/who/con-f.html, 23. 04. 2004. 3 FOI & CONSTITUTION, La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune (novembre 1998), Document n 181, n1 : http://www.wcccoe.org/wcc/what/faith/nat1-f.html, 23. 04. 2004.

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1. Lmergence du concept
La terminologie de la communion (koinnia-communio) applique lEglise, apparat dans des crits de thologiens cumnistes ds le dbut des annes cinquante1. Toutefois, elle na t adopte dans le dialogue cumnique officiel entre les Eglises quune dizaine dannes plus tard ; en effet, ce nest que depuis la 3me Assemble mondiale du COE Nouvelle Delhi, en 1961, quon la trouve dans des documents du Conseil et de la commission Foi & Constitution. A partir de cette poque, la terminologie de communion apparatra de plus en plus souvent dans des rapports et accords cumniques bilatraux et multilatraux et, un peu plus tard avec le concile Vatican II , dans le Magistre de lEglise catholique romaine. Lintgration du concept de communion dans lecclsiologie contemporaine a concid un double changement qui sest effectu la fin des annes cinquante et au dbut des annes soixante, dans le dialogue cumnique : celui de mthode, dune part, et celui de perspective doctrinale, dautre part. Dune mthode comparative, les Eglises sont passes une mthode biblicopatristicoliturgique, qui faisait appel aux sources de leur foi pour tenter dlaborer, sur ce fondement commun, une vision commune de lEglise. Quant laspect doctrinal, la perspective christologique fonde sur la premire Base doctrinale du Conseil a t remplace par la perspective trinitaire, aprs sa modification Nouvelle Delhi. La mthode comparative avait t suivie par le mouvement cumnique ds la premire Confrence mondiale sur la foi et constitution de lEglise, Lausanne en 1927, jusqu la fin des annes cinquante. Son but principal tait lapprofondissement de la connaissance mutuelle des diffrentes traditions confessionnelles, pour pouvoir identifier clairement les points de convergence et les points de divergence entre les Eglises. Cette connaissance rciproque ntait pas considre comme
Le pre Congar grand pionnier catholique de lcumnisme moderne , a remarqu, dj en 1950, que lusage du mot communion tait recommandable dans le dialogue cumnique car cest un terme chrtien, dont tout la fois lampleur et le contenu se prtent dsigner toutes les Eglises dont le Mouvement cumnique cherche la rintgration en un seul corps (CONGAR, Y.M., Note sur les mots Confession, Eglise et Communion , Irnikon, 23/1950, 35).
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le but dernier de lcumnisme, mais comme une condition pralable ncessaire llaboration dune doctrine commune apte assimiler de manire cohrente diverses traditions chrtiennes qui se sont formes au cours de lhistoire. Ds le dbut, il tait ainsi prsuppos que la mthode comparative serait abandonne lorsque les Eglises parviendraient se connatre suffisamment pour pouvoir entamer une srieuse recherche doctrinale sur les questions spcifiques qui les unissaient dj, et surtout sur celles qui les divisaient encore. Dans la perspective du but ultime de lcumnisme unit visible de toutes les Eglises chrtiennes , lecclsiologie se prsentait comme un champ de recherches particulirement important. Il sagissait de proposer une nouvelle conception de lEglise, conception que toutes les Eglises pourraient reconnatre comme conforme leur foi. De toute vidence, on ne pouvait songer llaboration dune telle conception partir des prsupposs doctrinaux dune seule tradition confessionnelle ; il tait de mme inconcevable de partir directement de toutes les ecclsiologies particulires des Eglises engages dans le dialogue. La solution qui apparaissait naturellement tait celle de se baser sur ce qui tait commun tous. Pralablement, il fallait donc dfinir quel tait le minimum de la foi commune sur lequel toutes les Eglises saccordaient malgr leurs divergences. Dans la premire priode du mouvement cumnique, ce minimum a t dfini comme la foi en ChristSauveur. Dans sa premire Base doctrinale de 1948, le Conseil cumnique des Eglises se dcrit comme une communaut des Eglises qui confessent le Seigneur JsusChrist comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures1. Cette perspective christologique devait dsormais orienter la recherche commune des modles de lunit visible. Le principe christologique dans lecclsiologie favorisait une conception de lunit de type fdratif. En effet, les Eglises des confessions diffrentes pouvaient demeurer entirement indpendantes et trs diffrentes les unes des autres, sans que cela les empche de sassocier dans une sorte de confdration sur la base de la rfrence commune au Christ. Finalement, malgr des diffrences parfois trs profondes dans leurs doctrines de foi respectives, elles croyaient toutes dans le mme Christ Sauveur, bien que diffremment. Cette conception associative de lunit

VISSERT HOOF, W. A., Report on the Basis of the WCC. The First Assembly of the World Council of Churches, Amsterdam, August 22 September 4, 1948, 1.

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a encore t renforce par les prcisions de la dclaration de Toronto de 1950, sur la nature et le rle du COE1. Selon ce document marquant un grand pas dans le processus dautodtrmination doctrinal du Conseil , ladhsion au Conseil nimpliquait pas ladoption dune conception particulire de lEglise, de sa nature ou de son unit. Le Conseil dans sa mission et son travail ne devait pas se fonder sur une ecclsiologie particulire et il nexigeait aucune relativisation des ecclsiologies propres des Eglises membres. La recherche commune de lunit au sein du Conseil ne requrait pas non plus que les Eglises membres se reconnaissent les unes les autres comme tant des Eglises au sens vrai et plein du terme. Seule tait ncessaire et suffisante lacceptation de la seigneurie universelle du Christ et la reconnaissance que lEglise du Christ dpassait toute appellation ecclsiale particulire. Dans cette perspective, lecclsiologie selon Georges Florovsky tait surtout considre comme un chapitre de la christologie. Une telle autodfinition du Conseil tait tout fait comprhensible et justifiable la lumire de sa Base doctrinale, car elle correspondait au minimum de la foi commune sur lequel les Eglises ont pu se mettre daccord dans un premier temps. Le mouvement cumnique a suivi ce chemin christologique dans lecclsiologie lors des trois premires Confrences mondiales sur la foi et constitution, qui se sont tenues Lausanne en 1927, Edimbourg en 1937 et Lund en 1952. Cependant, toutes les Eglise membres se rendaient compte qu long terme le seul principe christologique tait insuffisant pour donner un cadre propice llaboration dune ecclsiologie commune cohrente pouvant servir de base doctrinale de la runification visible des Eglises divises. Avec le temps, il est devenu manifeste que le but du mouvement cumnique ne saurait jamais tre atteint sans une dfinition plus exacte de la foi commune ; une rvision de la base doctrinale de COE simposait.

WCC CENTRAL COMMITTEE, The Church, the Churches and the World Council of Churches. Statement on the Ecclesiological Significance of the WCC , in GASSMANN, G. (ed.), Documentary History, 175. Remarquant, loccasion, que le terme de communion ne se trouve pas dans la dclaration de Toronto qui parle de ltat de relations rciproques (stat of relationhips). La dclaration est publie dans Kinnamon, M & Cope, B. (eds), The Ecumenical Movement. An Anthology of Key Texts and Voices, Geneva, 1997, 463-468.

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En mme temps, les cumnistes engags dans le dialogue percevaient de plus en plus clairement linsuffisance de la mthode comparative suivie des annes vingt. Une nouvelle approche mthodologique savrait alors indispensable pour avancer la cause de lunit. Aprs avoir acquis au cours de premires dcennies du mouvement cumnique des connaissances approfondies sur leurs traditions respectives, les Eglises voulaient dsormais chercher mettre en accord leurs doctrines de foi propres sur la base des sources communes de la foi. La Confrence mondiale du Conseil cumnique des Eglises Nouvelle Delhi, en 1961, a fait franchir au mouvement cumnique un double pas, en modifiant la Base doctrinale et en adaptant une nouvelle mthode de travail. La foi commune des Eglises membres du Conseil tait dsormais exprime au moyen dune formule trinitaire, selon laquelle, confessant la foi en ChristSauveur, elles sengageaient poursuivre ensemble le but de lunit pour la gloire du Dieu unique, Pre, Fils et Esprit Saint1. Conformment la nouvelle mthode, et tournes ensembles vers les sources communes de la foi notamment les Ecritures, les Pres et le patrimoine liturgique de lEglise indivise , les Eglises devraient tendre au dpassement de leurs confessionnalismes doctrinaux et travailler pour llaboration dune thologie commune. Lintroduction de la formule trinitaire dans la Base doctrinale du COE et la nouvelle mthodologie des recherches cumniques ont conduit lmergence dune nouvelle conscience ecclsiologique et la redcouverte du concept de communion. Nouveau dans le dialogue cumnique mais enracin dans la Bible et la Tradition commune, le mot communion correspondait bien aux exigences de la nouvelle mthodologie visant la recherche de lunit partir des sources communes de la foi. En effet, comme le remarque Zizioulas, aucun chrtien ne peut mettre en doute les origines bibliques et patristiques de ce concept2. En plus, on le trouve dans des crits des

Le Conseil oecumnique des Eglises est une communaut fraternelle d'Eglises qui confessent le Seigneur JsusChrist comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures et s'efforcent de rpondre ensemble leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Pre, Fils et Saint Esprit (COE, Constitution, n1 : http://www.wcccoe.org/wcc/who/con-f.html, 23. 04. 2004). 2 ZIZIOULAS, J., Eglise comme communion . Confrence prononce la 5me Confrence mondiale de FOI & CONSTITUTION en 1993, DC 2079 (1993), 823.

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Rformateurs du 16me sicle. Il saccordait aussi parfaitement avec la nouvelle Base doctrinale : comme Dieu est koinnia car il est un et trine la fois , de mme lEglise est koinnia car elle est unique mais compose dune multitude de personnes et de communauts particulires. A la mme poque, lemploi de la notion de communion a encore t favorise par lengagement officiel de lEglise catholique dans le dialogue cumnique initi par le concile Vatican II, et suivi plus tard par ladhsion des thologiens catholiques la commission Foi & Constitution en qualit de membres ordinaires. Limportance du concile cet gard ne consistait pas uniquement dans son ouverture cumnique aux autres chrtiens, mais surtout dans lintgration de la notion de communion dans sa propre doctrine sur lEglise. Dsormais, toutes les Eglises taient prtes ordonner leurs recherches ecclsiologiques celles accomplies communment au sein du mouvement cumnique et celles accomplies lintrieur de chaque tradition ecclsiale autour de la notion de communion. Koinnia communio est entre pour de bon dans le langage cumnique, en devenant la notioncl autour de laquelle se sont concentres les recherches ecclsiologiques de ces cinquante dernires annes dans les Eglises et les dialogues cumniques. Cest dans le cadre thologique trac par la notion de communion, que, partir des annes soixante, diffrents modles dunit seront successivement labors dans le Conseil cumnique des Eglises comme diversit rconcilie, unit organique et communaut conciliaire.

(loriginal anglais sous le titre The Church as Communion dans BEST, T. and GASSMANN, G. (eds), Op.cit., 103-111).

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2. La troisime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Nouvelle Delhi 1961
2.1. Lunit est communion Entre le 19 novembre et le 5 dcembre 1961, sous le slogan, Jsus Christ la lumire du monde, sest tenue, Nouvelle Delhi, la 3me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises, avec la participation de 197 Eglises chrtiennes de tous les continents1. Par un vote unanime et sans abstention, lAssemble a adopt une dclaration sur lunit de lEglise. Pour la premire fois, les Eglises ont exprim dans un texte court leurs convictions communes sur la nature, les conditions et les expressions de lunit ecclsiale. Pour la premire fois galement dans un texte officiel du Conseil, cette unit tait appele du mot communion (fellowship dans le texte original en anglais). Comme la remarqu lun des participants aprs le vote de la Dclaration, lemploi de ce terme marquait un passage symbolique de ltat de relations ltat de communion bien sr encore incomplte entre les Eglises engages communment dans la recherche de lunit au sein du Conseil. La dclaration de Nouvelle Delhi exprime une tonnante convergence ecclsiologique entre des Eglises de diffrentes traditions confessionnelles, et, pour cette raison, elle a mme t appele un vnement qui marque le dbut dune seconde rformation de la chrtient2. Elle est incluse dans le Rapport de la Section III : Unit. Nous la citons ici en entier : Nous croyons que lunit, qui est la fois le don de Dieu et sa volont pour son Eglise, est rendue visible lorsque, en un mme lieu, tous ceux qui sont baptiss en JsusChrist et le confessent comme Seigneur et Sauveur, sont conduits par le Saint Esprit former une communaut (fellowship)

VISSERT HOOF, W. A. (d.), Nouvelle Delhi 1961. Rapport de la Troisime Assemble du Conseil cumnique des Eglises, Neuchtel, 1962 ; dans la suite, nous le citons comme Nouvelle Delhi. Rapport (original anglais, VISSERT HOOF, W. A. (ed), The New Delhi Report : The Third Assembly of the World Council of Churches, 1961, London, SCM, 1962). 2 Ces paroles du professeur H.P. van Dusen (USA) sont cites dans BODMER de TRAZ, C., New-Delhi. Reportage et documents, Genve, 1962, 163.

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pleinement engage, confessant la mme foi apostolique, prchant le mme Evangile, rompant le mme pain, sunissant dans une prire commune et vivant dune vie communautaire qui rayonne dans le tmoignage et le service de tous ; et lorsque, en outre, ils se trouvent en communion (united) avec lensemble de la communaut chrtienne (Christian fellowship) en tous lieux et dans tous les temps, en sorte que le ministre et la qualit de membre sont reconnus par tous, que tous peuvent, selon que les circonstances lexigent, agir et parler dun commun accord en vue des tches auxquelles Dieu appelle son peuple1. La Dclaration constitue un pas en avant par rapport la dclaration de Toronto qui donnait une dfinition de la nature et du rle du Conseil cumnique des Eglises en relation lEglise et aux Eglises. Cette foisci, cest lEglise visiblement unie, recherche par les chrtiens au sein du mouvement cumnique, qui est lobjet de la prsentation. Selon lopinion des dlgus et des observateurs qui ont particip lAssemble, cette nouvelle dfinition de lunit au cur de laquelle se trouvait la notion de communion tait lapport principal de lAssemble de Nouvelle Delhi au dveloppement doctrinal du mouvement cumnique2. Toutefois, en ladoptant, les Eglises nentendaient pas donner une dfinition dfinitive de lunit quelles recherchaient, mais plutt, exprimer plus clairement la nature de leur but commun et en dfinir les conditions fondamentales en vue dune discussion future. La Dclaration est dite texte dtude, propos lapprofondissement ultrieur par les Eglises ; elle nentend pas proposer une conception dfinitive de lunit raliser visiblement ds maintenant. En la commentant, le Rapport final prcise quaucune ecclsiologie particulire ny est prsuppose3. Sur la base des acquis du dialogue cumnique men notamment par la Foi & Constitution, la Dclaration spcifie ce qui est exig et impliqu par la pleine unit visible des Eglises, sans pour autant vouloir en proposer une figure concrte.

Rapport de la Section III : Unit de lEglise, n 2 dans Nouvelle Delhi. Rapport, pp. 113-114 (dans ldition anglaises, p. 116). 2 BODMER de TRAZ, Op. cit., 116. 3 Nouvelle Delhi. Rapport, n 4, p. 114.

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2.2. Don de Dieu et dfi pour lEglise Selon la foi commune des Eglises affirme clairement dans la Dclaration, lunit est un don de Dieu pour son Eglise1. Par cette affirmation, les Eglises expriment leur conviction que cette unit est de caractre divin et se place un niveau plus profond que celui des relations extrieures entre les communauts chrtiennes ; en tant que don venant de Dieu lui-mme, lunit est une marque inhrente de ltre ecclsial, indfectible de par sa nature divine. Dans sa dimension surnaturelle, lunit est un mystre qui dpasse tout entendement humain, car elle est une uvre de la Trinit : Dieu, en JsusChrist et par lEsprit maintient lEglise toujours une et unie2. Cependant, tout don de Dieu appelle une rponse de lhomme : lunit divine dj inscrite dans ltremme de lEglise, devrait correspondre la vie dunit des chrtiens dans lEglise. Malheureusement, la vie actuelle de la communaut chrtienne dans le monde est marque par des divisions. Cela signifie que les chrtiens nont pas encore pleinement pris conscience de ce don, quils sopposent la volont de Dieu pour lEglise. Le Rapport les exhorte conformer leur vie lintrieur de chaque Eglise et entre les Eglises ce don de Dieu pour manifester visiblement lunit qui leur est dj donne comme un mystre spirituel de communion et qui appelle une ralisation visible. Tout engagement commun pour lunit doit tre accompli dans la conviction quil sagit de la ralisation dun dessein divin et non pas dune simple cause humaine3. 2.3. Les composantes de la communion Selon la Dclaration, le terme communion exprime lidal dunit ecclsiale que les chrtiens recherchent ensemble au sein du mouvement cumnique. Comme nous lavons vu, lpoque de Nouvelle Delhi, ce terme est un acquis nouveau dans le dialogue cumnique et dont le sens nest pas encore bien dfini. Sans en donner une dfinition
1 Nouvelle Delhi. Rapport, n 5, p. 115. La Dclaration reprend textuellement une phrase dun rapport labor antrieurement par la commission Foi & Constitution lors de sa session Saint Andrews en Ecosse (Minutes of the Faith and Order Commission 1960, St Andrews, Scotland, Faith and Order Paper 31, 1960, 113). 2 Nouvelle Delhi. Rapport, n 6, p. 115. 3 Nouvelle Delhi. Rapport, n 5, p. 115.

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systmatique, la Dclaration elle-mme et les commentaires fournis dans le Rapport, donnent quelques explications quant la manire dont ce concept est compris par les Eglises membres du COE. Pour que lensemble des chrtiens puisse se reconnatre comme une communion spirituellement et visiblement unie, il est ncessaire que plusieurs conditions soient runies1. 2.3.1. Le baptme En premier lieu, nous remarquons que dans la Dclaration, il nest question que des baptiss ceux qui sont baptiss en JsusChrist, comme le dit le texte. Lunique baptme chrtien est ainsi reconnu comme la pierre angulaire et le fondement sacramentel de la koinnia des chrtiens2. Le Rapport affirme lexistence dun lien indissoluble entre lunicit du baptme et lunicit de lEglise : comme le baptme est unique, de mme est unique lEglise dans laquelle il fait entrer les croyants3. De ce fait, les chrtiens se reconnaissent lis entre eux par un lien baptismal indestructible, malgr les divisions actuelles qui existent entre les Eglises auxquelles ils appartiennent. Cest dailleurs sur la base de la reconnaissance mutuelle du baptme quest n le mouvement cumnique. En voquant lenseignement de saint Paul sur le baptme dans 1Co 12, 13, le Rapport rappelle quil scelle en un mme corps tous ceux qui le reoivent, en leur confrant le mme et unique Esprit4. Par consquent, les baptiss forment ensemble une seule communaut denfants de Dieu, une nouvelle race celle de lhumanit rachete5. A lintrieur de cette communaut, les chrtiens sont appels une vie de communion, et les divisions entre eux sont en contradiction avec leur identit chrtienne acquise par le baptme commun et leur vocation baptismale. Pour rtablir la plnitude de la communion visible, les Eglises doivent se mettre daccord sur la signification du sacrement du baptme et ses
Le Rapport dans son ensemble peut tre considr comme une sorte de commentaire largi de la Dclaration, car il claire ses affirmations. Dans notre analyse, nous nous limitons au Rapport de la Section III : Unit, conu comme une explicitation formelle de la Dclaration. 2 Nouvelle Delhi. Rapport, n 8, 115-116 et n 33-35, pp. 123-124 (au n 35, p. 124, le nom de sacrement est attribu explicitement au baptme chrtien). 3 Ibid., n 8, pp.115-116. 4 Ibid., n 33, p. 123. 5 Ibid., n 34, p. 124.
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implications concrtes dans la vie des Eglises1. Surtout, lincapacit de partager ensemble le repas du Seigneur par tous les baptiss soulve le problme de la reconnaissance du baptme confr dans une autre communaut de foi que la sienne. Cette question avait dj t tudie au sein du mouvement cumnique avant lAssemble de Nouvelle Delhi, et des progrs ont pu tre raliss2. Pourtant, il a t remarqu pendant lAssemble que plusieurs divergences importantes navaient pu tre surmontes. Alors, que certaines Eglises sont davis que, sur la base de la reconnaissance du baptme, il est possible de rtablir la pleine communion ecclsiale et de lexprimer dans le partage eucharistique commun, dautres estiment que la reconnaissance du baptme ne signifie pas encore la reconnaissance de la pleine unit visible et ne conduit pas par elle-mme ltablissement de la communion eucharistique entre les Eglises. Cette divergence manifeste que les Eglises ne sont toujours pas daccord sur la vraie nature de la communaut dans laquelle le baptme nous introduit3. Cest ainsi, que dans la perspective cumnique, le problme des implications du baptme est troitement li la question ecclsiologique. Ce qui fait principalement obstacle, ce nest pas le baptme en soi cestdire sa validit sacramentelle , mais le baptme dans lEglise cestdire sa signification ecclsiale4.
Ibid., n 8, p. 116. FO, One Lord, one Baptism, SCM Press, 1960 ; Minutes de Foi & Constitution, Faith and Order Paper 31, 1960. 3 Nouvelle Delhi. Rapport, n33, p. 124. 4 Bien que la validit du baptme soit gnralement reconnue entre les Eglises participant au mouvement cumnique, il faut cependant rappeler quelle nest pas entire. Certaines Eglises vangliques mme parmi celles appartenant au Conseil cumnique des Eglises pratiquent toujours le rebaptme. Cette pratique se base principalement sur la non reconnaissance de la validit du baptme confr aux petits enfants. Ces communauts estiment, en effet, que la profession personnelle de la foi est une condition pralable la rception du baptme. Il est aussi vrai que certains thologiens orthodoxes soulvent des objections srieuses contre la validit dun baptme confr hors de la communion de leur Eglise (lire de lEglise). A la diffrence des communauts vangliques, dobdience protestante, o la raison de la non reconnaissance se trouve du ct de la personne et non pas de son Eglise, chez les orthodoxes, la raison est dordre ecclsiologique et consiste dans la non reconnaissance du caractre decclsialit des communauts dtaches de lunit orthodoxe. Car aucun sacrement ne peut tre ni confr ni reu hors lEglise, le baptme donn dans une communaut qui nappartient pas la communion orthodoxe (identifie lEglise du Christ) ne peut tre reconnu comme valide. Bien sr, il sagit de positions extrmes qui
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2.3.2. La foi et son annonce au monde Intimement lie au baptme est la foi que la dclaration de Nouvelle Delhi numre parmi les conditions essentielles de la communion. Les Eglises reconnaissent quau cur de la foi chrtienne ne se trouve ni une conviction intellectuelle ni une vrit abstraite, mais lvnement mme de JsusChrist : sa personne, sa vie, son enseignement, sa mort et sa rsurrection1. La foi en Christ, Seigneur et Sauveur, constitue la source principale de la koinnia entre les chrtiens. Rvle aux aptres, cette foi est contenue dans les saintes Ecritures et exprime de manire sommaire dans des symboles de foi (credo) et dans dautres dclarations semblables2. Elle est conserve et transmise fidlement de gnration en gnration dans et par lEglise, qui est, quant elle, garde continuellement dans la vrit tout entire par le Saint Esprit. La Tradition de lEglise, qui sexprime travers les traditions particulires des Eglises, joue un rle crucial dans la transmission du krygme apostolique dans le temps et dans lespace. Cest ainsi que les Ecritures, les professions de foi et la Tradition vivante, ralisent et assurent de concert lcumnicit de la doctrine de lEglise. Pourtant, il manque encore lunanimit entre les Eglises, tant sur les lments essentiels du krygme apostolique, que sur sa comprhension exacte. Il est clair pour toutes les Eglises que la plnitude de la communion ecclsiale ncessite lunit dans la foi apostolique. Au stade actuel du dialogue, lAssemble recommande de distinguer entre les formulations intellectuelles de la foi et la foi elle-mme, cestdire son contenu. Selon la recommandation faite dans le Rapport, ce que les Eglises doivent rechercher, ce nest pas luniformit des formules mais lunanimit sur le contenu. Dune part, elles sont conscientes que lunit dans la foi est une condition sine qua non de la pleine communion visible, dautre part, elles sont aussi conscientes que la koinnia en Christ est la condition pralable dune saine doctrine. En recherchant la

ne sont pas maintenues par lensemble de lOrthodoxie. Toutefois, les orthodoxes, plus que les autres, insistent sur le caractre ecclsial de tous les sacrements qui sont des actes de lEglise, donns dans lEglise et pour les membres de lEglise. 1 Nouvelle Delhi. Rapport, n11, p. 117 et n32, p. 123. 2 Les Eglises membres du COE attribuent une valeur particulirement importante aux symboles dits des Aptres et de NiceConstantinople comme tant les plus anciens, et accepts par lensemble de la chrtient.

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plnitude de communion dans la foi, les Eglises doivent toujours se recentrer sur JsusChrist et se laisser conduire par son Esprit de vrit. La foi en Christ, Seigneur et Sauveur, et la foi en la venue de son Rgne sur la terre, se trouvent au cur de lvangile du Royaume que les Eglises sont appeles annoncer toute lhumanit. Lunit dans la prdication de lvangile est ainsi une suite logique de lunit dans la foi1. Lvangile de notre Seigneur JsusChrist est proclam par toutes les Eglises comme la Bonne Nouvelle du salut pour tous les hommes. Chacune des Eglises croit lannoncer fidlement, pourtant, le message vanglique nest pas interprt de la mme manire dans toutes les Eglises. Le Rapport reconnat donc que la plnitude de communion visible exige lunit quant la prdication de lvangile. Cela suppose que tous les chrtiens possdent le mme canon des Ecritures, et que celles-ci soient interprtes partout de la mme manire. Lunit dans la prdication de lvangile exige galement que les Eglises se mettent daccord sur la signification existentielle de la foi pour la vie des fidles et ses implications morales. A travers lannonce de lvangile du Christ, le message du salut est transmis tout dabord aux chrtiens dans leurs Eglises, et ensuite aux gens de toutes les gnrations et du monde entier, grce au tmoignage des croyants et aux activits missionnaires des Eglises. En effet, lannonce de lvangile ne se dirige pas uniquement vers lintrieur de lEglise, mais aussi vers lextrieur car tous les hommes sont appels partager la vie en Christ2. Le Christ nest pas mort pour quelques uns de ses amis, mais pour le salut du monde entier ! Les chrtiens sont envoys pour annoncer leur foi en ChristSauveur toute lhumanit. Il existe une interdpendance rigoureuse entre laccomplissement de la mission de lEglise et la restauration de lunit visible des chrtiens. En effet, les divisions entre les Eglises affaiblissent la crdibilit de leur tmoignage aux yeux des hommes. La pleine communion visible doit sexprimer dans un effort missionnaire coordonn et port ensemble par tous les chrtiens. Cest ainsi que la koinnia appelle une mission commune.

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Nouvelle Delhi. Rapport, n12, p. 117. Ibid., n15, p. 118.

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2.3.3. La prire et leucharistie La foi du baptme sexprime et sapprofondit dans la prire que les croyants adressent Dieu, tantt individuellement, tantt runis en communaut pour une clbration liturgique du culte chrtien1. Indissociablement lie la foi, la prire se trouve au cur de la vie des croyants et des Eglises. De ce fait, la communion dans la prire fait partie intgrante de la koinnia chrtienne. Cette condition se rfre surtout la prire publique clbre conformment aux prescriptions liturgiques. Les Eglises affirment que celle-ci est normalement prside par des ministres tablis officiellement dans les communauts, et avec la participation active de tous les participants. La prire liturgique dans chaque communaut doit tre adapte aux diffrents contextes de vie des chrtiens, suivant les diffrences socioculturelles et les volutions historiques. Elle suppose ainsi une lgitime diversit de formes. Cependant, il y a des lments communs dans le culte chrtien qui se fondent sur les actes de Dieu en Christ et qui constituent le cadre de cette lgitime diversit. Ils ont t prservs travers les ges dans toutes les traditions liturgiques, et on compte parmi eux les actes suivants : adoration, repentance, intercession, requte, action de grce. Compte tenu du rle et de la signification essentiels de la prire commune comme tant une source et une expression de la koinnia des fidles avec Dieu et entre eux, la plnitude de lunit visible ncessite la communion dans la prire. Celle-ci implique, dune part, la reconnaissance de la diversit liturgique et, dautre part, un accord sur la clbration et la signification du culte chrtien. Dans lensemble du culte chrtien, la clbration eucharistique occupe une place dexcellence2. Selon lopinion commune de toutes les Eglises, lunit eucharistique constitue non seulement un but mais le but de tous les efforts cumniques, puisque la clbration commune du repas du Seigneur manifeste la plnitude de communion ecclsiale. Les Eglises sont conscientes quil ny a quune table du Seigneur, non plusieurs, et avouent unanimement quil ne peut y avoir de paix dfinitive entre les

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Ibid., n14, p. 117. Ibid., n13, p. 117 ; n36, pp. 124-125 et nos54-57, pp.129-130.

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chrtiens aussi longtemps que tous ne sunissent pas ensemble autour de cette table1. Actuellement, faute de pleine communion ecclsiale, deux attitudes diffrentes ont t adoptes par les Eglises quant au partage eucharistique. Certaines dentre elles le refusent l o la communion ecclsiale nest pas encore ralise dans sa plnitude2. Ce refus est li une conception spcifique de lEglise conue comme une communion fonde sur une unit organique et transcendante de foi, de vie et damour. Cette communion est rendue visible dans la clbration du sacrement de leucharistie lequel exige galement lexistence dun ministre ordonn. Pour les Eglises qui adhrent cette conception, il est intolrable et incomprhensible que ceux qui ne partagent pas cette vie organique sattendent en partager lexpression eucharistique3. Dautres Eglises pratiquent lintercommunion en partant du principe que le commandement du Seigneur : Faites ceci est un impratif qui transcende toutes nos divisions et constitue un moyen de grce souverain pour le pardon des pchs4. Dans cette conception, le lien de leucharistie avec lunit de lEglise semble tre moins vident. Le Rapport relve qu la base de ces deux attitudes pastorales, il y a deux positions doctrinales divergentes qui concernent deux points fondamentaux de la doctrine eucharistique5. Premirement, la doctrine sacramentaire de leucharistie notamment la question de la prsence eucharistique du Christ dans les espces du pain et du vin et laspect sacrificiel de la clbration et, deuximement, sa signification ecclsiale. Les Eglises sont conscientes que ltablissement de la pleine communion eucharistique exige imprativement un accord sur la doctrine et la clbration liturgique de leucharistie. Pour faire un pas un avant, lAssemble recommande aux Eglises la rvision de leurs doctrines et de leurs pratiques eucharistiques la lumire des acquis rcents des dialogues cumniques. Car la solution dfinitive et globale du problme eucharistique ne semble pas tre pour demain, les Eglises sont donc encourages progresser dans le sens de lintercommunion

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Ibid., n27, p. 121. Ibid., n26, p. 121. 3 Ibid. 4 Ibid., n25, p. 121. 5 Ibid., n36, pp. 124-125.

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au niveau local et de chercher des solutions possibles lintrieur de leurs confessions. 2.3.4. Le ministre Etroitement li la question eucharistique est un autre problme pineux du mouvement cumnique : celui du ministre (ou des ministres)1. Toutes les Eglises sont daccord pour dire que la pleine communion ecclsiale exige un ministre communment reconnu. Cependant, elles divergent considrablement dans ses conceptions. Tout en reconnaissant que tous les membres du corps du Christ constituent un sacerdoce royal et sont appels faire de leur vie un sacrifice spirituel Dieu, les avis des Eglises diffrent quant la place et au rle propre du ministre (surtout ordonn) au sein de la communaut sacerdotale des fidles. Tandis que certaines prnent la ncessit dun ministre par la conscration piscopale dans la succession apostolique, dautres nient cette ncessit et affirment que le ministre ordonn nappartient pas lessence de lEglise, mais constitue une forme parmi dautres du ministre. Le Rapport de lAssemble recommande des tudes bibliques, patristiques, thologiques et historiques en vue de llaboration dun accord sur la base duquel les Eglises pourraient arriver des formes ministrielles admises par tous. 2.3.5. La vie commune Conformment au tmoignage biblique, la koinnia, laquelle Dieu appelle les chrtiens au sein de lEglise, nest pas celle dune communion in abstracto mais celle dune communion in concreto : lunit visible implique une vie commune2. Pendant des sicles, les chrtiens ont vcu en sparation presque complte tout en vivant cte cte ; mais lpoque actuelle, elles entreprennent diffrentes actions et mnent de multiples activits en commun. LAssemble a recommand aux Eglises deux secteurs de plus troite collaboration cumnique. Le premier, cest le champs de la morale : dans un monde en proie une dmoralisation croissante des socits entires, les disciples du Christ doivent tre le sel de la terre en menant une vie ancre dans les valeurs vangliques ; les Eglises sont appeles des prises de positions communes concernant les questions morales dactualit. Le second
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Ibid., n16, p. 118. Ibid., n37, p. 125.

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champ recommand la collaboration pratique des Eglises est celui de lenseignement chrtien, en ce compris la formation des candidats au service pastoral. Dans la perspective de cette vie commune, la dclaration de Nouvelle Delhi envisage lunit visible en premier lieu comme une koinnia entre les chrtiens vivant en un mme lieu. Selon une prcision du Rapport, le mot lieu est comprendre dabord dans son sens premier de voisinage1. Cela tmoignait de la tendance de lpoque dans le mouvement cumnique, et qui consistait mettre en valeur la dimension locale de lunit. En effet, de manire concrte, les divisions sont ressenties surtout dans les relations entre diffrentes communauts chrtiennes vivant en un mme lieu ; il faut donc que la koinnia soit vcue et exprimente surtout par les chrtiens qui se ctoient dans la vie de tous les jours. Cest dans une clbration concrte de leucharistie que la koinnia des chrtiens atteint son sommet, et cest donc limpossibilit de clbrer le repas du Seigneur ensemble par les chrtiens vivant en un mme lieu, qui fait ressentir plus aigrement les divisions ecclsiales. Cependant, en vertu de lunique baptme, les chrtiens du monde entier ont t scells en un seul Seigneur, par leur foi unique et par le don du Saint Esprit2. Ainsi, malgr lincapacit actuelle dagir comme un corps visible et uni, tous les baptiss sont lis entre eux et appartiennent une communion chrtienne universelle3 ; ils constituent ensemble un mme corps (cf. 1Co 12, 13)4. La Dclaration affirme quen vertu de leur qualit de membres du corps du Christ, les membres dune communaut chrtienne locale se trouvent en communion avec lensemble de la communaut chrtienne en tous lieux et dans tous les temps. La koinnia que les chrtiens cherchent vivre ne peut donc se limiter au voisinage, et le mot lieu doit tre interprt de manire plus large que communaut locale. Le Rapport ajoute quil dsigne aussi de plus vastes espaces gographiques englobant en fin de compte tous les chrtiens, partout o ils se trouvent5. En plus de ce sens gographique, le mot lieu est aussi comprendre dans un sens existentiel, pour dcrire toute

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Ibid., n7, p. 115. Ibid., n8, pp. 115-116. 3 Ibid., n 16, 118. 4 Ibid., n33, p. 123. 5 Ibid., n7, p. 115.

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situation o les chrtiens ont exprimer lunit en Christ1. La koinnia doit tre exprimente et exprime tous les niveaux de la vie de lEglise, et dans toutes les situations o les chrtiens se rencontrent. 2.3.6. Les structures Selon lAssemble de Nouvelle Delhi, la communion ecclsiale nimplique pas une rigide uniformit de structures, dorganisation ou de gouvernement ni au niveau local ni au niveau universel : car lunit de lEglise, avant dtre institutionnelle, est mystique et spirituelle2. LEglise nest pas une organisation dont les membres sont tout simplement inscrits dans un registre, mais, selon la Dclaration, une communaut de ceux qui sont baptiss en JsusChrist et le confessent comme Seigneur et Sauveur. Le Rapport ajoute que le terme koinnia a t choisi parce quil dfinit ce quest vritablement Eglise : savoir, non pas simplement une institution, mais la communaut (fellowship) de ceux qui sont appels ensemble par lEsprit-Saint et confessent dans le baptme leur foi en Christ, Seigneur et Sauveur3. La communaut ainsi dcrite transcende toutes les barrires qui slvent encore entre les Eglises institutionnelles. Les rfrences faites au baptme et la foi en Christ, comme tant les marques essentielles de lappartenance la koinnia, tendent inclure, dans les limites de lunit toutes les communauts chrtiennes qui se reconnaissent dans cette double exigence. La Dclaration ne mentionne pas que les structures communes sont une condition ncessaire de lunit visible, et le commentaire que nous trouvons dans le Rapport semble mme affirmer le contraire. On peut se demander, cependant, si cette manire de concevoir lunit visible ne manque pas de cohrence. Dans la Dclaration, la koinnia est caractrise comme une communaut pleinement engage. Le

Ibid. Ibid., n10, p. 116. 3 Nouvelle Delhi. Rapport, n10, p. 116. La traduction franaise officielle du Rapport emploie ici le mot socit pour rendre le terme anglais fellowship. Nous avons choisi demployer le mot communaut car il nous semble mieux correspondre tant au sens de la phrase quau terme anglais fellowship. En effet, le terme socit possde une forte teneur institutionnelle car le concept de socit suppose des structures, des institutions et des lois qui assurent la cohrence dun groupe et le protgent contre lclatement. Lunit dune socit vient, pour ainsi dire, de lextrieur, or cest juste le contraire quentend exprimer cette phrase qui parle de lunit de lEglise ralise de lintrieur par le Saint Esprit.
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Rapport prcise que ce plein engagement envers le Christ et les uns envers les autres implique la participation commune aux prires, lcoute communautaire de lvangile et lunanimit dans son interprtation, la communion dans le tmoignage rendu devant le monde, la solidarit et la charit entre les membres de la communaut, le service commun dans le monde, etc. Est-il possible daccomplir toutes ces exigences quimplique lunit visible, sans une organisation commune, en absence de tout encadrement institutionnel et sans structures communes ? LAssemble na pas donn de rponse cette interrogation. 2.4. Conclusion En lisant les documents de lAssemble de la Nouvelle Delhi, nous constatons que les Eglises y taient davantage proccupes faire le point sur lunit actuelle entre elles, qu dvelopper une conception doctrinale prcise sur leur unit visible future. Toutefois, elles ont propos une vision globale de leur unit en lappelant du nom de koinnia. A lpoque de lAssemble, ctait un pas important sur le chemin cumnique, car la Dclaration traait ainsi un cadre relativement dtermin pour le dialogue ultrieur. Par lemploi du terme koinnia (fellowship) pour rendre compte de cette unit , elle introduisit officiellement une notion qui, jusqu nos jours, demeure le concept ecclsiologique prdominant dans tous les dialogues cumniques. On voit bien qu lpoque de Nouvelle Delhi, la koinnia tait envisage surtout dans le sens dune communaut spirituelle base sur la foi en Christ et le baptme, et exprime dans des actions communes, allant ventuellement jusqu la clbration commune de leucharistie, mais nimpliquant pas ncessairement un encadrement institutionnel commun1. LAssemble envisageait essentiellement cette communion dans sa dimension locale comme tant fondamentale pour la vie des chrtiens. Conformment cette conception, et selon la Dclaration, la tche cumnique des Eglises consistait rendre visible leur unit ecclsiale l o elles vivaient ensemble. Tant la Dclaration que les commentaires dans le Rapport suggrent clairement que le Conseil
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On peut penser que les prcisions apportes par la dclaration de Toronto sur le statut ecclsiologique du COE par rapport aux Eglises et lEglise, ont influenc la rflexion Nouvelle Delhi sur ce point.

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tendait, lpoque, ne pas considrer lunit entre les Eglises comme tant brise en profondeur par leurs divisions actuelles, mais comme tant simplement casse dans sa couche extrieure visible ; lunit spirituelle se prsentant leurs yeux comme tant toujours parfaite et inaltrable dans son essence. Cette tendance dcoulait du rle dominant de laile protestante au sein du Conseil. A la lecture des documents de Nouvelle Delhi, nous constatons que les Eglises sont parvenues affirmer officiellement lexistence dune koinnia en Christ entre tous les baptiss, sans pour autant se mettre pralablement daccord sur un problme beaucoup plus fondamental : celui de la conception de lEglise, de sa nature et de son unit. Ce dfaut ressortira chaque fois lorsque les Eglises runies dans le Conseil discuteront de la vision de leur unit visible, et il les conduira successivement de replacer le point focal de leur dialogue du problme spcifique de lunit de lEglise, au problme plus fondamental de lEglise tout court. Malgr ces manquements, la Dclaration de Nouvelle Delhi constitue un premier maillon dune longue chane de prises de positions communes des Eglises runies dans le Conseil cumnique, et qui aboutira en 1998 dans le document de la commission Foi & Constitution intitul La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune1.

FOI & CONSTITUTION, La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune (novembre 1998), Document n 181 : http://www.wcccoe.org/wcc/what/faith/nat1-f.html, 23. 04. 2004.

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3. La quatrime Confrence mondiale de la Foi & Constitution Montral 1963


3.1. La confrence et ses thmes La 4me Confrence mondiale de la Foi & Constitution sest tenue au mois de juillet de 1963 Montral1. Pour la premire fois des catholiques y participaient, titre dobservateurs, et leur prsence a t chaleureusement salue dans le discours douverture prononc par le prof. Roger Mehl de lEglise rforme dAlsace et de Lorraine2. Il a galement affirm que toutes les Eglises se sentaient concernes par le concile Vatican II qui se droulait Rome et y voyaient une grande chance pour lavenir du mouvement cumnique. La prsence orthodoxe dans la Commission tait renforce depuis Nouvelle Delhi par ladhsion au Conseil de plusieurs Eglises de lEurope de lEst (Russie, Bulgarie, Roumanie, Pologne). De ce fait la Commission tait devenue plus quilibre thologiquement, et ses laborations doctrinales plus cumniques. Rparties en cinq Sections, la Confrence sest penche sur plusieurs sujets : I LEglise dans le dessin de Dieu, II Ecritures, Tradition et traditions ; III Luvre rdemptrice du Christ et le ministre de son Eglise, IV Le culte et lunicit de lEglise du Christ ; V Tous en un lieu : le processus de grandir ensemble3. Les discussions dans les Sections se basaient sur les rapports de plusieurs commissions prparatoires riges en vue de la Confrence4. En plus de ces textes de base, dautres documents du Conseil et de la Foi & Constitution avaient

Pour le processus prparatoire, lorganisation et le droulement, voir PATON, D., Montreal Diary , dans RODGER, P.C. & VISCHER, L. (eds), The Fourth World Conference on Faith and Order. The Report from Montreal 1963, Faith and Order Paper 42, London SCM Press, 1964, 9-38 ; cf. Minutes of the Faith and Order Commission and Working Committee, Faith and Order Paper n41, Geneva, WCC, 1963. 2 MEHL, R., The Ecumenical Situation. The Opening Adress of the Fifth World Conference on Faith and Order , ER, October (1963), 1-13. 3 Les rapports des Sections sont publis dans RODGER, P.C. & VISCHER, L. Op. cit., 41-90. 4 FOI & CONSTITUTION, documents nos37-40, Genve, 1963 (Ces tudes ont t galement publies sous la forme dun volume prparatoire intitul Faith and Order Findings, SCM Press and Augsburg Publishing House, 1963).

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t diffuss parmi les participants1, ainsi que des tudes personnelles de thologiens qui traitaient des questions dbattues dans chacune des Sections2. Toutes les Sections avaient labor des rapports qui ont tous t prsents et approuvs lors des sessions plnires et intgrs dans le Rapport final. Les affirmations essentielles sur lEglise et son unit se trouvent dans les rapports des Sections I et V3. Alors que le Rapport de la Section I sinspire largement de la dclaration de Toronto (LEglise, les Eglises et le Conseil cumnique des Eglises), celui de la Section V dveloppe surtout les affirmations de la dclaration de Nouvelle Delhi sur lunit, dans la perspective de la nouvelle base doctrinale du Conseil, prcise depuis la dernire Assemble mondiale du Conseil, par une motion trinitaire. Dans le prolongement de la dclaration de Nouvelle Delhi, la Confrence sest concentre sur la dimension locale de lunit Eglise en tout lieu (Church in each place). Outre la question de la localit, elle sest galement penche sur le caractre institutionnel de lEglise. Cet aspect a t longuement dvelopp dans un texte prparatoire intitul Rapport de la commission dtudes sur linstitutionnalisme4. Malheureusement, faute dentente essentielle entre les participants, dans le Rapport final cette section reste courte et vague5. De manire gnrale, Montral na pas apport dimportantes nouveauts quant aux thmes traits, mais il a permis aux participants de diverses Eglises dlargir leurs conceptions confessionnelles. Nayant pas eu pour but la prparation dun accord sur un thme prcis, la Confrence tait marque par une grande varit de sujets discuts. Comme la valu lun des participants, le rsultat de la Confrence tait un chaos le plus prometteur6. De mme, en ce qui concerne lecclsiologie, le Rapport apparat souvent comme un collage de phrases exprimant des vues confessionnelles trs varies. On y discerne
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Notamment One Lord, One Baptism, SCM Press, 1960; Institutionalism and Church Unity, Association Press and SCM Press, 1963; The Church, the Churches and the World Council of Churches (= Toronto Statement, 1950). 2 Montreal. Report, p. 19. 3 Sur llaboration de ces documents voir Montreal. Report, respectivement pp. 21-23 et 30-31. 4 Foi & Constitution document n37, Genve, 1963 (publi galement dans Faith and Order Findings, SCM Press and Augsburg Publishing House, 1963). 5 LEglise : acte et institution dans Montreal. Report, nos17-23, pp. 44-45. 6 a most promising chaos (cit dans Montreal. Report, p. 7).

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facilement les tensions doctrinales au sein du mouvement cumnique de lpoque, entre laile protestante dun ct et laile orthodoxe de lautre. De ce fait, il est difficile den donner une apprciation globale univoque. Sans doute, un des mrites importants de la Confrence fut le travail doctrinal accompli dans la phase prparatoire par diffrentes commissions dtudes. Comme le montrent les noms des Sections, plusieurs thmes qui devaient revenir plus tard dans diffrents dialogues bilatraux et multilatraux ont t lancs Montral. 3.2. LEglise selon Montral LAssemble de Nouvelle Delhi a ajout une mention trinitaire la base doctrinale du Conseil cumnique des Eglises. Face cette modification, la Confrence de Montral a ajout quelques harmoniques trinitaires dans ses laborations ecclsiologiques, notamment dans le Rapport de la Section I : LEglise dans le dessin de Dieu. LEglise y est prsente dans le cadre dune conomie trinitaire du salut : cest le Pre qui envoie son Fils (Incarnation), le Fils qui sauve (Pque) et lEsprit qui sanctifie (Pentecte)1. LEglise apparat ainsi comme le rsultat dun acte total de la Trinit : voulue par Dieu dans son dessein salvifique envers les hommes, elle a t fonde historiquement par le Christ et vit continuellement dans le monde grce lEsprit-Saint2. Lunit, la saintet, la catholicit et lapostolicit, sont des dons que Dieu le Pre accorde lEglise en Christ et par lEsprit3. Mme sil faut saluer et apprcier ces harmoniques trinitaires, il faut galement reconnatre que, de manire gnrale, lecclsiologie de Montral est encore profondment christologique. LEglise est prsente surtout comme le corps du Christ mort et ressuscit pour notre salut , dont les membres participent la mort et la rsurrection de la tte4. Passant par le mystre pascal, le Seigneur a libr lhomme de tout esclavage et lappelle sans cesse la vie de crature nouvelle en lui. Cette vie implique lobissance son vangile, le tmoignage rendu au Christ devant le monde, et la solidarit avec tous les hommes, notamment ceux qui souffrent de la pauvret, de discriminations et

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Montreal. Report, n17, p. 44. Ibid., nos17-18, p. 44. 3 Ibid., n23, p. 45. 4 Ibid., nos11-12.

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dexclusions de toutes sortes1. A linstar du Seigneur qui a bris les murs de sparation entre les hommes (cf. Ep 2, 14), lEglise est appele tre un espace damour fraternel o les gens vivent en communion les uns avec les autres et manifestent ainsi lunit du corps du Christ2. Cette ecclsiologie de corps du Christ tait convenable lpoque pour pouvoir dpasser la vision fdrative de lunit prconise au cours des premires annes au sein du Conseil, mais dont les principes mmes taient inexorablement contests par les orthodoxes. Elle correspondait bien galement aux positions doctrinales catholiques permettant ainsi un rapprochement entre le Conseil et lEglise romaine qui se lanait dans lcumnisme avec le Concile. Dans loptique du corps du Christ, lEglise apparaissait non pas comme une fdration de communauts locales, mais comme une communion des saints de tous les ges et de tous les lieux, et qui participaient tous la vie divine que le Christtte leur communiquait par son Esprit dans lunit de son corps ecclsial3. Selon Montral, lEglise vit et se renouvelle continuellement grce la prsence agissante en elle de lEsprit Saint4. Cest par lEsprit que le Christ lui-mme se rend prsent pour son peuple chaque fois que la parole de lvangile est proclame et que les sacrements sont administrs5. Ces moyens de laction salvifique du Seigneur ressuscit dans lEglise, sont la fois des vnements et des institutions6. Puisque la prsence de Dieu nous est rendue relle par des moyens institus, il ne doit y avoir aucun jeu du charisme et de linstitution lun contre lautre7. Cest ainsi que, vivant dans le monde, lEglise qui est une, sainte, catholique et apostolique, possde une dimension charismatique et une dimension institutionnelle : elle est la fois un vnement pneumatique et une structure terrestre8. Malheureusement, comme nous lavons dj mentionn, cet aspect important de la constitution de lEglise en ce monde na pas t suffisamment dvelopp dans le Rapport final, malgr une longue et riche tude sur linstitutionnalisme
Ibid., nos13-15. Ibid., n16, p. 44. 3 Ibid., n24, p. 45. 4 Ibid., n20, p. 45. 5 Ibid., n19, p. 45. 6 Ibid., n20, p. 45. 7 Since Gods presence is made real to us through instituted means, there must be no playing of charisma and institution against one another (Ibid., n21, p. 45). 8 Ibid., n23, p. 45.
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prsente aux participants1. Cest peuttre l le plus grand regret de la Confrence, tant donn la grande qualit du travail prparatoire accompli par la commission dtude. La discussion autour de linstitutionnalisme a manifest de grandes divergences entre les traditions sur la conception de lEglise et sa constitution en ce monde ; divergences dont la plupart ne sont pas encore rsolues quarante ans aprs Montral. Dans le prolongement de la dclaration de Nouvelle Delhi, la Confrence de Montral a insist sur la dimension locale de lunit de lEglise. Citant le texte des Actes 2, 42 Ils se montraient assidus l'enseignement des aptres, fidles la communion fraternelle, la fraction du pain et aux prires , le Rapport de la Section V dfinit lEglise locale comme une congrgation de croyants vivant en un lieu donn2. La communaut locale est la forme de base de la vie de lEglise dans le monde3. Chaque communaut locale est une manifestation en un lieu donn de lEglise du Christ condition que saccomplissent en elle les lments qui dterminent lidentit chrtienne, notamment la foi en Christ, le baptme et leucharistie. Lecclsiologie de Montral valorise la qualit et lidentit cultuelles de lEglise locale elle est avant tout une communaut de baptiss, rassemble dans un lieu donn pour couter la parole de Dieu et clbrer le repas du Seigneur4. Tout rassemblement de chrtiens de ce type peut tre appel Eglise locale5. Cependant, le Rapport lui-mme reconnat lambigut de cette conception de lEglise locale, puisquelle peut tre applique aussi bien un groupe cumnique qu une paroisse orthodoxe ou un diocse catholique. Cest pourquoi la Confrence recommande que ce problme

Institutionalism and Church Unity, Association Press and SCM Press, 1963. Ibid., n143, p. 80: It [the local church] is a gathering of believers in Jesus Christ under the leadership of the apostles, in a particular place, yet committed to a mission to the whole world. Notons que dans son ensemble la Dclaration utilise indiffremment les termes Eglise locale (local Church) et congrgation (Congregation). Pour parler de la communion, elle emploie tantt le terme anglais fellowship tantt le terme grec koinonia en transcription anglaise. 3 Ibid., n162b ( an essential form of church life). 4 Ibid., n147: By the local congregation we mean the local fellowship of Christians gathered for the hearing of the word and the celebration of the Lords Supper according to Christs ordinance (cf. n24, p. 45). 5 Ibid., nos148-151.
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soit tudi et que les clarifications ultrieures soient apportes sur la comprhension de lappellation Eglise locale1. Par la foi, le baptme, la prire et leucharistie qui dterminent lidentit chrtienne, chaque communaut est mystiquement relie aux autres communauts locales travers le monde2. Toutes les communauts locales disperses travers le monde forment la communion ecclsiale universelle (Una Catholica). Cependant, afin quelles puissent se reconnatre en pleine communion visible entre elles, il faut quelles accomplissent toutes les conditions dunit annonces dans la dclaration de Nouvelle Delhi (le baptme chrtien, la foi apostolique, la vie communautaire marque par le dvouement mutuel, lunit avec les autres communaut dans la prdication de lvangile, la prire et leucharistie, lunit dans le tmoignage et la diaconie, la reconnaissance mutuelle des membres et des ministres, les prises de position et laction communes)3. La congrgation locale est aussi le lieu o la communion des chrtiens est continuellement teste face toutes sortes de tensions (ecclsiales, raciales, idologiques, politiques, sociales, conomiques, etc.), qui sont des causes potentielles de ruptures entre les membres4. Les divisions ne concernent pas uniquement la vie interne dune communaut locale, mais aussi diffrentes communauts locales confessionnelles de chrtiens vivant en un seul lieu ; cest au niveau local que le scandale des divisions est le plus visible et le plus douloureusement ressenti par les croyants5. Afin de grandir ensemble jusqu la plnitude de la communion visible, les Eglises de diffrentes dnominations doivent sengager toujours plus pleinement dans le dialogue doctrinal au niveau local, et entreprendre des actions communes visant au dpassement de leurs divisions6.

Ibid., n151. Ibid., n147 (identity of existence in Christ). 3 Ibid., n152 (Le paragraphe cite textuellement la dclaration de Novelle Delhi). 4 Ibid., n144. 5 Ibid., n145. 6 Ibid., n146. La Confrence de Montral a examin la question de lunit dans la perspective Eglise locale Eglise universelle. Cependant, elle sest vite confronte au problme de la signification ecclsiale des diffrentes dnominations chrtiennes. En reconnaissant que ce thme exigeait des tudes approfondies, elle a fait, toutefois, les remarques suivantes : 1) le concept de dnomination nexiste pas dans le Nouveau Testament qui emploie le mot ecclesia soit pour dire Eglise locale soit pour dire Eglise
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Malgr les sparations qui dchirent lunit de la communion visible, il y a une communion mystique qui existe dj entre les chrtiens dans le corps du Christ et qui est inaltrable. Cette communion invisible est enracine dans la foi, scelle sacramentellement par lunique baptme, et nourrie continuellement de leucharistie. Cest surtout en vertu de la foi en ChristSauveur que tous les chrtiens appartiennent dj la communion de son Eglise qui surpasse toutes les dnominations. Pour approfondir leur communion visible, les chrtiens des diffrentes Eglises, vivant cte cte, sont appels grandir cumniquement dans la foi commune en senrichissant rciproquement dans leur comprhension des vrits rvles1. A ct de la foi, le baptme qui fait participer la mort et la rsurrection du Christ est un lien fondamental de communion des chrtiens malgr leur appartenance des communauts locales de dnominations diffrentes2. Cette communion fondamentale de lEglise, ancre dans la foi en Christ Sauveur et scelle par le sacrement de baptme, sexprime et sapprofondit dans la clbration du culte qui unit les chrtiens Dieu et entre eux. Toute communaut locale clbre le culte dans la communion des saints (communio sanctorum) de lEglise universelle. Notamment, la clbration de leucharistie est un acte de culte de toute lEglise qui manifeste et ralise la communion des chrtiens en Christ, malgr les douloureuses divisions institutionnelles qui persistent encore entre leurs Eglises respectives3. Lunit eucharistique surpasse les structures organisationnelles des Eglises, en soudant dj les chrtiens de diverses traditions en une communion mystique dans le corps du Christ. Toutes les Eglises sont daccord pour dire que lEglise tout entire est prsente dans la communaut locale runie pour la clbration du culte eucharistique. Leucharistie est la source et le sommet de lunit des

universelle, 2) les dnominations ont t instrumentales dans le dveloppement de nouvelles formes du christianisme et de nouvelles manires de comprendre le message vanglique, 3) elles ont aussi t une source de rivalits et de conflits entre les chrtiens, 4) le systme dnominationnel ne peut pas tre regard comme une forme essentielle de la vie de lEglise (nos161-162). 1 Ibid., nos156-157. 2 Ibid., n154. 3 Ibid., n154: Holy communion is also the act of the Church in which the churches break the one bread with the Lord himself present. Thus in spite of our painful separation at the Lords Table we have communion in him who gives himself in every act of communion.

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chrtiens ; toute autre expression de lunit nest quune manifestation visible de la communion que les chrtiens ont dj en Christ, par la participation son corps et son sang dans le repas du Seigneur1. Pour cette raison, lunit de lEglise est chercher non seulement dans ladaptation des structures communes mais surtout dans la koinnia de vritable culte eucharistique dans lequel lEglise catholique tout entire est manifeste2. Cependant, le Rapport reconnat que lunit eucharistique nest pas encore possible pour tous les chrtiens. La majorit des communauts locales de confessions diffrentes vivant dans le mme endroit ne se sentent pas encore prtes la clbrer ensemble. Pour manifester visiblement leur unit fondamentale dans le corps du Christ, elles sont nanmoins appeles accomplir ensemble tout ce qui leur est possible selon le degr actuel de la communion ecclsiale3. *** La Confrence sest penche sur un grand ventail de thmes doctrinaux, allant de la thologie trinitaire lecclsiologie en passant par la christologie, la liturgie et les Ecritures saintes. Elle na formul aucune dclaration spcifique sur lunit. Sur le champ de lecclsiologie, elle tait surtout proccupe apporter des clarifications doctrinales aux dclarations de Toronto et de Nouvelle Delhi. Sa contribution essentielle consiste avoir soulign la dimension trinitaire de lEglise, avoir dvelopp le thme de la localit dans ses divers aspects, et avoir insist sur la dimension cultuelle, notamment eucharistique, de la vie de lEglise locale. Toutefois, dans lvolution doctrinale de lecclsiologie, elle na pas apport de dveloppements significatifs.

Ibid., n25: All of us [churches], however, would emphasize the presence of the Whole Catholic Church in true Christian worship in such ways that there can be no higher unity than that of which we partake around the Lords Table, and every other form of unity can only be justified as an expression of that fundamental unity. 2 Ibid., n25: we affirm that the unity of the Church is to be found not only in the merger of denominational structures but even more profoundly in the koinnia of true Eucharistic worship, where the whole Catholic Church is manifested. 3 Ibid., nos158-160. En relation avec cette recommandation, la partie B : The Churches involvement in a divided socity (nos163-174) et la partie C :The mission of the peuple of God in each place (nos175-188) du Rapport de la Section V, font une analyse de la vie du monde et numrent plusieurs champs dactivit o elles peuvent collaborer, malgr ltat imparfait de leur communion actuelle.

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4. La quatrime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Upsal 1968


4.1. La prsentation de lAssemble Du 3 au 19 juillet 1968 a eu lieu Upsal (Sude), avec la participation de 700 dlgus officiels reprsentant 233 Eglises chrtiennes, la 4me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises1. Le slogan qui a servi daccroche cette Assemble fut le verset de lApocalypse : Voici, je fait toutes choses nouvelles (Ap 21, 5). Les dlgus se sont penchs sur six thmes particuliers traits dans six Sections : I LEsprit-Saint et la catholicit ; II Renouveau et mission ; III Dveloppement conomique et social ; IV Justice et paix ; V Culte ; VI Vers de nouveaux styles de vie. Comme dhabitude, les comptes rendus des dbats et les rapports de Sections ont t publis dans un Rapport officiel2. Contrairement lAssemble prcdente Nouvelle Delhi, en 1961, qui avait consacr beaucoup dattention la doctrine , lAssemble dUpsal a mis principalement laccent sur la question de la coopration des Eglises dans divers domaines pratiques. Elle a galement insist sur le besoin de resserrer le lien entre la communaut chrtienne et la communaut humaine et la ncessit dune plus large et plus profonde intgration des Eglises dans la vie des socits civiles. Ayant lieu en 1968 une anne qui a profondment marqu la culture occidentale moderne , lAssemble dUpsal sest montre particulirement proccupe par lactualit mondiale3. Comme la dit Norman Goodall dans lEditorial du Rapport officiel, cest le monde qui

Sur le droulement de lAssemble et ses vnements marquants voir WENGER, A., Upsal, le dfi du sicle aux Eglises, Paris, 1968. 2 GOODALL, N.,(ed.), The Upsala Report 1968 : Official Report of the Forth Assembly of the World Council of Churches, Geneva, WCC, 1968 (traduction franaise laquelle nous nous rfrons : Rapport dUpsal. Rapport officiel de la quatrime Assemble du Conseil cumnique des Eglises, Upsal, 4-20 juillet 1968, Genve, COE, 1969. 3 Le Message de lAssemble en fait lcho ds sa premire phrase : Les esprances suscites par les dcouvertes scientifiques, la contestation des rvoltes tudiantes, lmotion souleve par des assassinats politiques, le vacarme des guerres : tels sont les faits marquants de lanne 1968 (Message de la quatrime Assemble du Conseil cumnique des Eglises, introduction, dans GOODALL, N. Op. cit., 1).

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a dtermin lordre du jour de la runion1. Selon le Message des Eglises, les chrtiens voulaient se montrer solidaires des hommes de toutes convictions, afin de combattre pour les droits de lhomme dans une communaut mondiale juste, [de] travailler au dsarmement et ltablissement daccords commerciaux quitables pour tous et pour le dveloppement2. Selon un participant, laffirmation de la solidarit des chrtiens avec lhumanit a t lvnement le plus important de cette Assemble3. Cette insistance sur la relation entre lEglise et lhumanit, entre la communaut ecclsiale dune part, et la communaut humaine dautre part, devait dsormais devenir une nouvelle perspective de la rflexion doctrinale sur lunit au sein du Conseil dans les annes qui ont suivirent Upsal4. LAssemble na publi aucune dclaration sur lunit en se contentant de raffirmer les conditions et les exigences de la communion ecclsiale tablies par lAssemble de Nouvelle Delhi, et en recommandant son ventuelle rlaboration dans lavenir partir des commentaires des Eglises5. Seulement la Section I a entrepris un travail proprement doctrinal mais se limitant un seul aspect de lEglise : sa catholicit. Appele dans la phase prparatoire Lunit de lEglise dans un monde qui se rtrcit sans cesse, cette Section est devenue par la suite LEsprit-Saint et la catholicit. Elle a pris pour point de dpart le texte La catholicit de lEglise, publi dans Avant-projets des documents de sections. Cette tude initiale a t vivement critique lors de sa premire prsentation en plnum, tant par laile orthodoxe, que par laile protestante ; une nouvelle rdaction en a t demande. Le texte a t profondment rlabor partir de remarques des dlgus des Eglises, et avec prise en considration des propositions des observateurs catholiques6.

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Upsal. Rapport, p. XIII. Message, n3, p. 2. 3 Cest lopinion du pasteur J. Weller de lEglise congrgationaliste dAngleterre (Upsal. Rapport, p. 19). 4 GASSMANN, G., From Montreal 1963 to Santiago de Compostela 1993. Issues and Results of Faith and Order Work , in Crow, P. & Gassmann, G., Lausanne 1927 to Santiago de Compostela 1993. The Faith and Order World Conferences, and Issues and Results of the Working Period 1963-1993, Geneva, 1993, 15-16. 5 Rapport du Comit pour Foi & Constitution dans Upsal. Rapport, pp. 230-231. 6 Il convient dajouter ici que cest Upsal que des thologiens catholiques ont t officiellement accueillis, comme membres part entire, dans la commission Foi & Constitution.

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Cependant, par manque de temps, tous les amendements demands nont pu tre discuts, et la version finale portant le mme titre que le nom de la Section a t juge peu satisfaisante par la plupart des dlgus1. En accord avec lesprit gnral de lAssemble, le Rapport est marqu par la volont de lier intimement le caractre catholique de lEglise avec le caractre universel de lhumanit. Des intervenants ont soulign quil y avait une interdpendance entre le caractre catholique de lunique Eglise et le caractre universel de lunique humanit, parce que lEglise vit insre dans le monde, et que les membres de lEglise sont en mme temps des membres de la socit humaine ; luniversalit de lEglise correspondaant ainsi luniversalit de lhumanit. Selon plusieurs participants, cela imposait lEglise le devoir de se tourner toujours davantage vers le monde et sintresser davantage des proccupations actuelles des hommes2. 4.2. La catholicit selon Upsal Dans le Rapport dUpsal, lunit des chrtiens dans lEglise est mise dans la perspective de lunit des hommes dans le monde. Le Christ veut que partout dans le monde son Eglise prfigure une communaut humaine renouvele et vivant selon son vangile dans la force de son Esprit. Les chrtiens sont appels manifester leur unit en Christ en formant une vraie communaut (full fellowship), travers les diffrences de races, de classes, dges, de professions, dopinions, etc3. Un commencement de semblable communaut (community) apparat dj entre les chrtiens dans le COE et dautres structures cumniques, dont certaines sont porte locale ou rgionale, tandis que dautres sont porte mondiale. Lapprofondissement et llargissement continuels de cette communaut doivent orienter tous les efforts cumniques des Eglises4.
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Sur le processus de prparation du document voir le commentaire de J. Weller, dans Upsal. Rapport, pp. 17-19. 2 Mme dans cette section, sans doute la plus thologique de toutes, plusieurs ont estim que les Eglises devraient renoncer la proccupation trop exclusive de rgler leurs diffrents doctrinaux et se soucier davantage de rechercher leur unit dans la solidarit avec les forces de la vie moderne, comme la lutte pour lgalit raciale, le dveloppement, la paix (WENGER, A., Op. cit., 85). 3 Message de la quatrime Assemble du Conseil cumnique des Eglises dans Upsal. Rapport, n1, p.1. 4 Message, n4, p. 2.

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Les quatre notes de lEglise unit, saintet, catholicit et apostolicit sont cites comme les marques essentielles de la communion ecclsiale, autant dans la dimension locale, que dans la dimension universelle1. Elles sont des dons que Dieu rpand sur lEglise par lEsprit Saint. Mme si leur prsence dans la communaut universelle des chrtiens est obscurcie par les divisions et les pchs des hommes, tous les membres de lEglise participent son unit, sa saintet, sa catholicit et son apostolicit. Ces notes assurent dj une unit intrieure de lEglise, que les communauts chrtiennes encore divises sont appeles manifester lextrieur par diffrentes formes de la vie communautaire. Elles constituent le fondement dune unit organique et vivante en Christ par le Saint Esprit, sous la paternit universelle de Dieu, et laquelle les chrtiens sont appels dans lEglise une et unie2. A partir de laffirmation de la prsence et de laction de lEsprit Saint dans lEglise, lAssemble dUpsal a propos une conception dynamique de la catholicit dans ses deux dimensions : locale et universelle. Cest, en effet, lEsprit Saint qui rpand lEglise dans lunivers et qui maintient en communion toutes ses parties. La catholicit nest pas une simple dimension extrieure de lunit, mais une qualit intrieure de toute lEglise et de toute communaut dEglise3. Elle exprime lintgrit et la totalit de lunit des croyants qui nont quun cur et quune me dans le Christ (cf. Ac 4, 32 ; Ph 2, 1-12). Cette catholicit que lEglise possde dj ad intra, les chrtiens sont appels lexprimer ad extra dans une communion de vie qui implique la clbration commune du culte, le tmoignage unanime devant le monde et lengagement commun en faveur de lhumanit4. Ainsi, tout en tant catholique dans la profondeur de son tre, lEglise

Upsal. Rapport, n5, p. 10. Ibid., n6, p.10. 3 Ibid., n7, pp. 10-11. 4 Ibid., n9, p. 11. Au cours des discussions sur la nature de la catholicit, les intervenants orthodoxes ont soulign quelle tait un attribut essentiel et inaltrable de lEglise, tandis que, certains thologiens protestants lenvisagaient surtout comme quelque chose acqurir force des efforts cumniques. Les discussions ont conduit la conclusion selon laquelle il fallait viter une fausse dichotomie entre la catholicit au sens qualitatif (invisible) et catholicit au sens quantitatif (visible). Dans une vision totale, la catholicit doit tre envisage la fois comme une marque essentielle de lEglise et un dfi que les Eglises doivent relever en recherchant la plnitude de leur communion visible (Voir commentaire de J. WELLER dans Upsal. Rapport, pp. 17-19).
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doit continuellement redevenir catholique dans sa vie de tous les jours. Elle devient catholique non pas dans le sens que la catholicit soit une qualit qui lui manquerait prsent et quelle devrait acqurir dans lavenir, mais dans le sens quelle doit la rendre de plus en plus manifeste en unissant toujours davantage les chrtiens dans une mme foi, dans ladoration, lamour et le service du Christ pour le monde1. Comprise ainsi, la catholicit possde deux dimensions : une verticale et une horizontale ; elle est en mme temps une proprit et une vocation de lEglise2. La catholicit ne soppose pas la lgitime diversit au sein de la communion ecclsiale3. En tant que don de lEsprit Saint la catholicit est de caractre dynamique : elle implique une varit de charismes personnels, de formulations doctrinales, de formes liturgiques, dactivits apostoliques et pastorales, etc. Le Nouveau Testament et lhistoire de lEglise en tmoignent abondamment. A chacun, pourtant, les dons de lEsprit sont donns en vue du bien commun (cf. 1Co 12, 7) et ils doivent tre utiliss non pas de manire obscurcir, mais, au contraire, de manire manifester la catholicit de la communion ecclsiale. Cest pourquoi, la catholicit est existentiellement lie la saintet de vie des chrtiens et de leurs Eglises ; la saintet tant lun des signes primordiaux de lauthenticit vanglique de lEglise catholique4. La catholicit est troitement lie la continuit de lEglise travers les ges5. Pour cette raison, elle ne peut jamais tre spare de son apostolicit6. Ainsi, la catholicit suppose la fois la continuit avec la communaut apostolique et le renouveau continuel de lEglise par la force de lEsprit, dans les conditions changeantes du monde et travers lhistoire7. Pour faire partie de lEglise catholique rpandue dans lunivers, chaque communaut locale doit aussi tre apostolique dans sa foi, ses sacrements, son ministre, son engagement diaconal en faveur des hommes, son tmoignage devant le monde et sa mission dvanglisation8. Lapostolicit ainsi comprise signifie la fois la
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Ibid., n 7, p. 11 ; cf. Upsal. Rapport, p. 5. Upsal. Rapport, p. 3. 3 Ibid., nos12-13, pp. 12-13. 4 Ibid., pp. 4-5. 5 Upsal. Rapport, n14, p. 13. 6 Ibid., p. 4. 7 Ibid., n15, p. 14. 8 Ibid., n14, p. 13.

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fidlit de chaque communaut particulire lEglise fonde par le Christ sur le fondement des aptres, et sa fidlit lhomme et ses proccupations actuelles dans un monde en constante volution ; la Tradition et lactualit doivent perptuellement tre mises en harmonie dans la vie ecclsiale1. Une telle conception dynamique de la catholicit pose aux Eglises actuellement divises le dfi de chercher lunit dans une commune profession de foi, dans la reconnaissance rciproque du baptme, dans la clbration commune de leucharistie et dans un ministre ecclsial communment reconnu2. Cest en accroissant leur communion ecclsiale dans ces domaines que les chrtiens prendront une conscience plus aigu dtre dj des membres du mme et unique corps du Christ rpandu dans lunivers3. A la diffrence des discussions de Nouvelle Delhi et de Montral qui se sont concentres autour de la dimension locale de lunit, lAssemble dUpsal sest surtout proccupe de la communion ecclsiale dans sa dimension universelle. Pour arriver la plnitude de la catholicit, il ne suffit pas de raliser lunit de tous les chrtiens en chaque lieu ce qui a t postul par lAssemble de la Nouvelle Delhi. LAssemble dUpsal a intimement li lunit dans sa dimension locale avec lunit dans sa dimension universelle, en incluant dans le Rapport sur la catholicit, un postulat de lunit de tous les chrtiens en chaque lieu et en tous lieux4. Influence par les recherches sur la conciliarit et les conciles cumniques que menait lpoque la commission Foi & Constitution, lAssemble a envisag lEglise dans sa dimension universelle comme une communion conciliaire des communauts locales. Cette ide la conduite lancer lide dun concile vraiment universel avec la participation active de toutes les confessions et dnominations5. La nouvelle perspective universaliste saccordait bien avec louverture au monde postule par lAssemble. Elle se rfrait lexprience commune des chrtiens qui, malgr leurs divisions ecclsiales, prservaient la conscience dtre incorpors au mme corps du Christ et

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Ibid., n16, p. 14. Ibid., n17, p. 14. 3 Ibid., n19, p. 15. 4 Ibid., n18, p. 14. 5 Ibid., n19, p. 15.

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de former en lui les prmices de la nouvelle humanit pleinement rconcilie avec Dieu et en elle. Cest notamment dans une rencontre cumnique comme une assemble mondiale de chrtiens de diverses dnominations, que tous ressentaient profondment cette catholicit du corps du Christ dans lequel ils se reconnaissaient mutuellement membres dun organisme vivant et universel. Replace dans la perspective de lunit universelle du genre humain, lEglise acquiert une valeur de signe prophtique dans et pour le monde et par lequel saccomplit progressivement la rcapitulation de lhumanit en Christ1. Elle apparat ainsi comme la forme actuelle de cette nouvelle humanit unie au Christ par la foi et se nourrissant dans sa vie de communion de son eucharistie2. 4.3. Les apprciations et les critiques Ce qui frappe dans le Rapport sur la catholicit, cest surtout le caractre trs existentiel de la prsentation. Ce texte reflte bien ltat desprit de lpoque marque par une vritable soif cumnique de beaucoup de chrtiens voulant sunir tout prix, dans leur vie, malgr les diffrences doctrinales entre leurs Eglises. Le Rapport tient compte de cette volont chrtienne populaire en exhortant frquemment les Eglises manifester visiblement la catholicit de leur communion en Christ travers des actes concrets. Sans doute, lapport essentiel de lAssemble dUpsal dans la discussion doctrinale sur lunit consiste avoir approfondi le thme de la catholicit dans une perspective existentielle. Cependant, pour la mme raison, le document manque parfois de profondeur thologique et, par endroits, court le risque de rduire lunit ecclsiale au plan des relations purement extrieures entre les communauts confessionnelles, ou une coexistence fraternelle des chrtiens de dnominations diffrentes sans que la pleine catholicit soit atteinte dans la doctrine, la vie sacramentelle et les structures institutionnelles. La dimension extrieure de la catholicit, cestdire la communaut visible in Ecclesia, ne semble pas tre suffisamment harmonise avec sa dimension intrieure, cestdire la koinnia spirituelle in Christo. Cest ainsi que cet expos sest vu reprocher dtre un mlange de

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WENGER, A., Upsal, le dfi du sicle aux Eglises, Paris, 1968, 87. Upsal. Rapport, n23, p. 16.

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visions juxtaposes que chacun pouvait interprter sa propre faon1. Il a aussi t dit que le Rapport ntait pas trs nouveau dans ses affirmations et que, pour cette raison, il ne faisait pas progresser la discussion cumnique autour de la catholicit. On lui a reproch une grande insouciance dans lemploi des termes : larchevque Basile, de lEglise orthodoxe russe, la critiqu pour la manire ambigu dont il se servait du mot Eglise, en lappliquant sans distinction tantt lEglise du Christ dans laquelle la plnitude de catholicit tait toujours acquise de manire inaltrable , tantt aux diverses Eglises confessionnelles sans que ces deux acceptions soient spcifies2. Dans le mme sens, une dlgue de lEglise rforme des Pays-Bas, a remarqu quil confondait frquemment la notion de catholicit avec celles dunit et duniversalit3. Un autre dlgu orthodoxe a estim que le texte souffrait dimprcision sur les notes de lEglise4. De manire gnrale, pour les orthodoxes, ce texte tait trop centr sur la vision sociologique de la catholicit et attribuait une place insuffisante la prsentation de ses conditions thologiques ncessaires. Laccent y tait mis sur ce que lon pouvait appeler laspect quantitatif de la catholicit : lEglise tait prsente comme une communion des chrtiens vivant disperss dans une multitude de communauts locales plus ou moins htrognes, mais exprimant leur unit par diffrentes formes de la vie conciliaire avec, au sommet, le concile universel multidnominationnel vers lequel elles devaient tendre par leur engagement cumnique. Comme nous lavons vu plus haut, lAssemble dUpsal a lanc lide de convoquer un tel concile dans lequel seraient reprsents tous les chrtiens, et qui pourrait parler au nom de toutes les Eglises ; le jour o les Eglises y parviendront marquera la fin de lcumnisme. Dans le Rapport, la catholicit est mise en relation avec laction de lEsprit-Saint dans lEglise. Ds le titre, la rfrence lEsprit-Saint voulait souligner que la catholicit possdait un caractre dynamique5.

Il sagit dun dlgu de lEglise orthodoxe de Serbie, V. Rodzianko (Upsal. Rapport, p. 6). 2 Upsal. Rapport, p. 6. 3 Remarque faite par Ellen Flesseman van Leer (Upsal. Rapport, p. 6). 4 WENGER, A., Op. cit., 87. 5 Le titre original du projet tait simplement La catholicit de lEglise (cf. WENGER, A., Op. cit., 82).

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Cest par la force de lEsprit que lEglise se rpand sur toute la terre en sadaptant continuellement aux conditions changeantes du monde et aux nouveaux dfis de lhistoire en marche. Cet aspect temporel et concret de la catholicit, en rapport avec la catholicit scularise du monde, a t particulirement apprci par le dlgu de la Fdration des Eglises protestantes de la Suisse, Hans Ruh. Selon lui, les Eglises devraient veiller ce que leur catholicit ecclsiale ne reste pas en de de la catholicit du monde1. Il a galement qualifi le Rapport sur la catholicit comme le meilleur des rapports des sections. Cependant, dautres ont rpondu quil ne fallait pas exagrer le lien de lEglise avec le monde car lEglise existe dans le monde par ses membres : cest en eux quelle est catholique et non pas en dehors deux2. Cest pourquoi, lEglise, mme plonge dans le monde, ne peut pas se confondre avec le monde dans sa recherche de la pleine catholicit ; elle est envoye dans le monde pour le sauver et non pas pour se dissoudre en lui. Larchevque Athenagoras du Patriarcat cumnique de Constantinople a remarqu que le caractre dynamique de la catholicit a surtout t trait dans le contexte de la marche historique de lEglise mais pas assez par rapport sa vocation eschatologique et sa nature profonde3. De ce fait, le Rapport avait parfois tendance prsenter la catholicit comme un idal vers lequel lEglise devait tendre, cestdire une qualit quelle ne possdait pas encore et quelle devait acqurir par les multiples efforts communs des chrtiens. Dans ce sens, le prsident de la Section I, lvque Karekin Sarkissian, la prsente, dans son introduction, comme une vocation assumer4. Un participant de lEglise mthodiste des Etats-Unis a dit que la note de catholicit se rfrait la plnitude dunit de lEglise du Christ et quaucune des Eglises actuelles vivant encore en tat de sparation entre elles ne pouvait prtendre lavoir ralis pleinement elle-mme5. Cette opinion a t vivement critique par un participant de lEglise armnienne, qui a rappel que la catholicit tait un don de Dieu pour son Eglise et que, elle constituait, de ce fait, une donne doctrinale inhrente la

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Upsal. Rapport, p. 7. Ibid., p. 8. 3 Ibid., p. 7. 4 Remarque du prsident de la Section, lEvque Karekin Sarkissian (Upsal. Rapport, p. 3). 5 WENGER, A., Op. cit., 83.

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conception de lEglise ; donne dont il fallait tenir compte dans la discussion sur cette note. Selon lui, dans la perspective orthodoxe, il nest pas possible denvisager la catholicit comme une qualit que lEglise ne possderait pleinement que lorsque tous les chrtiens seront runis dans une communaut ecclsiale visiblement unie. Il a ajoutait, que pour un orthodoxe, lEglise du Christ est catholique ou nest pas1. Des orthodoxes ont galement insist sur le fait que la catholicit ne pouvait se comprendre correctement qu la lumire de lapostolicit : seules les Eglises locales qui ont prserv la continuit historique et ontologique avec lEglise que le Christ a fonde sur les aptres, peuvent se reconnatre comme catholiques aujourdhui, et seule la communaut de telles Eglises peut reprsenter la communaut catholique dans le monde. Le lien intime entre la catholicit et lapostolicit a t galement soulign par dautres participants. Selon lvque K. Sarkissian, le sens apostolique de la catholicit, rend ces deux qualits interdpendantes, insparables ; en fait, il sagit de deux formes complmentaires dexistence et de tmoignage2. Puisque lapostolicit se rfre la continuit historique de lEglise du Christ dans un monde qui change sans cesse, le caractre dynamique de la catholicit est mieux mis en valeur lorsque les deux notes sont maintenues ensemble dans le discours thologique. En raison du caractre terrestre de lEglise et cause dune grande varit de contextes socioculturels dans lesquels vivent les chrtiens, la catholicit doit tre considre comme une forme de lunit chrtienne universelle, respectueuse de la diversit et ouverte aux valeurs positives que les Eglises ont changer entre elles et que le monde a offrir aux Eglises. Cependant, les Eglises reconnaissent que certains particularismes peuvent engendrer la division. Cest pourquoi, il est ncessaire de distinguer entre une bonne diversit qui enrichit lEglise dans sa vie et laide accomplir sa mission dans diverses conditions du monde, et une mauvaise diversit qui obscurcit son caractre catholique et la conduit perdre son identit. On a rappel que les diversits taient admissibles dans la mesure o toutes les communauts de lEglise vivant dans les conditions varies demeurent pourtant unies dans la foi, les sacrements, le ministre et le tmoignage3.
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Upsal. Rapport, p. 5; cf. WENGER, A., Op. cit., 83. Upsal. Rapport, p. 4. 3 WENGER, A., Op. cit., 85-86.

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De mme, il faut mettre la catholicit de lEglise dans la perspective de la vocation missionnaire des chrtiens envoys dans le monde pour faire des disciples de toutes les nations (cf. Mt 28, 19)1. Selon une parole de lvque Sarkissian, le mot de catholicit, sil est isol de lobissance missionnaire, cest une vaine relique2. Ici encore, la catholicit prend une dimension dynamique, car le mme vangile doit tre transmis de telle manire que les gens de diverses cultures puissent le comprendre et y adhrer ; quant aux sacrements, ils doivent tre clbrs dans des rites qui soient significatifs pour leurs destinataires. La catholicit de lEglise ne doit jamais tre comprise comme une uniformisation de sa vie. Toutefois, une unit fondamentale est ncessaire : un groupement de communauts dissocies et sans liens rels de communion entre elles ne pourra jamais prtendre tre une communaut catholique. Outre la foi, les sacrements, le ministre et le tmoignage, il a t soulign quune unit thique tait galement ncessaire. En effet, la catholicit de lEglise devait se manifester encore dans le fait que les chrtiens, tout en vivant dans des socits diffrentes, reprsentaient tous les mmes valeurs morales fondamentales puises dans lvangile du Christ. Cette catholicit morale de lEglise avait devant le monde limportance dun signe prophtique, annonant la rcapitulation de toute lhumanit dans le Christ3. Comme la dit un intervenant, une Eglise qui nest pas sainte et qui nexerce pas un pouvoir purifiant, sanctifiant, sur sa propre vie et la vie du monde, ne peut jamais tre pleinement catholique4. Selon une remarque de M. Wagner, de lEglise rforme de France, cette saintet doit se manifester non seulement dans la vie personnelle de chaque chrtien, mais galement dans diffrents domaines de la vie publique, comme la politique, lconomie, le social, etc., que les chrtiens doivent imprgner de valeurs vangliques5. Les discussions plnires du Rapport sur la catholicit ont fait voir combien les chrtiens de lOccident protestant et ceux de lOrient

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Upsal. Rapport, p. 4. Cit dans le commentaire du Rapport par J. Weller (Upsal. Rapport, p. 17). 3 WENGER, A., Op. cit., 87. 4 Upsal. Rapport, p. 4. 5 Ibid., p. 7.

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orthodoxe divergeaient dans leurs conceptions thologiques1. Les orthodoxes insistaient sur le fait que la catholicit tait un don de Dieu toujours prsent dans lEglise ; les protestants, quelle tait un idal raliser encore, puisque les divisions excluaient sa pleine prsence dans les Eglises. Les premiers soulignaient la distinction entre lEglise dun ct et le monde de lautre ; les seconds, au contraire, insistaient sur linterconnexion entre la catholicit de lEglise et celle de lhumanit. Pendant que les premiers la voyaient surtout comme une note qualitative dsignant la plnitude decclsialit dans une Eglise locale, les seconds lenvisageaient dabord comme une note quantitative relative la prsence universelle de lEglise dans le monde. A cause de ces perspectives doctrinales diffrentes dont tmoignent les interventions rsumes ci-dessus, llaboration et ladoption du Rapport dans la Section I taient difficiles. Dans sa tentative de trouver un consensus acceptable par tous, le texte final est devenu quelque peu vague et ambigu. Il souffre galement dune incertitude thologique due au fait que son statut officiel navait pas t clairement dfini au dpart. Pendant que certains estimaient quil sagissait de prparer une dclaration cumnique unanime sur la catholicit, dautres pensaient quil fallait laborer un outil de travail en vue dun dialogue ultrieur sur la catholicit2. A la demande de plusieurs participants, notamment orthodoxes et luthriens, cette question a t clarifie dans un Nota bene ajout au Rapport. On y affirme quil sagit dun accord entre les participants, conu comme la base et linstrument de discussions possibles ultrieurement sur la catholicit entre les Eglises3. A la lumire de cette prcision, il serait donc contraire lesprit du document de le considrer comme un accord entre les Eglises membres du Conseil sur la conception de la catholicit. Cependant, malgr ses ambiguts et ses manquements, le texte dUpsal tmoigne trangement dun large consensus sur la comprhension de la catholicit auquel des thologiens de traditions diffrentes sont arrivs grce un dialogue doctrinal vritablement cumnique ; et il faut reconnatre quil constituait lpoque dUpsal un lment nouveau dans le dialogue sur lunit.

Ce fait a t soulign dans un commentaire sur le travail de la Section I par J. Weller, pasteur de lEglise congrgationaliste dAngleterre (Ibid., p. 17). 2 Ibid., p. 18. 3 Ibid., p. 16.

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Sans doute, son apport le plus apprci lpoque tait son intention trs positive, celle de lier de faon ferme le mouvement interne de lEglise vers son unit et le mouvement dextraversion vers le monde1. En considrant comment lEsprit-Saint ralise sans cesse la catholicit ou luniversalit de lEglise, elle [Assemble] a pens dcouvrir une conception moins rigide et plus dynamique de lunit2.

Prof. Mehl (WENGER, A., Op. cit., 81). Pour la discussion autour du Rapport voir Upsal. Rapport, pp. 5-8 ; WENGER, A., Op. cit., 82-88. 2 WENGER, A., Op. cit., 75.

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5. La cinquime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Nairobi 1975


5.1. LEglise, communaut conciliaire Dclaration de Nairobi La 5me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises sest tenue entre le 23 novembre et le 10 dcembre 1975 Nairobi (Kenya). Elle a dvelopp le concept de communaut conciliaire, incluant lide dun concile universel runissant les reprsentants de toutes les Eglises chrtiennes actuellement existantes. Dans la Section II du Rapport final intitule Les exigences de lunit, nous trouvons la dclaration suivante : LEglise une doit tre envisage comme une communaut conciliaire (conciliar fellowship) dEglises locales, ellesmmes authentiquement unies. Dans cette communaut conciliaire, chaque Eglise locale possde, en communion avec les autres, la plnitude de la catholicit et rend tmoignage la mme foi apostolique ; elle reconnat donc que les autres Eglises font partie de la mme Eglise du Christ et que leur inspiration mane du mme Esprit. Comme lAssemble de Nouvelle Delhi la indiqu, elles sont lies entre elles par un mme baptme et une mme eucharistie ; elles reconnaissent mutuellement leurs membres et leurs ministres. Elles sont unies par le commun engagement quelles ont pris de confesser lEvangile du Christ, en assurant sa proclamation et le service au monde. A cette fin, les diffrentes Eglises cherchent maintenir des relations solides et dynamiques avec les autres Eglises, dans le cadre des runions conciliaires convoques selon les exigences de laccomplissement de leur vocation commune1. Du point de vue doctrinal, cette dclaration est lacquis le plus important de lAssemble de Nairobi. Elle constitue une avance considrable dans le dveloppement doctrinal du concept de koinnia au sein du

HENRIET, M (ed.), Briser les Barrires. Rapport officiel de la Cinquime Assemble du Conseil cumnique des Eglises, Nairobi, 23 novembre 10 dcembre 1975, Paris, 1976, 168 (Original en anglais PATON, D. M. (ed.), Breaking Barriers. Nairobi 1975, London, SPCK and Grand Rapids, 1975, 60).

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Conseil cumnique des Eglises. Notre investigation dans ce chapitre se limita lanalyse de ce thme sous ses diffrents angles. 5.2. Le terme et le dveloppement du concept de conciliarit dans le COE La notion de conciliarit et lexpression communion (communaut) conciliaire qui en drive viennent du terme latin concilium, qui voque tymologiquement lide de la communaut rassemble par une convocation1. Concilium, en effet, drive de concalion qui est compos de la racine calare (appeler) et du prfix cum (avec). Il sapparente ainsi avec la signification du terme grec ecclesia (assemble), compos de ek et de kallein (appeler). A la tradition conciliaire en Occident, correspond la Tradition synodale en Orient. La notion occidentale de la communaut conciliaire doit ainsi tre apparente la notion orientale du synode. Le terme grec synodos est compos de syn (ensemble) et hodos (chemin) et signifie venir ensemble ou faire la route ensemble. Dans la tradition syriaque, ce terme a t rendu par synaxis, qui signifie assemble liturgique, notamment celle qui se rassemble pour la clbration de leucharistie. On peut donc conclure quil sagit dune notion bien enracine dans la Tradition tant occidentale quorientale de lEglise. En mme temps, la notion de communaut conciliaire correspond bien au but de lcumnisme. Dans le dialogue cumnique men au sein du Conseil cumnique des Eglises, la notion de conciliarit apparat dans la deuxime moiti des annes soixante et gagne vite de limportance, notamment dans les recherches menes par la Foi & Constitution. Dans les documents officiels du Conseil, le premier emploi du terme conciliarit date de lan 1967, o il apparat dans le Rapport officiel de la session de Foi & Constitution Bristol2. Le thme est ensuite repris par le Conseil Upsal en 1968. Le Rapport officiel de cette Quatrime Assemble
Sur le terme et le dveloppement du thme de la conciliarit dans le dbat cumnique voir KESHISHAN A., Conciliar fellowship. A Common Goal, Geneva, WCC, 1992; GASSMANN, G. (ed.), Documentary History of Faith and Order 1963-1993, Faith and Order Paper n159, Geneva, WCC, 1993, 203-204; cf. FAITH & ORDER, Councils and the Ecumenical Movement, World Council Studies n5, Geneva, WCC, 1968; Councils, Conciliarity and a Geneuinly Universal Council, n70, 1974 (= Study Encounter, vol. X, n2, 1974). 2 FAITH & ORDER, New Directions in Faith and Order. Bristol 1967, Faith and Order Paper 50, Geneva, WCC, 1968, 50-58.
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mondiale parle dun mode vraiment universel, cumnique et conciliaire de vie et de tmoignage communs, que les Eglises sont appeles chercher et dfinir ensemble1. Ltude la plus systmatique du thme de la conciliarit dans les documents cumniques davant Nairobi, est celle qua labore la Foi & Constitution Louvain en 19712. Le document officiel de Louvain recommandait aux Eglises la notion de communaut conciliaire comme la forme de lunit visible rechercher. Louvain a runi dans le concept de conciliarit la proposition de Nouvelle Delhi de lunit en tout lieu, et la proposition dUpsal de lunit en tous les lieux. Par la suite, la session de la Foi & Constitution Salamanque avait repris la proposition de Louvain et, sur sa base, ait labor une dclaration dcrivant lEglise visiblement unie comme une communaut conciliaire des Eglises locales [] ellesmmes vritablement unies3. Une anne avant lAssemble de Nairobi, la commission Foi & Constitution runie Accra a mis en rapport le concept de communaut conciliaire avec celui dunit organique propose en 1961 Nouvelle Delhi, en expliquant quil ne sagissait pas de deux concepts rivaux mais bien complmentaires4. LAssemble de Nairobi a repris, comme base de discussions, le document de Louvain, et la intgr tel quel dans le Rapport final. Cette Assemble constitue le point culminant du dbat sur la conciliarit au sein du Conseil cumnique des Eglises ; et jusqu aujourdhui, ce thme na jamais trouv autant dattention dans le dialogue cumnique. La Cinquime Assemble mondiale du Conseil a donn une prsentation relativement complte de la conciliarit dans ses divers aspects. Dans ses laborations, elle se nourrissait des rsultats de recherches mens depuis plusieurs annes autour de ce sujet par la Foi & Constitution, que nous venons de mentionner. La dclaration de Nairobi porte galement les marques de dialogues cumniques bilatraux de la mme poque entre
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GOODALL, N. (d.), Rapport dUpsal : Rapport officiel de la quatrime Assemble du Conseil cumnique des Eglises, Upsal, 4-20 juillet 1968, Genve, COE, 1969, 9-16 (surtout n19, p. 15). 2 FAITH & ORDER, Conciliarity ant the Future of the Ecumenical Movement in Faith & Order in Louvain 1971, Faith and Order Paper 59, Geneva, WCC, 1971, 225229. 3 The Unity of the Church Next Steps : The Report of the Salamanca Consultation of Faith and Order, September 1973 , ER 2 (1974), 293. 4 FAITH & ORDER, The Unity of the Church : the Goal and the Way in Uniting in Hope, Accra 1974, Faith and Order Paper 72, Geneva, WCC, 1975, 110-123).

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les Eglises membres du Conseil1. Il convient de souligner galement cet gard lengagement de lEglise catholique qui, aprs le concile Vatican II, avait entam des conversations avec dautres communions chrtiennes, dans lesquelles le thme de la communaut conciliaire avait aussi t trait2. Tous ces dialogues bilatraux et multilatraux ont permis de faire confiance aux participants de lAssemble de Nairobi, de croire que les identits confessionnelles pouvaient constituer des enrichissements de lEglise une et unie, mais la condition de pouvoir dpasser leur porte diviseuse par leur intgration - au moyen du concept de conciliarit - dans une Eglise unie et multiples visages. La nouvelle tendance qui se dessinait ainsi de plus en plus clairement consistait rechercher lunit non pas par leffacement des diffrences, mais par leur mise en harmonie dans une Eglise conue comme une symphonie des confessions. 5.3. Concile et conseil distinction des concepts La discussion au sein de la Foi & Constitution concernant la conciliarit a conduit lmergence de lide dun concile universel avec la participation de toutes les communions chrtiennes actuellement divises. Dans lesprit de propagateurs de cette ide, un tel concile multidnominationnel devrait constituer le premier pas sur le chemin vers un concile vritablement cumnique, et marquant la fin de lcumnisme et le dbut de lEglise pleinement unie et visiblement une3. Cependant, selon la comprhension traditionnelle dans les Eglises, la conciliarit constitue un aspect de la vie de lEglise dj une et pleinement unie4. La consultation de Foi & Constitution Salamanque sur cette question avait remarqu que la conciliarit au sens propre se rfrait non pas aux rencontres ou structures cumniques, mais aux

1 EHRENSTRM, N. et GASSMANN, G., Confessions in Dialogue. A Survey of Bilateral Conversations among World Confessional Families 1959-1974, Geneva, WCC, (3) 1975 (Il suffit de regarder la Table des sujets pour sen rendre compte, 142143). 2 Entre Vatican II et Nairobi, lEglise catholique avait entam des conversations bilatrales avec les Anglicans, les Baptistes, les Luthriens, les Mthodistes, les Orthodoxes, les Rforms, les Vieux Catholiques et lEglise du Christ (cf. EHRENSTRM, N. et GASSMANN, G., Op.cit., 6-7). 3 FAITH & ORDER, Councils and the Ecumenical Movement, World Council Studies n5, Geneva, WCC, 1968, 19. 4 Nairobi. Rapport, n3, p. 168.

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relations entre les Eglises locales lintrieur de lEglise universelle une1. Selon ce sens originel, lexpression communaut conciliaire ne peut pas se rfrer aux relations actuelles entre les Eglises vivant encore spares les unes des autres, pas plus que le mot concile nest appropri pour dsigner une rencontre des reprsentants de diffrentes Eglises confessionnelles. Tant les termes concile et conciliarit que lexpression communaut conciliaire se rfrent, dans leurs sens premiers, au but ultime de lcumnisme et non pas son moyen. Cependant, on a aussi remarqu que la communaut actuelle qui existait dj entre les Eglises encore divises portait galement certaines marques dune communaut conciliaire, car, par le dveloppement de diverses formes de vie communes, les Eglises sapprochaient progressivement de la pleine rconciliation. Ce but tait notamment vis par la participation des Eglises aux rencontres cumniques qui portaient dj certains traits des conciles. Par extension, il est donc possible de parler dune communaut conciliaire entre les Eglises encore divises mais qui prennent une part active au mouvement cumnique ; il est ainsi justifi de dire que lappellation communaut conciliaire se rfre non seulement au but quelles cherchent raliser dun commun effort, mais aussi ltat des relations actuelles quelles entretiennent dans le cadre de diverses structures communes de type conciliaire. Toutefois, ds le dbut du mouvement cumnique, on faisait la distinction entre lappellation concile et lappellation conseil. Dans le premier cas, il sagit dune runion officielle de lEglise une et visiblement unie et cette appellation renvoie au but ultime de lcumnisme2. Dans le second cas, il sagit dune communaut (ou dune runion) des Eglises encore divises, mais qui cherchent vivre toujours plus pleinement leur koinnia en Christ ; ce nom renvoie ainsi un moyen dont se sert le mouvement cumnique pour atteindre son but ultime3. Dans cette perspective, diffrents conseils cumniques aux niveaux local, national ou rgional, ainsi que le Conseil cumnique des Eglises au niveau mondial, peuvent tre considrs comme des

The Unity of the Church Next Steps : The Report of the Salamanca Consultation of Faith and Order, September 1973 , ER 2 (1974), 293. 2 On peut associer ce sens la runion similaire dune Eglise (confessionnelle) comme le concile Vatican II dans lEglise catholique. 3 KESHISHAN A., Conciliar fellowship. A Common Goal, Geneva, WCC, 1992, 1-5.

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expressions imparfaites de la communion conciliaire dont la forme parfaite future sera le concile cumnique (universel) de lEglise dfinitivement unie, sans compter dautres formes de vie pleinement conciliaires entre les communauts locales. Car les Eglises chrtiennes actuellement engages dans la recherche de lunit ne sont pas encore unies, ni par une comprhension commune de la foi apostolique, ni par un ministre commun, ni par une eucharistie commune. Leurs assembles interconfessionnelles ne peuvent non plus prtendre tre de vrais conciles. Elles sont, nanmoins, un signe avant-coureur et une prfiguration de la communaut conciliaire pleinement ralise, vers laquelle les Eglises tendent ensemble ; elles prfigurent la conciliarit future1. Puisque les divisions actuelles au sein de la chrtient sont une aberration qui ne correspond pas la volont de Dieu pour lEglise, ce nest pas le conseil mais le concile qui doit tre considr comme la forme normale de la conciliarit. 5.4. La communaut conciliaire selon Nairobi Selon la dclaration de Nairobi, la communaut conciliaire entre les Eglises locales est ralise et rendue manifeste lorsquelles confessent ensemble la mme foi apostolique, reconnaissent mutuellement leur baptme, sont disposes clbrer ensemble le repas du Seigneur, reconnatre mutuellement leurs ministres, et quand elles possdent des structures communes leur permettant de prendre ensemble des dcisions les concernant. 5.4.1. La communaut unie dans la foi Au cours des discussions, le besoin de lunit dans la foi apostolique comme tant une condition pralable la ralisation de la pleine communaut conciliaire entre les Eglises a souvent t soulign. Tout en saluant la multiplicit des expressions que la foi apostolique trouvait dans chacune des Eglises, lAssemble sest galement mis daccord sur le fait que lavnement de la pleine communaut conciliaire ncessitait la rconciliation dans le domaine de la foi et un accord sur sa comprhension commune. On a relev quaucune diffrence quelle soit de nature culturelle, sociologique, psychologique, politique ou historique ne doit jamais porter atteinte lintgrit de la foi

Nairobi. Rapport, n6, 169.

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apostolique, laquelle doit tre unanimement confesse par tous les membres de la communaut conciliaire1. Cest pourquoi, lAssemble a exhort les Eglises se rconcilier dans la foi en Christ. Cependant, le chemin que les Eglises taient invites emprunter Nairobi, consistait non pas aller les unes vers les autres, mais savancer ensemble sur le chemin de la vrit, en coutant le Christ qui a les paroles de la vie ternelle (cf. Jn 6, 68), et qui dit la vrit (cf. Jn 8, 45. 46). Dans la recherche de lunit dans la foi, la perspective ntait donc pas celle dlaborer une doctrine commune au prix de concessions sur ses propres convictions de foi, mais celle de crotre ensemble dans la vrit rvle, par une rflexion mene la fois dans la fidlit sa propre tradition, et dans lesprit douverture aux autres ; esprit douverture stimul par la charit fraternelle. Le but ultime de cette recherche ntait pas autre que le Christ lui-mme, qui est la Vrit (cf. Jn 14, 6) ; cest vers cette Vrit incarne et glorifie que les Eglises taient invites tendre ensemble, en cherchant la rconciliation de leurs doctrines respectives2. 5.4.2. La communaut catholique En prolongeant la rflexion dUpsal, lAssemble de Nairobi a attribu une grande attention la note de catholicit dans la perspective de conciliarit3. Cependant, la diffrence dUpsal, la catholicit ny est pas envisage en premier lieu comme une note qualitative de lEglise (cestdire relative sa prsence universelle dans le monde), mais comme une note quantitative (cestdire relative la prsence dans lEglise des lments qui font delle lEglise). Ainsi comprise, la catholicit exprime, en premier lieu, la qualit decclsialit de chaque Eglise locale et, ensuite seulement, la catholicit de toutes les Eglises runies en une communaut conciliaire. Une communaut locale de chrtiens nest pas catholique parcequelle est en communion avec les autres, mais elle est en communion avec les autres puisque, comme elles, elle est catholique dans son tre. Cest pourquoi, la catholicit quantitative de lEglise (universalit gographique et historique) est le rsultat de la catholicit qualitative de toutes les communauts locales qui la constituent. La catholicit considre comme la plnitude decclsialit de la communaut locale, avant dtre une ralit dordre
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Nairobi. Rapport, n5, p. 169. Ibid., n5, p. 169 ; cf. n14, p. 173. 3 Ibid., nos30-35.

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ecclsiologique, se manifeste comme une ralit dordre christologique et pneumatologique : christologique puisque lEglise est l o est le Christ ; pneumatologique, puisquelle rsulte de la prsence agissante en elle de lEsprit Saint. La catholicit dsigne ainsi la plnitude (plrome) du corps du Christ qui se ralise dans chaque communaut locale par la puissance de lEsprit Saint. Nanmoins, aucune communaut de chrtiens ne peut prtendre cette plnitude sans tre en communion avec les autres communauts, car la communion entre les communauts locales est une exigence de la prsence en chacune delle du plrome catholique. Ainsi la pleine communion entre les Eglises locales est implique par la conception de lEglise comme communaut conciliaire. Grce cette inter communion entre les Eglises locales, toute communaut de chrtiens dans un lieu devient une manifestation concrte, une reprsentation de lEglise qui est partout catholique. LEglise, communaut conciliaire, est un rassemblement universel dEglises locales qui participent ensemble la mme ecclsialit, et manifestent ensemble la plnitude de catholicit de lEglise du Christ rpandue dans le monde entier. Cette conception de la catholicit ne signifie pourtant pas que toutes les communauts locales, qui vivent rassembles en une communaut conciliaire, sont identiques dans tous les dtails. Si le Rapport affirme que la vritable communaut conciliaire prsuppose lunit de lEglise1, il affirme galement que cette unit ne signifie pas luniformit de vie et ne soppose point une lgitime diversit. Au contraire, selon le Rapport, la vritable catholicit est une recherche de la pluralit dans lunit, et de la diversit dans la continuit avec toute lEglise2. Non seulement cette exigence de diversit correspond la nature de lEglise en ce monde, mais aussi, elle senracine dans ses origines divines. Comme Dieu est un et multiple la fois, de mme lEglise lest et a le droit de ltre. Cependant, comme lunit de la communion au sein de la Trinit nest point brise par les diffrences entre les trois personnes divines, de mme lunit de la communion catholique ne doit jamais tre brise par les diffrences entre les communauts et les personnes qui les composent3. Cest uniquement condition de maintenir lquilibre entre lunit et la diversit que lEglise comme communaut conciliaire,
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Ibid., n5, p. 168. Nairobi. Rapport, n2, p. 168. 3 Ibid., n7, p. 169.

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quelle pourra tre dans le monde prsent un reflet pleinement authentique de la parfaite communion qui runit, au sein dun seul tre divin, le Pre, le Fils et le Saint Esprit1. Cest pourquoi, la diversit lgitime soppose aux particularismes ancrs dans lgosme des personnes et des groupes, car ils mettent en danger la plnitude catholique, ils loignent lEglise de lidal divin et conduisent lclatement de la communaut conciliaire. Chacune des Eglises engages dans le dialogue cumnique doit entreprendre un effort honnte de discernement et se dfaire des particularismes illgitimes qui les maintiennent en tat de divisions2. Ce travail de purification est ncessaire pour retrouver la plnitude catholique dans chacune delles et la plnitude de communion conciliaire entre elles. La catholicit comprise comme la plnitude de communion travers les diversits lgitimes correspond au but de lEglise en ce monde ; but qui consiste rassembler dans lunit lensemble de lhumanit compose dhommes et de femmes de diverses origines, appartenant aux diverses cultures, et vivant dans des conditions existentielles trs varies. Leur vie commune dans le monde est encore marque par diverses oppositions et rivalits et ne correspond pas laspiration profonde de lhomme vivre dans une socit pleinement rconcilie. Lunit des chrtiens dans le monde doit tre replace dans ce contexte plus vaste de lunit diversifie de toute lhumanit laquelle aspirent les hommes3. Conformment sa vocation dinstrument de lunit universelle du genre humain, lEglise doit accueillir en son sein les hommes et les femmes de toutes origines et de toutes conditions, de tous les peuples et toutes les cultures, etc4. A cette condition, seulement, la communaut chrtienne apparatra aux yeux des hommes comme un signe authentique de la koinnia eschatologique du genre humain. Llaboration des structures ecclsiales, surtout au niveau local, capable de runir dans une communaut chrtienne de type conciliaire la riche varit de fidles, de cultures, de systmes socioconomicopolitiques,

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Ibid., n7, p. 169. Ibid., n2, p. 167. 3 Ibid., n 7, p. 169. 4 Nairobi. Rapport, n2, p. 167. Dans ce contexte, le Rapport a mis un accent particulirement fort sur la ncessit de lintgration des handicaps dans la vie ecclsiale (n8, p. 170) et soulev la question de laccs des femmes aux fonctions ecclsiastiques et au ministre (n9, pp. 170-171).

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etc., contribuera manifester la vocation universelle de lEglise. Cest ainsi que la conciliarit contribuera lavnement dune nouvelle humanit conforme au dessein de Dieu1. Elle est ainsi en plein accord avec la vocation de lEglise appele tre dans le monde un signe de la rconciliation universelle des hommes. 5.4.3. Les dimensions et les niveaux de la conciliarit Dans son essence, lEcclesia catholica et universalis est un concilium assemble des fidles convoques par le Pre et runis par le Christ dans lEsprit Saint. En tant quassemble, lEglise est, de par sa nature, une communaut conciliaire dans laquelle les diffrences tant entre les personnes quentre les communauts ne sont pas supprimes, mais rconcilies par la charit. Un aspect important de la notion de communaut conciliaire consiste dans le fait que laccent est mis sur lide de rconciliation. Elle perce dj travers la signification tymologique des termes concile et conciliarit, qui dirigent naturellement lesprit vers lide de conciliation et celle de r conciliation. En dveloppant Nairobi le modle de communaut conciliaire, le Conseil voulait corriger lcumnisme de type fdratif qui le dominait depuis sa cration. Dsormais, lunit des Eglises ne devrait plus tre rflchie dans des termes dunion ou de confdration, mais dans des termes de conciliation et rconciliation. La diffrence nest pas uniquement dans les mots, mais elle touche au fond du problme. Ctait surtout un pas important vers les Eglises orthodoxes qui, depuis leur entre dans le Conseil, sopposaient systmatiquement tout cumnisme dunion ou de confdration. Elles taient pourtant prtes chercher la plnitude de lunit ecclsiale par la rconciliation entre les communauts chrtiennes encore spares. La rconciliation doit sexprimer par deux attitudes complmentaires : dune part, elle pousse reconnatre et accueillir lautre dans sa diffrence, dautre part, elle ncessite la reconnaissance de ses propres dfaillances. Appeles se rconcilier lintrieur dune communaut conciliaire, les Eglises sont ainsi exhortes une attitude de reconnaissance et daccueil les unes envers les autres et laveu humble de leur incompltude cause par les divisions. La mme exigence sadresse aux fidles dont la vie chrtienne doit tre inspire par un

Ibid., n10, p. 171.

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esprit de conciliarit. Bien que cet esprit conciliaire doive les animer dans les contacts avec des chrtiens des autres Eglises, il doit pourtant sexprimer davantage lintrieur de sa propre communaut ecclsiale. A ce niveau, il sexprime non seulement par louverture mutuelle et la disposition intrieure au pardon, mais galement par lesprit de responsabilit pour la vie de la communaut, dabord au niveau local et ensuite au niveau universel. Ainsi, la conciliarit apparat non seulement comme une structure de la vie de lEglise, mais galement comme une disposition intrieure de tout chrtien se sentir dans lEglise et sentir avec lEglise. Du point de vue doctrinal, un apport essentiel de lAssemble de Nairobi dans la discussion sur la conception commune de lunit visible de lEglise, consiste avoir li organiquement la dimension locale avec la dimension universelle de lunit au moyen du concept de conciliarit. Dans ce sens, le concept de communaut conciliaire tait la fois un approfondissement et un largissement du concept dunit organique propos en 1961 Nouvelle Delhi, et approfondi en 1968 Upsal. Il ne sagissait donc pas dun nouveau paradigme cumnique mais dun dveloppement homogne de la vision de lunit visible, qui a commenc avec le dbut du mouvement cumnique et se dveloppait progressivement par lapprofondissement successif de divers aspects et dimensions de cette unit. La notion de conciliarit devait aider les Eglises une meilleure reconnaissance des valeurs positives dans chaque tradition ecclsiale, et ouvrir devant elles un chemin nouveau pour une intgration relle de ces valeurs, dans une vision cohrente et pleinement cumnique de lEglise de lavenir. Ainsi, Nairobi, on ne parlait pas simplement de la conciliarit mais de la communaut conciliaire. En ajoutant ladjectif conciliaire au substantif communaut, lAssemble a signal quon restait profondment ancr dans une ecclsiologie de communion. En effet, la conception de conciliarit propose Nairobi correspondait la conception de lEglise comme koinnia. La comprhension de la koinnia a mme t enrichie lors de cette Assemble notamment par une meilleure prise de conscience de son caractre bipolaire. On a mieux compris que lEglise tait la fois une et multiple, unie mais faite des diffrences, unique mais non pas uniforme, universelle mais constitue des communauts locales varies ; en dautres termes, lEglise koinnia apparaissait de plus en plus clairement comme une communion de Communions et une Eglise dEglises.
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LEglise comme communaut conciliaire a besoin des rassemblements reprsentatifs pour maintenir lunit tous les niveaux de sa vie1. La forme la plus accomplie de conciliarit est celle dun concile universel (cumnique). Un tel concile apparat comme une expression existentielle de la koinnia spirituelle, qui existe entre les Eglises locales spares par lespace et les contextes socioculturels varis, mais vivant intensment leur unit in Christo et dont les reprsentants se runissent priodiquement pour manifester cette unit universelle de manire visible et dcider des questions dactualit2. Cependant, la conciliarit ne se limite pas ses runions ponctuelles et relativement rares qui marquent habituellement de grandes tapes de la vie de lEglise. Selon le Rapport, la conciliarit constitue une structure de vie en Eglise tous les niveaux, car elle est une rponse au besoin constant de la communaut chrtienne, qui se fait ressentir aussi bien au niveau universel quau niveau local ; besoin dtre une koinnia et de vivre en tant que koinnia3. Cest pourquoi la conciliarit doit sexercer effectivement tous les niveaux de vie de lEglise avec la participation de tous les fidles. Dans cette optique, lEglise universelle se prsente comme une communaut conciliaire dEglises locales elles-mmes authentiquement conciliaires. Le Rapport de Nairobi a mis un accent fort sur lEglise locale comme tant la ralisation fondamentale de la communaut conciliaire. Conformment la signification tymologique du mot concilium, cest dans le fait de se rassembler que la multitude de croyants devient Ecclesia. La conciliarit nest pas une notion in abstracto mais une ralit in concreto4. Ce rassemblement concret est toujours li un lieu ; lEglise dans sa premire ralisation est ncessairement une communaut locale. Dans la vision conciliaire de lEglise, lEcclesia localis est la cellule de base de lEcclesia universalis. A quelque niveau que se soit, pourtant, lEglise doit tre envisage comme une communaut conciliaire, car la conciliarit est une qualit de sa vie et de son tre. Selon le Rapport de Nairobi, lintrieur de la communaut conciliaire, chaque Eglise locale reconnat

FAITH & ORDER, New Directions in Faith and Order. Bristol 1967, Faith & Order Paper 50, Geneva, WCC, 1968, 50. 2 Nairobi. Rapport, n5, p. 169. 3 Ibid. 4 KESHISHAN A., Op. cit., 23.

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que les autres Eglises font partie de la mme Eglise du Christ. Autrement dit, il sagit de reconnatre que chaque communaut de chrtiens vivant en communion avec toutes les autres jouit de la plnitude decclsialit, cestdire quelle est en elle-mme catholique, apostolique et sainte. 5.5. Critiques de Nairobi Tel quil est prsent Nairobi, le concept de communaut conciliaire a pourtant t jug parfois trop vague ; il a rencontr des critiques de la part des Eglises et des thologiens. Certains lui ont reproch davoir accord trop de place la diversit tant au niveau local quau niveau universel, et dtre ainsi en contradiction avec la conception dunion organique propose depuis Nouvelle Delhi. Lors des discussions, on a remarqu que la conciliarit avait ses limites, tant donn les divergences profondes qui existaient toujours entre les Eglises dans tous les domaines de la vie commenant par la doctrine, en passant par la liturgie et la morale et en finissant avec la discipline. Plusieurs dlgus ont insist sur le fait que la vraie unit ne pouvait se faire sans abandon ncessaire de certaines particularits propres chaque dnomination. Cet abandon une sorte de mort aux identits confessionnelles a t jug, par plusieurs intervenants, ncessaire pour arriver lEglise organiquement unie dans une communaut conciliaire. Etant conscients que certaines particularits entranaient toujours - ou maintenaient - la division entre les Eglises, les dlgus runis Nairobi nont pas voulu abandonner lide de Nouvelle Delhi (union organique en un seul corps). Elle a t discute plusieurs reprises et se trouve mentionne dans le Rapport final, selon lequel lexpression communaut conciliaire ne dsigne pas une conception de lunit diffrente de cette unit complte et organique esquisse dans la dclaration de Nouvelle Delhi, mais constitue un dveloppement homogne de cette notion1. En parlant du chemin qui devait conduire les Eglises de confessions diffrentes cette communaut conciliaire, certains dlgus ont postul labandon, par chacune des Eglises, des particularismes diviseurs qui empchaient ltablissement effectif de la pleine unit visible. Ceci se trouve reflt dans le Rapport, pour lequel lunion organique en un seul corps des dnominations spares implique ncessairement un affranchissement

Nairobi. Rapport, n3, p. 168.

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de certaines positions confessionnelles1. A ce prix seulement, il serait possible dtablir, dans lavenir, une communaut conciliaire de toutes les Eglises chrtiennes travers le monde. Cest ainsi que le modle de communaut conciliaire ne remplace pas mais complte celui dunion organique. En effet, le but de la conciliarit est de permettre la koinnia de tous les chrtiens dans une seule Eglise pleinement rconcilie le corps du Christ organiquement uni. Sans parler dun affrontement de deux modles dunit, on peut pourtant sentir une certaine hsitation ecclsiologique Nairobi concernant la vision de lunit. Souvent, la prsentation du concept de conciliarit a manqu de prcision doctrinale imprcision due certainement au manque dunanimit parmi les Eglises reprsentes lAssemble sur la comprhension des termes conciliarit, concile, communaut conciliaire avec leurs implications concrtes. Cest pour cette raison probablement que le modle de communaut conciliaire na pas t assez dvelopp dans les annes qui ont suivi Nairobi. Il faut aussi dire que lide dun concile cumnique avec la participation de diffrentes confessions tait tout simplement inacceptable pour certaines Eglises, notamment orthodoxes.

Ibid., n10, p. 171.

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6. La sixime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Vancouver 1983


6.1. Elargir et approfondir la communaut cumnique de vie La 6me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises sest tenue Vancouver (Canada), en 1983. Son thme JsusChrist, vie du monde, invitait les Eglises vivre plus pleinement ensemble par lui avec lui et en lui1. LAssemble na formul aucune dclaration spcifique sur lunit, mais elle a explor divers aspects de la koinnia dans la perspective dune unit existentielle toujours plus grande entre les Eglises. Selon le Rapport final, grce au mouvement cumnique, les chrtiens recevaient dj un avant-got de la communion de lEglise pleinement unie. Malgr les obstacles dans cette marche commune vers la pleine unit, lAssemble a redit leur attachement commun irrversible au projet cumnique2. Les dlgus runis Vancouver ont insist sur le besoin dlaborer ensemble une vision plus claire de lunit visible, pour pouvoir intensifier et largir leur communaut cumnique actuelle par de nouvelles formes plus concrtes de la vie interecclsiale3. Le Rapport sur les orientations rappelle que lunit visible demeure la perspective ultime de tout cumnisme et que les Eglises doivent porter le souci constant de faire ensemble des pas concrets sur la voie conduisant ce but4. Cest pourquoi, leur faon de vivre lcumnisme tous les niveaux doit tre continuellement revue la lumire des acquis des dialogues bilatraux et multilatraux, grce

CHAPPUIS, J.M. & BEAUPERE R., Rassemble pour la vie. Rapport officiel de la sixime Assemble du Conseil Oecumnique des Eglises. Vancouver, Canada, 24 juillet 10 aot 1983, Genve Paris, 1983. Parmi les principaux documents et tudes autour de Vancouver, il convient de citer encore De Nairobi Vancouver 1975-1983. Rapport du Comit central la sixime Assemble du Conseil cumnique des Eglises, Genve, COE, 1983 ; Questions lordre du jour de la sixime Assemble du Conseil cumnique des Eglises. Documents prparatoires, Genve, 1982 ; Vancouver. Manuel lusage de lAssemble, Genve, COE, 1983 ; LAZARETH, W. (ed), The Lord of the Life. Theological Explorations of the Theme Jesus Christ the Life of the World, Geneva, WCC, 1983; BRIA, I. (ed), Jesus Christ the Life of the World. An Orthodox contribution to the Vancouver theme, Geneva, WCC, 1982. 2 Vivre ensemble . Message de la sixime Assemble, Vancouver. Rapport, p. 2. 3 Ibid. 4 Rapport du Comit dorientation du programme dans Vancouver. Rapport, p. 200.

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auxquels les Eglises grandissent ensemble dans la comprhension de la koinnia quelles cherchent raliser. LAssemble a exprim sa conviction que lunit ne serait complte que le jour o tous les chrtiens ne formeront quune seule communaut eucharistique signe visible de leur pleine et parfaite koinnia in Christo1. 6.2. LEglise lie au monde Vancouver a insist sur la perspective universelle de cette unit eucharistique recherche par les Eglises : non seulement les chrtiens, mais aussi tous les hommes sont appels se runir un jour la table unique du Seigneur ; lamour de Dieu nexclut personne et tous sont invits au festin dans lequel JsusChrist, la vie du monde, soffre en nourriture tous les affams2. Pourtant, comme le remarque une exploration orthodoxe du thme de lAssemble, si les offrandes dposes sur lautel sont la nourriture descendue du ciel le corps et le sang du Christ donns pour la vie du monde , possdent une signification existentielle extrmement forte pour le croyant, elles ne signifient rien pour le monde3. Dans cette perspective, les Eglises sont appeles renouveler en leurs membres la conscience de leur mission et de leur responsabilit communes nourrir la vie du monde de la vie du Christ. Chacune delles doit faire un honnte examen de conscience la lumire des deux questions suivantes : Que faisons-nous pour que le pain de leucharistie devienne la nourriture spirituelle pour tous les humains ? Et quelle contribution notre communaut eucharistique apporte-elle la vie du monde ? Le commentaire catholique sur le thme ajoute que les chrtiens doivent vivre en fidlit la fois Dieu et lhumanit, en respectant la loi de Dieu et les droits de la personne humaine ; car il ny a pas contradiction mais complmentarit entre les deux4. Toutes les Eglises reconnaissent aujourdhui que le respect des droits de la personne humaine et leur dfense font partie intgrante de la mission de lvanglisation, surtout si celle-ci est accomplie dans un

Message dans Vancouver. Rapport, p. 3. Ibid. 3 Orthodox Theological Symposium Report. Damascus, February 1982, dans LAZARETH, W. (ed), The Lord of the Life. Theological Explorations of the Theme Jesus Christ the Life of the World, Geneva, WCC, 1983, 6. 4 Roman Catholic Consultation Memorandum. Rome, June 1982, dans LAZARETH, W. Op. cit., p. 14.
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esprit eucharistique de charit et de service1. La fidlit au Christ dun ct et la fidlit lhomme de lautre sont ncessaires pour progresser simultanment sur la voie dunit chrtienne et sur celle de lunit humaine ; pour faire crotre progressivement la premire jusquaux dimensions de la seconde. Les frontires du monde tracent lhorizon de lunit de lEglise appele tre un signe universel dunit des hommes2. Lengagement des chrtiens en faveur de leur unit doit tenir compte non seulement des divisions entre les Eglises, mais aussi du fait que les Eglises vivent dans un monde divis. Il y a une interdpendance entre lunit de lEglise et lunit de lhumanit. Ceux qui par la foi exprimentent dans leur vie de tous les jours le pouvoir rconciliateur de la croix du Christ, doivent se mettre leur tour au service de la rconciliation entre les hommes au sein de la communaut humaine3. LEglise et le monde ne peuvent tre envisags comme deux ralits entirement indpendantes lune de lautre : la communaut chrtienne fait partie de la communaut humaine ; les chrtiens et les autres vivent dans un mme monde. Ceux qui participent au repas du Seigneur ne doivent jamais tre une communaut coupe du monde ni rester insensibles aux injustices sociales, au racisme qui cause des divisions douloureuses entre les hommes, et toutes les autres formes de discrimination et dexclusion. Cette tche demande de la part de tous les chrtiens une constante conversion de cur pour aimer toujours plus Dieu et lhomme cr son image. Le Seigneur, quils rencontrent dans le pain et le vin de leucharistie est le mme Seigneur quils rencontrent dans les pauvres, les opprims et les dshrits. Ainsi, leur unit sacramentelle en Christ vcue dj malgr leurs divisions, les oblige se mettre avec amour au service de la communaut humaine et travailler pour faire tomber les murs de sparation qui se dressent encore entre les hommes4. En parlant de cette attitude de service envers le monde, T. Stylianopoulos a insist sur le fait quelle avait des racines eucharistiques5.Pour illustrer, il a

Ibid., p. 22. LAssemble dUpsal affirmait dj, The Church is bold in speaking of itself as the sign of the coming unity of mankind (The Upsala Report 1968, p. 17). 3 The Upsala Report 1968, p. 21. 4 Cf. Vancouver 83, Manuel lusage de lAssemble, Genve, 1983, 37+. 5 STYLIANOPOULOS, T., Prsentation du thme principal, JsusChrist, vie du monde , dans Vancouver. Rapport, pp. 107-117.
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voqu lexemple de Jsus qui, avant de partager la dernire cne avec ses aptres, leur avait lavs les pieds (cf. Jn 13, 1-15)1. Selon les paroles mmes de Jsus, son action tait un exemple qui devait susciter dans le cur de ses disciples un dsir de se mettre au service des autres. Lvangliste Jean introduit la dernire cne par laffirmation que Jsus, ayant aim les siens qui taient dans le monde, les aima jusqu la fin (Jn 13, 1). Si leucharistie est le sacrement de cet amour inconditionnel du Christ pour tout homme, le lavement des pieds qui lintroduit en est une application existentielle. Ceux qui partagent aujourdhui la cne de Jsus sont appels suivre lexemple du Matre en ayant la mme attitude envers tous ceux pour qui il a offert sa vie, cestdire toute lhumanit. Les mouvements unificateurs au milieu de la communaut humaine qui se dveloppent partout dans le monde, font mieux comprendre aux Eglises que le mouvement cumnique doit considrer la recherche de lunit visible des chrtiens dans la perspective de lunit du genre humain tout entier. La vocation cumnique possde une dimension duniversalit qui dpasse la communaut chrtienne il faut que les chrtiens constituent dans le monde une Eglise visiblement unie pour que leur koinnia de foi, damour et de vie soit une image de la communaut humaine parfaitement unie selon le dessein de Dieu. LAssemble de Vancouver a rappel avec insistance que lengagement cumnique des chrtiens doit correspondre la vocation profonde de lEglise, qui est celle de runir en Christ tous les hommes sans aucune discrimination, ni exclusion. Insre dans le monde, lEglise est un facteur dunification de lhumanit et le mouvement cumnique doit en tenir compte dans ses actions et sa doctrine. Cest pourquoi, les chrtiens ne peuvent dissocier les efforts quils font pour former une communaut ecclsiale unie par-del les diffrences entre les races, les sexes et les classes sociales, de leurs efforts pour gurir les plaies causes par ces diffrences dans la vie de la socit humaine2. Dune part, la promotion active de lunit des chrtiens contribue au renouveau de la communaut humaine ; dautre part, tout ce que les Eglises

Comme une illustration de cette attitude, Stylianopoulos voque lexemple dun prtre orthodoxe, Ivan Ilyich Sergiev (connu aussi sous le nom de Jean de Kronstadt) qui ayant t un homme de leucharistie, il lava dans les eaux de lamour divin les pieds de milliers de mendiants et de clochards rassembls dans le port de Kronstadt (Ibid., 113). 2 Vancouver 83, Manuel lusage de lAssemble, Genve, 1983, 37.

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accomplissent en faveur de la socit civile par leurs engagements sociaux et diaconaux dans le monde contribue faire avancer la cause de lunit chrtienne. LEglise, de par sa nature, est tourne vers le monde ; elle est un signe et un instrument du plan de Dieu qui veut unir tous les hommes de tous les peuples au sein dune seule communaut humaine pleinement rconcilie1. Dans cette perspective cumnique largie et o lunit des chrtiens est envisage comme un facteur de lunification de lhumanit, lAssemble a rinterprt le concept de koinniacommunio en llargissant au-del des limites du monde chrtien. Les dlgus ont soulign, dans leurs interventions, que la koinnia comprenait deux dimensions distinctes mais intimement lies : lune verticale et lautre horizontale. Cela signifie que la communion avec le Seigneur doit aller de pair avec la communion entre les hommes ; lune et lautre sont ancres dans la charit qui est le lien dunit le plus parfait. La communion dans son aspect horizontal ne se limite pas aux frres et surs dans la mme foi, mais possde une vise universelle. En effet, il ny a aucune limite dans la conception chrtienne de lamour car le Seigneur nous donne le commandement daimer mme les ennemis et les perscuteurs de lEglise. Sur la base de cet amour, les chrtiens doivent semployer tisser des liens de fraternit et dunit galement avec ceux qui ne partagent ni la mme foi religieuse, ni les mmes convictions sur la vie et le monde. La koinnia implique ainsi non seulement que les chrtiens recherchent activement la communion avec Dieu et avec les autres chrtiens, mais encore quils participent la vie des socits civiles dans lesquelles ils vivent, pour partager les peines et les joies de lhumanit et manifester la solidarit avec tous les hommes. Au nom de leur foi qui les appelle aimer Dieu au-dessus tout et aimer tout homme comme soi-mme, les chrtiens doivent se montrer solidaires avec les hommes parmi lesquels ils vivent, mme avec ceux qui nappartiennent pas leur Eglise et qui ne partagent pas leur foi en Christ. La compassion chrtienne prise au sens le plus fort du mot : sentir avec ou vivre la mme chose que lautre exige que les membres de lEglise sidentifient au monde et prennent sur eux les souffrances de lhumanit en suivant lexemple du Christ. Tmoigner activement de la foi chrtienne et vivre lvangile au milieu de divers peuples, de

Ibid., 91.

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multiples religions et de diffrentes idologies, doit contribuer btir une communaut humaine plus fraternelle dans laquelle toute personne est considre comme ayant la mme valeur, quelles que soient ses croyances ou ses convictions sur le monde. Cest en vivant au milieu dune communaut humaine de plus en plus diversifie dans tous ses aspects que la communaut chrtienne rcoute lvangile comme une parole neuve et quelle est appele renouveler sa vie et revoir sa vision de lunit chrtienne1. Sil est vrai que les chrtiens ont un rle important accomplir dans le processus actuel de lunification du monde, il est galement vrai que le monde a un rle accomplir dans le processus de lunification des chrtiens et que ce rle doit tre reconnu et pris en considration dans le dialogue cumnique. Vu que la socit humaine dans le monde est trs diversifie en ellemme par la varit des peuples, des cultures, des civilisations, des religions, des systmes politiques, etc., une place large doit galement tre accorde la diversit au sein de la communaut chrtienne. Disperse sur toute ltendue de la terre et runissant en son sein des traditions varies, elle doit tendre continuellement vers lunit travers la diversit. Le Rapport voque la dclaration de Nairobi selon laquelle lunit recherche par les chrtiens dans le mouvement cumnique doit prendre la forme dune communaut conciliaire lintrieur de laquelle les particularits propres chaque tradition sont rconcilies entre elles, sans tre supprimes, pour ainsi devenir comme les notes dune symphonie ecclsiale riche et harmonieuse. Dans cette vision, les identits confessionnelles ne doivent pas ncessairement tre regardes comme des antagonismes mais, au contraire, comme des reflets de la grande diversit du genre humain dun ct, et les richesses inpuisables de la foi chrtienne de lautre. Pour liminer les divisions actuelles, les Eglises doivent se lancer dans un processus de conciliation des diffrences pour que progresse, entre elles, la pleine communaut conciliaire. 6.3. LEglise distincte du monde A Vancouver, les Eglises ont fortement insist sur le lien qui les liait au monde. Toutefois, elles ont aussi rappel quil ne fallait pas oublier la distinction entre le monde dun ct et lEglise de lautre. LEglise ne
Brochure Tmoigner dans un monde divis dans Questions lordre du jour de la sixime Assemble. Documents prparatoires, Genve COE, 1982, 17.
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sidentifie pas au monde : la communaut chrtienne possde une intgrit propre et une identit spcifique en tant que le corps du Christ , qui la distinguent du reste de lhumanit1. A la lumire de la Bible et de la Tradition, il nest pas non plus justifi dappliquer indistinctement le terme koinnia lensemble de la communaut humaine. Telle quelle est utilise dans le Nouveau Testament et les crits patristiques, cette notion sapplique lEglise qui est distincte du monde et qui possde une identit et une consistance propres. Celles-ci sont dtermines par le fait que ses membres possdent la mme foi, les mmes sacrements, les mmes valeurs morales, une discipline communment observe, et quils reconnaissent un ministre servant le maintien de la koinnia lintrieur de lEglise. Comme le remarque un commentaire catholique du Rapport de lAssemble, on devient membre de cette communaut par la foi en Christ et le sacrement du baptme. Ns la vie nouvelle en Christ dans les eaux baptismales, tous les chrtiens sont des membres de son corps ecclsial. Leur koinnia in Christo se nourrit continuellement du sacrement de leucharistie qui est le pain de vie de ceux qui sont ses disciples. Mme si la koinnia ecclsiale est profondment blesse par les divisions entre les Eglises, les chrtiens forment dans le monde une communaut spcifique et distincte de celui-ci. Sil est donc juste de parler dune interdpendance entre lEglise et le monde, il faut pourtant viter tout glissement vers lidentification entre les deux : la koinnia chrtienne et la communaut humaine constituent deux ralits distinctes. Mme si louverture envers toute personne humaine, quelles que soient ses convictions, constitue une marque de la vritable spiritualit chrtienne ancre dans leucharistie, tout chrtien doit aussi conserver la conscience de sa diffrence qui le spare du monde. Cest pourquoi, en tant que nourriture qui appartient la communaut du disciple du Christ, le repas
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Dans le cadre des prparatifs de lAssemble, cet aspect a t fortement soulign la rencontre de Foi et Constitution Lima en 1982. Plusieurs tudes approfondies, suivies de discussions, ont t prsentes sur le thme, Unit de lEglise et le renouveau de la communaut humaine (Pour le dbat voir KINNAMON, M. (ed), Towards Visible Unity. Commission on Faith and Order. Lima 1982. Volume I: Minutes and Addresses, Faith and Order Paper 112, Geneva, 1982, 111-124. Pour les contributions thologiques, voir Volume II: Study Papers and Reports; Faith and Order Paper 113, 122-230; cf. Orthodox Theological Symposium Report. Damascus, February 1982 dans LAZARETH, W., Op. cit., 6). 1 Cf. Vancouver 83, Manuel lusage de lAssemble, Genve, 1983, 9.

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eucharistique est rserv aux membres de lEglise. En commentant ce caractre bipolaire de la communaut chrtienne qui est la fois ouverte au monde et distincte du monde, ltude orthodoxe remarque quil sagit dun aspect essentiel du mystre de lEglise, laspect qui ne peut tre nglig lorsquil est question des rapports de lEglise avec le monde1. Leucharistie est pour la communaut ecclsiale ; la vie eucharistique des chrtiens cestdire le fruit de leucharistie est pour le monde2. A lintrieur de la communaut eucharistique cependant toutes les barrires sont abolies et aucune discrimination nest admissible entre les participants dun mme repas du Seigneur. 6.4. Les Exigences du processus conciliaire Comme nous lavons mentionn plus haut, lAssemble de Vancouver a appel les Eglises se lancer dans un processus de conciliation des diffrences pour faire progresser entre elles la communaut conciliaire. Selon le Rapport du Secrtaire Gnral, ce processus devrait les conduire se montrer toujours plus pleinement dans le monde comme tant des communauts confessantes, dapprentissage, de participation, de partage, de gurison et de rconciliation, pour surmonter ainsi plus facilement les obstacles qui persisteraient encore sur le chemin de lunit visible3. Conformment sa Base doctrinale, le Conseil cumnique des Eglises est une communaut fraternelle dEglises qui confessent le Seigneur JsusChrist comme Dieu et Sauveur, et qui croient en la sainte Trinit. Par leur engagement de plus en plus actif au mouvement cumnique, elles sefforcent le faire de plus en plus unanimement. Cela exige quelles se mettent daccord sur la comprhension de leur foi commune et en rendent un tmoignage commun devant le monde. Cest ainsi quelles accompliront leur vocation tre une communaut confessante4. Pour rendre ensemble un tmoignage crdible de leur foi devant le monde, toutes les Eglises doivent sengager dans un processus

Orthodox Theological Symposium Report,. pp. 9-10. Ibid. 3 Rapport du Secrtaire Gnral dans Vancouver. Rapport, pp. 87-106 (texte cit, p. 103). 4 Ibid., pp. 92-94.
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dapprentissage cumnique1. Son but est de se connatre toujours mieux mutuellement et de senrichir rciproquement pour difier une vritable communaut de foi et de vie, capable de servir efficacement la vrit, la paix et la justice2. Cet apprentissage implique une prise de conscience globale de la volont de Dieu tant pour les chrtiens que pour tous les hommes, et de discerner ensemble des voies daction communes efficaces en faveur de lunit ecclsiale et humaine3. Il fait partie intgrante du processus conciliaire car lorsque les Eglises apprennent se mieux connatre elles souvrent plus facilement les unes aux autres et sont, alors, prtes aller au-del de leurs propres manires dagir et de penser. Dans un monde o tout est course au pouvoir et individualisme, les Eglises doivent tre des communauts fondes sur la participation active de tous les membres ministres et lacs la vie commune. Les diffrentes fonctions et responsabilits qui structurent la vie commune doivent tre acceptes et accomplies dans lesprit de service en vue du bien commun4. Ceux qui accomplissent des fonctions spcifiques au sein de la communaut et ceux qui sont de simples fidles constituent ensemble une sainte communaut sacerdotale du Roi (1P 2, 9), pour offrir des sacrifices spirituels et agrables Dieu par JsusChrist (1P 2, 5). Devenu membre de cette communaut en vertu du baptme, tout chrtien doit y tre reconnu dans sa spcificit personnelle et assumer activement sa part de responsabilit pour le bien commun. La participation de tous la vie de lEglise simpose avec force si lunit que nous recherchons est dcrite comme koinnia. En effet, le mot notestamentaire koinnia signifie la fois et insparablement communaut et participation ou, plus exactement, communaut fonde sur la participation active de tous la vie commune5. LEglise Communion doit tre une communaut soude dans lunit par la participation active de tous les membres sa vie. La participation va de pair avec le partage, car chacun apporte la vie de la communaut ses dons et ses talents. Les charismata que lEsprit rpand sur les membres de la communaut sont destins faire vivre et

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Ibid., pp. 94-96 ; Vancouver 83, Manuel, 27-34 et 62-67. Rapport du Secrtaire Gnral dans Vancouver. Rapport, p. 96. 3 Ibid., p. 95. 4 Ibid., pp. 96-97 ; Vancouver 83, Manuel, p. 40-45. 5 Cf. supra, Premire tude, p. 4.2. Communion dans le Nouveau Testament

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crotre tout le corps du Christ. Lidal de koinnia implique que lEglise soit une communaut de partage1. Au sein de la communaut cumnique des Eglises, ce partage se fait non seulement entre les personnes individuelles mais aussi entre les Eglises, quil sagisse de leurs ressources matrielles ou de leurs grces spirituelles. Pour faire avancer la cause de lunit, les Eglises doivent se montrer toujours plus promptes ce partage et promouvoir les changes tous les niveaux de leur vie. A limage du Christ, qui est pass par la vie en faisant le bien et en gurissant des malades, les Eglises sont appeles constituer, dans un monde qui souffre toujours de diverses maladies aux sens propre et figur du mot , une communaut de gurison2. Gurir veut dire passer dun tat de maladie ltat de sant. Selon une dfinition actuellement prconise par la mdecine, la sant est un tat de bien-tre dynamique, de lindividu et de la socit. Cet tat de bien-tre englobe autant la sant physique et mentale que la sant spirituelle, conomique, politique et sociale des hommes dans le monde ; il sagit au fond dun tat dharmonie des hommes entre eux, avec lenvironnement et avec Dieu3. En tant que corps du Christ, lEglise est un organisme vivant dont la sant dpend de ltat de chaque membre, de leur harmonie lintrieur de ce corps, et de leurs relations avec lenvironnement dans lequel ils vivent. Cette vision de la sant doit tre intgre dans la conception de lEglise comme koinnia, ce qui demande des Eglises engages dans le mouvement cumnique de repenser leurs manires de vivre lintrieur de chacune delles, entre elles et entre elles et le monde. Elles doivent galement sattacher surmonter toute indiffrence lgard des non chrtiens et lgard de lenvironnement naturel. En effet, la vocation unificatrice de lEglise ne se limite pas aux chrtiens seuls mais inclut tous les humains vivant dans lunivers et appels vivre en tat de sant, cestdire en harmonie avec Dieu, les uns avec les autres et avec lenvironnement. Elabor au cours de plusieurs colloques interconfessionnels au cours du processus de prparation de lAssemble, le thme de la sant tait un apport nouveau dans le dialogue cumnique sur lunit visible des chrtiens. Malheureusement, il na pas t suffisamment exploit par la
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Rapport du Secrtaire Gnral, pp. 98-99 ; Vancouver 83, Manuel, 50-52. Rapport du Secrtaire Gnral, pp. 99-101 ; Vancouver 83, Manuel, 45-50. 3 Rapport du Secrtaire Gnral, p. 99.

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suite, et son intgration dans le dialogue sur la koinnia ne sest pas encore vraiment ralise. Dieu a confi lEglise un ministre de rconciliation (2Co 5, 18), en vertu duquel elle peut tre appele une communaut de rconciliation1. Les Eglises doivent se runir pour affronter ensemble les forces du mal qui dchirent constamment la communaut humaine. Etant dans le monde mais non pas du monde, elles doivent se garder de se laisser entraner dans des jeux de pouvoir, auxquels se livrent des nations ; jeux qui conduisent inexorablement la haine, la guerre, la destruction et la division. Elles doivent sunir dans la lutte contre linjustice et sinvestir avec tous les hommes de bonne volont dans la solution pacifique des conflits. Pour tre un facteur efficace de la paix entre des Etats, des peuples et des nations, les Eglises doivent la retrouver dabord entre elles. La rconciliation entre les confessions, les dnominations et les traditions se trouve au cur mme du concept de communaut conciliaire. LEglise une, vers laquelle tendent toutes les Eglises engages dans le mouvement cumnique, ne pourra exister que sous la forme dune communaut diversifie et unie la fois. Cest uniquement dans la mesure o cette Eglise saura rconcilier toutes les diversits dans lunit quelle sera une Eglisekoinnia et un instrument efficace de la koinnia pour toute lhumanit. De par sa nature, lEglise est une communaut dunit vocation universelle, appele offrir sa vie en sacrifice pour lunit de loikoumen2. Le mouvement cumnique a pris progressivement une conscience de plus en plus aigu de sa double vocation lunit : runir les chrtiens en une communaut ecclsiale visiblement unie et travailler pour lunification de tous les humains. Ce dernier aspect traduit en effet la vocation universelle de lEglise, qui consiste rcapituler tout sous un seul chef le Christ. Tous les efforts du Conseil cumnique des Eglises, mmes ceux qui sadressent des non chrtiens, concordent avec son engagement direct en faveur de lunit de lEglise une, sainte, catholique et apostolique. Les Eglises runies dans le Conseil, en effet, les accomplissent pour que se ralise la volont du Seigneur : celle de runir tous les peuples de loikoumen dans la

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Rapport du Secrtaire Gnral, pp. 101-102 ; Vancouver 83, Manuel, 52-62. Rapport du Secrtaire Gnral, pp. 102-103.

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mme foi et la charit fraternelle1. Cet objectif appelle les Eglises la patience, la confiance en Dieu et la fidlit son uvre. La communaut chrtienne est une communaut dattente qui espre dans le Seigneur, et semploie raliser avec son aide et sous sa protection lappel lunit2. Les Eglises sont conscientes du fait quelles ne constituent pas un but pour elles-mmes, car toute leur existence est tourne vers lavnement du Royaume de Dieu ; elles sont dans et pour le monde un instrument du dessein divin, le lieu o les hommes peuvent dj recevoir un avant-got de la koinnia parfaite du Royaume eschatologique. Runies en une assemble cumnique malgr leur diffrences et leurs divisions, elles peuvent ds maintenant lever vers leur Pre unique qui est au ciel une prire unanime : que ton rgne vienne, que ta volont soit faite sur la terre comme au ciel. 6.5. Promouvoir le modle de la communaut conciliaire Les divers aspects de la koinnia chrtienne retracs plus haut reprsentent des dfis permanents pour les Eglises en marche vers lunit. Dans cette perspective, la tche primordiale du Conseil cumnique des Eglises et de tous les organismes cumniques est de promouvoir lunit chrtienne par les moyens dont ils disposent3. LAssemble a raffirm que la forme visible de lunit ecclsiale quelles cherchaient raliser par leurs engagements communs tait celle lance officiellement Nairobi dune communaut conciliaire. La promotion de ce modle travers diffrentes activits et actions a t raffirme comme la tche primordiale du Conseil dans les annes venir. Pour le faire, il fallait susciter et promouvoir de nouvelles relations cumniques surtout sur les plans locaux et rgionaux : entre les paroisses, les Eglises locales et diverses communauts de base4. Il fallait galement encourager les contacts personnels entre les ministres et les fidles de confessions diffrentes sur le terrain. De lenthousiasme avec lequel les Eglises relveront ces dfis, dpendra la progression du processus conciliaire entre elles. Selon lAssemble, la communaut conciliaire apparat comme une ralisation concrte, particulirement bien adapte la diversit de la
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Rapport du Secrtaire Gnral, p. 103. Ibid., pp. 103-104. 3 Ibid., p. 105. 4 Vancouver. Rapport, p. 198.

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communaut chrtienne et du genre humain, et lidal notestamentaire de la koinnia. LEgliseKoinnia, qui rassemble dans lunit du corps du Christ la diversit des personnes, des traditions, des cultures, etc., apparat comme une parabole vivante de lunit du Royaume promis par Dieu ; elle en est la fois une figure prophtique et un instrument. Pour correspondre de mieux en mieux lidal quelle reprsente devant le monde, la communaut chrtienne doit mettre sur pied des expressions visibles de son unit, et qui soient plus adquates la ralit de la koinnia spirituelle toujours plus grande entre les Eglises engages dans le mouvement cumnique. Selon lAssemble, le concept de communaut conciliaire se prsente comme le plus adapt. Car il sagit dune forme concrte dunit et non pas dune ide abstraite ; on ne pourra parler de communaut conciliaire tant que tous les chrtiens ne seront pas unis dans un organisme unique caractris par les trois marques essentielles : - la comprhension et la profession communes de la foi apostolique ; - la reconnaissance mutuelle du baptme, de leucharistie et du ministre ; - ltablissement des structures communes permettant de prendre des dcisions, de parler et dagir ensemble en tant quEglise une. Toutes les Eglises reconnaissent que ces lments sont indispensables pour que lon puisse parler dune vraie communaut conciliaire entre elles ; malheureusement, sur aucun deux, il ny a encore unanimit entre les diffrentes traditions ecclsiales. La route vers lunit doit donc passer par la rsolution de ces problmes concrets qui bloquent la possibilit de la pleine rconciliation visible. Cest seulement la fin dun patient processus de rconciliation progressive des diffrences confessionnelles que les chrtiens pourront sunir dans une seule communaut eucharistique qui couronnera leur communaut de vie in Christo1. Une telle Eglise saura servir efficacement lunit des hommes dans tout loikoumen. Cest pourquoi, lunit des chrtiens dans une seule Eglise visiblement unie, est ncessaire afin que le monde croit et soit sauv.

Rapport du Secrtaire Gnral, p. 103.

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7. La septime Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises Canberra 1991


A Canberra (Australie) le nom qui dans la langue des Aborignes signifie lieu de rencontre sest tenu, du 7 au 20 fvrier 1991, la 7me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises. Le thme gnral Viens, Esprit Saint, renouvelle toute la cration a t reparti en quatre sous thmes dont un Esprit dunit, rconcilie ton peuple traitait directement la question de lunit ecclsiale recherche par les Eglises membres du Conseil et de sa forme visible possible1. LAssemble de Canberra a produit galement une nouvelle dclaration sur lunit intitule Unit de lEglise en tant que Koinnia : Don et Vocation2. Plusieurs tudes importantes prsentes lors de lAssemble et runies ensuite dans ses actes officiels, font de Canberra un moment particulirement fort du dialogue doctrinal entre les Eglises engages dans le processus cumnique. Aprs une longue priode domine par une approche essentiellement christologique de lunit, lAssemble de Canberra a franchi un nouveau pas sur le chemin du dveloppement doctrinal de la conception de koinnia par une approche davantage pneumatologique. Dans lexpos qui suit, nous prsenterons les documents et les tudes qui se rattachent directement la question de lunit entre les Eglises. 7.1. Le Message de lAssemble Selon le Message de lAssemble, lEsprit est la force de Dieu qui conduit lEglise vers son accomplissement malgr les mandres de lhistoire humaine3. Cet accomplissement nest autre que la koinnia des

Il sagit du thme de la section III. Les autres sous thmes ont t respectivement : I Esprit source de vie, garde ta cration ; II Esprit de vrit, libre-nous ; IV Esprit Saint, transforme-nous et sanctifie-nous ! Ces questions ont t dveloppes thologiquement dans un document prparatoire rdig par le Conseil, Que lEsprit parle aux Eglises. Guide pour ltude du thme et des grandes questions lordre du jour de la Septime Assemble, Genve, WCC, 1990 (cit dans la suite comme Canberra. Guide). 2 Publi dans WESTPHAL, M. (d.), Signes de lEsprit. Rapport officiel de la Septime Assemble. Canberra, Australie, 7 20 fvrier 1991, Genve, WCC, 1991, 192-194 (cit dans la suite comme Canberra. Rapport). 3 Message de lAssemble dans Canberra, dans Canberra. Rapport, 1-4.

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fidles avec Dieu Pre, Fils et Esprit , et les uns avec les autres. La plnitude de la koinnia sera ralise la fin des temps. Cependant, ds maintenant, des signes de cette koinnia eschatologique sont prsents dans la communaut chrtienne malgr ses divisions. A travers la diversit des cultures, des races et des traditions, lEsprit rassemble en une seule assemble cumnique des chrtiens de diverses Eglises. Encore diviss, mais dj anims par le mme Esprit, ils savent se reconnatre mutuellement comme frres et surs dans le Christ, membres de lunique famille des enfants de Dieu. Grce lEsprit la force vitale de lcumnisme , les Eglises progressent continuellement sur le chemin de lunit et dcouvrent, de manire parfois surprenante et inattendue, leur profonde unit spirituelle au cur de leur diversit. LEsprit pousse les Eglises rechercher sans relche et toujours plus intensment leur unit visible condition ncessaire de lefficacit plus grande de leur mission dvangliser et de servir le monde. Dans la puissance de lEsprit, les Eglises sont appeles continuer la mission du Christ dans le monde actuel, savoir : conduire toute lhumanit la communion avec Dieu et, en lui, les uns avec les autres. Les efforts cumniques des Eglises ne peuvent cependant se limiter la recherche de lunit des chrtiens, ils doivent avoir une porte plus large en cherchant tablir entre les peuples du monde des relations fondes sur la rconciliation et lamour fraternel. Car nous avons t rconcilis par le Christ et investis de son Esprit de rconciliation, nous devons donc chercher, notre tour, la rconciliation entre les chrtiens afin que lEglise unie puisse tre un signe et un instrument efficaces de la rconciliation universelle du genre humain. Car la repentance et le pardon sont ncessaires pour rtablir lunit de la communaut chrtienne, toutes les Eglises et tous les fidles sont appels faire preuve dhumilit pour se repentir et pour accorder le pardon aux autres. Rconcilis avec Dieu et les uns avec les autres, les chrtiens de toutes les Eglises pourront alors vivre pleinement selon lEsprit du Seigneur et porter dans le monde les fruits de cette rconciliation qui sont : la paix, la vrit, la droiture, la justice, la libert et, finalement, lunit. 7.2. Thme gnral : Viens, Esprit Saint, renouvelle toute la cration

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La prsentation du thme gnral devant lAssemble a t confie au patriarche Parthenios dAlexandrie1. Au dbut de son intervention, il a remarqu que prendre pour thme le Saint Esprit et le prier, cest aussi sexposer laction toujours imprvisible de son souffle. Afin que lcumnisme puisse profiter de cette nouvelle Assemble mondiale des chrtiens, les Eglises doivent se laisser conduire par lEsprit et prendre ensemble les risques quil leur inspirera, en sachant que la sainte Trinit est un mystre, que le Saint Esprit est un mystre, et que lEglise corps du Christ et temple de lEsprit est, elle aussi, un mystre ineffable2. Au dbut de son intervention, le patriarche a relev le caractre pneumatique des notae Ecclesiae3. Lunit et lunicit de lEglise sont ancres dans lunique Esprit : anime par lEsprit qui est un, lEglise est aussi une, mme si elle est compose dune multitude de communauts disperses travers le monde et se referant des traditions chrtiennes diverses. Elle est sainte malgr les innombrables pchs de ses membres, car Dieu lui-mme linvestit de sa propre saintet par laction de lEsprit. Elle est catholique car travers ltendue de la terre, le mme Esprit anime tous ses membres qui ont t baptiss dans le mme Christ et vivent sous le signe de la foi en lui. Elle est apostolique car laction de lEsprit la prserve continuellement dans la Tradition de foi des aptres. Le Saint Esprit est le Paraclet qui procde du Pre et est envoy par le Fils pour habiter et guider lEglise. Selon une expression biblique reprise et dveloppe lpoque patristique, notamment par des Pres orientaux , lEglise est le peuple de Dieu qui vit dans lEsprit. De ce fait, les chrtiens sont des spirituels exposs continuellement au vent de lEsprit et lEglise nest pas une institution statique mais un grand vnement pneumatique en constante volution dans la force de lEsprit-Saint4. LEglise na pas dexistence sans le Saint Esprit ; sa vie est paracltique puisquelle est imprgne de lEsprit que le Fils lui envoie continuellement dauprs du Pre. LEglise fait lexprience la plus forte de son caractre pneumatique lorsquelle se runit pour clbrer la cne du Seigneur. La sainte eucharistie est la participation au

PARTHENIOS DALEXANDRIE, Prsentation du thme : le Saint Esprit dans Canberra. Rapport, 33-44. 2 Ibid., 34-35. 3 Ibid., 35. 4 Ibid., 36.

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sacrifice du Christ par la grce du Saint Esprit pour rendre grce au Pre. Ainsi, runis en Eglise autour de la table du Seigneur, nous nous unissons la trs sainte Trinit. La clbration de leucharistie est une nouvelle effusion de lEsprit-Saint, une actualisation continuelle de lvnement de la Pentecte1. Dans la liturgie eucharistique nous demandons que lEsprit Saint transforme le pain et le vin en corps et sang du Christ (epiclesis), afin quen communiant ces mystres, nous, tres humains, devenions, par le mme Esprit, un tabernacle vivant de Dieu. En lEsprit qui donne la vie, qui procde du Pre, et qui est glorifi avec le Pre et le Fils, nous pouvons faonner nos relations personnelles lintrieur de la communaut ecclsiale sur les relations qui existent entre le Pre, le Fils et lEsprit lintrieur de la Trinit2. Ces relations dans lEsprit sont pourtant corrompues lintrieur mme de la communaut chrtienne par le pch de divisions. Pour gurir la blessure dans le corps du Christ, les Eglises sont appeles couter ensemble ce que lEsprit leur dit (cf. Ap 2, 7) et travailler solidairement pour surmonter tout obstacle lunit3. Les paroles de reconnaissance, dencouragement, mais aussi celles de rprimande que lEsprit a prononces jadis aux communauts des premiers chrtiens en Asie Mineur, nont rien perdu de leur actualit (cf. Ap 2-3). Tout en connaissant les bonnes uvres des Eglises, leur labeur pour lunit et leur persvrance dans la vrit, lEsprit les pousse continuellement la repentance et la fidlit toujours plus grande lvangile du Christ. A tous les fidles qui vivent selon lEsprit, le Seigneur promet de venir chez eux et de prendre son repas avec eux (cf. Ap 3, 20). La voie de lunit conduit par une coute attentive de ce que lEsprit dit aujourdhui aux Eglises, et par une mise en pratique de ses inspirations dans les relations cumniques4. La fidlit lEsprit de Dieu exige que les croyants semploient sans relche raliser la prire de Jsus : que tous ceux que le Pre lui a donns soient un, comme un est Dieu dans le mystre de la Trinit. Lunit divine qui existe au sein de la Trinit, existe aussi dans lEglise qui est une Eglise du Pre, du Fils et du Saint Esprit, et qui ne fait quun avec la Trinit ; cest une unit invisible et indestructible qui lui est
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Ibid., 37. Ibid., 39. 3 Ibid., 40. 4 Ibid., 41.

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donne par la grce continuelle de lEsprit1. Pour correspondre dans leur vie cette unit mystique, les Eglises doivent rtablir la plnitude de leur unit visible. A cette condition seulement, elles seront capables daccomplir efficacement leur mission dvanglisation du monde. Lvangile sadresse tous les gens de toutes les langues, cultures et nations ; cest un message de salut universel dans le Christ. Dans la force de lEsprit, les Eglises sont envoyes dans le monde avec la mission de faire des disciples de toutes les nations. Dans cette perspective duniversalit, lunit visible de lEglise du Christ pleinement rconcilie nest pas la fin de la mission car son objectif ultime est la koinnia de toute lhumanit, que doit servir lunit des chrtiens2. Seule lEglise vritablement rconcilie et unie dans laquelle il ny a plus ni paen, ni Juif, ni homme, ni femme, ni esclave, ni homme libre sera un instrument pleinement efficace de lavnement dans le monde de la nouvelle humanit rconcilie en elle. A prsent, le signe est obscurci et lefficacit de linstrument est diminue cause des divisions entre les chrtiens ; divisions qui contredisent la vocation universelle de lEglise et sopposent son identit profonde. Pour cette raison, le premier dfi que lcumnisme pose aux Eglises et aux chrtiens, est le dfi de saintet ; et la saintet est la vie dans lEsprit3. Pour conclure sa prsentation, le confrencier a remarqu que dans le dialogue cumnique une grande attention tait accorde lunit de lEglise, sa catholicit et son apostolicit, alors que la note de saintet tait souvent oublie. Pourtant, pour porter du fruit, laction cumnique des Eglises et des chrtiens doit tre accompagne de la saintet de leur vie personnelle et ecclsiale. 7.3. Thme particulier : Esprit dunit, rconcilie ton peuple Cest la Section III de lAssemble Esprit dunit rconcilie ton peuple qui a t charge de rflchir, dans une perspective pneumatologique, sur la question de lunit visible et de ses possibilits actuelles. Plusieurs tudes prparatoires, reprsentant diffrentes traditions chrtiennes, ont t ralises autour de ce sujet4.

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Ibid., 42. Ibid., 43. 3 Ibid., 44. 4 Esprit dunit, rconcilie ton peuple. Guide pour ltude du thme , dans Canberra. Guide, 19-27 ; Thme, sous thmes et grandes questions de la Septime Assemble du

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Comme le remarque le Guide officiel, lEglise est une koinnia dans lEsprit1. Cet Esprit est lEsprit Saint que Dieu a donn aux membres de lEglise (cf. 1Jn 4, 13) et qui fait deux ses enfants (cf. Rm 8, 16). En tant que koinnia dans lEsprit, lEglise est avant tout un difice spirituel (cf. Ep 2, 19), et une communaut de foi qui offre des sacrifices spirituels agrables Dieu (cf. 1P 2, 5). Anim par lEsprit damour, elle se prsente dans le monde comme une koinnia fraternelle qui garde lunit par le lien de la paix (cf. Ep 4, 3). Elle devient ainsi, pour les fidles et pour le monde, un signe de communion laquelle Dieu appelle tous les chrtiens et tous les hommes en son Fils. Dans la force de lEsprit Saint, lEglise est capable de transcender toutes les diffrences entre les humains, pour en faire une vritable communion de foi, damour et de vie en Christ2. Cet Esprit cre lunit des fidles lintrieur de lEglise, non pas par la suppression des varits, mais par leur rconciliation. Anims par la foi en Christ et par lamour du prochain, les chrtiens sont capables de transcender leurs diffrences de race, de langue, de sexe, dge, de rang social, etc., et dutiliser la pluralit de leurs dons particuliers de lEsprit pour la construction de la communaut ecclsiale qui est leur bien commun. En effet, comme le rappelle saint Paul, dans la communaut chrtienne, il ny a plus ni Juif, ni Grec ; il ny a plus ni esclave, ni homme libre ; il ny a plus lhomme et la femme ; car tous, vous ntes quun en JsusChrist (Ga 3, 28)3. Mais cet un est en mme temps multiple. La recherche de lunit de lEglise nest pas une qute duniformit car lEsprit permet aux chrtiens de se reconnatre unis travers leurs particularits. LEsprit cre lunit dans la diversit4. La prise de conscience de la diversit de contextes socioculturels, dans lesquels vivent les chrtiens, a permis aux Eglises de reconnatre que la foi chrtienne tant un message universel adress toute lhumanit

Conseil cumnique des Eglises. Dossier lusage des sections, Genve, WCC, 1990, 54-80 (cit dsormais Canberra. Dossier) ; TILLARD, J.M.R., Esprit, rconciliation, Eglise et Rflexions orthodoxes sur le thme de lAssemble. Rapport du colloque tenu en Crte du 25 novembre au 4 dcembre 1989 , ces deux dernires tudes se trouvent dans CASTRO, E. (d.), Le vent de lEsprit. Rflexions sur le Thme de Canberra, Genve, WCC, 1990, respectivement : 85-101 et 115-131. 1 Canberra. Guide, 19. 2 Canberra. Dossier, 54. 3 Canberra. Guide, 19-21. 4 Canberra. Dossier, 57.

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peut sexprimer travers une grande varit de formes sans que son contenu en soit alin1. Lunit se prsente comme un premier fruit de lEsprit. La premire communaut de chrtiens en est un exemple parlant. Aprs avoir reu le don dEsprit Saint au jour de la Pentecte (cf. Ac 2, 1+), les fidles se tenaient ensemble, ils navaient quun seul cur et une seule me et mettaient tout en commun (cf. Ac 2, 44, cf. 4, 32). Leur communion avec Dieu et les uns avec les autres tait fonde sur leucharistie et la foi et maintenue par un ministre ecclsial gnralement reconnu2. Dans le mme chapitre des Actes des Aptres et qui nous dcrit lvnement de la Pentecte, nous lisons aussi que les chrtiens se montraient assidus l'enseignement des aptres, fidles la communion fraternelle, la fraction du pain et aux prires (Ac 2, 42). Cette koinnia de la premire communaut chrtienne est pour les chrtiens diviss daujourdhui un dfi quils essayent de relever ensemble lintrieur du mouvement cumnique. La question laquelle lAssemble a voulu apporter une rponse tait celle de savoir comment notre vie dans lEsprit telle que nous lexprimentons dans nos communauts respectives et lintrieur du mouvement cumnique peut tre approfondie et amliore pour rendre notre communion spirituelle plus intense et plus visible lextrieur. Pour cela, une vritable rconciliation avec Dieu et les uns avec les autres dans la grande famille des chrtiens est indispensable. La vraie rconciliation aboutit la communaut3. La seule rconciliation capable de conduire tous les chrtiens une vritable koinnia dans lEsprit nest pas celle qui oublie les divisions, mais celle qui commence par la conversion et la repentance lintrieur de chaque Eglise, et qui passe par un examen courageux et franc des sources mmes de nos partages. LEsprit Saint nest jamais complice dune rconciliation bon march mais exige une douloureuse conversion, un renouveau qui cote4. LEglise sera vritablement et visiblement rconcilie lorsque tous les chrtiens professeront la mme foi, vivront en communion sacramentelle, tmoigneront et serviront ensemble dans le monde5. Les

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Ibid., 62. Ibid., 55. 3 Canberra. Dossier, 57. 4 Ibid., 60. 5 Ibid., 58.

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Eglises qui ne connaissent pas encore la pleine communion sacramentelle, notamment eucharistique, ne peuvent pas non plus prtendre possder la plnitude de koinnia de lEsprit Saint. La communion eucharistique prsuppose la rconciliation et lunit entre ceux qui se rassemblent autour de la mme table du Seigneur1. Les divisions qui sparent aujourdhui les chrtiens et les empchent de communier la mme table eucharistique ne sont pas uniquement dordre doctrinal. Comme au temps de laptre Paul (1Co 11, 17+), elles sont aussi dordre social2. Le rtablissement de la communion eucharistique exige donc que les Eglises sinvestissent pour surmonter les injustices sociales qui persistent encore dans chacune delles et entre elles. La rconciliation visible des chrtiens dans une seule Eglise est indispensable pour pouvoir tmoigner dune manire crdible de lamour rconciliateur de Dieu pour tous les hommes et pour tre un moteur du changement social dans le monde. En tant que signe et instrument de rconciliation, lEglise est dj, dans le monde actuel, un avant-got et une prfiguration du rgne de Dieu venir. Elle anticipe un degr encore imparfait mais rel la koinnia eschatologique du monde venir dfinitivement rconcili avec Dieu3. Cependant, aussi longtemps que les chrtiens vivront dans des communauts spares les unes des autres, cet aspect sera obscurci et leur tmoignage diminu. La koinnia en lEsprit-Saint se joue sur deux niveaux diffrents de la ralit de lEglise. Premirement, elle concerne toute communaut particulire dans sa vie interne. Deuximement, elle se rfre lEglise dans sa dimension universelle. Lorsque nous parlons de la communion entre diffrentes communauts locales de traditions spirituelles, thologiques et culturelles diverses, nous sommes aussi en prsence de diffrentes ecclsiologies de type confessionnel et qui se distinguent, parfois considrablement, dans leurs visions de lEglise, de sa nature, de son rapport au monde et de son rle dans le dessein de Dieu. Cette dispersion ecclsiologique constitue un obstacle majeur la progression dun cumnisme cohrent et efficace. Cest pourquoi llaboration dune ecclsiologie cumnique de base sest prsente aux dlgus des Eglises rassembls Canberra, comme une des tches les plus
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Ibid., 58. Ibid., 60. 3 Ibid., 54-55.

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ncessaires mais aussi les plus difficiles laquelle devaient faire face ensemble les Eglises. Mettre laccent sur la pneumatologie pourrait aider les Eglises rconcilier leurs doctrines respectives. La rflexion ecclsiologique commune devrait partir de la conception de lEglise comme communaut de gens rassembls dans lEsprit1. Vu que la koinnia chrtienne ne saurait tre spare de la communion humaine laquelle Dieu appelle tous les hommes, les ingalits sociales et conomiques qui divisent lhumanit psent aussi sur les Eglises et empchent souvent lunit des chrtiens. Au nom de lcumnisme, les Eglises doivent sengager solidairement pour un monde juste et quitable selon lEsprit du Christ2. La rconciliation des Eglises avec le monde doit commencer par la reconnaissance de leur part de responsabilit dans les divisions entre les peuples, les races, les classes sociales, les sexes, etc. A travers toute lhistoire du christianisme, des Eglises se sont, plusieurs reprises, rendues coupables dimplications politiques inappropries qui ont contribu crer ou entretenir des sparations au sein de la famille humaine3. Investie de la force de lEsprit, lEglise est envoye dans le monde pour y accomplir une mission de rconciliation. Celle-ci trouve son fondement thologique dans la participation (koinnia) de Dieu la vie des hommes par lIncarnation du Christ, et dans son uvre de salut accomplie en faveur de toute lhumanit. Envoye par le Christ pour perptuer sa mission, lEglise exerce, au nom du Christ et sur son commandement, un ministre de rconciliation au sein du monde (2 Co 5, 18+)4. Le but de ce ministre est de rassembler tous les hommes dans une communaut de justice, damour et de partage, dans laquelle toute personne est traite pied dgalit et considre comme un frre ou une sur dans la commune humanit5. Les Eglises sont appeles sengager avec tous les hommes de bonne volont, quelles que soient leurs convictions religieuses ou idologiques, pour la construction dune communaut humaine universellement rconcilie. A la base de cet engagement commun pour un monde meilleur et plus juste, se trouve notre condition humaine unique, la vie dans le mme monde et la

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Canberra. Dossier, 60. Canberra. Guide, 21-22 3 Canberra. Dossier, 56-57. 4 Canberra. Dossier, 54. 5 Ibid., 61.

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vocation de tous les tres humains se servir les uns les autres. Dans cette perspective, toutes les ressources dont jouissent les Eglises matrielles, culturelles, thologiques, humaines, etc. doivent tre utilises pour lenrichissement de toute la famille humaine. Ainsi, lEglise manifestera au monde le caractre universel de sa mission de rconciliation et dunit1. Cependant, cela pose aux Eglises la question ambivalente de leur identit spcifique chrtienne et de leur distinction par rapport au monde. En effet, pour sa cohsion et son unit, toute communaut a besoin dune identit, de convictions partages et dobjectifs communs2. Tout en vivant dans le monde, les chrtiens ont pourtant la conscience de ne pas tre de ce monde et de constituer, au sein de lhumanit, une communaut distincte et originale. Dans un monde pluraliste, lpoque de la mondialisation, leur dfi consiste affirmer, avec conviction, leur identit chrtienne, en la vivant comme un schma ouvert aux inspirations nouvelles de lEsprit-Saint dans un monde en mouvement. 7.4. Une tude orthodoxe sur lunit Dans le sillage des prparatifs de lAssemble, un colloque orthodoxe runissant une trentaine de thologiens orthodoxes et orientaux non chalcdoniens , sest tenu sur lle de la Crte du 25 novembre au 4 dcembre 19893. Son but tait dapporter lAssemble la vision et les perspectives orthodoxes sur le thme gnral et les sous thmes prvus. En saluant le thme de lAssemble, le colloque a rappel que la thologie occidentale prsentait souvent des tendances christomonistes, et que la personne et luvre de lEsprit-Saint dans lEglise nont pas toujours t assez dveloppes4. Du point de vue orthodoxe, la question de la koinnia ecclsiale envisage dans une perspective pneumatologique doit tenir comte de quelques remarques prliminaires. Tout dabord, toute thologie de lEsprit Saint doit tre place dans le contexte dune thologie trinitaire, car tout ce quaccomplit lEsprit reste en relation intrinsque avec ce que font le Pre et le Fils5. Dans les

Canberra. Guide, 22-23. Canberra. Dossier, 64. 3 Rflexions orthodoxes sur le thme de lAssemble, dans CASTRO, E. Op. cit., 115-131. 4 Ibid., 115. 5 Ibid., 116.
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crits des Pres, notamment orientaux, la pneumatologie reste toujours troitement lie la thologie trinitaire. De mme, la pneumatologie ne peut jamais tre spare de la christologie, car lEsprit Saint uvre avec le Christ et cest lui qui le dsigne comme Sauveur1. Pour dvelopper une thologie cumnique quilibre, une juste synthse entre la christologie et la pneumatologie est donc indispensable. La sotriologie orthodoxe est profondment marque par lide de theosis dification qui signifie la fois la sanctification et la glorification. La theosis du fidle saccomplit par la force de lEsprit Saint. Cest pourquoi, toute la tradition orthodoxe insiste sur limportance de linvocation de lEsprit dans la prire epiclesis2. Toute la thologie orthodoxe est centre sur la notion de koinnia, autant dans sa rfrence Dieu que dans sa rfrence lEglise. La Trinit est une communion de vie et damour entre Pre, Fils et Esprit. LEsprit-Saint est un Esprit de communion (cf. 2Co 13, 13) et il est lEsprit de lEglise qui permet ses membres de transcender leurs individualismes diviseurs et de crer ensemble une vritable communaut de frres et de surs dans le Christ. Cet Esprit de lEglise est lEsprit du Christ (cf. Rm 8, 9-11) qui faonne la communaut ecclsiale en corps du Christ. Invoqu dans une prire picltique sur le pain et le vin et sur lassemble lors de la synaxe eucharistique, lEsprit transforme ces lments de la cration en corps et sang du Seigneur, en mme temps quil transforme aussi les participants individuels en corps du Christ Eglise3. Regarde la lumire de ces principes, la rflexion cumnique sur lunit visible des chrtiens et sur ses formes possibles prend des dimensions particulires. LEsprit Saint est celui qui ralise lunit de la communion ecclsiale. Selon un ancien hymne orthodoxe de la fte de la Pentecte, lorsque le Trs-Haut envoya les langues de feu, il nous a appels lunit. Cest pourquoi, dune seule voix, louons lEsprit trs Saint4. Dans lEglise, le Saint Esprit nous est donn pour restaurer notre relation avec Dieu et les uns avec les autres ; relation qui a t altre par le pch. En participant la vie et la pratique de lEglise, les chrtiens se librent de leur esprit
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Ibid., 116. Ibid., 117. 3 Ibid., 117-118. 4 Ibid., 123.

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de division dcoulant du pch et reoivent le don de lEsprit de communion qui les unit les uns aux autres dans le corps du Christ. Malheureusement, lintrieur mme de la communaut chrtienne, le pch de divisions nest pas encore surmont. Le mouvement cumnique se prsente comme un signe de lEsprit dunit qui conduira un jour les Eglises lunit ecclsiale pleine et visible. Cette unit sera celle dune communaut eucharistique rconcilie et apte rassembler autour de la mme table tous ceux qui invoquent le saint nom du Dieu trinitaire et qui appellent le Christ leur Seigneur1. Les potentialits de cette unit nous ont t donnes lors de notre baptme chrtien par lequel nous avons reu lEsprit de koinnia. La grce baptismale est une grce de rconciliation : elle efface le pch qui divise et reconstitue notre communion originelle avec Dieu, avec le prochain et avec la cration tout entire. tre baptis, cest recevoir lEsprit Saint grce auquel nous pouvons construire une koinnia partir des charismes particuliers que chacun a reus du mme Esprit pour le bien de tous (1Co 12, 4+)2. Cest en cooprant avec lEsprit de notre baptme que nous pourrons restaurer la plnitude visible de notre koinnia dans lEglise. Conscients que cette unit laquelle aspirent les chrtiens ne peut tre le rsultat des efforts humains aussi importants et ncessaires quils soient , les fidles orthodoxes invoquent dans une humble et confiante piclse que lEsprit fasse advenir lunit l o Dieu la veut, quand il la veut et selon la forme quil veut3. Lunit pleine et parfaite est celle du Royaume de Dieu qui ne pourra se raliser dfinitivement qu lavnement ultime du Christ que nous attendons dans la foi. Malgr les forces dmoniaques de division qui continuent nous dfier lintrieur mme de la communaut chrtienne, les chrtiens croient que dans lEglise nous gotons dj les prmices de cette unit eschatologique.

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Ibid., 124. Ibid., 125. 3 Ibid., 126.

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7.5. Une tude catholique sur la diversit Le mouvement cumnique actuel recherche une forme dunit visible de lEglise qui tienne compte de la diversit des traditions chrtiennes et de la varit de contextes socioculturels dans lesquels vivent les fidles. Plusieurs tudes trs approfondies et bien documentes ont t consacres ce problme par des cumnistes renomms dans chacune des Eglises. On a pris lhabitude de parler propos de cette question dune unit par la diversit1 ou dune diversit rconcilie2. Pour la forme visible de cette conception on a propos le modle de lEglise communaut conciliaire3. Cette insistance sur la diversit nest pas sans poser des problmes srieux lecclsiologie car, sil y a une bonne diversit qui enrichit la communion ecclsiale, il y a aussi une mauvaise diversit qui la dchire4. La question est de savoir o passe la frontire entre les deux, et un problme cumnique important consiste dans le fait quelle ne passe pas au mme niveau pour toutes les Eglises. Une des tches cumniques particulirement difficiles est donc de dterminer le statut de la diversit lintrieur de la communion ecclsiale. Il sagit de proposer une conception de lunit dans laquelle les diffrences seront perues par tous comme une richesse commune de lEglise une et unie. Cette question a t discute dans la Section III de Canberra avec un apport important du pre Tillard, grce un article publi dans le volume prparatoire5. Le pre Tillard, dans son tude sur la diversit voit dans lEsprit Saint, qui est la Force rconciliatrice lintrieur de lEglise, la fois lauteur et le garant de la koinnia. Cest en adhrant cette rconciliation en
1 CULLMANN, O., Lunit par la diversit: son fondement et le problme de sa ralisation, Paris, 1986. 2 LANNE, E., Pluralisme et unit : possibilit dune diversit de typologies dans une mme adhsion ecclsiale , Istina 14 (1969), 171-190. 3 Rappelons ici quofficiellement, dans le COE, le concept de communaut conciliaire incluant lide dun concile universel a t propos par la 5me Assemble mondiale Nairobi en 1975. Cf. MEYER, H., Les modles dunit que nous trouvons acctuellement dans lEglise , Unit des chrtiens 27 (1977), 17-21. 4 MEYER, H., La notion dunit dans la diversit rconcilie et le problme de lidentit confessionnelle , Irnikon 57 (1984), 27-51 ; LANNE, E., Unit et diversit, au sujet de quelques propositions rcentes , Irnikon 60 (1987), 16-46. 5 TILLARD, J.M.R., Esprit, rconciliation, Eglise , dans CASTRO, E. Op. cit., 85102.

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Pneumati que les Eglises retrouveront la plnitude de leur koinnia en Christ. La diversit nest pas de soi une source de division ; elle est dailleurs suppose dans le concept mme de koinnia. La division vient de la radicalisation dune particularit qui conduit progressivement lmergence dentits juxtaposes lintrieur dune communion initiale1. Dans une ambiance de comptition, chaque entit accentue ce qui la distingue des autres et minimalise ce qui lunit aux autres. Cette attitude mne des disparits irrductibles et lclatement de la communion initiale en morceaux figs sur eux-mmes, qui ne reconnaissent pas les autres comme membres de la mme communion. De nombreux tmoignages du Nouveau Testament nous parlent de lEsprit-Saint qui agit dans la vie des croyants. Cest lui qui les unit au Christ et les fait participer son uvre salvifique : on ne saurait tre en Christ sans tre en Pneumati2. Toutes les traditions apostoliques considrent lEsprit comme le principe divin de la communion, qui fait participer les fidles la vie trinitaire. Selon saint Athanase, cest en Pneumati que nous avons lamour du Pre, la grce du Fils et la communion de lEsprit-Saint3. Le Christ et lEsprit sont les deux bras du Pre par lesquels nous sommes sauvs. Le en Christ et le en Pneumati sont ainsi insparables, car les deux ralisent notre salut. Ce salut est la koinnia ternelle en Dieu Pre, Fils et Esprit. Tous ceux qui par leur foi sont en Christ et qui par le don de lEsprit reu au baptme sont en Pneumati vivent dj les prmices de leur koinnia ternelle dans cette communaut de salut quest lEglise. La koinnia ncessite la rconciliation entre Dieu et lhumanit pcheresse. La spcificit de cette rconciliation consiste dans le fait quelle est donne dans un corps celui du Christ dans lequel les croyants sont introduits par lEsprit4. Comme le dit saint Paul, nous avons tous t baptiss dans un seul Esprit pour tre un seul corps, et cest ainsi que nous sommes le corps du Christ et ses membres, chacun pour sa part (1Co 12, 13-27). Dans ce corps, la communion entre le Christ et le croyant est insparable de la communion entre tous les membres du corps car tous nous avons t abreuvs dun mme Esprit (1Co 12, 13), cest pourquoi, le mme Esprit qui habite en chacun les
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Ibid., 86. Ibid., 87. 3 ATHANASE, Lettre Serapion I, 30 : SCh 15, 138-139. 4 TILLARD, J.M.R., Esprit, rconciliation, Eglise , 89.

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soude tous en communion (Rm 8, 9). Pour demeurer dans la communion, il est ncessaire de demeurer dans le corps dont la vie vient de lEsprit ; celui qui se coupe du corps dans lequel les membres ont la vie, meurt1. Saint Paul a recouru limage du corps pour signifier que lEglise de Dieu tait une koinnia de ceux que lEsprit incorpore au Christ. La koinnia nest pas une addition mathmatique des individus mais un flot vital dans lequel se nouent des changes, des solidarits, des responsabilits rciproques, des influences multiples, etc. Il sagit dun rseau de relations existentielles dans lequel un membre ne peut pas vivre en faisant abstraction des autres membres. Cest pourquoi, lEglise dans laquelle les hommes sont rconcilis avec Dieu est aussi le lieu de leur rconciliation entre eux, car la koinnia avec Dieu implique ncessairement la koinnia avec les autres. Et cest ainsi que lEglise se rvle comme tant dans sa nature une koinnia, tant verticale quhorizontale la vie de communion2. Cest lEsprit-Saint qui communique aux membres du corps du Christ la vie du Ressuscit ; il est comme lme du corps, le principe divin de sa vie et de son unit3. Cela nous amne dire que lunit de la koinnia ecclsiale ne vient ni de la bonne entente entre les individus, ni de leur consentement humain, mais de la pntration dans chaque membre du corps de la grce du Ressuscit par laction de lEsprit-Saint4. Cest lEsprit-Saint qui est le lien de la koinnia de tous les membres dans le corps du Christ. Selon la Tradition, cest surtout dans la clbration eucharistique que la communaut la fois exprimente, exprime et affermit la koinnia en Christ et en Pneumati. Dans les prires eucharistiques de la tradition orientale, la venue de lEsprit est sollicite non seulement sur les offrandes mais aussi sur la communaut qui clbre, afin que ceux qui reoivent le corps et le sang du Christ deviennent eux-mmes par la participation ce repas pneumatique, une koinnia du corps du Christ5. Plusieurs piclses des prires eucharistiques du Missel romain
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Dans le langage johannique, limage de la vigne et des sarments est significative ce sujet, Jn 15, 1-6. 2 TILLARD, J.M.R., Esprit, rconciliation, Eglise , 90. 3 Ibid., 90. 4 Ibid., 91. 5 Dans la Liturgie de saint Jean Chrysostome, lEsprit-Saint est sollicit pour transformer les dons offerts sur lautel afin que ceux qui y communient deviennent une koinnia du Saint Esprit (cit par Tillard, ibid., 91).

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demandent aussi que lEsprit Saint soit donn aux participants du repas du Seigneur, pour les unir en un seul corps1. Ainsi, leucharistie, Dieu, par lEsprit, unit en Christ tous ceux que le Seigneur a rconcilis par sa croix (Ep 2, 13-16). Par la participation un seul corps et une seule coupe, tous les membres de lEglise sont rconcilis en-un-seul-corpsdu-Christ, dans lequel les divisions sont surmontes et la koinnia devient relle. LEglise se prsente ainsi comme un lieu de rconciliation. Cependant, cette rconciliation lui est accorde la fois comme un don et comme une mission accomplir elle devient ainsi dans et pour le monde une servante de la rconciliation. Cette mission est universelle et concerne tous les hommes appels par Dieu tre incorpors dans ce corps de rconciliation2. Dans la perspective de cette mission, toute division entre les chrtiens non seulement brise la koinnia du corps ecclsial mais aussi contredit fondamentalement la vocation et la nature rconciliatrices de lEglise. Les chrtiens sont continuellement exhorts se rconcilier entre eux pour que toute lhumanit puisse reconnatre dans leur Eglise unie un lieu et un instrument de la rconciliation universelle des hommes avec Dieu et entre eux. La rconciliation ecclsiale en-un-seul-corps de tous les chrtiens, nest ni labsorption dun groupe par un autre, ni la constitution dun tertium quid. Elle consiste dans la koinnia lintrieur de laquelle une lgitime diversit existe entre des communauts locales vivant dans diffrents contextes socioculturels. Dj le Nouveau Testament tmoigne du fait que lEglise des gentils et celle des Juifs nont pas t identiques, mais que chacune possdait des trais spcifiques. La diversit qui est acceptable et mme dsirable pour la vie de la koinnia est celle qui ne contredit pas la Rvlation divine mais qui, conformment son tmoignage, cherche une vie dharmonie entre des communauts et des groupes dont les diffrences sont reconnues et considres comme des enrichissements mutuels. La seule diversit qui doit tre limine est celle qui contredit les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde et par lesquelles vit lEglise de Dieu3.

Prire eucharistique II ; cf. Prire eucharistique III : quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de lEsprit Saint accorde-nous dtre un seul corps et un seul Esprit dans le Christet autres. 2 TILLARD, J.M.R., Esprit, rconciliation, Eglise , 93. 3 Ibid., 94.

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Ce que la Tradition appelle communment le Concile de Jrusalem (Ac 15, 1-35) est un exemple, du temps des aptres, dune diversit rconcilie lintrieur de la koinnia ecclsiale. Selon le verdict des aptres, il ne fallait imposer aux communauts locales disperses dans le monde que des exigences invitables in quod requiritur et sufficit1. Le Nouveau Testament montre lvidence que lunit dans la foi nimpliquait pas une seule discipline partout ; de mme, ladhsion commune et pleine de tous lvnement de JsusChrist nimpliquait pas non plus une seule christologie partout. Les communauts chrtiennes tablies Antioche, Corinthe, Rome, Ephse, etc., taient toutes diffrentes les unes des autres ; et pourtant, elles se reconnaissaient unies dans une seule foi en Christ. En adhrant la plnitude du message vanglique dans des contextes divers, elles craient des formes dexpression varies de cette mme foi. Cette adhsion commune la plnitude dune mme foi leur permettait dtre en koinnia ecclsiale dans une diversit rconcilie. Cette rconciliation tait considre comme une uvre de lEsprit-Saint qui animait la vie en Christ de chacune delles2. Entre ces communauts locales varies lextrieur mais animes de lintrieur par le mme Esprit, lunit sexprimait par la reconnaissance partout dun seul ministre reli aprs les temps apostoliques lvque , le partage des biens spirituels et matriels et dautres gestes comme lchange des lettres de communion, des visites des vques, laccueil rciproque leucharistie des voyageurs, etc3. Tous ces signes exprimaient la koinnia en Pneumati qui existait entre tous ceux qui demeuraient en Christ. Aujourdhui de mme, lEsprit de koinnia qui anime le corps du Christ est le principe dune unit ecclsiale diversifie. Cet Esprit pousse les chrtiens une koinnia ralise par une seule foi, un seul baptme, un seul ministre, une vie communautaire et une seule eucharistie. Lunit dans ces lments constitue la condition ncessaire dune pleine communion ecclsiale et celle-ci est diminue l o elle ne se vrifie pas4.

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Ibid., 94. Ibid., 95. 3 Ibid., 96-97. 4 Ibid., 97.

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Regarde dans cette perspective, la tche oecumnique sinscrit dans luvre rconciliatrice de lEsprit. Dans leur engagement en faveur de lunit, les Eglises ne peuvent oublier que la koinnia doit se faire autour de ce que Dieu, par son Fils dans lEsprit-Saint, rvle lEglise et non pas par une dcision dmocratique des chrtiens. La norme ne peut tre autre que celle de ladhsion sans rticences la koinnia ecclsiale avec tous ses lments constitutifs. Pour persvrer ensemble dans une seule foi et garder en mme temps une lgitime diversit, lunanimit sur les points essentiels de la doctrine est requise. La Tradition vivante de lEglise, par laquelle la foi apostolique nous est parvenue, a nonc ces points essentiels de la doctrine dans les credo surtout celui de NiceConstantinople , et dans les dcisions des Conciles cumniques du premier millnaire, cestdire de lpoque o lOrient et lOccident maintenaient encore la communion ecclsiale1. Toutes les communauts qui demeurent dans cette Tradition apostolique appartiennent lEglise que le credo de NiceConstantinople appelle catholique (cestdire la fois complte et universelle). La catholicit ne lui vient pas de laddition des communauts locales disperses dans le monde mais du fait que dans chacune de ces communauts, lEglise du Christ est prsente avec la totalit de la foi et lensemble des moyens de salut2. Ainsi comprise, la catholicit est la fois une notion quantitative et qualitative. Elle vient de la prsence rconciliatrice dans la koinnia ecclsiale de lEsprit-Saint, qui rend chaque communaut dEglise catholique en la faisant adhrer la mme foi. Envisage la lumire de la mission universelle de lEglise qui est celle dtre un lieu de koinnia salvifique pour toute lhumanit, la catholicit implique la diversit : le don du salut doit tre port tous les peuples de toutes les langues, sensibilits, traditions culturelles, systmes sociopolitiques, etc. Ladhsion sans rticences de toutes les communauts de la koinnia une seule foi en Christ leur permettra de se reconnatre mutuellement comme catholiques en Pneumati, travers leurs diversits rconcilies3. Cest ainsi que, dans lEglise, lEsprit est la force rconciliatrice qui la maintient dans la koinnia.

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Ibid., 97-98. Ibid., 98. 3 Ibid., 99.

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7.6. La Dclaration de Canberra LAssemble de Canberra a adopt une dclaration sur lunit intitule Unit de lEglise en tant que Koinnia : Don et Vocation1. A la demande du Comit central du Conseil cumnique des Eglises, ce document avait t prpar par la commission Foi & Constitution et amend par la Section III avant dtre vote par lAssemble. La Dclaration demeure en continuit avec les documents prcdents du Conseil et ceux de la Foi & Constitution. Elle dsigne la future unit visible de lEglise par le terme koinnia, employ dj communment dans les Eglises lpoque de la Dclaration. Elle reflte les apports du dialogue cumnique men par les Eglises autour du thme de koinnia, depuis le lancement officiel de cette conception de lunit Nouvelle Delhi en 1961. La dclaration de Canberra situe le thme de la koinnia ecclsiale par rapport au dessein de Dieu qui veut runir tous les humains dans une communion de salut dans le Christ, par lEsprit2. Ainsi, la koinnia vers laquelle les Eglises sont appeles tendre ensemble, est place dans le cadre de lunit universelle dsire par Dieu pour toute lhumanit. Sur ce point, la Dclaration reste en continuit directe avec les Assembles prcdentes (notamment celles dUpsal et de Nairobi) qui ont dj introduit cette dimension duniversalit dans la conception de la koinnia. Dans la perspective du dessein divin, la runification des chrtiens dans une seule communaut ecclsiale nest pas un but en luimme, mais une condition essentielle pour que lEglise serve efficacement lunification de toute lhumanit en Christ par lEspritSaint. Vivant de la vie du Christ et dans la force de son Esprit, lEglise doit tre dans et pour le monde un signe authentique et crdible de la pleine koinnia des hommes avec Dieu, entre eux et avec la cration3. La communion laquelle Dieu appelle toute lhumanit est enracine dans lternelle communion de vie et damour qui existe entre les trois

Publi dans Canberra. Rapport, 192-194. Etant donn que cest un texte relativement long, nous prsentons ses affirmations essentielles et nous en citons un seul paragraphe qui en constitue le cur. Pour des analyses critiques de la dclaration par des thologiens des diffrentes Eglises voir : GASSMANN, G., et RADANO, A. (eds), The Unity of the Church as Koinonia. Ecumenical perspectives on the 1991 Canberra Statement on Unity, Faith and Order Paper 163, Geneva, WCC (non dat). 2 Dclaration de Canberra, n 1.1, p. 192. 3 Ibid., n1.1., p. 192.

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personnes de la Trinit. Par la volont de Dieu, lEglise est dans le monde un instrument de cette communion en rconciliant ses membres avec Dieu et entre eux. Dans son tre de koinnia, elle est une ralit bidimensionnelle, qui englobe aussi bien la relation avec Dieu que la relation entre les hommes1. Sa mission sadresse toute lhumanit et consiste dans la rconciliation au sein dune communaut de vie, la fois unie et diversifie, des races, des ges, des sexes, des rangs sociaux, etc. Malheureusement, lefficacit et la crdibilit de la mission rconciliatrice de lEglise sont amoindries par les divisions au sein de la communaut chrtienne ; divisions qui sont en contradiction avec la nature et le but de lEglise2. Malgr ces divisions, grce au mouvement cumnique, les Eglises sont cependant parvenues reconnatre quun certain degr de communion existe dj entre elles, et ce fait les incite prsent chercher des formes toujours mieux adaptes pour lexprimer de manire visible3. Voici, le cur de la Dclaration, une sorte de dfinition descriptive de lunit ecclsiale comprise comme koinnia : Lunit de lEglise laquelle nous sommes appels est une koinnia qui est donne et qui sexprime dans la confession commune de la foi apostolique, dans une vie sacramentelle commune laquelle nous accdons par un seul baptme et que nous clbrons ensemble dans une seule communaut eucharistique, dans une vie vcue ensemble dans la reconnaissance mutuelle et la rconciliation des membres et des ministres ; elle sexprime enfin dans la mission par laquelle nous devenons ensemble tmoins de lEvangile de la grce de Dieu auprs de tous et au service de la cration tout entire. Le but de notre recherche sera atteint lorsque toutes les Eglises seront en mesure de reconnatre dans chacune des autres, lEglise une, sainte, catholique et apostolique dans sa plnitude. Cette plnitude de communion sexprimera aux niveaux local et universel dans des formes de vie et daction conciliaires. Dans une telle communion, les Eglise sont lies les unes aux autres dans tous les domaines de leur vie commune, tous les
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Ibid., n1.1., p. 192. Ibid., n 1.2, p. 192. 3 Ibid., n 1.3, pp. 192-193.

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niveaux, par la confession de la mme foi, dans la clbration et le tmoignage, dans les dlibrations et laction1. Nous pouvons cerner les lments suivants que la Dclaration prsente comme constitutifs dune telle koinnia : - la confession commune de la foi apostolique ; - la vie sacramentelle commune englobant le baptme et leucharistie ; - la communaut de vie supposant la rconciliation entre les chrtiens ; - la reconnaissance mutuelle des ministres ; - la poursuite commune de la mission dvanglisation ; - le service commun en faveur de lhumanit (diaconie) ; - lengagement commun pour la prservation de la cration ; - la reconnaissance par toutes les Eglises de la plnitude de lecclsialit (cestdire de lEglise une, sainte, catholique et apostolique) dans chacune des autres Eglises faisant partie de la koinnia ; - ladoption de diffrentes formes de vie et daction conciliaires aux niveaux local et universel ; - la communion dans tous les autres domaines de la vie ecclsiale, notamment en ce qui concerne le tmoignage devant le monde, les dlibrations, la prise de dcisions et laction. Lunit recherche par les Eglises est dcrite dans les termes dune ecclsiologie de communion, avec lemploi frquent du terme koinnia pour dsigner la plnitude de la communion ecclsiale. Alors que la dclaration de Nouvelle Delhi a dcrit lunit recherche par les Eglises comme une communaut pleinement engage (one fully committed fellowship) et le fait de se trouver en communion avec lensemble de la communaut chrtienne (being united with the whole Christian fellowship), et que celle de Nairobi parlait dune communaut conciliaire dEglises locales (a conciliar fellowship of local churches), la prsente Dclaration parle explicitement de la plnitude de communion (full communion) ralise dans tous les domaines et tous les niveaux de la vie ecclsiale.

Ibid., n 2.1, p. 193.

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LAssemble de Canberra marque ainsi ladhsion dfinitive du Conseil une ecclsiologie de communion. Comme nous lavons vu, le thme de la communion a t successivement dvelopp par le Conseil, et surtout par la Foi & Constitution ds les annes soixante. Cependant, jusqu Canberra, il y avait toujours eu une hsitation parmi les Eglises concernant le choix dun cadre ecclsiologique commun pour les discussions sur les modles de lunit visibles. Deux tendances prdominantes staient fait ressentir : une de type fdratif et une de type communionnel. La tendance communionnelle avait tait initie au sein du Conseil par les thologiens orthodoxes mais ctait lentre des thologiens catholiques dans la Foi & Constitution qui avait t dcisive pour sa propagation. Depuis Canberra, lecclsiologie de type fdratif, soutenue initialement par laile protestante et prdominante dans la premire priode du Conseil, a t pratiquement dlaisse par le mouvement cumnique moderne. Le dveloppement doctrinal de la tendance communionnelle atteindra son apoge deux ans plus tard, lors de la Confrence de Foi & Constitution Saint-Jacques-de-Compostelle (1993) qui sera consacre entirement ltude du thme de koinnia. La dclaration de Canberra dveloppe le thme de communion dans la perspective de quatre notes traditionnelles de lEglise : la pleine communion sera ralise lorsque toutes les Eglises pourront reconnatre dans chacune des autres lEglise une, sainte, catholique et apostolique dans sa plnitude1. De plus, dans le sillage de Nairobi, la Dclaration raffirme que la pleine koinnia visible doit sexprimer par des formes de la vie commune tant au niveau local quau niveau universel car lEglise est la fois unique et compose dune multitude de communauts locales ; entre les deux niveaux de la koinnia, il y a une osmose et une interdpendance. La Dclaration attire aussi lattention du lecteur sur une mise en valeur de la communion dans la vie sacramentelle, considre comme une expression de la koinnia tant au niveau local quau niveau universel. Enfin, le baptme est prsent comme la porte dentre dans cette koinnia de la vie sacramentelle, et la clbration commune de leucharistie comme son point culminant2. Une place dimportance est galement attribue la diversit au sein de la communion3. La koinnia ne signifie pas limposition dun seul
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Ibid., n 2.1, p. 193. Ibid., n 2.1, p. 193. 3 Ibid., n 2.2, p. 193.

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modle ecclsial lensemble des chrtiens. Elle doit tenir compte de la varit des contextes culturels, ethniques, historiques, sociaux, etc., dans lesquels diffrentes communauts de chrtiens vivent au quotidien leur foi commune en Christ. Elle suppose une lgitime pluralit en organisation ecclsiale, en thologie et en liturgie. En effet, les diffrentes identits chrtiennes appartiennent la nature mme de la communion. La koinnia que recherche le mouvement cumnique nest pas une rduction contraignante de toutes les traditions chrtiennes un seul type de la vie en Eglise, mais une intgration harmonieuse de toutes les richesses spcifiques de chaque tradition dans une communion ecclsiale universellement rconcilie. La Dclaration met pourtant des limites la diversit en affirmant quil sagit dune diversit lgitime, cestdire qui ne nuit pas la communion. Les diversits illgitimes sont celles qui font obstacle la confession commune de JsusChrist comme Dieu et Sauveur, et lannonce unanime de son vangile rvl dans les Ecritures et conserv par la Tradition ; elles doivent donc tre cartes par toutes les Eglises. Sur la base de toutes ces considrations, la Dclaration recommande aux Eglises sept dfis relever en ce moment de lhistoire du mouvement cumnique pour dpasser leur coexistence dans la division et progresser ensemble vers la pleine runification visible1 : - la reconnaissance mutuelle du baptme, fonde sur laccord auquel les Eglises sont arrives dans le BEM ; - la reconnaissance du Symbole de NiceConstantinople comme lexpression commune de la foi apostolique ; - une ouverture plus grande la pratique de lhospitalit eucharistique sur la base du BEM ; - la reconnaissance mutuelle des ministres en rfrence au BEM ; - ladaptation des formes dj possibles du tmoignage commun lvangile dans des paroles et des actes ; - lengagement commun pour la justice, la paix et la sauvegarde de la cration comme lexpression de leur communion sacramentelle grandissante ;

Ibid., n 3.2, p. 194.

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des engagements concrets des communauts locales de confessions diffrentes, dans le but de manifester visiblement le degr croissant de leur communion dans la foi et la vie. La dclaration de Canberra ne doit pas tre considre comme un accord final sur lunit visible recherche par les Eglises. Elle nest quun nouveau pas en avant sur le long chemin vers la rconciliation dfinitive entre les Eglises. Elle met en relief les acquis des diffrents dialogues bilatraux et multilatraux des dcennies qui lont prcdes, et permet de mieux se rendre compte du degr actuel de la communion. Les pas concrets qui y sont proposs ne doivent pas tre mis en excution de la mme manire dans chacune des Eglises, mais toutes sont appeles sen inspirer dans leurs relations cumniques. Les signataires de la dclaration sont conscients du fait que plusieurs questions thologiques demandent des clarifications. Parmi les problmes les plus controverss, se trouvent la doctrine du ministre et celle de leucharistie mises en relation avec le problme de lunit visible de lEglise. Au fond, se sont surtout des divergences ecclsiologiques qui constituent lobstacle majeur dans le dialogue cumnique. 7.7. Les commentaires thologiques de la Dclaration A la demande du Groupe de travail entre lEglise catholique romaine et le Conseil cumnique des Eglises, le texte de la dclaration a t analys par des thologiens de diffrentes traditions confessionnelles. Leurs commentaires nous aident mieux saisir dans quelle mesure la Dclaration exprime le niveau rel de la communion actuelle entre les Eglises. Chacun des commentateurs parle titre personnel, mais ils ont t invits rester entirement fidles aux positions doctrinales tenues par leur Eglise respective1. 7.7.1. Un commentaire anglican Dans son commentaire, G.R. Evans, de la Communion anglicane, rvle des similarits entre la Dclaration et le Quadrilatral de Lambeth2. Rdig en 1888, ce dernier document, pour la premire fois dans

Les articles sont publis dans GASSMANN, G., et RADANO, J.A. (eds), The Unity of the Church as Koinonia. Ecumenical perspectives on the 1991 Canberra Statement on Unity, Faith and Order Paper 163, Geneva, WCC (non dat). 2 EVANS, G.R., An Anglican Perspective , dans GASSMANN, G., et RADANO, J.A. (eds), The Unity, 10-13.

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lhistoire de lcumnisme, proposait une base doctrinale minimale pour la runification des chrtiens. Selon le Quadrilatral, lunit de lEglise devait tre construite sur les quatre lments suivants : les Ecritures, la foi, la vie sacramentelle et le ministre. Ils sont tous repris dans la dclaration de Canberra mais dans une perspective thologique nouvelle qui est celle de lecclsiologie de la communion. Pendant de longues dcennies, le mouvement cumnique a t marqu par une bipolarit qui opposait lunit visible ou structurelle, lunit invisible ou spirituelle. Lmergence de lecclsiologie de communion au sein du mouvement cumnique se prsente comme une chance pour le dpassement de ce vieux dilemme. Selon lecclsiologie de communion, en effet, lunit ne peut tre que visible et spirituelle la fois ; un aspect ne peut jamais tre spar de lautre mais les deux doivent tre tenus ensembles, car ils sont complmentaires en tant que les deux dimensions dune unique ralit. Cette unit est dabord lunit dans la foi apostolique que la majorit des Eglises reconnaissent dans le Credo de NiceConstantinople. Le fait que la mme foi soit confesse par des communauts qui vivent en sparation pose le problme rel de la signification ecclsiologique de ce Credo. La vie sacramentelle qui commence avec le baptme et saccomplit dans leucharistie, est prsente dans la Dclaration comme une ralisation et une expression de la koinnia entre les chrtiens. Le commentateur anglican estime que le document aurait pu introduire une distinction entre lunit baptismale que nous partageons dj et lunit eucharistique laquelle nous aspirons encore sans la vivre pleinement entre nos Eglises. Il remarque que le document manque de clart sur la question de lunit sacramentelle et ses diffrents degrs possibles. En plus, dans la Dclaration, la recommandation de pratiquer lhospitalit eucharistique saccompagne dune remarque selon laquelle, les chrtiens qui nobservent pas ces rites partagent lexprience spirituelle de la vie du Christ (n 3.2). Selon le thologien anglican, deux problmes sont confondus dans ce paragraphe : celui de la communion spirituelle dans le Christ et celui de la communion sacramentelle qui se noue travers des rites clbre dans la foi par la communaut. G.R. Evans estime quil est ncessaire de maintenir la distinction entre lunit fonde sur la foi et lunit fonde sur les sacrements. La faon de parler de la Dclaration soulve le problme de la signification et de lefficacit relles des rites sacramentels. Selon notre commentateur, il est dommage quaucune rfrence lpiscopat ne soit incluse dans la
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section qui parle du ministre. Le Quadrilatral de Lambeth parlait de lpiscopat historique et cette forme de ministre demeure en vigueur dans une grande partie des Eglises. Il est certain quelle devra trouver une place au sein de lEglise rconcilie car, pour beaucoup dEglises lunit visible ne pas envisageable sans lpiscopat. A la diffrence du Quadrilatral, la Dclaration parle de la mission commune comme tant une expression de la koinnia de vie de lEglise rconcilie. Une note positive est que le texte lie tout engagement de lEglise dans le monde quil sagisse des missions proprement dites ou de lengagement en faveur des causes humanitaires et de la prservation de la cration la vie sacramentelle qui doit en tre la source et laccomplissement. Il est positif galement que lunit de lEglise soit considre dans le texte de Canberra la fois aux niveaux local et universel. Cependant, le problme qui reste toujours sans rponse univoque dans le mouvement cumnique, est celui des conditions decclsialit dune communaut locale. Diffrents corps ecclsiaux une congrgation, un diocse, une communaut de chrtiens de type national ou ethnique, etc. peuventils se voir accorder lappellation de communaut locale ? Si cest non, quel peut tre leur statut ecclsial ? La reconnaissance rciproque decclsialit entre les communauts appartenant aux diffrentes traditions historiques est cruciale pour ltablissement des structures communes permettant aux Eglises dagir et de prendre des dcisions ensemble. Est aussi saluer la distinction faite, dans la Dclaration, entre la lgitime diversit qui difie et enrichit la koinnia et celle, illgitime, qui la dtruit. Il aurait pourtant t utile de lier plus directement la diversit avec la localit. En effet, cest dans les communauts particulires que la mme foi apostolique est vcue de manires varies. Cest bien galement que le texte de Canberra parle des degrs de communion, car une communion imparfaite demeure une communion relle. Cependant, lauteur trouve inappropri lexpression pleine communion, car la communion que les Eglises recherchent dans le mouvement cumnique ne devrait avoir aucun adjectif. 7.7.2. Un commentaire catholique Cest le pre Emmanuel Lanne qui a t sollicit pour donner une apprciation de la Dclaration dans la perspective de la foi catholique1.
LANNE, E., A Catholic Perspective , dans GASSMANN, G., et RADANO, J.A. (eds), The Unity, 14-18.
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Il rappelle que le but du mouvement cumnique est la restauration de la communion dans ses deux dimensions spirituelle et visible entre les Eglises encore divises. Dans la perspective catholique, il est trs positif que le concept de koinnia a t choisi par la Dclaration comme le mot-clef pour exprimer la conception globale et totale de lunit recherche par les Eglises dans le mouvement cumnique. Lide de communion a t souligne par le concile Vatican II, notamment dans la constitution dogmatique sur lEglise, Lumen Gentium et le dcret sur lcumnisme Unitatis Redintegratio. Depuis, ce concept a t de premire importance dans la plupart des conversations bilatrales de lEglise catholique romaine avec dautres communions, notamment anglicane et orthodoxe. Le concept de communion est devenu un thme central dans les conversations entre les Catholiques et les Anglicans, finalises par un rapport intitul Eglise comme Communion (1991)1. Ce document donne une vue densemble du concept en traitant de ses divers aspects. La koinnia est enracine dans la parole de Dieu (n8), elle se manifeste effectivement dans la clbration de leucharistie et est prserve au moyen de lpiscopat qui comprend galement un ministre de primaut (n6). Une telle koinnia ralise et vcue dans lEglise est dans le monde un signe et un instrument de la grce divine par laquelle nous sommes sauvs (n7). LEglise catholique a aussi amen le thme de la koinnia dans dautres conversations bilatrales, comme celles avec les luthriens, les mthodistes et les pentectistes. Tous ces changes ont permis dapprofondir lintelligence du concept au sein du mouvement cumnique. Cest pourtant dans le dialogue avec lEglise orthodoxe que le concept de koinnia a jou ds le dbut et joue toujours le rle le plus important. Tous les documents issus de ces conversations ladoptent comme le concept-clef pour tous les sujets traits2. Le pre Lanne rvle plusieurs similarits qui existent entre la prsente Dclaration et les affirmations de Vatican II. Premirement, les deux reconnaissent lexistence dun degr rel de communion entre les chrtiens malgr leurs divisions. Deuximement, les trois dimensions

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Publi dans ARCIC (I/II), Anglicans et Catholiques. La qute de lunit, Paris, 1997. Le dialogue catholique orthodoxe a produit les documents suivants : The Mystery of the Church and the Eucharist in the Light of the Mystery of the Holy Trinity (1982); Faith, Sacraments and the Unity of the Church (1987); The Sacrament of Order in the Sacramental Structure of the Church (1988).

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primordiales de la koinnia ecclsiale, selon la Dclaration la confession commune de la foi apostolique, la communion dans la vie sacramentelle avec le baptme, et leucharistie et la communion de vie qui ncessite la reconnaissance mutuelle des membres et des ministres , correspondent aux trois lments fondamentaux de la communion ecclsiale selon lenseignement de Vatican II et qui sont la foi, les sacrements et le ministre ordonn. A la diffrence du concile, la Dclaration ajoute galement la mission commune comme quatrime dimension de la communion ; on peut la considrer comme une extension de la communion dans la vie. Du point de vue catholique, il est important de noter que la Dclaration fait rfrence aux quatre notes de lEglise. LEglise catholique reconnat que des lments de lEglise une, sainte, catholique et apostolique se trouvent chez dautres chrtiens sans pour autant y atteindre leur plnitude ecclsiale. Il est apprcier que la Dclaration parle des formes de vie et daction conciliaires aux niveaux local et universel, cependant, le sens exact de cette expression nest pas clair. Faut-il y voir une rfrence aux conciles cumniques tels que lEglise les a connus au cours du premier millnaire, ou des formes daction et de dlibrations communes linstar du Conseil cumnique des Eglises ? Il ne faut pas non plus oublier que la conciliarit nest quune expression parmi dautres de la koinnia ecclsiale. Enfin, il est regretter que dans la phrase o le texte parle de la communion exprime par la confession de la mme foi, dans la clbration et le tmoignage, dans les dlibrations et laction (n 2.1), leucharistie ne soit pas explicitement mentionne. 7.7.3. Un commentaire orthodoxe Pour les Eglises orthodoxes, lapprciation a t donne par Grigorios Larentzakis1. Dans la perspective de lecclsiologie orthodoxe, lutilisation du concept de koinnia pour parler de lunit des chrtiens est trs rjouissante. Pour la tradition orientale, ce terme dsigne lunit telle quelle est vcue dans la communion polycentrique orthodoxe, entre les Eglises locales autocphales. Il sagit de la communion entre les communauts, dont chacune possde la plnitude decclsialit manifeste surtout dans la clbration de leucharistie. Lunit de
LARENTZAKIS, G., An Orthodox Perspective , dans GASSMANN, G., et RADANO, J.A. (eds), The Unity, 19-21.
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lEglise est en premier lieu eucharistique car lEglise se constitue, dans sa plnitude, au cours de la synaxe qui runit les fidles dune communaut locale. A cause de ce caractre eucharistique de lEglise, son unit nest pas quantitative mais qualitative : elle ne rsulte pas de laddition mathmatique des chrtiens mais de leur participation au mme mystre eucharistique clbr dans chacune des communauts locales. Dans le langage de lEglise orthodoxe, on parle ici de lecclsiologie eucharistique. Telle quelle est enseigne par la thologie orthodoxe, lecclsiologie de communion se fonde dans le mystre trinitaire : Dieu qui est un et trine la fois est la koinnia dans son tre mme. La Trinit lintrieur de laquelle chaque personne est gale aux deux autres et diffrentes des deux autres, constitue le modle de lunit pour lEglisecommunion lintrieur de laquelle chaque communaut locale est la fois gale par rapport aux autres et diffrente des autres. La koinnia comme modle dunit nest pas un choix arbitraire des thologiens mais une rponse la prire de Jsus que les chrtiens soient unis entre eux de la mme manire que le Pre et le Fils sont unis entre eux (cf. Jn 17). G. Larentzakis rappelle galement que le mystre de la Trinit a constitu la rfrence essentielle dans le dialogue avec lEglise catholique sur lEglise et leucharistie. Le rapport produit par la commission mixte ce sujet porte le titre significatif Le mystre de lEglise et de leucharistie la lumire du mystre de la sainte Trinit (1982). Selon ce texte, puisque le Dieu un et unique est la communion de trois Personnes, lEglise une et unique est la communion dune multitude de communauts et lEglise locale est une communion de personnes. LEglise une et unique trouve son identit dans la koinnia des Eglises. Lunit et la multiplicit sont lies lune lautre de telle manire que lune ne peut exister sans lautre1. A la lumire de ce qui vient dtre voqu, la restauration de lunit visible sur la base dune ecclsiologie de communion et avec lvocation explicite de leucharistie et de la Trinit ne peut que rjouir lEglise orthodoxe. Celle-ci reconnat, conformment la Dclaration, quun certain degr de communion existe dj entre les Eglises et sengage lapprofondir continuellement par sa participation active au mouvement cumnique. Lauteur apprcie particulirement lquilibre

Dans Vatican Information Service 49 (1982).

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tabli entre lexigence dunit et celle de la diversit. Il rappelle la distinction ncessaire faire entre ce qui est essentiel et ce qui ne lest pas. Sil est vrai que lunit est ncessaire dans lessentiel, la libert est aussi ncessaire dans ce qui ne lest pas. 7.7.4. Un commentaire luthrien Un commentaire de la Dclaration dans une perspective luthrienne a t prsent par William G. Rusch1. Il la compare une dclaration de sa propre communion sur lunit, publie quelques annes auparavant et dite Dclaration de Budapest2. Selon lauteur, la dclaration de Canberra, considre dans la succession des textes sur lunit produits par le Conseil cumnique des Eglises depuis Nouvelle Delhi jusqu Nairobi, constitue un pas en avant. Le choix du concept communion pour parler de lunit est conforme non seulement la dclaration de Budapest mais aussi aux conceptions de lunit ecclsiale prnes par la plupart des Eglises, notamment par les traditions anglicane, catholique, orthodoxe et rforme3. Le texte de Canberra situe lunit ecclsiale dans le contexte du dessein de Dieu qui par la puissance de son Esprit veut runir lunivers entier sous un seul chef, le Christ. Cette ide est conforme la dclaration luthrienne mentionne (Canberra, n 1.1 ; Budapest, n 4 ). Les deux documents reconnaissent que la pleine communion sera acquise lorsque toutes les Eglises pourront reconnatre dans chacune des autres lEglise une, sainte, catholique et apostolique (Canberra, n 2.1 ; Budapest, n 1). Les deux dclarations donnent galement une apprciation positive de la diversit en la prsentant comme appartenant au concept de koinnia (Canberra, n 2.2 ; Budapest, n 2). Les deux rvlent avec estime des progrs considrables accomplis sur le chemin dunit grce au mouvement cumnique (Canberra, n 3.1 ; Budapest, n 3). Les recommandations concrtes proposes aux Eglises sont aussi pareilles dans les deux textes, lexception de celle qui concerne la leve des condamnations rciproques prsente dans le texte luthrien, mais absente dans celui du COE (Canberra, n 3.2 ; Budapest n 1 et n 2).

RUSCH, W.G., A Lutheran Perspective , dans GASSMANN, G., et RADANO, J.A. (eds), The Unity, 22-24. 2 LUTHERAN WORLD FEDERATION, The Unity We Seek (= Budapest Statement, 1984). 3 RUSCH, W.G., Op. cit., 22.

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La dclaration de Canberra traite cependant quelques points qui nont pas t relevs dans le texte luthrien. En parlant des divisions, par exemple, ce dernier ne mentionne pas leur caractre contradictoire avec la nature et la mission de lEglise (Canberra, n 1.2 ; Budapest, n 2). Une autre diffrence : le texte de Budapest ne parle pas explicitement de degr de communion que les Eglises possdent dj, ni des consquences de ce fait pour leurs relations (Canberra, n 1.3). Enfin, lauteur considre que la dclaration de Canberra constitue un progrs par rapport celle de Budapest et relve cinq aspects qui lui confrent une grande importance cumnique : le but de lEglise ; lunit comme koinnia ; les caractristiques de la pleine communion ; limportance de la diversit ; et lEsprit Saint comme le promoteur de la koinnia. 7.7.5. Un commentaire rform David M. Thompson a prpar une analyse de la dclaration de Canberra dans une perspective des Eglises rformes et unies1. Ds le dbut, il salue son approche de lunit dans les termes de koinnia en y voyant une voie dissue possible de limpasse ecclsiologique au sein du mouvement cumnique. Il apprcie galement que la Dclaration parle de la pleine communion en se rfrant aux quatre marques traditionnelles de lEglise. Il remarque aussi quil est assez ambigu de parler dune perspective des Eglises unies, car celles-ci reprsentent une grande varit des traditions thologiques et une pluralit decclsiologies ; ce qui sest manifest trs nettement dans leurs rponses au BEM. Il entend suivre dans son commentaire les principales affirmations de la thologie rforme. En mme temps, lauteur reproche la Dclaration davoir pratiquement ignor lexprience de communion dj vcue au sein des Eglises unies. Cette ignorance se fait ressentir notamment dans la remarque selon laquelle les Eglises se sont satisfaites dune coexistence dans la division (n 1.3). Conformment ce que dit la Dclaration, les Eglises unies reconnaissent que la koinnia devrait sexprimer dans une confession commune de la foi apostolique, la communion quant la vie sacramentelle, une mission accomplie ensemble et la reconnaissance mutuelle des membres et des ministres. Toutefois, selon elle ces
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THOMPSON, D.M., A United Reformed Perspective , dans GASSMANN, G., et RADANO, J.A. (eds), The Unity, 25-30.

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lments ne doivent pas tre poss comme des conditions prliminaires la reconnaissance de cette koinnia ni empcher la dclaration de lunit ecclsiale entre des Eglises qui possdent leurs propres conceptions de ces lments. Une attention particulire doit tre donne lutilisation dans le texte de Canberra des expressions Eglise dans sa plnitude, et plnitude de communion (n 2.1). En les analysant, lauteur soulve la question suivante : si lEglise est une koinnia, est-il justifi, dans ltat actuel des divisions, quune Eglise prtende possder la plnitude decclsialit sans possder la plnitude de communion avec les chrtiens qui se rclament dautres traditions et appartiennent dautres Eglises ? Tout en apprciant laffirmation selon laquelle la plnitude de la communion sera atteinte lorsque toutes les Eglises seront en mesure de reconnatre dans chacune des autres Eglise une, sainte, catholique et apostolique dans sa plnitude (n 2.1), lauteur rappelle la position des Eglises unies ; position exprime dans la dclaration de Colombo, et selon laquelle cette reconnaissance ne donne pas aux Eglises le droit de se juger mutuellement. Finalement, limportance donne la diversit est saluer ; selon lauteur celle-ci ne devrait jamais empcher les chrtiens vivant ensemble de clbrer leucharistie la mme table. Les Eglises unies souvrent aux propositions concrtes exprimes dans la dclaration et rappellent que la plupart dentre elles reconnaissent dj le ministre des autres et pratique lhospitalit eucharistique. Pour finir, sans revendiquer une supriorit ecclsiologique, lauteur demande que lexprience de communion vcue par les Eglises unies soit davantage reconnue et prise en considration au sein du mouvement cumnique.

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8. La cinquime Confrence mondiale de la Foi & Constitution Saint-Jacques-de-Compostelle 1993


8.1. La structure et les buts de la Confrence En aot 1993, sest tenue Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) la 5me Confrence mondiale de la Foi & Constitution sur le thme Sur le chemin dune koinnia plus grande (On the Way to Fuller Koinonia). Soigneusement prpare et profitant de la participation des cumnistes renomms provenant de toutes les grandes traditions ecclsiales, la Confrence a fourni une tude approfondie des aspects bibliques, thologiques, pastoraux et thiques de la koinnia et, pour ainsi dire, a fait le point sur ce thme qui avait proccup les Eglises depuis plusieurs annes1. Comme point de dpart des dlibrations, la Confrence a pris le document Vers la Koinnia dans la foi, la vie et le tmoignage, prpar antrieurement par la commission Foi & Constitution et appel communment Document de base2. Par la suite, ce texte dans la version anglaise a t intgr, sans changement, dans le Rapport officiel3. Parmi les objectifs de la Confrence, le Document de base numre, entre autres, ltablissement dun bilan des progrs accomplis dans les dialogues cumniques et le recensement des questions qui font encore obstacle llaboration dune vision commune de la koinnia ecclsiale4. Dans lintroduction, il contient le texte intgral de la dclaration de Canberra, Lunit de lEglise en tant que koinnia : don et vocation5. Les dlgus des Eglises, prsents Saint-Jacques-deCompostelle, ont pris pour but dexaminer la conception de lunit visible esquisse dans la dclaration de Canberra, pour voir plus
Le processus de prparation, avec ses diffrentes tapes est prsent dans la prface du Document de base, 7-8 (voir la note suivante). 2 FOI & CONSTITUTION, Vers la Koinnia dans la foi, la vie et le tmoignage. Document de base de la cinquime Confrence mondiale de Foi & Constitution, Document de Foi et Constitution 161, Genve, 1993 (cit plus loin comme Document de base). 3 Towards Koinonia in Faith, Life and Witness: A Discussion Paper publi dans BEST, T. & GASSMANN, G. (eds), On the Way to Fuller Koinonia, Geneva, WCC, 1994, 262-295. 4 Document de base, n 7-9, pp. 12-13. 5 Ibid., n 18, pp. 15-17.
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clairement quelles tapes avaient dj t franchies sur la route menant la pleine unit visible, et quels obstacles devaient encore tre surmonts. Llaboration dune conception commune de la koinnia ecclsiale sest rvle aux participants comme le dfi principal du mouvement cumnique la fin du sicle. Dans quatre Sections, le thme de la koinnia a t trait sous ses diffrents aspects. La koinnia en tant que concept de thologie et decclsiologie cumniques a t tudie dans la Section I : La comprhension de koinnia et ses implications1. La koinnia dans la confession de la foi commune, les conditions et les implications de ce fait ont t lobjet des discussions dans la Section II : Confesser la foi unique pour la gloire de Dieu2. Les exigences concrtes de la koinnia dans les diffrents domaines de la vie des Eglises ont t analyses dans la Section III : Partager la vie commune en Christ3. La Section IV : Appels un tmoignage commun pour un monde renouvel, a tudi les diffrentes manires dont les chrtiens devaient manifester leur koinnia devant le monde4. Souvent, les mmes questions considres daprs un angle de vue diffrent sont revenues dans plusieurs, voire les quatre Sections. Il est, en effet, impossible de mettre des limites claires et tranches lintrieur dun thme, dont le nom mme voque une unit fondamentale et linsparabilit de ses diffrents aspects. Foi, vie et tmoignage ont constitu les trois axes thmatiques de la Confrence. Tous ces thmes ont t envisags dans la perspective de la koinnia. La notion de koinnia, tel un fil rouge, traverse dun bout lautre tous les documents produits par la Confrence et assure lunit thologique de lensemble. La Confrence avait le dessein de clarifier la signification doctrinale de la notion de koinnia et de mesurer sa valeur en tant que concept decclsiologie pouvant servir de base pour llaboration dune vision
Rapport de la Section I: The understanding of koinnia and its implications, dans BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., 230-236. 2 Rapport de la Section II: Confessing the One Faith to Gods Glory, dans BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., 236-245. 3 Rapport de la Section III: Sharing a Common Life in Christ, dans BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., 245-253. 4 Rapport de la Section IV:Called to Common Witness for a Renewed World, dans BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., 254-262.
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commune de lunit visible1. A Saint-Jacques-de-Compostelle, les Eglises ont entrepris leffort dintgrer leurs multiples visions de la koinnia dans une approche cumnique cohrente et acceptable par tous. 8.2. La complexit de la notion de koinnia En analysant les fruits des dernires recherches bibliques, liturgiques et thologiques, la Confrence a prcis que le terme koinnia traduit en franais par communion avait un sens large et sappliquait plusieurs ralits divinoecclsiales2. Premirement, koinnia se rfre la vie divine lintrieur de la Trinit ; aux relations damour qui existent ternellement entre le Pre, le Fils et lEsprit Saint. Deuximement, ce mot dsigne le don de salut que Dieu offre gratuitement lhumanit et la cration : tre sauv signifie vivre en communion ternelle avec Dieu et avec les hommes dans un monde nouveau pleinement rconcili. Troisimement, il dcrit la vie de lEglise aux niveaux paroissial, rgional, local, universel mais aussi au niveau confessionnel, selon lacception de communion catholique, anglicane, luthrienne, etc. Quatrimement, koinnia se rapporte aux nombreux liens dunit qui relient dj les chrtiens de diffrentes Eglises malgr leurs divisions. Dans cette acception, koinnia reoit souvent un qualitatif qui la prcise (communion restreinte, imparfaite, partielle, etc.). Tous ces sens du terme koinnia sont en osmose et on ne peut les sparer des autres3. Ces quelques remarques sur le terme permettent dj de se rendre compte de la complexit du concept et de la varit des thmes qui sy rattachent. En laborant une vision cumnique de lEglise en tant que communion, il est ncessaire de garder esprit tout ce foisonnement de sens que porte en lui le terme koinnia. La Confrence a rappel que la notion de koinnia tait enracine dans les Ecritures. Les exgtes ont soulign que, dans la Bible, la communion porte une marque duniversalit : Dieu veut offrir sa communion toute lhumanit. Ce thme, comme un fil rouge, traverse
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BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n3, p. 230. Document de base, n45, p. 25. 3 A noter que le Document de base ne mentionne pas lacception eucharistique du terme (communion au corps et au sang du Christ).

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lAncien et le Nouveau Testaments, en commenant par les textes les plus anciens de la Bible1. Dans le paradis initial rgne lharmonie : Adam et Eve vivent en communion avec Dieu et entre eux avant que cet tat de choses ne soit corrompu par le pch. Aprs la chute du premier homme, et malgr les infidlits rptitives des hommes, Dieu ne cesse de rtablir la communion travers les alliances quil conclut avec son peuple (No, Abraham, Mose). Selon le tmoignage des Ecritures, vivre en communion avec Dieu, cest mettre sa foi et sa confiance en lui et adopter ses lois comme rgle de vie. Le shalom, la justice, la droiture et la misricorde, sont des attitudes qui permettent lhomme de vivre une vie de communion harmonieuse avec Dieu et avec les autres humains (Mi 6, 8). Mme si Dieu sest choisi Isral pour quil soit sa nation sainte, son dessein de communion va au-del des frontires ethniques et religieuses de ce peuple particulier : Isral est un instrument de la ralisation du projet divin de communion qui stend toute lhumanit. De nombreux textes de lAncien Testament le rvlent dj : Abraham, Dieu promet de bnir en lui toutes les nations (Gn 12, 3 ; 18, 18), Isral est appel tre la lumire des nations pour les conduire une vie de koinnia avec Dieu (Es 49, 6 cf. Es 40+ ; Za 8, 20-21 ; 14, 9)2. Cette dimension duniversalit constitue un trait particulier de lenseignement et de lagir du Christ, venu pour tablir la koinnia du Royaume sur la terre3. Il incorporait au peuple de Dieu ceux et celles que lon en excluait cause de leur mtier (Zache, collecteur dimpts : Lc 19, 1-10), de leur style de vie (la prostitue : Mt 21, 31) ou de leur nationalit (le salut dun Samaritain : Lc 17, 11-19). Son attitude suscitait des oppositions et, souvent, la koinnia navait pas pu tre tablie quau prix des conflits et de souffrances (le banquet chez Lvi : Lc 5, 27-32). A travers son ministre, Jsus se prsente comme celui par qui et en qui le Royaume de Dieu est venu sur la terre (Lc 17, 20-22). Ce Royaume consiste en une vie de communion avec Dieu et les uns avec les autres par le Christ, dans lEsprit4. Participer la nouvelle et universelle

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Document de base, nos23-24, p. 20. Document de base, n25, p. 20. 3 Ibid., n27, p. 21. 4 Ibid., n27, p. 21.

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koinnia du Royaume, cest tre en Christ (2Co 5, 17 ; Col 1, 27-28 ; Jn 15, 1-11) et avoir le Christ grce son Esprit (Rm 8, 1-11 ; Ga 2, 20)1. La ralit de cette koinnia qui saccomplit par lincorporation des fidles au Christ, est exprime travers diffrentes images bibliques qui nous aident comprendre ses diffrents aspects : le peuple de Dieu (1P 2, 9-10), le temple de Dieu (1Co 3, 16-17), la vigne et les sarments (Jn 15, 5+) et autres. Parmi ces images, celle de corps du Christ (1Co 12, 1+ ; cf. 1Co 10, 16-17) est la plus dveloppe et la plus dmonstrative2. Ce thme paulinien est particulirement important pour une ecclsiologie cumnique de communion, car il vhicule bien les deux caractristiques essentielles de lEglise envisage comme koinnia : son unit dune part, et sa diversit dautre part (notamment en 1Cor 12 ; cf. Rm 12, 4-5 ; Ep 1, 22-23). En plus, cette image nous rappelle que chaque croyant a sa place propre et quil est indispensable dans lEglise, laquelle ne serait pas complte sans lui, comme le corps nest pas complet sil lui manque un membre. Analogiquement la personne humaine, lEglise a un corps unique et organiquement uni. Les dlgus de la Confrence ont rappel que non seulement la Bible, mais aussi les Pres dOrient et dOccident et les Rformateurs du 16me sicle nous parlent abondamment de la koinnia en la prsentant comme une notionclef de lecclsiologie chrtienne3. De manire explicite ou implicite, ce thme est aussi prsent dans le mouvement cumnique ds ses origines4. Sa popularit actuelle est donc due la redcouverte par et pour lEglise daujourdhui dune notion bien ancienne, enracine dans les Ecritures et la Tradition, et qui offre une base thologique solide pour diffrents modles dunit tudis dans les dialogues cumniques, tels que communaut conciliaire, diversit rconcilie, unit organique5. Le choix de ce concept comme catgorie ecclsiologique actuellement prdominante dans le monde chrtien, a un double fondement. Tout dabord, les tudes bibliques, patristiques, historiques et thologiques sur lEglise, dune part et sur la koinnia dautre part ont permis de

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Ibid., n 31, p. 22. Ibid., n30, p. 21 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., nos15-16, p. 232. 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n1, p. 230. 4 Ibid., n2, p. 230. 5 Document de base, n21, p. 19.

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constater quil existait une intime correspondance entre ces deux notions. Ensuite, au cours du 20me sicle, les Eglises ont vcu une vritable conversion cumnique grce laquelle elles ont pu reconnatre que, malgr les divisions, certains liens de communion nont jamais cess dexister entre elles. La communion entre ceux qui croient au Christ, qui ont reu le baptme au nom de la Trinit et qui essayent de vivre selon les inspirations de lEsprit Saint, ne peut jamais tre compltement casse car elle est ancre en Dieu la source et le garant de notre communion chrtienne. Cest donc dabord lui que se rapporte le terme koinnia. 8.3. La koinnia divine et la koinnia ecclsiale Dieu est koinnia dans son tre puisquil est un mais existant en trois personnes dont chacune est diffrente des autres. Malgr cette diversit des personnes, Dieu ne perd jamais ni lunicit ni lunit de son tre mais demeure toujours un et toujours parfaitement uni en lui-mme. Au sein de ltre divin se dploie continuellement une vie mystrieuse damour entre Pre, Fils et Esprit-Saint qui maintient les trois en parfaite harmonie dexistence et daction1. La koinnia trinitaire est personnelle et relationnelle, base sur lchange continuel de lamour entre les trois personnes divines. En DieuRelation, la pluralit et lunit ne se trouvent jamais en situation dopposition mais sont harmonieusement accordes et demeurent toujours en parfait quilibre2. La koinnia des chrtiens est ancre dans la koinnia divine : elle y puise ses origines, en dpend, et se dirige vers elle dans la perspective eschatologique de la communion du Royaume. Elle est cette relation fonde sur la participation la ralit de la vie ternelle de Dieu : La grce du Seigneur JsusChrist, lamour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous (2Co 13, 13)3. LEglise en tant que koinnia des fidles nest pas dabord un rassemblement de personnes qui ont les mmes ides sur la vie mais une relation spcifique entre les croyants et qui rsulte de leur participation commune la vie de la communion trinitaire4. Construite sur ce fondement divin, la koinnia

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BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n4, pp. 225-226. Document de base, n28, p. 21. 3 Document de base, n29, p. 21 ; BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n7, pp. 230231. 4 Document de base, n30, p. 21.

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des croyants est un don que le DieuCommunion fait son Eglise et grce auquel elle aussi devient une Communion1. Dans son tre de communion, lEglise est un lieu o les chrtiens participent la vie trinitaire qui se dploie entre le Pre, le Fils et le Saint Esprit. Car comme la Trinit est un tre relationnel, de mme la structure de lEglise est relationnelle elle aussi. Ce caractre relationnel de ltre ecclsial implique quaucun fidle ne saurait vivre sa vocation chrtienne tant isol des autres : chacun a une place prendre et un rle accomplir dans la communion quest lEglise (Unus Christianus nullus Christianus)2. Ce qui est vrai des fidles individuels, lest aussi des Eglises particulires au sein de lEglise universelle. Aucune communaut locale ne peut prtendre tre elle-mme toute lEglise mais pour tre dEglise, elle a besoin de vivre en communion avec les autres communauts. Cette vie de koinnia entre la multitude dEglises locales au sein de lunique Eglise universelle est le fondement de leur et de sa catholicit3. La catholicit ainsi comprise reflte, dune certaine manire, les relations de communion entre Pre, Fils et Esprit au sein de lunique Trinit : chacune des trois personnes est pleinement Dieu mais elle ne lest jamais sans tre en communion avec les deux autres ; de mme, toute communaut locale est une Eglise acheve qui jouit de la plnitude de la catholicit la condition dtre en communion avec les autres. La multitude des membres et des communauts qui composent lEglise et le caractre relationnel de la communion ecclsiale, impliquent la fois lunit et la diversit. Les deux trouvent leur source commune dans lunit et la diversit de Dieu un et trine4. Dune part, la Confrence a raffirm la foi constante des chrtiens en lunicit et lindivisibilit fondamentales de lEglise, qui taient prserves intactes malgr les

BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n9, p. 231. Ibid., n14, p. 232. 3 Ibid., nos17-18, p. 232. 4 Cependant, il ne faut pas oublier quentre lunit et la diversit en Dieu et dans lEglise, il y a des diffrences essentielles. Dans la Trinit, il y a la diversit des personnes mais lunit absolue de lessence, du savoir et de la volont. Ceci ne peut pas tre dit de lEglise compose de personnes distinctes dans leur essence, qui possdent un savoir incomplet et ingal et qui ne sont pas parfaitement unies dans leur volont (cf. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n15, p. 240).
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divisions de lunit visible entre les chrtiens et leurs communauts1. Dautre part, elle a rappel que lEglise en tant que communion tait compose de personnes et de communauts trs varies au niveau culturel, ethnique, social, etc., et que cette diversit ne sopposait pas fondamentalement son unit2. La koinnia se construit et se dveloppe partir dune multiplicit de communauts, dont chacune est compose dune multitude de fidles tous diffrents les uns des autres. Lunit et la diversit sont les deux facettes de lEglise, indissolublement lies au sein de la koinnia ; elles sappellent mutuellement et lune ne peut exister sans lautre. Cette interdpendance entre lunit, dune part, et la diversit, dautre part, constitue un trait fondamental de la communion ecclsiale plusieurs gards. Tout dabord, en vertu de son enracinement dans la communion trinitaire : linstar de Dieu qui est Unit et Diversit, lEglise qui vit de sa vie est aussi une et multiple3. Ensuite, la diversit dans lEglise se fonde dans la varit des dons particuliers que Dieu, par son Esprit, dispose aux chrtiens en vue de la construction de leur koinnia (1Co 12)4. Tout chrtien reoit des dons spcifiques quil est appel mettre au service de tous. Chacun a une place propre dans la mosaque ecclsiale, dont la cohrence mme repose sur la diffrence de chaque lment qui doit pourtant saccorder avec lensemble de limage. Toute sorte dindividualisme et toute sorte dlitisme doivent tre exclues dune ecclsiologie de communion selon laquelle lunit et lunicit de lEglise se construisent partir de la multiplicit et de la diversit des membres. Ainsi, lEglise senrichit et grandit dans son tre de communion grce la particularit de chacun des fidles car il nexiste aucun chrtien qui ne soit touch par les dons divins et appels servir la communion. Finalement, le caractre dincarnation de la foi chrtienne implique invitablement qu travers le monde et lhistoire, les chrtiens vivent et expriment leur foi de manires varies, suivant les divers contextes sociaux, politiques, conomiques, culturels et religieux dans lesquels ils se trouvent5. Toutes ces raisons montrent lvidence

Ibid., n2, p. 225. Ibid., n20, p. 232. 3 Ibid., n10, p. 231. 4 Ibid., n8, p. 231. 5 Document de base, n55, p. 30; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n13, p. 240.
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que pour exister la manire dune koinnia, lEglise a besoin tant de lunit que de la diversit. Bonnes en soi et indispensables pour que lEglise vive ce quelle est dans son tre, la diversit et lunit constituent nanmoins des menaces pour la koinnia : la premire porte le danger de divisions, la seconde, celui duniformisation. Pour que la diversit nentrane pas des divisions, elle doit tre incluse dans lunit ; pour que lunit ne conduise pas une uniformit strile, elle doit tre respectueuse de la diversit1. Cette dernire est lgitime aussi longtemps quelle sert lunit de lEglise dans la foi, la vie et le tmoigne2 ; elle devient illgitime lorsquelle empche la confession commune de la foi en Christ, la vie de communion entre les fidles et leur tmoignage unanime devant le monde3. En effet, certaines diffrences dans les conceptions doctrinales, dans les pratiques liturgiques et pastorales, ainsi que la pluralit dattitudes thiques dans des Eglises, peuvent tre des facteurs de division et menacer la communion. Tout en mettant laccent sur la foi, il ne faut pourtant pas ngliger la porte potentiellement diviseuse de la diversit liturgique et pastorale des Eglises qui peut conduire aux ruptures dunit4. La foi est intimement lie la liturgie qui lexprime et la clbre, cest pourquoi, la diversit liturgique peut dmontrer, parfois mieux quune analyse thologique, de profondes divergences dans la confession de foi. De mme, des comportements thiques diffrents peuvent manifester de profondes divergences concernant les implications existentielles de la foi dans la vie des croyants, des socits civiles et des Eglises. Le concept de koinnia appliqu lEglise nest donc pas affranchi des ambiguts qui concernent la relation entre la diversit et lunit lintrieur de la communion ecclsiale5. Il nest pas toujours facile de dterminer lesquels des comportements appartiennent la lgitime diversit doctrinale, liturgique ou thique, et lesquels sont des signes de manque de communion. Cest ainsi que la koinnia qui est un don de Dieu pour son Eglise demeure toujours une vocation commune tous les chrtiens appels lentretenir, la prserver et la

Document de base, n35, p. 23. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n15, p. 240. 3 Ibid., n17, p. 241; cf. Canberra Statement, 2.2. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n4, p. 238. 5 Document de base, n36, p. 23; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n 19, p. 232.
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faire crotre selon le dessein de Dieu, pour manifester ainsi au monde la volont divine pour toute lhumanit. Cette vocation spcifique de lEglise montrer dans sa vie ce quelle est dans son tre cestdire la koinnia dcoule de lenracinement de la communion chrtienne dans la communion divine : dans leurs relations rciproques, les chrtiens doivent reflter la vie de la communion trinitaire laquelle ils participent par la foi et les sacrements1. Cest Dieu qui, au sein de lEglise, les unit les uns aux autres dans le Christ et par lEsprit, et qui les appelle une vie de koinnia fraternelle2. A lintrieur de ltre divin, lunit est prserve grce au lien damour ternel entre le Pre, le Fils et lEsprit Saint ; de mme, dans lEglise, la charit est le ciment qui maintient continuellement les fidles dans la communion3. Cet amour fraternel resserre et perfectionne la communion noue dj par la foi, scelle par le baptme et confirme dans la clbration de leucharistie4. La communion des fidles est galement renforce par la poursuite des mmes principes moraux dans lobissance au Christ, par le tmoignage de foi devant les hommes, par le souci commun de prserver la cration, par une vie de service fraternel, etc5. En rsum, la mme foi exprime dans une vie de communion, clbre dans la liturgie et confirme par un engagement commun pour le salut du monde, produit et approfondit continuellement dans les fidles un esprit commun qui assure la cohrence et la solidit de leur koinnia. Conscients des sources divines de leur communion, les chrtiens devraient sengager ensemble non seulement la prserver en gardant fidlement toutes ses parties intgrantes, mais encore la rtablir dans sa plnitude l o elle est brise par des divisions. Une rponse au don divin de koinnia est lengagement actif des Eglises en faveur de la promotion de leur unit visible6. Le mouvement cumnique est une ralisation concrte de lappel divin adress tous les chrtiens dtre dans le monde une koinnia.

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BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n13, p. 231. Ibid., n2, p. 225. 3 Ibid., n13, p. 231. 4 Ibid., n4, p. 230. 5 Document de base, n24, p. 20 et n 32, p. 22; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n9, p. 231 et n25, p. 234. 6 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n4, pp. 225-226.

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8.4. Aspects de la koinnia ecclsiale La pleine communion ecclsiale implique ncessairement lunit dans la foi, la vie et le tmoignage, et requiert des structures communes qui la rendent possible et effective. La Confrence sest penche sur chacun de ces lments. 8.4.1. La koinnia dans la foi et sa porte relle La koinnia est indissolublement lie la foi : croire, cest vivre en communion avec Dieu1. Fondement de la communion personnelle de tout croyant avec Dieu, la foi est aussi un fondement essentiel de la communion entre ceux qui croient en lui. La Confrence de SaintJacques-de-Compostelle a fait le point sur les progrs qui avaient t accomplis dans le domaine de la comprhension commune de la foi et sur les difficults qui demeuraient encore rsoudre, avant que toutes les Eglises puissent confesser unanimement la mme foi. La foi de lEglise senracine dans la rvlation contenue dans les saintes Ecritures de lAncien et du Nouveau Testaments. Selon la conviction commune des Eglises, la Bible constitue le tmoignage normatif de la foi. Toutes sont aussi daccord pour dire que les Ecritures admettent une diversit dinterprtation de la rvlation dont elles tmoignent. Afin que cette diversit ne conduise pas lclatement de la communion dans la foi, les Eglises ont besoin de fixer certains principes hermneutiques communs pour linterprtation de la Parole de Dieu2. Sur la base des Ecritures, les chrtiens croient unanimement en un Dieu unique et trine : Pre, Fils et Esprit Saint. Ils confessent que Jsus Christ le Fils ternel du Pre n de la vierge Marie, mort et ressuscit pour la rdemption du monde , est le Sauveur de lhumanit. Ils croient en lEsprit Saint qui anime lEglise et qui est la puissance divine de sa vie. Cette foi trinitaire constitue la racine mme de la koinnia de tous les chrtiens travers le monde et lhistoire3. Les premires communauts de croyants avaient reu cette foi des aptres, et depuis les origines lEglise, la conservent et la transmettent de gnration en gnration en demeurant fidle leur tmoignage. La Tradition
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Document de base, n22, p. 19. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n18, p. 241. 3 Ibid., n47, p. 27.

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apostolique, dans laquelle se rencontrent la foi et la vie de lEglise constitue une regula fidei principe unifiant sous linspiration de lEsprit Saint qui maintient lEglise en fidlit sa foi des origines, travers lvolution quelle endure dans lhistoire1. Cette foi des origines nest pas enferme dans une formule doctrinale particulire2. Il sagit de la rvlation historique ralise par Dieu dans la personne et luvre de JsusChrist, dont tmoignent les Ecritures. Cette foi est exprime de manire brve dans des confessions (Credo), elle est clbre dans la liturgie de lEglise et elle sexprime galement travers la vie des chrtiens. Lexpression foi apostolique renvoie ainsi la foi que lEglise a reue du Christ par lintermdiaire des Douze, quelle conserve fidlement travers les sicles dans son enseignement, sa liturgie et sa vie, et dont elle ne cesse de rendre compte devant le monde de multiples manires3. La foi apostolique englobe non seulement ce que lEglise croit concernant Dieu et luvre du salut ralise par le Christ, mais galement ce quelle croit concernant elle-mme. Cest pourquoi, dans la perspective de la foi apostolique, lapostolicit voque la continuit de lEglise dans la doctrine, la vie et le tmoignage avec la communaut apostolique. Cela signifie, qu travers lhistoire, lEglise a conserv fidlement toutes ses caractristiques constitutives : la foi, lvangile, le baptme et leucharistie, les ministres, la prire, lamour fraternel, le partage et loption pour les pauvres, lunit des Eglises locales, etc4. Dans ce sens, toutes les Eglises se croient apostoliques et reconnaissent que lapostolicit est une qualit inaltrable de lEglise, fonde par le Christ sur les aptres5. Cependant, il ny a pas daccord cumnique satisfaisant concernant la reconnaissance mutuelle de lapostolicit entre des Eglises de diverses traditions et confessions. Il sagit de reconnatre dans une autre communaut de chrtiens la prsence du mme Christ ressuscit, ainsi que les moyens qui permettent aux fidles de le rejoindre. Pour nombre dEglises, cela implique la reconnaissance de la
1 Ibid., n8, p. 239. Le Document de base (n51, p. 29) emploie la distinction classique entre la Tradition et les traditions qui na pas t reprise dans le Rapport Officiel ; ce dernier utilise lexpression tradition apostolique en prcisant quelle est distinguer de la transmission du ministre ordonn (cf. BEM, Ministre, nos34-35). 2 Document de base, n51, p. 29. 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., nos6-7, p. 239. 4 Document de base, n52, p. 29 ; cf. BEM, Ministre, n34. 5 Ibid., n6, p. 239.

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succession apostolique sous sa forme dordination piscopale, et dont la chane historique remonte aux Douze. Elles y voient une garantie dauthenticit de la foi et une condition de validit des sacrements1. Toutefois, toutes les Eglises reconnaissent que lapostolicit ne se limite pas lpiscopat, ni au ministre en gnral ; elle est une affaire de toute lEglise communaut de baptiss, compose dhommes et de femmes, de ministres ordonns et de lacs et concerne lEglise dans sa totalit2. Le rtablissement de la pleine communion visible implique que chaque communaut particulire dEglise reconnatra lapostolicit de toutes les autres au sein de lEglise rconcilie. Car la foi se trouve au cur de lapostolicit, cette reconnaissance savre donc impossible sans un accord pralable sur son contenu et son interprtation. Comme nous lavons mentionn plus haut, le contenu de la foi chrtienne nest pas li de manire exclusive une formule unique. Toute formulation doctrinale de la foi est conditionne par le contexte dans lequel elle a t labore : elle porte une marque du langage de lpoque, elle est tributaire de certaines conceptions philosophiques alors en vigueur, elle reflte la mentalit dune gnration vivant dans un monde donn, etc. Le caractre incarn de la foi chrtienne et la varit des contextes culturels dans lesquels cette foi est confesse par les croyants, rsulte de la diversit des manires dont elle est exprime et vcue. De ce fait, la mme foi peut tre reconnue dans diffrentes dclarations doctrinales, dans diffrentes formes de prdication, dans le culte mme sacramentel clbr de manire varie et dans de multiples formes de la vie chrtienne3. Elle peut tre exprime dans diffrentes langues humaines et laide de divers langages thologiques refltant diffrentes faons de penser4. Cependant, toute diversit dans lEglise et de manire particulire celle qui se rapporte la doctrine doit tre intgre dans lunit de la foi apostolique pour ne pas conduire lclatement de la koinnia. Comme nous lavons dit, cette foi apostolique, dont tmoignent les Ecritures, est exprime de manire brve dans les credo ; parmi lesquels celui de NiceConstantinople Credo cumnique dont la valeur

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Ibid., n9, p. 239. Ibid., n6, p. 239. 3 Document de base, n53, p. 29 et n55, p. 30 ; cf. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n13, p. 240. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n14, p. 240.

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est particulirement importante puisquil exprime la foi de lEglise indivise des premiers sicles. La quasi-totalit des Eglises reconnat dans cette formulation la foi apostolique tout en admettant que celle-ci peut aussi tre exprime autrement1. Dans bien des Eglises, il existe dautres credo qui, de manire condense, expriment leurs croyances essentielles. Ces diffrentes formules doctrinales sont des lments de la Tradition, formes dans des contextes socioculturels et religieux varis, des poques diverses et pour diffrentes raisons. Elles varient considrablement au niveau du langage employ. Cependant, elles veulent toutes exprimer la foi chrtienne dans sa plnitude. Lexamen de leurs diffrents credo peut permettre aux Eglises de discerner la foi unique travers une varit de formulations2. Afin que cela soit possible, les Eglises ont besoin dtablir des critres communs leur permettant de discerner entre ce qui fait partie de la foi de lEglise travers les sicles et ce qui nest quune manire de parler. Autrement dit, il sagit de savoir comment reconnatre la mme foi apostolique sous ces diffrentes expressions confessionnelles3. Toutefois, pour rendre plus facile la recherche de la communion dans la confession de la foi, la Confrence a recommand toutes les Eglises dadhrer au Credo cumnique dans sa forme originelle, sans additions postrieures unilatrales4. Pour chacune delles, une telle dmarche serait un signe de leur fidlit la foi apostolique. Pour toutes les Eglises engages dans le mouvement cumnique, il est vident que

Document de base, n54, p. 30. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n19, p. 241. 3 Document de base, n56, p. 30 4 Document de base, n46, p. 27 et n53, p. 29; cf. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n5.1, p. 238 et n18, p. 241. Bien que le but de la pleine communion dans la confession de la mme foi ne soit pas encore atteint, des progrs significatifs ont t accomplis. Le document Confesser la Foi Commune (Foi & Constitution, 1991) propose une explication cumnique du credo de NiceConstantinople (cf. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n2, pp. 237-238). Ce document est un instrument appropri offert aux Eglises pour les aider dans lapprofondissement de leur foi commune (Ibid., n5.2, p. 238). Ladoption du Credo cumnique par toutes les Eglises pourrait notamment constituer une base solide pour la reconnaissance mutuelle du baptme. Il y a, en effet, une corrlation intrinsque entre lEglise, le baptme et la foi, qui constituent un tout indissociable (Ibid., n 3, p. 238). La reconnaissance mutuelle du baptme sur la base de la foi commune devrait conduire les Eglises chercher des moyens appropris pour montrer et approfondir leur communion actuelle (Ibid., n5.4, p. 239).
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sans un accord sur la foi aucune entente substantielle sur les perspectives cumniques decclsiologie ne sera possible1. 8.4.2. La koinnia dans les structures, notamment le ministre Toutes les Eglises sont conscientes quil ne suffit pas de se mettre daccord sur la foi. Afin que lEglise soit une koinnia dans le sens plnier du mot, elle a aussi besoin des structures de communion lui permettant de confesser cette foi, den vivre et den tmoigner devant le monde2. Ces structures sont ncessaires pour maintenir lEglise dans lunit et pour prserver sa cohsion tous les niveaux. Toutefois, elles doivent tenir compte de la diversit ecclsiale des communauts vivant la foi en Christ au milieu de diffrentes cultures et dans des contextes sociopolitiques trs varis. Cela signifie que les structures ne sont pas immuables, quelles peuvent varier dune communaut lautre et voluer avec lhistoire suivant les transformations de lEglise et du monde. Nanmoins, les Eglises reconnaissent aujourd'hui que lunit visible exige ncessairement des structures communes de type personnel, collgial et synodal aussi bien au niveau local quau niveau universel3. Sans structures communes, lunit visible est tout simplement irralisable. Pour servir la koinnia, ces diffrentes structures doivent tre labores ensemble et reconnues dans toutes les Eglises, malgr leur diversit. Elles doivent avoir lautorit et le pouvoir de prendre des dcisions au nom des Eglises quelles reprsentent. Leurs dcisions doivent tre reues et reconnues dans toutes les Eglises concernes4. Dans la perspective cumnique, la connexion et linteraction entre les structures personnelles, collgiales et synodales de la communion ecclsiale est cruciale. Cest seulement lorsque les

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Document de base, n59, p. 31. Ibid., n 61, p. 32. 3 Ibid., n 60, 32. Lexpression structure personnelle sentend ici dans le sens dune fonction ecclsiale, lie une autorit spcifique, accorde une personne titre individuel (comme par exemple lordination) ; lorsquil est question dune structure collgiale, il sagit dun groupe de personnes relativement restreint qui reprsentent leurs communauts ecclsiales respectives, parlent et prennent ensemble des dcisions pour elles (ex. collge piscopal) ; lappellation structure synodale se rfre une reprsentation large de tout le peuple des fidles dans sa diversit compose le plus souvent de lacs et de ministres (ex : synode diocsain). 4 Document de base, n61, p. 32.

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Eglises arriveront sentendre sur ce point dlicat quelles seront capables de croire, vivre et tmoigner en tant que koinnia. Lune des structures principales dans la plupart des Eglises est le ministre ordonn. Parmi ses fonctions spcifiques, il y a notamment la proclamation de la Parole, lenseignement de la foi et la prsidence de la clbration liturgique de leucharistie1. Parmi les ministres ordonns, lvque tient un rle particulirement important dans un grand nombre dEglises. Le but principal du ministre piscopal consiste prserver lEglise dans la fidlit ses origines apostoliques et lvangile, ainsi qu veiller sur son unit2. Pour beaucoup dEglises, ce ministre spcifique est essentiel pour le maintien de la koinnia. Cependant, le ministre ordonn, avec lpiscopat comme sa figure fondamentale, npuise pas la constitution de lEglise. Dautres structures et dautres ministres labors par des communauts chrtiennes tout au long de lhistoire de lEglise leur ont permis dans lhistoire et leur permettent encore de mener une vie de communion. A cause de leur importance particulire pour le maintien de la communion ecclsiale aux niveaux rgional et universel, il convient de citer parmi elles les Conciles. Ils ont t dans lhistoire des moyens de prserver la foi authentique de lEglise et son unit dans des moments de crise et de scissions. Aujourdhui, diffrentes Eglises possdent diffrentes structures, de type synodal et conciliaire, grce auxquelles les fidles exercent leur responsabilit communautaire pour lEglise3. Dans une Eglise visiblement rconcilie, la reconnaissance de ces diverses structures drives de la nature conciliaire de lEglise simpose comme une exigence de la koinnia. Comme toujours, aujourdhui aussi, lEglise a besoin dun service universel dunit. Ce service pastoral de prsider dans lamour sur la base de lvangile, devrait contenir la fonction de parler au nom de toute la chrtient, selon des conditions qui restent dfinir. Ce service doit tre li toutes les Eglises avec leurs responsables, et tout le peuple de

BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n24, p. 242. Ibid., n26, p. 242. Les Eglises ne sont pas daccord sur les origines du ministre piscopal : tandis que certaines estiment quil se fonde sur le choix de Douze par Jsus lui-mme, dautres y voient des dveloppements qui ont survenus dans lEglise primitive aprs la mort et la rsurrection du Christ (Ibid., nos25-26, p. 242). 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n27, p. 243.
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Dieu1. Au stade actuel de lcumnisme, les Eglises ne sont pas encore arrives une vision commune de ce service : tandis que les unes parlent dun ministre personnel, dautres rclament une forme communautaire de son exercice. LEglise est une communion vivante. Cest pourquoi sa constitution ne se limite pas aux divers ministres tablis. Les diffrents charismes que lEsprit Saint rpand sur des membres de lEglise contribuent aussi la maintenir dans la vrit et dans lunit ; ils appartiennent ainsi la structure divinohumaine de lEglise2. Cest seulement en ayant des structures communes que les Eglises pourront parler de la plnitude de la koinnia entre elles3. Pour faire avancer la cause dunit visible, les Eglises ne peuvent plus se contenter daccomplir ensemble des actions ponctuelles ; elles doivent rechercher tablir de plus en plus des structures cumniques de communion qui leur permettront de partager leur responsabilit les unes envers les autres de manire organise et reconnue par leurs fidles4. La question des structures est lie la catholicit de lEglise envisage au niveau local et au niveau universel. Les Eglises sont daccord pour dire que toute Eglise locale est une manifestation concrte de lEglise catholique, dans la mesure o elle demeure en communion avec toutes les autres communauts locales travers le monde5. A cette vision de la catholicit devrait correspondre une vie de communion entre les communauts locales, dans une Eglise universellement rconcilie6. La catholicit ainsi comprise soulve la question de la prsidence de cette communaut dEglises lchelle mondiale. Un tel service savre indispensable pour permettre une vie de communion cohrente entre toutes les communauts locales travers le monde7. Il est, toutefois, trop tt aujourdhui pour envisager des solutions concrtes ce problme qui ne fait pas lunanimit dans les Eglises8.
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Ibid., n28, p. 243. Ibid., n27, p. 243. 3 Document de base, n62, p. 32. 4 Ibid., n62, p. 32. 5 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n29, p. 243. 6 Un change de lettres entre des communauts locales, selon une ancienne coutume, pourrait tre une expression de cette communion (BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n30, p. 243). 7 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n29, p. 243. 8 Une tude de ce problme est recommande par la Confrence (Ibid., n30.2, p. 243).

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8.4.3. La koinnia dans la vie et ses implications concrtes La communion dans la confession de la foi touche plusieurs ralits de la vie des fidles et des Eglises. Pour tre uni dans la foi, il ne suffit pas de se mettre daccord sur son articulation doctrinale, ses expressions liturgiques et ses structures. En effet, la foi est une attitude existentielle qui sexprime dans les rapports spcifiques des chrtiens entre eux, avec les autres humains, avec le monde et avec toute la cration1. Confesser la foi de lEglise engage une vie chrtienne selon cette foi dans lEglise et dans le monde. Cest pourquoi, afin darriver au but de lunit visible, les Eglises doivent saccorder sur les exigences concrtes de leur foi commune, dans les rapports entre les fidles dans lEglise, et dans leurs attitudes par rapport aux ralits sociales, conomiques et politiques auxquelles elles sont confrontes dans le monde. La communion entre les chrtiens lintrieur de lEglise rconcilie signifie quils participent sa vie sur un pied dgalit, selon leurs dons et leurs responsabilits2. Malgr le progrs de lcumnisme, le partage de la vie entre les fidles de diffrentes Eglises est toujours incomplet et souvent trs limit3. La Confrence a encourag les Eglises redcouvrir ensemble la source et les exigences concrtes de leur koinnia chrtienne qui appelle approfondir continuellement leur communion de vie. La vie commune des chrtiens trouve son origine en Dieu lui-mme le crateur de toute vie, et le fondement de la communion de ceux qui croient en lui4. Dieu nous a offert une vie nouvelle par le don du salut ralis par son Fils. Au sein de lEglise, cette vie se renouvelle continuellement dans les croyants grce la prsence en eux de lEsprit Saint. La parole de lvangile proclame, accueillie et vcue par les fidles sous linspiration de son Esprit, ainsi que les sacrements clbrs dans la force de cet Esprit, deviennent pour les chrtiens la source dune vie commune en Christ5. La mesure de cette communion de vie des chrtiens sexprime surtout dans le partage

1 Document de base, n48-50, p. 28; cf. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n4, p. 238. 2 Document de base, n76, p. 38. 3 Ibid., n77, pp. 38-39. 4 Ibid., n64, p. 34. 5 Ibid., n63, p. 34.

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sacramentel entre leurs Eglises ; la mesure de ce partage indique, pour ainsi dire, le degr rel de leur koinnia ecclsiale1. Le partage de la vie sacramentelle pose le problme de la reconnaissance mutuelle des sacrements entre les Eglises, et soulve la question de la sacramentalit de lEglise2. Les Eglises reconnaissent gnralement la nature sacramentelle de lEglise : elle est un lieu o Dieu ralise et manifeste son salut travers des signes visibles et accessibles lhomme3. Dieu agit dans le monde par le biais des hommes : de leurs paroles et de leurs gestes ; et avec le concours des lments de la cration. Ainsi, Dieu communique aux hommes son amour rconciliateur et librateur en leur permettant une vie de koinnia avec lui et entre eux. Entre cette sacramentalit de ltre ecclsial et les sacrements administrs dans les Eglises, il existe une relation dinterdpendance : les seconds sont des expressions de la premire, sans pour autant lpuiser4. Tout acte de lEglise peut tre considr comme sacramentel lorsquil dcoule de laction salvifique de Dieu par le Christ dans lEsprit5. Cette large vision de la sacramentalit dans la perspective de la koinnia, permet davoir un regard renouvel sur la relation entre les sacrements particuliers et la dimension sacramentelle de lEglise, et de rsoudre certains problmes cumniques comme le nombre des sacrements et leur institution par le Christ6. Par laction sacramentelle paroles-signes-gestes , lEglise communique au monde bris par le pch lamour rconciliateur de Dieu qui est le fondement de la koinnia ; les sacrements actualisent la rdemption et ouvrent ainsi la voie une vie de communion entre Dieu et les hommes7. Tout en

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BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n1, p. 245. Selon la Confrence, le terme de sacramentalit se rapporte laction salvatrice de Dieu dans lhistoire, manifeste par des signes visibles et celui de sacrement laction salvatrice de Dieu manifeste par des actes ecclsiaux spcifiques qui rvlent la prsence salvatrice du Christ par la prsence sanctificatrice du Saint Esprit (Document de base, n 65, p. 35). 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n5, p. 246. 4 Certaines communauts chrtiennes vivent le baptme et la communion comme des actes non liturgiques et non rituels ce qui nous rappelle que la sacramentalit ne se limite pas aux rites sacramentels (Document de base, n65, p. 35 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n10, p. 247). 5 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n7, p. 246. 6 Ibid., n7, p. 246. 7 Ibid., n6, p. 246.

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permettant la koinnia, laction sacramentelle la prsuppose aussi comme une condition ncessaire lagir de lEglise1. Toutes les Eglises reconnaissent que la pleine communion visible entre elles exige le partage sacramentel intgral et complet. Afin que cela soit possible, un accord cumnique doit tre conclu sur le baptme, leucharistie et le ministre. Le BEM qui a montr un large consensus sur ces trois ralits de la vie sacramentelle constitue une base solide pour le dveloppement dune ecclsiologie de communion aux horizons cumniques2. Tous reconnaissent que le baptme est un acte dincorporation lEglise qui permet au croyant une vie de koinnia avec Dieu et avec les autres membres de la communaut chrtienne3. Les rponses donnes au BEM ont permis de constater un large consensus sur la signification du baptme4. Notamment, les Eglises admettent que lefficacit du baptme est une uvre de Dieu et quelle est indissociablement lie la foi de lEglise. Hors de cette foi, le baptme ne peut tre ni reu, ni efficace5. Par le baptme reu dans la foi et confirm par une vie de foi, les chrtiens entrent en koinnia du corps du Christ et reoivent lEsprit Saint6. Le baptme rvle donc lEglise comme une communaut inclusive dans laquelle toutes les diffrences naturelles, sociales et culturelles sont surpasses et perdent leur caractre diviseur. Il est ainsi la base sacramentelle dune koinnia entre les membres du corps du Christ7. La koinnia baptismale ouvre le chemin la koinnia eucharistique : leucharistie achve ce que le baptme a commenc. De manire gnrale, leucharistie est reconnue comme une manifestation essentielle de la communion ecclsiale : lassemble
Ibid., n8, p. 246. La Confrence a recommand la Foi & Constitution dentreprendre une tude dans ce sens en examinant en particulier quelles taient les conditions poses par chacune des Eglises pour la reconnaissance du baptme des autres (BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n1, p. 252) et en dfinissant quelles taient les consquences de cette reconnaissance pour les relations entre les Eglises (Ibid., n12, p. 247). 3 Document de base, n66, p. 35. 4 Cependant des divergences existent encore entre les Eglises sur quelques questions importantes comme sa nature sacramentelle, son lien avec la foi et laction de lEsprit Saint, la relation exacte entre le baptme et lappartenance lEglise (Document de base, n67, p. 35). 5 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n11, p. 247. 6 Ibid., n13, p. 247. 7 Ibid., n15, p. 248.
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eucharistique rvle lEglise en tant que koinnia des fidles en Christ1. Vu le consensus grandissant sur la comprhension doctrinale de leucharistie dont tmoigne surtout le BEM , et le rapprochement toujours plus grand entre les chrtiens, la majorit des Eglises pratiquent dj lhospitalit eucharistique soit en invitant chez elles des chrtiens dautres Eglises, soit en permettant leurs propres membres de recevoir la communion dans dautres Eglises. Mme dans les Eglises o de telles pratiques ne sont pas encore autorises officiellement, des chrtiens le font parfois de leur propre gr et par conviction personnelle, en voquant la foi en Christ et le baptme comme base suffisante du partage eucharistique. Il faut pourtant reconnatre que les progrs actuels dans le mouvement cumnique ne permettent pas encore le partage eucharistique sans rserve entre toutes les Eglises ; cause, surtout, des enjeux ecclsiologiques qui y sont prsents. Plusieurs Eglises sont davis que leucharistie nest pas un moyen pour faire avancer la cause de lunit visible, mais lexpression ultime de celle-ci. Pour cette raison, le partage eucharistique impliquant diffrentes Eglises est possible uniquement lorsquelles se trouvent en tat de pleine communion ecclsiale entre elles2. La gnralisation de la pratique de lintercommunion au stade actuel des relations interecclsiales ferait croire tort , que les Eglises sont dj pleinement unies et parfaitement daccord en matire de foi et de vie chrtienne3. Toutefois, en respectant la doctrine et la discipline eucharistiques de chacune des Eglises, les chrtiens sont invits se joindre rgulirement des clbrations eucharistiques dans dautres communauts que la leur, condition quils y soient les bienvenus et sans que leur prsence implique ncessairement leur participation la communion eucharistique proprement dite. De tels gestes qui tmoignent de la charit chrtienne entre ceux qui croient en mme Christ et qui ont reu le baptme en son nom, ne sont pas ncessairement lis la rception de la communion dans ces clbrations. Aprs avoir rappel les lments de la convergence eucharistique atteinte dans le BEM, la Confrence a voqu brivement les deux problmes classiques dans ce domaine, savoir la prsence du Christ et
Document de base, n68, p. 36; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n16, p. 248. 2 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n17, p. 248. 3 Document de base, n68, p. 36.
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laspect sacrificiel1. Les dlgus se sont penchs davantage sur la question trs importante du point de vue de lecclsiologie, et qui est celle de la prsidence de la clbration liturgique du repas du Seigneur. Selon la conviction des Eglises, le ministre qui prside leucharistie officie au nom du Christ et dans la communion totale avec la communaut et avec toute lEglise : pour lassemble, il reprsente le Christ qui nous invite son repas ; devant le Christ, il reprsente la communaut rassemble pour louer Dieu et clbrer le salut2. Les Eglises sont gnralement daccord que la clbration de leucharistie ncessite une prsidence personnelle. Cependant, il ny a pas lunanimit entre elles sur les exigences auxquelles doivent rpondre ceux qui prsident leucharistie : tandis que certaines estiment que seuls les ministres ordonns peuvent accomplir cette tche, dautres considrent que les chrtiens qui nont pas reu lordination y sont aptes, en vertu de leur sacerdoce baptismal3. Pour rtablir la communion eucharistique entre les Eglises, il est donc indispensable que celui qui prside la clbration soit reconnu non seulement lintrieur de sa propre communaut, mais dans toutes les communauts qui recherchent lunit autour de la table du Seigneur. Tous saccordent galement dire que la reconnaissance mutuelle par les Eglises de leurs eucharisties signifie galement la reconnaissance mutuelle des ministres qui les prsident. Par consquent, entre les Eglises qui pratiquent lintercommunion, cette reconnaissance est acquise sinon explicitement, du moins dans les faits. Une tude approfondie du problme de la prsidence savre ncessaire actuellement pour faire avancer la cause de lunit visible, car lEglise de Dieu pleinement unie est manifeste dans lassemble eucharistique des communauts locales sous la prsidence de leurs ministres conclbrant la mme table du Seigneur4. La prsidence eucharistique et le ministre sont intimement lis ; cest pourquoi aussi longtemps quil ny aura pas de plein accord entre les Eglises sur le ministre, la pleine communion eucharistique ne sera pas possible et, par consquent, lunit visible nexistera pas. Conscients de ces interdpendances, les dlgus des Eglises ont aussi tudi le

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Ibid., n69, p. 36; cf. n16, p. 248. Document de base, n72, p. 37 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n18, p. 249; cf. n2, p. 251. 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n21, p. 249. 4 Ibid., n2, p. 252; cf. n26, pp. 250-251.

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problme du ministre et de sa place dans la conception de la koinnia ecclsiale. Les Eglises sont daccord pour dire que le baptme chrtien est une base ncessaire tout ministre dans lEglise : en vertu de ce sacrement dincorporation au corps du Christ, tous les chrtiens sont des ministres car ils ont reu le don de lEsprit-Saint et participent au sacerdoce du Christ1. Tout ministre dans lEglise celui des lacs et celui des ministres ordonns doit tre envisag ainsi dans la perspective du baptme2. Cependant, les Eglises reconnaissent quil existe une diffrence entre la vocation baptismale de tous les chrtiens vivre selon lvangile du Christ et rendre tmoignage de leur foi devant le monde, et la vocation spcifique des chrtiens ordonns qui sont habilits remplir, au sein de la communauts et pour elle, certaines fonctions spcifiques3. Si la ncessit dun ministre ordonn pour lEglise est reconnue dans la majorit des Eglises, il ny a pas encore de consensus cumnique ni sur la nature de lordination, ni sur les conditions que doivent remplir les candidats ce type de ministre, ni sur ses fonctions spcifiques4. Parmi les questions actuelles dans le domaine du ministre outre le problme de la prsidence eucharistique , la Confrence a voqu le ministre de surveillance (piscop) et lordination des femmes. Les Eglises reconnaissent que, pour prserver la koinnia aux niveaux local et universel, lEglise a besoin dun ministre de surveillance exerc par une personne, un collge ou la communaut toute entire5. Certaines le conoivent comme un ministre personnel confi aux vques et li le plus souvent la succession historique de lpiscopat ; dautres comme un ministre qui peut tre exerc de multiples manires tant personnelles que communautaires , sans dpendre de lordination piscopale6. Dans la discussion cumnique, le ministre de lpiscop doit tre envisag avant tout comme un problme decclsiologie. Cela signifie quil doit tre intgr dans la vision de lEglise comprise

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Document de base, n73, p. 37. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n70, p. 36. 3 Ibid., n20, p. 249. 4 Document de base, n71, pp. 36-37 et n75, p. 38 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n21-22, pp. 249-250. 5 Document de base, n74, p. 38. 6 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n25, p. 250.

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comme koinnia. Dans cette perspective, laccent nest pas mis sur les personnes qui lexercent, mais sur la continuit historique et lunit actuelle de lEglise dans et pour laquelle elles sont ordonnes comme ministres, avec la tche de veiller sur elle1. Reconsidr lintrieur dune ecclsiologie de communion, le ministre de surveillance peut se montrer susceptible des variations dans ses formes. Il nest pas exclu que, dans une Eglise unie, il puisse tre exerc de diverses manires, suivant les divers contextes de vie des communauts particulires, et les diverses traditions qui se sont dveloppes travers les sicles. Ce problme doit tre tudi historiquement pour voir quelles formes dpiscop se sont dveloppes diffrentes poques et dans diffrents lieux2. Les Eglises reconnaissent aussi que le ministre de surveillance est intimement li au ministre eucharistique car, traditionnellement, celui qui exerce ce ministre au niveau local prside aussi la clbration eucharistique de la communaut3. La reconnaissance mutuelle par les Eglises de leurs ministres dpiscop impliquerait donc indirectement la reconnaissance mutuelle de leurs eucharisties. Pour tre relle, la koinnia ecclsiale doit exister lintrieur de chaque communaut locale et entre les communauts disperses travers le monde. Pour cette raison, lEglise a besoin dun ministre de surveillance au niveau universel. Une ecclsiologie cohrente de communion doit prvoir une place un tel ministre dont la nature et la forme doivent encore tre tudies par les Eglises4. Lordination des femmes demeure une question controverse lintrieur des Eglises et entre elles5. Des pratiques diverses existent dans ce domaine : tandis que certaines ordonnent des femmes au diaconat, au sacerdoce et lpiscopat, dautres sy refusent catgoriquement. Ce qui peut aider comprendre ces variations de pratique, cest de savoir comment et pourquoi les Eglises sont arrives leurs positions actuelles. Cependant, mme si les Eglises nordonnent pas des femmes, elles leur accordent aujourdhui des fonctions de responsabilit au sein de leurs communauts. Lordination des femmes

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Ibid., n30, p. 251. Ibid., n26, pp. 250-251. 3 Ibid., n26, pp. 250-251. 4 Ibid., n28, p. 251. 5 Ibid., nos23-24, p. 250 et n4, p. 252.

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doit tre tudie dans le cadre de la koinnia des hommes et des femmes lintrieur de la koinnia dune Eglise unie et multiple. Actuellement, les divergences entre diffrentes traditions sont trop radicales pour envisager un accord sur cette question dans un proche avenir. Cette question doit tre tudie dans le dialogue cumnique dans tous ses aspects : thologique, anthropologique, pratique, liturgique, structural. 8.4.4. La koinnia dans le tmoignage et ses exigences existentielles LEglise est dans le monde un signe annonciateur et un avant-got du Royaume de Dieu venir. Par elle, le rgne de Dieu avec sa promesse de koinnia universelle est dj luvre au milieu de la communaut humaine encore dchire par des divisions de toute sorte1. LEglise entretient avec le monde une relation spcifique quexprime bien le terme mystre : tout en demeurant une ralit du monde et de lhistoire, lEglise transcende sa manifestation empiricohistorique et constitue pour les humains une voie de salut eschatologique2. Dans sa qualit de mystre, elle annonce et anticipe la fois la parfaite koinnia du Royaume et se prsente au milieu du monde comme la voie de cette koinnia3. Afin que lEglise soit pour lhumanit un signe prophtique authentique et convainquant, ses membres sont appels rendre un tmoignage de foi unanime devant le monde. Ce tmoignage commun nourrit et approfondit galement la communion des fidles en Christ4. Au contraire, les divisions entre les Eglises nuisent cette communion et font galement obstacle la crdibilit du tmoignage des chrtiens devant le monde5. Malgr leurs divisions, mais conscientes de leur communion fondamentale dans le Christ, les Eglises devraient sefforcer aujourdhui tmoigner ensemble dans toutes les situations sauf celles o de profondes diffrences de convictions les inciteraient tmoigner encore

1 Document de base, n82, pp. 41-42; cf. BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n8, p. 255. 2 Ibid., n83, p. 42. 3 Ibid., n84, p. 42. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n3, p. 254. 5 Ibid., n2, p. 254.

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sparment1. Pour pouvoir avancer efficacement sur la voie dun tmoignage commun, les Eglises doivent entreprendre un dialogue cumnique sur trois problmes dactualit : le proslytisme2, la libert religieuse3 et la rencontre de lvangile avec la culture4. Le tmoignage est intimement li leucharistie : celle-ci est la nourriture cleste grce laquelle les chrtiens ont la force daffirmer devant le monde leur foi5. Selon une expression du BEM, elle est la nourriture prcieuse des missionnaires qui les fortifie pour lannonce de lvangile6. La clbration eucharistique est inacheve si elle nest prolonge dans la mission appele, depuis lpoque patristique, liturgie aprs liturgie. Il est ncessaire de rparer la koinnia eucharistique afin que les Eglise puissent annoncer dune seule voix la bonne nouvelle du salut au monde. Les divisions entre les chrtiens sapent la mission dvanglisation et la rendent moins efficace et moins crdible7. Le tmoignage que les chrtiens ont rendre devant le monde ne se limite pas la prdication de lvangile. Lauthenticit de leur vie de foi, la profondeur de leur spiritualit vanglique et leur attitude diaconale envers tous, sont des qualits indispensables pour que le monde puisse reconnatre lEglise comme un lieu de vritable koinnia avec Dieu et les uns avec les autres8. Le tmoignage est ainsi insparable de la vie en Christ : tre chrtien implique des attitudes morales bases sur la foi qui rendent authentique la prdication de lvangile9. Sur la terre, lEglise est tendue entre Dieu et le monde. Les chrtiens doivent donc vivre leur foi en Christ au milieu des ambiguts dune communaut humaine fort complexe et diversifie dans tous ses aspects. Les disciples de JsusChrist ne peuvent faire abstraction de la vie des

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Ibid., n13, 256. Document de base, n91, p. 44; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., nos14-17, pp. 256-257. 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n18, p. 257. 4 Ibid., n19, pp. 257-258. 5 Document de base, n88, p. 43 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n4, p. 254. 6 BEM, Eucharistie, n26. 7 Document de base, n90, p. 44. 8 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n11, p. 256. 9 Document de Base..., n 85, 43; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n1, p. 254.

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hommes et des femmes qui les entourent. Dune part, ils sont constamment confronts des attitudes et des comportements qui sinspirent dautres mondes de valeurs que le leur, dautre part, avec tous les gens de bonne volont, ils doivent faire face aux problmes sociaux de notre monde, tels que la discrimination et linjustice. Leur tmoignage rendu au Christ implique ainsi une prise de position contre tous les maux qui dtruisent la communaut humaine. Une rflexion valable sur lunit des chrtiens doit invitablement aborder des questions concernant les attitudes morales des fidles et des Eglises vivant dans le monde1. Dans ce dessein, une ecclsiologie de communion doit intgrer aussi des questions thiques concernant la vie de la communaut chrtienne au milieu de la communaut humaine. Sur la base de lvangile du Christ, les chrtiens ont proposer au monde des valeurs morales qui sont enracines dans lamour de Dieu comme le caractre sacr de la vie, lgalit et la dignit de tous les tres humains, la justice, la paix, le respect de la cration, etc2. Ces valeurs communment reconnues par les Eglises constituent la base thique de la koinnia entre Dieu, lhumanit et le monde. Puisquelles sont de nature universelle, elles peuvent tre observes aussi bien par les chrtiens que par des personnes dautres religions et par les noncroyants. Ces valeurs interpellent autant les chrtiens que le monde dans lequel ils vivent. Les Eglises sont appeles sengager ensemble pour en imprgner tous les domaines de la vie du monde et contribuer ainsi lavnement dune communaut humaine pleinement rconcilie3. La prise de conscience dans les Eglises que la koinnia exige des chrtiens non seulement une unit doctrinale et structurale mais aussi morale, constitue une des principales nouveauts au sein du mouvement cumnique lre de la confrence de Saint-Jacques-de-Compostelle. Depuis cette date, les Eglises sont davantage conscientes que pour promouvoir leur koinnia, elles doivent sefforcer dapporter des rponses unanimes aux diffrentes questions thiques devant lesquelles le monde actuel les place4. Cependant, il arrive que les Eglises diffrent considrablement dans leurs positions morales en raison des diffrences dans linterprtation de lvangile, ou cause des facteurs socio
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BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n5, p.25 et nos25-32, pp. 259-260. Document de base, n101, p. 47. 3 Ibid., n104, pp. 47-48. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n29, p. 259.

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culturels et politicoconomiques1. Selon la Confrence, il faut admettre une certaine diversit thique au sein de lEglise qui vit son obissance Dieu dans des contextes trs varis et qui est confronte des problmes moraux divers suivant le lieu et le moment historique. Cependant, des prises de position divergentes sur des problmes thiques peuvent tre des signes de profondes diffrences dans la conception mme de la foi et conduire ce que Vissert Hooft a appel lhrsie morale. Ainsi, la morale peut aussi provoquer des sparations entre les Eglises2. La koinnia dans la vie morale et la koinnia dans la foi vont forcment de pair. Cest pourquoi, les positions divergentes des Eglises sur les questions dthique doivent faire lobjet dun dialogue cumnique franc et approfondi, pour sonder leur nature et leur profondeur et en chercher des solutions communes3. Bien que le but immdiat de la Confrence Saint-Jacques-deCompostelle ait t la recherche dune koinnia plus grande entre les chrtiens, son horizon tait plus large : celui de lunit universelle du genre humain. En effet, dans le dessein divin, la koinnia est une vocation universelle adresse toute lhumanit car Dieu a cr les hommes pour quils vivent en communion avec lui et entre eux. Dans le Christ grce son ministre et surtout par son mystre pascal , Dieu sest rconcili le monde, et il offre tout tre humain la possibilit de participer cette vie de communion dont lEglise est la fois le signe et linstrument4. Elle reprsente la part de lhumanit rconcilie avec Dieu et entre elle qui porte la vocation dtre dans le monde un lieu de rconciliation pour tous les tres humains5. Dans sa vie interne et dans ses relations avec le monde, lEglise doit toujours se manifester comme une communaut de rconciliation qui permet une vie de koinnia avec Dieu et entre les tres humains. Elle ralise ainsi dans le monde sa vocation dtre un signe et un instrument de lamour rconciliateur de Dieu qui nexclut personne. Les chrtiens ne peuvent oublier que
Document de base, n100, p. 46; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n31, p. 260. 2 Document de base, n103, p. 47. On peut voquer cet gard limplication des chrtiens et des Eglises dans des systmes totalitaires tels que le nazisme ou lapartheid, qui ont conduit des ruptures dunit ecclsiale entre diffrentes communauts. 3 Document de base, n102, p. 47 et n115, p. 52 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n31, p. 260. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n6, p. 230. 5 Document de base, n37, p. 24.
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lengagement en faveur de lunit entre leurs Eglises doit saccompagner dun engagement semblable pour la promotion de lunit entre tous les tres humains1. Dans cette optique, lunit visible des chrtiens se prsente comme une condition ncessaire pour que lEglise accomplisse de manire efficace sa mission de rconciliation auprs de lhumanit2. En tant quinstrument de cette koinnia universelle, lEglise est appele garder une attitude douverture envers tous les hommes, et les chrtiens ne peuvent jamais constituer dans le monde une communaut enferme sur elle-mme et insensible au reste de lhumanit. La koinnia suppose la diakoni et la promotion active de la communion entre les hommes est une implication existentielle de la communion eucharistique des chrtiens3. La participation la communion eucharistique o le Seigneur partage sa propre vie aux chrtiens, doit crer en eux un esprit de communion qui les ouvre tous les hommes dans une attitude de service et de compassion. La diakoni en faveur de lhumanit, notamment auprs de ceux qui souffrent et qui vivent dans la pauvret matrielle ou morale, est insparable de la koinnia. Au nom de cette diakoni, les chrtiens sont appels travailler avec tous hommes de bonne volont afin de surmonter les divisions lintrieur de la communaut humaine, et de promouvoir lavnement dune socit juste, viable et participative4. Les chrtiens font partie de la communaut humaine marque par le pluralisme religieux5. Cette situation est la fois une source denrichissement rciproque et de tensions, voire de conflits qui sparent et opposent des personnes et des populations6. Dans cette situation, les Eglises chrtiennes reconnaissent aujourd'hui que pour mener bien la tche de rconciliation au sein de lhumanit encore divise, elles doivent travailler avec les autres religions pour lavnement dun monde religieusement rconcili. La coopration entre les religions peut englober diffrents domaines de la vie humaine. Du fait que les chrtiens sont souvent confronts aux mmes questions existentielles dactualit que les adhrents des autres religions, cette

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BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n3, p. 225. Ibid., n5, p. 226; n5, p. 230 et n25(g-i), p. 234. 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n21 et 23, p. 233. 4 Document de base, nos38-39, p. 24 et n109, p. 49. 5 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n21, p. 258. 6 Document de base, nos93-94, p. 45.

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coopration peut toucher, par exemple, lthique et sexprimer dans des prises de position communes sur la vie morale de lhomme au sein de la socit. Cependant, il arrive parfois que les chrtiens soient dfis par des valeurs propres dautres communauts religieuses. Dans ces situations, un dialogue honnte, marqu par lacceptation de lautre et le respect de ses croyances dune part, ainsi que par la fidlit ses propres convictions de foi dautre part, peut aider se mieux comprendre mutuellement, se respecter davantage et vivre dans la paix1. Malgr ces divergences, il est important de se servir mutuellement et de collaborer l o cela est possible. Ouverts au dialogue avec dautres cultures et religions, les chrtiens fidles lappel du Christ , sont nanmoins appels partager leur message vanglique avec tous les gens et tous les peuples. De ce point de vue, le dialogue interreligieux fait partie de la mission dvanglisation2. Ce trait particulier le distingue nettement du dialogue cumnique car chacun des deux visent des buts diffrents. En effet, dans le dialogue entre les Eglises chrtiennes nous recherchons ensemble la plnitude de lunit visible ; dans le dialogue avec les autres religions, il sagit de se connatre et se comprendre mieux, de cooprer pour amliorer la situation des hommes dans le monde, et de chercher ensemble la vrit3. Le dialogue cumnique doit cependant tenir compte de la grande diversit religieuse du monde et intgrer dans une ecclsiologie de communion cohrente des thmes relatifs aux relations des chrtiens avec des gens dautres religions. La croissance dans la koinnia entre les Eglises renforce, chez leurs membres, le sens de lidentit chrtienne et facilite le dialogue avec dautres religions4.

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Ibid., n96, p. 45; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n27, p. 259. Document de base, n97, pp. 45-46; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n23, p. 258. Cependant, les dlgus la Confrence ont constat de profondes divergences entre les Eglises, concernant la vise ultime et le fondement thologique de ce dialogue. Certaines parlent de la prsence de Dieu dans ces religions par laction de lEsprit Saint et appellent travailler ensemble pour lavnement dune communaut humaine, religieusement rconcilie mais multireligionnelle. Dautres, par contre, accentuent loriginalit et lunicit de la rvlation de Dieu dans le Christ et estiment que ce dialogue est concevoir comme une pr-vanglisation (Document de base, n98, p. 46 ; cf., BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n24, p. 258). 3 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n22, p. 258. 4 Ibid., n24, p. 259.

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Un thme relativement nouveau dans le dialogue cumnique actuel est la proccupation concernant lensemble de lunivers cr1. Il ne sagit plus seulement des hommes mais aussi des animaux, des plantes, de lair et de la glbe, en un mot de lensemble de la cration car comme le remarque lun des grands cumnistes de notre temps entre ltre humain et son environnement il existe une koinnia2. La Bible souligne que les tres humains font partie intgrante de la cration (Gn 2,7) et ont le devoir de la prserver (Gn 1, 27+ ; 2, 15). Cependant, souvent dans le pass, le message biblique a t interprt dune manire trop anthropocentrique conduisant lisolement de lhomme par rapport la nature. La thologie actuelle a besoin dune nouvelle anthropologie chrtienne mettant lhomme non pas au-dessus mais au centre de la cration3. En vertu de la cration, il existe un lien indissociable entre lhumanit et le cosmos : Dieu qui a cr lhomme est aussi lauteur de la terre avec tout ce qui lhabite4. Son amour rdempteur ne se limite pas aux hommes mais stend sur tout le cosmos. Les chrtiens sont appels vivre en harmonie avec ce dessein de Dieu et promouvoir une vie de communion de lhomme avec son environnement : lhomme doit sauvegarder la terre et lexploiter de manire responsable et retenue (Lv 25)5. Pour cette raison, le dialogue cumnique sur la koinnia doit aussi inclure des questions concernant la communion entre lhumanit et la cration, ainsi que la question de la responsabilit des chrtiens vis vis du monde de la nature6.

Plusieurs tudes et colloques cumniques se sont penchs sur cette question dans ces dernires dcennies. A titre dexemple : WEIZSCKER, C.F. von, Le temps presse : une Assemble mondiale des chrtiens pour la justice, la paix et la prservation de la cration, Paris, 1987 ; COST, R. & RIBAUT, J.P., Sauvegarde et grance de la cration. Actes du colloque organis par Pax Christi Paris les 8 et 9 septembre 1990, Paris, 1991 ; COST, R., Dieu et cologie : environnement, thologie, spiritualit, Paris, 1994. 2 ZIZIOULAS, J., Eglise comme communion , DC 2079 (1993), 826. 3 Document de base, n107, pp. 48-49. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n34, p. 260. 5 Document de base, n24, p. 20. 6 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., nos33 et 36, p. 260.

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8.5. Le Message final de Saint Jacques de Compostelle une conclusion Le Message de la Confrence On the Way to Fuller Koinonia : the Message of the World Conference rsume, de manire condense, ses acquis et prsente les dfis les plus urgents pour lavenir de lcumnisme1. Toutes les Eglises participant la Confrence affirment, avec force, leur engagement irrvocable en faveur de lunit visible2. Elles reconnaissent que le concept de koinnia est un outil prcieux pour grandir vers la plnitude de cette unit. La koinnia entre les chrtiens que les Eglises recherchent possde plusieurs aspects qui sont tous importants pour une vie vritablement communionnelle. Selon la signification mme du mot, lEglise en tant que koinnia doit tre la fois communaut, communion, partage, participation, solidarit3. La recherche dune koinnia toujours plus grande entre les chrtiens doit se poursuivre dans trois domaines complmentaires : foi, vie, tmoignage4. Des progrs concrets sont entreprendre en relation avec chacun de ces domaines5. Concernant la foi, les Eglises doivent examiner comment confesser la foi commune dans divers contextes de vie, notamment dans les pays marqus par des tensions nationales et sociales. Dans le domaine de la vie commune, les problmes non rsolus demeurent toujours la reconnaissance du baptme et du ministre, ainsi que la clbration commune de leucharistie. En ce qui concerne le tmoignage commun, les dfis actuels se concentrent autour du problme dune vanglisation qui respecte la libert et la diversit des tres humains vivant dans un monde fort vari, et celui de lengagement pour la protection de lenvironnement naturel, le partage quitable des ressources mondiales, la justice sociale, etc. Le dfi cumnique le plus

1 On the Way to Fuller Koinonia : the Message of the World Conference in BEST, T. & GASSMANN, G. (eds), On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference on Faith and Order, Faith and Order Paper 166, Geneva, WCC, 1994, 225-227 (cit dans la suite par The Message). 2 The Message, n3, p. 225. 3 Ibid., n4, p. 225. 4 Ibid., n9, p. 227. 5 Ibid., n10, p. 227.

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essentiel est celui de la conversion laquelle sont invits tous les chrtiens et toutes les Eglises. Parmi les grands accomplissements du mouvement cumnique des dernires annes, le Message voque les importantes convergences doctrinales sur le baptme, leucharistie et le ministre, ainsi que sur la comprhension du Credo de NiceConstantinople1. Elles ont permis aux Eglises dapprofondir ensemble leur vision commune de la koinnia. Le stade suivant de lcumnisme doit tre la rception de ces convergences dans la thologie et la vie lintrieur des Eglises et entre elles2. Dans les discussions plnires, on soulignait frquemment que lEglise tait une koinnia de vie et damour dans laquelle Dieu justifie les fidles et les rconcilie avec lui et entre eux. Un besoin urgent dlaborer une doctrine commune de lEglise, fonde sur la notion de koinnia, a t affirm plusieurs fois lors des dbats. Cependant, des divergences ont aussi apparues dans la comprhension de lunit ecclsiale, de son enracinement, de sa fonction et de ses expressions concrtes dans la vie des Eglises. La Confrence a montr que le mouvement cumnique demeure constitu dEglises dont les approches ecclsiologiques ne sont pas seulement diffrentes mais souvent mme contradictoires malgr linsistance commune sur la koinnia3. Pour cette raison, une tude substantielle sur la nature de lEglise et sur lunit que nous recherchons la lumire de la koinnia a t recommande la Foi & Constitution4. La premire tape de cette recherche devrait tre une honnte tude comparative des diffrentes ecclsiologies afin de dmontrer explicitement les divergences et les convergences de nos diffrentes manires de comprendre lEglise dans sa nature, sa structure constitutionnelle et son but.
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FOI & CONSTITUTION, Baptme, Eucharistie, Ministre, Presse de Taiz, 1982 et le document Baptme, Eucharistie, Ministre, 1982-1990: Rapport sur le processus BEM et les ractions des Eglises, Paris, 1993 ; FOI & CONSTITUTION, Confesser la foi commune. Explication cumnique de la foi apostolique telle quelle est confesse dans le Symbole de NiceConstantinople (381), Paris, 1993. 2 The Message, n6, p. 226. 3 BIRMELE, A., Status questionis de la thologie de la communion travers les dialogues cumniques et lvolution des diffrentes thologies confessionnelles , dans DOSSETTI, G. (d.), La Ricerca Constituente 1945-1952, Il Mulino, 1994, 252. 4 BEST, T. & GASSMANN, G., Op. cit., n34, p. 235.

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Lapport principal de la 5me Confrence mondiale de Foi & Constitution sera davoir regroup et systmatis les dveloppements antrieurs sur le thme de la koinnia au sein du mouvement cumnique. Elle a largi et approfondi certains aspects, notamment la communion dans la vie morale et la dimension cologique de la koinnia. La lecture des diffrentes tudes prsentes lors de la Confrence et des rapports de Sections permet de se rendre compte de la complexit du concept koinnia, avec ses multiples applications qui demeurent en osmose : Dieu, dans son tre, est une communion de vie et damour entre le Pre, le Fils et lEsprit ; le salut est une communion de vie ternelle du croyant avec Dieu et avec tous les sauvs dans un monde eschatologique pleinement rconcili ; lEglise est une communion de foi, de vie et de tmoignage entre les baptiss ; elle est aussi, dans le monde, une portion de lhumanit rconcilie avec Dieu et en elle, o des relations de communion se nouent entre les hommes et les femmes travers leurs diversits ; le mouvement cumnique est un signe dune communion relle mais encore imparfaite entre les Eglises divises ; enfin, il existe une communion vitale entre lhomme et la cration laquelle il appartient, et dont il porte la responsabilit devant Dieu.

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9. Vers une vision commune de lEglise dclaration provisoire de la Foi & Constitution sur lEglise
9.1. Introduction : koinnia fondement dune ecclsiologie commune Entre 3 et 14 dcembre 1998 sest tenue Harare, au Zimbabwe, la 8me Assemble mondiale du Conseil cumnique des Eglises marquant son cinquantenaire. Proccupe surtout par les problmes dactualit du mouvement cumnique et par lavenir du Conseil en crise, lAssemble ne sest pas penche sur la question de la vision commune de lEglise. Peuttre la raison en a aussi t quau mois de novembre de la mme anne la commission Foi & Constitution avait publi un important document sur lecclsiologie intitul La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune1. Depuis cette date, aucune dclaration commune sur lecclsiologie na t publie ni par le Conseil, ni par la Commission. Pour clore cette tude nous prsenterons ici ce texte comme un document de rfrence qui rend compte de ltat actuel des recherches cumniques sur lecclsiologie menes au sein du Conseil et dans la Foi & Constitution. Le document est le fruit de la recommandation faite en 1993 par la Confrence de Saint-Jacques-de-Compostelle dentreprendre une nouvelle tude sur la conception commune de l'Eglise, notamment sur sa nature et son but, et qui tiendrait compte des acquis du dialogue cumnique. Anim par le dsir de faire progresser la cause de lunit visible, il constitue un tournant dans le dialogue cumnique sur lEglise. Comme la dit la Foi & Constitution, il marque la fois une fin et un dbut dans les recherches ecclsiologiques menes par la Commission. Dune part, il rcapitule le dveloppement ecclsiologique que nous avons esquiss dans les chapitres prcdents de cette tude, dautre part, il est conu comme le lancement d'un nouveau processus dtudes et de consultations conscutives devant conduire dans un avenir plus au moins loign la formulation d'une dclaration commune sur l'Eglise (n123) dans le style du BEM (n4).

FOI & CONSTITUTION, La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune (novembre 1998), Document n 181 : http://www.wcccoe.org/wcc/what/faith/nat1-f.html, 23. 04. 2004.

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Conformment cet objectif, il veut rpondre une double exigence : dune part, rendre compte de ce que les Eglises peuvent dire ensemble de la nature et du but de l'Eglise aujourdhui, dautre part, indiquer les sujets sur lesquels elles sont toujours en dsaccord (n4, cf. n122). Il sagit donc dun avant-projet dont le statut est celui de dclaration provisoire, destine l'attention et au jugement des Eglises, pour savoir dans quelle mesure chacune delles peut se reconnatre dans la convergence qui y est exprime, et quels points ncessitent encore un travail plus approfondi (n123). En dernire instance, le grand projet qui commence au sein du Conseil avec ce texte vise llaboration dune vision commune de lEglise qui pourrait constituer la base dune reconnaissance encore plus forte de la ralit ecclsiale prsente dans les communauts autres que la ntre (n124). Dans cette perspective, le document adresse une invitation aux Eglises, commissions, collges, instituts et particuliers rflchir sur le texte la lumire de la foi de sa propre Eglise (n7, cf. n123). En rpondant cette invitation, notre prsentation saccompagnera dun commentaire analyticocritique des diffrentes affirmations du document. Il sagira dun commentaire personnel qui ne prtend pas tre le point de vue de lEglise catholique, mais simplement le point de vue dun catholique sur le texte. Pour cette raison, nous choisissons sciemment de ne pas nous appuyer directement sur dautres auteurs. Nous allons lire et interprter le document en cause dans la perspective dune ecclsiologie catholique de communion, pour essayer de cerner les essentielles convergences et divergences avec la doctrine catholique sur lEglise. Cependant, comme tout commentaire personnel, le ntre ne prtend ni lexhaustivit ni lobjectivit totale ; ce nest quune voix dans la discussion. Selon les auteurs, les sources principales de ce texte sont les documents cumniques et les saintes Ecritures. Pour reprsenter le plus possible une vision commune de lEglise, le document sinspire largement des dialogues bilatraux et multilatraux des cinquante dernires annes et essaie de mettre en valeur les convergences ecclsiologiques qui se dgagent travers leur analyse (n5). Etant donn que, pour toutes les Eglises, les Ecritures constituent la source principale de la foi, une conception de lEglise qui peut tre accepte par elles ne peut tre que celle quelles jugeront comme conforme aux donnes bibliques (n6). Le document rappelle pourtant que la rfrence biblique nest pas sans poser des problmes car, dune part, les saintes Ecritures ne contiennent
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aucune ecclsiologie systmatique et, dautre part, il manque entre les Eglises lunanimit sur linterprtation de la Bible (nos6 et 15)1. Le document prsente les trois principales images de lEglise que nous trouvons dans la Bible, savoir : le peuple de Dieu, le corps du Christ, le temple de lEsprit-Saint (nos16-24), tout en mentionnant plusieurs autres comme : la vigne, le troupeau, les noces, l'pouse (n25), sans pour autant les dvelopper. Il est dit que chacune de ces images exprime une autre dimension de lEglise, et quaucune ne peut tre absolutise ni dissocie des autres car elles sexpliquent et se compltent rciproquement (n15-16). Toutes ces images ont aussi leurs limites et doivent tre harmonises les unes aux autres (n25). Elles dcrivent toutes, mais chacune sa manire, la relation qui se noue dans et par lEglise, tant avec Dieu quentre les chrtiens (n51). Le document affirme quil cherche proposer une vision de lEglise base sur la Bible. Cependant, hormis les paragraphes consacrs la prsentation des images bibliques de lEglise, les rfrences scripturaires sont relativement rares. On aurait apprci que le texte nous renvoie plus souvent la source principale de notre foi, surtout dans les paragraphes consacrs aux points controverss de la doctrine, comme par exemple le ministre, lpiscop, la primaut, les sacrements, etc. Le texte affirme que le terme koinnia exprime la ralit laquelle renvoient ces images (n51) cestdire les images bibliques de lEglise. Au sein du mouvement cumnique, le terme koinnia est regard comme la notion fondamentale pour la relance d'une conception commune de la nature de l'Eglise et de son unit visible (n48). Il sagit dune catgorie qui englobe une dimension doctrinale et une dimension pastorale, car la koinnia est la fois le fondement [dimension doctrinale] d'une vie commune dans l'unit visible et la faon de la vivre [dimension pastorale] (n1). Cest de cette manire que le terme koinnia est employ dans la Bible, o il exprime divers aspects de lEglise relatifs son tre, sa constitution et sa vie dans le

La question du statut de la Bible comme une source de la foi et les problmes hermneutiques lis son utilisation dans le dialogue cumnique ont fait dernirement lobjet de recherches dans la Foi & Constitution : Un trsor dans des vases d'argile. Outils pour une rflexion cumnique sur l'hermneutique, Foi et Constitution Document no 182 novembre 1998 (http://www.wcc-coe.org/wcc/what/faith/treas1f.html, 08. 05. 2004).

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monde. Le document rappelle que lide gnrale qui se dgage des donnes bibliques est celle de la vie partage, de la rconciliation et de la paix (nos51-52). La koinnia exprime ainsi cette relation nouvelle profonde et intime qui stablit entre tous les membres de lEglise par le baptme et la foi en Christ. Le document reconnat quelle existe dj entre tous les baptiss, mme si elle nest pas encore pleinement ralise de manire ecclsiale cause des divisions qui opposent encore leurs Eglises. La koinnia est prsente comme une ralit dynamique en constante volution, susceptible non seulement de progressions mais aussi de rgressions (n50). Toutefois, dans une perspective eschatologique, et malgr les vicissitudes de son parcours historique, la fin du temps, toute lEglise est destine tre englobe dans la relation intime du Pre, du Fils et du Saint Esprit, o tous seront parfaitement unis entre eux et avec Dieu (n59). Le rtablissement dfinitif de la koinnia de lhumanit sera accompagn de lavnement du ciel nouveau et de la terre nouvelle dans le Royaume eschatologique de Dieu (n34). En effet, lhomme fait partie de la cration et ne peut arriver sa plnitude quavec elle. En dpit du fait que tous les hommes ne font pas effectivement partie de lEglise, le dessein divin de communion est universel car Dieu veut quen Christ tous les hommes parviennent la koinnia (n57). Il a inscrit laspiration une vie de communion dans la nature de chaque tre humain (n49 ; cf. n60). Diffrentes formes de la vie communautaire sont des expressions concrtes de la nature communionnelle des hommes. Les plus importantes parmi elles, selon les tmoignages des Ecritures, sont le couple hommefemme qui spanouit dans la famille, la tribu et le peuple (n49). Cependant, cette aspiration naturelle la vie de communion est souvent obscurcie par les distorsions des rapports humains qu'entrane le pch (n60). Il est apprciable que la notion de koinnia soit propose comme un termeclef pour llaboration dune dclaration commune sur la nature et le but de lEglise. En effet, il sagit dune notion communment utilise par diffrentes traditions ecclsiales et dont la grande porte ecclsiologique nest gnralement pas remise en question. Dans lensemble du texte, lEglise est prsente comme une koinnia qui stend sur tous les domaines de sa vie la doctrine, la morale, la pastorale, le service, la mission, etc. , et qui sapplique tous les niveaux de sa vie la communaut eucharistique particulire (paroisse), lEglise locale, rgionale et universelle. En plus, cette koinnia est
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prsente comme une ralit qui concerne non seulement lEglise dans sa vie prsente mais galement dans son accomplissement eschatologique car elle vient du Dieu trinitaire qui est koinnia de personnes divines, vit par lui et se dirige vers lui pour sy achever dans lternit. Il est aussi reconnu quil ne sagit pas uniquement de lEglise car la koinnia est la vocation de Dieu pour toute lhumanit et mme pour tout lunivers. Cette vision globale et multiforme de la koinnia est positive car elle reflte la complexit de ltre ecclsial et la richesse de la vie ecclsiale. Toutefois, dans la perspective dun srieux projet ecclsiologique que lance le document, il aurait fallu reconnatre galement les limites de la notion de koinnia en admettant que lEglise dans son tre et sa vie du mustrion, ne saurait jamais tre saisie correctement sur la base dune seule notion, aussi opratoire quelle puisse tre. Les impasses actuelles dans le dialogue cumnique sur lunit, montrent quil est ncessaire aujourdhui de dfinir avec plus dexactitude tant la comprhension du terme, que son contenu doctrinal et ses limites. Des voix se font entendre aujourdhui pour dire que la seule notion de koinnia nest pas suffisante pour tre le paradigme dune ecclsiologie cumnique acceptable pour toutes les Eglises. Dun point de vue catholique, la notion de koinnia ne doit jamais tre spare ni de la notion de sacrement, ni de celle de socit. Dans cette perspective, le prsent document aurait d mieux mettre en valeur que lunit visible et lunit spirituelle de lEglise sont indissociablement lies lune lautre, et que la communion spirituelle existe dans et par la communaut sociale. 9.2. LEglise dans ses origines de communion Selon le titre du premier chapitre, lEglise est une Eglise du Dieu Trinit. Cest la sainte Trinit qui est la source de l'Eglise et qui lui fait don de toutes les ressources ncessaires sa vie et sa mission (n68). Du fait de cet enracinement trinitaire, lEglise n'est pas la somme des diffrents croyants mais le rsultat de leur participation commune la koinnia divine : elle est la part commune qu'ils prennent la vie de Dieu dont l'tre le plus profond est communion (n13). Dans son tre de communion, lEglise reflte la communion qui existe dans le Dieu Trinit et elle doit aussi la reflter dans sa vie (n26). Elle est la communaut de ceux et celles qui ont t appels par Dieu et qui, par l'Esprit Saint, sont unis avec JsusChrist (n112). Elle est lie chacune de trois personnes divines de manire particulire (n14).
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9.2.1. LEglise de Dieu En tant quEglise de Dieu, elle nexiste que par lui (n9). Dans le monde, elle est linstrument qui sert la ralisation de son dessein envers lhumanit : ramener tous les hommes vivre en communion sous la seigneurie du Christ (n26). LEglise est le peuple de Dieu, cestdire un peuple que Dieu s'est acquis et qui lui appartient (n18, cf. 1P 2, 910). Comme telle, elle se situe dans la continuit de lAlliance que Dieu a conclue avec le peuple dIsral, en commenant par lappel dAbraham (n17). Ds le dbut, ce choix divin comportait lappel une vie de koinnia au sein de ce peuple. A la diffrence du peuple de lAncienne Alliance et qui se composait des fils dIsral, lEglise, peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance, se compose des hommes de toutes les races, nations, langues et cultures, qui sont appels une vie de koinnia avec Dieu et entre eux. Elle est ainsi dans et pour le monde un signe prophtique de la communion parfaite et ternelle que Dieu ralisera dans son Royaume eschatologique (n18). 9.2.2. LEglise du Christ En sappuyant sur la doctrine de saint Paul, le document affirme que lEglise est le corps du Christ (n19). Cest par la foi et le baptme que lon devient membre de ce corps (n20). LEglise est la communaut de personnes qui, rgnres par la foi et le baptme, sont unies en Christ (n55). Au sein de cette communaut, tous les membres reoivent des dons particuliers destins servir la croissance harmonieuse du corps du Christ tout entier (n21). En plus de limage paulinienne du corps, dautres images bibliques expriment divers aspects christologiques de lEglise. Limage dpouse souligne surtout la relation intime entre le Christ et son Eglise ; celle de la vigne, la dpendance totale de lEglise lgard du Christ ; celle des noces, son caractre eschatologique (n25). 9.2.3. LEglise de lEsprit-Saint Dans le document, lEglise est prsente comme une creatura Spiritus (nos9, 11 et 12). LEsprit-Saint est la source de la koinnia dans lEglise (nos59, 54, 55). Cest par la puissance de l'Esprit Saint que stablit la communion de chaque croyant avec le Pre et le Fils (n53). Cest galement lEsprit-Saint qui est la source de communion entre les fidles dans lEglise, corps du Christ (n11). Limage du corps du Christ exprime non seulement la dimension christologique de lEglise mais

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galement sa dimension pneumatologique, car cest par lEsprit-Saint reu au baptme que les croyants deviennent membres de ce corps, et cest la puissance de lEsprit qui le maintient dans lunit (n22). Une autre image pneumatologique de lEglise dans la Bible est celle de temple de lEsprit. Elle exprime le fait que l'Eglise est habite par l'Esprit qui lui donne vie de l'intrieur (n23). Emplis de lEsprit-Saint, les membres de lEglise sont appels mner une vie digne de leur vocation, attentifs garder l'unit de l'Esprit par le lien de la paix (n24). Il est apprciable que le document prsente la communion ecclsiale comme enracine dans la communion trinitaire. Ceci permet daffirmer sans quivoque que la communion des fidles dans lEglise ne peut pas tre regarde comme le rsultat de leur reconnaissance mutuelle, mais comme une ralit sacre dont Dieu est la source et la fin. Cette faon de concevoir la communion ecclsiale permet daffirmer galement son caractre dindestructibilit : noue dans le baptme au nom de la Trinit, elle demeure relle quoi quimparfaite, mme entre les fidles et les Eglises qui refusent de se reconnatre mutuellement. Dun point de vue catholique, la prsentation de la dimension christologique de lEglise aurait pu tre complte par un dveloppement sur lconomie incarnationnelle du salut dans et par lEglise. Comme dans le Christ, lhumanit tait linstrument par lequel sest ralis, une fois pour toutes, le salut, de mme, dans lEglise, la ralit visible (humanosociale) est linstrument qui sert la transmission continuelle de ce salut et sa prsence toujours actuelle dans le monde ; en dautres termes, reconsidre dans la perspective de lIncarnation, la communion suppose la communaut. Une telle prsentation aurait pu ouvrir quelques perspectives prometteuses dans le dialogue sur les sacrements. En effet, lconomie sacramentelle de lEglise senracine dans le mystre de lIncarnation du Fils de Dieu et dans le caractre terrestre et historique de son sacrifice. Ainsi, la constitution visible de lEglise dans le monde, et sa structure sacramentelle apparaissent toutes les deux comme des consquences de lIncarnation du Christ. La prsentation de la dimension pneumatologique est riche et relativement complte. Sans doute, il est possible dy reconnatre une majeure partie de lenseignement catholique sur le rle de lEsprit-Saint dans la vie de lEglise. Cependant, en lien avec ce qui vient dtre dit sur la christologie, nous pouvons regretter que laction ecclsiale de
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lEsprit-Saint ne soit pas prsente dans la perspective sacramentelle. Pour lEglise catholique, cest surtout par les sacrements, notamment par leucharistie, que la grce de lEsprit-Saint se dverse sur les membres du corps du Christ et que leur communion ecclsiale se raffermit et sapprofondit. 9.3. LEglise dans son tre de communion En reprenant la formule du Concile de NiceConstantinople, le texte affirme que l'Eglise de Dieu est une, sainte, catholique et apostolique, et que ces caractristiques essentielles de son tre sont des dons de Dieu (n12). En confessant la foi dans lunit, la saintet, la catholicit et lapostolicit de lEglise, tous les chrtiens sont appels mener une vie ecclsiale telle que ces qualits divines y soient clairement manifestes. La protection continuelle de ces proprits ecclsiales appartient particulirement ceux qui exercent dans lEglise un ministre dpiscop (n103). 9.3.1. LEglise une et multiple Nous lisons dans le texte que lEglise est une car elle vient de Dieu qui est un (n12). En tant que don divin, lunit fait partie de lessence de lEglise et est inaltrable (n38). Cependant, les chrtiens sont continuellement confronts au problme des divisions qui sopposent cette unit. Cest pourquoi, ils doivent uvrer ensemble pour que lEglise incarne plus compltement et de manire visible l'unit qui lui est dj donne (n38, cf. n74). Toutes les Eglises reconnaissent que cette unit visible laquelle elles sont appeles ne signifie pas luniformit de vie et quune lgitime diversit fait partie de la constitution de lEglise en ce monde. Cette diversit ecclsiale a une double source : dune part, elle vient de Dieu qui est un et trine la fois (n68), dautre part, elle vient de la diversit des contextes culturels et historiques dans lesquels vivent les chrtiens. En effet, lunique vangile du Christ peut recouvrir des expressions culturelles varies sans perdre sa vrit (n61). De mme que lunit, la diversit appartient ltre ecclsial et est implique dans la conception de lEglise comme communion. Cependant, il est reconnu que cette diversit lgitime nest pas illimite car la vie communautaire suppose l'unit dans la diversit et implique que tous s'expriment d'un seul cur et d'un seul esprit (n98). En effet, tant luniformit que la diversit illgitime sopposent la conception de lEglise comme communion.
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Cest pourquoi, tous les niveaux de la vie ecclsiale, il faut prserver simultanment et lunit et la diversit (n63). Le document reconnat que la sauvegarde de la koinnia dans lEglise ncessite un ministre pastoral au service de l'unit et du maintien de la diversit (n63). Un tel ministre est l'un des nombreux charismes donns l'Eglise (n63). Du point de vue catholique, il est apprciable que le document reconnaisse explicitement le besoin dun ministre pastoral de communion et implicitement (par lemploi du mot charisme) son caractre divin. Cependant, pour satisfaire la conception catholique du ministre dun ct et de lEglise de lautre, il et fallu dire quil sagit dun ministre ordonn dont la figure essentielle est lpiscopat. Si au niveau local, le maintien de la communion ecclsiale appartient surtout lvque aid dans son ministre par les prtres, les diacres et les fidles lacs, au niveau universel, cette tche revient surtout au ministre personnel du pape et au ministre collgial des vques qui lui sont unis dans le collge piscopal quil prside. Le texte rappelle quil ny a pas lunanimit entre les Eglises en ce qui concerne la relation de la diversit lunit, cestdire des limites dune diversit lgitime. Certaines Eglises estiment que le maintien des identits confessionnelles ne soppose pas la koinnia et elles prconisent un modle dunit bas sur la reconnaissance mutuelle de ces identits ; dans cette perspective, le but ultime de lengagement cumnique des Eglises consiste principalement ter de leurs diffrences le caractre diviseur, pour vivre dans une diversit rconcilie (n64). Dautres sont davis que la pleine communion visible exige le dpassement des diffrences confessionnelles et lavnement progressif dune unique identit chrtienne, qui pourrait cependant sexprimer travers diverses figures ecclsiales suivant les conditions locales (n64, encadr)1. Dans cette perspective, un accord sur la comprhension commune de la foi et ses implications ecclsiales et existentielles est ncessaire. Le document semble prconiser cette seconde solution. Il affirme, en effet, que dans leur engagement cumnique actuel, les Eglises doivent travailler pour laborer ensemble une conception commune de l'identit chrtienne sur la base de laquelle il serait possible de proposer une vision commune de
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Dans lensemble du document, les textes encadrs sont consacrs des divergences qui persistent entre les Eglises sur des points spcifiques de lecclsiologie. Ils ne sont pas numrots ; n64, encadr = lencadr qui suit le n64.

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lEglise comprise comme une koinnia visible de foi et de vie (n120). Mme si le document ne donne aucune indication concrte concernant les limites dune diversit lgitime, il est important quil reconnaisse que celle-ci nest pas illimite et quil y a des diversits qui sopposent lunit de la koinnia ecclsiale. Dans une perspective catholique, la discussion future dans ce domaine devrait porter surtout sur linterprtation des articles de la foi, sur la constitution visible de lEglise avec ses structures fondamentales et sur les sacrements. 9.3.2. LEglise sainte et pcheresse Toutes les Eglises croient en la saintet de lEglise : comme Dieu duquel elle vient, lEglise est sainte. Cette saintet est prsente dans le document comme un don divin inaltrable qui fait partie de l'essence de l'Eglise (n39). Cependant cette saintet contraste avec le pch qui, lui aussi, existe dans lEglise tant sous sa forme individuelle que collective (n39). Il manque pourtant lunanimit entre les Eglises sur la relation exacte du pch avec lEglise. Certaines considrent que lEglise, en tant quinstrument du salut, nest pas sujette au pch et quil nest pas correct de lui attribuer les pchs de ses membres. Dautres pensent que lEglise, en tant que communion des fidles, pche ; aussi, est-il possible de parler du pch de lEglise. Dautres encore estiment que lEglise est en mme temps une communion de pcheurs et une communion des saints. Toutes les Eglises cependant saccordent dire que la ralit humaine et les structures de lEglise sont affectes par le pch de ses membres, et que la koinnia ecclsiale sen trouve diminue (n41, encadr). Cest pourquoi, la confession assidue des pchs et la conversion du cur sont exiges pour la progression de la koinnia entre les Eglises (n60). Cest pourquoi aussi, le document prsente la saintet non seulement comme un don de Dieu mais aussi comme un dfi continuel pour tout croyant et pour toute lEglise, car la saintet ontologique de lEglise doit correspondre sa saintet existentielle. Dans cette dimension existentielle, la saintet signifie une vie personnelle et ecclsiale conforme lvangile du Christ et soulve, devant les Eglises, le problme des implications morales de la foi. Les Eglises reconnaissent quune vritable koinnia signifie lunit ecclsiale dans toutes ses dimensions. Elle implique non seulement la communion dans la doctrine, les sacrements et la constitution ecclsiale, mais galement la communion dans la vie morale. Lengagement moral est inhrent la vie de lEglise dans ce monde (n114) et pour cette
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raison, il nest pas possible de parler de la pleine communion ecclsiale sans une relle communion quant lthique chrtienne (n116). En effet, cette communion thique est un prolongement naturel de la communion doctrinale car la foi en Christ est confesse non seulement par des affirmations doctrinales, mais aussi par les attitudes existentielles des chrtiens qui doivent tre conformes lvangile du Christ (nos112-113). Le document reconnat qu lre actuelle, les questions morales apparaissent de plus en plus souvent comme des sources potentielles de division au sein des Eglises et entre elles. Il appelle donc les Eglises examiner quelles sont les limites tolrables d'une diversit morale compatible avec la koinnia (n117, encadr). La difficult rside dj dans la reconnaissance de lexistence dune thique spcifiquement chrtienne. Tandis que certaines Eglises estiment quelle existe et est contenue essentiellement dans le Sermon sur la montagne, dautres pensent quil existe un unique code moral donn tous les tres humains (n117, encadr). Il semble quune tude plus approfondie de la note de saintet, notamment dans sa dimension existentielle pourrait aider les Eglises chercher une approche commune des implications thiques de la foi. Certes, la saintet de lEglise lui est dj donne par Dieu, mais elle comporte galement un appel continuel tre saint comme Dieu est saint. Cest pourquoi, le dialogue sur lunit des chrtiens et ses conditions doit inclure galement llaboration dune thique chrtienne communment reconnue. 9.3.3. LEglise catholique, apostolique et eschatologique Le document consacre relativement peu de place la catholicit, lapostolicit et la dimension eschatologique de lEglise. Nanmoins, il affirme explicitement que lEglise est catholique et apostolique, et quune dimension eschatologique lui est inhrente. La catholicit fait partie de l'essence de l'Eglise (n40). Elle est prsente dans le texte essentiellement dans son aspect qualitatif : lEglise est catholique car, en tant que linstrument universel du salut pour le monde, elle contient tous les moyens ncessaires laccomplissement de ce but (n12). La fragmentation actuelle de la communaut chrtienne soppose cette catholicit car lvangile nest pas prch de la mme manire tous et tous ne disposent pas de la totalit des moyens divins de salut par lesquels saccomplit la

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communion (n40). La runification visible des chrtiens est donc ncessaire au plein panouissement de la catholicit ecclsiale. Dun point de vue catholique, il aurait t souhaitable que le texte affirme explicitement que la catholicit possde galement une dimension quantitative, sexprimant dans la prsence de lEglise dans tout lunivers. Comme nous allons le voir dans la troisime tude, ds lpoque patristique la catholicit est prsente tant comme la prsence de la plnitude ecclsiale dans une communaut locale dEglise (dimension qualitative), que comme lpanouissement universel de lEglise rpandue dans le monde entier (dimension quantitative). Il est clairement affirm dans le document que lapostolicit fait partie de l'essence de l'Eglise (n41). Cette note est prsente essentiellement en relation avec l'vangile apostolique, cestdire la Parole de Dieu qui cre et fait vivre l'Eglise (n12). Les erreurs dans la proclamation de la parole de Dieu sopposent la vrit apostolique de lvangile du Christ (n41), que lEglise doit conserver et transmettre fidlement de gnration en gnration (n12). Mme si le document voit lapostolicit surtout comme la sauvegarde fidle de la foi reue des aptres, il largit la perspective lorsquil parle de la Tradition apostolique de l'Eglise. En effet, celle-ci signifie la continuit dans les caractres permanents de l'Eglise des aptres qui englobent la foi apostolique, les sacrements (baptme et eucharistie), le ministre, le partage de tous les dons du Seigneur et la communion des Eglises locales entre elles (n72). En plus, le texte reconnat le rle spcifique du ministre ordonn dans la succession apostolique de lEglise, lorsquil dit que ce ministre est un moyen mis au service de la continuit apostolique de l'Eglise (n88, cf. n92). Une telle prsentation de la succession apostolique est apprciable car elle exprime la continuit de toute l'Eglise des aptres dans lEglise travers les ges. Cependant, elle ne semble pas tre assez coordonne avec la description de lapostolicit elle-mme, limite la foi prche par les aptres, sans que le contenu de cette foi soit prcis. Le document fait tat de la divergence fondamentale qui oppose les Eglises concernant la comprhension de lapostolicit. Alors que, pour certaines, la continuit institutionnelle et en particulier la continuit dans l'piscopat se prsente comme une condition de la continuit de lEglise dans la foi apostolique, pour dautres, la continuit de lEglise

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dans la foi apostolique peut tre discerne mme travers des ruptures de la continuit institutionnelle (n13, encadr n 3). Nous ressentons derrire cette divergence un problme ecclsiologique beaucoup plus fondamental qui oppose les Eglises, et qui est la fois celui du contenu de la foi apostolique et celui de la conception de lEglise. Pour lEglise catholique, la foi apostolique implique non seulement la foi en Dieu, Pre, Fils et lEsprit-Saint, mais galement la foi en lEglise qui est en mme temps et insparablement une communion spirituelle et une communaut visible structure autour du ministre piscopal. La persvrance dans la foi apostolique implique ainsi ncessairement la sauvegarde des structures terrestres de lEglise qui lui ont t donnes par le Seigneur et sans lesquelles elle ne peut pas exister dans ce monde comme communion spirituelle. Face cette divergence, le dialogue cumnique sur lapostolicit sannonce encore long et difficile car il ncessitera invitablement un accord sur le contenu de la foi apostolique et un accord sur la constitution de lEglise apostolique en ce monde ainsi quune dtermination commune concernant les conditions de leur succession historique. En outre, laspect eschatologique de lEglise est prsent dans la perspective du dessein divin concernant les hommes et lunivers ; ce dessein vers lequel sachemine inluctablement le monde est dcrit comme l'avnement du Royaume de Dieu (n42). LEglise est en mme temps une ralit eschatologique qui anticipe dj, dans la ralit historique de ce monde, la communion ternelle du Royaume et une ralit historique soumise aux ambiguts du temps prsent (n35-36). Cette double condition de lEglise signifie quelle est susceptible dvolutions positives dues la prsence en elle de lEsprit-Saint qui lapproche de son idal eschatologique, aussi bien qu des rgressions dues au pch des hommes et qui len loignent (n37). A plusieurs reprises, nous trouvons dans le texte lexpression signe prophtique, applique lEglise, et qui souligne galement sa dimension eschatologique (nos18, 42). Dun point de vue catholique, on aurait apprci une rfrence aux sacrements du baptme et de leucharistie dans les paragraphes parlant de leschatologie. En effet, par le baptme, les chrtiens entrent dans la communaut de ceux qui ont t plongs dans la mort du Christ pour avoir part avec lui une rsurrection semblable la sienne et pour entrer dans son Royaume. Dans leucharistie, la vie ternelle leur est dj
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communique par la communion au corps et au sang du Christ ressuscit et glorifi dans le Royaume de Dieu. Cette rfrence aurait t dautant plus opportune que toutes les Eglises affirment une porte eschatologique au baptme et leucharistie. 9.3.4. LEglise sacramentelle et missionnaire Dans le texte, lEglise une, sainte, catholique et apostolique est prsente comme le signe et l'instrument du dessein de Dieu pour le monde entier (n42 ; cf. nos43, 46 et 47, encadr). Cela signifie que l'Eglise existe, non pas pour elle-mme, mais pour servir l'uvre divine de rconciliation (n8). Dieu se sert de lEglise comme dun instrument pour radiquer l'hostilit, rconcilier l o il y a divisions et haine (n32) cestdire pour rtablir la communion de l'humanit avec Dieu et entre ses membres (n45). Appeler lEglise du nom de signe renvoie sa dimension de mustrion (n44), dans lequel la ralit transcendante et divine existe et sexprime travers une ralit humaine et terrestre. Le document affirme explicitement que lEglise est une ralit la fois divine et humaine (n13). Dire que lEglise est signe et instrument de la rconciliation avec Dieu et entre les hommes signifie que cette rconciliation se ralise en elle travers les structures institutionnelles visibles (n44). Cest dans ce sens que lEglise, dans sa ralit dinstitution visible, est l'instrument de la rdemption de toute la cration (n12), avec laquelle elle est lie par lunicit du dessein divin (n111). Dans le corps du texte, cens exprimer une convergence cumnique, le nom de sacrement nest jamais appliqu lEglise. Dun point de vue catholique, cela constitue sans doute un manque. Cependant, la ralit sacramentelle de lEglise sy trouve clairement exprime. LEglise terrestre comme communaut humaine institutionnellement organise, est appele signe et instrument grce auxquels se ralise le salut des hommes et la rdemption du monde. Il est noter que les mots signe et instrument appartiennent au langage traditionnel dont se sert la thologie catholique pour exprimer la ralit sacramentelle de lEglise. Le texte emploie galement le terme mustrion. Ce mot grec appartenant au langage biblique et patristique a t traduit en latin par sacramentum et transcrit ensuite en franais par le mot sacrement. Son emploi ici constitue un indice clair que les auteurs du document voulaient rendre compte de la ralit sacramentelle de lEglise dans un
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langage acceptable pour les diffrentes traditions confessionnelles. La sacramentalit de lEglise se trouve ainsi exprime dans le document, sinon quant aux mots, du moins quant la ralit. Le texte explique galement pourquoi le mot sacrement ny est pas utilis (47, encadr). Il rappelle quil existe toujours une divergence entre les Eglises concernant cette appellation. Il prcise que les Eglises qui nappellent pas lEglise du mot de sacrement agissent ainsi soit pour la distinguer clairement des sacrements, soit pour souligner le fait que mme si elle est linstrument du dessein salvifique de Dieu pour le monde, elle est, dans sa ralit terrestre, compose de pcheurs. Les Eglises qui recourent au terme sacrement, le font dans la conviction que, dans et par lEglise, se ralise la communion de tous les tres humains entre eux et avec lui [Dieu]. Le texte ajoute que les Eglises qui emploient cette formule le font parce qu'elles voient avant tout en l'Eglise l'indication de ce que Dieu veut pour le monde, savoir la communion de tous les tres humains entre eux et avec lui, ce bonheur pour lequel il a cr le monde (n47, encadr). Du point de vue catholique, cette dernire phrase nest pas suffisante pour exprimer les raisons pour lesquelles lEglise peut tre appele sacrement. En effet, lorsque la thologie catholique applique lEglise cette appellation, elle veut exprimer par-l que lEglise est un signe efficace de la communion avec Dieu et entre les hommes : non seulement elle indique ou signifie dans le monde le dessein divin, mais elle le ralise effectivement travers sa constitution institutionnelle terrestre et son agir pastoral1. Le document dit encore quil manque lunanimit entre les Eglises sur la question de savoir si la prdication de lvangile et les sacrements sont de simples manifestations de laction de lEsprit-Saint dans lEglise, ou sils sont des moyens dont se sert lEsprit-Saint pour la ralisation du salut (n13, encadr). Dans la perspective de la doctrine catholique, une distinction est tablir entre la prdication de la parole de Dieu par laquelle la foi est annonce, et les sacrements proprement dits et dans lesquels la foi est clbre et vcue travers des rites spcifiques du

Cf. supra, Troisime tude, 3.2. Perspective sacramentelle : Eglise sacrement de la communion.

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culte ecclsial. Si la parole annonce le salut, les sacrements le ralisent. Mme si les sacrements sont troitement lis la parole de Dieu, ils ne se situent pas au mme niveau defficacit salvifique. Selon la doctrine catholique, il sagit des moyens efficaces de la grce qui expriment et ralisent la sacramentalit de lEglise ; ces moyens ne sont pas indpendants de lEglise et leur efficacit leur vient de la source ecclsiale. Il est dailleurs dommage que le document nait pas tabli de lien direct entre lEglise, signe et instrument de la koinnia dune part et les moyens pastoraux qui ralisent cette koinnia, dautre part, et parmi lesquels la prdication de la parole et la clbration des sacrements tiennent une place privilgie. Selon le document, cette instrumentalit de lEglise est de caractre universel, cestdire quelle concerne lensemble des hommes appels par Dieu au salut (n46). Pour cette raison, lEglise qui nest pas un but en elle-mme mais un signe et un instrument du salut pour toute lhumanit, naturellement tourne ad extra, cestdire vers les hommes auxquels elle doit porter lvangile du Christ pour les rendre participants de la koinnia du salut. De ce fait, la mission fait partie de l'tre mme de l'Eglise et de sa vie (nos27 ; cf. 58) ; elle constitue une dimension essentielle de son identit (n30). En vertu de cette nature missionnaire de lEglise, les chrtiens sont appels tre tmoins de lvangile du Christ devant le monde (n29). Leur mission est la participation la mission du Christ et saccomplit dans la force de son Esprit (n28). La mission a pour but ultime la koinnia de tous (n58), soit la rconciliation des hommes avec Dieu et entre eux, initie par le Christ et qui doit se raliser continuellement dans le monde par son Eglise (n28). Regarde dans la perspective de la koinnia, la vocation missionnaire de lEglise exige aussi quelle soppose toute forme dinjustice entre les hommes. Sengager activement au sein de la socit pour gurir les rapports humains mis mal par les iniquits de toute sorte, est une condition ncessaire de la crdibilit de sa mission (n32). La fidlit la vocation missionnaire exige que les chrtiens et les Eglises proclament fidlement devant le monde l'enseignement du Christ dans sa totalit et partagent avec tous, et dans le monde entier, l'intgralit de la foi (n33). Il est apprcier que le document valorise la mission en affirmant quelle appartient de lintrieur ltre de lEglise et fait partie intgrante de sa prsence dans le monde. Il est aussi trs positif que lengagement missionnaire de lEglise soit explicitement mis en rapport
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avec la koinnia qui est prsente comme sa raison et son but. Le document aurait pu cependant relever que les divisions actuelles entre les chrtiens compromettent souvent, devant le monde, leur tmoignage missionnaire, en ce quelles constituent un contretmoignage donn au Christ et obscurcissent la vrit selon laquelle lEglise est le lieu, le signe et linstrument de la koinnia. La mention de cet aspect aurait t dautant plus apprciable que, comme nous le savons, le mouvement cumnique est n sur le fondement de la proccupation missionnaire des Eglises. 9.3.5. LEglise universelle et locale Le document rappelle que ds les origines du christianisme, les chrtiens formaient des communauts locales dissmines partout dans le monde. Comme lattestent les Ecritures saintes et des sources patristiques, les Eglises locales maintenaient la communion entre elles par des changes de lettres, des visites et des tmoignages tangibles de solidarit (n65). Elles se reconnaissaient ainsi mutuellement comme appartenant la mme et unique Eglise du Christ, rpandue travers le monde. Conformment cette tradition originelle, le document conoit lEglise universelle comme une communion dEglises locales. Il affirme que les principaux liens de communion entre elles sont le seul vangile, le seul baptme et la seule sainte Communion, au service desquels il y a un ministre commun (n66, cf. n67). Ces liens de communion sont le garant de la continuit de lEglise du Christ dans chacune delles et attestent son authenticit intgrale quant aux lments fondateurs de lecclsialit (n67). Ainsi, dans chacune des Eglises locales, est pleinement prsente la mme et unique Eglise du Christ (n66) ; elle se manifeste dans la vie de chaque Eglise locale (n98). En mme temps, le document affirme que chaque Eglise locale est unie toutes les autres dans l'Eglise universelle et recle en elle la plnitude de ce qu'est tre Eglise (n67, encadr). La communion ecclsiale [universelle] embrasse les Eglises locales de chaque lieu, de tous lieux et de tous les temps (n66) ; elle est donc la fois gographique et historique. La pleine communion visible signifie que chaque Eglise peut reconnatre en toutes les autres l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique dans toute sa plnitude (n67). Cette pleine communion ecclsiale sexprime visiblement dans la confession de la foi commune, dans le culte et le tmoignage, les dlibrations et l'action (n67).
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Le texte fait aussi tat de la divergence qui existe entre les Eglises, concernant la comprhension de la notion dEglise locale (n67, encadr). Si pour certaines Eglises, elle sapplique toute communaut locale des croyants runis en un seul lieu pour entendre la Parole et clbrer les sacrements, pour dautres, elle dsigne une telle communaut mais rassemble autour dun vque. Dans les Eglises orthodoxes, cette expression est aussi employe pour parler de plusieurs Eglises particulires (diocses, parchies) runies par une structure de type synodal et prsides par un archevque, un mtropolite ou un patriarche. Dans dautres Eglises encore, l'Eglise locale dsigne la fois le diocse et la paroisse1. Parlant de lEglise locale, de lEglise universelle et de la relation entre les deux, le texte touche lun des problmes les plus pineux du mouvement cumnique. Ce document peut pourtant tre considr comme le dbut dune convergence pour plusieurs raisons. En premier lieu, il conoit lEglise universelle comme une communion dEglises locales ; cette conception ne semble pas tre conteste par les Eglises engages dans le mouvement cumnique. Deuximement, il reflte la conviction commune des Eglises selon laquelle dans chacune des Eglises locales est ralise, dans sa plnitude, lEglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique. Troisimement, selon lopinion commune des Eglises quil exprime, la pleine unit visible entre les communauts locales exige leur unit dans la profession de foi, dans les sacrements (baptme et eucharistie) et dans le ministre, de mme quelle sexprime travers une vie commune stendant tous les niveaux de lEglise et englobant tous ses aspects (culte, tmoignage, diaconie, prise de dcisions, etc.). Dun point de vue catholique, cette convergence ne peut cependant tre considre que comme une convergence potentielle aussi longtemps que des divergences considrables qui persistent encore ne sont pas surmontes. La premire concerne la comprhension des concepts. Il se

Cest, entre autres, le cas de lEglise catholique, o lexpression Eglise locale sapplique le plus souvent un diocse ou un regroupement territorial de plusieurs diocses, mais dsigne parfois aussi une communaut quelconque de fidles rassemble en un lieu pour la clbration de leucharistie. Lappellation Eglise locale est frquente dans les documents du concile Vatican II (le plus souvent dans lacception de diocse) mais elle na pas t retenue par le dernier Code de Droit Canonique (cf. supra, Troisime tude, 4.3.4.1 : Distinctions des termes).

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dgage de lanalyse du document quil recourt lappellation Eglise locale dans le sens dune communaut dans laquelle se ralise en plnitude lEglise du Christ avec tous ses lments constitutionnels. Cela signifie que cest le terme dEglise particulire (dont le diocse est la principale ralisation) qui doit tre considr comme son correspondant dans le langage de lecclsiologie catholique. Dans ce cas, il est ncessaire daffirmer que, pour le ct catholique, cette comprhension de lEglise locale implique ncessairement le ministre piscopal. Cest autour de lvque, qui en est le centre visible, et sous sa conduite pastorale, que se rassemble lEglise locale. Pour exprimer la ralit de lEglise dans sa dimension universelle, le texte utilise les expressions : communion de lEglise (nos56, 61, 62, 94, etc.), communion des Eglises locales (nos67, 72) ou communion entre les Eglises locales (n66) ; il ny a quune seule mention de lexpression Eglise universelle et cest sans la dfinir (n67, encadr). Il remarque pourtant que lEglise universelle constitue la plnitude de ce qu'est tre Eglise (ibid.). Selon la foi de lEglise catholique, la communion universelle des Eglises locales signifie aussi que chacune delles reconnaisse le ministre du pontife romain comme appartenant de lintrieur la notion dEglise. Mme si, depuis lencyclique Ut unum sint, le problme est rediscut nouveau entre les Eglises dans lesquelles, de plus en plus souvent, slvent des voix affirmant que le maintien de la communion ecclsiale ncessite un ministre universel dunit , le document reconnat que, sur cette question, il reste encore beaucoup faire pour parvenir quelque chose qui ressemble un consensus (n110, encadr)1. Une autre divergence importante concerne la relation entre lEglise locale et lEglise universelle dans la koinnia. Elle nest pas releve explicitement dans le texte mais il est vident quun accord sur lEglise ne pourrait pas aboutir sans quune solution commune y soit apporte. Quelques suggestions indirectes dans le texte nous permettent de cerner une certaine correspondance avec la vision catholique. Laffirmation claire de la prsence de toute lEglise du Christ dans chaque communaut locale suggre nettement que lEglise universelle nest pas considre comme la somme (fdration) des Eglises locales, et que leur communion ne rsulte pas de la reconnaissance mutuelle mais de la

Cf. supra, 1.4.6., Primaut collgialit conciliarit.

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commune participation au mme mustrion ecclsial. Laffirmation selon laquelle chaque Eglise locale est unie toutes les autres dans l'Eglise universelle (n67, encadr) peut tre lue par lappartenance l'Eglise universelle. Une telle interprtation attribuant la primaut (ontologique et historique) de lEglise universelle sur lEglise locale correspondrait la position tenue dans les documents du Magistre catholique depuis Vatican II. Malgr un certain rapprochement des positions, dont tmoigne le document, son analyse nous permet galement didentifier plusieurs questions qui ncessitent encore un srieux approfondissement commun avant que les Eglises puissent arriver un vritable consensus : a) la dfinition de lEglise locale et la dtermination de ses lments constitutifs, b) la dfinition de lEglise universelle, c) la relation de lEglise locale avec lEglise universelle et celle entre les Eglises locales au sein de lEglise universelle, d) le ministre dunit, sa nature et son exercice, tant au niveau local quau niveau universel. 9.4. LEglise dans sa vie de communion La vie de communion dans lEglise sexprime par des signes visibles, parmi lesquels les plus importants sont le partage de la mme foi, la prire commune avec le partage communautaire du pain eucharistique au centre , lentraide matrielle, la mission commune de tmoignage, lengagement commun pour la paix et la justice dans le monde, etc. Tout en exprimant la communion, ces signes la font galement spanouir et sapprofondir davantage (n56, cf. n68). Ainsi, ils deviennent des moyens par lesquels saccrot la koinnia des chrtiens avec Dieu et entre eux. 9.4.1. La foi LEglise est la communaut de ceux qui ont une relation personnelle avec Dieu par leur foi en lui (n10), en dautres termes, cest une communaut de croyants. Car, comme il na y quune seule foi qui a t transmise aux saints dfinitivement (Jude 3) , de mme il ny a quune seule Eglise qui doit persvrer fidlement dans cette foi (n69)1.
1

Deux ans auparavant, la Foi & Constitution avait prpar un document concernant la recherche de lunit dans la foi : Towards Sharing The One Faith. A Study Guide for Discussion Groups, Faith and Order Paper 173, 1996 (http://www.wcccoe.org/wcc/what/faith/tsof.html, 08. 05. 2004).

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La foi rvle est contenue dans les saintes Ecritures et nonce dans les symboles cumniques (n70). Le texte affirme que, parmi ces symboles, celui de NiceConstantinople (381) constitue une expression prminente de la foi apostolique car il contient la foi qui est confesse par toutes les Eglises chrtiennes, y compris celles qui ne lutilisent pas (n73). Cette foi authentique est conserve intgralement et transmise fidlement de gnration, en gnration au moyen de la Tradition de l'Eglise. Cette transmission est un processus multiforme et vivant qui ne signifie pas la conservation dune formulation doctrinale unique, toujours et partout la mme ; en effet, la foi sexprime et se transmet par la totalit de la vie ecclsiale, cestdire par la clbration du culte, le dveloppement de la thologie, le service au monde et le tmoignage rendu tant par une parole de foi que par une vie de foi (n71). LEglise est une creatura Verbi puisquelle est fonde sur la Parole de lvangile et vit continuellement de cette Parole (n10). Pour garder sa pertinence existentielle dans les conditions changeantes de la vie des hommes dans le monde en constante volution, lvangile contenu dans les Ecritures saintes doit tre sans cesse rinterprt de faon neuve par chaque Eglise, suivant le contexte culturel, social, politique et religieux particulier qui est le sien (n70). Cependant, cette interprtation continuelle ne doit jamais conduire laltration du message apostolique originel et, pour cette raison, elle doit se situer dans la continuit du tmoignage de toute lEglise (ibid.). Le document parle cet gard du sens de la foi. Il introduit une distinction entre le sensus fidei et le sensus fidelium (n99). Par lexpression sensus fidei, il dsigne un sens spirituel de discernement prsent dans chaque membre de la communaut, qui lui permet de reconnatre, dans l'enseignement de la communaut ce qui est, ou non, en accord avec la vrit de l'vangile (ibid.). Le sensus fidelium est une expression communautaire du sensus fidei, et constitue un lment essentiel du discernement, de la rception et de l'expression de la foi chrtienne (ibid.). La conception du sensus fidei telle que nous la trouvons dans ce document ne correspond pas pleinement la conception catholique. En effet, ici le sensus fidei est rapport chaque membre de la communaut pris individuellement, dans la thologie catholique, en revanche, il se rapporte tous les croyants ensemble et en communion avec lEglise. Cest pourquoi, pour lEglise catholique, le sensus fidei et le sensus fidelium squivalent dans les faits, et la diffrenciation entre les deux notions ne peut tre que conceptuelle. Ici, par contre, chaque notion
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dcrit une ralit diffrente. Selon la foi de lEglise catholique, le sens de la foi (sensus fidei) appartient la communaut tout entire et tous les membres de cette communaut y participent condition de demeurer en communion vitale avec elle ; sous cet aspect, il se prsente comme le sens de la foi de la communaut croyante, cestdire le sensus fidelium. La position catholique senracine dans la conviction selon laquelle toute lEglise, en tant que communaut de croyants guide par lEsprit-Saint, ne peut pas errer dans la foi. Cependant, des personnes individuelles, voire des communauts entires, peuvent sloigner de la vrit rvle si elles se coupent de la communion de toute lEglise. Aussi, du point de vue catholique, il est correct de parler du sensus fidei du peuple de Dieu tout entier mais il nest pas correct de parler du sensus fidei de chacun des croyants baptiss, ainsi que le fait le document. Dun point de vue catholique, des prcisions sont galement ncessaires concernant lattribution chaque Eglise (locale) du droit dinterprter la foi rvle (n70)1. Selon lenseignement catholique, le droit dinterprtation authentique de la rvlation divine appartient toute lEglise qui guide par le Saint Esprit grce au sensus fidei ne peut pas errer dans la foi. Cette interprtation authentique est exprime dans lenseignement du Magistre ecclsial, qui lannonce dune manire formelle. Le Magistre nenseigne pas des opinions prives du pape, des vques ou de quelques thologiens renomms, mais guid par lEsprit de vrit , il prcise et clarifie la foi qui est crue par toute lEglise ; lenseignement du Magistre est ainsi une expression de la foi authentique de toute la communaut ecclsiale. Toutes les Eglises locales participent cette responsabilit commune dinterprter la foi rvle de manire authentique. Ceci sexprime surtout lorsque, reprsentes par leurs vques et avec laide des thologiens de profession et dautres experts, les Eglises prennent des dcisions communes concernant la foi et les murs lors des Conciles cumniques. Cest aussi sur ce fond dinfaillibilit ecclsiale quil faut

Le texte dit : chaque Eglise, l o elle se trouve, est appele dans la puissance de l'Esprit Saint rendre cette foi pertinente et vivante dans le contexte culturel, social, politique et religieux particulier qui est le sien (n70). Il ne dit pas sil sagit de chaque Eglise locale ou de chaque Eglise confessionnelle. Nous optons ici pour la lecture chaque Eglise locale, car il nous semble que la seconde acception naurait pas ici ni beaucoup de sens ni une importance doctrinale particulire.

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interprter linfaillibilit personnelle du pape1. Il est dommage que le document ne soulve mme pas la question de linfaillibilit ; laquelle aura besoin dune solution commune dans la perspective de lunit visible. Linterprtation commune de la foi ne signifie pourtant pas luniformit doctrinale dans lEglise : des opinions varies peuvent coexister sans briser la communion. Comme dans tout autre domaine de la vie ecclsiale, cette diversit ne peut tre illimite, et il est ncessaire de fixer des limites au-del desquelles la communion de foi est rompue. Le document rappelle qu prsent, il ny a pas unanimit des Eglise sur ces limites. Parmi les questions actuelles qui demeurent controverses, le texte cite linterprtation de la rsurrection du Christ et la question de lexclusivit de sa mdiation salvifique ; la valeur ecclsiale de lAncien Testament ; le rle des auteurs humains dans la rdaction des Ecritures saintes ; et la procession de l'Esprit Saint (n74, encadr). 9.4.2. Le baptme Le baptme est prsent dans le document comme lacte dune double affiliation : divine et ecclsiale la fois. Dans le baptme, le chrtien reoit le don de lEsprit-Saint grce auquel il est incorpor au corps du Christ (n76) ; comme le prcise le texte, il entre dans la koinnia du corps du Christ (n77 cf. 1Co 12, 13) une formulation qui souligne bien le caractre ecclsial du baptme. Menant dans ce corps une vie de crature nouvelle, le chrtien bnficie dj de la communion avec Dieu (n77). Le document rappelle galement la conviction commune de toutes les Eglises selon laquelle le baptme confr avec de leau au nom de la Trinit est un lien fondamental d'unit entre tous les chrtiens, malgr les divisions qui subsistent encore entre les Eglises, et malgr le manque lunanimit sur les consquences cumniques du baptme (n75)2. La sacramentalit du baptme nest pas explicitement affirme dans les paragraphes qui lui sont consacrs (nos75-78) et le document note que cette question demeure parmi les points de divergence entre les Eglises

Cf. supra, Troisime tude, 4.4.4.3.4. Ministre dunit du pontife romain dans la communion de toute lEglise. 2 Voir ce sujet: Becoming a Christian: The Ecumenical Implications of Our Common Baptism. Faith and Order Consultation, Faverges, France, January 17-24, 1997 (http://www.wcc-coe.org/wcc/what/faith/faverg.html, 08. 05. 2004).

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(n77, encadr). Toutefois, plus loin, on parle du sacrement du baptme qui est prsent comme le fondement de la vie communautaire (conciliaire ou synodale) de l'Eglise (n98). Cependant, la lumire de ce qui vient dtre dit, il est possible que cette unique application du terme sacrement au baptme soit fortuit. Quoi quil en soit, dun point de vue catholique, il aurait fallu affirmer clairement et explicitement le caractre sacramentel du baptme dans les paragraphes qui lui sont consacrs, car toute lconomie sacramentelle de lEglise se fonde sur la reconnaissance de ce caractre. Ceci est un manquement majeur du point de vue de lecclsiologie catholique, qui regarde lEglise en premier lieu comme une communaut de vie sacramentelle fonde sur le sacrement du baptme. Il est bien relev dans le document que le baptme est source dun sacerdoce commun, dont jouissent tous les membres du corps du Christ. Il ny a quun seul et unique sacerdoce dans lEglise celui du Christ (n20). Par le baptme, les chrtiens participent ce sacerdoce du Christ et forment tous ensemble un corps sacerdotal (n83) ; chacun tant appel proclamer lvangile, servir la cause du Salut et intercder pour le monde (n84). Avec ce caractre sacerdotal, tous les membres de lEglise ont reu des dons varis de lEsprit-Saint, quils doivent utiliser en vue de l'dification de la communaut de l'Eglise et de l'accomplissement fidle de la mission du Christ (n82). Nous lisons dans le document que le baptme est considr comme l'ordination de tous les croyants (n76). Lappellation du baptme du nom dordination (mme si les auteurs ont pris la prcaution de le mettre entre guillemets) introduit une ambigut inacceptable du point de vue de la doctrine catholique. Dans lEglise catholique, le terme dordination nest jamais appliqu au baptme ; il est rserv en exclusivit aux sacrements de lpiscopat, du sacerdoce ministriel et du diaconat. Lemploi de ce terme pour parler du baptme suggre une qualit ministrielle sacramentelle chez tous les baptiss, qualit semblable celle confre par le sacrement de lordre ; ce qui serait contraire la foi catholique. En effet, il y a une diffrence de qualit et non seulement de degr entre le sacerdoce ministriel confr certains hommes par lordination, et le sacerdoce commun confr tous les chrtiens par le baptme. Par analogie avec lordination proprement dite, le point positif de lemploi du terme ordination pour dsigner le baptme, pourrait rsider dans le fait quil suggre son caractre sacramentel ; il sous-entedrait galement que le baptme comme toute
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ordination imprime chez la personne qui le reoit une marque indlbile. Toutefois, la lumire de la doctrine catholique de lordination, un tel emploi serait thologiquement impropre et viter dans le cas du baptme. Le document rapporte encore que la divergence persiste concernant le rapport du baptme la foi ; laquelle divergence se reflte pastoralement dans la nonreconnaissance du baptme des enfants par certaines Eglises, se verifiant dans la pratique dite du re-baptme (n77, encadr). Le document estime quil convient que toutes les Eglises considrent comme valide tout baptme clbr avec de l'eau au nom de la sainte Trinit et fond sur la foi en elle (ibid.). LEglise catholique peut reconnatre dans cette affirmation sa propre foi ; elle ne pratique jamais le re-baptme, si les conditions annonces ici ont t observes lors du (premier) baptme. 9.4.3. Leucharistie Le document souligne que le baptme est trs troitement li l'eucharistie, en ce que la clbration eucharistique manifeste la communion ralise dj dans le baptme, et n ce quelle raffirme liturgiquement la foi baptismale (n78). Il est trs positif que le document met en lumire le lien intrinsque qui existe entre le baptme, la foi et leucharistie. En effet, les Eglises sont gnralement daccord pour dire que la koinnia des croyants, qui se noue sacramentellement par le baptme reu dans la foi, se manifeste ecclsialement au plus haut degr lorsquils se rassemblent autour de la table du Seigneur pour partager eucharistie. Cest pourquoi, la communion dans la foi et le baptme a son centre dans l'eucharistie une (n80, encadr). Le document prsente ainsi leucharistie comme le sacrement qui difie la communaut (n80), car communiant au corps et au sang du Seigneur, les chrtiens affermissent leur communion dans le corps du Christ quest lEglise. Dans cette perspective ecclsiale, la participation la communion eucharistique est un appel la rconciliation et au partage au sein de la famille des enfants de Dieu. Cest pourquoi le texte rappelle aux Eglises que les oppositions confessionnelles entre les chrtiens sont injustifiables la lumire de la signification ecclsiale de leucharistie et quelle les appelle les surmonter (n80). Dans une prsentation rapide, le document retrace les aspects fondamentaux de leucharistie. Elle est appele le repas du Seigneur qui rassemble les chrtiens en communion, laction de grce rendue au Pre
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pour la cration, la Rdemption et la sanctification, et le mmorial (anamnesis) de la mort et de la rsurrection du Christ (n79). Ce qui tonne cependant dans ce paragraphe, cest labsence de rfrence au rle de lEsprit-Saint dans la clbration eucharistique (epiclesis). Le document se contente de mentionner au passage que dimportantes divergences subsistent entre les Eglises sur cette question (n80, encadr). Dans divers dialogues cumniques, des progrs significatifs ont t accomplis concernant la dimension pneumatologique de leucharistie, dont les rsultats sont recueillis dans bien des documents importants ; entre autres dans les travaux du Groupe de Dombes1, de la commission ARCIC I2 et surtout dans le BEM3 ; qui demeure un texte de rfrence pour toutes les Eglises. Sans une affirmation explicite de laction de lEsprit-Saint dans la communaut qui clbre et dans les offrandes dposes sur lautel, la prsentation de la clbration eucharistique reste incomplte. Par contre, est apprcier la manire de prsenter la prsence eucharistique du Christ. Le texte parle de la prsence relle du Christ crucifi et ressuscit qui donne sa vie pour toute l'humanit (n79). Dans cette phrase, lexpression typiquement catholique la prsence relle du corps et du sang du Christ nest pas utilise. Cependant, dans la phrase prcdente, nous lisons que dans la sainte communion, les chrtiens reoivent le corps et le sang du Christ. Il nous semble donc permis de considrer que la foi catholique en la prsence eucharistique du Christ y est convenablement exprime. Diffrents accords eucharistiques des dernires dcennies nous ont montr que le ralisme eucharistique peut tre rendu par des mots divers4. Il nous semblerait anticumnique dexiger lusage des expressions typiquement catholiques, car les termes qui sont employs dans ce texte rendent

GROUPES DES DOMBES, Accord doctrinal entre Catholiques et Protestants sur lEucharistie, 13 mars 1972, dans DC, n1606 (1972), 334-337 et Accord pastoral : la signification de lEucharistie, dans Vers une mme fois eucharistique ?, Taiz, 1972, 3149 ; cf. B. SESBOE, Laccord eucharistique des Dombes. Rflexion thologique , dans Pour une thologie cumnique, coll. Cogitatio Fidei 160, Paris, Cerf, 1990. 2 ARCIC I, Final Report, 1981. 3 FOI & CONSTITUTION, Baptme, Eucharistie, Ministre, Presses de Taiz, 1982 et Baptme, Eucharistie, Ministre, 1982-1990: Rapport sur le processus BEM et les ractions des Eglises, Paris, Centurion, 1993. 4 Cf. les trois notes infrapaginales prcdentes.

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suffisamment compte de la foi catholique concernant la prsence eucharistique du Christ. Le document rappelle quil ny a pas unanimit concernant la pratique de lhospitalit eucharistique (n80, encadr). Certaines Eglises estiment que le partage eucharistique est la fois un moyen de crer l'unit visible et le but de cette unit, et ouvrent leur table eucharistique tous les baptiss qui croient au Christ. A loppos de cette pratique, se trouvent les Eglises qui conoivent la communion eucharistique comme l'ultime expression d'un accord dans la foi et d'une communion de vie ; pour cette raison, elles la rservent exclusivement leurs propres membres. Entre ces positions extrmes, il y a diffrentes solutions intermdiaires o lhospitalit est admise dans des conditions biens dfinies cest, entre autres, le cas de lEglise catholique1. Dans un texte consacr lecclsiologie, il aurait t appropri de dire plus explicitement que les Eglises qui nadmettent pas lhospitalit eucharistique le font en raison du lien indissoluble qui, selon elles, existe entre leucharistie dun ct et lEglise de lautre. Puisque, selon elles, la communaut eucharistique sidentifie la communaut ecclsiale, aucun cart nest admissible entre lune et lautre. La question de la prsidence sur laquelle il ny a pas lunanimit entre les Eglises nest pas mentionne dans les paragraphes consacrs leucharistie. Il est cependant dit plus loin que la plupart des Eglises conviennent qu'il faut une prsidence la clbration de l'eucharistie (n110, encadr). Si, du point de vue catholique, une telle formulation nest pas suffisante, on peut nanmoins y voir un premier pas sur le chemin vers un consensus plus labor. 9.4.4. Le ministre Le document affirme aussi que tous les membres de lEglise sont relis entre eux en communaut selon un ordre (taxis, n94). Ceci signifie que tous naccomplissent pas au sein de lEglise les mmes fonctions, et ny occupent pas la mme place. Le document note que selon un usage ancien remontant la Tradition patristique, certaines Eglises emploient le terme hirarchie (n97, encadr), pour dsigner cet ordre. La rfrence originelle de cet usage est la sainte Trinit. Il existe, en effet, une hirarchie (un ordre) des personnes divines dans la Trinit,
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CPUC, Directoire pour lapplication des principes et des normes sur lcumnisme, DC 90 (1993), 609-643.

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conforme leurs fonctions diffrentes dans lconomie du salut. Cette hirarchie suppose lgalit des personnes divines et signifie lexistence des relations coordonnes entre le Pre, le Fils et le Saint Esprit, mais exclut toute ide de subordination entre les trois. Lordre (hirarchique) dans lEglise doit reflter lordre des personnes au sein de la Trinit (n94). Quil sagisse des ministres chargs de certaines fonctions spcifiques ou des autres fidles, tous ensemble forment lunique Eglise et jouissent de la mme dignit denfants de Dieu dcoulant de leur baptme commun. Comme dans la communion trinitaire, chaque personne accomplit sa fonction propre sans dominer les deux autres ; de mme, dans la communion ecclsiale, chaque fonction, chaque don et chaque charisme, doit sexercer sans domination ni subordination des uns par rapport aux autres (n94). Si le mot domination employ ici ne pose aucun problme car tout ministre est un service et tout ministre est appel tre un esclave de tous , le mot subordination ncessite un commentaire du point de vue de la foi catholique. En effet, la structure hirarchique de lEglise implique une ingalit fonctionnelle des membres les uns par rapport aux autres. Les autorits ecclsiastiques ne sauraient exercer efficacement leur fonction ddification de la communaut sans une subordination volontairement accepte du peuple de fidles leurs dcisions. Les fidles et la hirarchie ne constituent pas dans lEglise deux couches juxtaposes, mais deux catgories de fidles organiquement lies lintrieur dun corps unique bien coordonn. Le caractre organique de la communion ecclsiale implique ainsi une subordination du peuple de fidles ceux qui exercent un ministre hirarchique. Les fidles sont exhorts se soumettre aux dcisions de la hirarchie en ce qui concerne leur vie en Eglise, et obir lorsquelle enseigne au nom du Christ et en communion de toute lEglise la foi rvle, avec ses implications existentielles. Cette subordination existe galement entre les diffrentes catgories de ministres et entre les diffrentes institutions dans lEglise. Cest sur la reconnaissance de cette subordination que se fonde galement le principe de subsidiarit dans lEglise, selon laquelle les instances locales peuvent prendre des dcisions concernant leur vie sur le terrain, mme si celles-ci doivent tre reconnues par des instances suprieures pour que soit prserve la communion universelle. Etant donn que la constitution sociale fait partie intgrante de la vie de lEglise dans le monde, il est ncessaire de reconnatre quelle implique une subordination fonctionnelle, tant entre
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les personnes, quentre les institutions et les communauts suivant les fonctions exerces ou la place occupe dans les structures ecclsiales. Dans lordre ecclsial (taxis) dorigine divine, senracine la diversification de la communaut ecclsiale lintrieur de laquelle il existe des fonctions et des ministres varis. Le document affirme que, depuis les origines, les communauts chrtiennes possdaient des personnes qui y exeraient des responsabilits particulires et jouissaient dune autorit spciale et reconnue par les autres membres de la communaut (n85). Une tude historique atteste que, trs tt dans l'histoire de l'Eglise, on a ressenti le besoin d'avoir un ministre ordonn qui soit au service de la communion (n85) et que, vers le troisime sicle, le triple ministre d'vque, de presbytre et de diacre reprsentait le modle gnralement admis (n86). Pour exprimer pleinement la foi de lEglise catholique, cette reconnaissance de lexistence historique du ministre ds origines de lEglise aurait du saccompagner dune reconnaissance de sa provenance divine. Selon la foi catholique, le ministre ordonn ne sorigine pas, comme le dit le texte, dans un besoin ressenti par lEglise, mais dans le don que le Seigneur en a fait lEglise. Le ministre ordonn existe non pas parce que lEglise en ressent le besoin : cest lEglise qui en ressent le besoin, car il existe en elle comme une structure divinement institue. Si, donc, il est apprciable que le document reconnaisse lenracinement ecclsial du ministre, il est pourtant regrettable quil ne reconnaisse pas explicitement son institution par le Christ. Bien sr, une telle reconnaissance nimplique pas priori laffirmation dun mode dtermin de cette institution mais seulement la reconnaissance que son existence senracine dans la volont du Christ pour son Eglise. Dun point de vue catholique, il aurait t galement ncessaire de relever lexistence dun lien de continuit entre le ministre apostolique des Douze et le ministre apostolique des ministres ordonns que le document appelle episcopos (cf. n92). Il est dit dans le texte quil y a divergences entre les diffrentes traditions sur la signification ecclsiale du ministre ordonn, en particulier de lpiscopat. Pendant que certaines lui attribuent la qualit dun moyen efficace dans la transmission ecclsiale du Salut, dautres estiment que Dieu, dans sa souverainet salvifique, nest li par aucune structure institutionnelle spcifique (n13, encadr).

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Du point de vue catholique, les deux affirmations sont vraies et doivent tre tenues ensemble. Certes, Dieu est le Sauveur souverain qui peut accorder le Salut de faon compltement affranchie et par des voies quil choisit librement. LEglise catholique croit nanmoins quen instituant lEglise en ce monde, le Seigneur la munie dun ministre ordonn par le moyen duquel il garantit la prsence sre et efficace en elle de la grce qui sauve. Ce ministre est ncessaire pour que lEglise continue tre, travers lhistoire, ce quelle est dans le dessein de Dieu, savoir le signe et linstrument du Salut dans et pour le monde. Le texte exprime bien le caractre ecclsial du ministre ordonn et sa dpendance de lEglise. Ceci est particulirement soulign dans le paragraphe qui parle de lordination : lEglise tout entire, par l'intermdiaire de ses ministres ordonns, participe l'ordination (n88). En effet, les ministres sont donns lEglise et non pas linvers. Tenir compte de cette vrit fondamentale dans la prsentation du ministre dans les Eglises, aidera certainement chercher un accord cumnique sur sa signification ecclsiale et son rle dans la vie de la communaut. Il est apprcier que le document accorde aux ministres ordonns la fonction dordonner dautres ministres. Cependant, dans la perspective catholique, il et fallu prciser que seuls les vques (episcopos) sont sacramentalement habilits le faire ; eux seuls dtiennent ce droit. Selon le document, le ministre ordonn doit servir ldification continuelle de la communaut et son affermissement dans la communion de foi, de vie et de tmoignage (n85). Le document affirme trois fonctions fondamentales du ministre ordonn qui servent laccomplissement de ce but : les ministres proclament et enseignent aux fidles la Parole de Dieu, ils clbrent le baptme et la dernire cne, et ils guident la vie de la communaut dans l'adoration et la mission (n87). Cette faon de parler saccorde relativement bien avec la doctrine catholique du ministre ordonn. Toutefois, pour reflter plus exactement la position catholique, il aurait fallu ajouter que les ministres clbrent non seulement le baptme et leucharistie, mais aussi les autres sacrements. Ceci est implicitement exprim dans le numro suivant o nous lisons que ceux qui reoivent lordination sont choisis pour exercer le ministre de la Parole et des sacrements (n88). Il aurait t apprciable que le texte affirmt clairement quune des fonctions essentielles de ce ministre consiste prsider la prire liturgique de la communaut, notamment la clbration communautaire de leucharistie.
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9.4.5. Lpiscop Le document atteste que, ds les dbuts de lEglise, on constate lexistence dun ministre spcifique de surveillance appel du nom dpiscop. Selon le tmoignage de la Tradition, le terme piscop recouvre diffrentes fonctions : le maintien de la communion entre les communauts locales, la prservation et la transmission fidle de la vrit apostolique, le soutien mutuel entre les communauts dEglise vivant dans des contextes varis et devant faire face aux diverses difficults, la direction de la vie des fidles sur le fondement de lvangile du Christ, la coordination de la vie ecclsiale dans tous ses aspects et tous ses niveaux (nos90-91). Ce ministre est une exigence de toute l'Eglise (n90) qui en a besoin sous une forme ou sous une autre (n89). Il est particulirement ncessaire pour exprimer et promouvoir l'unit visible du corps [du Christ] (n89). Le document affirme que, tout au long de lhistoire de lEglise, ce ministre sexerce sous diverses formes dont les unes sont personnelles cestdire exerces par une personne, et les autres collgiales cestdire exerces par un groupe de personnes ou par toute la communaut (n91). Lhistoire tmoigne tant de la varit de ces formes aux origines de lEglise, que de leurs volutions diffrentes suivant les contextes de vie varis des Eglises et les circonstances historiques. Ces dveloppements divers sont lorigine de deux systmes fondamentaux dpiscop : un systme synodal et un systme piscopal. Mme en rompant avec la structure globale de lEglise lpoque de la Rforme, les Eglises issues des divers mouvements contestataires du 16me sicle ont continu penser qu'il tait ncessaire d'avoir un ministre dpiscop et lont organis de diverses manire en privilgiant, suivant le cas, un ministre personnel ou un ministre synodal (n93). A lpoque actuelle, et dans plusieurs Eglises, les deux systmes existent simultanment, tandis que dans dautres il nexiste que lun ou lautre. Quel que soit le systme en vigueur, le but du ministre dpiscop est toujours le mme : maintenir la continuit dans la vrit apostolique et l'unit de vie de lEglise (n92, cf. n102), mais en mme temps prserver sa diversit (n97). Dans les deux systmes, il est possible de distinguer trois dimensions dans lexercice du ministre dpiscop : une communautaire, une personnelle et une collgiale (cf. titre du chapitre IV et n97). La dimension communautaire (ou la synodalit) est rapporte aux Eglises et

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dcrite dans le texte comme le fait que toutes les Eglises cheminent ensemble (n96). La dimension personnelle signifie quil y a dans lEglise des personnes qui se voient confier par l'Eglise l'exercice spcifique de l'autorit du Christ (n95). Mme si le ministre personnel dpiscop exige la collaboration, le soutien et l'accord de toute la communaut, il est dit dans le texte quil sagit dun ministre confi certaines personnes (piscopos), avec la charge de conduire lEglise dans sa mission, son enseignement et sa vie commune (n90). Enfin, la dimension collgiale (collgialit) est rapporte lensemble des ministres, et dfinie comme la communion de tous ceux qui y exercent un ministre de supervision (n96). La charge pastorale de ceux qui exercent le ministre dpiscop implique aussi lexercice de la discipline au sein de la communaut ecclsiale (n102). Cependant, lpiscop est un ministre de service au sein de la communaut et aucun piscopos ne peut jamais se considrer au-dessus de la communaut, mais toujours agir dans l'esprit de celui qui est venu non pour tre servi, mais pour servir (n101). Il est explicitement reconnu quil revient aux piscopos dordonner d'autres ministres chargs de partager le ministre de la parole et des sacrements (n102). Finalement, le document dit que tout ministre dans lEglise doit tre envisag dans le cadre plus large de la vocation de l'Eglise tout entire appele tre au service du dessein de Dieu (n81). Ceci doit tre rapport de manire particulirement forte ceux qui sont chargs du ministre dpiscop : ils doivent prserver lEglise dans lunit et la vrit afin que celle-ci puisse tre, dans et pour le monde, un signe et un instrument efficace de laccomplissement du dessein de Dieu. Le document adresse aux Eglises linvitation reconnatre mutuellement leurs ministres respectifs dpiscop, quelles que soient leurs formes spcifiques dans chacune delles (n93, encadr). Cependant, peu dEglises peuvent actuellement le faire ; le ministre en gnral et le ministre dpiscop en particulier constituent toujours lun des chapitres les plus ardus du dialogue cumnique. Malheureusement, dun point de vue catholique, le prsent document ne constitue pas encore une base ncessaire pour une telle reconnaissance. Selon la foi catholique, la forme spcifique du ministre dpiscop est le ministre piscopal que lEglise croit dinstitution divine. Il est certainement positif que le document reconnaisse lexistence historique de ce ministre et y voit une forme lgitime dpiscop. Cependant, une telle
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prsentation nest pas suffisante pour lEglise catholique car, selon sa foi, il sagit dun ministre qui constitue une structure fondamentale dans lEglise sans laquelle celle-ci ne saurait prserver sa pleine authenticit apostolique. Cette foi ne lui permet pas dadmettre une libert dans ce domaine. Seul ce systme dexercer lpiscop qui est ancr dans le ministre spcifique des vques correspond la volont divine et jouit de la lgitimit ecclsiale. Selon la foi catholique, il est exerc de manire personnelle par chaque vque dans son diocse, et de manire collgiale dans lEglise universelle par tous les vques runis en collge piscopal sous la prsidence du pape. Dans la perspective doctrinale catholique, il est impossible de reconnatre lexistence dun vrai ministre dpiscop dans les Eglises qui ne pratiquent pas lordination sacramentelle dans la succession apostolique, car, selon la foi de lEglise catholique, ce ministre est indissociable de lordination sacramentelle. Quil sagisse de sa dimension personnelle ou collgiale, il est fond sur le sacrement de lordre et troitement li au rle propre de la hirarchie ecclsiastique. LEglise croit quen tant que successeurs des aptres, les vques jouissent dun charisme spcifique de lEsprit-Saint qui les habilite lexercice de ce ministre pour le bien de toute lEglise. En tant que structure dinstitution divine, il est reu par lEglise comme un don du Seigneur et ne peut tre remplac par aucune autre forme de ministre. Tout en reconnaissant une valeur ministrielle divers ministres des autres Eglises, lEglise catholique ne les juge pourtant pas aptes prserver la plnitude du mystre de lEglise et estime, quen raison de ce manque, elles souffrent dune dficience ecclsiale. Pour lEglise catholique, la succession apostolique du ministre piscopal transmis dans la continuit historique de gnration en gnration et par le geste sacramentel de limposition des mains de lvque, est une forme indispensable de la continuit apostolique de toute lEglise. Cest pourquoi, la demande du document de reconnatre la continuit fidle avec la foi apostolique en mme temps qu'un contenu apostolique du ministre ordonn (n93, encadr) dans les Eglises qui nont pas gard la succession piscopale semble difficile, voire impossible pour lEglise catholique, car il sagit, pour elle, dune structure divine et indispensable de lEglise. Il est certain que sur ce point spcifique, la demande similaire adresse aux Eglises, qui n'ont pas la succession piscopale de considrer que la continuit avec l'Eglise des aptres peut trouver son expression dans l'acte de l'imposition des mains accompli par les vques de gnration en
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gnration, et que ce signe peut servir la continuit elle-mme (n93, encadr) est plus facile raliser car, par principe, ces Eglises ne croient pas que cette continuit apostolique soit lie une forme spcifique de transmission. 9.4.6. Primaut collgialit conciliarit Un seul paragraphe est consacr la question de la primaut (n103). Il y est dit que le but que sert le ministre de primaut est lunit de lEglise. La primaut relve du mode personnel de lexercice du ministre mais elle est indissociable des dimensions collgiale et communautaire. Cette courte prsentation est en accord avec la doctrine catholique de la primaut. Cependant, elle nest pas assez spcifique pour transmettre toute la foi de lEglise concernant ce ministre. Il est souligner comme trs positive la reconnaissance explicite, dans le document, du caractre personnel du ministre de primaut, ainsi que laffirmation de son lien avec la collgialit ; ceci correspond la doctrine donne par Vatican II et confirme par les documents postrieurs de lEglise. Toutefois, les prcisions ultrieures sont indispensables sur la faon daccder ce ministre, ainsi que les conditions que doit remplir le candidat pour y tre admis, son autorit dans la communion universelle des Eglises et ses modes concrtes dexercice. Il est pourtant louable que la question ait t introduite ds le premier schma de ce qui est conu comme un texte de convergence sur lEglise. Lacceptation du principe de primaut par toutes les Eglises constituerait le point de dpart dun dialogue fructueux sur les modes de son exercice. Comme nous lavons dit plus haut, le document atteste que la primaut est indissociable de la collgialit (n103). Le texte rappelle que la collgialit sexerce dans la vie de lEglise ds ses dbuts. En effet, selon le Nouveau Testament, cest des groupes d'aptres en tant que tels que le Christ a confi la charge de prcher l'Evangile et de conduire l'Eglise (n104). Comme structure spcifique de la vie ecclsiale, la collgialit est relative au partage des responsabilits pour lEglise par ceux qui a t confi le ministre dpiscop : Il y a collgialit chaque fois lorsque ceux qui ont la charge de l'piscop se runissent, discernent, s'expriment et agissent comme une seule personne, au nom de l'ensemble de l'Eglise (n105). Dans le mme

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paragraphe, il est spcifi que la collgialit concerne les domaines de la direction, de la concertation, du discernement et de la prise de dcision. Une telle prsentation saccorde relativement bien avec la conception catholique de la collgialit, contenue surtout dans la constitution Lumen Gentium (nos 22-23 et Nota praevia)1. Cependant, dans sa forme actuelle, elle est incomplte et ne pourrait tre admise comme une expression de la foi catholique. Deux prcisions savrent indispensables. La premire concerne le type de ministre dpiscop auquel se rapporte la collgialit. Dans la conception catholique de lEglise, la collgialit est lie directement au ministre spcifique des vques lorsque, dun commun accord, ils accomplissent leur charge pastorale lgard de toute lEglise. La seconde prcision concerne le rapport de la collgialit avec la primaut. Le n103 annonce que la primaut est indissociable de la collgialit mais, pour satisfaire la foi catholique, cette affirmation aurait d tre reprise dans le sens inverse dans les paragraphes consacrs la collgialit, lesquels paragraphes passent sous silence ce thme (nos104-106). Du point de vu catholique, et dans une prsentation doctrinale, la collgialit ne doit jamais tre dissocie de la primaut car elle ne peut sexercer lgitimement que sous la conduite personnelle de celui qui est la tte du collge piscopal, le pontife romain. Selon le document, la conciliarit se rapporte la dimension communautaire de lEglise, et son fondement se trouve dans le commun baptme (n107). Elle concerne tous les fidles et se manifeste dans une vie de communion tous les niveaux de lEglise. La conciliarit manifeste lEglise comme une communaut interrelationnelle dans laquelle tous en chaque lieu, sont lis tous en tout lieu (n108). Elle exprime le caractre universel de la communion ecclsiale qui traverse tous les lieux et toutes les poques. Il y a dans la conciliarit une dimension dinterdpendance des membres et des communauts qui est fortifie par un ministre au service de l'unit et exerc de faon communautaire, personnelle et collgiale (n108). La pratique des Eglises montre lvidence quun service de prsidence est indispensable dans toute runion ecclsiale tout niveau. La personne qui prside doit toujours le faire dans lesprit de service pour

Cf., supra, Troisime tude, 4.4.4.3.3, Collgialit des vques et communion.

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ldification de lEglise (n109). Le document lie troitement la conciliarit ainsi comprise avec leucharistie et affirme que, dans la communaut eucharistique locale, la conciliarit est la profonde unit dans l'amour et dans la vrit entre les membres, ainsi qu'entre eux et le ministre qui prside la communaut (n107). Le document reconnat quil ny a pas lunanimit entre les Eglises concernant la concertation de la conciliarit avec la primaut dans les diffrents niveaux de la vie ecclsiale. Toutefois, selon lavis de plusieurs Eglises, mme au niveau universel la conciliarit implique la primaut, et la primaut suppose la conciliarit car non seulement une communaut eucharistique locale a besoin dune prsidence, mais le rassemblement de communauts eucharistiques au niveau rgional et au niveau mondial a galement besoin d'une prsidence (n110, encadr). Aux niveaux rgional et universel, la conciliarit sexprime par une vie synodale. Lune des fonctions fondamentales des synodes consiste discerner la vrit apostolique face aux erreurs, afin de prserver lEglise dans la vrit et lunit (n110). La rception ecclsiale dune dcision conciliaire manifeste sa conformit avec la foi de lEglise travers les sicles. La synodalit ainsi comprise peut tre tendue galement aux Eglises encore spares mais cherchant ensemble la runification visible au sein du mouvement cumnique. Pour favoriser le progrs de la communion ecclsiale visible, les Eglises doivent poursuivre le processus de rception des convergences doctrinales dj atteintes et en tirer des consquences pratiques pour leurs relations rciproques (nos118-121). Si les dfinitions plus exactes des mots conciliarit et synode savrent indispensables afin dtre au clair sur les conceptions employes, la prsentation de la dimension communautaire dans son ensemble peut tre reconnue comme positive dun point de vue catholique. Il est particulirement apprciable que le document la prsente dans une perspective eucharistique en relevant, loccasion, le besoin ressenti dans la plupart des Eglises dun ministre de prsidence la vie communautaire. Pour lEglise catholique, la clbration eucharistique constitue le cur de la vie communautaire tant entre les fidles dune communaut locale, quentre les communauts locales dans lEglise universelle. La structure de lAssemble eucharistique o tous clbrent ensemble mais chacun selon son rang, constitue une figure liturgique de la vie communautaire de toute lEglise, o tous les membres sont runis

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organiquement selon la fonction propre de chacun et souds en un seul corps par la charit. Le document affirme que la vie communautaire de l'Eglise implique que l'on se runisse en concile pour rechercher et pour exprimer la volont du Christ pour l'Eglise, dans des situations en perptuelle volution et face de nouveaux dfis (n100). Il nest pas prcis ici quel est le sens du terme concile. Le paragraphe parle de lensemble de baptiss qui doivent exercer un ministre de discernement de vrit divine au profit de toute lEglise. Le contexte immdiat suggre alors quil sagit dune runion de type synodal laquelle participent, comme membres part entire diffrentes catgories de fidles. Or, dans lEglise catholique, et suivant lantique Tradition, le terme concile (cumnique) possde un sens technique et est rserv la runion des vques runis sous la prsidence du pape. En tant quautorit suprme dans lEglise et reprsentant lensemble du peuple de Dieu par ses pasteurs, le concile a le pouvoir de prendre des dcisions obligeantes lgard de toutes les communauts particulires. Il reste alors savoir dans quelle mesure ce sens pouvait tre reconnu par les autres traditions chrtiennes, notamment protestantes. Le document postule encore un meilleur quilibrage des dimensions personnelle, collgiale et communautaire dans la vie de toutes les Eglises, pour encourager le progrs de la cause cumnique (n106, encadr). 9.5. Conclusion Dans le n123, nous trouvons linvitation donner une apprciation du document la lumire des questions suivantes : - dans quelle mesure reconnaissez-vous dans ce texte un dbut de convergence sur la nature et le but de l'Eglise ? - quels domaines en particulier ncessitent votre avis un travail plus approfondi, et quels clairages pouvez-vous apporter pour faire avancer ce travail ? - quels autres points faut-il traiter dans un document de convergence sur la nature et le but de l'Eglise ? - si vous discernez dans ce texte un dbut de convergence sur la nature et le but de l'Eglise, quelles en sont les consquences pour vos relations avec d'autres Eglises qui discerneraient cette mme convergence ? Quelles initiatives vos Eglises peuvent-

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elles prendre ds maintenant en vue d'une reconnaissance mutuelle ? Nous avons dj rpondu, au moins partiellement aux questions 2 et 3 dans les analyses qui prcdent. Pour conclure, nous voulons encore nous exprimer sur les deux autres questions. Concernant la premire, il nous semble que le document peut tre considr comme un dbut (et le mot dbut est ici accentuer) de convergence sur la nature et le but de l'Eglise pour les raisons suivantes : - il relve dune vision communionnelle de lEglise fonde sur la notion de koinnia communment reconnue par les Eglises comme correspondant ce quest lEglise dans sa nature et son but ; - en sinspirant de la Bible qui constitue la source commune de la foi pour toutes les Eglises, il prsente lEglise comme peuple de Dieu, corps du Christ et temple de lEsprit. Il reconnat que lEglise vient de la Trinit, vit par elle et sachemine vers elle dans un lan eschatologique ; - il reconnat que lEglise en tant que koinnia ne rsulte pas de la reconnaissance mutuelle entre les fidles mais de leur participation commune la vie de la Trinit. Cette participation se ralise surtout par la foi comprise comme lobissance la parole de Dieu rvle par le Christ et la clbration des sacrements (baptme et eucharistie) ; - sur la base du symbole de NiceConstantinople, il exprime la foi de toutes les Eglises chrtiennes en Eglise une, sainte, catholique et apostolique ; - il dclare que la foi trinitaire est le fondement de lappartenance lEglise. En affirmant lunicit de la foi chrtienne, il rige le symbole de NiceConstantinople au rang de son expression prminente reconnue par toutes les Eglises. - il affirme que le baptme est le rite par lequel le croyant est introduit dans lEglise corps du Christ et quil est le fondement de lunit de tous les chrtiens ; - il reconnat que le sacrement de leucharistie est le centre de la koinnia ecclsiale des baptiss dans le corps du Christ ; - il attribue une qualit sacramentelle lEglise en la prsentant comme signe et instrument de la koinnia avec Dieu et entre les croyants. Dans cette perspective sacramentelle, il prsente
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lactivit missionnaire de lEglise comme une extension de cette instrumentalit sur lensemble de lhumanit ; - il reconnat que lEglise dans sa dimension universelle est une koinnia des Eglises locales ; - il affirme que la vie de la communaut ecclsiale, tous ses niveaux, est structure par divers ministres ; - il reconnat lexistence historique dans lEglise du ministre ordonn et lui attribue une responsabilit particulire lgard de lenseignement de la parole de Dieu, de la clbration des sacrements et de la direction de la communaut ; - il affirme le besoin dun ministre de surveillance (piscop) exerc de manire personnelle, collgiale et conciliaire pour le maintien de lEglise dans la vrit apostolique et dans lunit ; - il reconnat lexistence dans certaines Eglises dun ministre personnel de primaut, ainsi que son utilit pour le maintien de la koinnia ecclsiale dans lunit. Mme si cette liste de convergences semble tre assez longue et, probablement, pourrait-on encore en ajouter dautres , dun point de vue catholique, un consensus sur la nature et le but de lEglise semble tre encore lointain. Comme nous lavons vu au cours des analyses qui prcdent, nombreuses sont les questions qui appellent des solutions communes, car chaque convergence exprime ici de manire gnrale, correspond une ou plusieurs divergences particulires. A notre avis, un travail particulirement pnible attend les Eglises sur la question trs complexe du ministre, de sa nature, de son but et de ses formes, et nous jugeons cette section du document comme tant la plus vague et la plus dsireuse du point de vue catholique. Dans la perspective dune unit visible de lEglise, des questions morales concrtes tant de la morale individuelle que de la morale sociale devraient tre ajoutes au projet dans un chapitre sur les implications existentielles de la foi chrtienne. Quant aux initiatives prendre par lEglise catholique en vue dune reconnaissance mutuelle (quatrime demande), il nous semble que celle dintensifier une recherche doctrinale approfondie sur les questions en dsaccord travers les dialogues bilatraux en prenant pour le point de dpart le prsent document, serait grandement souhaitable.

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10. Conclusions gnrales de la deuxime tude


10.1. Le dveloppement doctrinal de la notion de communion Dans les documents officiels du Conseil cumnique des Eglises et de sa commission thologique Foi & Constitution, le terme communion appliqu lEglise apparat pour la premire fois en 1961 Nouvelle Delhi, pour dcrire son unit. Cest galement lors de cette 3me Assemble mondiale du Conseil quon a dfini pour la premire fois, dans une courte dclaration sur lunit, ses composantes essentielles : le baptme, la foi apostolique, la vie communautaire marque par la charit fraternelle et le dvouement mutuel, lunit entre les communaut locales dans la prdication de lvangile, la prire et leucharistie, lunit dans lagir ecclsial, le tmoignage et la diaconie, la reconnaissance mutuelle des membres et des ministres. Ds ce premier emploi, nous sommes en prsence dun concept complexe, englobant plusieurs lments, ce qui correspond la conception biblique et patristique de la koinnia. Les lments numrs Nouvelle Delhi ont t repris par chacune des deux autres dclarations du Conseil sur lunit : celle de Nairobi (1975) et celle de Canberra (1991). Ils rapparaissent galement dans le document La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune (1998). Tous ces textes avaient t prpars par la Foi & Constitution. Ils tmoignent la fois dune continuit essentielle quant la conception de lunit visible recherche par les Eglises, et dun approfondissement doctrinal progressif de ses conditions et implications. Ainsi, la dclaration de Nairobi a complt celle de Nouvelle Delhi par lide de conciliarit. La dclaration de Canberra, quant elle, a relev limportance dune koinnia thique entre les membres de lEglise ; elle a galement li la koinnia de lEglise la koinnia de lunivers cr, en appelant les chrtiens assumer leur responsabilit pour la prservation de la cration. Des explicitations et approfondissements supplmentaires ont t apports par les autres Assembles du Conseil et les Confrences de la Foi & Constitution. A Montral (1963), on a soulign lenracinement de la communion ecclsiale dans la communion trinitaire et la dimension locale de lEglise ainsi que lunit cultuelle comme tant un lment constitutif de la koinnia ecclsiale des chrtiens. A Upsal (1968), la localit et luniversalit ont t intimement lies par une conception

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dynamique de la catholicit. Cest galement Upsal quon a soulign la koinnia des chrtiens avec le reste des hommes ; koinnia ancre dans le partage dun seul monde et des mmes proccupations existentielles. En poursuivant cette rflexion, lAssemble de Vancouver (1983) a mis laccent sur la porte sociale de la koinnia et appel les Eglises assumer leur part de responsabilit dans la paix, la justice sociale et le dveloppement conomique du monde. En mme temps, elle a mis en garde les Eglises contre la tentation de confondre lEglise avec le monde et a rappel que tout en tant solidaire avec le monde, lEglise tait distincte du monde, en tant quinstrument du salut eschatologique pour les hommes. La confrence de la Foi & Constitution Saint-Jacques-de-Compostelle (1993) a soulign la dimension thique de la koinnia, notamment en relation avec la responsabilit des chrtiens pour la protection de lenvironnement naturel et la sauvegarde de la cration. En faisant le point sur la comprhension du concept de koinnia, cette Confrence a rappel quil tait considr, par les Eglises, comme une base solide du dialogue cumnique sur lEglise. Elle a galement recommand une tude approfondie sur la nature et le but de lEglise dans la perspective de la koinnia ; le dernier texte prsent ci-dessus en est un premier rsultat. La premire remarque de conclusion concerne le changement de lobjet du dialogue : dun dialogue sur lunit (visible) des chrtiens, ses conditions et ses implications, les Eglises sont progressivement arrives un dialogue sur la conception de lEglise dans son ensemble. En effet, lunit nest quun aspect de lEglise qui ne peut pas tre spar de tous les autres aspects de son tre et de sa vie. Avec le temps, il devenait de plus en plus vident, pour les participants du dialogue, que lunit visible des chrtiens ne pouvait se raliser quau sein dune Eglise dans laquelle tous taient capables de reconnatre lEglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique dans sa plnitude. Cest pourquoi, dans la phase actuelle du dialogue, il sagit de se mettre daccord sur la conception de cette Eglise, de sa nature et de son but, sur la base des consensus et des accords cumniques dj obtenus. Sans doute, la tche sera difficile, car des divergences importantes entre les Eglises de traditions diffrentes persistent sur des points essentiels de lecclsiologie, comme : le ministre, la relation du visible linvisible dans ltre ecclsial, la signification ecclsiale du culte, etc. Toutefois, toutes les Eglises affirment que la notion de koinnia constitue un fondement prometteur pour llaboration dune ecclsiologie commune.
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Dans la perspective du dialogue cumnique, il faut souligner limportance de toutes les spcifications apportes progressivement la comprhension de la communion ecclsiale recherche par les Eglises. Grce ces prcisions, nous sommes aujourdhui devant une conception beaucoup plus spcifique et plus existentielle que celle de Nouvelle Delhi. A cette poque-l, la koinnia tait envisage surtout comme une communaut spirituelle des chrtiens, ancre dans la foi en Christ et la reconnaissance mutuelle du baptme ; elle devait se manifester par des actions communes, allant ventuellement jusquau partage eucharistique mais nimpliquant pas ncessairement dencadrement institutionnel commun. Avec la progression du dialogue, on affirmait de plus en plus souvent, que des structures communes taient ncessaires pour croire, clbrer, agir et vivre ensemble, et que sans elles la koinnia ecclsiale ne pouvait qutre illusoire. Cest ainsi quon a propos le modle dunit conciliaire comme une ralisation ecclsiale concrte de lidal de koinnia. Ce modle impliquait de soi des structures et des institutions permettant aux Eglises de vivre concrtement la koinnia tous les niveaux. Progressivement, on est arriv aussi reconnatre quun ministre de surveillance, muni dune autorit correspondante, tait ncessaire pour prserver la koinnia ecclsiale de lclatement tant au niveau local quau niveau universel. De mme, avec le temps, on soulignait de plus en plus que la koinnia exigeait galement une vision commune du monde dans lequel vivaient les Eglises, ainsi quune unit fondamentale dans le domaine thique. Les Eglises ne pouvaient prtendre une vie de koinnia l o elles donnaient des rponses divergentes, voire opposes aux mmes questions concernant la morale ou la prsence des chrtiens dans la socit civile. A travers lanalyse des documents du Conseil et de la Foi & Constitution, on constate que le dialogue cumnique men avec persvrance a permis aux Eglises un approfondissement doctrinal progressif du concept de koinnia et une meilleure valuation de sa relle porte ecclsiologique. Aprs avoir relev le dveloppement doctrinal du concept de koinnia dans le dialogue men sous les auspices du Conseil, on peut prsent risquer quelques observations personnelles sur ses avantages et ses inconvnients dans le dialogue cumnique sur lEglise et son unit.

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10.2. Atouts du concept de communion Sans doute, le concept de koinnia ouvre de nouvelles perspectives ecclsiologiques ; il possde plusieurs atouts qui peuvent aider les Eglises de traditions confessionnelles diffrentes laborer une vision commune de lEglise : - La notion de koinniacommunio exprime bien la conception chrtienne du salut. Selon la foi de toutes les Eglises, tre sauvs, cest tre en communion avec Dieu et avec tous ceux qui sont en communion avec lui. Lapplication du concept de koinnia lEglise permet de placer celle-ci dans une perspective explicitement sotriologique et de mettre ainsi laccent sur la participation anticipe des chrtiens la koinnia eschatologique du Royaume, et dont les prmices se trouvent dj dans la ralit terrestre de lEglise. Dans une ecclsiologie de koinnia, cest la ralit divine du salut qui est mise en avant dans la conception de lEglise, et non pas sa dimension institutionnelle. Etant donn les divergences entre les traditions concernant la constitution terrestre de lEglise, la perspective de koinnia peut les aider trouver des voies nouvelles pour les dpasser. - Cependant, les tudes sur la koinnia menes au sein du Conseil, ont aussi mis en vidence le fait que celle-ci ne pouvait tre uniquement considre comme une ralit spirituelle et invisible mais quelle supposait galement une communion visible et treinte par des structures institutionnelles communment reconnues. Afin que lEglise puisse se considrer comme une koinnia, son unit doit tre la fois intrieure et extrieure, car la vie communautaire des fidles lintrieur de linstitution ecclsiale ralise et manifeste de manire visible et donc extrieure leur communio mystica in Christo. Tout en donnant la priorit laspect spirituel de la communion, le concept de koinnia implique galement lexistence, dans lEglise, de structures extrieures. La pleine communion ecclsiale ne peut tre que spirituelle et institutionnelle en mme temps car la premire se noue, se resserre et sexprime travers la seconde. Le problme de lharmonisation entre les deux dimensions de la communion ecclsiale a souvent t soulev au sein du Conseil
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et dans la Foi & Constitution. Mme si les Eglises ne sont pas encore arrives des solutions concrtes communes, elles affirment toutefois unanimement que la pleine unit ecclsiale est irralisable sans un encadrement institutionnel communment reconnu. Dans cette perspective, le concept de koinnia peut les aider trouver un quilibre convenable entre linstitutionnel et le spirituel dans la conception de lEglise. Le concept de koinnia permet de placer lecclsiologie dans une perspective trinitaire. Les Eglises sont daccord pour dire que Dieu qui est trine et unique en mme temps est une koinnia du Pre, du Fils et de lEsprit-Saint ralise par lchange ternel de lamour entre les trois. La Trinit apparat ainsi comme un tre relationnel caractris simultanment par la diversit et par lunit. Si lon considre que lEglise vient de la Trinit, vit continuellement par elle et sachvera en elle dans lternit, par une analogie, la communion ecclsiale peut tre compare la communion trinitaire, et cette dernire peut tre regarde comme le modle de la vie ecclsiale aussi bien en ce qui concerne les relations entre les fidles, quen ce qui concerne les relations entre les communauts locales au sein de lEglise. A linstar de la koinnia trinitaire, lEglise, dans son tre de communion, doit tre envisage comme tant la fois unie et diversifie. La koinnia exige lunit en ce qui, dans lEglise, vient de Dieu et elle permet la diversit en ce qui vient des hommes, des circonstances historiques, des milieux socio culturels, des conditions conomicopolitiques, etc. Quil sagisse des relations entre les personnes ou de celles entre les Eglises locales, la charit est le ciment qui assure lunit dans la diversit. A maintes reprises, le Conseil et la Foi & Constitution ont insist sur le fait que dans la situation actuelle marque par une grande varit de traditions ecclsiales et par la diversit des contextes dans lesquels vivent les chrtiens, lunit ne peut se raliser que dans le respect des particularits. En mme temps, tous saccordent dire que toute diversit illgitime qui brise lunit ou maintient la division doit tre carte : comme Dieu est lUnit compose de trois personnes, de mme lEglise doit demeurer une travers ses diversits. Le concept de koinnia permet ainsi de maintenir un quilibre pondr entre lunit et la
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diversit dans lecclsiologie. La koinnia suppose et exige les deux. Dans tous les domaines de la vie ecclsiale, la diversit est saine et enrichissante aussi longtemps quelle ne met pas en danger la communion des chrtiens dans la foi, la vie et le tmoignage. Toutefois, dans la perspective de la koinnia, cest lunit qui reste la rgle ultime laquelle doit se soumettre toute diversit lgitime dans lEglise. Selon la conviction commune des Eglises, le dessein divin de koinnia est universel : Dieu veut amener tous les hommes une vie de communion avec lui et entre eux. Les Eglises affirment galement quil se sert de son Eglise pour la ralisation de ce projet. Or, la notion de koinnia permet de souligner le caractre universel de lEglise et sa vocation missionnaire. En tant quinstrument de la ralisation du dessein divin de koinnia universelle, lEglise est tourne ad extra, vers le monde. Dans sa marche historique vers la plnitude eschatologique, elle doit se rpandre dans le monde entier en assumant dans son sein les hommes de toutes races, peuples, langues, cultures, etc. La communaut ecclsiale est le lieu o les diversits humaines sont rconcilies sur le fondement de la foi en Christ, qui appelle ses disciples saimer mutuellement comme lui les a aims. La promotion parmi les chrtiens dune spiritualit de koinnia ancre dans la foi en Christ et la charit fraternelle peut donc les aider gurir les rancunes venant de blessures historiques, et dpasser des tensions dues des facteurs non thologiques. La notion de koinnia permet aussi daffirmer lexistence dune relle communion chrtienne par-del les partages et les divisions entre les Eglises. La communion entre les chrtiens, en effet, ne se fonde pas sur leur volont commune dtre ensemble, mais sur leur participation commune la mme vie divine par le Christ, dans lEsprit. Partout o les chrtiens participent la grce divine en accueillant dans la foi la parole de Dieu et en clbrant les sacrements de la vie nouvelle, non seulement ils sunissent leur Seigneur, mais ils resserrent galement la communion mystique entre eux dans le corps du Christ. Dans la perspective de la koinnia, laccent est mis sur la dimension surnaturelle de lunit des chrtiens dans lEglise. Laffirmation continuelle de cette koinnia indestructible in
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Christo est un trait caractristique de lecclsiologie de communion. Confiantes dans le Seigneur, les Eglises sont convaincues de ne pas construire leur unit visible partir de leurs divisions mais, au contraire, partir dune unit divine dj donne lEglise et qui est plus forte que les divisions humaines. Lide de communion met encore en lumire le caractre intrinsquement communautaire de la foi chrtienne. Les Ecritures nous montrent lvidence que le Christ na pas voulu que la foi soit une affaire prive de chaque croyant mais, au contraire, le fondement dune vie communautaire entre les hommes selon les principes de son vangile du Royaume. La foi chrtienne tend naturellement ltablissement dune communaut de vie entre ceux qui laccueillent et sengagent vivre une vie nouvelle selon lvangile du Christ. Cet aspect perce travers diverses affirmations du Conseil et de la Foi & Constitution sur la koinnia mais il na jamais t dvelopp de manire exhaustive. A une poque profondment marque par une privatisation de la foi, la notion de koinnia permettrait dinsister sur sa nature foncirement ecclsiale. Le concept de koinnia manifeste le caractre relationnel de lEglise et met en lumire les interdpendances qui se dploient entre les fidles et entre les communauts au sein de lEglise : aucun fidle ne peut prtendre tre communion lui seul, pas plus quaucune communaut de fidles ne peut prtendre tre dEglise en sisolant des autres. Lide de koinnia permet de mettre en lumire les liens vitaux et les interdpendances qui existent entre les chrtiens vivant encore dans des communauts ecclsiales spares et de promouvoir sur cette base, des contacts cumniques. Le concept de koinnia donne aussi de porter un nouveau regard sur la sacramentalit de lEglise et la question des sacrements. Les chrtiens reconnaissent communment que laction salvifique de Dieu dans le monde se ralise travers les structures tangibles de lEglise ; en dautres termes, la koinnia du salut, qui est un vnement de grce, saccomplit par des actes pastoraux institutionnaliss de la communaut ecclsiale ; lvnement cleste et eschatologique se ralise par lagir de linstitution terrestre et historique. Une telle interprtation de la
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sacramentalit dans laquelle le divin et lhumain sont intrinsquement lis saccorde bien avec la notion de koinnia. Dans une ecclsiologie de communion, la vie sacramentelle de lEglise doit tre envisage dans la perspective de la sacramentalit globale de lEglise qui vit la frontire entre le monde matriel et le monde spirituel. Tout agir de lEglise (action extrieure) par lequel se ralise le salut de la personne (ralit intrieure), doit tre considr comme un acte de type sacramentel. Dans cette perspective, la communion sacramentelle ne doit pas tre identifie lobservance des mmes rites dans toutes les Eglises. Suivant la diversit de contextes humains dans lesquels vivent les chrtiens, diffrents signes, gestes et mots peuvent tre reconnus par les Eglises comme les expressions de laction salvifique de Dieu. Les Eglises affirment unanimement quun accord sur la vie sacramentelle est ncessaire pour le rtablissement de la pleine communion ecclsiale. La notion de koinnia peut ainsi les aider reconnatre que la mme ralit spirituelle (grce) peut tre communique travers des rites liturgiques varis lintrieur de lUna Catholica. La mme foi peut sexprimer dans la liturgie travers des rites cultuels varis refltant non seulement les richesses thologiques de lEglise, mais galement la varit culturelle du monde chrtien. A lintrieur de lEglise, les mmes sacrements leucharistie y compris , peuvent tre clbrs dans des formes liturgiques varies, sans que la communion ecclsiale soit mise en pril. Toutefois, pour le maintien de la koinnia, il est ncessaire qu travers cette diversit de rites, les Eglises puissent reconnatre rciproquement la mme ralit clbre. La notion de koinnia peut donc amener les Eglise reconnatre lunit sacramentelle dans la diversit liturgique. Lecclsiologie de communion insiste sur lunit qui existe dj entre tous les chrtiens en vertu de leur foi en Christ, Seigneur et Sauveur. Le dialogue entre les Eglises les a conduits des affirmations importantes concernant la question de la foi. Dans la perspective de la koinnia, la communion dans la foi ne signifie pas que toutes les Eglises doivent possder les mmes formules doctrinales (credo) car la mme foi apostolique peut tre constate sous diverses formulations dogmatiques ; la
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diversit de symboles nimplique pas de soi la pluralit de doctrines. Toutefois, les Eglises saccordent sur le fait que pour raliser la pleine communion ecclsiale, lunanimit sur la comprhension des points fondamentaux de la doctrine est requise. Lunit doctrinale nempche pourtant pas lexistence de diverses tendances et coles thologiques lintrieur de lEglise une dans la foi, mais multiple dans la thologie. Les chrtiens reconnaissent communment que le baptme administr avec de leau au nom de la Trinit est le fondement sacramentel de leur koinnia dans le corps du Christ. Mme sil manque encore lunanimit sur la signification ecclsiale du baptme et ses implications concrtes pour les relations entre les Eglises, tous sont daccord pour dire que la communion baptismale nest pas entirement anantie par les divisions et quelle constitue la base sacramentelle solide de leur commune identit chrtienne. Incorpors dans lunique corps du Christ par lunique baptme, les chrtiens peuvent se reconnatre dj en communion entre eux malgr les ruptures de lunit visible entre leurs Eglises. Toutes les Eglises reconnaissent que la communion baptismale saccomplit dans la communion eucharistique. A prsent, il manque lunanimit sur la signification ecclsiale prcise de la communion eucharistique et sur ses conditions. Toutefois, quelle que soit la position adopte par une Eglise, toutes reconnaissent que, conformment la conception biblique et patristique de la koinnia, il existe un lien indissoluble entre la communion ecclsiale et la communion eucharistique : la seconde couronne et manifeste la premire. Tous reconnaissent que la pleine communion ecclsiale nest pas possible sans le rtablissement de la pleine communion eucharistique. Lecclsiologie de communion permet aussi de jeter un regard nouveau sur le ministre ecclsial en le replaant dans une double perspective : celle de la communion baptismale de tous les fidles dun ct, et celle de structures ecclsiales de communion de lautre. Les Eglises reconnaissent communment que le sacrement du baptme, par lequel tout chrtien participe au sacerdoce du Christ, est le fondement de tous les ministres qui se sont dvelopps dans les Eglises au cours de lhistoire. Elles
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affirment encore que le ministre ordonn nest pas la seule structure ministrielle au service de la koinnia de lEglise ; il y a dautres ministres exercs de manires personnelle, synodale et collgiale, qui servent au maintien de la koinnia entre les membres de la communaut locale et entre les communauts locales au niveaux national, rgional, universel. Tous reconnaissent que la plnitude de koinnia visible exige la rconciliation des Eglises en ce qui concerne leurs structures, y compris la reconnaissance mutuelle de leurs divers ministres. Cela nimplique pourtant pas luniformit des ministres que lEsprit Saint suscite dans chaque communaut suivant ses besoins particuliers. Entre les Eglises membres du Conseil, fait dfaut laccord sur la ncessit et la signification ecclsiale du ministre ordonn. Toutefois, le besoin dun ministre commun dunit (piscop) pour prserver la koinnia des baptiss tous les niveaux de la vie de lEglise, est gnralement reconnu, mme si ses formes concrtes dexercice ne font pas lunanimit. La notion de koinnia, permet une interprtation renouvele de lapostolicit de lEglise : chaque communaut de chrtiens est apostolique dans la mesure o, travers sa foi, sa vie et son tmoignage, elle demeure en communion historique et ontologique avec lEglise fonde par le Christ sur les aptres. Lapostolicit ainsi comprise ne soppose pas la varit des Eglises locales de la communion catholique dues leurs volutions historiques dans des milieux divers. En effet, la continuit spirituelle et historique de diffrentes communauts chrtiennes avec la communaut apostolique originelle peut tre constate travers diffrentes traditions ecclsiales. Cette vision dynamique de lapostolicit admet nanmoins la possibilit dgarement l o les principaux caractristiques de lEglise des aptres nont pas t intgralement conservs. Dans le cadre dune ecclsiologie de communion, la note de catholicit reoit une interprtation de type qualitatif ce qui lui accorde une importante valeur cumnique. La catholicit nest plus regarde comme la diffusion mondiale dune Eglise de type confessionnel, mais comme la prsence de lEglise du Christ dans sa plnitude dans toutes les Eglises locales qui constituent ensemble la communion catholique universelle. Toute
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communaut locale est une manifestation complte de lEglise du Christ condition de raliser en son sein la plnitude de foi, de vie sacramentelle et de constitution ecclsiale. A la lumire de la notion de koinnia, lUna Catholica Universalis se prsente comme une communion des communauts locales, dont chacune est pleinement Eglise. Toutefois, la communion ecclsiale entre les communauts locales apparat aussi dans cette perspective comme une condition de leur catholicit ; chaque communaut est entirement catholique condition dtre de lEglise. Par consquent, une communaut locale qui se spare de lUna Catholica Universalis ne peut prtendre avoir conserv la plnitude de la catholicit. La notion de koinnia offre une meilleure harmonisation de la dimension locale de lEglise avec sa dimension universelle. LEglise universelle est une koinnia dEglises locales vivant dans diverses cultures et contextes socioconomicopolitiques. De ce fait, tout en tant unies et unanimes sur lessentiel, elles reprsentent des traditions ecclsiales varies et diffrent entre elles bien des gards. Luniversalit ne signifie pas limposition dun seul modle ecclsial toutes les communauts locales mais la reconnaissance de la communion ecclsiale dans la foi, la vie et le tmoignage dans toutes les communauts particulires de lUna Catholica Universalis. Lide de koinnia soppose aux tendances monistes et uniformisatrices lintrieur de lEglise. La comprhension de lEglise comme koinnia manifeste la ncessit dune unit thique entre les chrtiens dans une Eglise pleinement rconcilie. En effet, la koinnia dans la vie morale est une fonction de la koinnia dans la foi. Le dialogue cumnique autour de la notion de koinnia a permis aux Eglises de se rendre compte du fait quelles ne pouvaient prtendre la pleine unit visible sans se mettre daccord sur les consquences existentielles de la foi chrtienne non seulement dans le domaine de la vie prive de chaque croyant, mais galement dans les affaires sociales, conomiques, politiques, etc. La koinnia ecclsiale ne se limite pas la doctrine et aux structures de lEglise, elle englobe la totalit de la vie de ses membres.

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La notion de koinnia permet un rapprochement de lEglise avec le monde et un resserrement des liens entre les chrtiens et le reste des hommes. Ceux qui croient en Christ font partie de la communaut humaine universelle cre par Dieu et destine tout entire au salut selon son dessein. Il existe ainsi un lien de koinnia entre tous les hommes en vertu de leur participation commune lunique nature humaine cre par Dieu et en vertu du projet divin qui englobe lensemble de lhumanit. Conscients de cette koinnia de nature et de destin mais en mme temps respectueux de la diversit sociale, politique, conomique, culturelle et religieuse du monde, les chrtiens sont appels travailler avec tous les hommes de bonne volont lavnement dune communaut humaine universellement rconcilie. A lpoque actuelle, cet aspect savre particulirement important dans le contexte des socits multireligieuses, dans lesquelles vivent les chrtiens, et o diffrentes religions sont reprsentes parfois au sein dune seule famille. La prise de conscience par les chrtiens quune koinnia dorigine, de nature et de destin unit tous les hommes, peut les aider maintenir des relations fraternelles avec les adeptes des autres religions et sengager avec eux pour la construction de socits de tolrance et de respect. Lide de koinnia humaine universelle contribue ainsi positivement au dialogue interreligieux. Cependant, tout en respectant pleinement la diffrence et la libert de chaque tre humain, les chrtiens sont appels rendre, devant le monde, un tmoignage authentique du Christ quils reconnaissent comme lunique Sauveur de lhumanit. Le concept de koinnia permet enfin dinclure dans le champ de lecclsiologie des thmes lis la prsence des chrtiens dans leur environnement naturel. Entre les hommes et lunivers, il existe une communion naturelle en vertu de la cration. Les chrtiens doivent vivre en harmonie avec leur environnement et prendre soin de la cration.

A la lumire de ce qui prcde, il est clair que le concept de koinnia marque une avance importante dans le dialogue cumnique sur la conception commune de lunit visible. Il exprime une certaine vision
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commune de lEglise sur laquelle les Eglises des traditions confessionnelles diffrentes, reprsentes dans les structures du Conseil cumnique des Eglises, ont pu se mettre daccord grce un dialogue doctrinal honnte. Par le fait de se focaliser sur la ralit spirituelle de lEglise et non sur les questions structurelles, il permet de surmonter certaines impasses ecclsiologiques traditionnelles concernant la constitution de lEglise en ce monde, sa nature et son but. 10.3. Limites du concept de communion Toutefois, elle seule, la notion de koinnia ne rsout pas tous les problmes. Paradoxalement, ce qui constitue sa principale force cumnique, savoir son caractre inclusif, apparat galement comme sa principale faiblesse. Sur le fondement de la notion de koinnia, les Eglises sont arrives proposer une conception de la communion ecclsiale suffisamment large pour que la majorit dentre elles puissent y souscrire sans rien changer dans leurs ecclsiologies respectives. Ceci montre que le concept de koinnia nest pas univoque et quil peut recevoir des interprtations varies, voire divergentes, suivant les principes spcifiques des diffrentes ecclsiologies confessionnelles. Le problme cumnique majeur concernant lemploi de la notion de koinnia dans lecclsiologie consiste dans le fait que, dune part, les Eglises sont gnralement daccord sur sa conception globale mais dautre part elles divergent sur linterprtation de ses lments constitutifs. Pour cette raison, la plupart des Eglises estiment quun accord gnral sur la koinnia nest pas encore la base suffisante pour la reconnaissance de la pleine unit visible entre elles ; il faut quil saccompagne dun accord sur la comprhension commune de ses lments constitutifs et de leur articulation lintrieur du concept. En effet, le concept de koinnia, tout en tant un outil important dans le dialogue cumnique sur lunit, nest pas en soi assez spcifique pour constituer lui seul la base doctrinale suffisante pour llaboration dune vision commune de lEglise. Le dialogue cumnique de ce dernier demi sicle a mis en vidence que, mme si toutes les Eglises saccordaient dire que la notion de koinnia exprimait bien ce qutait lEglise, dimportants enjeux doctrinaux touchant sa nature et son but demeuraient toujours irrsolus. Il est donc clair aujourdhui que, sil a y un accord de base sur ce quest la koinnia dans ses grandes lignes, il manque toujours lunanimit quant sa signification ecclsiale profonde ; en dautres termes, les Eglises se sont mises daccord sur les
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contours de la koinnia mais non sur ce qui se trouve lintrieur de ces contours. Relevons quelques problmes particuliers qui montrent que, tout en tant daccord sur les lments fondamentaux de la koinnia, les Eglises demeurent en dsaccord sur leur interprtation. - Dabord, toutes les Eglises reconnaissent que la communion ecclsiale implique lunit dans la foi apostolique. Cependant, elles ne saccordent ni sur la comprhension de certains articles de la foi, ni sur leur nombre. Les Eglises reconnaissent que ce qui les divise encore ce nest pas les variations de formules dogmatiques propres aux diffrentes traditions, mais de relles diffrences concernant le contenu de la foi confesse. - Ensuite, les Eglises sont daccord pour dire que le baptme chrtien est le fondement sacramentel de leur koinnia dans le corps du Christ. Cependant, il manque lunanimit entre elles sur la forme requise de son administration, les conditions ncessaires de sa reconnaissance entre les Eglises et les consquences du baptme pour les relations entre les chrtiens. - De mme, toutes les Eglises affirment unanimement que la pleine communion ecclsiale exige le partage commun de leucharistie. Cependant, ceci ne les empche pas de diverger considrablement sur lintelligence du mystre eucharistique, les conditions dadmission la table du Seigneur et la comprhension exacte de la relation de leucharistie lEglise. De ce fait, la koinnia ne reoit pas le mme contenu dans lecclsiologie orthodoxe, domine par la dimension eucharistique du mystre ecclsial, et dans lecclsiologie protestante, o la parole prend parfois le dessus sur le sacrement ; tandis que pour la premire lEglise est dabord une creatura eucharistiae et la communion eucharistique le cur de la communion ecclsiale, pour la seconde, lEglise apparat parfois davantage comme une creatura verbi, alors que leucharistie na pas de place privilgie par rapport la parole. - Les Eglises reconnaissent aussi que la communion ecclsiale exige lexistence de divers ministres. Parmi ceux-ci, elles accordent toutes une place particulirement importante au ministre de la prdication de la parole et de ladministration des sacrements ; elles reconnaissent galement quun ministre de surveillance (piscop) est ncessaire pour protger la

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koinnia de lclatement. Cependant, il manque entre elles lunanimit sur le caractre de ces divers ministres, les modes de les exercer, la faon dtablir les ministres et leurs comptences spcifiques au sein de la communaut, les conditions de validit et de reconnaissance des ministres. Dans la perspective catholique, par exemple, le ministre universel dunit, exerc par le pontife romain, est un lment constitutif de la koinnia. Cependant ni les protestants ni les orthodoxes ne semblent prsent disposs reconnatre cette revendication tout en admettant que la sauvegarde de la koinnia ncessite un ministre de surveillance tous les niveaux. Toutes les Eglises affirment que la pleine communion entre elles ne pourrait se faire que si chacune delles est capable de reconnatre, dans toutes les autres, lEglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique dans sa plnitude. Cependant, ces notae ecclesiae ne sont pas interprtes de la mme manire dans les diffrentes traditions confessionnelles, bien que toutes sappuient sur les mmes sources de la foi. Toutes les traditions reconnaissent que lEglise, en tant que koinnia, est une communion de communauts locales disperses travers le monde. Cependant, la relation de luniversalit la localit et le statut des communauts particulires au sein de la communion universelle sont conus diffremment dans chaque tradition. Tandis que lecclsiologie catholique donne la primaut luniversalit, lecclsiologie orthodoxe et les ecclsiologies protestantes privilgient la localit. Les Eglises affirment ensemble que la koinnia ecclsiale des fidles avec Dieu et entre eux saffermit et sapprofondit par leur participation commune aux sacrements. Elles reconnaissent galement que les sacrements sont des expressions particulires de la sacramentalit de lEglise. Cependant, elles divergent sur le nombre des sacrements, leur clbration liturgique, les conditions de leur validit et la conception du lien entre les sacrements particuliers et la sacramentalit de lEglise. Cette question touche indirectement le problme plus fondamental qui divise encore les Eglises, celui des conceptions divergentes du lien entre le visible et linvisible dans la
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constitution de lEglise. Tandis que la tradition protestante insiste sur la ralit spirituelle de lEglise et regarde souvent linstitution visible comme une sorte de revtement extrieur de la koinnia, les traditions catholique et orthodoxe estiment, par contre, que la koinnia spirituelle de lEglise se ralise travers linstitution et nexiste pas sans elle. Les Eglises affirment unanimement que lappartenance lEglise du Christ implique une vie chrtienne conforme aux exigences de son vangile. De ce fait, elles sont daccord pour dire que la koinnia ecclsiale exige une unit de la vie morale entre les chrtiens. Pourtant, l'ge actuel, aux mmes questions thiques, les Eglises apportent souvent des rponses divergentes, voire opposes. Les Eglises affirment enfin que la koinnia exprime la volont universelle de Dieu qui veut sauver tous les hommes. Elles reconnaissent galement que lEglise un rle effectif jouer dans la ralisation de ce dessein divin. Cependant, elles conoivent diffremment la prsence de lEglise dans le monde et son rle dans lconomie du salut. Pour certaines, lEglise est dans le monde linstrument au moyen duquel Dieu ralise son dessein salvifique universel, pour dautres, elle nest quun instrument. De ce fait, les Eglises donnent des rponses varies concernant, par exemple, la relation de lEglise aux religions non chrtiennes et le rle de ces dernires dans le projet divin de koinnia. Tandis que certaines reconnaissent la diversit religieuse de principe, dautres ne la reconnaissent que de fait ; si les premires accordent une valeur salvifique propre aux religions non chrtiennes, les secondes pensent quune telle reconnaissance est contraire la rvlation chrtienne.

*** Au terme de cette tude, il est important de souligner que la vision de la koinnia, qui se dgage de lanalyse des documents du Conseil cumnique des Eglises et de sa commission thologique Foi & Constitution, ne peut tre considre comme une ecclsiologie spcifique mais comme un systme de principes cumniques qui indiquent la direction vers laquelle doivent converger les diffrentes traditions, afin darriver un jour une conception commune de lEglise. Chaque Eglise doit maintenant passer au crible les principes de sa
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propre ecclsiologie, pour laccorder convenablement avec la vision de la communion ecclsiale dessine dans les documents du Conseil. Aprs avoir clarifi les exigences, les conditions et les implications de la koinnia au cours dun demi sicle du dialogue cumnique centr autour de ce concept, il semble logique prsent que les Eglises laborent, ensemble, une ecclsiologie systmatique sur le fondement des principes dj tablis. Une premire tape de ce nouveau projet a dj t franchie avec le texte La nature et le but de l'Eglise : Vers une dclaration commune. Il tmoigne de lexistence dun consensus de base sur la vision de lEglise entre les principales traditions chrtiennes et ouvre aux Eglises, des perspectives prometteuses. Toutefois, son analyse dans une perspective catholique nous a montr que llaboration dun accord sur lEglise ne sera pas une tche facile. Comme nous lavons vu, une montagne de problmes particuliers doit tre aplanie avant que la route vers une ecclsiologie commune soit entirement dblaye.

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TROISIEME ETUDE : LEglise comme communion selon la doctrine de lEglise catholique. Autour de Vatican II

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Notes mthodologiques
Cette tude est consacre lanalyse de la conception de la communion ecclsiale dans la thologie catholique. Sa mthode diffre de celle de ltude prcdente, qui traitait de la mme problmatique au sein du Conseil cumnique des Eglises et dans la commission Foi & Constitution. Si dans lautre tude nous avons emprunt une dmarche chronologique jalonne par les Assembles mondiales du Conseil et les Confrences mondiales de la Foi & Constitution, prsent nous nous laissons guider par des ides thologiques. Par le recours simultan aux documents de Vatican II et ceux du Magistre postconciliaire, nous voulons prsenter une vision catholique de lecclsiologie de communion vise cumnique. Grce cette dmarche systmatique nous esprons surtout viter des rptitions auxquelles nous serions invitablement condamns en suivant une dmarche chronologique. En effet, depuis le Concile, lecclsiologie catholique est demeure fondamentalement fidle la doctrine quil a labore, autant dans les documents du Magistre que dans les recherches de la majorit des thologiens. Ce nest donc pas tant un rel dveloppement doctrinal de lecclsiologie conciliaire que nous observons dans les documents et travaux postrieurs quune explicitation approfondie de certains de ses aspects et dont nous tiendrons compte dans notre tude. Les constitutions et les dcrets conciliaires demeurent la source principale sur laquelle nous nous basons. Parmi les documents du Magistre postconciliaire nous privilgions ceux dont le caractre officiel manifeste un poids doctrinal important comme : les encycliques des papes, les instructions des Congrgations romaines ou encore le Code de Droit Canonique et le Catchisme de lEglise Catholique. Parmi les thologiens choisis pour les sources secondaires nous prfrerons ceux dont le souci cumnique est connu et qui ont contribu par leurs travaux au rapprochement doctrinal entre lEglise catholique et les autres Eglises chrtiennes.

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1. Lmergence du concept de communion dans lecclsiologie catholique contemporaine


1.1. Vatican II un nouveau regard sur lEglise Dsire par le Pre dans son dessein du salut, constitue historiquement par le Christ et anime constamment par son Esprit, lEglise demeure toujours la mme dans son tre de sacrement du salut. Toutefois, au cours de son plerinage travers le temps vers laccomplissement eschatologique, elle se conoit et se dfinit diffremment aux divers moments de lhistoire. Contrairement son essence divine, la conscience quelle a delle-mme nest pas une donne immuable, acquise une fois pour toutes ; bien au contraire, elle est sujette une constante volution dont tmoigne lhistoire de lecclsiologie1. Ainsi, par exemple, lpoque des aptres, lEglise se concevait surtout comme une communaut de foi et de vie en Christ ; lpoque augustinienne, elle se voyait comme la Cit de Dieu ; au MoyenAge, elle se comprenait comme une corporation des chrtiens, lAufklrung, elle se pensait surtout comme une institution de sanctification munie de moyens de grces, notamment des sacrements. Ds la fin du 19me sicle, en renouant avec la tradition primitive, lEglise commenait se dfinir de plus en plus souvent comme le corps mystique du Christ2. Vers le milieu du 20me sicle, lecclsiologie poursuivait cette orientation vers lintrieur en soulignant toujours davantage la dimension pneumatique, sacramentelle et eschatologique de lEglise3. A lpoque prconciliaire,

HERNANDEZ, G., La nouvelle conscience de lEglise et ses prsupposs historico thologiques , dans Barana, G. et Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II. Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 2, coll. Unam Sanctam 51b, Paris, Cerf, 1966, 175-209 (182-184). 2 Au dbut du 20me sicle, cette tendance ecclsiologique a t dveloppe notamment par MERSCH, E., La thologie du corps mystique, 2 vol., Bruxelles Paris, 1949 ; du mme auteur, Le corps mystique du Christ. Etudes de Thologie historique, 2 vol., Bruxelles Paris, 19513 (dition revue et augmente). La notion de corps mystique est centrale dans lencyclique de Pie XII, Mystici Corporis Christi sur lEglise, du 29 juin 1943. 3 Sur cette volution des ides ecclsiologiques qui a prcd et prpar Vatican II, voir NEDONCELLE, M., Lecclsiologie au XIX sicle, coll. Unam Sanctam 34, Paris, Cerf, 1960. Pour un aperu des tendances ecclsiologiques entre les deux conciles de Vatican, voir ACERBI, A., Due ecclesiologie. Ecclesiologia giuridica ed ecclesiologia di communione nelle Lumen Gentium , Bologna, 1975, 13-105 ; CONGAR, Y.M.,

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la tendance prsenter lEglise comme une communion de vie in Christo se renforcera progressivement sous linfluence des mouvements biblique, patristique, liturgique et cumnique dont bnficiera fortement Vatican II1. La redcouverte de la notion de communion dans son application lEglise a t sans doute lun des plus grands fruits de lvolution de la thologie catholique au 20me sicle2. En intgrant de manire critique diverses influences et tendances de son poque, le concile a port un regard renouvel sur lEglise et labor une doctrine riche et complexe se distinguant clairement de lecclsiologie dite postridentine. La doctrine de Vatican II avait mri longtemps avant le concile, pour se cristalliser progressivement au cours de trois ans de dbats conciliaires3. Dans la perspective de cette volution, elle se prsente comme tant la fois laboutissement dune longue rflexion de lEglise sur elle-mme et une fixation par crit de son autocomprhension un moment dtermin de son histoire. En effet, mme lenseignement officiel du Magistre ne peut prtendre contenir la vrit absolue sur lEglise qui reste jamais un mystre ineffable ! Dans ce sens, notre ecclsiologie demeurera toujours inachevable4.

Chronique de trente ans dtudes ecclsiologiques , dans son livre Sainte Eglise. Etudes et approches ecclsiologiques, coll. Unam Sanctam 41, Paris, Cerf, 1963, 445696. Pour un aperu compact mais relativement complet voir CONGAR, Y.M., art. Eglise, histoire dogmatique dans Encyclopdie de la foi, t. 1, Paris, 1965, 421-431. 1 ROUSSEAU, O., La constitution Lumen Gentium dans le cadre des mouvements rnovateurs de thologie et de pastorale des derniers dcades , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), Op. cit., t. 2, 35-56 et dans le mme volume GRILLMEIER, A., Esprit, position fondamentale et caractre propre de la constitution Lumen Gentium, 159-174 ; cf. LAMBERT, B., La constitution Lumen Gentium du point de vue catholique de lcumnisme , dans Barana, G. et Congar, Y. (ds), Op.cit., t. 3, 12631277. 2 Du ct catholique, ctait probablement Y. Congar qui la rintroduit le premier dans lecclsiologie. En effet, dans les annes cinquante dj, il lemployait dans ses crits et conseillait son emploi pour exprimer le mystre de lEglise en soulignant sa valeur cumnique (CONGAR, Y.M., Sainte Eglise. Etudes et Approches ecclsiologiques, Paris, 1963, 21-24). 3 Llaboration de la constitution Lumen Gentium a t longue et laborieuse, autant dans lassemble plnire que dans les commissions. Sur ce processus voir WENGER, A., Vatican II. Chronique de la 3me session, coll. Eglise en son temps, Paris, Centurion, 1965, 17-156, surtout 50-64. 4 LAMBERT, B., Op. cit., 1267.

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Aussi tonnant que cela puisse paratre, aucun des conciles prcdents na formul une ecclsiologie complte la fait comme Vatican II1. Le pre Congar le rappelle : dans Lumen Gentium, cest la premire fois que lEglise sest formellement dfinie elle-mme2. La doctrine propose dans la constitution dogmatique sur lEglise est enrichie et explicite, sur certains aspects, par les autres documents du concile dont chacun touche, dune manire ou dune autre, au mystre de lEglise3. Le conceptclef de lecclsiologie conciliaire est la notion de communion. Selon certains thologiens, loption pour lide de communion faite par Vatican II peut tre qualifie de rvolution copernicienne dans lecclsiologie catholique romaine4. En effet, la perspective de communion a permis de porter un regard renouvel sur lEglise dans son ensemble : sa nature et sa constitution terrestre, sa place dans le dessein de Dieu et son but ultime, son rapport au monde et son affinit avec lensemble de lhumanit. Lampleur du changement qua initi le concile en optant pour une ecclsiologie de communion apparat encore plus clairement au rappel de lecclsiologie prconciliaire domine, pendant longtemps, par lide de societas perfecta et hierarchica. 1.2. LEglise comme societas perfecta et hierarchica un rappel de lecclsiologie prconciliaire Pendant de longs sicles, et surtout lpoque postridentine, la notion de communion a pratiquement t oublie par lecclsiologie catholique

Vatican I avait dj lintention de proposer une ecclsiologie globale. Malheureusement, interrompu pour des raisons politicohistoriques, il ny a pas russi. Seul le chapitre 9 du schma De Ecclesia concernant le pape et devenu par la suite la constitution dogmatique Pastor Aeternus , a t vot par lassemble conciliaire. Cette partialit de lecclsiologie de Vatican I a conduit accentuer davantage le dsquilibre au sein de lecclsiologie catholique au tournant des 19me et 20me sicles. 2 CONGAR, Y.M., En guise de conclusion , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), Op.cit., t. 3, 1365. La constitution dogmatique sur lEglise a t vote le 21 novembre 1964 par 2151 voix pour et 5 contre. 3 Parmi dautres documents particulirement importants lgard de lecclsiologie, il faut citer le dcret sur lcumnisme Unitatis Redintegratio, le dcret Orientalium Ecclesiarum sur les Eglises orientales catholiques et, surtout, la constitution Gaudium et Spes sur lEglise dans le monde de ce temps, conue comme une sorte de complment pastoral Lumen Gentium. 4 Vue limportance de lvolution entame par ce choix, certains ont affirm qu la suite du concile la communion ecclsiale est entre dans un nouvel ge de son histoire (THILS, G., Vingt ans aprs Vatican II , NRT 107 1/1985, 41).

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et rserve presque uniquement la thologie du sacrement de leucharistie1. La notion dominante de lecclsiologie tait celle de societas perfecta, qui soulignait la dimension sociologique de ltre ecclsial. Le concept de socit parfaite nest pas dorigine chrtienne ; en effet, il est plus ancien que le christianisme. Lecclsiologie romaine la emprunt la philosophie politique de la Grce antique, o il sappliquait originellement ltat comme tant une communaut humaine structure et munie en elle-mme de tous les moyens ncessaires pour raliser ses buts2. La transposition du concept de socit parfaite du domaine sociopolitique lecclsiologie sest opre au MoyenAge, dans le contexte des luttes de lEglise pour dfendre son autonomie par rapport aux pouvoirs sculiers3. Elle tait accompagne du processus parallle de la juridisation de la notion de

Pour sen rendre compte, il suffit de consulter des encyclopdies et des dictionnaires catholiques davant le concile sur le terme de communion : presque toujours, il y sagit de diffrents aspects de la communion eucharistique, cf. Dictionnaire de thologie catholique, t. 3, Paris, 1908, col. 480+ ; Catholicisme. Hier Aujourdhui Demain, t. 2, Paris, 1949, col. 1374+ ; Dictionnaire de Spiritualit, t. 2, Paris, 1953, col. 1188+) ; parfois, mais dj plus rarement, il est question de la communion de foi mais toujours dans le cadre dune ecclsiologie de type socitaire fonde sur la structure hirarchique pyramidale et le Magistre universel de lEglise (Dictionnaire de thologie catholique, t. 3, Paris, 1908, col. 419+). Par contre, dans les encyclopdies et dictionnaires rcents, la notion de communion est prsente presquexclusivement sous son aspect ecclsiologique ; titre dexemple, TILLARD, J.M.R., art. Koinonia , dans Losky, N. et Bonino, J.M. (eds), Dictionary of the Ecumenical Movement, Geneva, WCC Publications, 1991, 568-574 ; du mme auteur, art. Communion , dans Lacoste, J.Y., (d.), Dictionnaire critique de Thologie, Paris, 1998, 236-242. 2 Cf. art. Perfect Society , dans ODONNELL, Ch., Ecclesia. A theological Encyclopedia of the Church, Collegeville, 1996, 359. 3 Eglise et Etat , dans CONGAR, Y.M., Sainte Eglise. Etudes et approches ecclsiologiques, coll. Unam Sanctam 41, Paris, Cerf, 1963, 30-32 et 393-410. Au cours de toute son histoire, le Magistre a rgulirement recouru ce concept pour affirmer son indpendance par rapport ltat. Rigal en donne plusieurs exemples, en commenant par le MoyenAge et finissant par lpoque moderne (RIGAL, J., Lecclsiologie de communion. Son volution historique et ses fondements, coll. Cogitatio Fidei 202, Paris, Cerf, 1997, note n1, p. 34). Certains papes lont mme utilis pour revendiquer la supriorit de lEglise sur les pouvoirs terrestres. Selon la bulle de Boniface VIII, Unam Sanctam (1302), Dieu gouverne le monde par lintermdiaire de lEglise qui a reu la tche de veiller ce quil poursuive sa route selon le projet divin. Par consquent, cest lEglise que revient le pouvoir suprme dans le monde, mme en ce qui concerne le domaine temporel.

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lEglise qui saccentut progressivement dans lEglise latine partir du dbut du second millnaire1. Cette juridisation a pris de lampleur aprs lunification du droit canonique sous Gratien au 12me sicle. Dornavant, la rflexion ecclsiologique consistait presque uniquement fournir un commentaire thologique aux canons. Avec le temps, la vision juridique de lEglise simpost progressivement, en repoussant dans lombre la vision thologale et sacramentelle qui avait t dominante pendant le premier millnaire. Dsormais, lEglise tait considre essentiellement comme une communaut de lois et munie dun triple pouvoir : lgislatif, judiciaire et coercitif. Cette tendance sest durcie encore face aux mouvements spiritualistes populaires qui, depuis la fin du 11me sicle, ressurgissaient priodiquement en Europe et remettaient en question lexistence mme dune Eglise visible et hirarchiquement structure par lautorit sacerdotale2. Par raction, partir du 14me sicle, lEglise fut prsente presquexclusivement comme une collectivit humaine hirarchiquement structure avec des institutions et des lois semblables celles de toutes les autres socits civiles3. En plus, le conciliarisme du 15me sicle a abouti, de nouveau par raction, accentuer la constitution quasi monarchique de la socit ecclsiale, o le pape tait clairement lev au-dessus des vques. La tendance sociohirarchique dans lecclsiologie sest renforce encore avec le concile de Trente et la contrerforme, lorsque lEglise catholique est entre en lutte confessionnelle avec les protestantismes et a commenc llaboration systmatique dune thologie vise apologtique. En ragissant contre les doctrines protestantes qui niaient la mdiation de lEglise visible lie au rle de la hirarchie ecclsiastique, lecclsiologie romaine dfendait, avec acharnement, lappareil mdiatique de lEglise en se transformant progressivement en une vritable hirarchiologie selon une expression du pre Congar4. Partant, dans sa rflexion, des dcrets et des condamnations conciliaires, lecclsiologie insistait sur la constitution socitaire de lEglise en

CONGAR, Y.M., LEglise de saint Augustin lpoque moderne, coll. Lhistoire des dogmes, Paris, Cerf, 1970, 153. 2 CONGAR, Y.M., Sainte Eglise. Etudes et approches ecclsiologiques, coll. Unam Sanctam 41, Paris, Cerf, 1963, 31-32. 3 CONGAR, Y.M., LEglise de saint Augustin, 153. 4 CONGAR, Y.M., Jalons pour une thologie du lacat, coll. Unam Sanctam 23, Paris, Cerf, 1953, 68.

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labsolutisant et en dlaissant presque compltement sa dimension mystique et surnaturelle. Ce courant a t systmatis par les canonistes des 16me et 17me sicles, et lexpression societas perfecta a t officialise par son adoption dans lenseignement du Magistre ; au cours du 19me et jusquau milieu du 20me sicles, elle est rgulirement employe par des papes1. Dans lecclsiologie, lexpression societas perfecta nest pas comprendre dans le sens moral dune socit impeccable ou exemplaire, dont les membres seraient tous des saints. Par analogie et paralllisme lusage sculier, lexpression societas perfecta sert affirmer deux traits essentiels de la constitution de lEglise en ce monde, savoir son indpendance de tout pouvoir extrieur notamment de ltat , et son autosuffisance dans la poursuite de ses buts propres : elle possde en elle-mme tous les moyens ncessaires pour conduire les fidles au salut. Pendant de longs sicles, lEglise se dcrivait essentiellement comme une socit compose des fidles (socitaires), qui, sous la conduite dune autorit lgitime et dans lobissance aux lois tablies, sefforaient tendre ensemble vers leur but commun le salut ternel des mes. Dans la conscience civique, le terme socit voque par lui-mme une organisation institutionnelle, une administration degrs divers, des rgles de fonctionnement, des lois qui dterminent le comportement des
Societas perfecta est la notionclef de lencyclique Satis Cognitum, 29 juin 1896 (AAS 28 [1895-1896], 708-739 ; publi galement sur le cite internet du Saint Sige, http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_lxiii_enc_29061896_satis-cognitum_en.html, 10. 06. 2003) par laquelle Lon XIII rejetait, sans quivoque, lide dune fdration dEglises comme ne correspondant pas ce quest le vritable corps mystique du Christ, savoir une socit parfaite gouverne par ses lgitimes pasteurs, sous la conduite du pontife romain. Mme si la notion de corps mystique apparat galement dans ce texte, son interprtation relve entirement dune conception socitaire de lEglise. Le mme pape, dans lencyclique Immortale Dei (1 novembre 1885), dcrit lEglise comme une socit juridiquement parfaite dans son genre (http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_lxiii_enc_01111885_immortale-dei_fr.html, 10. 06. 2003). Le mme terme revient, plusieurs reprises, dans le schma non vot De Ecclesia de Vatican I (Mansi 51, 543), o il est accompagn des canon qui anathmatisent ceux qui naccepteraient pas les pouvoirs (potestas) dtenus par la hirarchie ecclsiastique dans cette socit (Mansi 51, 552). Il apparat dans la constitution Providentissima Mater Ecclesia, par laquelle Benot XV annonait la promulgation prochaine du Codex Iuris Canonici [AAS 9/1917], 5). Elle revient encore dans lencyclique Mediator Dei de Pie XII, datant de 1947 [AAS 39/1947], 521-595).
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membres, diffrentes structures de pouvoir et daction, ainsi quune visibilit affirme1. En accentuant la constitution socitaire de lEglise, lecclsiologie se concentrait sur ses aspects visibles ; elle affirmait que lEglise tait une rpublique aussi palpable que celle de Venise et un Royaume aussi perceptible que celui de la France selon deux expressions fameuses du cardinal Bellarmin2. Lidentification de la communaut ecclsiale avec la socit ecclsiastique visible a conduit oublier que, dans son tre profond, lEglise tait avant tout une communion spirituelle et un mystre divin. Il nest donc pas surprenant que dans ce contexte, lappartenance lEglise fut identifie ladhsion extrieure aux diverses structures de visibilit, inhrentes la notion de socit3. Un trait caractristique de toute socit humaine est lingalit entre les diverses catgories de membres : les personnes munies dun pouvoir de direction appel parfois ministre, mme dans le langage juridique sculier4 se distinguent de la masse du peuple par une position
RIGAL, J., Op. cit., 34. BELLARMIN, R., Controv., Lib. III. De Ecclesia militante, c. 2: Opera omnia, Naples, 1857, t. 2, p.75. Louvrage de rfrence sur lecclsiologie du card. Bellarmin est celui de THOMAS, D., Die Theologie der Kirche bei Robert Bellarmin (15421621) : systematische Voraussetzungen des Kontroverstheologen, Paderborn, 1999. Lide du Royaume revient souvent non seulement dans la pense de Bellarmin mais encore dans toute lecclsiologie de type socitaire. Cependant, la diffrence de linterprtation de type eschatologique que cette notion reoit dans lecclsiologie contemporaine, chez les apologtes catholiques de lpoque postridentine, son interprtation tait sociopolitique : lEglise se prsentait leurs yeux comme une monarchie divinement institue, avec le pape comme roi ; elle tait toutefois une monarchie tempre par laristocratie, car les vques taient de vrais pasteurs et, ce titre, devaient tre considrs comme de vrais princes qui dtenaient un pouvoir lgitime dans leurs diocses. Parmi dautres matres de cette ecclsiologie, le pre Congar rappelle Jean de Raguse et Pierre Canisius (CONGAR, Y.M., Sainte Eglise., 32). 3 Pour faire partie de quelque manire, de la vritable Eglise, nous ne croyons pas quune vertu intrieure soit ncessaire ; il suffit de la profession extrieure de la foi, de la communaut des sacrements, toutes choses qui peuvent tre perues par nos sens (BELLARMIN, R., De Conciliis et Ecclesia, Lib. III, cap. 2, dans Disputationes et controversiis christianae fidei, Paris, 1608, t. 2, 109 A). 4 A partir du Haut MoyenAge, le mot ministerium est frquemment utilis dans le langage civil pour dsigner certaines fonctions publiques, notamment celles qui sont de grande importance pour la vie commune des gens (comme par exemple la royaut). Cet usage parallle du mme terme dans le domaine sculier a aussi influenc son usage religieux en figeant la comprhension des ministres comme tant des fonctions hirarchiques l'intrieur d'une conception socitaire de lEglise (HOFFMANN, J.,
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privilgie et dominante. Il est donc naturel que dans la socit quest lEglise en ce monde, la hirarchie ministrielle se distingue du peuple de lacs. Ainsi, lEcclesia Dei est une societas monarchica et inaequalis, structure selon la volont du Seigneur qui a voulu que les uns soient la tte et commandent, et que les autres soient subordonns et obissent1. Dans la perspective socitaire, la constitution de lEglise est essentiellement pyramidale : les fidles lacs en bas de lchelle, suivis, en montant, des prtres et des vques avec le pape au sommet. Les rapports entre les ministres et les fidles font lobjet de droits et de rgulations juridiques correspondant la structure pyramidale de lEglise. Le pape en tant que le vicaire du Christ sur la terre est investi de la plnitude des pouvoirs spirituels et temporels sur lEglise. Son autorit est considre comme une autorit divine, que mme le pouvoir sculier doit pleinement reconnatre et respecter et que les fidles doivent accepter avec la soumission ncessaire2. Le pouvoir hirarchique est considr comme la mdiation essentielle du salut3. Laccent est mis sur laspect juridique du ministre : il est un pouvoir sacr institu par le Christ et transmis par l'Eglise cestdire par la hirarchie ecclsiastique des individus. Les ministres, en vertu de leur pouvoir pastoral, ont le droit de clbrer l'eucharistie et les autres sacrements, denseigner publiquement les principes de la foi et de la morale, et dexercer des fonctions gouvernementales dans la communaut. La hirarchie qui clbre, enseigne et gouverne, apparat

Ministre en thologie catholique , dans Congar, Y.M. (d.), Vocabulaire cumnique, Paris, Cerf, 1970, 375). 1 GREGOIRE XVI, Commissium divinitus. Lettre encyclique au clerg de la Suisse, 17 mai 1835 (cit dans RIGAL, J., Op. cit., 35). Selon le schma de De Ecclesia de Vatican I (non vot), lEglise du Christ nest pas une socit galitaire dans laquelle les fidles jouiraient des mmes droits ; bien au contraire, on y distingue le troupeau et les pasteurs, seuls les derniers ont le droit et le devoir denseigner, de sanctifier par la dispensation des moyens de grce (notamment par ladministration des sacrements) et de gouverner les fidles lacs. Il est donc normal et mme ncessaire que le peuple des croyants se soumette aux jugements et aux enseignements du clerg et quil obisse la hirarchie ecclsiastique, reprsente aux divers niveaux de la vie ecclsiale , par les prtres, les vques et le pontife romain. 2 CONGAR, Y.M., Sainte Eglise., 31. 3 DENAUX, A., LEglise comme communion. Rflexions propos du Rapport final du Synode extraordinaire de 1985 , NRT 110 (1988), 21.

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ainsi oppose au peuple de fidles ; peuple qui est le destinataire de ses services1. La conception socitaire de lEglise, que nous venons desquisse, a domin lecclsiologie latine pendant des sicles. Aussi utile quelle ait pu tre pour prserver lautonomie de lEglise par rapport aux revendications des pouvoirs sculiers, elle la pourtant conduite un repliement progressif sur elle-mme et, par consquent, sa sparation du monde : la socit humaine et la socit ecclsiale en tant toutes les deux des socits parfaites navaient pas besoin lune de lautre, ni pour exister ni pour poursuivre leurs objectifs propres. Assujettie un juridisme dinspiration sculire et politique, lEglise se regardait presquexclusivement dans son tissu visible, en ngligeant trop sa dimension spirituelle de mustrion et la prsence en elle de lEspritSaint. Le concile Vatican II a ragi contre cette vision unilatrale de lEglise. Il na pas compltement abandonn lecclsiologie de socit car lEglise sest toujours crue tre la fois spirituelle et visible, mais il la quilibre et nuance en lui associant une ecclsiologie de communion qui mettait en avant la dimension spirituelle de lEglise. 1.3. Vatican II : entre societas et communio une ecclsiologie en tension On a souvent remarqu que la doctrine de Vatican II sur lEglise tait marque par la tension entre deux tendances ecclsiologiques distinctes qui se sont manifestes dans le processus de prparation de la constitution Lumen Gentium : une premire de type sociojuridique (que nous avons prsente plus haut) et une seconde de type sacramentel et communionnel ; Acerbi la dmontr de manire bien documente2. De ce fait, daprs plusieurs chercheurs, elle souffre dune certaine

Cest dans un contexte domin par lopposition entre les ministres et les lacs que se forme, partir du 17me sicle, le trait des sacrements. Il nest donc pas surprenant quil soit rduit une thologie du sacrement de lordre, considr surtout comme une source de pouvoir sacramentel, avec la rfrence principale leucharistie (HOFFMANN, J., Op. cit., 372-373. 2 ACERBI, A., Due ecclesiologie : ecclesiologia guridica ed ecclesiologia di communione nella Lumen Gentium , Nuovi Saggi Teol., 4, Bologne, 1975. Les lignes qui suivent sinspirent essentiellement des ses analyses.

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incohrence, voire une vraie dichotomie quant la vision de lEglise qui y est labore1. La premire tendance socitaire a t fortement affirme dans le schma initial du De Ecclesia prsent lors de la premire session du concile en automne 19622. Dans le prolongement direct de lecclsiologie apologtique de type bellarminien, il commenait par un chapitre intitul De Ecclesiae militantis natura titre qui exprimait dj bien son esprit fondamental. Dans lensemble du schma, lEglise est considre surtout dans son aspect extrieur et visible, peu de place tant rserve sa vie intrieure. Par une forte accentuation de laspect socitaire, le schma prsente lEglise avant tout comme une affaire dhommes et non comme une affaire de Dieu : les mentions de la Trinit sont peu nombreuses et la dimension pneumatologique du mystre ecclsial est pratiquement absente. Le schma se caractrise par un juridisme affirm, o lEglise se rvle surtout comme une institution gre par des lois. Conformment lapproche socitaire, laccent est mis sur le caractre hirarchique de la communaut ecclsiale et sur la distinction voire opposition entre la hirarchie ministrielle dun ct et le peuple de lacs dautre ct. Le schma insiste sur lorigine et la signification surnaturelles de lappareil hirarchique de lEglise et met en valeur la vertu thologale d'obissance chez les fidles. Il souligne lingalit entre les diverses catgories de fidles et la dpendance juridique des fidles la hirarchie. La conception de

Kuhn parle dune ecclsiologie en tension (KUHN, U., art. Eglise , dans Lacoste, J.Y. (d..), Dictionnaire critique de thologie, PUF, 1998, 379) ; Angel y discerne une certaine juxtaposition des deux tendances ecclsiologiques (ANGEL, A., Lecclsiologie postconciliaire. Les attentes, les rsultats et les perspectives pour lavenir , dans Latourelle, R., (d.), Vatican II. Bilan et perspectives (1962-1987), t. 1., Montral Paris, 1988, 419) ; Grootaers laccuse dune atrophie doctrinale (GROOTAERS, J., Dynamisme et perspective de lecclsiologie de Vatican II. Colloque international de Bologne, 8-12 avril 1980, Irnikon 53 [1980], 200) ; cf. Comment relire Vatican II en 1985 ? , dans Vingt ans aprs Vatican II. Le Synode extraordinaire = Pro Mundi Vita 102 (3/1985), 45 ; TILLARD, J.M.R., L'Eglise de Dieu est une communion , Irnikon, 4 (1980), 451-468 ; TOURNEUX, A, Lvque, leucharistie et lEglise locale dans Lumen Gentium, 26 , EThL 1 (1988), 107 ; KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio 12 (1/1987), 24-25. 2 ACERBI, A., Op. cit., 107-149, cf. ROUSSEAU, O., La constitution Lumen Gentium dans le cadre des mouvements rnovateurs de thologie et de pastorale des derniers dcades , dans Barana, G. et Gongar, Y.M. (ds), Op. cit.,35-56.

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lEglise qui en rsulte est formellement pyramidale, avec les lacs la base et le pape au sommet. Le ministre de ce dernier sy prsente comme une sorte de quatrime ordre trs clairement distinct du ministres des vques, dont la dpendance hirarchique au Romanus Pontifex est fortement souligne1. Le ministre piscopal y est prsent essentiellement dans une perspective canonique, o les munera des vques (enseigner, sanctifier, gouverner) sont envisags comme des pouvoirs juridiques transmis par la dlgation papale et non comme des charismata enracins dans lordination piscopale2. La collgialit des vques y apparat dans une perspective canonique et dans le contexte de la doctrine sur les conciles, avec laffirmation nette de la supriorit du pape par rapport au concile et llvation affirme du pontife romain au-dessus du collge piscopal3. Bien que la recherche de lunit entre les chrtiens ait t clairement affirme par Jean XXIII comme lun des principaux buts du concile, ce premier schma propose une ecclsiologie peu cumnique cause dune vision essentiellement canonique de lecclsialit. LEglise du Christ y est comprise comme une socit hirarchique et identifie linstitution catholique romaine. Ce schma a t vivement critiqu par des pres lors de la premire session pour son caractre unilatral, apologtique, juridique, scholastique, non cumnique, et finalement, non pastoral 4. En mme temps, une nouvelle ecclsiologie reprsente par la majorit des pres au sein de lassemble et fortement soutenue par de nombreux experts du concile commenait se faire valoir dans les discussions plnires. Elle manifestait lmergence dune nouvelle
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Linfluence de la constitution Pastor Aeternus de Vatican I sur cette question est claire. Selon une parole du pre Y. Congar, dans lensemble, cest encore une ecclsiologie de monarchie pontificale. 2 A remarquer que la fonction essentielle de lvque dans son Eglise particulire est celle de prsident de lassemble eucharistique nest mme pas voque dans ce premier schma. 3 Nombreux vota de la consultation prconciliaire demandaient que le concile complte lecclsiologie de Vatican I par une thologie de la collgialit piscopale dans son rapport au ministre du pape et que soit ainsi approfondie la dimension sacramentelle du ministre des vques. Lapproche de la collgialit propose dans ce premier schma a t juge insatisfaisante par la plupart des pres conciliaires (TOURNEUX, A., Op. cit., 106-141). 4 ACERBI, Op. cit., 154. Dautres observations semblables ont t envoyes au secrtariat du concile aprs la clture de la premire session (Ibid., 160-167).

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conscience ecclsiale dans le monde catholique qui percevait lEglise avant tout comme une communion divinohumaine1. Ds la fin des annes cinquante dj, une ecclsiologie de communion se frayait un chemin, avec persistance, dans la rflexion catholique sur lEglise. Influence par les mouvements biblique, patristique et liturgique, elle prenait comme point de dpart la vie mme de lEglise, en y puisant ses prsupposs doctrinaux2. Le retour aux sources authentiques et anciennes, proprement religieuses et ecclsiales de la foi, tait un choix mthodologique important qui a permis, cette nouvelle ecclsiologie, de se librer de lemprise du juridisme et de linstitutionnalisme postridentins, et de voir ltre et la vie de lEglise dans leur complexit divinohumaine et sous le jour du mystre. Le souci pastoral et la proccupation cumnique lont conduit parler de lEglise dans un langage de communio dinspiration proprement religieuse et non plus dans un langage de societas dinspiration sculire et juridique. Aux yeux de cette ecclsiologie, lEglise tait avant tout une communion de type sacramentel, qui se constituait partir du mystre trinitaire et non pas partir des lois ecclsiastiques ou de dfinitions conciliaires. En insistant sur le fait que la communion trinitaire entre le Pre, le Fils et lEsprit constituait la fois lorigine et le terme de lEglise, lecclsiologie de communion mettait en avant la dimension spirituelle et invisible de ltre ecclsial, et non plus sa constitution humaine comme le faisait lecclsiologie socitaire. Dans cette nouvelle perspective, lEglise se prsentait surtout comme le corps mystique du Christ, qui ne saurait tre identifi unilatralement linstitution romaine3. Cette approche mystique de ltre ecclsial permettait reconsidrer le problme de lappartenance lEglise dans la perspective de lcumnisme. Elle permettait galement de considrer chaque Eglise locale, rassemble pour la clbration de leucharistie, comme tant une actualisation pleine et complte de lunique Eglise du Christ, et considrer lEglise universelle comme la communion des Eglises locales, avec le sige de Rome en son centre et non pas son sommet. Selon une telle vision de luniversalit, lunit de lEglise

ACERBI, Op. cit., 151-167. ROUSSEAU, O., Op. cit, 35-56 ; cf. GRILLMEIER, A., Op. cit., 159-174 ; ANGEL, A., Op. cit., 416. 3 MOELLER, Ch., Le ferment des ides dans llaboration de la constitution Lumen Gentium , dans Barana, G. et Congar, Y.M (ds), Op. cit., 91).
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consistait dans la communion de toutes les Eglises locales entre elles et non pas dans leur soumission juridique au sige de Rome. Linterprtation de lunit partir de la notion de communion ouvrait une nouvelle perspective de rapprochement dans le dialogue avec les autres chrtiens. LEglise de Rome se prsentait ainsi comme le centre de la communion ecclsiale de toutes les Eglises locales rpandues dans lunivers. Par ailleurs, cette conception communionnelle de lunit correspondait la valorisation de la fonction piscopale et un nouveau regard sur la collgialit. Lpiscopat se prsentait surtout comme un ministre pneumatique de type charismatique, enracin dans le sacrement de lordination, et non pas comme un pouvoir juridique accord par une dlgation papale. La conscration piscopale constituait un lien sacramentel dunit entre tous les vques lintrieur du collge et, par consquent, entre leurs Eglises locales lintrieur de la communion ecclsiale universelle1. Le collge piscopal se prsentait ainsi comme un organe pastoral et doctrinal qui agissait et parlait au nom de toute lEglise, notamment lorsquil tait runi en concile cumnique. Le pape comme le premier des vques se trouvait, certes, la tte du collge, mais en tant quvque il ntait pas lev au-dessus de lui. Sa primaut tait ainsi replace dans la perspective de la collgialit, qui en constituait le cadre ecclsial2. De mme, son infaillibilit a reu une interprtation ecclsiale et non plus personnelle. Conformment la tradition ancienne, lEglise tout entire tait la dpositaire de la foi et portait communment la responsabilit pour la conservation fidle des vrits rvles (sensus fidei). Demeurant dans la communion de foi avec toute lEglise, le pape tait infaillible, non pas comme une personne individuelle mais comme un porte-parole de lensemble des fidles.
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Selon une tradition trs ancienne, dcrite dj dans la Traditio dHypolite, lpiscopat tait confr par limposition des mains sur le candidat par trois vques des environs. Ce fait montrait bien quil tait un acte collectif du corps piscopal qui agrgeait le nouvel lu lordo episcoporum et non pas une affaire prive du pape (BOTTE, B., Etudes sur le sacrement de lOrdre, Paris, 1957, 131). 2 La tendance sparer la primaut de la collgialit, typique pour lecclsiologie socitaire et nettement raffirme dans le schma initial, a t vivement critique autant par des vques venant des Eglises catholiques orientales que par plusieurs vques occidentaux. De vives ractions ont t donnes notamment par le patriarche Maximos IV et le card. Bea (MOELLER, Ch., Op. cit., 92-93).

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A partir de ces ides rnovatrices, le schma initial a t entirement repens et restructur1. Une anne plus tard, la session dautomne 1963, un nouveau schma a t prsent devant lassemble2. Il commenait avec un chapitre intitul De Ecclesiae mystero le titre montrait dj clairement quil tait anim par un esprit diffrent que son antcdent. Tenant compte des remarques des pres, il fondait dans une vision ecclsiologique unique les deux tendances. A la suite des discussions plnires et des rclamations des pres, des modifications supplmentaires ont t apportes aprs la session de 1963, dans lesprit dune ecclsiologie de communion3. Pass au crible des derniers amendements lors de la troisime session, le schma, revu et affin, a t accept la quasi-unanimit, par la votation plnire du 21 novembre 19644. Muni dune Nota explicativa praevia, ce schma a t promulgu comme la constitution dogmatique sur lEglise Lumen Gentium5. En comparant la constitution avec le schma initial, nous sommes dabord frapps par la rapidit et la profondeur du changement accompli : dune ecclsiologie clairement socitaire et hirarchique, le concile est pass une ecclsiologie dynamique o, lEglise est prsente comme un mystre de communion divinohumaine, un organisme vivant le corps du Christ, anim par son Esprit. Cependant, le fait que le texte de la constitution ait t labor dans un climat de

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Sur le processus de cette laboration voir, ACERBI, Op. cit., 167-237. Il a donn lieu une confrontation intense entre la tendance dite sociojuridique et la tendance dite communionnelle (ACERBI, Op. cit., 261-314 ; ROUQUETTE, R., Vatican II. La fin dune chrtient. Chroniques, t.2, coll. Unam Sanctam 69b, Paris, 1968, 371-393). 3 ACERBI, Op. cit., 329-434. 4 Sur les derniers affrontements entre les deux tendances et laffinement du texte premptoire dans laula conciliaire, voir ACERBI, Op. cit., 437-481 ; ROUQUETTE, R., Op. cit., 497-506. Quant au vote, il a t presque unanime : 2151 voix pour et 5 voix contre. 5 La Nota explicativa praevia, concernant surtout la relation entre la papaut et la collgialit, na pas t vote par lassemble. Signe par le Secrtaire Gnral du concile, Mgr. Felici, elle a t ajoute la demande personnelle du pape Paul VI. Sans faire partie de la constitution stricte sensu, elle fait certainement partie intgrante des actes du concile.

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tensions doctrinales importantes o tous ont d faire des concessions1, certaines incohrences se refltent dans sa composition et son contenu. Sil est vrai que lide de communio y apparat clairement, il est aussi vrai que lide de societas hierarchica y est trs prsente galement. La synthse entre les deux visions ne semble pas tre toujours parfaitement synchronise et, selon certaines opinions, le texte final apparat parfois comme une compilation de deux ecclsiologies parallles. La plupart des thologiens catholiques estime que Lumen Gentium contient une ecclsiologie de compromis marque par une certaine dichotomie de la pense2. Lambert parle mme dune tension violente entre dune part, le souci de restaurer, dinstaurer dans les consciences la primaut du successeur de Pierre et, dautre part, les dimensions communautaires du Peuple de Dieu et de la collgialit3.
Paul VI a explicitement souhait, dans une des assembles plnires, que tous les documents du concile soient approuvs avec la plus grande unanimit possible (cf. ANGEL, A., Op. cit., 415). 2 Vue ces flottements ecclsiologiques, le pre Congar a estim que Vatican II sest arrt mi-chemin, en proposant des solutions de compromis non seulement pour les formules employes, mais aussi pour le contenu ecclsiologique qui se trouve derrire ces noncs (cit dans ANGEL, A., Op. cit., 427). Un exemple de cette dichotomie est la relation entre la collgialit piscopale et la primaut papale. Le concile na pas russi dpasser de manire satisfaisante lopposition binaire entre le pontife romain dun ct et les vques de lautre ct. La constitution hirarchique de lEglise est formule dans les termes dune dialectique entre la papaut et la collgialit : dune part, on essaye de montrer linsertion du pape dans le collge piscopal, dautre part, on distingue radicalement le pape du collge en lui attribuant une domination absolue sur toute lEglise et sur chacun des vques. La meilleure illustration de cette ecclsiologie en binme est la Nota explicativa praevia qui accompagne la constitution. On y affirme dune part que lordination piscopale confre une participation dordre ontologique aux fonctions sacres et dautre part que cette participation devient un pouvoir effectif dans lEglise uniquement aprs avoir t juridiquement dtermine par le pape (Nota, n 2). Tout en affirmant lappartenance du pape au collge, on carte clairement lide dgalit entre les membres du collge et sa tte (n 1). En parlant de la communion entre le pape et les vques au sein du collge, on dclare quil sagit dune communion hirarchique qui est dtermine par une structure juridique (n 2). Alors que le collge sentend toujours et ncessairement avec sa tte (n 3) et ne jouit daucun pouvoir propre sans le consentement de la tte, le souverain Pontife peut exercer en tout temps et discrtion son pouvoir (n 4), autant sur lEglise universelle que sur le collge luimme (n 3). 3 LAMBERT, B., La constitution (LG) du point de vue catholique de lcumnisme , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 3, Paris, Cerf, 1966, 1263-1277 (1270) ; cf. Comment relire Vatican II en 1985 ? dans Vingt ans aprs Vatican II. Le Synode
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Malgr ces critiques, il faut toutefois reconnatre que le concile a apport un changement significatif dans la manire de voir lEglise par rapport la priode postridentine. Sans abandonner la conception de lEglise comme une socit hirarchique, il la replace dans une perspective de lEglise comprise comme une communion. De manire gnrale, lvolution quil avait amorce a t suivie dans lecclsiologie postconciliaire, et lide de communion y est devenue prpondrante. 1.4. Influences non-catholiques sur lecclsiologie conciliaire Lun des buts essentiels du concile tait le rapprochement avec les autres Eglises chrtiennes1. Ce dsir dunit sest manifest dans linvitation, au concile dobservateurs noncatholiques, pour sassocier activement et effectivement llaboration des textes conciliaires. La constitution Lumen Gentium reflte ces diverses influences qui ont aid le concile passer dune vision trop juridique une vision relativement communionnelle de lEglise. En ce qui concerne les influences orthodoxes, il faut dabord mentionner la mise en valeur de la dimension pneumatologique de lEglise2. Tandis que le premier schma parlait presque uniquement du Pre et du Fils en rapport avec lEglise, la constitution, dans sa forme dfinitive, parle aussi souvent de lEsprit Saint. Pour la thologie orthodoxe, lEglise est de nature essentiellement pneumatique3. Elle est un organisme

extraordinaire = Pro Mundi Vita 102 (3/1985), 41-45. Plusieurs ont estim quun concile Vatican III tait ncessaire afin de faire une synthse des ecclsiologies de Vatican I et de Vatican II dont aucune na russi proposer une doctrine cohrente sur lEglise (TRACY, D., KNG, H., METZ, B. (d.), Towards Vatican III. The Work That needs to be done, Dublin, 1978). 1 Jean XXIII la clairement exprim ds avant le concile dans la bulle de son indiction Humanae Salutis du 25 dcembre 1961 et dans son discours du 11 octobre 1962 lors de louverture solennelle du concile. 2 MOELLER, Ch., Op. cit., 103 (cf. aussi la note n1 la mme page). Non seulement la prsence des observateurs orthodoxes y a jou son rle mais aussi la connaissance de plus en plus rpandue parmi les thologiens catholiques des uvres des thologiens orthodoxes dmigration comme Bulgakov ou Lossky qui insistaient fortement sur le caractre essentiellement pneumatique et charismatique de lEglise. Il ne faut pas oublier quen 1961 dj, le Conseil cumnique des Eglises galement sous linspiration orthodoxe a introduit la mention trinitaire dans sa base doctrinale en valorisant ainsi le rle de lEsprit-Saint dans les recherches ecclsiologiques. 3 HAUBTMANN, P., Le point du Concile , Semaine religieuse, 44 (1964), 2-3.

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charismatique, parce quelle vit et agit par lEsprit. Elle est le lieu de son action. Sans lEsprit, il ny a pas de vie dans lEglise, il ny a pas dEglise comme telle1. La mise en valeur de cette vrit, chre aux orientaux, a aid le concile dpasser la vision trop juridique du schma initial et regarder lEglise comme un mystre de communion, anim dans sa vie par une force divine celle de lEsprit-Saint. Une autre influence importante de la thologie orthodoxe consistait mieux accentuer le lien troit existant entre le mystre ecclsial dun ct, et le mystre eucharistique de lautre ct. Lecclsiologie orthodoxe insiste sur le fait que lEglise est l o est le Christ ; or, le Christ est chaque fois prsent dans leucharistie, en la plnitude de son Corps2. Ainsi, chaque assemble eucharistique ralise la plnitude de lEglise. Dans la conscience orthodoxe, lEglise est, un degr si fort, lie leucharistie, quil a y une identification dcisive entre les deux ralits : lEglise se cre la synaxe eucharistique et elle vit grce leucharistie. Ltre et lexistence de lEglise sont de nature eucharistique3. Un regard port sur lEglise partir de la clbration de leucharistie a aussi permis au concile dinterprter dune manire renouvele le rapport entre la localit et luniversalit. Dans la perspective eucharistique, lEglise universelle se prsente surtout comme une communion dans laquelle toutes les Eglises locales sont lies entre elles, non pas dabord sous la forme de liens juridiques ou dune allgeance humaine ; mais avant tout, sous la forme dun lien sacramentel et ontologique : leucharistie. Le corps sacramentel du Christ, auquel toutes les Eglises communient, est la source et la garantie de leur mutuelle union4. Lunicit de leucharistie, malgr la multitude des communauts locales, assure lunit de lEglise dont la plnitude se trouve dans chaque assemble eucharistique particulire. Selon lesprit orthodoxe, la nature universelle de lEglise lui vient du fait quune seule
AFANASSIEFF, N., LEglise du Saint Esprit, coll. Cogitatio Fidei 83, Paris, Cerf, 1975, 26. 2 AFANASSIEFF, N., Op. cit., 29. Au 20me sicle, lecclsiologie eucharistique a t dveloppe surtout par Affanassieff et Shmemann. Voir sur cette question, McPARTLAN, P., Sacrament of salvation. An Introduction to Eucharistic Ecclesiology, Edinburgh, T&T Clark, 1995. 3 ZIZIOULAS, J., Leucharistie, lvque et lEglise durant les trois premiers sicles, Paris, 1994, 24-26. 4 HAUBTMANN, P., Op. cit., 2-3.
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et identique eucharistie est clbre dans chacune des communauts particulires1. Avec cette vision de lEglise, va de pair lapproche orthodoxe de lpiscopat, centre sur le mystre eucharistique. Elle a permis au concile de mettre en valeur une fonction essentielle du ministre piscopal compltement omise dans le schma initial qui est celle de prsident de lassemble eucharistique. En rassemblant la communaut locale pour la clbration de leucharistie, lvque se prsente comme le centre visible de son unit. En mme temps, en demeurant en communion avec les autres vques dont chacun prside leucharistie dans son Eglise, il assure son insertion mystique dans lunit du Corps universel du Christ2. Cette approche eucharistique de lpiscopat, qui souligne lgalit des vques entre eux, a galement aid le concile approfondir la doctrine de la collgialit dans sa relation avec la papaut. Le concept de collgialit permet, en effet, une vision plus quilibre des prrogatives propres du pape par rapport celles des vques3. Le pape en tant que lvque de Rome est insr pleinement dans le collge des vques, avec lesquels il partage le mme sacrement de lordre. Sa primaut au sein de ce collge ne peut tre spare de sa communion avec tous les vques dont chacun est le pasteur lgitime dans son diocse. Plusieurs observateurs orthodoxes ont fait comprendre aux pres conciliaires quune juste dfinition de la collgialit des vques dans sa relation la papaut contribuerait au rapprochement entre les deux traditions spares4. Les influences protestantes sont moins spectaculaires et moins nombreuses dans lensemble de la doctrine conciliaire sur lEglise. Toutefois, elles sont fortes dans le chapitre II de Lumen Gentium, De Populus Dei, et concernant surtout la comprhension du sacerdoce commun des fidles et ses implications pratiques5. Lexpression peuple
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AFANASSIEFF, N., Op. Cit., 29+. ZIZIOULAS, J., Op. Cit., 28-29. 3 Le terme mme de collgialit est de provenance orientale. Il sagit, en effet, de la traduction en franais (dont Y. Congar semble tre lauteur) du mot russe sobornost (MOELLER, Ch., Op. cit., note n2, p. 118-119 ; et ROUSSEAU, O., Op. cit., 44-45 ; cf. CONGAR, Y, Jalons pour une thologie du lacat, Paris, 1953). 4 MOELLER, Ch., Op. cit., 92-93. 5 MOELLER, Ch., Op. cit., 94.

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de Dieu apparat dj dans le schma initial prsent lors de la premire session pour dcrire les fidles lacs. Ce sont des observateurs protestants qui ont fait remarquer aux pres conciliaires que le peuple de Dieu en marche se composait des fidles lacs et des ministres, entre lesquels il ny avait pas dopposition mais communion. En vertu du mme baptme, les uns et les autres jouissent dune dignit gale denfants de Dieu. Grce ce caractre baptismal commun, tous lacs et ministres ont exercer dans la communaut ecclsiale des fonctions sacerdotales, prophtiques et royales, qui nappartiennent pas de manire exclusive la hirarchie ecclsiastique. Une telle vision galitaire du peuple de Dieu dans son ensemble, ancre dans la thologie du baptme, est typique de lecclsiologie protestante. Le chapitre De Populos Dei dans sa version dfinitive met en valeur la dignit baptismale de tous les membres de lEglise et rappelle leur commune responsabilit pour sa vie. Une autre ide, ancienne et cumnique, a ressurgi dans lassemble conciliaire sous linfluence protestante celle de la responsabilit de toute lEglise pour la conservation fidle du dpt de la foi. A loccasion de discussions autour du sacerdoce baptismal des fidles, des observateurs protestants ont soulign que le Magistre ecclsial ne devait pas tre prsent comme une institution dont se servirait la hirarchie ecclsiastique pour dire aux lacs ce quils doivent croire, mais comme une expression de la foi de tout le peuple des croyants. Le Magistre, en effet, nest comprhensible que dans la communion de foi de toute lEglise. Lapplication active des observateurs des Eglises noncatholiques, dans le travail du concile, a t bnfique pour son ecclsiologie. Toutes ces influences orthodoxes et protestantes ont permis au concile de mettre en lumire de nombreux liens dunit. Grce ces liens la communion entre lEglise catholique et ces autres Eglises et Communauts chrtiennes na jamais t compltement dtruite, et elle demeure toujours relle quoi quimparfaite , malgr ltat actuel de sparation1. Elles ont rapproch lecclsiologie catholique des

Parmi ces liens dunit, le concile numre la foi, le baptme, la parole de Dieu crite, la vie de la grce, lesprance et la charit, dautres dons intrieurs du Saint Esprit et dautres lments visibles, ainsi que des gestes sacrs de la religion chrtienne qui font penser aux sacrements (cf. UR, 3). Il convient de rappeler ici quen introduisant la notion de communion dans son ecclsiologie, le concile sest inspir du dveloppement

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ecclsiologies de ces Eglises, en lui apportant ainsi une inhrente dimension cumnique1. 1.5. Le concept de communion comme la clef dune relecture actualise de lecclsiologie de Vatican II Comme nous lavons vu, lecclsiologie de Vatican II est tributaire de la confrontation de deux tendances ecclsiologiques majeures au sein de lEglise catholique de lpoque et de diverses influences cumniques. Mme si lide de communion na pas t suffisamment dveloppe dans toutes ses potentialits par le concile lui-mme, elle est toutefois devenue la perspective dterminante de son ecclsiologie et le cadre dans lequel le concile a replac les lments socitaires de lEglise. Ainsi, le concile a valoris laspect invisible de lEglise, cestdire la communion spirituelle, en lui subordonnant laspect visible, cest dire la communion dans ses lments extrieurs (sacrements, confession de foi, structure hirarchique). Par ce choix, le concile a dfini un nouveau paradigme de lecclsiologie catholique qui, depuis sa clture, dtermine de manire dcisive la rflexion sur lEglise. Cette option
de lcumnisme dans les autres Eglises ; en effet, de la fin des annes cinquante, le concept de koinniacommunio a t propos par la Foi & Constitution et adopt par le Conseil cumnique des Eglises comme le plus adapt pour rpondre au dfi de lunit chrtienne. Par ce choix, il a acquis le statut de concept officiel, qui lui a valu une place de prdilection non seulement dans les dialogues cumniques mais aussi dans la rflexion au sein des Eglises membres du COE ; en ladoptant lors du concile, lEglise catholique sest place, elle aussi, dans cette tendance (cf. Supra, Deuxime tude : LEglise en tant que communion dans la Foi & Constitution et le Conseil cumnique des Eglises, 44-220). 1 Toutefois, bien que lecclsiologie conciliaire sinspire souvent des traditions thologiques noncatholiques, la vision de lEglise quelle propose est encore juge surtout dans les Eglises noncatholiques, mais parfois lintrieur mme de lEglise catholique , comme trop romaine et trop juridique. Certains estiment que Vatican II est rest en fait psychologiquement, physiquement et pratiquement latin (LAMBERT, B., Op. cit., 1271). Des orthodoxes notamment ont parfois critiqu lesprit romain du concile, Nous estimons, pour notre part, que la mentalit premire du Concile demeurait assez trangre la tradition orientale Il est certes difficile daffirmer que nos Eglises surs dOrient puissent se retrouver du premier regard dans la lettre des textes conciliaires. Mais il est par contre incontestable que le dveloppement amorc par ce Concile va dans le sens de notre Tradition commune avec lOrient (CORBON, J., La constitution Gaudium et Spes du point de vue de la thologie orientale , dans Barana, G., LEglise dans le monde de ce temps. Etudes et commentaires autour de la Constitution pastorale Gaudium et Spes de Vatican II, t. II, Paris, Descle de Brouwer, 1968, 696).

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pour lecclsiologie de communion a t confirme plusieurs reprises par lenseignement du Magistre. En 1985, loccasion du 20me anniversaire de la clture du concile, sest tenu Rome un synode extraordinaire dont le but principal tait la vrification critique de lenseignement de Vatican II1. Selon le synode, malgr la tension ecclsiologique dont avait souffert le concile, lide de communion tait le concept central et fondamental dans ses documents (RF, II, C, 1)2. De ce fait, il fallait lui attribuer une place de premire importance dans la rflexion catholique actuelle sur lEglise, au point den faire une sorte de clef ecclsiologique pour une relecture actualise de luvre conciliaire3. En effet, le concept de communion permet une synchronisation de certaines polarits caractristiques pour lecclsiologie postridentine ; polarits qui nont pas t compltement dpasses par Vatican II, telles que luniversel le local, le visible linvisible, le hirarchique le charismatique, etc. Ainsi, le concept de communion se prsente comme une notion dunification des extrmes qui permet une ecclsiologie quilibre4. Il permet galement la recherche de solutions nouvelles bien des problmes pratiques de la vie ecclsiale, tels que lunit et la diversit dans lEglise (RF, II, C, 2), les Eglises orientales (RF, II, C, 3), la collgialit (RF, II, C, 4), les confrences piscopales (RF, 5), la participation et la coresponsabilit dans lEglise (RF, II, C, 6) et, finalement, lengagement cumnique (RF, II, C, 7)5.

Voir ce sujet : Synthse de travaux de lassemble synodale. Le rapport final, DC 1909 (5 janvier 1986), 36 ; Synode extraordinaire. Clbration de Vatican II, Paris, Cerf, 1986 ; Synode extraordinaire, Rome 1985. Vingt ans aprs Vatican II, Paris, Centurion, 1986. 2 Dans ce qui suit, RF = Rapport Final. Outre la DC, le texte du rapport se trouve galement dans Synode extraordinaire. Clbration de Vatican II, 549-567 et dans Synode extraordinaire, Rome 1985. Vingt ans aprs Vatican II, 223-238). 3 DC 1909 (5 janvier 1986), 39 ; selon la Congrgation pour la Doctrine de la Foi, le concept de la "communion" (koinnia) peut tre une cl de lecture pour un renouvellement de l'ecclsiologie catholique (CDF, Communionis notio. Lettre aux vques de lEglise catholique sur certains aspects de l'Eglise comprise comme communion [28 mai 1992], Paris, Cerf, 1993 ; nos1-2 (publi aussi sur www.vatican.va, 19. 04. 2004). 4 DENAUX, A., LEglise comme communion. Rflexions propos du Rapport final du Synode extraordinaire de 1985 , NRT 110 (1988), 31. 5 DENAUX, A., Op. Cit., 26-27.

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Cependant, comme le constate La Congrgation pour la Doctrine de la Foi dans une lettre de 1993 adresse aux vques, le concept de communion n'est pas univoque et se prte des interprtations diverses et parfois divergentes, voire contradictoires1. Cest pourquoi, faut-il encore que les thologiens catholiques lemploient dans la fidlit la doctrine de foi de lEglise. La Congrgation rvle que certaines visions ecclsiologiques... n'harmonisent pas correctement le concept de communion avec les concepts de Peuple de Dieu et de Corps du Christ , et accordent une place insuffisante au rapport entre l'Eglise comme communion et l'Eglise comme sacrement2. Tout en confirmant que la notion de communion demeure un concept central de lecclsiologie catholique contemporaine, la lettre exhorte les thologiens lutiliser dans la fidlit la foi catholique3. Il semble que llment visible et llment invisible naient pas toujours t correctement coordonns entre eux dans lecclsiologie catholique de la deuxime moiti du 20me sicle. Soucieux de la cause cumnique, certains thologiens insistaient unilatralement sur la communion spirituelle comme tant la dimension essentielle de lEglise, ngligeant parfois trop sa dimension terrestre et institutionnelle. On prsentait souvent lecclsiologie de Vatican II en opposition celle de Trente et de Vatican I, en affirmant que la premire tait une ecclsiologie de communio et la seconde une ecclsiologie de societas perfecta. Dans les annes qui ont suivi immdiatement Vatican II, lopinion selon laquelle le concile aurait introduit une relle rupture avec lecclsiologie socitaire de lpoque prconciliaire, en rejetant en bloc ses principes, tait assez rpandue parmi les thologiens catholiques. Une lecture attentive des textes conciliaires semble suggrer pourtant quune telle interprtation de lecclsiologie conciliaire tait, elle aussi, trop unilatrale. A notre avis, les documents de Vatican II, dans leur rdaction dfinitive, rconcilient dj de manire relativement cohrente et quilibre la vision socitaire avec la vision communionnelle de lEglise, posant ainsi des bases solides pour une ecclsiologie que lon pourrait appeler sociocommunionnelle, o la communion ecclsiale nest pas rduite une dimension purement spirituelle mais engloble galement la communion sociale.
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CDF, Communionis notio, n3. Ibid., n1. 3 Ibid., n 2.

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Ce qui suit dans ce chapitre se veut tre une prsentation et une analyse de lecclsiologie catholique contemporaine la lumire du concept de communion, dans la fidlit la foi catholique dune part, et dans lesprit douverture cumnique dautre part.

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2. La personne humaine comme un tre relationnel fondements anthropologiques de lecclsiologie conciliaire de communion
Lune des tches principales de Vatican II consistait rapprocher lEglise des hommes et les hommes de lEglise. Pour le faire le concile a d scruter non seulement le mystre de lEglise mais aussi celui de lhomme considr dans son unit et sa totalit, l'homme, corps et me, cur et conscience, pense et volont (GS, 1 3)1. Ctait une condition ncessaire afin de pouvoir prsenter lEglise de faon conforme la manire dont lhomme actuel se concevait lui-mme et dont il concevait la ralit autour de lui : celle du monde et celle de lEglise. 2.1. De l animal social l tre relationnel quelques repres philosophiques En rflchissant sur sa condition humaine, lhomme se dcouvre comme tant la fois distinct des autres et pareil aux autres hommes. La notion dindividu2 exprime lautonomie et la particularit de chaque homme par rapport tous les autres hommes, et la notion de nature3 exprime son identit fondamentale avec les autres. En effet, il y a une seule nature
Mme si parmi les seize documents de Vatican II, il ny en a aucun qui soit consacr expressement au mystre de lhomme, diffrentes affirmations dordre anthropologique se trouvent dissmines dans lensemble de luvre conciliaire. Le document qui consacre lhomme le plus dattention est la constitution pastorale Gaudium et Spes ; selon le cardinal Garrone lun de ses principaux rdacteurs cest lhomme et sa condition qui constituent son me (Cit dans MOUROUX, J., Situation et signification de chapitre I de Gaudium et Spes : sur la dignit de la personne humaine , dans Congar, Y. M. et Peuchmaurd, M. [ds], LEglise dans le monde de ce temps. Constitution pastorale Gaudium et Spes , vol.2 : Commentaires, coll. Unam sanctam 65b, Paris, Cerf, 1967, 229). 2 Individu ltre humain en tant que porteur des proprits objectives de la nature commune ; ce qui entre dans la dfinition de lhomme en tant quactualis dans un tre humain concret (cf. TILLARD, J.M.R., art. Communion , dans Lacoste, J.Y. [d.], Op. cit., 239). Le propre de lindividu humain est surtout de pouvoir penser (raison) et se dcider par lui-mme (volont). La notion dindividu met laccent sur lautonomie de chaque homme par rapport aux autres hommes et sur son aspiration une vie indpendante. (cf. TRIEST, V., Le personnalisme , http://www.philagora.net/personnalisme, 30. 06. 2003). 3 Selon Augustin, la nature nest rien dautre que ce que lon pense tre une chose dans son genre (AUGUSTIN, De moribus ecclesiae 2, 2 : PL 32, 1346).
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humaine mais elle existe incarne en une multitude dindividus, dont chacun est une personne diffrente des autres et unique. La personne apparat ainsi comme une rcapitulation individuelle et singulire de la commune nature humaine1. Grce cette communion de nature dans la pluralit diversifie des personnes, le je personnel de chacun est plus quun moi-mme2. De ce fait, chaque personne humaine se dcouvre comme un membre de lhumanit et constate en elle une aspiration naturelle daller au-del du moi vers les autres, pour crer un nous3. Mme si par nature, les hommes sont tous identiques quant leur essence dhommes, ils sont, toutefois, tous diffrents quant leurs attributs individuels en tant que personnes4. Chaque personne a la conscience dtre un ego vis--vis dune multitude dalter5 ; elle se dcouvre comme un je vis--vis dautres personnes dont chacune est aperue comme un tu particulier et distinct des autres6. Cette altrit dans lidentit permet aux personnes dentrer en relation les unes avec les autres7.
A la suite de Boce, la personne est dfinie, pendant tout le MoyenAge et jusquaux temps modernes, comme substance individuelle de nature rationnelle (cf. THOMAS DAQUIN, STh Ia, q. 29, a.1 ; IIIa, q.2, a.2). Dautres variantes se sont dveloppes sur cette base ; selon Locke, la personne est un tre intelligent et pensant, dou de raison et de rflexion, conscient de son identit et de sa permanence dans le temps et dans lespace (LOCKE, J., An essay concerning human understanding, II, 27, 9). Ces dfinitions mettent laccent sur laspect ontologique de la personne (lhomme en soi). Comme nous allons le voir plus loin, la philosophie personnaliste du 20me sicle lenvisagera surtout dans une perspective existentielle (lhomme dans sa vie) : la personne est une ralit concrte, charnelle et spirituelle, membre de tous organismes : famille, corporations, etc. (LACROIX, J., Le Personnalisme, Lyon, 1981, 84). 2 Ibid., 85. 3 La philosophie personnaliste du 20me sicle, parlera cet gard de lidentit htrogne de tous les hommes, identit qui les ouvre les uns aux autres et les attire les uns vers les autres (Ibid., 76). 4 par dfinition, la personne est ce qui ne peut tre rpt deux fois (MOUNIER, E., Le personnalisme, Paris, PUF, 198514, 42). 5 En grec classique, prospon dsigne la personne en tant quun tre face aux yeux d'autrui, face tourne vers l'autre, en relation, en rapport avec autrui (TRIEST, V., art. Le personnalisme , http://www.philagora.net/personnalisme, 30. 06. 2003). 6 Ltymologie du mot latin persona lexprime. A lorigine, il sagit dun mot trusque qui dsigne le masque port par les acteurs du thtre antique en tant que mtaphore du visage humain ; les diffrences dans les masques servaient exprimer les diffrences de caractre entre les hros du spectacle (cf. TRIEST, V., Op. cit.). 7 Une figure de cette altrit dans lidentit est la diffrence des sexes. Lvinas parle, par exemple, de laltrit fminine qui ne peut pas, bien sr, tre rduite la diffrence
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Mme si cest seulement lpoque contemporaine que le thme de la relationalit de ltre humain a vritablement envahi la pense philosophique, il nen reste pas moins vrai que ds lantiquit des penseurs se sont penchs sur la question de laltrit et des diverses relations que le je noue ou dnoue avec un tu. Des philosophes de la Grce antique ont dj dcrit lhomme comme un animal social qui porte dans son tre un besoin naturel des autres, ne pouvant ni pourvoir ses besoins vitaux les plus lmentaires, ni spanouir en tant que personne dans ses aspirations humaines les plus hautes sans entrer en relations avec ses semblables1. Selon eux, la nature inne de lhomme le prdispose dj une vie dans la polis coexistence avec dautres , sans laquelle il ne peut parvenir la plnitude de son humanit. Lhomme est fondamentalement tourn vers les autres et il ne peut trouver de bonheur et de paix que dans une relation interpersonnelle, dans une communaut de valeurs et de buts, dans lchange et le don avec dautres hommes. Selon Aristote, lhomme est un animal politique (zon politicon) par nature qui cherche sassocier dautres hommes pour son bien personnel2. La vie commune dans la cit permet aux hommes la satisfaction de leurs besoins et, chacun, un dveloppement harmonieux conforme sa nature3. De mme, pour Epicure, sassocier est un besoin naturel de lhomme. Selon lui, les hommes sassocient pour atteindre un plaisir ou viter une douleur et, de ce fait, leurs rapports ont surtout un caractre utilitaire. Cest puisquils ont besoin les uns des autres que les gens tablissent entre eux diffrentes communauts de vie4. Mme lamiti, qui est une vertu par elle-mme, a son origine dans lutilit5. Toutefois, ni Aristote ni Epicure ne considrent lhomme comme un tre

sexuelle physique mais qui stend sur tout lunivers de la fminit (cf. LEVINAS, E., Totalit et infini, Essai sur lextriorit, coll. Phaenomenologica 8, La Hay, Nijhoff, 19652, 127-129). 1 Le concept danimal social dans son application lhomme sera repris par des penseurs chrtiens ds lpoque ancienne ; il se retrouve autant chez des Pres que dans la thologie scolastique. A titre dexemple : AUGUSTIN, De bono conjugali, PL 40, 373 ; THOMAS, STh., IIa IIae, q.129, a.6 ; IIa IIae, q.109, a.3. 2 ARISTOTE, Politique I, 2, 1253, a 2. 3 Ibid., I, 2, 1252, b 29. 4 EPICURE, Maximes Capitales, XXXVI-XXXVIII, dans BALAUDE, J.F.(d.), Epicure. Lettres, Maximes, Sentences, Paris, L.G.F., 1994. 5 EPICURE, Sentences Vaticanes, XXIII, dans BALAUDE, J.F.(d.), Op. cit.

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goste par nature qui voudrait utiliser lautre comme un outil pour atteindre son propre but mais comme un tre li aux autres et dpendant des autres par nature. Laccomplissement personnel de lhomme nest pas un accomplissement de lindividu en sparation des autres, moins encore en opposition aux autres, mais un accomplissement de chaque individu avec et grce aux autres. Cest dans la rencontre et la relation avec ses semblables que lhomme se dcouvre, se ralise et existe, tout simplement. Cicron le principal passeur de la philosophie grecque classique dans la pense latine dit que nous (les hommes) sommes de par la nature mme prpars former des groupements, des assembles, des cits1. Ainsi, les anciens ont dj remarqu que le besoin dune vie sociale tait inscrit dans la nature de ltre humain dont lun des traits essentiels tait la relationalit. Sur le fondement de cette constatation, la philosophie grecque avait dvelopp la doctrine de la philia, cest dire de lamiti naturelle de tous les hommes. Cette ide tel un fil rouge traverse lensemble de la philosophie grecque classique : elle est prsente chez Socrate, Aristote, Platon, les Stociens, etc2. Au MoyenAge, cette ide a t reprise par saint Thomas selon qui lhomme est par nature ami de lhomme3. Cette amiti naturelle, avant de sexprimer travers des attitudes et des sentiments amicaux, est une ralit ontologique, entitative, laquelle tous les hommes participent en vertu de leur appartenance la mme espce humaine4. Selon saint Thomas, le fait que lhomme saime signifie quil saime dans son espce et, par consquent, quil aime ceux qui en font partie. Le matre dAquin parle ce propos dun amour damiti5. Les philosophes existentialistes (K. Jaspers6, J.P. Sartre1) et phnomnologues (M. Heidegger2, P. Ricur3, E. Levinas4) du 20me

CICERON, De finibus, III, XIX, 62 ; tr. fr. par Martha, J., t. II, 43. Cf. supra, dans la premire tude, le chapitre, Koinnia dans le grec classic. 3 C. Gent., 3, 117 ; 4, 54 ; STh., Ia IIae, 27, 3 ; IIa IIae, 114, I ad 2 ; 157, 3 ad 3 ; In Eth. Nic., 1, 8, lect. I n. 1541; De caritate, 8, ad 7. 4 WEBER, W., et RAUSCHER, A., La communaut humaine. Chapitre II de la 1re partie de la Constitution Gaudium et Spes dans Barana, G. (d.), LEglise dans le monde de ce temps, 372-373. 5 STh., Ia, 60, 4. 6 JASPERS, K., Philosophie. Orientation dans le monde. Eclairement de lexistence. Mtaphysique, ParisNew York, Springer, 1986.
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sicle, ont remis en valeur la dimension relationnelle inscrite dans la nature humaine. Ce thme a t dvelopp surtout par des philosophes personnalistes5. E. Mounier6, M, Ndoncelle7, Macmurray8 et M. Buber9 ont vu dans la relationalit un trait prminent de la personne humaine. Le personnalisme part de la constatation que la personne vit toujours dans un monde peupl dautres personnes10. De ce fait, lexistence personnelle de chacun est implique dans une destine collective de tous et notre vie propre ne peut raliser un sens quen participant lhistoire des collectivits multiples auxquelles nous appartenons11. Dans un monde qui n'est pas que pour moi, le moi ne fait quun avec lautre, et lautre avec le moi. Exister, cest appartenir la communaut dtre, cest co-exister12.

SARTRE, J.P., La transcendance de lego, Paris, Recherches philosophiques, 19361937 (rd., Vrin, 1965) et Lexistentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1946. 2 HEIDEGGER, M., Lettre sur lhumanisme, Paris, Aubier, 1957 et LEtre et le Temps, Paris, Gallimard, 1969. 3 RICUR, P., Soi-mme comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990. 4 LEVINAS, E., De lexistence lexistant, Paris, 1947 ; Humanisme de lautre homme, Fata Morgana, 1972 ; Totalit et Infini. Essai sur lextriorit, La Haye, 19752, Altrit et transcendance, Fata Morgana, 1995. 5 Les ides essentielles du personnalisme sont exposes dans : MOUNIER, E., Quest-ce que le personnalisme, Paris, 1947 ; Le Personnalisme, coll. Que sais-je ? 395, PUF, 198514 (19501) ; LACROIX, J., Le Personnalisme, Lyon, 1981 ; LANDSBERG., Problmes du personnalisme, Paris, Seuil, 1951 ; LESTAVEL, J., Introduction aux personnalismes, Vie Nouvelle, 1961. Sur la spiritualit dinspiration personnaliste, ZUNDEL, M., Recherche de la personne, Paris, Descle, 1990 et du mme auteur Croyez-vous en l'homme ?, Paris, Cerf, 1992 ; HABACHI, Une philosophie ensoleille Essai sur la relation, Anne Sigier, 1998. 6 MOUNIER, E., Rvolution personnaliste et communautaire, Paris, Aubier, 1935 et Manifeste au service du personnalisme, Paris, 1936. 7 NEDONCELLE, M., Personne humaine et Nature, Paris, Aubier, 1944 ; Vers une philosophie de lamour et de la personne, Paris, Aubier, 1957 ; Explorations personnalistes, Paris, Aubier, 1970. 8 MACMURRAY, J., The Self as Agent, et Persons in Relation, New York, H&B, respectivement, 1957 et 1961. 9 BUBER, M., Je et Tu,Paris, Aubier, 1969. 10 LACROIX, J., Le Personnalisme, Chronique Sociale, Lyon, 1981, 11. Dj Heidegger a insist sur cet aspect, Le monde auquel je suis, est toujours le monde que je partage avec dautres (HEIDEGGER, M., LEtre et le Temps, Paris, 1969, 150). 11 LACROIX, J., Op. cit., 40. 12 Ibid., 76.

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Ainsi, la personne dune part, et la collectivit dautre part, sont intrinsquement lies entre elles et lune nexiste pas sans lautre. Les liens interpersonnels entre les hommes sont constitutifs non seulement de la socit mais aussi de la personne humaine elle-mme. Au commencement est la relation, et cest elle qui conditionne laccs de lhomme son humanit1. Cela veut dire que nous ne naissons pas hommes mais que nous le devenons, dans la rencontre des autres hommes, travers le face--face des visages2 que nous ctoyons dans la vie de tous les jours. Cest la socit qui fait de lindividu une personne3. Car lhumanit (et toute autre collectivit) se compose de personnes fondamentalement dpendantes les unes des autres, lhomme ne peut tre compris ni se comprendre soi-mme sans les autres4. La personne nous apparat comme existentiellement et essentiellement lie aux autres personnes au sein de lunique humanit5. Cest dans la relation aux autres quelle existe et quelle se dveloppe dans sa propre humanit. De par sa nature, elle est porteuse dune dynamique communautaire qui sexprime travers les relations entre un je et des tu, relations qui la font tre et crotre. De ces relations interpersonnelles nat la vie sociale. Vu sous cet angle, le personnalisme se prsente non seulement comme une philosophie, mais aussi comme une doctrine sociale fonde sur la valeur absolue de
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BACHELARD, cit dans Triest, V., Le personnalisme , http://www.philagora.net/personnalisme, 30. 06. 2003. 2 Lexpression est de Lvinas qui accorde un rle trs important au visage humain dans sa philosophie de la rencontre. 3 LACROIX, J., Op. cit, 62. Kant, un sicle et demi avant le personnalisme, estimait quun tre humain devenait une personne humaine grce la sociabilit. Selon lui, lhomme, pour tre soi-mme, cherche la communion avec les autres hommes et la rconciliation gnrale est bien la fin de lhumanit (KANT, E., Fondement de la mtaphysique des murs (1785), dans uvres philosophiques, vol. 2, Paris, Pliade, 1985, 243-337 ; cf. Anthropologie et pdagogie, dans uvres philosophiques, vol. 3, Paris, Pliade, 1986, 931-1203). 4 On voit tout de suite le changement important de paradigme fondamental par rapport la philosophie cartsienne qui met laccent sur lindpendance personnelle de chacun et sur lindividualisme. Cest dans lhomme seul (et plus exactement dans son esprit capable de rflexion) que Descartes situe le point de dpart de toute rflexion philosophique sur lhomme. Tandis que pour lui il suffit de se reconnatre comme une substance pensante pour exister et pour pouvoir se connatre (cogito ergo sum), pour le personnalisme, il faut se mettre face un (des) autre(s) non seulement pour se connatre mais aussi pour exister vraiment. 5 MOUNIER, E., Le personnalisme, Paris, PUF, 198514, 42-43.

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la personne1. Car la personne humaine est un centre de rorientation de lunivers objectif, les institutions sociales sont perues comme des prolongements des personnes qui doivent servir lpanouissement personnel de chaque membre de la socit2. De mme, diffrentes associations, qui regroupent des gens selon des buts divers, doivent toujours servir la promotion de la personne et contribuer ainsi lhumanisation de toute la socit. Cette promotion ncessite une thique, cestdire l'vnement de la responsabilit mutuelle et de la solidarit au sein de la socit. Cela suppose une manire de penser lhomme partir du soi se mettant malgr soi la place de tous3. Ds lors, un impratif catgorique se dessine: agis toujours de telle faon qu'autrui puisse grandir en tant qu'tre relationnel, conformment l'-venir de son humanit4. Le degr le plus lev de la vie relationnelle des personnes est la communion. En effet, elle est ce qui lie les personnes au sein dune communaut, laquelle ne nat pas spontanment de la vie commune en socit, mais de lamour quun je porte un tu et dont il rsulte un nous 5. Des tres humains deviennent des personnes au plus haut degr de leur humanit lorsquils transforment le on dtranget impersonnel en un nous de communion par lamour6. La communion ainsi fonde, se caractrise par le rapport de complmentarit dans la diffrence dyade, grce laquelle chacun devient pleinement soi7. Dans ce nous de communion, le toi est conu comme une source et une condition et jamais comme une limite du moi. Lamour comporte une volont de promotion mutuelle, un dsir daider autrui se possder pour se donner, afin de devenir soi-mme grce la relation8. Ainsi, la communion est la forme la plus parfaite de la vie commune des personnes humaines. La famille est la figure concrte la plus naturelle de cette communion. Cest bien la rencontre amoureuse entre un je et un autre qui donne naissance au nous familial. Grce aux
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LACROIX, J., Op. cit., 84. MOUNIER, E., Le personnalisme, 14. 3 LEVINAS, E. cit dans http://www.ifrance.com/espacethique/repapres.htm, 30. 06. 2003. 4 TRIEST, V., Op. cit. 5 MOUNIER, E., La Rvolution personnaliste et communautaire, Paris, 1935, 80. 6 LACROIX, J., Op. cit., 11. 7 Dyade runion de deux principes qui se compltent rciproquement. 8 LACROIX, J., Op. cit., 76.

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relations mutuelles entre les membres de la famille, chacun spanouit dans son humanit personnelle1. Ds avant le concile, la rflexion thologique de lEglise catholique simprgna progressivement des ides existentialistes et personnalistes. Elle se tournait de plus en plus vers une mtaphysique relationnelle au centre de laquelle se situe, non pas comme dans lAntiquit la catgorie de substance, mais celle de la personne et pour laquelle lamour est le sens de ltre2. Le concile a assimil ces donnes anthropologiques en les mettant en rapport avec les donnes de la rvlation concernant lhomme. Ainsi, il a port sur la personne humaine un double regard : celui de lhomme et celui du croyant ; il la regard la fois den bas et den haut ; il a parl du mystre de lhomme sur des frquences diffrentes : sur celle de la thologie dogmatique, sur celle de la philosophie et du droit naturel et sur celle dune phnomnologie empirique au sens le plus large du terme3. Sur chacune de ces frquences, lhomme se rvle comme un treliauxautres. En mettant en lumire cette dimension relationnelle de ltre humain, lanthropologie du 20me sicle notamment grce au personnalisme a cr un climat philosophique favorable llaboration dune ecclsiologie de communion. Mme si linspiration philosophique a jou un rle important, cest pourtant la perspective thologique qui reste primordiale pour le concile, car la foi claire toutes choses d'une lumire nouvelle et nous fait connatre la volont divine sur la vocation intgrale de lhomme, orientant ainsi l'esprit vers des solutions pleinement humaines (GS, 11 1)4.

Inid., 127-129. KASPER, W., La thologie et lEglise, coll. Cogitatio Fidei 158, Paris, Cerf, 1990, 316-317. 3 WEBER, W., et RAUSCHER, A., Op. cit., 369. 4 The issue of theism or atheism is fundamental to any consideration of human nature. It is not a separate problem or an interesting side issue. The nature of human beings is indissolubly caught up with the question of weather they have any role in the purposes of a Creator (TRIGG, R., Theological Anthropology , in Byrne, P. & Houlden, L., Companion Encyclopedia of Theology, London-New York, 1995, 453).
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2.2. Cr comme un tre de communion 2.2.1. En communion avec Dieu Pour toute anthropologie chrtienne, lhomme se prsente, avant tout, comme une cration de Dieu Dieu cra lhomme (Gn 1, 27). Daprs le rcit de la Gense, il le cra son image et sa ressemblance (Gn 1, 26). Le terme image nest pas comprendre ici dans un sens faible et mtaphorique mais, conformment lesprit de la Bible, dans un sens fort et raliste : limage met en relief lessence dune chose ; elle rend prsent dune manire mystrieuse mais relle ce quelle reprsente1. Cela prsuppose lexistence dun lien intrinsque entre la ralit reprsente et son image : lhomme, en tant quune image de Dieu est uni lui par un lien que lon peut appeler ontologique, cest dire inhrent son tre (cf. GS, 1 3). Du fait de la cration, il existe donc une mystrieuse communion de vie, immanente et indestructible entre lhomme et son Crateur (cf. GS, 12 3)2. Par sa ressemblance Dieu et en vertu de la communion vitale qui le lie au Crateur, lhomme est aussi un partenaire et un interlocuteur de Dieu. Cest en ceci surtout que consiste sa dignit exceptionnelle parmi toutes les cratures3. Muni par

MOUROUX, J., Op. cit., 234-237. Ceci sclaire surtout la lumire de lIncarnation : le Verbe incarn, en tant que limage de Dieu invisible (Col 1, 15), est lHomme qui rend prsent Dieu dans le monde en vertu dun lien ontologique et vital qui les unit lun lautre. Pour cela, le Christ peut affirmer : qui ma vu, a vu le Pre (Jn 14, 9). Bien sr, entre le Verbe incarn et lhomme il ny a quune analogie qui ne peut pas nous faire oublier la situation unique du Verbe incarn cet gard : si Jsus porte en lui la plnitude de la divinit, nous, les hommes, nous nen portant quun germe ; il est limage qui sidentifie pleinement avec ce quil reprsente, nous ne somme que des imitations imparfaites. En commentant la pricope de la cration, certains Pres soulignaient le fait que le terme image accentuait la ressemblance entre Dieu et lhomme, alors que le terme ressemblance soulignait la dissemblance substantielle et non rductible entre les deux. 3 Selon certains exgtes, lexpression image de Dieu fait rfrence lancienne idologie royale rpandue dans le MoyenOrient qui voyait dans le roi une image terrestre de la divinit ; en tant que le mdiateur entre dieu et le peuple quil gouvernait en son nom, le roi tait le seul interlocuteur la fois pour dieu et pour le peuple. Lapplication de ce concept tout homme dans la Gense permet de proposer deux conclusions importantes : 1) lhomme est le seul interlocuteur de Dieu dans tout lunivers cr, 2) tous les hommes sont des rois les uns pour les autres, cest dire quils sont gaux entre eux (cf. SOGGIN, A., Alcuni testi-chiave per lantropologia
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son Crateur de la libert, il peut entretenir ou dformer la communion avec lui. Lorsquil lentretient par un autodpassement thocentrique, il correspond limage divine dont il porte un germe, et ressert la communion avec son Crateur, par contre, lorsquil se renferme en luimme dans un repliement gocentrique, il la dforme et la pervertit1. 2.2.2. Cr pour une vie de communion homme et femme Dieu est amour et il vit en lui-mme un mystre de communion personnelle damour. En crant lhumanit de lhomme et de la femme son image et en la conservant continuellement dans ltre, Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacit et la responsabilit correspondantes, lamour et la communion2. Selon le rcit de la cration contenu dans la Bible, il n'est pas bon que l'homme soit seul (Gn 2, 18). Dieu le cra, en effet, comme un tre relationnel destin partager sa vie avec dautres personnes humaines. Pour que lhomme puisse rpondre ce dessein divin, le Crateur lui a donn une nature qui correspond sa vocation. Ainsi, il cra lhomme comme tant la fois un et multiple : il le cra, mle et femelle il les cra (Gn 1, 27). La diffrenciation de sexes est la figure lmentaire de la multiplicit des tres humains dans lunicit de leur nature. Lhomme (sh) et la femme (ishh) sont unis ontologiquement et existentiellement par leur participation commune la mme humanit (CEC, 369). Toutefois, crs lun pour lautre (CEC, 371), ils sont aussi diffrents. A cause de cette diffrence dans lunit, lhomme et la femme non seulement sont capables dentrer en relation mais ils en ont besoin pour spanouir dans leur humanit qui est une et multiple la fois. Car la diffrence essentielle dans la nature humaine est celle des sexes, la relation fondamentale qui lassume et lexprime est celle qui se noue entre lhomme et la femme. Ainsi, lunion de lhomme et de la femme est la manifestation primaire de la nature communionnelle de lhomme3.
biblica dellAntico Testamento , dans De Gennaro, G. (d.), Lantropologia biblica, Napoli, 1982, 52. 1 Cf. AUGUSTIN, De Trinitate XIV, 8, 11. 2 JEANPAUL II, Familiaris Consortio. Exhortation apostolique du 2 novembre 1981, n11. 3 RULLA, L.M., IMODA, F., RIDICK, J., Lanthropologie de la vocation chrtienne : aspects conciliaires et postconciliaires , dans Latourelle, R., Vatican II. Bilan et perspectives vingt-cinq ans aprs, t. 2, Montral Paris, 1988, 423-478 (432-435).

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Ceci est manifeste du fait que les diffrences physiques, psychiques et spirituelles qui existent entre les deux sexes, nont pas de caractre contradictoire mais complmentaire (CEC, 372). Cest prcisment, en vertu de cette complmentarit dans la diffrence que lhomme et la femme peuvent vivre ensemble, en tablissant entre eux une communion qui permet chacun de spanouir dans son humanit. Lidentit propre de lhomme et de la femme ne saurait se raliser sans cette communion entre un je et un tu, dans un nous constitu par leur relation ; lun a besoin de lautre pour tre pleinement soi-mme. Selon Vatican II, la socit de l'homme et de la femme est l'expression premire de la communion des personnes (GS, 12 4). Elle se ralise surtout dans le mariage (GS, 47)1. En vertu de cette union spcifique souhaite et bnie par Dieu ds la cration (Gn 1, 28), lhomme et la femme tablisse une communaut profonde de vie et d'amour (GS, 1) qui conduit les poux un don libre et mutuel d'eux-mmes (GS, 49 1). La relation conjugale tend, de par sa nature, vers son panouissement dans la gnration des enfants et la fondation de la famille qui est la cellule primaire de la vie sociale2. Ainsi, la complmentarit de lhomme et de la femme est non seulement la base des relations interpersonnelles, mais aussi de la vie sociale et, ce titre, la famille, ne de lunion de lhomme et de la femme, est le fondement de la socit (GS, 32 2)3. De ce fait, la communaut familiale qui inclut lhomme, la femme et les enfants, reoit une valeur typologique et exemplaire pour la vie sociale en gnrale : limage de la communaut familiale fonde sur lamour, toute la famille humaine est appele constituer dans le monde une communaut de frres et de surs, lintrieur de laquelle les relations interpersonnelles sont bases sur la charit fraternelle4. Mais, selon les Ecritures (Ep 5), le couple humain, est aussi une image de la communion du Christ et de son Eglise. Ainsi, la famille cellule de base de la vie sociale devient galement, pour la socit quest

DE BAECQUE, F. & G., La mission de la femme dans le monde la lumire de Gaudium et Spes , dans Congar, Y. & Peuchmaurd, M. (ds), Op. cit., 69-92 (78-82). 2 Cf. GS, 49-52 qui traitent de divers aspects de la vie familiale dans le contexte de la socit actuelle. 3 DE BAECQUE, F. & G., Op. cit., 75. 4 HAMEL, E., Fondements biblicothologiques des droits de lhomme dans le prolongement de la constitution Gaudium et Spes , dans Latourelle, R., Op. cit., 479495 (483).

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lEglise un modle des relations fraternelles qui doivent caractriser la vie entre les membres de la communaut de croyants. 2.3. Le Christ homme de communion 2.3.1. Lhomme la lumire du Christ Par lIncarnation, le Fils de Dieu sest fait un parmi les hommes, semblable eux en tout, sauf le pch (He 4, 15). Ainsi, il est non seulement le Verbe ternel de Dieu mais aussi lHomme parfait1, qui est venu habiter la terre des hommes et partager leurs vies humaines (GS, 38 1). Ressuscit et glorifi dans son corps, il est le principe et le modle de cette humanit rnove laquelle tout le monde aspire (AG, 8). Ainsi, la pleine vrit sur lhomme ne peut tre trouve qu la lumire du Christ, de qui nous venons, par qui nous vivons, vers qui nous tendons (LG, 3 ; cf. GS, 41 2 et 57 4) et qui est la cl, le centre et la fin de toute histoire humaine (GS, 10 2). Le Verbe Incarn manifeste pleinement lhomme lui-mme et lui dcouvre la sublimit de sa vocation (GS, 22). Cest pourquoi, la personne et la vie du Christ constituent la rfrence fondamentale de toute anthropologie chrtienne qui trouve, dans la christologie, son fondement et son couronnement2. Comme le dit Kasper, la thse fondamentale est que nous devons comprendre Adam partir du Christ3. Traiter du mystre de lhomme la lumire du mystre du Christ permet de voir clairement que la vocation dfinitive de ce premier est la communion ternelle de vie avec Dieu. Comme lIncarnation par laquelle le Christ a communi la vie des hommes la conduit au mystre pascal, puis sa glorification la droite du Pre, de mme, le destin ultime de lhomme consiste participer, grce au Christ et par lui, la communion avec Dieu dans le Royaume de la vie ternelle. Ajoutons encore que cette participation est confre non pas lindividu comme tel, mais aux membres de la communion des saints ; bien plus encore, linvitation participer cette communion est adresse toute

Lexpression homme parfait, dans son attribution Jsus, revient plusieurs reprises dans la constitution Gaudium et Spes, ce qui indique dj la perspective christologique de lanthropologie conciliaire (n22 2 ; n38 1 ; n41 1 ; n45 2). 2 MOUROUX, J., Op. cit, 248-253. 3 KASPER, W., La thologie et lEglise, coll. Cogitatio Fidei 158, Paris, Cerf, 1990, 302.

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lhumanit, car dans le mystre de lIncarnation le Christ sest uni tout homme. 2.3.2. Le Christ membre de la socit et modle dune vie de communion Le concile interprte lIncarnation non seulement comme un acte par lequel le Verbe de Dieu sest uni la nature humaine, mais aussi comme un acte par lequel le Fils de Dieu a particip la vie des hommes1. En assumant les attributs de la nature humaine, le Christ a vcu en tant quun homme : il a travaill avec des mains dhomme, il a pens avec une intelligence dhomme, il a agit avec une volont dhomme, il a aim avec un cur dhomme (GS, 22 2). En devenant un membre de la communaut humaine, il sest insr dans la vie sociale de la Palestine de son temps : il a pris part aux noces de Cana, Il s'est invit chez Zache, Il a mang avec les publicains et les pcheurs (GS, 32 2). Ainsi, il sest montr pleinement solidaire avec les gens au milieu desquels il vivait, proccup de leurs besoins quotidiens (cf. Mt 15, 32-38) et compatissant avec eux (cf. Mt 9, 36). Sa vie de solidarit fraternelle avec ses semblables tait une illustration en acte de son enseignement, dans lequel il insistait constamment sur la fraternit, le sens de lautre, lunit2. Le Christ a clairement affirm que les hommes ont l'obligation de se comporter entre eux comme des frres (Mt 23, 8) pour constituer ensemble une famille de Dieu, dans laquelle la plnitude de la loi serait l'amour (GS, 32 3). Par sa vie dpense au service des autres, le Christ se prsente comme un modle de cet amour transformateur qui seul peut conduire les hommes une communion de vie vritablement humaine. Tout chrtien est appel reproduire dans sa vie limage du Christ (Rm 8, 29) qui nous a aims jusqu la mort (Jn 15, 9) et nous appelle nous aimer les uns les autres selon son exemple (Jn 15, 12 ; 1Jn 4, 19)3. Lamour est la loi ultime qui doit grer les rapports entre les hommes car, tout autre commandement se rsume en

A la diffrence de la tradition patristique qui mettait laccent sur laspect ontologique de lIncarnation (ex : CLEMENT DALEXANDRIE, Ped. II 20, I : GCS 12, 168 ; GREGOIRE DE NYSSE, In Cant. h. II : PG 44, 802), Vatican II sest proccup surtout de ses implications existentielles. 2 HAUBTMANN, P., La communaut humaine , dans Congar, Y. & Peuchmaurd, M. (ds), Op. cit., 255-277 (276). 3 MOUROUX, J., Op. cit., 235.

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cette parole: tu aimeras le prochain comme toi-mme (Rm 13, 9-10). Il est le seul fondement sur lequel les hommes pourront instaurer une fraternit universelle au sein dune communaut humaine pleinement rconcilie (GS, 38 1). A lpoque actuelle, cet appel lamour est d'une extrme importance pour les hommes de plus en plus dpendants les uns des autres et dans un monde sans cesse plus unifi (GS, 24 2). Pour les chrtiens, cet amour des autres hommes est insparable de lamour de Dieu car celui qui n'aime pas son frre, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas (1Jn 4, 21). Lamour de Dieu doit conduire le croyant lamour du prochain qui en est une consquence ncessaire et une manifestation. Cest pourquoi, le concile rappelle que nous ne pouvons invoquer Dieu, Pre de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes crs limage de Dieu (NA, 5). Lamour est le chemin qui permet ltablissement dune vie de communion avec Dieu et entre les hommes. 2.4. La vie sociale et lappel la communion Ce que la sociologie appelle le fait social englobe diverses formes de la vie commune que les hommes tablissent et entretiennent entre eux au sein de la socit. Le concile aborde la question sociale la lumire de la rvlation, qui conduit une intelligence plus pntrante des lois de la vie sociale, que le Crateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de l'homme (GS, 23 1)1. Sur la base de la rvlation divine, le concile rafirme dans son enseignement ce que nous disent dj lexprience quotidienne et diverses sciences humaines, savoir que l'homme, de par sa nature profonde, est un tre social, et [que], sans relations avec autrui, il ne peut ni vivre ni panouir ses qualits (GS, 12 4). Cest par l'change avec autrui, par la rciprocit des services, par le dialogue avec ses frres quil grandit du point de vue matriel, spirituel, moral et religieux, conformment sa nature2. Pour lanthropologie conciliaire, la vie sociale napparat pas comme quelque chose de surajout lexistence de l'homme mais comme un lment essentiel et ncessaire de sa vie : lhomme a besoin dune vie sociale pour tre soi-mme. Ainsi, la vie en
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Cette problmatique est aborde de manire plus systmatique dans le chapitre II de Gaudium et Spes intitul La communaut humaine (GS, n23-32). Pour un commentaire critique de ce chapitre voir HAUBTMANN, P., Op. cit., 255-277. 2 WEBER, W., Op. cit., 383-384.

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socit ne se prsente pas comme un rseau de relations accidentelles, lintrieur duquel les individus sont lis des uns aux autres uniquement par des intrts communs et des lois qui leur sont imposes den haut, mais comme une communaut de vie qui permet chaque personne qui y participe un panouissement individuel harmonieux grce aux relations avec les autres1. Dans cette perspective, la personne humaine se prsente comme le sujet et la fin de la vie sociale2. Cela correspond au message biblique selon lequel lhomme occupe la place centrale et unique au sein de toute la cration : le seul tre que Dieu a voulu pour lui-mme ne peut jamais tre rduit un objet au sein des structures sociales, mais doit toujours rester leur sujet. Lordre social dans le monde doit donc tre organis en fonction des personnes pour servir leur dveloppement personnel. Cest pourquoi, les rgles et les lois qui grent les relations entre les personnes au sein de la socit et diverses institutions qui la structurent, doivent tenir compte de la nature spirituelle de lhomme et de sa conscience morale (GS, 23 1). Le concile souligne limportance sociale de lamour : pour correspondre lordre naturel inscrit dans leur cur par le Crateur, les membres de toute socit humaine sont appels entretenir entre eux des relations fraternelles ancres dans lamour. Car lamour surpasse toutes les disparits et oppositions qui pourraient exister entre diffrentes personnes au sein dune socit, il est un fondement ncessaire pour la construction dun ordre social juste et quitable (GS, 26 3). La premire exigence de cet amour au niveau de la vie sociale est la reconnaissance de lgalit fondamentale de tous les tres humains. Le concile rappelle que, issus d'un principe unique (cestdire dAdam, cf. Ac 17, 26), tous les hommes sont de dignit gale (GS, 29 1) quels que soient leurs sexe, race, couleur de la peau, condition sociale, langue ou religion (GS, 29 2). Toutefois, cette galit fondamentale et inaltrable, nexclut pas de lgitimes diffrences entre eux (GS, 29 3) et dues leur capacit physique, qui est varie et leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses (GS, 29 2). Tout en accentuant avec force que tous les hommes jouissent de la mme dignit
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HAUBTMANN, P., Op. cit., 265+. WEBER, W., Op. cit., 382. A commencer par Pie XII, cette affirmation revient rgulirement dans tout lenseignement social de lEglise catholique, notamment dans les encycliques sociales des papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II.

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comme personnes, le concile se distancie toutefois avec un galitarisme indiffrenci et reconnat le caractre structur de la socit humaine au sein de laquelle chacun apporte une contribution personnelle conformment la place quil y tient (GS, 29 3-4). Toute discrimination carte, tous ensemble et de concert, nous sommes appels travailler pour le bien commun (GS, 26 1). Ni la varit naturelle des hommes, ni les diffrences fonctionnelles, cestdire celles qui sont dues la place quils occupent dans les structures hirarchises de la socit, ne justifient aucune forme de discrimination touchant aux droits fondamentaux de la personne humaine1. Varis mais gaux, tous les hommes sont appels constituer dans le monde une seule famille et se traiter mutuellement comme des frres, selon le dessein de leur Crateur (GS, 24 1). Cette attitude fraternelle implique aussi quils dveloppent et cultivent au quotidien le sens de la responsabilit les uns pour les autres, dans leurs relations mutuelles. Faisant toujours partie de diverses communauts, associations et socits dont certaines sont formelles (tat, syndicat, etc.) et dautres informelles (cercle damis, etc.) , lhomme a aussi le devoir dy assumer sa part de responsabilit pour le bien commun. Ceci se traduit concrtement par sa volont de prendre part aux entreprises communes et de participer, en citoyen responsable, aux affaires publiques (GS, 31 3). Le concile encourage tous les hommes, quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses, se proccuper ensemble, chacun selon ses capacits propres et en tenant compte des besoins d'autrui, de l'essor des institutions publiques ou prives, qui servent amliorer les conditions de vie humaine (GS, 30 1) et promeuvent de hautes valeurs morales (GS, 31 3) ; il y a une interdpendance entre le dveloppement de la socit dun ct et l'essor de la personne de lautre ct (GS, 25 1). La vie harmonieuse de toute socit exige galement que chaque membre accepte avec promptitude les invitables contraintes de la vie commune car les justes droits des uns tracent des limites aux liberts des autres (GS, 31 2). Dans un monde en voie dunification aux niveaux politique, conomique, culturel, etc., le sens de la communaut ne peut plus se limiter au contexte immdiat dans lequel vit lhomme, mais doit

HAUBTMANN, P., Op. cit., 273-275.

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slargir aux dimensions du monde (GS, 26 1). Chacun doit prendre conscience quil est li lensemble de lhumanit, et se sentir solidaire avec chaque homme o quil vive. Lappel vanglique lamour du prochain, rentendu dans le contexte de la mondialisation, incite dpasser une fausse perspective dthique individualiste qui considre lhomme comme un tre coup des autres et le voit essentiellement comme un tre avec dautres1. Cultiver les vertus sociales et contribuer ainsi lclosion dune fraternit universelle, est parmi les devoirs moraux de premire importance auxquels lhomme daujourdhui ne peut se soustraire (GS, 30 2). De mme, il doit prendre conscience de la dimension sociale du pch, qui infecte non seulement lindividu mais aussi la communaut dont il fait partie, et le monde tout entier. Mme si tout pch projette ses flots et ses ondes sur tout le monde, mme quand il se perptre dans le dsert du Sahara2, il y a cependant des pchs qui mritent la qualification de sociaux. Il sagit du mal qui est inscrit dans les structures mmes de la vie publique, qui ne provient pas de la volont personnelle dun individu mais de la disposition de la collectivit. En entrant dans ces collectivits, lhomme participe ces structures de mal, souvent contre son gr et sans la possibilit de les changer malgr sa bonne volont (GS, 25 3). Cependant, ce fait ne peut tre considr comme un alibi facile aux lchets personnelles face ces maux sociaux car, en dernire analyse, ils proviennent de l'orgueil et de l'gosme des hommes, qui pervertissent aussi le climat social (GS, 25 3). * * * Dieu a cr lhomme comme un treliauxautres, qui ne se ralise pleinement que dans des relations interpersonnelles avec ses semblables. La vie sociale se prsente ainsi comme une exigence fondamentale de la nature humaine. Pour le bien individuel de chacun et pour le bien commun de tous, tout ordre social doit avoir pour base la vrit, s'difier sur la justice, et tre vivifi par l'amour (GS, 26, 3). La vie sociale ancre dans ces valeurs correspondra au dessein de Dieu, qui veut faire de toute lhumanit une communaut universelle de frres vivant dans la charit (GS, 24 1).

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WEBER, W., Op. cit., 377-378. Paroles de P. Lippert cites dans WEBER, W., & RAUSCHER, A., Op. cit., note n2, p.375.

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2.5. LEglise et la vocation de lhomme la communion Les sciences anthropologiques et sociologiques prsentent lhomme comme un treliauxautres. La rvlation le prsente en plus comme un treliDieu. De ce fait, il porte en lui une double aspiration celle vivre en communion avec ses semblables et celle vivre en communion avec Dieu. Selon le concile, lEglise o la communion avec les autres et la communion avec Dieu sont vcues ensemble permet lhomme son accomplissement personnel selon cette double aspiration de sa nature. Ds le dbut de lhistoire du salut, Dieu a voulu associer les hommes les uns aux autres, non seulement dans leur vie terrestre mais aussi dans leur salut ternel (GS, 32 1). Il a donc constitu les Isralites en un peuple organis pour les conduire au salut non pas comme des individus sans aucun lien entre eux, mais en tant que membres d'une communaut de vie. Cette volont divine sest parfaite dans la vie et luvre de JsusChrist, notamment, dans la fondation, par lui, de lEglise communaut de ses disciples. LEglise est ainsi une communaut qui correspond la fois au dessein de Dieu envers les hommes et la nature sociocommunionnelle de ces derniers. Dans cette famille bien-aime de Dieu (GS, 32 5), les liens humains entre les membres du corps du Christ sont sanctifis par le don du Saint Esprit, et la fraternit humaine est ainsi transfigure en une communion sacre (GS, 32 4)1. La communaut ecclsiale constitue dj, dans le monde actuel les prmices de lhumanit nouvelle pleinement rconcilie avec Dieu et en elle ; signe de la communion parfaite du Royaume2. En cheminant ensemble vers laccomplissement eschatologique de cette communion, les membres de lEglise sont appels former dj dans le monde actuel une communaut fraternelle et s'entraider mutuellement, selon la diversit des dons reus (GS, 32 4). En entretenant entre eux des relations vritablement communautaires, ils imiteront le Christ (GS, 32 2) et demeureront fidles son vangile (GS, 32 3). De mme, leur vie de communion fraternelle sera, pour le monde, un tmoignage rendu au Christ qui appelle tous les hommes une fraternit universelle fonde sur la charit. En vertu mme de sa mission, l'Eglise doit donc apparatre dans le monde comme un signe de communion, en runissant
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RULLA, L.M., Op. cit., 457. HAUBTMANN, P., Op. cit., 276-277.

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en un seul Esprit tous les hommes, quelque nation, race, ou culture qu'ils appartiennent (GS, 92 1). Conscients de ce fait, les chrtiens doivent former ensemble un seul corps dans le Christ, tant, chacun pour sa part, membres les uns des autres (Rm 12, 5 ; cf. GS, 32 4). Limage paulinienne du corps du Christ met en vidence la loi de la solidarit fraternelle, qui doit caractriser la vie des chrtiens au sein de la communaut ecclsiale1. En tant que membres de ce corps unique, les chrtiens sont appels communier aux joies et aux souffrances les uns des autres (1Co 12, 14-26). Toutefois, comme dans le corps humain chaque membre a une fonction propre pour conqurir au bien du tout, de mme, dans lEglise, chacun doit sinvestir pour le bien de tous selon ses dons particuliers reus du Saint Esprit. Ainsi, la vie de la communaut ecclsiale nest pas fonde sur un galitarisme indiscrimin mais sur lesprit de communion selon lequel chacun est reconnu dans sa diffrence ; lgalit des chrtiens, quant leur dignit de membres du corps du Christ, implique ncessairement leur complmentarit quant aux fonctions au sein de lEglise. Cette vie de solidarit laquelle sont appels les chrtiens ne peut pas se limiter leurs relations mutuelles au sein de la communaut ecclsiale. LEglise vit insre dans le monde ; les chrtiens sont la fois des membres de lEglise et des membres de la socit humaine. Autant au sein de la communaut ecclsiale quau sein de la communaut humaine ils sont appels entretenir des relations fraternelles et se montrer solidaires avec leur prochain. En effet, une des tches essentielles de lEglise au sein de la socit est la sanctification des rapports humains, pour faire avancer ainsi lavnement de la communion universelle de tous les hommes (cf. LG, 9)2. * * * Conformment lanthropologie conciliaire, lexistence de lEglise correspond autant la nature communionnelle de lhomme qu sa vocation ternelle selon le dessein de Dieu. En crant lhomme son image, comme un tre relationnel, Dieu a voulu quil vive son existence terrestre et quil parvienne au salut ternel non pas comme un individu isol des autres mais en communion avec les autres. Le Fils de Dieu, envoy par le Pre pour sauver tous les hommes, a fond lEglise

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HAMEL, E., Op.cit. 493-494. WEBER, W., Op. cit., 371-372.

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comme communaut fraternelle de ceux qui croient en lui et qui, anims par son Esprit, sacheminent ensemble vers leur destin ultime. Vivant selon lvangile du Christ, la communaut ecclsiale est dans et pour le monde un signe et un instrument de cette communion du Royaume, laquelle sont appels tous les hommes (LG, 3). Pour correspondre ce signe et accomplir de manire crdible leur mission devant le monde, les chrtiens doivent entretenir entre eux des relations fraternelles et se montrer solidaires avec les hommes parmi lesquels ils vivent. 2.6. Lhomme, un tre de communion selon Vatican II une conclusion On peut dire, en conclusion, que lhomme est prsent par le concile comme un tre relationnel tourn la fois vers Dieu et vers les autres hommes. Cr par Dieu pour vivre non en solitaire mais solidaire, lhomme ne peut pas se passer des autres hommes dans son existence de tous les jours : il ne peut ni pourvoir ses besoins les plus lmentaires, ni dvelopper pleinement ses aspirations personnelles sans entrer en relations avec eux. De par sa nature humaine, il se prsente ainsi comme un tretournverslesautres qui tend dvelopper divers types de relations avec ses semblables en commenant par celles qui sont bases sur des intrts communs et finissant par celles qui sont bases sur lamour gratuit et le don dsintress de soi. Pour le concile, lhomme cr par Dieu qui est Amour , porte en lui une aspiration naturelle aimer. Lamour, de par sa nature, tend la cration dune communaut de vie entre ceux qui saiment. Ainsi, il est le premier fondement des relations vritablement communionnelles que les hommes tablissent entre eux. Cependant, selon le concile, lhomme aspire non seulement la communion avec dautres hommes mais galement la communion avec Dieu. Cr par Dieu son image, lhomme a soif de Dieu, il le cherche et son cur est sans repos tant quil ne la pas trouv1. Sans toujours savoir dvelopper cette soif de lInfini de manire proprement religieuse, lhomme demeure essentiellement un tretournvers lAutre qui, dans la relation avec ce qui lexcde, cherche un

Seigneur, tu nous as faits orients vers toi et notre cur est sans repos tant quil ne repose pas en toi (AUGUSTIN, Confessions, I, 1 ; Traduction de E. Trhorel et G. Bouissou, dans uvres de saint Augustin, vol. 13, Paris, 1992).

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dpassement de sa propre finitude. En souvrant Dieu par foi et amour, il se laisse emport dans la communion de celui qui la aim le premier. Cette double dimension de la personne humaine laspiration la communion avec les hommes et laspiration la communion avec Dieu a t assume et parfaitement vcue par JsusChrist Fils de Dieu et fils dhomme. Le Verbe de Dieu consubstantiel du Pre avec qui il ne fait quun et Homme parfait pleinement uni aux hommes en vertu de lIncarnation, JsusChrist, est le modle dhomme de communion. Autant par son enseignement que par sa vie les deux anims par lamour il a lanc tous les hommes lappel vivre en communion avec Dieu et les uns avec les autres. Pour leur permettre de raliser de manire cohrente cette double aspiration communionnelle inscrite par le Crateur dans la nature de ltre humain, le Christ a fond lEglise comme un lieu de communion avec Dieu et entre les hommes. En imitant le Christ dans son amour de Dieu et du prochain, les membres de lEglise constitueront, dans le monde actuel, une communaut de disciples parfaitement unie le sacrement de la communion universelle du Royaume (cf. LG, 1).

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3. Triple perspective thologique de lecclsiologie de communion


Les commentateurs de lecclsiologie de Vatican II soulignent que lenseignement conciliaire met en valeur la dimension trinitaire, christologique et pneumatologique de la communion ecclsiale1. 3.1. Perspective trinitaire : communion trinitaire source et modle de la communion ecclsiale Dans le chapitre prcdent, nous avons vu que la conception de lEglise en tant que communion correspondait la condition relationnelle de la personne humaine. Toutefois, la communion de lEglise nest pas dabord le rsultat de lactivit humaine : elle senracine dans la vie de Dieu qui est lui-mme communion trinitaire2 ; elle est un fruit de linitiative divine3. Dans tout lenseignement conciliaire et postconciliaire, le mystre de lEglise est prsent la lumire du mystre de la sainte Trinit qui est la fois sa source et son accomplissement eschatologique. Dieu qui nous a crs, nous appelle participer sa vie divine (DV, 12), qui est communion et paix (AG, 3). Il a envoy son Fils unique pour nous rendre participants par lui et en lui de cette vie de communion (LG, 2-3, cf. AG, 3). Par sa mission, le Christ a initi la communion universelle laquelle sont appels tous les hommes de tous les temps. Dans le temps prsent, luvre du Christ se poursuit dans le monde par lEglise (AG, 4) grce la prsence en elle de lEsprit-Saint (LG, 4 et 48). La perspective trinitaire de lecclsiologie devient essentielle du moment o nous affirmons que le salut consiste dans la participation ternelle des fidles la communion de vie et damour qui soude en un seul tre divin le Pre, le Fils et lEsprit (CEC, 265). Ainsi, la thologie (Dieu en soi) devient la source de lconomie (Dieu pour nous) et par consquent, le fondement de lecclsiologie (Dieu avec nous). Il y a, en
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Cf. KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio 12 (1/1987), 18-19. 2 RIGAL, J., Lecclsiologie de communion. Son volution historique et ses fondements, coll. Cogitatio Fidei 202, Paris, Cerf, 1997, 329. 3 CDF, Op. cit., n3.

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effet, une continuit entre la communion du Pre, du Fils et de lEsprit lintrieur de ltre divin, et la communion des fidles lintrieur de ltre ecclsial ; de ce fait, la seconde est incomprhensible sans tre regarde la lumire de la premire. 3.1.1. Dieu est une communion Baptiss au nom du Pre et du Fils et du Saint Esprit (cf. Mt 28, 19), les chrtiens confessent leur foi en la sainte Trinit : un Dieu qui est unique et trine la fois (CEC, 266) ; ils adorent la Trinit unique et indivise, mystre ineffable dans lequel tout a son origine et tout a son achvement1. Selon la Prire aprs la communion de la fte de la sainte Trinit, nous affirmons notre foi en la Trinit, ternelle et sainte, comme en son indivisible Unit2. Le Dieu des chrtiens nest ni trois dieux, ni trois modes dtre dun dieu unipersonnel, mais un seul Dieu en trois personnes dont chacune existe par la relation aux deux autres3. 3.1.1.1. Quelques repres bibliques et patristiques Les Ecritures nutilisent jamais le mot communion pour parler de ltre divin. Toutefois, la seconde ptre de Paul aux Corinthiens sachve avec une expression qui numre les trois personnes divines ensemble: la grce du Seigneur JsusChrist, lamour de Dieu et la communion de lEsprit Saint soient avec vous tous ! (2Co 13, 13)4. Les Ecritures attestent galement lexistence dune relation filiale entre Dieu et Jsus. La voix (de Dieu) venue du ciel, au moment du baptme du Christ, le proclame le Fils bien-aim (de Dieu) (Mt 3, 17 et parallles) ; Jsus parle souvent de Dieu comme tant son Pre (Mt 10, 32-33 ; 11, 27 ; Mc 14, 36 ; Lc 22, 29 ; Jn 5, 17 ; 8, 54, etc.) et il se voit attribuer par les
JEANPAUL II, Novo Millennio Ineunte, n 5. Missel romain ; cf. galement la prface de cette solennit. 3 Aussi bien la thologie trinitaire que lecclsiologie de communion reposent sur le concept de relation. Lessence de la relation consiste dans lassociation de plusieurs termes par laquelle ils sont considrs comme une unit. Dans le cas de la Trinit, ces termes, ce sont les personnes divines qui sont considres par la thologie comme une unit en vertu des relations qui les lient entre elles ; dans le cas de lEglise, ce sont les fidles qui constituent ensemble une communaut unique grce aux relations qui les lient les uns aux autres (MASCALL, E.L., The Triune God. An Ecumenical Study, Princeton Theological Monograph Series 10, Allison Park, Pensyvania, 1986, 76-79). 4 Il y a dautres mentions semblables chez Mathieu et dans les crits johanniques, ex : Mt 28, 19 ; Jn 14, 26 et 15, 26 ; cf. supra, dans la Prermire tude, 4.2 : La communion dans le Noueau Testament (13-33).
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Ecritures le titre de Fils de Dieu (1Jn 5, 20). Les Ecritures prcisent galement quil sagit dune relation de profonde unit : Jsus demeure dans le Pre (Jn 14, 20) et les deux ne sont quun (Jn 10, 30). Cette unit est leffet de lamour qui les unit lun lautre (Jn 3, 35 ; 15, 10). Il sagit donc dune vritable relation de communion. De mme, les Ecritures attestent lexistence dune relation entre Jsus et lEsprit-Saint. De nouveau, sans que le vocabulaire de la koinnia y soit utilis, il sagit de la relation dune profonde unit qui lie lun lautre. Conu par leffet de lEsprit-Saint (Mt 1, 20), Jsus en est rempli ds le sein de sa mre (Lc 1, 15) ; lEsprit du Seigneur repose sur lui (Lc 4, 18) et le conduit travers la vie (Lc 4, 1) ; dans ses activits messianiques, Jsus agit de concert avec lEsprit (Mt 12, 28)1. Il y a galement des textes scripturaires qui mettent en relation le Pre, le Fils et le Saint Esprit. En plus de la salutation paulinienne voque plus haut, il convient de rappeler le baptme de Jsus o les trois personnes divines se manifestent ensemble : lorsque Jsus sort de leau, lEsprit de Dieu descend sur lui et une voix venant du ciel affirme sa filiation divine (Mt 3, 16 et parallles). Cet Esprit de Dieu (1 Co 6, 11) qui vient du Pre (Jn 15, 26) est galement lEsprit du Fils que le Pre envoie en son nom (Jn 14, 26). Tous ces exemples dmontrent lexistence dune profonde unit de vie et daction entre le Pre, le Fils et lEsprit. Bien que le mot communion ne retrouve pas dans la Bible pour exprimer les rapports entre les trois personnes divines, la ralit de la communion trinitaire y est prsente au moyen dautres termes et images. Ces mentions scripturaires ont conduit la patristique, surtout orientale (Athanase, Basile, les Cappadociens, Didyme) mais aussi occidentale (notamment Augustin), laborer une doctrine de la Trinit selon laquelle Dieu est une communion in se (thologia) et dans son activit pro nobis (oikonomia). LOrient, qui accentue les distinctions entre Pre, Fils et Esprit, identifie lunique essence de Dieu (ousia) avec les relations qui existent entre les

1 Les textes qui parlent de Jsus en relation avec lEsprit et viceversa sont trs nombreux dans les Ecritures, et nous nvoquons ici que quelques exemples choisis qui nous semblent bien exprimer la relation de profonde unit qui existe entre les deux.

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trois hypostases divines1. Grgoire de Nazianze parle dune seule Divinit et Puissance, existant Une dans les Trois, et contenant les Trois dune manire distincte. Divinit sans disparit de substance ou de nature Cest de Trois infinis, lInfinie connaturalit Je nai pas commenc de penser lUnit que la Trinit me baigne dans sa splendeur. Je nai pas commenc de penser la Trinit que lunit me ressaisit2. Selon saint Basile, Dieu, dans son tre, est une diffrenciation unie, une unit diffrencie, une sorte de koinnia continuelle et indivisible3. Ainsi, le Pre, le Fils et lEsprit sont un seul et unique Dieu grce aux relations qui les distinguent et les unissent, la fois lintrieur de ltre divin. LOccident insiste sur lunit personnelle de lousia divine : Dieu est une persona unique dont lessence est relationnelle, car il est la fois Pre, Fils et Esprit ; les relations sont situes lintrieur de la persona divina4. Selon Augustin, le Pre, le Fils et le Saint Esprit sont un seul Dieu, une seule Lumire et un seul Principe5. Sensibilis la question de lunit entre les trois personnes divines cause de la controverse arienne, le matre dHippone surtout dans le De Trinitate utilise souvent lexpression unit de la Trinit6. Sinspirant dAugustin, le concile de Tolde (675) a dfini que Dieu tait un par sa substance divine et trine dans ses personnes dont chacune tait gale et distincte des autres7. Quelles que soient les diffrences entre lapproche orientale et lapproche occidentale, les deux voient en Dieu un tre relationnel dont lessence est la communion entre les trois hypostases (ou personnes) divines. La communion entre Pre, Fils et Esprit structure la substance divine ;la communion est la force unifiante qui maintient ensemble les trois personnes gales qui se connaissent et saiment mutuellement8.

1 Le Pre nest ni un nom de substance, ni un nom daction, cest un nom de relation (GREGOIRE DE NAZIANZE, Orationes 29, 16 : PG 36, 95 ; cf. LaCUGNA, C.M., God for us. The Trinity and Christian Life, San Francisco, Harper, 1991, 53-80). 2 GREGOIRE DE NAZIANZE, Orationes 40, 41 : PG 36, 417. 3 BASILE, Epistolae 38 : PG 32, 332a-333. 4 HILL, W., The ThreePersoned God, Washington, DC, UPA, 1983, 61. 5 AUGUSTIN, Io. eu. tr. 39, 5 : PL 35, 1684. 6 AUGUSTIN, De Trinitate 1, 3, 5; 1, 6, 13; 1, 7, 14; 1, 8, 15; 2, 17, 32; 15, 3, 5 : CCSL 50. 7 DS, 528-530 ; cf. Concile de Latran IV (1215), DS, 804. 8 LaCUGNA, C.M., Op. cit., 249.

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3.1.1.2. La prichorse comme mode de communion en Dieu Dans le langage de la thologie contemporaine, la relation qui fait lunit de trois personnes divines au sein de lunique Trinit est exprime par les termes dinhabitation rciproque ou dinterpntration mutuelle1. Ils font rfrence lancienne tradition thologique qui, depuis le 7me sicle, expliquait le mode dunit trinitaire par le terme grec prichorse, traduit plus tard en latin par circumincessio2. Le concept de prichorse signifie linhabitation mutuelle de trois personnes divines sans sparation ni confusion3. Il exprime lunique origine divine de la Trinit, lgalit des trois personnes quant leur divinit et leur diversit quant leurs fonctions propres : Pre Crateur ; Fils Sauveur ; Esprit Sanctificateur4. Cest par ce mode circumincessionnel dexistence que Dieu est une relation hypostatique, cestdire une communion des trois personnes qui shabitent mutuellement5. De ce fait, les trois personnes en Dieu unique ne se distinguent pas par lessence (esse in se) car toutes participent lunique divinit, mais par la relation (esse ad), cestdire par la situation dans

NICHTWEISSE, B., Mysterium Trinitatis et Unitatis , Communio 5-6 (1999), 173195 (174). 2 Employ dabord dans la christologie avec le sens de communication des idiomes (Grgoire de Nazianze, Ep. 101 : PG 37, 175+) ou dunion hypostatique (PseudoCyrille, Trin. 24 : PG 77, 1, 165 cd), le terme est pass dans la thologie trinitaire avec le Pseudo-Cyrille (Trin. 23 : PG 77, 1164 b). Dvelopp par Jean Damascne (Fid. 1, 8 : PG 94, 807+), il est devenu courant dans la tradition grecque. Le terme latin de circumincessio apparat occasionnellement dans la thologie trinitaire en Occident partir du 11me sicle. Sur le concept, voir FANTION, J., art. Circumincession dans Lacoste, J.Y.(d.), Dictionnaire critique de thologie, PUF, 1998, 228 ; BATUT, J.P., Monarchie du Pre, ordre de procession, prichorse : trois clefs thologiques pour une droite confession trinitaire , Communio 5-6 (1999), 26-27 ; LaCUGNA, C.M., Op. cit., 270-278. 3 Mme si le mot prichorse circumincession nest pas couramment employ en Occident, la thologie latine a habituellement expliqu les relations entre les trois personnes divines comme une inhabitation rciproque sans sparation ni confusion (cf. THOMAS DAQUIN, STh Ia, q. 42, a. 5 ; Bulle dunion avec les Jacobites de 1442, Cantate Domino, DS, 1330). 4 Quoique le Pre, le Fils et lEsprit-Saint uvrent insparablement ainsi quils sont insparables (AUGUSTIN, De Trinitate I, IV, 7). 5 MASCALL, E.L., Op.cit., 74-75.

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laquelle chacune delles se trouve vis--vis des deux autres1. La Trinit se trouve ralise par le fait que chaque Personne divine est une relation aux Autres2. Dans la communion indivisible du Dieu unique, chacune des trois personnes est UnAutreLuiMme. La Trinit est lunit des trois centres didentit divine (selon lconomie) dont chacun se transcende et sautocommunique aux, autres dans une ternelle communioncommunication de la vie. Comprise ainsi la lumire du concept de prichorse, la doctrine de la Trinit confre lide du monothisme chrtien une dimension communionnelle essentielle : un par lunique nature divine, Dieu est une communion de trois personnes dont chacune est distincte des autres et unie aux autres de manire indissoluble et ternelle dans lunit de ltre divin. 3.1.1.3. Lamour comme le ciment de la communion trinitaire La charit est la force qui ralise et maintient dans lunit la communion entre le Pre, le Fils et lEsprit, au sein de ltre divin. Saint Augustin discerne en Dieu une indivisible Charit et affirme-t-il sil y a Charit indivisible, il y a parfaite unit. Dieu le Pre et Dieu le Fils sont-ils un seul Dieu dans la source de la Dilection3. Une autre fois, la question, pourquoi sont-ils un seul Dieu, il rpond : parce quil y a l une si grande Charit, une si grande paix, une si grande concorde, sans aucune dissonance4. Cest dans la charit, qui produit la paix et la concorde entre les personnes, quAugustin voit lorigine et le ciment de la parfaite unit dans la Trinit. A cause de la surminence de cette Charit si grande quil ne peut en exister de plus grande, il nest pas permis aux croyants de dire deux ou trois dieux5. Tout amour, de luimme, implique pluralit des personnes qui saiment, cest pourquoi,

GROSS, H. et RAHNER, K. (ds.), Mysterium Salutis. Dogmatique de lhistoire du salut, vol. 6, Paris, Cerf, 1971, 83. 2 ZOGHBY, E., Unit et diversit de lEglise , dans Barna, G. & Congar, Y., LEglise de Vatican II. Etudes autour de la Constitution conciliaire sur lEglise, t. II, coll. Unam Sanctam 51b, Paris, Cerf, 1966, 493. 3 AUGUSTIN, Io. eu. tr. 18, 4 : BA, 72, 126-128. 4 AUGUSTIN, S. Guelf. 11, 5 (6) : BA 1, 477-478. 5 AUGUSTIN, Io. eu. tr. 14, 9 : BA 71, 744.

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Dieu qui est Amour (1Jn 4, 8) est une communion du Pre, du Fils et de lEsprit1. 3.1.2. La communion de lEglise un mystre trinitaire 3.1.2.1. Ecclesia de Trinitate Ecclesia ad Trinitatem Selon le concile, le mystre de communion est donc celui de notre accs au Pre par le Christ dans lEsprit (LG, 4 ; cf. UR, 2). Dieu communion est non seulement un Dieu qui saime en lui-mme mais galement un Dieu qui aime les hommes (1 Jn 4, 10. 19). Dans toute lEcriture sainte, il se rvle comme un Deus pro nobis, dont lexistence est oriente vers les hommes2. Selon son dessein bienveillant (Ep 1, 910), il veut les sauver tous en les accueillant dans sa communion de vie ternelle (DV, 2 ; GS, 18 2). Cette communion est celle avec le Pre et le Fils (1Jn 1, 2-3 ; 1Co 1, 9) et avec lEsprit-Saint (2Co 13, 13 ; 1Jn 4, 13). Pour permettre aux hommes la ralisation de ce dessein, Dieu leur ouvre le chemin vers sa communion dans et par lEglise. Ainsi, ne de lamour du Pre ternel, fonde dans le temps par le Christ Rdempteur et rassemble dans lEsprit-Saint (GS, 40 2), l'Eglise est une uvre commune de la Trinit : elle tire son origine de la communion trinitaire (LG 2-4 et 7 ; AG 2) ; elle vit par la sainte Trinit (LG 9, 40, 48) et tend vers elle comme son achvement ultime (GS, 18 2 ; LG 48). Selon une belle expression du pre de Lubac : telle est lEglise. Elle est pleine de la Trinit3. Tertullien, la dj dit de manire, peut-tre, encore plus fort : l o sont les trois, Pre, Fils et Esprit Saint, l aussi se trouve lEglise, laquelle est le corps des trois4. LEglise communaut de fidles est donc attache de manire organique tel un corps la communion trinitaire5. Par consquent, rien dans lEglise ne se fait et ne

RICHARD DE ST. VICTOR, De Trinitate 3, 19 ; cf. DEN BOK, N., Communicating the Most High. A systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St. Victor, Biblioteca Victorina VII, Brepos, 1996, 302-319. 2 Loikonomia est le prsuppos fondamental de toute theologia (cf. LaCUGNA, C.M., Op. cit., 1991, 209-232). 3 DE LUBAC, H., Mditation sur lEglise, Paris, 1953, 184. 4 TERTULLIEN, De baptismo 6, 2 : SCh 35, 75. 5 Le dbut de la constitution Lumen Gentium explique cet attachement de lEglise au Pre (n2), au Fils (n3) et lEsprit (n4).

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pourrait se faire sans laction commune du Pre, du Fils et de lEspritSaint. Car lEglise est une uvre de la Trinit, il nest donc pas possible de la connatre et de comprendre ce quelle est dans son tre, sa vie, sa mission, sans la rfrer la Trinit son tre, sa vie, sa mission1. En effet, la forme dterminante et objective de vie, la forme intentionnelle de LEglise est la sainte Trinit elle-mme, la vie divine elle-mme, sans aucun intermdiaire cr. LEglise est la communaut de ces mes qui vivent une mme vie qui est la vie trinitaire, parce que leur objet de vie est le mme2. LEglise apparat ainsi ses propres yeux comme une incarnation de la Trinit qui prolonge son uvre du salut dans le monde travers lhistoire, jusqu la consommation des temps. Sa mission consiste faire participer la vie trinitaire tous les hommes appels au salut. Cette vie, comme nous lavons vu, est celle de lternelle communion dtre et damour qui existe entre le Pre, le Fils et lEsprit. Ainsi, lunit des personnes divines au sein de la Trinit est le principe et larchtype de lunit des fidles au sein de lEglise. Selon une expression de Cyprien, reprise par la constitution Lumen Gentium, lEglise tout entire apparat comme le peuple de Dieu uni de lunit du Pre, du Fils et de lEsprit Saint (LG, 4)3. De ce fait, lunit de lEglise est un mystre divin puisquelle nest pas une qualit humaine, mais un don de la Trinit. Elle est une communication et une extension de l'unit mme de Dieu. () C'est cela l'Eglise : l'extension de la vie divine une multitude de cratures. () Non pas proprement une socit des hommes avec Dieu; mais la socit divine elle-mme, la vie de famille de Dieu tendue l'humanit, assumant l'humanit en soi4. De cet enracinement de lEglise en Dieu dcoule non seulement son unit mais galement son unicit : l'Eglise est une comme Dieu est un5. La raison pour laquelle il y a une seule Eglise est quelle est la
DE CHAIGNON, F., Eglise et Trinit selon Vatican II , Communio 5-6 (1999), 6577 (66). 2 CONGAR, Y.M., Chrtiens dsunis. Principes dun cumnisme catholique, coll. Unam Sanctam 1, Paris, Cerf, 19482 (dition corrige et augmente), 70 (Le livre est galement publi sur lInternet : http://www.editionsducerf.fr/Site_Congar/cadre_gal.htm, 10. 06. 2003). 3 CYPRIAN, De Orat. Dom. 23 : PL 4, 553. 4 CONGAR, Y.M., Chrtiens dsunis., 59-60. 5 Ibid., 72.
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communication une multitude de fidles de la vie de lunique Trinit. Cest pourquoi, lEglise est unique et unie de l'unit mme de Dieu, hors de laquelle elle n'existe pas. C'est grce la participation commune de tous les fidles la mme vie du mme Dieu Pre, Fils et Esprit quils sont un en Eglise. Il est donc vident que lunicit et lunit de la communion ecclsiale nest pas leffet dune entente entre les fidles mais de son enracinement dans lunique communion trinitaire. Cest le Pre qui par une disposition tout fait libre et mystrieuse de sa sagesse et de sa bont rassemble en Eglise ceux qui ont foi dans le Christ et qui sont anims par son Esprit (LG, 2). Le Pre qui prend linitiative du salut est ainsi lorigine de la communion ecclsiale. La raison pour laquelle il y a une seule Eglise est quelle est la communication plusieurs (cratures) de la vie du Pre1. Tout ici vient d'en haut et procde du sein du Pre2. Mais le Pre ralise son dessein de communion dans lEglise par laction du Fils et de lEsprit : lecclsiologie devient ainsi la christologie et la pneumatologie en acte3. Lecclsiologie (de communion) est rattache la christologie par un lien qui est la fois historique et ontologique : cest le Christ qui a fond lEglise et qui la maintient en existence pour quelle soit dans et pour le monde un signe et un moyen d'oprer l'union intime avec Dieu et l'unit de tout le genre humain (LG, 1)4. LEglise existe depuis le Christ et dans le Christ. Elle est dans le monde son actuelle manation mystrieuse, sa continuation terrestre5. Le Christ et lEglise ne font quun seul corps, dont le Seigneur est la tte et les fidles des membres (LG, 7 ; cf. Col 1, 18 et 1Co 12, 27) ; ainsi, la plnitude du Christ (Christus totus), cest donc la Tte et les membres, le Christ et lEglise6. Il y a un lien intime de vie et damour entre le Christ et

Ibid., 63. Ibid., 60. 3 HERNANDEZ, G., Op. cit., 192, 4 ANGEL, A., Lecclsiologie postconciliaire. Les attentes, les rsultats et les perspectives pour lavenir , dans Latourelle, R., (d.), Vatican II. Bilan et perspectives, t. 1, 411-440 (422). 5 PAUL VI, Discours lors de louverture de la 2me session du Concile, 29 septembre 1963, (AAS 55 [1963]) ; tr. fr. dans Vatican II. Les seize documents conciliaires, coll. La Pense Chrtienne, (non dat), 595-612. 6 AUGUSTIN, In ev. Jo. trac., 21, 8. Saint Thomas, dans le mme sens, Tte et membres, une seule et mme personne mystique pour ainsi dire (THOMAS DAQUIN, S. Th. IIIa, 48, 2, ad 1.).
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lEglise grce auquel lEglise nest pas seulement rassemble autour de Lui ; elle est unifie en Lui, dans son corps (CEC, 789). Grce cette intime union de vie et damour qui soude la tte et les membres en un seul organisme divinohumain, il y a une identification mystique entre les deux. LEglise est communion avec Jsus (CEC, 787-788) ; elle est une avec le Christ (CEC, 795). Cest notamment dans la fraction du pain eucharistique par laquelle les fidles ont rellement part au corps et au sang du Christ, quils sont levs la communion avec lui et entre eux (LG, 3 et 7). Ni dans son existence, ni dans son action, lEglise ne peut donc jamais tre envisage sparment du Christ, mais toujours en communion avec lui. Toutefois, cette communion mystique ne signifie aucune confusion entre les deux, car il sagit dune identification de type sacramentel qui implique simultanement une distinction entre les deux1. Comme dans le corps humain, la tte se distingue du reste en vertu de son rle unique, tout en faisant partie du mme organisme, de mme dans lEglise, le Christ tte est distinct du reste des fidles, qui ne forment pourtant quun seul corps avec lui. Lecclsiologie (de communion) est galement rattache de manire troite la pneumatologie car cest en communiant aux disciples son Esprit le jour de la Pentecte (Ac 2, 1+) que le Christ a fait deux son Eglise. Depuis ce jour, lEglise vit et se dveloppe par la force et sous la conduite incessante de lEsprit Saint qui habite dans l'Eglise et dans les curs des fidles ; il difie lEglise par des dons varis hirarchiques et charismatiques et runit dans la communion la multitude des fidles (LG, 4). Cest par lEsprit de Dieu qui communique en permanence la grce lEglise en la sanctifiant (CEC, 767) que les chrtiens participent dj la communion de la Trinit Sainte (CEC, 732). LEsprit-Saint, qui est le lien dunit entre le Pre et le Fils dans la Trinit est aussi le lien dunit entre les fidles dans lEglise2. LEglise est lconomie de lEsprit Saint, dans laquelle lunit personnelle trinitaire de Dieu nous est manifeste et peut tre vcue3. Tous ceux quanime lEsprit qui vient de Dieu (1Co 2, 12), sont fils de Dieu (Rm 8, 14) et forment ensemble la demeure de Dieu, dans l'Esprit (Ep 2, 18-22). Selon une

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CTI, Textes et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, 1988, 354. Ibid., 342. 3 HERNANDEZ, G., Op. cit., 192.

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parole dIrne, l o est lEglise, l est aussi lEsprit de Dieu ; et l o est lEsprit de Dieu, l est lEglise de toute grce1. Cet Esprit est la force unifiante qui ralise la communion des croyants, et comme il ny qu'un Esprit, il ny a aussi quune Eglise corps du Christ (1Co 12, 12+ ; Ep 4, 4). En habitant dans les croyants, il les unit tous si intimement dans le Christ, qu'il est le Principe de l'unit de l'Eglise (UR, 2). Comme le dit Vatican II, la Sainte Eglise catholique, qui est le corps mystique du Christ, est constitue des fidles qui sont unis organiquement dans l'Esprit-Saint (OE, 2). Cet Esprit qui est unique et identique dans le Chef et dans les membres unifie lui-mme le corps par sa propre puissance et au moyen de l'articulation interne des membres entre eux (LG, 7). Ainsi, le corps du Christ est maintenu dans la communion par lopration de lEsprit-Saint qui fait lunit de lEglise et par qui les biens de chacun sont communs tous les autres2. Grce laction unifiante de lEsprit, nous sommes fondus entre nous et avec Dieu. Car bien que nous soyons nombreux, cet Esprit unique et indivisible ramne par Lui-mme lunit ceux qui sont distincts entre eux et fait que tous apparaissent comme une seule chose en Luimme. lEsprit de Dieu qui habite en tous, unique et indivisible, les ramne tous lunit spirituelle3. Ainsi, lEsprit-Saint me de lEglise (LG, 7) est un principe cach de lunit du corps entier. Le mme dans la tte et dans les membres, il est lEsprit de communion qui unit lEglise la vie et la mission du Christ (CEC, 1092) ; unis par lui au Seigneur, les chrtiens forment avec leur chef lunique et indivisible le Christus totus. LEsprit du Christ rassemble tous les membres du corps du Christ dans lunit et assure la cohrence des diffrents charismes dans une communion de vie et de foi (LG, 7). La cohsion de la communaut ecclsiale travers la diversit des dons personnels des fidles est ainsi une uvre de lEsprit (LG, 22). LEsprit-Saint suscite chez les fidles lesprit daccord qui les maintient dans la communion de la mme foi (LG, 12). Cest lui qui rassemble la communaut autour de lvque, grce lvangile et leucharistie (CD, 11), et qui ralise la prsence eucharistique du corps du Christ (PO, 5) ; ainsi, il sanctifie

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IRENEE, Ad. haer., 3, 24, 1. THOMAS DAQUIN, STh IIIa, q. 68, a. 9, ad 2. 3 CYRILLE DALEXANDRIE, In Jo. 12 : PG 74, 560-561.

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lEglise (LG, 11, 50)1. Il est lEsprit de catholicit qui rassemble les baptiss disperss sur le globe et constitus en diverses Eglises locales en une unique communaut spirituelle (LG, 15). Grce lEsprit dunit, sont surmontes dans lEglise les oppositions raciales, sociales, politiques, culturelles et autres, afin que tous les croyants forment ensemble un seul peuple de Dieu, une communaut de salut (LG, 9). Il ralise galement la communion intime des membres de lEglise vivant encore sur la terre avec ceux qui vivent dj ternellement dans le ciel (LG, 49, 50). LEsprit Saint est donc principe de vie et dunit, dapostolicit et de catholicit dans lEglise ; il anime et vivifie le corps ecclsial tout entier (PO, 2) et ralise la cohsion de tous ses membres (LG, 7 ; UR, 2). Cependant, ce rle unifiant ne peut lui tre attribu en sparation du Pre et du Fils, mais en communion avec eux. Comme nous lavons constat travers ce qui prcde, tous les trois animent constamment lEglise et la conduisent vers la pleine consommation la fin des temps. Ainsi, lEglise universelle apparat en ce monde comme une extension ou une manifestation de la Trinit, le mystre de Dieu dans l'humanit ; la Trinit et l'Eglise, c'est vraiment Dieu qui vient de Dieu et qui revient Dieu en ramenant avec soi, en soi, sa crature humaine2. Dans lecclsiologie conciliaire, lEglisecommunion vient de la Trinit, vit par elle et se dirige vers elle dans un lan eschatologique3. Elle nest pas ecclsiocentrique ; elle est thocentrique, christocentrique et pneumatocentrique, car elle est le sacrement de communion de tous les fidles avec le Pre (LG, 2) par le Fils (LG, 3) dans lEsprit-Saint (LG, 4). 3.1.2.2. La communion ecclsiale : une icne de la communion trinitaire Dans la tradition orientale, une icne nest pas un simple support visuel dont le but consisterait susciter des sentiments religieux dans le fidle, pour linciter la mditation ou dautres formes de dvotion ; elle est une vritable rvlation de la transcendance divine dans limmanence

Cf. TOURNEUX, A, Eglise et Eucharistie Vatican II , NRT 112 (1990), 338-355 (342-343). 2 CONGAR, Y.M., Chrtiens dsunis, 68. 3 KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio 12 (1/1987), 15-31 (19).

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humaine ; une piphanie mystique des ralits clestes dans des ralits terrestres, par laquelle le divin se rend prsent lhomme1. Licne se prsente aux yeux du croyant comme une hypostase mystique qui lui permet laccs la ralit divine car lhonneur rendu licne transporte jusqu loriginal2. Or, lEglise peut tre considre comme une icne de la Trinit pour trois raisons : premirement, elle est une image qui reprsente la communion trinitaire3 ; deuximement, elle la rend prsente dans le monde dune manire mystique mais relle ; troisimement, elle permet aux fidles la participation la communion ternelle qui se dploie entre le Pre, le Fils et lEsprit-Saint par leur appartenance la communion ecclsiale, les croyants sont transports jusqu loriginal divin, savoir, lternelle communion trinitaire. Toutefois, limage mme dans le sens fort de licne ne sidentifie pas la ralit quelle reprsente et vers laquelle elle transporte lhomme. Ainsi, lEglise nest pas la Trinit, mais elle en est un reflet et un moyen pour latteindre. De mme les relations qui lient les personnes divines au sein de la communion trinitaire diffrent de celles qui lient les fidles au sein de la communion ecclsiale. Selon le concile, quand le Seigneur Jsus prie le Pre pour que tous soient un..., comme nous nous sommes un (J 17, 21-22), Il ouvre des perspectives inaccessibles la raison et Il nous suggre qu'il y a une certaine ressemblance entre l'union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vrit et dans l'amour (GS 24 3). Le terme ressemblance utilis ici implique, par lui-mme une dissemblance entre les ralits compares. Cette dissemblance entre la communion trinitaire et la communion ecclsiale rside dans la nature des relations qui existent entre le Pre, le Fils et

Sur la thologie des icnes, voir OUSPENSKY, L., La thologie de licne dans lEglise orthodoxe, Paris, 1981 ; EVDOKIMOV, P., The Art of the Icne : A theology of Beauty, Redondo Beach, 1990. 2 BASILE, De Spirit. S. 18, 45. 3 En citant le texte des Actes sur la vie vritablement communautaire de la premire communaut chrtienne Jrusalem (Ac 4, 32), saint Augustin la prsente comme une image de lunit ternelle du Pre, du Fils et du Saint Esprit. Dans luvre de saint Augustin, il y a dix vocations de ce texte des Actes qui vhiculent ce sens : Serm. 47, 21 ; S. Guelf. 11, 5 (6) ; Symb. cat. 2, 4 ; Io. eu. tradition 14, 9 ; 18, 4 ; 39, 5 ; Ep. 170, 5 ; 238, 2, 13. 16 ; Conl. Max. 12. Sur lexgse de ces fragments voir, BERROUARD, M.F., La premire communaut de Jrusalem comme image de lunit de la Trinti , dans Mayer, C. & Chelius, K.H. (ds.), Homo Spiritalis, Wrzburg, 1987, 207-224.

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lEsprit-Saint dune part, et celles qui existent entre les membres de lEglise dautre part. En effet, dans le cas de la Trinit, la communion est fonde sur lunique substance laquelle participent les trois personnes divines, tandis que dans le cas de la communaut ecclsiale, la communion des fidles se ralise entre des personnes qui partagent la mme nature humaine mais qui sont des substances distinctes et diffrentes1. Ainsi, la communion trinitaire du Pre, du Fils et de lEsprit est une communion ternelle, insparable et parfaite ; la communion des fidles qui saccomplit dans le temps et lespace est, en revanche, partielle et imparfaite. Compte tenu de cette ambigut qui vient de lemploi analogique du langage de la communion tantt pour Dieu tantt pour lEglise , un danger doit tre vit : celui de transposer sur la Trinit notre exprience des relations humaines. Le mouvement de pense doit aller dans la direction oppose, savoir de la Trinit lEglise : cest la communaut ecclsiale qui doit tre rflchie partir de la communion trinitaire et non pas linverse ; cest lEglise qui est une icne de la Trinit et non pas linverse2.

MOREROD, C., Trinit et Unit , Nova & Vetera 3 (2002), 5-17 (8-9). Selon saint Augustin, cest une opinion peu fonde de prtendre dcouvrir la trinit de limage divine dans une trinit de personnes qui relverait de lordre humain naturel : image qui serait ralise dans le mariage par la prsence de lhomme, de la femme et de lenfant (AUGUSTIN, De Trinitate XII, V, 5 ; BA, 16, 219). Selon saint Thomas, le Pre, le Fils et lEsprit sont un selon une nature qui est numriquement une, tandis que nous les hommes nous sommes un dans une nature selon lespce. Il ny a donc pas didentit entre les deux units mais une certaine similitude (Commentaire de lEvangile de saint Jean, ch. 10, d. Marietti, n2214). Cest en raison de cette similitude quil est possible dappliquer lEglise de nom dicne de la Trinit. 2 NICHTWEISSE, B., Mysterium Trinitatis et Unitatis , Communio 24 (5-6/1999), 185-186. Au dbut du 13me sicle, Joachim de Fiore a fait ce renversement de direction dans sa thologie trinitaire. Il est parti des relations entre les hommes et concevait la Trinit limage de la communaut humaine qui tait unique mais compose dune multitude dhommes et de femmes. Cette manire de penser la conduit sparer de fait les personnes divines et voir leur unit comme une unit de type social. Sa position a t rejete par le concile de Latran IV en 1215 (Ce cas est relat dans DEN BOK, N., Communicating the Most High. A systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St. Victor, Biblioteca VII, Brepos, 1996, 466-467).

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3.1.2.3. La communion trinitaire comme modle de vie partage pour lEglise La Trinit est une communaut damour du Pre, du Fils et de lEspritSaint. Anime par cet amour, chaque personne divine donne aux deux autres ce quelle est et reoit des deux autres ce quelles sont dans leurs diversits respectives. Grce ces changes mutuels, se constitue une vie de parfaite communion entre le Pre, le Fils et lEsprit au sein de la Trinit. Puisque lEglise est le peuple uni de lunit du Pre et du Fils et de lEsprit Saint (LG, 4), elle est appele reflter dans sa vie la vie de la koinnia divine. Seule une Eglise qui est en vrit licne de la communion de vie du Dieu Trinit peut tre signe et instrument de la communion de lhomme avec Dieu et des hommes entre eux1. Ainsi, la Trinit est pour lEglise le modle suprme des relations que ses membres doivent entretenir entre eux et avec Dieu (UR, 2). Lunit des croyants doit donc avoir pour la cause exemplaire lunit du Pre et du Fils; selon la prire du Christ, ils sont appels tre un comme le Pre et le Fils habits par lunique Esprit sont un (cf. Jn 17, 20-21)2. Comme la communion des personnes divines au sein de la Trinit se fonde sur lunique amour qui les anime, de mme la communion fraternelle des chrtiens au sein de lEglise se fonde sur lobissance docile de chacun dentre eux au commandement damour que le Christ leur a laiss (UR, 2). Comme Dieu demeure un travers la pluralit des personnes, de mme lEglise, peuple de Dieu, doit se montrer unie travers la multitude de ses membres. A linstar de la Trinit, indivisible dans sa diversit, lEglise est appele prserver lindivisibilit de sa communion travers la diversit de ses membres et de ses structures tant au niveau local quau niveau universel. Le modle prichorique dexistence trinitaire constitue une analogie thologique approprie pour une rflexion pastorale sur lexistence ecclsiale de la communaut de croyants, dans ses diverses dimensions3. En premier lieu, il prsente lunit dorigine comme la source premire de la communion de vie : comme la communion trinitaire senracine
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KASPER, W., LEglise comme communion , 23. FARLEY, New Patterns of Relationship, 638-643 ; ZOGHBY, E., Op. cit., 496 ; CCRO, Le Mystre de lEglise et de leucharistie la lumire du Mystre de la Sainte Trinit, DC 79 (1982), 941-945 (n II, 1 et III, 2). 3 NICHTWEISS, B., Op.cit., 189-190.

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dans lunique origine divine du Pre, du Fils et de lEsprit-Saint, de mme, la communion ecclsiale des fidles dans lEglise senracine dans lunique baptme qui en est lorigine divine ; baptiss au nom de la Trinit, les chrtiens acquirent tous une identit commune denfants de Dieu. En second lieu, comme lunit dorigine de la Trinit ne contredit pas le fait quil y ait des diffrences relles entre chacune des trois personnes, de mme, lunit baptismale de lEglise ne contredit pas lexistence des diffrences entre les chrtiens. Mme si les trois personnes divines jouissent de la mme divinit au degr identique (le Fils nest pas moins Dieu que le Pre et lEsprit nest pas moins Dieu que les deux autres1), ceci nempche pas de leur attribuer des fonctions diffrentes dans lconomie du salut, tout en sachant quelles sont exerces dans lunit trinitaire indivisible. Ainsi, nous attribuons la cration au Pre, lIncarnation et la rdemption au Fils et la sanctification lEsprit. De mme, dans la communaut ecclsiale, lgale dignit baptismale des fidles nempche pas leur diversification fonctionnelle base sur le partage des ministres et charismes quils accomplissent chacun selon son rang pour le bien de toute lEglise. Au niveau des structures institutionnelles, cette unit dans la diversit se traduit par la pluralit des formes de vie ecclsiale, qui varient suivant les conditions particulires et les traditions locales sans pour autant mettre en pril lunit de lEglise ; condition que tous les fidles qui les exercent soient anims dans leur action et souds dans leur vie par le mme amour du Pre, du Fils et de lEsprit. Ainsi, l'unit des chrtiens qui trouve sa source divine dans l'unit trinitaire du Pre et du Fils et de l'Esprit Saint, doit se construire au quotidien suivant ce modle divin (UR, 8). 3.1.3. Leucharistie comme lieu de communion de lEglise avec la Trinit le Rapport de Munich Le 6 juillet 1982, la Commission Mixte Internationale du Dialogue entre lEglise Catholique Romaine et lEglise Orthodoxe (CCRO) a publi un premier rapport de ses travaux intitul, Le Mystre de lEglise et de lEucharistie la lumire du Mystre de la Sainte Trinit2. Nous le

DE LUBAC, H., Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme, Paris, Cerf, 19525, 291. CCRO, Le Mystre de lEglise et de lEucharistie la lumire du Mystre de la Sainte Trinit, dans DC 79 (1982), 941-945 ; publi galement dans Irnikon 3 (1982), 350-362
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prsentons ici comme une sorte de commentaire cumnique sur la doctrine de communion, regarde dans la perspective trinitaire. Le rapport montre lexistence dun large accord entre les deux traditions quant la comprhension de lEglise et de leucharistie, de leur unit et de leur relation la Trinit. Selon le document en question, la clbration eucharistique prise en son ensemble rend prsent le mystre trinitaire de lEglise (I, 6). La plnitude de ce mystre consiste dans lunit accomplie insparablement par le Fils et lEsprit, agissant tous les deux selon lternel dessein de salut du Pre (I, 6). Dans leucharistie, le Pre fait au monde le don de son Fils, sous la forme de sacrement du corps et du sang du Christ offerts une fois pour toutes sur le calvaire, pour la vie des hommes (I, 2 ; cf. II, 1). Le sacrement de leucharistie saccomplit par lEsprit-Saint, dont laction est insparable de celle du Christ (I, 3). Ainsi, leucharistie est non seulement le Christ donn de manire sacramentelle lEglise, mais galement le lieu de leffusion sacramentelle de lEsprit-Saint (I, 4, a). Par la communion au corps et au sang du Christ, les chrtiens accomplissent et manifestent ce quils sont dj par leur baptme, au nom de la Trinit et de lonction de lEsprit-Saint dans la chrismation, savoir, le Corps du Christ (I, 4, b). En effet, invoqu dans lpiclse sur les dons et sur lassemble qui les offre, lEsprit-Saint est la force vivifiante par laquelle saccomplit la transformation du pain et du vin en le corps et le sang du Christ (I, 5, c), et la force unifiante qui ralise la communion des fidles dans le Christ (I, 5, d et I, 6). Ainsi, par leucharistie, lEsprit du Christ ressuscit faonne lEglise en Corps du Christ (I, 4, c). Ceux qui, rassembls en Eglise, partagent la mme eucharistie, participent dj ensemble la communion damour qui unit le Pre, le Fils et lEsprit. A linstar de la koinnia trinitaire qui consiste dans lunit des trois personnes divines, ralise par amour, la koinnia ecclsiale consiste dans lunit dans lamour de la multitude de fidles (II, 1). Elle se ralise dabord dans toute communaut locale dEglise rassemble pour la clbration de leucharistie. Lassemble eucharistique est un lieu dunit o sont surmontes toutes les sparations entre les personnes (II, 1). Ceci ne signifie pourtant pas

(nous nous rfrons cette dernire publication ; les chiffres entre parenthses indiquent les numros courants du document).

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luniformisation de lEglise, ni au niveau local ni au niveau universel ; bien au contraire, la koinnia suppose la diversit et la pluralit, elle les assume dans lunit et gurit les blessures de divisions (III, 2 et 4). Lunit de la communion ecclsiale stend la fois sur le temps (dimension historique) et sur lespace (dimension gographique). A travers la diversit des formes historiques, la communion de chaque communaut locale avec lEglise dorigine est reconnue par lidentit du mystre de lEglise, vcu et clbr dans leucharistie par les fidles daujourdhui, avec le mystre de lEglise qui a t vcu et clbr dans leucharistie toujours la mme , par lEglise des temps apostoliques (III, 3, a). Pour assurer la communion ecclsiale entre les communauts actuellement existantes, chacune doit reconnatre dans les autres, travers les particularits locales, lidentit du Mystre de lEglise (III, 3, b). Cette koinnia ecclsiale telle que la clbration eucharistique lactualise et la signifie se caractrise par un triple caractre ; elle est eschatologique, krygmatique et ministrielle (II, 2). Le caractre eschatologique signifie, qu travers la clbration eucharistique, lEglise anticipe dj la communion parfaite des derniers temps, laquelle elle aspire dans la foi, et dont elle reoit les prmices dans le sacrement de lautel. Chaque eucharistie possde aussi une dimension krygmatique car elle est une annonce, en acte, du mystre du salut, qui consiste dans lunit des fidles avec Dieu et entre eux : rassembls autour de lautel dans la mme foi, lunique esprance et la mme charit, les chrtiens manifestent devant le monde la koinnia divino humaine laquelle sont appels tous les hommes. Comme le montre lassemble eucharistique, les croyants forment dans le monde une communaut ministrielle dans laquelle tous les membres, anims par lunique Esprit, accomplissent diverses fonctions et rendent de multiples services, chacun selon sa place spcifique au sein de la communaut. Une fonction particulirement importante dans la structure de la communaut et dans la structure de la clbration eucharistique revient lvque. Dans chaque Eglise locale, il constitue le centre personnel dunit de la communaut confie ses soins pastoraux. En tant que ministre du Christ, il ralise la communion de son corps ecclsial, notamment lorsquil rassemble ses fidles dans lunit pour la clbration de leucharistie (II, 3). Cest pourquoi, dans son Eglise, toute eucharistie ne peut se clbrer en vrit que prside par lui ou par un presbytre en communion avec lui (II, 4). Dans une telle
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perspective eucharistique, lEglise locale (diocse, parchie) apparat comme une communion de communauts eucharistiques (II, 4) et lEglise universelle comme une communion de communauts locales (III, 2). La multiplicit des synaxes locales ne divise pas lEglise, mais au contraire en manifeste sacramentellement lunit puisque, dans chacune delles, cest lunique et le mme mystre qui est clbr (III, 1). La responsabilit pastorale de chaque vque pour sa communaut locale se prsente comme indissociable de sa sollicitude pour lEglise tout entire ; tous les vques runis en collge piscopal portent ensemble la responsabilit pour lunit de la communion universelle de lEglise (III, 4). Selon lAnaphore de Saint Jean Chrysostome, la communion eucharistique des Eglises locales implique leur unit dans la foi (krygme), la charit (agap) et le service (diaconie) (III, 3). Conformment au message du Nouveau Testament, cette triple communion se prolonge dans la communion, dans les vertus pratiques par tous (surtout la foi, lesprance et la charit), la communion des dons charismatiques mis par chacun au service de tous, et par la communion dans la vie sacramentelle et dans le ministre (III, 4). Comme nous avons pu le constater travers cette prsentation, le rapport de Munich lie de manire indissociable la communion ecclsiale et la communion eucharistique, et les prsente toutes les deux comme un seul mystre divinohumaine, multiples dimensions, dont la source et le sommet se trouvent dans la trs sainte Trinit. Autant lEglise que leucharistie trouvent leurs origines dans lamour de Dieu pour les hommes, et les deux conduisent les croyants vers la communion eschatologique de vie avec le Pre, le Fils et lEsprit-Saint. A travers la clbration eucharistique dune communaut locale rassemble autour de son vque et au nom de la Trinit, lEglise se ralise et se manifeste comme une communaut de foi, de charit et de ministre dans laquelle sont rconcilies toutes les particularits grce la force unifiante de lamour. L'eucharistie manifeste lEglise dans son tre de grce qui consiste dans la participation des croyants la communion trinitaire. Toute synaxe eucharistique dans laquelle une communaut locale clbre le mystre de lEglise, en continuit historique avec lEglise des aptres et en communion avec toutes les autres communauts locales disperses actuellement travers le monde, est un signe efficace de lapostolicit et de la catholicit qui exprime et ralise lunit de la communion ecclsiale dans le temps et lespace.
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Le rapport montre que les deux Eglises sont essentiellement daccord sur la comprhension de la koinnia ecclsiale, son origine, sa fin et ses lments constitutifs : lEglise est un mystre de communion dont la Trinit est lorigine et la fin, et dont leucharistie est le sacrement. 3.2. Perspective sacramentelle : Eglise sacrement de la communion 3.2.1. Introduction Ds le titre du premier chapitre de la constitution dogmatique sur lEglise, le concile appelle celle-ci du nom de mystre1. Il est utile de rappeler ici que le terme grec mustrion (retranscrit en franais par mystre) a t frquemment rendu en latin ecclsiastique non seulement par le mot mysterium mais aussi par le terme sacramentum (retranscrit en franais par sacrement). Ainsi, lappellation de lEglise du nom de mystre nous rvle dj quelque chose sur sa nature sacramentelle : lEglise en tant que mystre est un sacrement. Effectivement, neuf reprises, le concile applique le nom sacrement lEglise de manire explicite (LG, 1, 9, 48 ; SC, 5, 26 ; GS, 42, 45 ; AG, 1, 5)2. Mais, mme l o le terme nest pas utilis, souvent lide de sacramentalit perce travers dautres expressions ou images (signe du salut, manifestation visible de la grce invisible, etc.)3. Il nest pas faux de dire que toute la doctrine du concile sur lEglise est imprgne de lide de sa sacramentalit. En effet, lapplication des noms mystre et sacrement lEglise correspond une intention thologique spcifique des pres conciliaires la prsenter comme une ralit de type sacramentel, o le divin sexprime travers lhumain, et o la grce invisible de Dieu agit au moyen des structures visibles de de linstitution ecclsiastique. Ds lors, la bonne lintelligence de la ralit ecclsiale nest ni juridique ni

De Ecclesiae mysterio ; si notre compte est juste, la constitution applique une dizaine de fois le terme mystre lEglise ; elle applique galement lEglise les expresions mystre du salut et mystre de la rdemption. 2 En plus, LG, 59 utilise lexpression humanae salutis sacramentum dans une phrase o lEglise est le sujet sous-jacent sans tre nomme explicitement. 3 Dans lensemble de luvre conciliaire nous trouvons de nombreuses allusions plus ou moins directes au caractre sacramentel de lEglise. LG, 8 parle de lEglise la fois visible et spirituelle ; GS, 43 6 lappelle signe du salut ; dans lensemble de la constitution sur la liturgie, lEglise apparat comme sacrement (cf. SC, 2 et 6).

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philosophique mais mystrique et sacramentelle, cestdire celle qui selon la perspective historico-salvifique des Ecritures , regarde lEglise comme un lieu, particulier en son genre, de rencontre et de communion de Dieu avec les hommes et des hommes entre eux. Ainsi, cette Eglise, dont le saint Concile expose le mystre (LG, 39), apparat aux yeux de la foi comme un sacrement ou, si l'on veut, un signe et un moyen d'oprer l'union intime avec Dieu et l'unit de tout le genre humain (LG, 1). Lide de sacramentalit de lEglise est ancienne et nouvelle la fois : ancienne, car, comme nous le verrons plus loin, des pres de lEglise avait dj appel lEglise du nom de sacrement ; nouvelle car, aprs des sicles doubli, cette problmatique est revenue lecclsiologie lpoque prconciliaire ; et Vatican II est le premier concile dans lhistoire lintgrer dans ses documents officiels. Limportance de cette problmatique pour notre propos rside dans le fait que le concile lie troitement la sacramentalit de lEglise avec lide de communion. Le concept de sacramentalit lui sert doutil thologique pour expliquer la doctrine de lEglise comme mystre de communion. En effet, toute la dynamique sacramentelle de lEglise quil sagisse de la vie interne de la communaut des fidles (in intra) ou des activits ecclsiales qui sadressent lensemble de la famille humaine (ad extra) vise lunion avec Dieu et lunit entre les hommes, cestdire la koinnia. Dans la perspective dune ecclsiologie de communion, lintgration du concept de sacrement dans la doctrine sur lEglise apparat comme l'un des apports majeurs du concile. 3.2.2. LEglise comme mystre dans la Bible 3.2.2.1. Introduction Ds le dbut, il est important de prciser que lorsque Vatican II appelle lEglise du nom de sacrement, il ne se rfre pas en premier lieu au sens que ce mot a acquis dans la thologie catholique sacramentaire systmatise depuis le MoyenAge, notamment par Thomas d'Aquin, et dfinie dogmatiquement par le concile de Trente , mais la tradition biblique du terme mustrion1. Il a t dmontr que cest ce sens
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Ds les premires traductions de la Bible en langue latine, le mot grec mustrion a t rendu tantt par sacramentum tantt par mysterium (la Vulgate utilisent les deux traductions). Entre les deux termes, il y a une identit de fond ; toutefois, tymologiquement, sacramentum exprime davantage la ralit extrieur, de signe tandis que mysterium renvoie davantage la grce intrieure dont ce signe est porteur.

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biblique et notestamentaire en particulier qui constituait la rfrence fondamentale pour la comprhension de la doctrine conciliaire sur la sacramentalit de lEglise1. Il faut signaler encore que le terme mustrion nest jamais utilis dans la Bible de manire directe et explicite pour dsigner le peuple de Dieu, quil sagisse dIsral, le peuple de lAncienne Alliance, ou de lEglise, le peuple de la Nouvelle Alliance. Cependant, aussi bien dans lAncien que dans le Nouveau Testaments, le terme est utilis pour dsigner le mystre de lhistoire divine du salut, sa rvlation par Dieu aux hommes et son avnement effectif dans le monde. 3.2.2.2. LAncien Testament Dans la Septante, le mot mystre apparat surtout dans les livres de la priode hellnistique crits directement en grec (Tb ; Jdt ; 2M ; Sg). Parfois, on le trouve dans des crits hbraques tardifs o il traduit le terme aramen rz (Si ; Dn)2. Il y possde des acceptions varies, dont certaines sont lies la vie religieuse de la communaut juive, tandis que dautres se rapportent des ralits paennes ; parfois le terme est employ sans relation au contexte religieux, pour dcrire des ralits profanes caractre mystrieux. Dans le sens religieux dominant, mustrion est utilis dans lAncien Testament pour exprimer lide du secret divin concernant lavenir dfinitif du monde, cach la plupart de gens mais rendu connu par Dieu certaines personnes par une forme de rvlation confidentielle (en songes, en visions ou par lintermdiaire des anges)3. Lanalyse des

LEMIRE, L., LEglise comme sacrement : le rapport de ce thme ecclsiologique aux thmes du corps du Christ et peuple de Dieu. Thse de doctorat ; La Facult de Thologie de Lyon, 1977, 13. 2 Pour la liste des apparitions et le sens exact des passages voir Koinonia in the LXX, Apocalyptic and Rabbinic Judaism , in KITTEL, G.(ed.), Theological Dictionnary of the New Testament, vol. IV, Grand Rapids, 1967, 813-817; cf. Mystre , dans LACOSTE, J.Y. (d.), Dictionnaire critique de thologie, Paris, PUF, 1998, 771. 3 Le contexte est ordinairement celui de la fin des temps et le terme mustrion est particulirement frquent dans les crits apocalyptiques (et mme dans les apocryphes apocalyptiques juifs). Ctait aussi un mot aim de la communaut de Qumram qui vivait dans lattente de la fin du monde et dont les crits sont marqus dun fort accent apocalyptique.

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textes, dans leurs contextes, permet daffirmer que le contenu essentiel de ce secret divin est l'avnement dfinitif du rgne de Dieu sur la terre1. Si nous appliquons ce sens vtrotestamentaire du mustrion lEglise considre comme sacrement du salut, la communaut des fidles et elle seulement nous apparat comme tant la fois la rvlation en acte du dessein salutaire de Dieu concernant lhumanit, et lavnement terrestre de son rgne dans lhistoire du monde. 3.2.2.3. Le Nouveau Testament Dans le Nouveau Testament, le terme mustrion est relativement rare. Sur les pages des vangiles, il napparat quune seule fois dans lenseignement de Jsus relatif aux paraboles (Mc 4, 11 et les parallles : Mt 13, 11 ; Lc 8, 10). Dans le sillage de la tradition vtrotestamentaire, le terme se rapporte ici au mystre du Royaume de Dieu (Mc, Lc) ou des cieux (Mt). Seuls les disciples, cestdire la communaut de ceux qui croient en Christ, parviennent la connaissance du mustrion2 ; pour ceux qui nappartiennent pas cette communaut ceux-l qui sont dehors (Mc) , le mustrion demeure cach. Ainsi, pour avoir laccs au mustrion, il faut tre lintrieur de la communaut des disciples du Christ ; communaut en dehors de laquelle il reste inconnaissable3. Le contenu de ce mustrion est lavnement du rgne de Dieu que Jsus ralise en sa personne et annonce au monde par ses paroles (paraboles) et ses actions (miracles). Le terme et la problmatique de mustrion apparaissent plus souvent chez Paul4. Lorsquil en parle, il sagit, dhabitude, des secrets divins relatifs au Royaume de Dieu qui ne sont perceptibles par lhomme que par un don divin une rvlation (Rm 16, 25-26 ; 11,25). Ce mustrion, cach depuis les sicles et les gnrations (Col 1, 26 ; cf. Ep 3, 5), est prsent rvl aux aptres et prophtes (Ep 3, 5). De ce fait, ces derniers
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SMULDERS, P., LEglise sacrement du salut , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), Op. cit., 313-338 (318). 2 Lexplication de la parabole du semeur, laquelle se rattache le verset en question, notamment dans la rdaction de Luc (Lc 8, 11-15), montre clairement que laccs au mystre est intimement li la foi par laquelle la personne accueille la parole de Dieu dans son cur. 3 KITTEL, G., Op. cit., 817-819; cf. SMULDERS, P., Op.cit., 318-319. 4 Sur mustrion chez Paul voir KITTEL, G., Op. cit., 819-824 ; cf. RIGAUX, B., Le mystre de lEglise la lumire de la Bible , dans Barana. G. et Congar, Y. (ds), Op. cit., vol. 2, 223-242 (227-228).

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ont la tche den tre des intendants (1Co 4, 1), cestdire quils sont le faire connatre au monde par lannonce apostolique (Col 1, 28) et le prserver de laltration. Comme dans le cas des synoptiques, chez Paul aussi, il ne suffit pas den avoir entendu parler pour accder la connaissance du mustrion ; en effet, cette rvlation nest donne quaux membres du corps du Christ (Ep 3, 6) quest lEglise (Col 1, 18. 24). Cest donc uniquement dans lEglise et sous lintendance de ses ministres aptres et prophtes que le mystre est accessible aux croyants. Pour Paul, ce mustrion divin, nest pas une vrit abstraite mais le Christ parmi vous (Col 1, 27), en tant que lavnement personnel du Royaume de Dieu dans le monde1. Toutefois, il ne sagit pas dun Christ isol des hommes mais dun Christ uni aux hommes, qui sest fait lun deux, pour leur rvler le mustrion de la volont divine, ce dessein bienveillant qui consiste tout ramener lunit sous un seul Chef luimme (Ep 1, 9-10). In Christo se rvle et se ralise ainsi le mystre de lunit universelle de toute lhumanit, selon le dessein du Pre. Cest pourquoi, la participation ce mustrion nest pas rserve aux seuls Juifs ; les paens qui sont membres du mme Corps, sont admis, eux aussi, au mme hritage et participent au mme mustrion (Ep 3, 6)2. La perspective universaliste constitue un aspect important de la thologie paulinienne du mustrion ; celui-ci, en effet, consiste dans la rconciliation universelle ralise par le sang du Christ vers sur la croix

Paul, en tant quaptre qui possde lintelligence du mustrion du Christ (Ep, 3, 4), a la tche de le rvler au monde par le ministre de la parole (Col 1, 25). Toutefois, le mystre, ce nest pas la rvlation comme telle mais lobjet de cette rvlation (KITTEL, G., Op. cit., 820). Dautre part, faire connatre, cestdire rvler le mystre du Christ au monde par la prdication de son vangile, fait aussi partie du mystre ; en effet, la propagation de sa connaissance est indispensable son accomplissement qui consiste ce que tous soient ramens lunit in Christo (Ibid., 821). 2 Chez Paul, la participation commune des Juifs et des gentils lunique mustrion du Christ constitue un aspect essentiel de la foi chrtienne. Ceci est particulirement perceptible dans la lettre aux Ephsiens voque ici. Pour sen persuader, il convient de citer plus amplement ce texte, Ce mustrion n'avait pas t communiqu aux hommes des temps passs comme il vient d'tre rvl maintenant ses saints aptres et prophtes, dans l'Esprit : les paens sont admis au mme hritage, membres du mme Corps, bnficiaires de la mme Promesse, dans le Christ Jsus, par le moyen de l'vangile (Ep 3, 5-6), cf. KITTEL, G., Op. cit., 820-821.

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pour toute lhumanit (Col 1, 20+)1. Le contenu du mystre chrtien est lunit in Christo de lunivers entier2. Lhistoire de cette rconciliation universelle, qui a culmin dans le mystre du Christ, se poursuit prsent dans le mystre de lEglise. Ceci est d lunit organique qui existe entre le Christtte et lEglise corps. Le Christ sest uni lEglise par une Alliance damour intime et ternel, semblable celui qui unit un homme une femme dans le mystre du mariage (Ep 5, 32). Cette communion mystique entre le Christ et lEglise, en vertu de laquelle les deux ne font quune seule chair, est qualifie par Paul de grand mystre (mustrion mg LXX ; sacramentum magnum Vulgate). Aprs lascension, c'est donc dans l'Eglise, Corps du Christ, que Dieu manifeste le mystre du salut et le rend accessible tous ceux qui sont anims par l'Esprit Saint. *** On peut conclure en disant que dans la Bible, le mot mustrion se rfre une ralit divine transcendante et salvifique, manifeste de manire visible dans le monde et rendue ainsi accessible aux gens. Dans le Nouveau Testament, le concept sapplique dabord au Christ et son uvre personnelle, car il est lui-mme le mustrion de Dieu qui rvle et rend accessible aux hommes le dessein divin du salut. Cependant, en vertu de la communion organique qui unit le Christ son Eglise en un seul corps, les deux ne font quun seul mysterium salutis. LEglise apparat ainsi dans le monde comme la dpositaire et la porteuse du mystre divin, cestdire linstrument dont se sert Dieu pour raliser lunit de toute lhumanit in Christo. Conformment ce sens biblique, selon le jugement des pres conciliaires, le terme mystre apparat particulirement apte dsigner lEglise dans son tre de communion divinohumaine3. LEglise, en effet, est une communion spirituelle et invisible qui existe dans le monde comme une communaut humaine bien visible, hirarchiquement organise et munie de structures et de lois. Elle est la communio in
On notera que le mot mustrion apparat deux reprises dans le texte voqu ici (vv. 26 et 27). 2 Le texte de la Lettre aux Ephsiens que nous avons voqu plus haut le montre clairement, Il [Dieu] nous a fait connatre le mustrion de sa volont, ce dessein bienveillant qu'Il avait form en lui par avance, pour le raliser quand les temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les tres clestes comme les terrestres (Ep 1, 9-10). 3 VATICAN II, Acta synodalia, III/1, p.170.
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Christo ralise dans une societas humana semblable aux autres socits humaines. Lusage notestamentaire du terme mustrion correspond une conception spcifique de la relation Eglise monde : lEglise est une communaut dinitis, distincte du reste de lhumanit ; les chrtiens possdent le mustrion, le connaissent, en vivent et le portent aux habitants du monde1. En tant que gardienne et dispensatrice du mustrion divin, lEglise existe dans le monde et vit pour lui, sans pour autant sidentifier lui ; elle est la fois insre dans le monde et distincte du monde qui lentoure et cest ainsi quelle est elle-mme un mustrion pour le monde. Dans la responsabilit qua lEglise de prserver sans altration le mustrion de Dieu et de le diffuser dans le monde, un rle particulier revient aux ministres de lEglise puisquils sont des intendants du mustrion ; ils doivent le servir en veillant sa conservation au sein de la communaut des croyants, et sa propagation dans le monde. En rsumant, on peut dire que le sens biblique du terme mustrion est la fois christologique, sotriologique, eschatologique et ecclsiologique. Mustrion dsigne le dessein salvifique de Dieu tel quil a t rvl dans le Christ, se ralise actuellement dans lEglise, et dont le plein accomplissement ne sachvera qu la fin des temps. Il est important de garder dans lesprit cette conception biblique du mustrion lorsquon analyse la doctrine conciliaire sur lEglise comme luniversel sacrement du salut, car cest elle qui a constitu la rfrence fondamentale chez les pres conciliaires. 3.2.3. Lappellation de lEglise comme sacrement dans lecclsiologie catholique 3.2.3.1. Rappel historique Comme nous lavons dj mentionn, dans la Bible, lEglise nest jamais appele du mot de mustrion/sacramentum mme si, ds ses dbuts, elle a conscience de porter en son sein un mustrion divin et de le manifester dans le monde. La fondation de la doctrine de la sacramentalit de lEglise remonte lpoque patristique. Si la conception biblique du mustrion tait la source principale de la pense des pres, le climat philosophique dans lequel vivait la communaut
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SMULDERS, P., Op. cit., 318-319.

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chrtienne, lpoque antique, constituait un cadre intellectuel propice au dveloppement dune conception sacramentelle de lEglise. Stablissant au sein du monde grcoromain, le christianisme naissant, dans ses concepts et son langage, tait considrablement influenc par le platonisme et le stocisme1. Selon la conception platonicienne de lunivers, le monde sensible refltait un monde cleste ; les ralits terrestres taient des signes qui rendaient prsentes ici-bas des ralits divines. Interprtant la Parole de Dieu dans ce climat intellectuel, lEglise est arrive assez tt se concevoir comme un symbolum dans lequel se joignait le cleste et le terrestre ; un mustrion qui ralisait la prsence de lternel dans le matriel ; une piphanie du divin dans lhumain. Portant sur soi-mme ce regard spcifique que lecclsiologie actuelle qualifie de sacramentel, lEglise des pres se concevait comme un mystre la fois historique et eschatologique ; une ralit terrestre comble de grces clestes, un lieu de rencontre intime du divin et de lhumain. Cette conception reliait intrinsquement, et de manire indivisible, le visible et linvisible, le physique et le mtaphysique dans ltre ecclsial. Dans la pense des pres, la sacramentalit ainsi comprise apparat comme une structure gnrale du salut, o la communion spirituelle des fidles avec Dieu et entre eux se ralise et se manifeste travers leur communaut visible de vie et damour, ancre dans la mme foi et lunique esprance. Elle apparat comme la texture de la constitution de lEglise en ce monde et ne se limite pas quelques rites particuliers. Lorsque Cyprien (+258) dit que lEglise est linfrangible sacrement de lunit2, il exprime, par-l, sa conviction selon laquelle lunit mystique quelle ralise sexprime et se ralise travers toute la vie de la communaut visible de croyants unis leurs vques3. Quand nous lisons chez le pape Lon I (+461) que lEglise est le sacramentum salutis pour tout homme, nous comprenons que non seulement la participation quelques rites spcifiques mais aussi lappartenance mme cette Eglise apparaissent comme conditions ncessaires du salut4.

Linfluence de laristotlisme est plus tardive ; il marquera surtout les auteurs scolastiques du MoyenAge comme Thomas dAquin ou Bonaventure. 2 CYPRIEN, Epist. 55, 21 : PL 3, 787 ; cf. Epist. 69, 6 : PL 3, 1142 b. 3 CYPRIEN, De uni. ec., 57. 4 LO I, Sermo 23, 4, 307 : PL 54, 2002 ; 230+

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Comme le montrent ces deux exemples, lorsque les Pres appellent lEglise du nom sacrement, ils lient cette appellation lide de salut dune part, et lide dunit dautre part. Ceci nest pas surprenant car le salut nest autre chose que la communion avec Dieu et entre les hommes, dont lEglise est la fois une rvlation et une ralisation dans le monde. Comme le dit Faust de Riez (5me s.), lEglise est la cause instrumentale de la communion avec Dieu et entre des hommes, cest dire que, sans en tre lauteur, elle la ralise et la rvle visiblement au monde1. Une telle vision sacramentelle de lEglise dominait dans la thologie occidentale jusquau haut MoyenAge. La persistance de cette ecclsiologie tait favorise par la grande influence de saint Augustin sur toute la thologie occidentale du premier millnaire, influenc luimme par la philosophie platonicienne. Comme le note Auer, cette vision commena seffacer progressivement avec la monte de la thologie lgaliste dinspiration juridique, partir de Justinien, pour disparatre presque compltement avec le MoyenAge, lorsque laristotlisme est devenu la philosophie dominante sous linfluence de Thomas dAquin2. LAquinate lui-mme affirme sans hsitation que lEglise est dans le monde un signe et un instrument du salut et lui reconnat une structure sacramentelle, o la ralit visible cache et mdiatise une certaine saintet cache3. Il reconnat que lEglise est le sacrement du Christ sur terre et, sur cette base, dveloppe la doctrine des sacrements particuliers qui tirent leur grce de la gratia capitis. Ainsi, le point de dpart et la perspective gnrale de toute sa thologie sacramentaire sont davantage christologiques quecclsiologiques. Toutefois, pour lui, lEglise prcde les sacrements qui ne peuvent exister quen elle et par elle, et qui apparaissent ainsi comme des ralisations de la sacramentalit ecclsiale. Au MoyenAge, avec la fixation progressive du septnaire, la sacramentaire commence se dvelopper comme une branche part de la thologie, et le mot sacrement est de plus en plus rserv aux sept rites fondamentaux du culte catholique. Cette tendance sera renforce de manire double par le concile de Trente : premirement, il a dogmatis
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FAUST DE RIEZ, De Spiritu Sancto 1, 13, c. 2. AUER, J., Op. Cit., 87. 3 THOMAS, DAQUIN, STh., IIIa, q. 60, a. 1.

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la liste dj bien ancre dans la praxis de lEglise des sept sacrements et en a pos les fondements doctrinaux dans le Dcret sur les sacrements ; deuximement, il a labor une doctrine sur lEglise qui se concentrait sur son aspect visible de societas perfecta, et ngligeait trop sa ralit intrieure de communio. Ainsi, dune part, le mot sacrement a dfinitivement revtu son sens technique relatif aux sacrements particuliers et, dautre part, les deux dimensions de la sacramentalit de lEglise communaut extrieure et communion intrieure ont t non seulement spares lune de lautre, mais souvent opposes lune lautre dans ce que lon appelle aujourdhui lecclsiologie de type bellarminien1. Linsistance de lapologtique postridentine sur le visible, lhumain, linstitutionnel dans la constitution de lEglise, a conduit progressivement la rduction de lecclsiologie une thologie de la surface, sans descendre dans les profondeurs spirituelles qui stendaient derrire les structures de visibilit2. Vers le milieu du 19me sicle, sous linfluence du romantisme qui valorisait la pense symbolique, lide de lEglisesacrement commence revenir dans lecclsiologie catholique3. Ce retour se fait partir de la thologie sacramentaire et est considrablement stimul par le mouvement liturgique qui se dveloppe la mme poque4. La
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GRILLMEIER, A., Esprit, position fondamentale et caractre propre de la constitution Lumen Gentium , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 2, Paris, Cerf, 1966, 159-174 (164). 2 Sans oublier quelques voix spares qui prsentaient des conceptions plus nuances comme celle de lcole franaise du 16me sicle avec le card. Pierre de Brulle (Pierre de Brulle. uvres compltes, 5 vol., Paris, Cerf, 1995-1997) ou celle de Louis Thomassin (Dogm. theol., vol. 2, Paris, 1684, 243250). 3 En 1840, H. Klee crivait dj que lexistence et la vie de lEglise sont en tout sacramentelles (KLEE, H., Kath. Dogm., t. III, 1840, 117). Cette redcouverte moderne de la sacramentalit de lEglise est due surtout aux thologiens allemands de lEcole de Tbingen (notamment J.A. Mhler et J.E. Kuhn) qui ds le milieu du 19me sicle, la suite de Klee , abordaient et systmatisaient cette problmatique ; dans la 1re moiti du 20me sicle, ils ont t aids par des contributions importantes de thologiens franais comme Y. Congar, H. de Lubac, J. Danilou (cf. KASPER, W., La Thologie et lEglise, coll. Cogitatio Fidei 158, Paris, Cerf, 1990, 348 ; CONGAR, Y.M., Un peuple messianique, 16-19). 4 Le mouvement liturgique liait troitement la doctrine des sacrements la christologie et lecclsiologie : dans et par lEglise, les sacrements sont des signes efficaces de la grce salutaire du Christ pour les hommes ; ainsi, lEglise, qui fait rpandre cette grce sur le monde par les sacrements, est elle-mme sacramentelle dans sa structure et sa

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transposition de la conception du sacrement, telle quelle a t labore dans la thologie sacramentaire, lecclsiologie constitue un trait caractristique de cette redcouverte prconciliaire de la sacramentalit ecclsiale : semblablement aux sacrements particuliers, lEglise tout entire est un signe visible efficace du salut invisible et peut tre appele du nom de sacrement sans pour autant tre prise pour un huitime sacrement1. Dans cette ecclsiologie de type sacramentaire, lEglise est perue comme ayant la mme structure fondamentale que les sacrements particuliers. On lui applique donc les mmes catgories thologiques que celles qui avaient t labores auparavant, pour expliquer les sept rites fondamentaux de lEglise. Selon une analyse du pre Y. Congar, linstitution ecclsiale, en tant quune ralit de cette terre, y est perue comme le sacramentum tantum ; le pouvoir de cette institution de raliser la communion (verticale et horizontale) quelle signifie constitue le sacramentum et res ; et finalement, la communion spirituelle de lEglise, le corps du Christ, est la res tantum2. On a remarqu quen transposant la structure des sacrements particuliers lEglise, cette ecclsiologie court le risque dun dualisme qui couperait lEglise en deux ralits htrognes juxtaposes : savoir, une spirituelle et invisible le corps du Christ, et une temporelle et visible linstitution ecclsiastique3. Dans la vie actuelle de lEglise, ces deux composantes sont lies, mais, du point de vue ontologique, elles sont sparables. Selon cette vision, la structure visible de lEglise et son essence spirituelle sont deux quasi Eglises qui coexistent dans une sorte de tension qui fait le dynamisme de lEglise vivant sur la terre mais tendue vers son accomplissement eschatologique. La catgorie de sacrement sert moins ici dmontrer lunicit de lEglise qu

nature (Sur le mouvement liturgique dans son ensemble et son influence sur la pastorale et la thologie voir BOUYER, L., La vie de la liturgie, Paris, 1957 et du mme auteur, Le renouveau liturgique dans le monde , MD 74, 1963). Il convient de souligner encore que la redcouverte du concept de sacrement dans lecclsiologie sest faite en relation troite avec lapprofondissement doctrinal de la clbration eucharistique dans le cadre du mouvement liturgique (RIGAUX, B., Le mystre , 223). 1 LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement de la communion, 247-248. 2 CONGAR, Y.M., Chrtiens dsunis..., 108, surtout la note de bas de page n 1. 3 LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement de la communion, 249-250.

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distinguer la ralit humaine de la ralit divine et ordonner lune lautre1. Comme nous lavons dj mentionn plus haut, Vatican II, tout en appliquant le terme sacrement lEglise, na pas suivi la voie de la thologie sacramentaire mais la voie biblique du mustrion. Pour le concile, lEglise est une et indivisible dans son tre profond : la communio se manifeste et se donne par la societas perfecta et la distinction des deux aspects nest que conceptuelle. Une autre diffrence importante de cette ecclsiologie prconciliaire par rapport celle de Vatican II, rside dans le fait que lide de lEglisesacrement ny est pas explicitement lie la conception de lEglisecommunion. En effet, lEglise y apparat surtout comme linstrument du Verbe incarn dans la distribution des fruits de la Rdemption2. 3.2.3.2. Un conceptclef de lecclsiologie conciliaire Laffirmation, dans le paragraphe qui ouvre Lumen Gentium, selon laquelle lEglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, cest--dire la fois le signe et le moyen de lunion intime avec Dieu et de lunit de tout le genre humain (LG, 1), est une ide matresse qui pntre toute la conception de lexpos qui suit3. Il sagit, sans doute, de lune des affirmations ecclsiologiques les plus novatrices de Vatican II4. Smulders, qui a analys son usage dans les textes conciliaires, crit que lappellation de sacrement est comme le motclef qui initie la nouvelle conscience que lEglise prend delle-mme5. La doctrine de la sacramentalit devient pour le concile une doctrine fondamentale pour
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Dans cette approche, la structure terrestre et tous les lments de visibilit ne sont pas essentiels lEglise qui est principalement une ralit spirituelle de grce. Par consquent, dans des situations extrmes, le signe extrieur et la ralit intrieure de salut peuvent aussi se scinder (KASPER, W., La Thologie et lEglise, coll. Cogitatio Fidei 158, Paris, Cerf, 1990, 352). 2 PIE XII, Mystici Corporis (29 juin 1943). 3 SMULDERS, P., Op. cit., 313. 4 Lhistoire de la formation du texte de Lumen Gentium montre que lappellation de lEglise par le mot sacrement ntait pas demble vidente ; en effet, cette nouvelle appellation a suscit des remarques et des objections des pres lors des dbats successifs dans laula conciliaire (cf. LEMIRE, L., Op.cit., 10-19). 5 SMULDERS, P., Op. cit., 314 ; cf. CONGAR, Y.M., Un peuple messianique., 13-16 et 20-25 ; BOURGEOIS, D., Lavenir de lEglise la veille du IIIe millnaire. Un point de vue catholique romain ; http://www.unpoissondansle.net/rr/0006/index.php?i=2.

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prsenter lEglise, tant dans son tre que dans son agir1. Conformment lecclsiologie du concile, lEglise, qui est dans et pour le monde le sacrement du salut, ralise sa sacramentalit par le service de la Parole (Dei Verbum) et des sacrements (Sacrosanctum Concilium), par ses activits missionnaires (Ad Gentes) et par le service en faveur de la socit humaine (Gaudium et Spes), en dautres termes, par toute sa vie et par lensemble de ses activit pastorales2. Le cardinal J. Ratzinger rappelle que lide de la sacramentalit de lEglise a t introduite par Vatican II, dans le dsir des pres de relancer, dans la thologie et la pastorale, une vision communautaire du salut et de lEglise, en opposition une vision individualiste et simplement institutionnelle dont se caractrisaient la sotriologie et lecclsiologie prconciliaires3. Avant le concile, en effet, le salut de la personne tait prsent surtout comme une affaire individuelle, voire prive de chaque fidle (faire son salut). Les documents de Vatican II modifient sensiblement cette approche ; dsormais laccent est mis sur la dimension communautaire et ecclsiale : car l'universalit des hommes sont appels au salut par la grce de Dieu (LG 13, 16, 24)4, on ne se sauve pas en dehors des autres, mais avec eux et en communion avec eux, cestdire aussi les uns grce aux autres5. Partout dans luvre conciliaire, o apparat le mot sacrement pour dsigner lEglise, le contexte est explicitement communautaire (cf. notamment LG, 9 o cette dimension est particulirement souligne). Il est donc incontestable que le concept de sacrement constitue un fondement important pour le dveloppement dune ecclsiologie de communion selon lesprit du concile. Cest pourquoi, toute ecclsiologie de communion doit tre en

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LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement de la communion, 251. KASPER, W., La Thologie, 351. 3 RATZINGER, J., Les principes, 50-53. Il rappelle par la mme occasion que H. De Lubac, ds le milieu des annes trente, a introduit dans son ecclsiologie lide de la sacramentalit port par la mme proccupation. (cf. DE LUBAC, H., Catholicisme, les aspects sociaux du dogme, Paris, 1938, 45+). 4 Lide selon laquelle le dessein salutaire de Dieu englobe tous les hommes est clairement affirme dans le Nouveau Testament ( titre dexemple : Mt 28, 18-20 ; Mc 16, 15-16; Ac 26, 17+). 5 Cest ainsi, par exemple, que le martyre dans lEglise nest pas considr en premier lieu comme un sacrifice de sa vie pour son salut personnel mais comme une effusion du sang pour le salut du monde, un acte de suprme charit dont toute lEglise et le monde entier tirent un profit salutaire (cf. LG, 42).

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mesure d'exprimer... la nature sacramentelle de l'Eglise, signe et moyen de salut pour les hommes1. Toutefois, il semble que, malgr un essor considrable de lecclsiologie de communion dans les dernires dcennies, cette notion ny est pas encore pleinement intgre. En 1987, W. Kasper crivait que la rception thologique de la doctrine conciliaire sur lEglisesacrement universel du salut ntait qu ses commencements2. Nanmoins, des progrs importants ont t accomplis depuis ce tempsl ; lide de sacramentalit de lEglise revient rgulirement dans les travaux des thologiens et apparat souvent dans le Magistre ecclsial postconciliaire3.

CDF, Communionis notio, n 3. KASPER, W., La Thologie et lEglise, coll. Cogitatio Fidei 158, Paris, Cerf, 1990, 365). A la mme poque, Ratzinger exprimait le mme avis en remarquant que la conception de lEglise comme sacrement na pu simposer ni lensemble de la conscience de lEglise ni lensemble de la thologie et ajoutait, cest pourquoi ce doit tre lune des tches dcisives pour aujourdhui dapprofondir lhritage conciliaire, dexpliciter nouveau le caractre sacramentel de lEglise (RATZINGER, J., Les principes de la thologie catholique, coll. Croire et Savoir 6, Paris, 1985, respectivement 47 et 57). 3 Sans toujours tre systmatiquement dveloppe selon toutes ses potentialits, la notion de lEglisesacrement apparat dans la quasi-totalit de documents magistriels qui traitent de lEglise, publis lors du pontificat de Jean-Paul II (A notre connaissance elle est absente, au moins explicitement, des encycliques de Paul VI). JEANPAUL II, Redemptor hominis, (04. 03. 1979), nos 3, 7 ; Slavorum apostoli. Lettre encyclique l'occasion du onzime centenaire de l'uvre d'vanglisation des Saints Cyrille et Mthode (02. 06. 1985), n 27 ; Dominum et vivificantem. Lettre encyclique sur lEspritSaint dans la vie de lEglise et du monde (18. 05. 1986), 5, nos 61-64 ; Redemptoris missio. Lettre encyclique sur la valeur permanente du prcepte missionnaire (07. 12. 1990), nos 9, 20 ; Ut Unum Sint. Lettre encyclique sur lengagement cumnique de lEglise catholique (25. 05. 1995), no 5 ; Ecclesia de Eucharistia. Lettre encyclique sur l'eucharistie dans son rapport l'glise (17. 04. 2003), nos 22, 24, 36, 61 ; parmi dautres documents du pape on peut citer, Novo Millennio Ineunte. Lettre Apostolique pour la clture du grand Jubil de lan 2000 (06. 01. 2001), nos12, 36, 42 ; Pastores gregis. Exhortation apostolique sur lvque, serviteur de lvangile de JsusChrist pour lesprance du monde (16. 10. 2003), n67. Nous la trouvons galement frquemment affirme dans le Catchisme de l'Eglise Catholique (notamment nos 774-776) ; elle se trouve aussi dans le Codex Iuris Canonicis (Can. 837 : 1). De manire gnrale, dans les documents magistriels, lide de la sacramentalit de lEglise est lie troitement avec la christologie, la pneumatologie, la thologie des sacrements, lcumnisme et la missiologie.
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3.2.4. La sacramentalit de lEglise la lumire de la sacramentalit du Christ 3.2.4.1. Le Christ sacrement fondamental et universel du salut Conformment la foi de lEglise, clairement affirme dans les Ecritures (Jn 3, 16-17 ; Ac 4, 12 et 10, 36. 42-43 ; 1Jn 4, 14, etc.), le Christ, Verbe de Dieu, qui sest fait homme pour notre salut1, est lunique Sauveur de lhumanit ct duquel il ny en a pas dautres2. Selon le dessein de Dieu, il est le principe de salut pour le monde entier (LG, 17). Cette foi implique que le Christ soit reconnu comme lunique Mdiateur entre Dieu et les hommes (1Tm 2, 5). Lexclusivit et lunicit de la mdiation du Christ sont frquemment attestes dans les documents de Vatican II (LG, 8, 14, 28, 41, 49, 60, 62 ; GS, 10 2, 22 3, 45 2 ; etc.). Selon la doctrine de lEglise catholique, cest par lui uniquement que nous pouvons atteindre cet tat de communion ternelle qui constitue lessence du salut. Laffirmation de lunique mdiation du Christ, dans la transmission du salut, est la consquence directe du dogme de lIncarnation, tel quil se trouve exprim dans la formule chalcdonienne une seule personne du Fils en deux natures3. En vertu de lunion hypostatique, ralise dans lIncarnation, le Christ a tabli un lien entre lhumanit et la divinit : en Jsus de Nazareth, le Verbe ternel de Dieu, s'est fait un homme tout en restant Dieu ; en dautres termes, Dieu invisible et inaccessible, est devenu visible et accessible pour lhomme : cestdire il sest fait un sacrement. Comme le note le pre Congar, la sacramentalit est la forme dans laquelle nous pouvons rencontrer Dieu4. Par lIncarnation, le Christ est devenu un grand mystre et un admirable sacrement5, cestdire la
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NICEE I, Symbolum Nicaenum; DH 125; TRENTE, Dcret, De peccato originali, n 3 ; DH 1513. 2 Les affirmations sur lunicit et luniversalit salvifiques de JsusChrist ont t rcemment dveloppes dans la dclaration Dominus Iesus de la Congrgation pour la Doctrine de la Foi, qui suit fidlement lesprit de Vatican II (CDF, Dominus Iesus. Dclaration sur lunicit et luniversalit salvifique de JsusChrist et de lEglise, publi le 06. 08. 2000, notamment nos 13-15 ; www.vatican.va). 3 CHALCEDOINE, Symbolum Chalcedonense ; DH 301. 4 CONGAR, Y.M., Un peuple messianique, 64. 5 Cf., Prface de la messe de Nol (Missel Romain).

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forme de la prsence de Dieu dans le monde. Cette sacramentalit personnelle du Christ est exclusive et unique. Augustin dit quil ny a pas dautre mystre de Dieu que JsusChrist1. Mais, le Verbe sest incarn en un homme en vue du salut de tous les hommes ; il a communi la nature humaine et la vie des hommes afin que, par lui, les hommes puissent devenir des fils de Dieu et communier la vie divine ; ainsi, son humanit, dans l'unit de la personne du Verbe, fut l'instrument de notre salut (SC, 5). Comme le dit Auer, dans ce sens incarnationnel, JsusChrist est le sacrement fondamental (sacramentum fundamentale)2, cestdire le point de charnire entre le monde de Dieu et le monde des hommes, qui permet une communication entre les deux. En tant que sacrement de Dieu, le Christ, non seulement rvle, mais aussi rend communicable aux hommes le mystre divin du salut qui consiste dans la participation des hommes la vie ternelle de la communion trinitaire. Son Incarnation se prsente ainsi comme un acte de communion de Dieu avec les hommes qui conduit la communion des hommes en Dieu. Cest la communion qui est la perspective ultime de lIncarnation, sa raison et son but, et cest le Christ, le sacrement de Dieu, qui en est lunique Mdiateur. 3.2.4.2. LEglise sacrement de la communion in Christo Avant de quitter ce monde, le Christ a fond lEglise et la tablie comme le mystre du salut pour tous les hommes3. Dans le temps entre son ascension et sa parousie, cest lEglise qui actualise son salut dans et pour le monde sans pour autant se substituer au Christ. Comme la dit le pre Congar, lEglise est le grand et luniversel sacrement de lunique mdiation du Christ4. Comme tel, elle est un signe qui renvoie au-del de lui-mme vers JsusChrist, et elle est un instrument dans la main de JsusChrist qui est le sujet vritable de tout agir de salut au sein de lEglise5. LIncarnation et lunique mdiation du Christ constituent la perspective doctrinale dans laquelle doit tre considre la

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AUGUSTIN, Epistula 187, 11, 34 : PL 33, 845. AUER, J., Op. Cit., 95. 3 Dominus Iesus, n16. 4 CONGAR, Y.M., Esquisses du mystre de lEglise, coll. Unam Sanctam 8, Paris, 1937, 50. 5 KASPER, W., La Thologie, 349.

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sacramentalit de lEglise. Selon la constitution Gaudium et Spes, lEglise manifeste et actualise le salut ralis par le Christ (GS, 45). Cest pourquoi, de manire gnrale, lorsque le terme sacrement est appliqu lEglise par les documents conciliaires, le contexte immdiat est explicitement christologique1. Ainsi, le concile affirme que, c'est du ct du Christ endormi sur la croix qu'est n l'admirable sacrement de l'Eglise tout entire (SC, 5). Aprs sa rsurrection, cest le Christ glorifi qui fonda son Eglise, comme le sacrement du salut (AG, 5) car ctait le Christ lui-mme qui l'a acquise au prix de son sang, remplie de son Esprit et pourvue de moyens aptes procurer une union visible et sociale (LG, 9). Cest toujours lui qui, assis la droite du Pre, opre continuellement dans le monde au moyen de lEglise, pour unir par elle les hommes et les rendre participants de sa gloire (LG, 48). Cest aussi, en obissant au commandement de son Fondateur que lEglise accomplit sa mission de sacrement universel du salut (AG, 1). Ainsi, selon lexpression biblique qui ouvre Lumen Gentium, cest toujours la lumire du Christ qui resplendit sur le visage de l'Eglise (LG, 1), qui na aucune lumire propre si ce nest celle qui lui vient du Seigneur2. En tant que sacrement, lEglise demeure totalement subordonne au Christ, lunique Mdiateur3. Cest lui qui, dans et par lEglise, conduit les hommes la communion avec Dieu et entre eux en leur communiquant son Esprit (LG, 9 et 48). Radicalement dpendante du Christ comme signe et moyen de sa prsence salvifique au monde, lEglise est ncessaire pour la ralisation du dessein divin car cest en elle que se manifeste et sactualise le mystre de l'amour de Dieu pour l'homme (LG, 52 ; GS, 45 1). Cest ainsi quelle prend vritablement part luvre de salut dont elle est un signe et un moyen indispensable (LG, 1 ; cf. GS 42). Cest ce titre que lEglise est appele, par le concile, le sacrement universel du salut (LG, 48). Dans sa qualit de sacrement, lEglise nest pas un simple aqueduc qui connecte lhomme au Christ ; elle est un instrument combl de grce. Le salut auquel les hommes participent dans et par lEglise ne lui est pas extrieur il est contenu en son sein. En dautres termes,

A lunique exception de SC, 26 o le contexte immdiat est celui des clbrations liturgiques de lEglise. 2 On y discerne, en filigrane, limage patristique du Christ soleil et de lEglise lune qui reflte sa lumire. 3 Dominus Iesus, 20.

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lEglise est la ralit du salut avant dtre linstrument du salut. Cette saintet intrinsque lui vient de son union organique avec le Christ enun-seul-corps. Selon le concile, cest parce quelle est le corps du Christ, comble de sa grce par lEsprit-Saint, que lEglise est, dans le monde, le sacrement du salut pour lhumanit (LG, 4 et 48)1. Cest cette saintet du corps du Christ qui se dverse, pour ainsi dire, sur les fidles et sur le monde par son agir pastoral2. La doctrine du corps du Christ constitue une doctrine fondamentale pour comprendre thologiquement la sacramentalit de lEglise. Elle suppose dune part la distinction entre lEglise corps, et le Christ tte, et dautre part une identit mystique entre les deux3. La sacramentalit de l'Eglise ne peut se comprendre qu'en posant la diffrence fondamentale entre le Christ source du salut, et lEglise signe et moyen du salut, et en affirmant en mme temps lunit organique entre les deux ; entre le Christ et lEglise, il y a simultanment unit et distinction4. Regarde la lumire de la thologie du corps du Christ, la sacramentalit ecclsiale implique l'unit du Christ et de son Eglise, sans pour autant assimiler lun lautre : lEglise nest pas le Christ mais elle lui est organiquement unie en-un-seul-corps5. Le concile lexprime clairement lorsque, dans le
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Cf. CONGAR, Y.M., Un peuple messianique, 83. LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement, 253. 3 Bien avant le concile, le p. De Lubac crivait, LEglise est le sacrement de Jsus Christ. Cela veut dire encore, en dautres termes, quelle est avec lui dans un certain rapport didentit mystique (DE LUBAC, H., Mditations sur lEglise, 161). 4 Chez Paul le thme de lEglise corps du Christ est complt par le thme du mariage du Christ avec lEglise o chaque partie demeure ce quelle est, sans perdre son identit, mais dans une parfaite union damour avec lautre partie. Dans Ep 5, 23-32, les deux thmes sentrecroisent et sexpliquent mutuellement : lEglise est tantt lEpouse tantt le corps, tandis que le Christ est tantt lEpoux tantt la tte. Cette mise en osmose des deux images signale que la relation, Christ Eglise doit tre vue la lumire de lAlliance. Comme lpouse, en vertu de lAlliance conjugale, elle est laide de son mari, de mme lEglise, Epouse du Christ en vertu de la nouvelle Alliance scelle par son sang, est laide du Christ dans sa mission du salut. Ce salut, luvre exclusive du Christ, acquis au prix de son sang dans le mystre pascal, lEglise, qui en vit elle-mme, la manifeste et la diffuse travers le monde et lhistoire de manire efficace (Sur le thme de lEglise Epouse du Christ dans une perspective de la sacramentalit, voir TILLARD, J.M.R., Eglise et salut. , 668-671). 5 Cette manire denvisager la relation Christ Eglise se distingue clairement dune certaine tendance noromantique, assez populaire dans les annes autour du concile, qui envisageait lEglise comme lIncarnation continue (ou prolonge) et donc avec le

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premier paragraphe de la constitution Lumen Gentium, il dit que lEglise est dans le Christ comme un sacrement (Ecclesia sit in Christo veluti sacramentum, LG, 1 ; cf. GS, 42 qui reprend textuellement cette formule)1. Lexpression veluti sacramentum rpond au souci des pres conciliaires de distinguer clairement entre la sacramentalit du Christ, unique Mdiateur entre Dieu et les hommes, et celle de lEglise, signe et moyen de cette mdiation. En effet, la grce de lEglise lui vient du Christ en vertu de la mystrieuse communion de vie divine entre la tte et le corps ralise par lEsprit-Saint (LG, 7)2. Cest pourquoi, lEglise ne peut tre appele sacramentum salutis quin Christo et jamais en dehors de lui (LG, 1)3. *** Le mot de sacrement sapplique, en premier lieu, au Christ. Dans la personne de Jsus de Nazareth, le Verbe de Dieu a particip la nature et la vie des hommes. Lhumanit de JsusChrist a servi au Verbe de Dieu dinstrument visible et efficace du salut accompli une fois pour toutes sur la croix. De ce mystre pascal est ne lEglise, en tant que linstrument universel du salut pour les hommes. La sacramentalit de lEglise est au service de lunique mdiation du Christ quelle rend prsente et agissante dans le monde. Lappellation de lEglise du nom de sacrement exprime la fois sa dpendance absolue du Christ, unique Mdiateur entre Dieu et les hommes, et son rle actif et effectif dans la transmission du salut.

risque de lidentification entre les deux. Pour Vatican II, lEglise nest pas une nouvelle incarnation du Christ, cest pourquoi elle nest pas sacrement de la mme manire que le Christ mais de manire analogique. Les ambiguts de la conception de lIncarnation prolonge ont t dmontres par CONGAR, Y.M., Dogme christologique et Ecclsiologie : Vrits et limites dun parallle , dans Saint Eglise, coll. Unam Sanctam 44, Paris, 1963, 69-104. 1 Cf. CTI, Thmes choisis decclsiologie, 352-355 ; KASPER, W., La Thologie, 348-349. 2 Limage paulinienne du corps du Christ semble sinspirer en ceci de la mdecine grecque dHippocrate selon laquelle la tte est le sige de la vie et le corps reoit de la tte tout linflux vital (BENOIT, P., Corps, Tte et Plrme dans les Eptres de la captivit et Le corps dans la thologie de Paul selon J.A.T. Robinson , dans Exgse et Thologie, t. 2, Paris, 1961, 107-153 et 581-585 ; CERFAUX, L., La thologie de lEglise suivant saint Paul, coll. Unam Sanctam 54, Paris, 1965, 223-240). 3 CTI, Op. cit., 355.

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3.2.5. LEconomie sacramentelle du salut dans lEglise 3.2.5.1. La communaut visible comme signe et moyen de la communion spirituelle En sinspirant de saint Augustin, le concile de Trente a dfini le sacrement comme forme visible de la grce invisible1. Selon Vatican II, il appartient en propre lEglise d'tre la fois humaine et divine, visible et riche de ralits invisibles (SC, 2). Le terme sacrement appliqu lEglise est une transcription formelle de son caractre particulier de ralit unique mais bipolaire dans laquelle lhumain fait corps avec le divin. Pour comprendre dune manire thologiquement correcte le rapport intrinsque entre ces deux aspects de la ralit ecclsiale, il faut toujours le voir la lumire de la prcision apporte par Lumen Gentium sur lapplication analogique du concept de sacrement lEglise (LG, 8). Comme nous lavons vu, lanalogie est dabord celle avec le Christ sacrement de Dieu. Ainsi, le mystre du Verbe incarn constitue larchtype pour comprendre thologiquement la sacramentalit de lEglise2. Toute analogie implique la fois la similitude et la dissimilitude entre les lments compars, en occurrence, lEglise et le Christ. Dans lEglise, comme dans le Christ, le divin fait corps avec lhumain. Il existe donc une ressemblance naturelle entre la structure du Verbe incarn, qui est en mme temps et insparablement vrai Dieu et vrai homme, et celle de lEglise, qui est en mme temps et insparablement une communion divine et une communaut humaine. Au moyen du concept de sacramentalit, le concile tablit un rapport entre lhumanit du Christ qui lui a servi dinstrument du salut, et la constitution visible de lEglise qui sert maintenant lEsprit du Christ comme linstrument du salut. Lanalogie entre lunion de Dieu et de lhomme en Christ et lunion du visible et du spirituel dans lEglise, signifie que la manire dont linstitution ecclsiale ralise actuellement le salut dans le monde est la fois semblable et dissemblable la manire dont lhumanit de Jsus de Nazareth la ralise une fois pour toutes dans le mystre

Session 13, chapitre 3, dans ALBERIGO, G. (d.), Les conciles cumniques. Les dcrets, t. 2., Paris, 1994, 1413 ; cf., Le Catchisme romain, IIme partie, ch. I, 4 (Rdig sur l'ordonnance du concile de Trente, il dit quun sacrement est le signe visible dune Grce invisible, institu pour notre justification). 2 AUER, J., Op. cit., 86.

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pascal (LG, 8). Si dans le Verbe incarn, lhumanit a t la fois la ralit de grce et linstrument de communication de cette ralit1, dans lEglise, linstitution visible ne sidentifie pas avec la grce dont elle est la dpositaire et la dispensatrice dans le monde. Il nest toutefois pas permis de dissocier les deux : la socit ecclsiale est comble de communion ; la communion, sans sidentifier la socit, nest pas en dehors delle mais en elle. La socit est la forme que prend la communion dans le monde. Ainsi, la sacramentalit de lEglise signifie son caractre la fois social et mystique. Selon lexplicitation de la doctrine conciliaire propose par la Commission Thologique Internationale, dans sa ralit invisible, lEglise est communion de chaque homme avec le Pre, par le Christ, dans l'Esprit Saint, et avec les autres hommes, co-participants de la nature divine (2P 1, 4), dans la passion du Christ (2Co 1, 7), dans la mme foi (Ep 4, 13 ; Phm 6), dans le mme esprit (Ph 2, 1). Dans sa ralit visible, elle est la communion dans la doctrine des Aptres, dans les sacrements et dans l'ordre hirarchique2. Entre la communaut visible et la communion spirituelle, il existe un lien indissoluble. Cest pourquoi, la socit constitue d'organes hirarchiques et le Corps mystique du Christ, le groupement visible et la communaut spirituelle, l'Eglise terrestre et l'Eglise dj pourvue des biens clestes ne doivent pas tre considrs comme deux entits; ils constituent bien plutt une seule ralit complexe forme d'un lment humain et d'un lment divin (LG, 8)3. Selon une explication propose par le pre De La Soujeole, la relation entre ces deux aspects est un rapport de signification et defficience : la communaut surnaturelle est dsigne et engendre par la communaut visible. Pour cela nous devons dire que la communaut surnaturelle est dans la communaut de type sociologique, formant avec elle un seul tre4. Cest prcisement ce rapport dunit intrinsque et insparable qui existe entre la societas et la communio, qui constitue l'Eglise comme sacrement du salut. Cest pourquoi, lorsquon affirme la sacramentalit

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LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement de la communion, 252. CDF, Eglise, n4. 3 Dans une note de bas de page de LG, 8, le concile se rfre plusieurs affirmations du Magistre qui attestent qu travers son histoire lEglise sest toujours conue comme tant la fois une communion spirituelle et une communaut visible. 4 LA SOUJEOLE, B.D. de, Questions actuelles sur la sacramentalit , RThom 99 (1999), 493.

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de lEglise, on affirme lindissolubilit de la grce spirituelle davec le signe social, de la communion davec la communaut. LEglise, dans sa ralit sensible, est la forme ncessaire du salut conu comme une communio spiritualis1. Dans tout sacrement, le visible est linstrument dont se sert le Christ unique Mdiateur pour transmettre la grce par laquelle les hommes sont fait participants de la vie divine ; il est au service du spirituel. De mme, dans lEglise, ce qui est humain est ordonn et soumis au divin; ce qui est visible, l'invisible (SC, 2). Les institutions et les structures ecclsiales ainsi que toutes les activits pastorales de lEglise existent comme signes et moyens de lunion avec Dieu et de lunit entre les hommes ; mais cest toujours la communion qui est la fin laquelle est ordonne la socit (LG, 48 ; CEC, 773). 3.2.5.2. Le rgime sacramentel du salut En adoptant cette perspective sotriologique de koinnia, le concile prsente la sacramentalit comme le rgime gnral choisi par Dieu pour raliser son dessein bienveillant envers lhumanit ; elle est le mode selon lequel le Seigneur utilise son Eglise dans le monde pour le salut des hommes. Ainsi, lEglise apparat comme sacrement dans tout son agir pastoral par lequel Dieu communique aux hommes la grce qui les unit avec lui et entre eux. Toutes ses activits sacrales (la liturgie), ses uvres diaconales (aide aux ncessiteux, ducation, etc.), ses engagements missionnaires, la charit fraternelle vcue au quotidien par les chrtiens, ainsi que toute autre activit pastorale qui manifeste et actualise dans le monde lamour dont Dieu aime les hommes, sont des signes et des moyens de la communion salvifique (SC, 7)2. Comme le note le pre Tillard, lensemble des activits ecclsiales qui concourent au rayonnement de lEvangile constituent lengagement du Corps du Christ pour la manifestation, lextension, lactualisation du salut acquis par sa Tte, le Seigneur JsusChrist3. Sans puiser la sacramentalit de lEglise, les sacrements en constituent cependant des expressions privilgies. Dinstitution divine, ils sont des instruments srs de la grce qui la confrent de manire infaillible aux
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Cf. SMULDERS, P., Op. cit., 327-327. Cf. CONGAR, Y.M., Un peuple messianique, 80. 3 TILLARD, J.M.R., Eglise et salut. , 666.

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fidles, condition dtre administrs correctement et reus par la personne dans les dispositions requises. Leur lien avec la sacramentalit de lEglise est organique et intrinsque car cest la puissance sacramentelle de lEglise qui sactualise et sexprime travers la clbration des sacrements particuliers1. Ainsi, les sacrements apparaissent comme des actes de toute lEglise. Cest lensemble de la communaut ecclsiale qui possde les sacrements et en dispose. Selon la vision conciliaire, les sacrements ne sont pas des sources de grce lusage priv, mais des signes et des moyens liturgiques de la communion de grce qui existe dans lEglise, corps du Christ anim par son Esprit. Cest aussi sur lEglise tout entire, communaut du salut, que la grce des sacrements se dverse lorsquelle les clbre dans la foi et la fidlit au Christ. Cest pourquoi, plusieurs reprises, le concile rappelle que la clbration liturgique des sacrements est une uvre communautaire, et appelle ce quils soient habituellement confrs en prsence de la communaut et avec sa participation active (SC, 21, 26, 27, 42). Comme la rappel le cardinal Ratzinger, une des raisons pour lesquelles Vatican II avait souhait introduire le terme sacrement pour dsigner lEglise, tait son ambition de corriger la vision trop individualiste des sacrements particuliers, trop unilatralement depuis Trente, tant dans la pastorale que dans la thologie, comme des sources du salut priv pour ceux qui les recevaient et sans un lien explicite avec

La question pineuse de linstitution historique de tous les sacrements par Jsus luimme disparat cest au moins lopinion soutenue de manire pertinente par K. Rahner ds quils sont intgrs dans la puissance sacramentelle de lEglise, instrument du salut pour le monde. Sa thse est que du fait de vouloir lEglise comme signe et moyen historique du salut eschatologique, le Christ avait dpos en elles comme en germe, tous les signes sacramentels indispensables laccomplissement de cette mission, les signes que la communaut des croyants a mis du temps a dcouvrir et instituer de manire ecclsiale (RAHNER, K., Eglise et sacrements, 57-105). Cette position correspond ce que dit le Catchisme de l'Eglise Catholique o les sacrements sont appels forces qui sortent de lEglise Corps du Christ (CEC, 1116). Le Catchisme affirme encore que, par lEsprit qui la conduit dans la vrit tout entire (Jn 16, 13), lEglise a reconnu peu peu ce trsor reu du Christ et en a prcis la dispensation Ainsi, lEglise a discern au cours des sicles que parmi ses clbrations liturgiques il y en a sept qui sont, au sens propre du terme, des sacrements institus par le Seigneur (CEC, 1117 ; cf. 1114). Le Christ est source et fondement des sacrements (CEC, 1120) ; cest lui-mme qui agit travers eux et cest de lui quils tirent toute leur efficacit selon le dessein du salut du Pre et par la force de lEsprit-Saint voqu dans lpiclse (CEC, 1127-1128).

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lEglise, communaut du salut1. Selon le concile, les sacrements tablissent une communion surnaturelle entre les membres du corps du Christ (SC, 6, 10) ; ainsi, de lintrieur, ils les soudent en koinnia qui doit ensuite sexprimer et se vrifier lextrieur, dans une vie fraternelle de la socit ecclsiale. Cette koinnia de grce surnaturelle, signifie la participation des fidles la communion de la vie divine (1Jn 1, 3 ; 1Co 1, 9 ; 2Co 13, 13). En vertu des sacrements, lunit entre les membres du corps du Christ est ancre dans la koinnia trinitaire ; les sacrements unissent les chrtiens entre eux en les faisant participants du mme mystre de la communion du Dieu Amour, Un en trois Personnes (CEC, 1118). Grce aux sacrements, la vie divine se diffuse en ceux qui croient ; de cette faon se ralise leur koinnia in Christo (LG, 7). Ainsi, par la participation la vie sacramentelle, les croyants approfondissent non seulement la communion verticale avec la Trinit, mais galement la communion horizontale entre eux. Cette communion, scelle sacramentalement par le baptme au nom de la Trinit et confirme par laccueil du don de lEsprit dans la chrismation, est continuellement renouvele et approfondie dans la communion eucharistique au corps et au sang du Christ. Ainsi, lentre des hommes dans la koinnia prsente une structure ecclsiale sacramentelle2 ; cest par linitiation la vie sacramentelle de la communaut ecclsiale que les chrtiens tablissent et approfondissent leur communion avec la Trinit et entre eux. Les sacrements notamment le baptme et leucharistie manifestent galement que la communion ecclsiale est la fois et insparablement une koinnia spirituelle et une communaut visible3. Le baptme est la fois lagrgation au peuple de Dieu communaut ecclsiale visible (LG, 11) , et lincorporation au corps du Christ communion de grce (LG, 7). Dans la clbration de leucharistie, les fidles soudent leur communion spirituelle in Christo par la rception du corps et du sang du

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RATZINGER, J., Les principes, 50-52. DENAUX, A., Op. cit., 32. 3 SMULDERS, P., Op. cit., 324-325.

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Seigneur et en mme temps, manifeste leur unit visible dans le rassemblement liturgique autour de lautel (LG, 11, 26, SC, 41)1. Avant de terminer ce paragraphe consacr la relation entre la sacramentalit de lEglise et celle des sacrements particuliers, il nous faut voquer brivement le problme de lanalogie. De fait, lapplication du concept de sacrement lEglise est analogique non seulement lgard de la christologie (ce que nous avons dmontr plus haut), mais galement lgard de la thorie sacramentaire2. En appliquant la catgorie de sacrement lEglise, le concile est conscient quil sagit dun concept labor lorigine pour les sacrements particuliers3. La prcision, veluti sacramentum (LG, 1), sert donc distinguer lEglise non seulement du Christ mais galement des sept rites fondamentaux du culte catholique4. Sil est vrai qu certains gards lEglise ressemble aux sacrements particuliers, il est vrai aussi quelle nen est pas un.

A la lumire de la sacramentalit de lEglise, nous pouvons jeter un regard renouvel sur la question particulire de la sacramentalit de leucharistie par laquelle nous sommes levs la communion avec le Christ et entre nous (LG, 7). Dans la thologie classique de leucharistie, le terme de sacrement est mis en rapport avec les espces du pain et du vin dposs sur lautel, qui sont considrs comme des sacrements (ou le sacrement) du corps et du sang du Christ, et de la rception desquels rsulte la communion spirituelle avec le Sauveur. Dans la perspective ecclsiologique, on peut appliquer la notion de sacrement la clbration eucharistique elle-mme et dire que la communaut qui clbre le mystre de son salut est un sacrement signe et moyen de la communion avec le Seigneur et entre les fidles. La communaut extrieure des chrtiens runis autour de lautel, manifeste (signe), cre et approfondit (moyen) la communion intrieure de foi, desprance et de charit qui se noue in Christo par la descente de son Esprit (piclse). Dans cette perspective communionnelle, la participation du fidle la clbration ecclsiale de leucharistie apparat comme condition de sa participation la communaut spirituelle de grce car, selon la thorie sacramentaire, la participation au signe extrieur est une condition sine qua non de la participation la grce intrieure quil vhicule. Bien sur, cette interprtation ecclsiale de la sacramentalit de leucharistie ne doit pas tre oppose son interprtation traditionnelle mais la complter, en mettant en valeur le caractre sacramentel du rassemblement eucharistique. Elle converge avec la thologie du corps du Christ telle que Paul nous la propose dans la Premire Lettre aux Corinthiens, ou encore avec celle, dveloppe par Augustin, dans son Sermon 272 : PL 38, 1246-1248 (tradition fr. dans Qur-Jaulmes. F., Leucharistie dans lantiquit chrtienne, Paris, 1981, 238-240) o la communaut rassemble autour de la table du Seigneur est une manifestation de la communion spirituelle qui se noue dans la clbration. 2 AUER, J., Op. cit., 94+. 3 CTI, Texte et Documents (1969-1985), 355. 4 CTI, Op. cit., 354.

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Les sacrements particuliers ( lexception de leucharistie qui constitue un cas particulier), sont des instruments purs qui transitent une grce quils ne contiennent pas, qui se trouve en dehors du signe tandis que dans lEglise, la grce se trouve dans le signe. En dautres termes, la communio remplit la societas. Ainsi, lEglise, ne transite pas un salut qui lui serait extrieur ; elle fait participer les hommes au salut quelle porte en son sein. LEglise, en tant que sacrement, est comble de grce car elle est le corps du Christ rempli de son Esprit. En consquence, ce quelle signifie et donne instrumentalement, cest ce quelle possde en plnitude1. LEglise nous sanctifie parce quelle est sainte de lintrieur, tandis que les sacrements, nous sanctifient en tant que des signes et des moyens efficaces de la saintet de lEglise. Cest ainsi que lEglise est la fois semblable et dissemblable aux sacrements particuliers et que le terme sacrement ne sapplique elle que par une analogie avec ceux-ci. *** La sacramentalit de lEglise rend compte de la complexit de ltre ecclsial o la communaut sociale et la communion spirituelle sont lies lune lautre de manire organique. LEglise est une ralit unique mais bidimensionnelle : dans sa dimension invisible, elle est une communio de grce dans le corps du Christ anim par son Esprit, dans sa dimension visible, elle est une societas humana unie dans la doctrine des aptres, dans les sacrements et dans la constitution hirarchique. Dans la perspective dune ecclsiologie sacramentelle, le visible nest ni sparable ni secondaire par rapport linvisible, mais il en est le signe et le moyen efficace : la communio spiritualis du corps du Christ se noue dans et par la communitas socialis du peuple de Dieu. Les fidles et les pasteurs constituent ensemble lEglise en tant que le sacrement du salut pour le monde. La communaut ecclsiale ralise sa sacramentalit travers toute sa vie et par le truchement de toutes ses activits pastorales, dans lesquelles une place spciale revient aux sacrements institus par le Seigneur comme des instruments infrangibles de sa grce. La clbration liturgique des sacrements notamment du baptme et de leucharistie manifeste et actualise la koinnia des fidles avec Dieu et entre eux. La grce salvifique qui se dverse sur les fidles et sur le monde travers les sacrements est celle dont est comble lEglise, corps du Christ, par son Esprit. LEglise apparat ainsi

LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement de la communion, 252.

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comme une communaut mystrique qui, travers ses sacrements particuliers ses mystres , se ralise et se manifeste comme le grand mystre, cestdire signum et instrumentum intimae cum Deo unionis totiusque generis humani unitatis (LG, 1)1. Toutefois, elle nest pas un huitime sacrement et le terme sacrement ne lui est attribuable que par une analogie avec les sept rites fondamentaux de lEglise. 3.2.6. LEglise sacrement pour le monde 3.2.6.1. La sacramentalit de lEglise et son universalit La doctrine conciliaire sur lEglise associe intimement lide de sacramentalit avec celle duniversalit2. A plusieurs reprises, les documents conciliaires appliquent lEglise lexpression universale salutis sacramentum (LG, 48 ; GS, 45 ; AG, 1). Mme l o cette formule prcise nest pas utilise, chaque fois, lorsque le concile parle de lEglise comme sacrement, le contexte est celui du salut universel auquel sont appels tous les hommes, sans exception, et dont lEglise est un signe et un moyen3. LEglise comme sacrement du salut existe pour raliser la communion universelle de lhumanit in Christo. Elle est universelle de par sa nature et de par sa vocation, car elle porte au monde le Christ qui est la lumire des nations (LG, 1). Selon le dessein de Dieu qui veut sauver tous les hommes (LG, 2), la mission de lEglise, comme sacrement de ce salut, est de travailler pour leur pleine unit dans le Christ (LG, 1, 48). Cest pourquoi, cette Eglise qui doit s'tendre toute la terre et entrer dans l'histoire humaine, domine en mme temps les poques et les frontires des peuples (LG, 9). La sacramentalit universelle de lEglise se rapporte aussi son caractre dexclusivit : elle est lunique instrument du salut pour le monde ; elle seule permet aux hommes dentrer en communication avec Dieu qui sauve. A cause du caractre exclusif de cette mdiation, lEglise est ncessaire au salut (LG, 14). Sans le citer littralement, le concile reste fidle lesprit de ladage traditionnel, extra Ecclesia nullus omnino salvatur4.
1 Cf. TILLARD, J.M.R., L'Eglise de Dieu est une communion , Irnikon 4 (1980), 451-468 (455). 2 AUER, J., Op. cit., 96-97. 3 GRILLMEIER, A., Op. cit., 163. 4 LATRAN IV, Cap. 1. De fide catholica ; DH 802 ; cf. Lettre du Saint-Office l'archevque de Boston ; DH 3866-3872.

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Selon la doctrine de Vatican II, lEglise telle que le Christ lavait institue historiquement dans ce monde comme la communaut de croyants fonde sur les aptres et mise actuellement sous lautorit de ses pasteurs lgitimes , elle est linstrument du salut pour toute lhumanit. En effet, comme sacrement, elle est insparablement la ralit de salut quelle signifie visiblement devant le monde et le moyen de salut quelle communique efficacement aux hommes. Conformment la doctrine de la sacramentalit, la ralit (communio) ne saurait ni saccomplir ni exister sans le signe (societas). Cest pourquoi, on ne peut relativiser le signe ecclsial sans mettre en danger la ralit dont il est porteur. Cette affirmation ne contredit pas la conviction catholique exprime par le concile et selon laquelle des lments de sanctification subsistent en dehors des limites visibles de lEglise institutionnelle, mais elle stipule quils appartiennent mystiquement celle-ci et y trouvent leur source (LG, 8)1. Luniversalit exclusive de la mdiation ecclsiale signifie ainsi que lEglise est un signe et un instrument du salut non seulement pour ceux qui en font actuellement partie, mais galement pour ceux qui demeurent encore en dehors delle, qui sy opposent ou qui adhrent dautres religions. Le concile exprime la conviction catholique selon laquelle tous ceux qui sont sauvs participent, de manires diffrentes, au mme et unique mystre du salut en JsusChrist par son Esprit (GS, 22 5)2. Mme si la grce salvifique leur est accorde par des voies connues de Dieu seul (AG, 7), il est contraire la foi catholique de penser quils puissent tre sauvs sans aucun rapport lEglise3. Finalement, cette universalit peut se rapporter au caractre cosmique du salut mdiatis par lEglise : lunit quelle ralise stend non seulement sur tous les tres humains de tous les temps mais elle englobe

Ceci ne signifie pourtant pas que lappartenance formelle la socit ecclsiale romaine soit toujours requise pour participer sa communion spirituelle de grce. Sans entrer ici dans la discussion, toujours ouverte dans lcumnisme et dans le dialogue interreligieux, sur les conditions et les modalits possibles du salut par lEglise, rappelons simplement que la doctrine conciliaire parle de cercles decclsialit et ouvre ainsi lEglise diffrentes catgories des personnes qui y sont intgres ou ordonnes de manires diverses (LG, 13-16). 2 Cf. CPDIR et CEP, Dialogue et annonce. Instruction, n29 ; AAS 84 (1992), 414-446 ; CDF, Dominus Iesus, n2. 3 Cf. Dominus Iesus, nos20-21.

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lunivers entier cr par Dieu et appel tre ramen, par lEglise, son tat originel dharmonie. 3.2.6.2. La vocation missionnaire de lEglise la lumire de sa sacramentalit Selon la Lettre aux Ephsiens, par le ministre de lEglise saccomplit dans le monde la dispensation du mystre du salut, conu, depuis lternit, par Dieu et rvl par JsusChrist (Ep 3, 7-12 ; dispensatio sacramenti, Vulg.). Le caractre missionnaire de lEglise apparat ainsi comme une consquence directe de sa sacramentalit : envoye par Dieu aux peuples pour tre le sacrement universel du salut (AG, 1), lEglise est tourne naturellement ad extra, vers le monde. En prcisant la pense du concile, la Congrgation pour la Doctrine de la Foi dit, quil drive de cette sacramentalit que l'Eglise est une ralit non pas replie sur ellemme, mais plutt ouverte de manire permanente la dynamique missionnaire et cumnique, puisqu'elle est envoye au monde pour annoncer et tmoigner, actualiser et diffuser le mystre de communion qui la constitue: rassembler tout et tous dans le Christ ; tre pour tous sacrement insparable d'unit 1. LEglise non seulement annonce au monde le salut dans le Christ mais continue et dveloppe au cours de l'histoire la mission du Christ lui-mme (AG, 5) ; elle lui sert d'instrument pour la rdemption de tous (LG, 9). La caractre missionnaire de lEglise apparat ainsi comme tant une structure interne de son tre : puisque extra ecclesiam nulla salus, lEglise est missionnaire pour offrir tous les hommes la possibilit du salut selon le dessein divin. La mission apparat ainsi comme une consquence logique de cette pleine et universelle communion, laquelle Dieu appelle tous les hommes et laquelle est ordonne toute lexistence de lEglise2. Fidle sa vocation missionnaire, l'Eglise prie et travaille tout ensemble, afin que le monde tout entier devienne le Peuple de Dieu, le Corps du Seigneur et le Temple de l'Esprit-Saint (LG, 17) ; car tous les hommes sont appels cette unit catholique du Peuple de Dieu (LG, 13). Rassemble in Christo, au moyen de sa parole et de ses sacrements, lEglise devient son tour dans et pour le monde un signe et un moyen
1 CDF, Op. cit., n4; cf. IRENEE, Adversus haereses, III, 16, 6 et 22, 1-3 : PG 7, 925926 et 955-958. 2 Cf. JEANPAUL II, Pastores gregis, n22.

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du rassemblement universel in Christo des hommes de toutes langues, races, peuples, etc. En elle et par elle, ceux qui taient jusqualors des enfants de Dieu disperss (Jn 11, 52) deviennent la communaut du salut. Par lactivit missionnaire de lEglise, le rassemblement des hommes in Christo doit se dilater constamment travers le monde pour sachever dans la communion eschatologique du Royaume. Au sein de lhumanit dchire par de multiples scissions, la vocation missionnaire de lEglise implique un ministre de rconciliation universelle accompli au nom de Dieu1. En effet, Dieu non seulement nous a rconcilis avec lui par le Christ mais aussi, il nous a confi le ministre de rconciliation (2Co 5, 18). Paul prsente la rconciliation de lhumanit comme le but que Dieu atteint grce lEglise et plus spcifiquement par ses ministres, auxquels il a confi la parole de rconciliation (2Co 5, 18-21)2. Bien sr, lAptre affirme sans ambigut que, cest Dieu qui, sans aucun mrite humain, sest rconcili lhumanit en la justifiant de ses fautes par le Christ (Rm 3, 21-27). Toujours est-il que cette rconciliation fruit du sacrifice du Christ se propage au sein de lhumanit grce aux ambassadeurs de Dieu, qui adressent aux hommes lappel la rconciliation (2Co 5, 20). LEglise, premire bnficiaire de la rconciliation reue gratuitement du Seigneur devient ainsi, par son ministre, la servante de cette rconciliation et, de ce fait, elle est envoye dans le monde pour la porter lensemble de lhumanit. Ainsi, elle devient pour le monde la messagre de la bonne nouvelle du salut in Christo ; salut quelle doit annoncer toute la cration (Mc 16, 15). La prdication de lvangile lensemble de lhumanit est une implication de la sacramentalit de lEglise. Pour tre effectivement et efficacement linstrument du salut, elle doit annoncer au monde entier le mustrion ternel (Rm 16, 25-26 ; 1Co 2, 7 ; Ep 1, 9 ; 3, 3-9) car, grce cette prdication, nat dans le cur des hommes la foi qui justifie (Rm 3, 22. 28 ; 10, 10) et qui les fait participer la koinnia in Christo. Mme si tous les chrtiens portent la responsabilit de rpandre autour deux le message vanglique, il reste

Les dveloppements qui suivent sinspirent largement de TILLARD, J.M.R., Eglise et salut. , 675-683. 2 Paul prsente le ministre de la rconciliation comme une des tches essentielles de son apostolat missionnaire (cf. Col 1, 20).

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nanmoins vrai que lannonce du mystre du salut implique un ministre spcifique dans lEglise (Ep 3, 2 ; Col 1, 25)1. Le rassemblement universel des hommes rconcilis in Christo, est dj anticip dans le rassemblement eucharistique des chrtiens qui clbrent in Ecclesia le mmorial de leur rdemption. Dans leucharistie, travers laction liturgique de la communaut qui clbre, lEsprit-Saint rend prsent le mystre de la rconciliation universelle de lhumanit accomplie, une fois pour toutes, par le Christ sur la croix. Toute clbration eucharistique, mme si, normalement, elle rassemble uniquement des chrtiens, est de nature missionnaire car tous les hommes sont appels cette unit catholique du Peuple de Dieu (LG, 13), dont la communaut eucharistique est la fois un accomplissement et une manifestation. Cest pourquoi, dans toute clbration de leucharistie, lEglise intercde pour le salut du monde entier afin que, par elle, toute lhumanit soit rassemble un jour dans la koinnia ternelle du Royaume (SC, 53 et 83). Mme si la grce sacramentelle de la clbration eucharistique par laquelle la koinnia saffermit et se dilate dans le monde, vient de la source divine, il ne faut pas pour autant minimaliser le rle actif de la communaut ecclsiale : cest elle qui prend linitiative de se rassembler et qui clbre le mystre de la communion. On peut conclure en affirmant que la vocation missionnaire de lEglise drive de sa sacramentalit : lEglise doit tre missionnaire car elle est linstrument universel de la communion avec Dieu et entre les hommes. Cette vocation missionnaire se rapporte dabord la structure profonde de son tre et, ensuite, lensemble de ses activits pastorales : dans tout ce quelle fait, lEglise est missionnaire car elle vise toujours le salut de tout homme et la rconciliation universelle de lhumanit. Lannonce de lvangile, qui fait natre la foi dans les curs des hommes, et la clbration de leucharistie qui manifeste dj dans le monde actuel la koinnia eschatologique du Royaume, sont des signes et des moyens particulirement forts de la vocation missionnaire de lEglise.

KASPER, W., La Thologie, 356.

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3.2.6.3. Lappartenance lEglise la lumire de sa sacramentalit A la diffrence de lecclsiologie postridentine fonde sur la thologie sacramentaire et le droit canon, lecclsiologie propose par Vatican II est fonde sur la christologie et la pneumatologie. Ce changement de perspective thologique, mis en rapport avec la doctrine de la sacramentalit de lEglise, permet une rinterprtation du problme de lappartenance ecclsiale dans la perspective de la communion. Pour lecclsiologie de type bellarminien, lappartenance ecclsiale tait dtermine essentiellement par lusage des moyens de grce notamment des sacrements , mis la disposition des fidles par linstitution ecclsiale. Dans la perspective de Vatican II, cette appartenance est dtermine par la participation des fidles la ralit de grce ; cestdire par leur incorporation effective la koinnia du salut, dans le corps mystique du Christ. Ainsi, lecclsiologie de Vatican II marque un renversement des perspectives doctrinales par rapport lecclsiologie antrieure : dsormais, lappartenance lEglise se dit premirement de la participation la communion de grce surnaturelle ralise par lEsprit-Saint dans le corps du Christ, et, seulement dans un deuxime temps, de lusage des moyens de grce dont dispose la communaut ecclsiale dans ses structures visibles. Lappartenance spirituelle au corps mystique prime sur lappartenance formelle la socit ecclsiale1. Conformment cette nouvelle optique ecclsiologique, le concile affirme que, de tout temps et chez toute nation, celui qui craint Dieu et pratique la justice lui fut agrable (LG, 9). Ainsi, non seulement les chrtiens noncatholiques (LG, 15 ; UR, 3) et ceux qui croient en Dieu mais mme ceux qui ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise, sils s'efforcent de mener une vie droite en suivant leur conscience, ceux-l aussi peuvent obtenir le salut ternel (LG, 16), cestdire avoir part la communion de grce sans appartenir aux structures ecclsiastiques. De manire ngative le concile dclare que n'est pas sauv, mme s'il est incorpor l'Eglise, celui qui, faute de persvrer dans la charit, demeure dans le sein de l'Eglise de corps mais non pas de cur

LA SOUJEOLE, B.D. de, Le sacrement de la communion, 254.

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(LG, 14). Il est donc hors de doute que, selon lecclsiologie de Vatican II, lappartenance formelle aux structures visibles de linstitution ecclsiale nest pas une condition sine qua non de la participation la communion spirituelle du corps du Christ ralise par la grce de lEsprit-Saint. Le concile dveloppe une thorie dappartenance ecclsiale dynamique qui se caractrise par une gradation ou, si lon veut, par plusieurs cercles decclsialit (LG, 14-16). Lanalyse des affirmations de la constitution sur lEglise montre que cette gradation dpend la fois de la situation extrieure de la personne, par rapport linstitution ecclsiale, et de sa situation intrieure par rapport au corps mystique du Christ. Sans conteste, pour le concile, la situation spirituelle prvaut, et la communion intrieure qui rsulte dune vie de foi, de justice et de charit, est privilgie par rapport lappartenance quelques structures institutionnelles. Toutefois, conformment la conception sacramentelle de lEglise, les sacrements et tous les autres moyens de salut qui sont mis la disposition des fidles, lintrieur de la socit ecclsiale, sont des voies infaillibles de la grce. Cela signifie que la participation ces moyens permet aux fidles la participation certaine la communion de salut la condition nanmoins de les recevoir dans les dispositions personnelles requises par lEglise et de persvrer dans la charit. Cest pourquoi, ceux qui, appartenant lEglise visible, confessent la foi chrtienne dans son intgralit et participent la plnitude de moyens de grce, apparaissent objectivement (mme sils ne le sont pas toujours subjectivement) comme des membres plus parfaits du corps du Christ que ceux dont la situation fait dfaut dans un ou plusieurs de ces lments. Ainsi, mme si le concile reconnat que la communion salvifique de grce est possible sans appartenance formelle la communaut visible, il affirme aussi que cest seulement dans lEglise catholique, rassemble sous le pape et les vques, que les fidles sont assurs de la possession effective de la totalit des moyens de communion (LG, 14). Si nous regardons lEglise comme sacrement, cestdire comme une communaut visible par laquelle se ralise la communion spirituelle in Christo, nous devons affirmer que linstitution ecclsiale est exige par la volont divine. Le concile affirme que la communaut ecclsiale qui prche lvangile et clbre les sacrements est linstrument ncessaire et efficace de la participation la communion du salut, aussi bien pour
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ceux qui demeurent formellement dans ses structures terrestres que pour ceux qui se sauvent en restant en dehors delles (LG, 17). Toute la grce, en effet, se dverse sur lhumanit partir du sein ecclsial en se communiquant aux hommes de manires diverses, suivant leur situation particulire par rapport lEglise. Pour lecclsiologie catholique, lexistence de linstitution ecclsiale visible constitue le signe et le moyen ncessaire de la participation des hommes la communion mystique du corps du Christ. Mme si le concile admet sans vraiment lexpliquer , que des personnes peuvent recevoir la grce salvifique hors des structures visibles de cette institution, par une intervention mystrieuse de Dieu, et que de nombreux lments de sanctification existent effectivement hors de la communaut visible de lEglise catholique (UR, 3), il affirme toutefois, avec la plus grande conviction, que le corps mystique du Christ ne peut se dvelopper qu partir de la socit ecclsiale visible munie des structures et institutions voulues par le Seigneur1. Pour cette raison, la pleine appartenance lEglise implique ncessairement lintgration du croyant dans ses structures visibles : elle ne peut tre que visible et spirituelle en mme temps (LG, 8, 14). 3.2.6.4. La fraternit la lumire de la sacramentalit Pour la foi chrtienne, le salut consiste non seulement dans la communion avec Dieu mais aussi dans la communion entre les hommes. LEglise comme sacrement du salut, existe pour raliser cette double communion. Le concile prcise quelle est dans le monde non seulement un instrument de lunion avec Dieu mais aussi un instrument de lunit du genre humain (LG, 1). Dans un monde bless par des scissions entre les hommes, lEglise, tablie par le Christ comme communion de vie, de charit et de vrit, est un germe trs fort d'unit (LG, 9). En effet, elle est une communaut fraternelle compose dhommes et de femmes, de riches et de pauvres, de gens de toutes les nations, races, langues, etc. (cf. Ap 7, 9). Ntant pas lie aucune forme particulire de culture ni aucun systme politique, conomique ou social, lEglise rassemble, dans lunit, une multitude de personnes venant de tous les horizons (GS, 42 4). Les fidles, malgr leur grand nombre et leur varit, forment, dans le monde, lunique famille de Dieu et lEglise apparat
KASPER, W., La Thologie et lEglise, coll. Cogitatio Fidei 158, Paris, Cerf, 1990, 344-345.
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comme une figure de la fraternit universelle laquelle aspirent tous les hommes (GS, 42 1 ; AG, 11). La sacramentalit de lEglise se rapporte ainsi non seulement sa mission de rassembler tous les hommes dans lunit de la foi (GS, 45 1), mais galement sa mission de promouvoir la vie fraternelle des hommes, dans le respect de leurs diffrences politiques, sociales, conomiques, culturelles et mme religieuses, afin de hter lavnement dune communaut humaine universelle pleinement rconcilie. LEglise nest pas et ne doit jamais tre coupe du monde ; elle nest pas spare du monde mais en communion de destin avec lui1. Vivant dans le monde, elle doit tre, pour lui, une manifestation vridique de lhumanit nouvelle dj rcre in Christo afin que tous les hommes se joignent cette unit catholique du Peuple de Dieu, unit qui annonce et promeut la paix universelle (LG, 13). Les chrtiens ne peuvent oublier que la manire dont leur fraternit est vcue au quotidien, lintrieur de la communaut ecclsiale, a un impact rel sur le comportement de ceux qui les entourent et mme sur la vie sociale et politique du monde2. Certes, le but de lEglise nest pas celui de raliser lunit conomicopolitique du monde et elle ne doit jamais usurper ni le pouvoir ni les comptences propres aux tats et aux autres instances de la vie politique. Toutefois, dans sa qualit de sacrement dunit pour le monde, lEglise doit sinvestir inlassablement, avec les autres agents de la vie publique, pour la rconciliation universelle entre les hommes et lavnement dune communaut humaine juste et quitable (GS, 42 2). Porte par cette vocation, elle doit soutenir et promouvoir tous les efforts humains qui cherchent dpasser les dissensions actuelles dans la vie publique aux niveaux local, national et international, et rapprocher les hommes les uns des autres. Cette vocation concide avec laspiration du monde la cration dune communaut humaine universelle, dans laquelle seraient rconcilies, sans tre supprimes, les particularits des peuples, des cultures et des systmes sociopolitiques. Toutes les actions de type social, politique, conomique, culturel, etc., entreprises par des personnes individuelles et des institutions pour la promotion dune communaut humaine fraternelle dans le monde, sharmonisent avec le but de lEglise et mritent la reconnaissance et le

1 2

TOURNEUX, A, Eglise et Eucharistie Vatican II , NRT 112 (1990), 348-349. RATZINGER, J., Les principes, 56-57.

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soutien de sa part (GS, 42 3) ; condition toutefois quelles soient animes par le vritable esprit de solidarit et quelles respectent les droits fondamentaux de la personne, de la famille, et les impratifs du bien commun (GS, 42 5). La sacramentalit exige de lEglise quelle soit dans le monde et face au monde une figure convaincante de la fraternit du Royaume eschatologique dans lequel toute lhumanit sera en fin rassemble dans la parfaite unit sous le Christ Chef, en l'unit de son Esprit (LG, 13). 3.2.7. Conclusions

La conception de la sacramentalit de lEglise qui se dgage de lanalyse de luvre conciliaire se situe dans le sillage de la conception biblique du mustrionsacramentum. Dans la Bible, le mystre dsigne lternel dessein salvifique de Dieu, rendu accessible aux hommes dans la situation du monde prsent. La sacramentalit de lEglise doit donc tre regarde la lumire du mystre du salut auquel est ordonne lEglise, dans son tre et dans sa vie. Lessence de ce salut consiste dans la koinnia de vie avec Dieu et entre les hommes, dont lEglise est le sacrement dans et pour le monde. Dans la perspective de la sacramentalit, la communaut ecclsiale visible apparat comme un signe et un moyen ncessaire de la ralisation du dessein divin du salut. Conformment au concept de sacrement signum visibile de gratia invisibile , linstitution ecclsiale apparat comme un instrument ncessaire de la communion spirituelle. La sacramentalit de lEglise signifie donc lunit et linsparabilit de la communion de grce et de la communaut sociologique dans ltre ecclsial ; la premire se noue et existe dans la seconde. Ainsi, le concept de sacramentalit ne permet aucun dualisme ecclsiologique entre la communio spiritualis et la communitas socialis, lesquelles sont lies lune lautre par un rapport de signification et defficience1.

A notre avis, sur cette question, le concile semble parfois frler lincohrence lintrieur de sa doctrine sur la sacramentalit de lEglise. En effet, dune part, il affirme clairement que lEglise, dans sa constitution institutionnelle de communaut terrestre, est le signe et le moyen universel du salut et dautre part, il dit que ce salut est possible hors de ce signe. Ainsi, lecclsiologie conciliaire semble admettre la sparabilit de la

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La sacramentalit de lEglise doit tre interprte la lumire de lconomie incarnationnelle du salut. Comme lhumanit du Christ a servi au Verbe ternel dinstrument pour la ralisation de son uvre salvifique, de mme la socit ecclsiale lui sert aujourdhui dinstrument pour lactualisation continuelle de cette uvre en faveur des hommes. Par analogie avec le Christ, le concept de sacramentalit appliqu lEglise, exprime lide de collaboration de lhumain et du social avec le divin et le mystique dans la propagation du salut travers le monde et lhistoire. LEglise ne remplace pas le Christ et ne se substitue pas lui dans la ralisation du mystre du salut. En vertu de lunion organique avec le Christ en-un-seul-corps vivifi par un seul Esprit, lEglise est le signe et le moyen de lunique mdiation du Christ quelle rend efficace dans le monde. Lappellation de lEglise du nom de sacrement exprime la fois sa dpendance absolue du Christ, unique Mdiateur entre Dieu et les hommes, et son rle actif et effectif dans la transmission du salut dont elle est comble. Ainsi, le Christ, tte, et lEglise, corps, ne font quun seul misterium salutis dans et pour le monde, sans confusion ni sparation entre les deux. LEglise se concrtise et sexprime, en tant que sacrement, travers tout son agir pastoral o une place particulire occupe la clbration des sacrements qui puisent leur puissance sacramentelle dans le sein de lEglise, sacrement fondamental. LEglise apparat ainsi comme une communaut mystrique qui, travers ses sacrements particuliers ses mystres , se ralise et se manifeste comme le grand mystre. Parmi tous les sacrements, le baptme et leucharistie en raison de leur rapport intime avec le mystre de lEglise , sont des expressions privilgies de la sacramentalit ecclsiale.

ralit intrieure qui est la communio davec la ralit extrieure qui est la societas perfecta. Une telle comprhension serait pourtant contraire non seulement la conception catholique de la sacramentalit mais galement lesprit gnral de la constitution Lumen Gentium qui lie troitement le visible et linvisible lintrieur de lunique ralit quest lEglise. Toutefois, il faut reconnatre que la pense du concile nest pas assez explicite sur ce point important de lecclsiologie et semble admettre diverses interprtations.

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En tant que signe et instrument du salut, la communaut ecclsiale est appele vivre au quotidien la communion quelle porte en son sein et quelle reprsente devant le monde, afin que par ce tmoignage vridique tous les hommes soient attirs vers son unit catholique et puissent tre sauvs. Conformment la conception sacramentelle de lEglise, la vrit du signe est ncessaire pour lefficacit du moyen. Le concept de sacrement appliqu lEglise nous fait comprendre que la socit ecclsiale nest pas un but pour elle-mme mais un instrument qui doit conduire les hommes au but quest selon le dessein de Dieu la koinnia eschatologique de vie avec la saint Trinit. Car ce dessein concerne toute lhumanit, lEglise est le sacrement universel envoy pour rassembler dans une seule communaut de salut tous les enfants de Dieu disperss. Cest ainsi que la vocation missionnaire de lEglise se rattache sa sacramentalit : elle doit proclamer au monde entier la bonne nouvelle du salut in Christo afin que lensemble des hommes puisse participer la koinnia salvifique.

3.3. Perspective eschatologique : communion ecclsiale lavantgot de la communion du Royaume 3.3.1. Introduction Il convient de noter dabord, que des allusions eschatologiques plus ou moins explicites se trouvent dissmines dans les chapitres prcdents de ce travail. En effet, toute luvre de Vatican II est imprgne de lesprit eschatologique et il nest pas possible de parler des aspects anthropologiques et trinitaires de lEglise, ou encore de son caractre de sacrement de salut, sans se rfrer son tat de communion parfaite dans le Royaume venir. Toutefois, dans le prsent chapitre, nous voulons approfondir et systmatiser davantage la dimension eschatologique, de lEglise dans la perspective de lecclsiologie conciliaire de la communion. Lune des nouveauts du concile consiste avoir renouvel, dans lEglise, la conscience de sa dimension eschatologique ; cette problmatique qui trouvait peu de place dans lecclsiologie antrieure, focalise surtout sur le maintenant de lEglise, est devenue un thme fondamental de la constitution Lumen Gentium, et lesprit

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eschatologique inspire lensemble des documents conciliaires1. Toutefois, le concile na pas labor un trait systmatique et exhaustif de leschatologie catholique ; dans son uvre notamment dans le chapitre VII de la constitution Lumen Gentium et dans certains passages de la constitution pastorale Gaudium et Spes , il a trac quelques lignes de force dune doctrine catholique de ce qui constitue lobjet de lesprance chrtienne, savoir la communio Dei Regnum eschatologique, laquelle nous aspirons dans la foi et dont nous possdons les arrhes ds maintenant dans lEglise. Pour leschatologie, comme pour bien dautres thmes conciliaires, ce que nous appelons le renouveau est, en ralit, une reprise dides bien anciennes, un retour aux sources dans le contexte dactualit de lEglise et du monde. Afin de mieux cerner lenracinement de leschatologie de Vatican II dans la Tradition originelle de lEglise, ainsi que sa nouveaut relative par rapport leschatologie prconciliaire, jetons dabord un coup dil sur quelques tendances majeures dans lhistoire de leschatologie. 3.3.2. Leschatologie dans lhistoire de lEglise un aperu Lessentiel de la foi chrtienne est exprim dans laffirmation de la mort et de la rsurrection du Christ ainsi que dans la conviction que, par lui, nous aussi ressusciterons pour vivre ternellement, unis lui et tous les sauvs dans le Royaume des cieux. Selon les Ecritures, le Christ est mort pour nos pchs (Ga 1, 2-4), il est ressuscit dentre les morts (Rm 1, 4 ; 1 Th 1, 10 ; 1Co 15, 1-2, etc.) comme prmices de ceux qui se sont endormis (1Co 15, 20 cf. v. 23). Dsormais, il est le Seigneur (Rm 10, 9 ; Ph 2, 11 ;2Co 4, 5) ; rempli de lEsprit-Saint, il sige la droite du Pre (Ac 2, 33 ; 7, 56 ; Ep 1, 20) pour toujours (He 10, 12) comme Chef et Sauveur (Ac 5, 31) ; la fin des temps, il viendra des cieux (1Th 1, 10) pour tablir son Royaume ternel (Mt 16, 27-28) dans lequel il rassemblera tous les lus (Mt 24, 30-31). Ceux qui croient en lui (Jn 3, 15-16) ressusciteront (1Co 15, 12+) pour participer sa gloire (Jn 3, 1516 ; 11, 40 ; 17, 24 ; 1 P 5, 1) et avoir part la vie ternelle (Jn 6, 40).

HERNANDEZ, G., La nouvelle conscience de lEglise et ses prsupposs historicothologiques , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 2, Paris, Cerf, 1966, 175-209 (189) ; CONGAR, Y.M., En guise de conclusion , t. 3, 1370-1371.

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Le Nouveau Testament parle toujours au pluriel des ralits eschatologiques. Dans le Royaume des cieux, tabli ternellement lorsque le Christ reviendra dans sa gloire, les lus vivront non seulement en communion avec Dieu mais galement les uns avec les autres. Grce au Christ, qui par sa croix, a rconcili lhumanit divise (Ep, 2, 1416 ; cf. 2Co 5, 17-19, Rm 5, 11), le Royaume eschatologique sera un Royaume de paix et dunit o il ny aura plus de divisions, mais la plnitude de koinnia divinohumaine. Lesprance de cette unit universelle et dfinitive, ainsi que la conviction que cette esprance ne peut pas dcevoir (Rm 5, 1-5) caractrisent la conscience des premiers chrtiens qui vivent sur la terre le regard tourn vers le ciel do ils attendent, comme sauveur, le Seigneur JsusChrist (Ph 3, 20). Leschatologie est ainsi place au cur de la foi chrtienne et lattente ardente de la parousie imminente du Seigneur ressuscit marque profondment lEglise ses dbuts. De ce fait, la rflexion thologique, la liturgie et la vie quotidienne de lEglise primitive portent une empreinte eschatologique trs forte1. A lpoque post-apostolique, lorsque lEglise commenait se rendre compte que le retour du Christ ntait peut-tre pas pour demain, cette attente eschatologique a pris la forme de thories millnaristes, courantes au deuxime sicle2. A lpoque patristique ultrieure, on sinspire volontiers des visions apocalyptiques mais en les transposant lEglise terrestre, regarde de plus en plus souvent comme la Cit sainte, Jrusalem nouvelle, qui descend du ciel, de chez Dieu (Ap 21, 2)3. La prdiction, sur la base de la rvlation, de ce qui se produira la fin des temps, saccompagne de laffirmation de la prsence actuelle de ces ralits ultimes dans lEglise. Courante cette poque, la tendance ramener le ciel sur la terre est plus affirme chez les pres latins que chez leurs homologues grecs4. Elle perce clairement, quoi que de manire nuance, chez le plus grand tmoin de la conscience
SCHOENBORN, Ch., LEglise de la terre, le Royaume de Dieu et lEglise du Ciel , dans Laubier, P. de (d.), Visage de lEglise. Cours decclsiologie, Fribourg, 1989, 168-194 (172). 2 IRENEE, Ad. Her., V, 32, 1 ; cf. MACINA, M., La doctrine millnariste dIrne ; www.ebior\religion\catholics\eschatologie\millnarism irne.htm, 20. 12. 2003. 3 Habitons ds maintenant lEglise, la Jrusalem cleste, afin de ne pas tre repousss pour lternit (AUGUSTIN, In psalm. 124, 4 : PL 35, 1406). 4 Plusieurs textes patristiques dans ce sens sont prsents dans DE LUBAC, Mditation sur lEglise, 56-63.
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thologique occidentale de cette poque saint Augustin, qui compare rgulirement lEglise terrestre la cit cleste de Dieu1. Pour lui, le Rgne du Christ sexerce dj en ce monde grce lEglise ; la cit eschatologique de Dieu se trouve dj au sein de ce monde, mlange la cit terrestre ; la fin des temps, elle emportera la victoire dfinitive sur cette dernire, pour spanouir ternellement dans la gloire du Christ. Mme si des tmoignages similaires sont disponibles chez des pres grecs, la tradition orientale insiste davantage sur la tension entre le prsent terrestre et le futur eschatologique : il est vrai que les temps sont accomplis avec la venue du Christ, mais, pour ses disciples qui vivent encore sur cette terre dexil, le salut reste une esprance vers laquelle ils acheminent dans la foi et laquelle ils auront part lorsque ce monde se consommera dans la gloire du ciel2. Ds lpoque apostolique, jusqu la fin de lge patristique, nous observons une systmatisation progressive de la problmatique eschatologique, qui volue dune attente du retour imminent du Seigneur et de la transformation apocalyptique de ce monde, jusqu lclosion dune thologie bien dveloppe de lhistoire du salut : inaugure avec la cration et culminant dans le mystre pascal du Christ, cette histoire saccomplira par son retour glorieux, le jugement dernier et la victoire dfinitive des lus dans le Royaume de Dieu tabli jamais dans la gloire cleste3. Dans une telle perspective sotriologique, le

Nous nentrons pas ici dans la problmatique complexe concernant la relation de lEglise la cit cleste dans luvre de saint Augustin mais il reste, de fait, quil identifie lune lautre assez frquemment dans ces crits, notamment dans le De civitate ; lidentification explicite de la cit de Dieu lEglise historique est mme frquente dans la deuxime partie du De civitate (livres XI XXII) ; parfois, Augustin utilise une sorte de dialectique tripartite, Cit Eglise Royaume, sans que les identifications et les distinctions soient claires. Voir ce sujet la note explicative LEglise et la cit de Dieu , dans BA, 37, 774-777 ; cf. CONGAR, Y.M., Civitas Dei et Ecclesia chez saint Augustin , Revue des tudes augustiniennes 3 (1/1957), 1-14 o lauteur prsente diffrentes opinions, ce propos, avances du ct catholique et du ct protestant ; GILSON, E., Introduction ltude de saint Augustin, col. Etudes de philosophie mdivale XI, Paris, Vrin, 19694, 237-238. 2 MAXIME LE CONFESSEUR, Quest. ad Thal., 22 : PG 90, 279-282. 3 Pour une prsentation bien documente et exhaustive de leschatologie de lge patristique, voir, DALEY, B.E., The Hope of the Early Church. A Handbook of Patristic Eschatology, Cambridge, 1991.

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monde apparat comme une ralit eschatologique, ds sa cration et travers toute son histoire. Voici, les traits caractristiques de leschatologie de cette poque1 : - Une conception linaire du temps : lhistoire du monde a commenc avec la cration, elle a culmin dans lavnement du Christ et saccomplira sa parousie. - La dclaration de la rsurrection de la chair la fin des temps : puisque la chair de lhomme lui a t donne par Dieu et quelle fait partie intgrante de la cration, elle doit aussi participer au salut. - Laffirmation du jugement dernier : puisque Dieu a cr lhomme libre et responsable de sa vie, la fin des temps, il devra rendre compte de son comportement devant le Christ qui reviendra juger les vivants et les morts. La conscience de ce jugement constitue une exhortation continuelle, adresse aux croyant, une vie selon la foi. Le jugement sera suivi dun tat dfinitif de batitude ternelle pour les lus, et dun tat similaire de damnation ternelle pour les impies. Ds la fin du second sicle (avec Tertullien), apparat galement lide dun jugement individuel et immdiat aprs la mort de la personne et la thorie dtat intermdiaire pour les mes, entre la mort et la fin des temps. - Lide de la communio sanctorum : les membres vivants et dcds du corps du Christ constituent ensemble une seule Eglise. Entre lEglise dj glorifie au ciel et lEglise encore prgrinante sur la terre, il existe une relle communion qui sexprime dans la prire des vivants pour les morts, dune part, et dans laide que ces derniers apportent par leur intercession auprs de Dieu leurs frres encore dans la chair, dautre part. Leschatologie de lge patristique sest dveloppe dans une perspective explicitement communionnelle et ecclsiale : le salut et le dsir ardent pour lui, mme sils sont prouvs distinctivement par chaque individu humain, sont toujours vus en tant qu'vnements ecclsiaux, sociaux et mme cosmiques2.
1 Les lignes qui suivent sinspirent largement des conclusions de DALEY, B.E., Op. cit., 216-224. 2 DALEY, B.E., Op. cit., 221.

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Le Royaume de Dieu est la fois dj prsent dans le monde et encore venir selon linvocation du Notre Pre, que ton rgne vienne, associe lexclamation de lapocalypse : viens, Seigneur Jsus (Ap 22, 20) ; lattente de la fin des temps est accompagne de la conviction que la ralit du Royaume est dj anticipe dans lEglise, notamment lorsquelle se runit pour leucharistie1. Au MoyenAge, leschatologie est surtout regarde la lumire de la christologie : laccomplissement de lhistoire nest autre que le rassemblement de tous les tres visibles et invisibles sous un seul chef, le Christ (Ep, 1, 10 ; cf. He 2, 8-10). A cette poque, la problmatique eschatologique commence tre systmatise mthodologiquement dans le trait De novissimis. Il prend dfinitivement la forme dune thorie des choses dernires venir : mort, jugement, ciel enfer, parousie, fin du monde. Cela conduit au sectionnement de leschatologie en deux monographies distinctes et carrment spares : lune individuelle et lune collective2. La premire est proccupe par le sort dernier de chaque personne humaine : sa mort, son jugement individuel qui suit immdiatement et, finalement, leffet de ce jugement lui aussi immdiat le ciel (ou, temporairement, le purgatoire) pour les justes et lenfer pour les impies. La perspective individualiste domine leschatologie mdivale. Elle est troitement lie avec la conception du salut envisag essentiellement comme une affaire personnelle de chaque croyant ; mme si lon se sauve comme membre de lEglise, chacun est responsable pour soimme et doit faire son propre salut. Ceci aboutit une trs forte moralisation de la problmatique eschatologique, car le sort ultime de la personne dpend essentiellement de la qualit de sa conduite morale lors de sa vie dans ce monde3. La branche collective de cette eschatologie, traite des ultimes, cest dire de la fin du monde, de la parousie, de la rsurrection des morts, du

VAN PARYS, M., LEglise et le Royaume de Dieu. Quelques tmoignages des Pres de lEglise , Irnikon LXXVI (1/2003), 47-63. 2 LANE, D., Eschatology , The New Dictionnary of Theology, Dublin, 1987, 329342. 3 La constitution Benedictus Deus (29. 01. 1336) est un bon exemple dune eschatologie dveloppe dans la perspective de laccomplissement de lme individuelle et fortement moralisatrice (DS, 1000-1002).

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jugement dernier et de lavenir eschatologique des gens. Mme ici pourtant il sagit moins dun salut collectif de la communaut des croyants que de la somme des saluts individuels des personnes qui se retrouvent ensemble dans le Royaume des cieux, aprs y tre parvenues par des chemins spars. De manire gnrale, la dimension ecclsio communionnelle du salut est peu dveloppe dans la rflexion eschatologique du MoyenAge. Il convient de relever encore qu cette poque, le salut est regard essentiellement comme une ralit situe dans le future : quil sagisse de son aspect individuel ou collectif, il est toujours venir, soit aprs la mort de la personne, soit la fin des temps. Dans le sicle prsent, il napparat que comme une attente et un dsir qui doivent guider et stimuler la vie du fidle dans le monde. Lide de lanticipation effective des ralits eschatologiques dans lEglise en gnral et dans les sacrements en particulier prsente dj dans leschatologie patristique et fortement souligne notre poque par Vatican II et la thologie postconciliaire est quasiment absente de la rflexion mdivale. Dans cette perspective, leucharistie, par exemple, est davantage le pain de la route que lavant-got du ciel. Par contre, les aspects apocalyptiques de leschatologie sont longuement dvelopps, et en dtails, au MoyenAge. Les images bibliques lies la fin du monde le retour du Seigneur dans la majest de sa gloire, le jugement des hommes par un tribunal cleste, la magnifique batitude des lus au ciel et les terribles souffrances des damns aux enfers, etc. constituent des prmisses de toute une culture eschatologique de lpoque. Cette imagerie, trs suggestive, a profondment travaill la conscience des chrtiens du MoyenAge. Elle est pleinement opratoire dans la pastorale, quil sagisse des prdicateurs exhortant au repentir et la conversion sous la menace des tribulations ternelles dans le cas contraire, ou de la pratique des indulgences et des messes offertes pour les morts, afin de les soulager et de raccourcir les preuves du purgatoire. Elle constitue une inspiration prise des musiciens, qui dans des notes glacer le sang, rendent lambiance terrifiante du Dies irae, ainsi que des peintres et sculpteurs qui sur la toile ou dans la pierre, ternisent pour que personne ne loublie ! le Jugement Dernier, un thme de prdilection des artistes de lpoque. Les thmes apocalyptiques sont galement exploits par la littrature qui en use tantt pour difier, tantt pour effrayer les lecteurs, tantt pour crer des environnements pittoresques pour des vnements et des protagonistes
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fantastiques. Si ce courant apocalyptique se maintient dans la culture bien au-del du MoyenAge (pratiquement jusquaux temps modernes), il sestompe pourtant dans la thologie. Avec la fin de lpoque des cathdrales gothiques, dont les cimes leves faisaient tourner les regards des fidles vers le ciel, nous assistons un dclin progressif de la problmatique eschatologique dans la thologie en gnral et dans lecclsiologie en particulier. Cette tendance se renforcera encore avec la Rforme. La conception bellarminienne de lEglise, devenue dominante dans lecclsiologie catholique lpoque postridentine, tait centre sur la constitution terrestre de lEcclesia Militans et proccupe surtout de laffermissement de ses structures de visibilit. De ce fait, elle parlait peu de la dimension eschatologique du mystre ecclsial1. Mme lorsque des thmes eschatologiques apparaissent dans les crits des thologiens, cest plutt comme de simples reprises des visions moyengeuses, sans vritable approfondissement ni innovation. Cet tat de choses sest prolong pratiquement jusquaux temps modernes. Le renouveau moderne de leschatologie na commenc qu la fin du 19me sicle en Allemagne, et cest dabord du ct protestant2. J. Weiss, dans son livre sur le Royaume de Dieu dans la prdication de Jsus3, a attir lattention des thologiens sur le fait que la proccupation eschatologique tait au cur de lenseignement du Christ et de la vie de la premire Eglise ; il lanait ainsi un intrt nouveau pour cette problmatique dans la rflexion thologique. En suivant cette intuition, Barth dira, trente ans plus tard, que le christianisme qui nest pas entirement et totalement eschatologique na rien voir avec le Christ4.

Sans oublier pour autant que le cardinal Bellarmin lui-mme a consacr tout un volume de son De controversiis aux trois tats (gradus) de lEglise. Toutefois, le contexte historique ne favorisait pas le dveloppement de leschatologie et le trait De novissimis est rest la marge de lintrt des thologiens catholiques de lpoque (voir sur ce sujet, JOURNET, LEglise du Verbe Incarn, t. 2., 61+). 2 Pour une prsentation des positions contemporaines voir, MOLTMANN, J., La venue de Dieu. Eschatologie chrtienne, coll. Cogitatio Fidei 220, Paris, Cerf, 2000, 19-69 (En plus des thologiens chrtiens des diverses Eglises, lauteur y ajoute des auteurs juifs du courant messianique). 3 WEISS, J., Die Predigt Jesus von Reiche Gottes, Gttingen, 1892 (tr. an., Jesus Proclamation of the Kingdom of God). 4 BARTH, K., Der Rmerbrief, Mnchen, 1922 (tr. an., The Epistel to the Romans, London, 1933, tr. fr. LEptre aux Romains, Genve, 1972). Nous citons daprs la

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La mme ligne est suivie par Bultmann1, Pannenberg2 et Moltmann3. Ces thologiens du renouveau eschatologique rexaminent surtout les donnes scripturaires au moyen de nouvelles mthodes dinterprtation et en tirent des conclusions thologiques et des applications existentielles. Un trait particulier de cette nouvelle eschatologie est sa perspective temporelle : le salut, qui a culmin dans le Christ nest pas une musique davenir mais une ralit existentielle qui sopre dans notre vie de tous les jours ; justifis par la foi en Christ, ds maintenant, nous exprimentons la ralit cleste du salut par mode danticipation. La libert nouvelle confre aux croyants par la justification, est dj leschaton ralis dans le prsent, une irruption relle de leschatologique dans le temporel, de lternel dans lhistorique. En mme temps, la propagation de cette ralit eschatologique dans le monde est prsente comme une responsabilit des chrtiens ; ce sont eux qui doivent la rendre identifiable dans le prsent, en tre une re prsentation temporelle4. Regard sous cet angle existentiel, le Royaume des cieux se rvle davantage comme une ralit sociale qui concerne les relations entre les hommes, une faon spcifique, inspire de lvangile du Christ, de vivre les uns avec les autres dans le monde, que comme une ralit mystique se trouvant seulement dans le cur de lhomme. Ainsi, non seulement la prsence actuelle de ce Royaume dans le maintenant du monde, mais aussi sa dimension communautaire et communionnelle sont accentues. Dans un horizon proprement

traduction anglaise, p. 314: Christianity that is not entirely and altogether eschatology has entirely nothing to do with Christ. 1 BULTMANN, R., Geschichte unt Eschatologie, Tbingen, 1958 (tr. fr., Histoire et eschatologie, coll. Foi vivante, Neuchtel, 1969). 2 PANNENBERG, W., Le salut chrtien: unit et diversit des conceptions travers lhistoire, coll. Jsus et JsusChrist 66, Paris, 1995. 3 MOLTMANN, J., Theologie der Hoffnung : Untersuchungen zur Begrndung und zu den Konsequenzen einer christlichen Eschatologie, Mnchen, 1966 (tr. an., The Theology of Hope: on the ground and the implications of a Christian eschatology, London, 1967 ; tr. fr., Thologie de lesprance : t.1, Etudes sur les fondements et les consquences dune eschatologie chrtienne, Paris, Mame, 1970 ; t.2, Dbats, coll. Cogitatio Fidei 70, Paris, Cerf, 1973) ; Trinitt und Reich Gottes : zur Gotteslehre, Mnchen, 1980 (tr. fr., Trinit et Royaume de Dieu: contribution au trait de Dieu, coll. Cogitatio Fidei 123, Paris, Cerf, 1984) et Das Kommen Gottes, Gtersloh, 1997 (tr. fr., La venue de Dieu. Eschatologie chrtienne, coll. Cogitatio Fidei 220, Paris, Cerf, 2000). 4 MOLTMANN, J. La venue de Dieu, 22-31.

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eschatologique, cestdire relatif la fin des temps, cette approche permet de voir lavnement dernier du Christ moins comme une heure du jugement dernier que comme une heure de la rconciliation universelle1. La redcouverte prconciliaire de leschatologie par les thologiens catholiques et son intgration progressive dans lecclsiologie sont dues, pour une grande partie, au contact avec cette thologie protestante de la premire moiti du 20me sicle. Du ct catholique, cest surtout K. Rahner2 et J.B. Metz3 qui ont t les instigateurs les plus importants du renouveau eschatologique. A linstar de leurs collgues protestants, ils construisent leur ecclsiologie dans la perspective du dessein divin du salut qui se ralise dj dans lactualit du monde prsent, et dont laccomplissement ternel se prpare ds ici-bas dans et par lEglise. En elle, la perspective ternelle et la perspective historique se rencontrent et se croisent : grce lEglise, lavenir ternel et transcendant lavnement du Royaume de Dieu se faonne dj travers le prsent temporel et immanent lhistoire. Toute en affirmant la distinction entre le prsent historique et leschaton transcendant, cette nouvelle tendance dans leschatologie catholique prsente lEglise comme une anticipation temporelle de lavenir eschatologique du monde4. Ainsi, lhistoire du monde apparat clairement comme une histoire du salut, tourne entirement vers lvenir qui commence advenir. Cette historicisation de leschatologie a permis aux thologiens catholiques dintgrer pleinement la problmatique du Royaume dans lecclsiologie et de valoriser sa dimension communionnelle. La koinnia des fidles, vcue au sein de la communaut ecclsiale, est prsente comme un signe annonciateur de la koinnia ternelle du Royaume eschatologique et, en mme temps, comme une voie qui y

Cette ide est dveloppe notamment par Moltmann. Elle se dessine dj dans la Thologie de lesprance mais est systmatiquement prsente dans La Venue de Dieu, Eschatologie chrtienne (288-311). 2 RAHNER, K., Le chrtien et la mort, coll. Foi vivante 21, Paris, 1966 ; Ecrits thologiques, t. 3 : Mort, 1963 ; t. 4 : Rsurrection de la chair, Paris, 1966 ; t. 10 : Achvement du monde, Paris, 1970. 3 METZ, J.B., Zur Theologie der Welt, Mnchen, 1968 (tr. fr., Pour une thologie du monde, coll. Cogitatio Fidei 57, Paris, Cerf, 1971). 4 ESPEJA, J., Eschatologie et thologie politique , dans Leuba, J.L. (d.), Temps et Eschatologie. Donnes bibliques et problmatiques contemporaines, Paris, Cerf, 1994, 287-310 (290).

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conduit. En effet, le Royaume des cieux apparat dj en ses prmices sur la terre chaque fois que des hommes, anims par la foi en Christ, semploient incarner cet idal en vivant en communion les uns avec les autres1. Toutefois, le Royaume demeure une ralit essentiellement cleste dont la pleine ralisation ne se compltera quavec le retour du Seigneur. Cest pourquoi, la communion terrestre de lEglise nest pas le but en soi mais un signe prophtique de la communion eschatologique du Royaume, et une voie qui y conduit. En effet, lEglise vise toujours le salut ternel de lhomme et non pas un salut terrestre. Ces tendances nouvelles, ont t assimiles par la doctrine conciliaire qui sen est largement inspire. Toutefois, ce nest pas uniquement la thologie qui a dtermin le type deschatologie dvelopp par le concile ; la situation socioculturelle de son poque y a aussi laiss son empreinte ; de mme, lpoque actuelle, la situation du monde exerce son influence sur la rception des donnes conciliaires. 3.3.3. Leschatologie et le contexte socioculturel Pour une meilleure apprciation de leschatologie conciliaire aujourdhui, il semble utile de relever la diffrence du contexte culturel entre la socit moderne du temps du concile et la socit informatique actuelle.

Cette tendance communionnelle, que le concile accentuera, sera par la suite radicalise dans la thologie sudamricaine de la libration qui en proposera une interprtation politique. Selon les thologiens de la libration, la croissance du Royaume est un processus qui se ralise historiquement dans la libration sociale des pauvres et des laissspourcompte de la socit. Le salut ou le Royaume de Dieu devient ralit l o les hommes sont capables de sasseoir autour dune table commune pour partager , o surgit un monde nouveau o lgalit, la libert et la dignit de tous les hommes , la promotion de tous les peuples , une partie des frres , constitue le vcu (ESPEJA, J., Op. cit., 287-310, citation, 295 ; cf. PINTO DE OLIVEIRA, C.J., Conception du salut dans la thologie de la libration , dans Leuba, J.L. (d.), Le salut chrtien, coll. Jsus et JsusChrist 66, Paris, Descle, 211-230). Sans vnements historiques librateurs, il nexiste pas de croissance du Royaume (GUTIERREZ, G., Thologie de libration, Bruxelles, 1974, 186). Toutefois, cette libration terrestre qui vise le bien commun de tous les membres de la socit humaine, ne sarrte pas ce but social mais va au-del : en tant quune anticipation de la communion totale du Royaume, elle annonce la libration dfinitive, intgrale, complte et ternelle laquelle les hommes rconcilis entre eux et avec Dieu participeront la fin des temps. Ainsi, la perspective ultime de la thologie de la libration est foncirement eschatologique car son but est la communion parfaite du Royaume des cieux venir.

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Lun des traits caractristiques de la modernit est une tendance trs affirme lindividualisme qui gnre chez lhomme un sentiment fort daltrit par rapport aux autres. Pouss par lambiance gnrale qui rgne dans la culture, cet homme voudrait tre un tout autre des autres, vivre savielui, diffrente de la vie des autres, se sentir un individu en dehors (et non pas au milieu) des autres individus. Les hautes valeurs humanistes mancipation, libert, autonomie ont ainsi t dtournes bien souvent du droit chemin duniversalit et de solidarit, pour conduire la prolifration dun modle goste dhomme : unindividu poursoi qui vit une vie sans se proccuper des autres, qui cherche son bonheur soi et, souvent, contre les autres. Lune des raisons de cet tat des choses semble avoir t le manque de perspective eschatologique dans les principaux courants philosophiques de cette poque avec, en tte, le matrialisme et lexistentialisme, proccups essentiellement du prsent. Cet individualisme exagr et ce manque douverture laudel ambiants se conjuguent avec la culture de consommation, elle aussi caractristique de la modernit. Dans ce contexte socioculturel, lhomme moderne, mme croyant, vit pour satisfaire ses besoins daujourdhui terrestre, sans proccupation du demain eschatologique. Plong dans un monde du prsent sans fin, il se proccupe principalement de la ralit immdiate dans laquelle se passe sa vie quotidienne, sans prendre en considration sa vocation ternelle. Conscient de cette situation socioculturelle de son poque, le concile a voulu largir lhorizon de la vie des hommes en lui apportant une perspective eschatologique. Il est important de remarquer, cet gard, que les affirmations les plus importantes sur leschatologie se trouvent non seulement dans la constitution dogmatique sur lEglise mais galement dans la constitution pastorale Gaudium et Spes (surtout GS, 38-39). Mme sil est toujours prmatur de porter un jugement sur lactualit qui nous concerne directement, il semble pourtant que lhomme de lpoque informatique ait une conscience plus aigu dinterdpendance gnrale des hommes. Grce aux techniques modernes dinterconnexion et dintercommunication, cet homme a un sens fort de la multiplicit des relations : sociales, politiques, conomiques, culturelles, etc. qui influencent, voire dterminent sa vie. Lhomme daujourdhui est un

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interhomme qui constitue un lment connect aux autres lments dans une constellation universelle dintersocit1. La situation actuelle favorise galement la prise de conscience de lunit du temps qui se dploie selon une logique dinterconnectivit des vnements passs, prsents et futurs. Les hommes sont sensibles au fait que le monde dans lequel ils vivent est une ralit dynamique, en devenir permanent, qui volue selon la logique cause effet soumis un rgime de changements continuels et rapides, dans tous les domaines de lexistence. Dans cette perspective, il apparat avec force que le prsent est une fonction dhier qui la cr et quil existe en fonction du demain quil est en train de crer. Cette perception du temps se caractrise par un sens de continuit entre le dbut et la fin o lavenir apparat comme tant quelque chose crer et non pas seulement attendre. Ce changement culturel constitue, nous semble-t-il, un cadre propice pour une rception fructueuse de leschatologie conciliaire. Il permet de comprendre plus facilement lunit de lhistoire qui se droule entre la cration considre comme son point de dpart et la parousie considre comme son point darrive, avec, au cur, lavnement du Christ. Ceci permet de prendre plus facilement conscience de la solidarit du destin que partagent les hommes, dans un monde qui sachemine infailliblement travers le temps vers son accomplissement final, selon la volont de Dieu2. Le Christ a dj sauv le monde et, de ce fait, toute la ralit prsente porte in mysterio une bribe du monde venir vers lequel elle tend. Ainsi, le rle fondamental de leschatologie nest pas celui de prvoir les vnements futurs mais celui de mettre dans la perspective de laccomplissement dfinitif de lhistoire le potentiel actuel contenu dans le monde et dans lhomme, pour quils arrivent leur plnitude selon le projet divin.

Entre les 10 et 12 dcembre 2003 sest tenu Genve le premier Sommet Mondial sur la Socit de lInformation. Il a rvl cette particularit de notre culture actuelle caractrise par linterdpendance mutuelle des hommes dans un monde de plus en plus structur par toutes sortes dinterconnections (www.itu.int/wsis, 20 01 2004). 2 And whether or not it is clear to you, no doubt the universe is unfolding as it should (ERHMANN, M. [poet], Desiderata). Des thologiens contemporains conoivent parfois Dieu comme une Force de contrle sur le monde (God as Controlling Power) qui veille ce que lunivers suive sa destine ultime malgr les vicissitudes de lhistoire (COBB., J.B. & GRIFFIN, D.R., Process Theology : An introductory exposition, Belfast, 1967, 119).

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La situation socioculturelle de la socit informatique actuelle permet de relever plus facilement lactualit de leschatologie. Comme la soulign le concile, la proccupation eschatologique de lEglise ne peut pas la dtourner de la vie actuelle du monde mais, bien au contraire, elle doit apporter une nouvelle intensit au dialogue de lEglise avec le monde (GS, 4, 5, 6, 36, 62). De nombreux thmes dactualit se dessinent ainsi dans le champs de leschatologie : le combat pour un monde meilleur dans la perspective du Royaume venir, la signification de la solidarit actuelle dans la perspective de la rsurrection gnrale des hommes lorsque le temps parviendra sa plnitude, lunit de la personne humaine et la signification de la rsurrection du corps, lcologie et la conception eschatologique de nouvelle cration, et dautres1. Cependant, il est important de ne pas oublier que leschatologie va audel de la ralit actuelle ; elle reprsente le stade final et dfinitif de lhistoire du monde qui ne saccomplira que dans le sicle venir. Ds prsent, lEglise est en ce monde une force eschatologique qui le transforme selon le dessein ternel du salut ; elle reflte lidal du Royaume cleste, sans pour autant le raliser pleinement. Cest pourquoi, il est important de relever comment le rapport entre ce Royaume eschatologique venir et lEglise actuelle se prsente la lumire de la doctrine conciliaire. 3.3.4. LEglise et le Royaume entre identification et distinction Nous ne pouvons pas nous attarder ici en dtails sur lensemble de la question, toujours discute par les thologiens, de la relation de lEglise avec le Royaume de Dieu : pendant que certains sont davis que lEglise est dj le Royaume de Dieu dans le monde2, dautres estiment quil est
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LANE, D., Eschatology , The New Dictionnary of Theology, Dublin, 1987, (329342), 339-342 (Dans un dveloppement court mais fort intressant lauteur esquisse quelques thses gnrales pour une eschatologie chrtienne la mesure de notre poque. Sa vision se caractrise par linsistance sur le caractre dynamique de lhistoire, par une conscience aigu de linterdpendance de tous les lments dans le cosmos et par laffirmation claire du caractre communionnel du salut). 2 JOURNET, Ch., LEglise du Verbe Incarn, vol. 2, coll. uvres compltes de Charles Journet, Editions SaintAugustin, 1999, 11 (o lauteur affirme que le nom Royaume de Dieu est un synonyme ct dautres [corps du Christ, cit de Dieu, communion des saints] du nom Eglise), 148-149 et 159-160 (o il lexplique) et 189-201 (o il fait une

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incorrect didentifier la premire au second1. De mme, si certains affirment que le Royaume est une ralit eschatologique stricto sensu, cestdire quil na pas de lien direct avec ce monde2, dautres, au contraire, lui refusent tout caractre eschatologique et le considrent comme une situation existentielle de lhumanit raliser dans ce monde3. Lenseignement catholique contenu dans les documents officiels carte ces positions extrmes, en concevant le Royaume comme tant la fois une ralit venir la fin des temps et dj prsente dans le monde actuel, et dont les prmices se trouvent dans lEglise sans quelle soit pour autant entirement identifiable au Royaume4. Pour une apprhension correcte de leschatologie catholique,

critique des positions opposes) ; SCHOENBORN, Ch., LEglise de la terre, le Royaume de Dieu et lEglise du Ciel , dans Laubier, P. de (d.), Visage de lEglise. Cours decclsiologie, Fribourg, 1989, 169-189. Lauteur cite plusieurs opinions de thologiens catholiques qui vont dans le sens de lidentification de lEglise avec le Royaume, ainsi que des tmoignages patristiques pour soutenir cette thse. En effet, bien des Pres de lEglise, des thologiens mdivaux et des Rformateurs du 16me sicle montrent souvent la tendance identifier le Royaume de Dieu sur terre avec lEglise. Lampe tablit que les pres grecs sont plus nuancs sur ce point que les pres latins (LAMPE, G., Some notes on the Significance of basyleia tou Theou et basyleia Chrystou in the Greek Fathers , in JThS 49/1948, 58-73). Saint Thomas affirme parfois lidentit entre lEglise et le Royaume (THOMAS D'AQUIN, IV Sent., dist. 49, qu. 1, a. 2, quest. 5 ; Expos. In Matth., III, 1). 1 Cette position est communment tenue aujourd'hui par la plupart des exgtes qui affirment pourtant qu la lumire des donnes bibliques il serait aussi incorrect dintroduire une sparation radicale o une opposition entre lEglise dune part et le Royaume de Dieu dautre part. Sur la conception biblique du Royaume, voir, VIVIANO, B.T., The Kingdom of God in the New Testament , dans Trinity Kingdom Church. Essays in Biblical Theology, coll. Novum Testamentum et Orbis Antiquus 48, Fribourg, 2001, 136-184 (nous y trouvons galement une bibliographie slective contenant plusieurs ouvrages de rfrence sur le sujet). 2 Cette approche caractrise par exemple leschatologie atemporelle de Barth expose dans son commentaire de lptre aux Romains (BARTH, K., Der Rmerbrief, Mnchen, 1922 ; tr. fr. LEptre aux Romains, Genve, 1972). 3 Cest la thse fondamentale de CARMIGNAC, J., Le mirage de lEschatologie. Royaut, Rgne et Royaume de Dieu sans Eschatologie, Paris, 1979. 4 Sans aucun doute, lEglise nest pas le Royaume de Dieu. Mais elle est, dans la varit de ses formes, en tant quentit sociale empirique, le peuple de ce Royaume, qui en atteste lavnement et en attend laccomplissement (KUHN, U., Eglise , dans Dictionnaire critique de thologie, LACOSTE, J.-Y., sous la direction de, PUF, 1998, 376). Sur lhistoire de linterprtation de la notion de Royaume dans lEglise, voir, VIVIANO, B.T., Le Royaume de Dieu dans lhistoire, coll. Lire la Bible, Paris, Cerf,

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il savre donc ncessaire dvoquer ici la problmatique du Royaume et de cerner plus exactement la position catholique. 3.3.4.1. Perspective scripturaire Le langage biblique relatif leschatologie est celui des symboles, des allgories et des mtaphores1. Limage eschatologique la plus importante et la plus frquente dans lenseignement du Christ est celui de Royaume de Dieu (ou des cieux)2. Cest pour proclamer lavnement de ce Royaume que le Christ est venu dans le monde (Mt 4, 23 ; Lc 4, 43 ; 8, 1, etc.). Le Royaume (ou le Rgne)3 de Dieu donne lorientation de tous les enseignements de Jsus lors de son ministre terrestre4. Afin de prsenter ses interlocuteurs, de manire accessible, divers aspects de ce Royaume et les conditions dy participer, Jsus se sert souvent de paraboles qui sont souvent introduites par la formule : le Royaume des cieux est semblable , comparable . La mention explicite des cieux souligne son caractre eschatologique5. Dans la prdication du Royaume par le Christ, il sagt dune ralit qui est dj l. Il annonce ses interlocuteurs : le Royaume est arriv jusqu vous (Lc 11, 20 ; Mt 12, 28), il est au milieu de vous (Lc 17, 2021). Conformment aux vangiles, lavnement du Christ apparat comme linauguration de lre eschatologique dans lhistoire du monde

1992 ; WILLIS, W. (ed), The Kingdom of God in 20thCentury Interpretation, Peabody, Mass., 1987. 1 LANE, D., Eschatology , 330. 2 Basileia tou thou et Basileia ton ouranon sont des formules quivalentes. Les textes contenant une de ses expressions sont abondants dans le Nouveau Testament : 121 fois dans les synoptiques ; 8 fois dans les Actes ; 33 fois dans le reste du Nouveau Testament (cf. RIGAUX, B., Le mystre , 234). 3 Certains exgtes introduisent la distinction entre les termes Royaut, Rgne et Royaume. Toutefois, cette distinction nest pas significative pour notre propos car dans tous les cas il sagit dune nouvelle ralit existentielle que Jsus annonce et quil est venu tablir sur la terre. Cette distinction est lune des propositions de base dans CARMIGNAC, J., Op.cit. 4 Bien des tudes ont t consacres la problmatique du Royaume dans lenseignement de Jsus ; titre dexemple, SCHLOSSER, J., Le Rgne de Dieu dans les dits de Jsus, Paris, Gabalda, 1980 ; LUNDSTRM, G., The Kingdom of God in the Teaching of Jesus, Londres, Oliver and Boyd, 1963. 5 Cest notamment Matthieu qui sen sert dans ses paraboles tandis que les autres vanglistes emploient habituellement lexpression Royaume de Dieu.

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o le Royaume de Dieu crot ds maintenant. Ses miracles sont moins des gestes de bont envers certaines personnes que des signes de la plnitude de temps et de la ralisation effective du Royaume des cieux sur la terre des hommes. Ds prsent, nous vivons dans les temps qui sont les derniers (1Co 10, 11). Le Royaume nest pas quelque utopie savourer au ciel tout lheure, mais lavenir voulu par Dieu pour lhumanit1. Ceux qui portent des fruits du Royaume forment la Jrusalem den haut (Ga 4, 26) qui est la mre des croyants et qui descend du ciel sur la terre. LEglise apparat ainsi comme un on de la puissance eschatologique de Dieu, une manation du Royaume des cieux dans lhistoire grce laquelle le Seigneur exerce son action salvifique sur le monde. Cependant, ce Royaume est aussi annonc comme une ralit future, cestdire eschatologique dans le sens strict du mot, pour la venue de laquelle les disciples de Jsus doivent prier (Mt 6, 10). Nous sommes ainsi dans la logique du dj et pas encore, ce qui nous fait comprendre que ce Royaume est un mystre qui sest dj manifest dans la personne et luvre du Christ et qui est actuellement luvre dans le monde grce son Eglise, mais dont la pleine ralisation nest pas encore acquise. La cration nouvelle, dont les croyants font partie, germe dj au sein de ce monde (2Co 5, 17) mais elle saccomplira seulement la fin des temps, lorsque toutes choses, clestes comme terrestres, seront ramenes sous un seul Chef, le Christ (Ep 1, 9-10). Ce sera le temps de la restauration universelle (Ac 3, 21), lorsque les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Pre (Mt 13, 43). Dans ce Royaume, tabli pour lternit, une foule immense des lus venant de toute nation, race, peuple et langue et que nul ne pourra dnombrer, se tiendra, revtu de la saintet, en prsence du Seigneur (Ap 7, 9). Jsus affirme que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin dans le Royaume des Cieux (Mt 8, 11). La dimension communautaire est inhrente la conception biblique du Royaume ; elle est explicitement affirme dans limage de banquet eschatologique et perce clairement dans diverses paraboles de Jsus, notamment chez Matthieu. Ainsi, tel que le Christ nous la rvl, le Royaume eschatologique se prsente comme la koinnia des lus avec Dieu et entre eux.

VIVIANO, B.T., Le Royaume, 42.

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Ce Royaume est destins tous les hommes qui doivent tre invits au festin prpar par le Seigneur. Cest pourquoi, Jsus envoie ses disciples en mission pour le proclamer dans le monde, la face de toutes les nations (Mt 24, 14 ; Mt 10, 7). Son tablissement et sa prolifration dans le monde sont lis lEglise et la fonction ptrinienne ; au moment de dclarer Pierre quil allait fonder sur lui son Eglise, Jsus lui a promis les clefs du Royaume des cieux (Mt, 16, 18-19). La plupart des exgtes sont aujourdhui davis que les textes bibliques ne permettent pas une simple identification de lEglise avec le Rgne de Dieu, mais ils reconnaissent que grce lEglise, le Royaume, inaugur par le Christ, se dilate dj mystrieusement dans le monde pour atteindre sa plnitude eschatologique la fin des temps. 3.3.4.2. Perspective conciliaire Cette orientation biblique, qui distingue lEglise du Royaume sans pour autant sparer lun de lautre, est suivie par la doctrine conciliaire et le Magistre postconciliaire de lEglise1.
Redemptoris missio, 18-20 ; CEC, 669 ; Dominus Iesus, 4, 18-19. Toutefois, parmi les thologiens, il ny a pas lunanimit concernant lapprhension de la doctrine conciliaire du rapport entre lEglise et le Royaume. Il est vrai que le concile demeure peu prcis sur cette question particulire et permet des interprtations diverses. Certains estiment que le concile se situe dans la ligne de lecclsiologie catholique traditionnelle marque par la tendance identifier lEglise au Royaume de Dieu sur terre ; dautres, par contre, pensent que le concile veut souligner la distinction entre les deux ralits et, pour cette raison, prsente lEglise comme le sacrement du Royaume. Linterprtation de type sacramentel du lien entre lEglise et le Royaume doit pourtant faire face lobjection que lexpression sacrement du Royaume napparat nulle part dans luvre conciliaire pour dsigner lEglise (SCHOENBORN, Ch., Op. cit., 179). Toutefois, la Commission Thologique Internationale estime qu la lumire de la doctrine conciliaire, il est thologiquement justifiable et correct dattribuer lappellation sacrement du Royaume lEglise (CTI, Textes et Documents, 362). La Congrgation pour la Doctrine de la Foi statue qu partir des textes bibliques et des tmoignages patristiques, comme des documents du Magistre de l'Eglise, on ne dduit une acception univoque ni pour Royaume des Cieux, Royaume de Dieu et Royaume du Christ ni pour leur rapport avec l'Eglise, elle-mme mystre irrductible un concept humain. Diverses explications thologiques peuvent donc exister sur ces problmes. Cependant, aucune de ces explications possibles ne doit refuser ou rduire nant le lien troit entre le Christ, le Royaume et l'Eglise. En effet, le Royaume de Dieu tel que nous le connaissons par la Rvlation ne peut tre spar ni du Christ ni de l'Eglise (Dominus Iesus, n18). La Congrgation rappelle que les thses qui nient l'unicit de rapport du Christ et de l'Eglise avec le Royaume de Dieu sont contraires la foi catholique (Dominus Iesus, n19).
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Selon la constitution Lumen Gentium, lEglise est 1e Royaume du Christ dj prsent sous une forme mystrieuse (LG, 3). Cette formule Ecclesia, seu regnum Christi iam praesens in mysterio suggre une interprtation sacramentelle du lien entre les deux ralits : sans sidentifier pleinement au Royaume, lEglise ne lui est pourtant pas trangre car elle constitue, sur terre, son germe et son commencement (LG, 5). En tant que sacrement, lEglise est dans le monde la prsence relle et effective du salut ; elle est le signe et linstrument du Royaume eschatologique qui, par son action, se dilate dj au sein de lhumanit la manire dun mystre ; grce lEglise, les fidles possdent dj les prmices de la gloire du ciel1. Ceux qui s'agrgent au petit troupeau du Christ, ont accueilli le Royaume lui-mme (LG, 5). Il ne sagit donc pas uniquement dun vnement future car, mystrieusement, le Royaume est dj prsent sur cette terre (GS, 39 3). En effet, ce Royaume nest pas de ce monde (Jn 18, 36) : lEglise, qui en est une anticipation historique, est dj sur la terre une ralit cleste. Elle est eschatologique de nature mme si tant quelle est encore plonge dans le temps il sagit dune ralit eschatologique ralise in mysterio. La dimension eschatologique est ainsi inhrente ltre ecclsial, justement parce que lEglise est dj en ce monde le regnum Christi in mysterio. De ce fait, mesure qu'elle grandit, lEglise aspire l'accomplissement du Royaume, elle espre et souhaite de toutes ses forces tre unie son Roi dans la gloire (LG, 5) pour recevoir en lui son perfectionnement final (LG, 9) la fin des sicles (LG, 5, cf. 3, 9, 13, 48, 68 ; GS, 39, 40 ; PO, 2 ; DV 17)2. LEglise vit dans le monde prsent eschatologiquement, cestdire tourne vers son accomplissement ultime et esseyant dincarner chaque jour davantage lidal du Royaume quelle porte en son sein, esprant devenir ce quelle est dj3. Dans sa qualit dinstrument de salut, lEglise est la fois une prfiguration de la ralit eschatologique et le moyen pour y accder ; elle est envoye dans le monde avec la mission d'annoncer et d'instaurer en toutes les nations le Royaume du Christ et de Dieu (LG, 5). Comme le dit Jean-Paul II en dveloppant la pense conciliaire, elle

SMULDERS, P., LEglise sacrement du salut , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), 313-338. 2 Cf. CTI, Textes et Documents, 359. 3 LUCMARIE du Cur Immacul, (o.c.d.), Mystre de lEglise : voici la demeure de Dieu parmi les hommes , Carmel 4 (1996), 21-43 (43).

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est la force dynamique sur le chemin de l'humanit vers le Rgne eschatologique1, la voie de la transfiguration du monde en le Royaume de Dieu. Dj munie des prmices du Royaume, lEglise porte en son sein une dynamique eschatologique2. Cest pourquoi, ce peuple messianique, s'il ne comprend pas effectivement tous les hommes et n'apparat parfois que comme un petit troupeau, n'en subsiste pas moins au sein de toute l'humanit comme un germe trs fort d'unit, d'esprance et de salut (LG, 9). Dans cette perspective, linstauration du Royaume des cieux ne doit pas tre regard uniquement comme un bouleversement ponctuel de lunivers qui se produira la fin des temps. La restauration promise que nous attendons, a dj commenc (LG, 48), dans le monde prsent grandit continuellement le corps de la nouvelle famille humaine qui offre dj quelque bauche du sicle venir (GS, 39 2-3), la ralit eschatologique commence advenir3. Lavnement du Royaume apparat ainsi comme un processus progressif qui saccomplit travers lhistoire pour sachever la parousie4. Par laction de lEglise qui est le sacrement du Royaume, la restauration eschatologique est dj en progression. Cest elle qui est la force transformatrice de la ralit prsente grce aux moyens du salut que le Seigneur lui a confis comme signes anticipateurs de la ralit eschatologique, notamment les sacrements. Quelle que soit linterprtation prcise que nous donnions la doctrine conciliaire, il est hors de doute que, pour Vatican II, lEglise est le lieu sur la terre o le Royaume eschatologique de Dieu se dploie, ds maintenant, pour saccomplir dans la gloire du ciel. Toutefois, ce qui prcde ne peut pas nous faire oublier que le Royaume de Dieu a une dimension strictement eschatologique : c'est une ralit prsente dans le temps, mais elle ne se ralisera pleinement qu' la fin

JEANPAUL II, Redemptoris missio, n20. RATZINGER, The ecclesiology of Vatican II , L'Osservatore Romano. Weekly Edition in English, 23 January 2002, 5. 3 JEANPAUL II, Redemptoris missio, n13. 4 Dans la seconde moiti du 20me sicle, cette ide a t dveloppe par la thologie du progrs. Prenant pour point de dpart la philosophie de A.N. Whitehead et C. Hartshorne, des thologiens comme Cobb et Griffin ont labor le concept deschatologie de progrs selon laquelle lhomme et lhistoire se perfectionnent graduellement jusqu parvenir au point de perfection eschatologique o le Christ reviendra (COBB., J.B. & GRIFFIN, D.R., Op. cit., (notamment 112-128).
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ou laccomplissement de l'histoire1. Le retour glorieux du Seigneur et linstauration dfinitive de son Rgne dans le monde constitueront des vnements uniques et dcisifs lachvement du temps. Cest pourquoi, le Royaume eschatologique ne sera pas une simple continuation de ce monde dans un tat perfectionn, mais sa transformation dfinitive et ternelle en une ralit qualitativement nouvelle par rapport au prsent. Il y a donc la fois la continuit fondamentale entre ce monde et le monde venir et une discontinuit radicale entre les deux situations2. Le Royaume nous apparat alors comme tant en mme temps un idal eschatologique vers lequel lEglise tend de toutes ses forces et une ralit qui saccomplit ds maintenant, de manire encore imparfaite mais relle, en Ecclesia qui en est la prfiguration eschatologique sur la terre. Selon lencyclique Redemptoris missio, qui se place pleinement dans le sillage de la doctrine conciliaire, la nature du Royaume est la communion de tous les tres humains entre eux et avec Dieu3. Cette explication concide avec la dfinition sacramentelle de lEglise comme signe et instrument de lunion avec Dieu et de lunit du genre humain (LG, 1). Dans la perspective eschatologique, la communion ecclsiale actuelle nous apparat comme oriente vers la plnitude de communion dans le Royaume des cieux qui se ralisera la fin des temps4. Ainsi, lEglise reflet de nouveaux cieux et de la terre nouvelle , dans sa vie et ses institutions qui appartiennent l're prsente, anticipe dj lternelle communion du Royaume venir (LG, 48) ; elle prfigure lunit et la paix eschatologiques ; elle constitue au sein de ce monde, dchir encore par de multiples divisions, les arrhes du monde rconcili de la fin des temps5. Cependant, mme si lEglise manifeste dj lunit dfinitive du peuple lu et la sert en la signifiant (LG, 11), la pleine ralisation de cette unit dfinitive des hommes entre eux et avec Dieu nadviendra quavec la restauration universelle de lunivers, restauration qui aura lieu lorsque le Seigneur reviendra dans sa gloire (LG, 48).

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JEANPAUL II, Dominus Iesus, 18 ; cf. LG, 9. CDF, Instruction sur certaines questions concernant leschatologie, AAS 1979, 939 ; Osservatore Romano (23 07 1979), 7-8. 3 JEANPAUL II, Redemptoris missio, n15. 4 CFD, Communionis notio, n3; cf. Ph 3, 20-21; Col 3, 1-4; LG, 48. 5 Mundus reconciliatus, Ecclesia (AUGUSTIN, Sermon 96, 7, 8 ; PL 38, 588).

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Vatican II offre une approche communionnelle des ralits eschatologiques : lhomme sauv vit en communion avec la sainte Trinit et avec tous les lus1. Dans le Royaume des cieux qui sera tabli ternellement au retour glorieux du Christ, les sauvs dans leur corps restaur par la rsurrection vivront dans une parfaite harmonie avec Dieu, entre eux et avec la cration tout entire. Selon le dessein salvifique de Dieu, tous les hommes sont appels participer cette communion eschatologique ; lun des traits essentiels du Royaume est son caractre universel qui concide avec luniversalit de lEglise. Il en dcoule luniversalit de la mission de lEglise, envoye pour rpandre la bonne nouvelle du salut parmi toutes les nations et faire crotre, ds maintenant, le Royaume des cieux sur la terre2. Cest parce quelle est un signe et un instrument de luniverselle communion du Royaume des cieux que lEglise est envoye vers tous les peuples de la terre, pour en faire des disciples et leur ouvrir la voie de cette communion. Ainsi, la mission de lEglise dans ce monde jouit dune dimension eschatologique inhrente, car son but est de conduire tous les hommes la parfaite koinnia du Royaume venir. *** Sans pouvoir apprhender de manire exhaustive le mystre du Royaume qui est dj l et toujours venir, le concile et lenseignement doctrinal postconciliaire de lEglise nous incitent prendre conscience de la situation eschatologique du monde prsent qui attend, dans les douleurs de lenfantement, la terre nouvelle et les cieux nouveaux (2P 3, 13 ; Ap 21, 1). Lavenir vers lequel se dirige le monde sous limpulsion de lEsprit-Saint et dont lEglise est un signe et un instrument, est celui de plnitude de la koinnia dans le Royaume ternel des cieux qui se ralisera lorsque le Seigneur reviendra dans sa gloire. 3.3.4.3. Applications existentielles dans le contexte social En tant que thorie des choses ultimes, leschatologie est proccupe, en premier lieu, de la fin des temps, de laccomplissement de lexistence

Comme le dit Ratzinger, le ciel ignore lisolement, il est ce nouvel espace que constitue le corps du Christ, communion des saints (RATZINGER, J., La mort et laudel, Paris, Fayard, 19792, respectivement 254 et 256) ; Cette vie parfaite avec la Trs Sainte Trinit, cette communion de vie et damour avec Elle, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux est appele le ciel (CEC, 1024). 2 JEANPAUL II, Redemptoris missio, n13-14.

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humaine et la situation dfinitive de lhomme et du monde. Cependant, conformment aux enseignements de Jsus (Mt 25, 31+), le sort ultime de lhomme est intrinsquement li sa vie dans ce sicle : lternit se cre tous les jours pour sachever la fin des temps. Dans cette perspective de foi, le prsent acquiert une valeur eschatologique, et loption eschatologique, adopte par lhomme pour le guider travers sa vie, revt son tour des implications existentielles trs concrtes : les choix quotidiens de lhomme, sa manire dtre dans le monde, sa faon de se comporter envers les autres hommes et envers la cration, dpendent de lobjectif ultime quil poursuit durant sa vie1. Ainsi leschatologie a un impact existentiel incontestable sur le type de relations que lhomme entretient avec ses semblables dans le monde ; la vie commune de toute socit est affecte et stimule par les options eschatologiques qui sy rencontrent, sy mlangent ou, peut-tre, sy opposent les unes aux autres. Il existe, de ce fait, un lien intime entre leschatologie et la vie sociale (dans le sens le plus large du mot : relations conomiques, politiques, culturelles, etc.) de toute socit et du monde. A la lumire de lesprance eschatologique qui se trouve au cur de la foi chrtienne, le disciple du Christ ne vit pas pour saccomplir dans ce monde qui passe mais en use pour atteindre son accomplissement dans le monde venir ; sa vie prsente autant dans sa dimension prive que sociale lui apparat comme une voie qui doit le conduire la plnitude dexistence dans le Royaume des cieux venir. Dune part, cette esprance eschatologique laide traverser les difficults de lexistence quotidienne2, dautre part, elle pose devant lui les exigences morales dune vie, dans le respect des prceptes du Seigneur au centre desquels se trouve le commandement de lamour. Dans la thologie prconciliaire, cette dimension existentielle de leschatologie a t essentiellement dveloppe dans une perspective individuelle, voire individualiste : chacun tait responsable de sa propre vie et appel conqurir le ciel seul, par la force de sa saintet

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ESPEJA, J., Op. cit., 289-290. Teilhard de Chardin crit que, privs de cette conscience eschatologique, les hommes seraient semblables aux mineurs qui constatent que la galerie devant eux est compltement bloque et quil nexiste aucune possibilit de schapper de la mine. Ils se sentiraient alors dsempars et perdraient toute envie dagir (TEILHARD DE CHARDIN, Science and Christ, Harper and Row, 1968, 212-213).

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personnelle ; les hommes parvenaient au salut plutt les uns ct des autres que les uns avec les autres. Dans la doctrine conciliaire et le Magistre postconciliaire de lEglise, par contre, leschatologie est dveloppe dans une perspective ecclsiale et sociocommunionnelle : ceux qui esprent de participer ensemble la communion ternelle du salut, sont appels la manifester ds maintenant en vivant en ce monde selon ses valeurs. La problmatique du Royaume se rapporte ainsi un certain type de relations que les hommes entretiennent entre eux, lintrieur des structures sociales qui les relient : savoir, les relations fondes dans le commandement de lamour (cf. Mt 22, 34-40; Lc 10, 25-28). Selon le concile, lamour est autant la loi fondamentale de la perfection humaine que la loi de la transformation du monde (GS, 38 1). Le commandement de lamour acquiert une valeur sociale, voir politique, mais toujours avec une rfrence eschatologique fondamentale car sa perspective ultime est celle du Royaume de Dieu venir. La civilisation de lamour pour linstauration de laquelle lEglise doit sengager sans cesse dans le monde, se prsente comme la prparation historique ncessaire de ce Royaume de vrit et de vie, de saintet et de grce, de justice, d'amour et de paix, que le Christ instaura de manire dfinitive la fin des temps (GS, 39 3)1. La doctrine sociale de lEglise nous en donne la structure, mais ces principes fondateurs se trouvent dans le mystre du Royaume de Dieu, tel que le Christ nous la rvl et sont eschatologiques de nature2. Dans la constitution pastorale sur lEglise, le concile prsente les engagements en faveur dun monde meilleur et plus juste, dans la perspective eschatologique du dessein divin du salut : les efforts humains, pour lhumanisation du monde ont une dimension eschatologique car ils annoncent et prparent le monde transfigur et rconcili du futur. Ceux qui renoncent l'amour-propre, se vouent au service des hommes et travaillent dans lesprit du Royaume pour rendre la terre plus humaine ; ils apprtent, ds maintenant cette terre nouvelle, lobjet de lesprance chrtienne (GS, 38 1). Le concile rappelle que nous ignorons le temps de l'achvement de la terre et de l'humanit ainsi que le mode de transformation du cosmos mais nous savons, par la rvlation, que cette
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LAUBIER, P. de, Le temps, 143. Sur une approche eschatologique de la civilisation de lamour, voir LAUBIER, P. de, Le temps de la fin des temps. Essai sur leschatologie chrtienne, coll. Sagesse chrtienne, Paris, 1994, 135-166.

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terre nouvelle sera, selon la promesse du Seigneur, une terre o rgneront la justice et la paix (GS, 39 1) valeurs fondamentales de la koinnia. Cest pourquoi, dans la perspective du Royaume, lappel du Christ la conversion nest pas uniquement une exhortation adresse aux personnes individuelles, mais galement aux socits entires ; le changement, que postule la conversion, nest pas seulement celui du cur, cest aussi celui des structures sociales qui doivent correspondre aux destines eschatologiques de lhumanit et du monde1. Ainsi se prpare ici-bas, sans pouvoir sy achever, cette vie sociale parfaite la communion ternelle du Royaume des cieux. Des documents de lEglise de ces dernires dcennies relvent rgulirement les implications existentielles du Royaume dans une perspective sociocommunionnelle, o chacun est responsable non seulement pour son propre salut mais galement pour le salut du monde entier ; lEglise est exhorte sinvestir avec ardeur, de manire ce que les valeurs du Royaume passent toujours plus largement dans la vie de toute la socit humaine. On doit donc garder en mmoire que le Royaume concerne les personnes humaines, la socit, le monde entier2. Cette valorisation actuelle de la perspective sociocommunionnelle du Royaume dans lenseignement catholique est troitement lie au changement dans la perception du salut lui-mme : tandis quavant le concile laccent tait mis habituellement sur la communion individuelle de chaque personne sauve avec Dieu, depuis le concile, le salut est conu surtout comme la participation collective de tous les sauvs la koinnia ternelle du Royaume. Dans cette conception du salut, laccomplissement eschatologique de lhomme est insr dans un contexte explicitement communionnel, qui englobe non seulement lEglise mais toute lhumanit sur laquelle saccomplira la fin du monde. Bien que la dimension individuelle du salut ne puisse absolument pas tre carte car chaque homme se connatra sauv luimme , le Royaume ne concerne pas les personnes humaines prises sparment mais dabord comme membres de lEglise, et ensuite, comme les membres de lhumanit appele tout entire au salut. Il existe
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ESPEJA, J., Eschatologie et thologie politique , dans Leuba, J.L. (d.), Temps et Eschatologie. Donnes bibliques et problmatiques contemporaines, Paris, Cerf, 1994, 287-310 (291). 2 Dominus Iesus, n19 ; cf. Redemptoris missio, n15.

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donc, entre les hommes, une solidarit de la vocation eschatologique en raison de laquelle le Royaume concerne lensemble des relations que les hommes entretiennent entre eux au sein de la socit humaine. Signe et instrument du Royaume eschatologique, lEglise est son service dans le monde. Ceci implique que, non seulement les chrtiens doivent laccueillir et le faire grandir en eux-mmes, par une vie conforme ses exigences, mais galement quils doivent travailler pour qu'il soit accueilli par les hommes et grandisse parmi eux1. De par sa vocation de sacrement du salut pour le monde, lEglise est appele rpandre les valeurs du Royaume au-del de ses frontires visibles, en aidant ainsi les hommes accueillir le plan salvifique de Dieu. Ces valeurs paix, justice, joie, fraternit, libert et bien dautres (cf. Rm 14, 17) sont ds ici-bas des anticipations existentielles de la ralit eschatologique et, par leur promotion, lEglise contribue transformer le monde prsent en une terre de communion selon le dessein de Dieu. Lattente de la terre nouvelle et des cieux nouveaux, ne doit donc jamais dtourner les chrtiens de la proccupation temporelle mais, bien au contraire, les stimuler travailler inlassablement ce que le monde volue selon les exigences du Royaume2. Ainsi, grce laction de lEglise, la koinnia du Royaume qui est encore venir grandit dj au sein de la socit humaine actuelle. Bien sr, lEglise reconnat que ces mmes valeurs peuvent galement tre vcues et promues par des non chrtiens car lEsprit souffle o il veut et comme il veut (cf. Jn 3, 8). Cependant, la dimension temporelle du Royaume, si elle ne sarticule pas avec la destin eschatologique de lhumanit selon le dessein salvifique de Dieu, restera incomplte et prive de sa vritable perspective3. En effet, cest grce cette perspective eschatologique que sont mieux perues les exigences [temporelles] d'une socit digne de l'homme, les dviations sont redresses, le courage d'uvrer pour le bien est confort4.

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JEANPAUL II, Redemptoris missio, n20. JEANPAUL II, Laborem exercens, n27. 3 PAUL Vl, Evangelii nuntiandi. Exhortation apostolique, n34. 4 JEANPAUL II, Centesimus annus, n25. A cette tche d'animation vanglique des ralits humaines sont appels, avec tous les hommes de bonne volont, les chrtiens, et tout spcialement les lacs (Ibid).

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Mme si lhumanisation de la vie des hommes dans ce monde contribue prparer ce dernier pour accueillir le Royaume, en devenir un signe et une annonce prophtique (GS, 39 2), il nen reste pas moins vrai que le Royaume de Dieu nest pas un concept sociopolitique mais un concept de foi. Il est clair, que dans la perspective de la foi, il serait erron didentifier le progrs terrestre, que les chrtiens doivent promouvoir, avec le Royaume de Dieu1. Comme le dit Jsus, son Royaume nest pas de ce monde, mme sil est dj prsent dans ce monde. Jean-Paul II explicite cette ide lorsquil dit quaucune socit politique, qui possde sa propre autonomie et ses propres lois, ne pourra jamais tre confondue avec le Royaume de Dieu2. Certes, le Royaume de Dieu implique la libration sociale, conomique, politique et culturelle de tous les hommes, mais il ne se limite pas aux ralits terrestres car son origine et sa fin ultime sont clestes ; de ce fait, mme dj prsent en ce monde in mysterio, il demeure une ralit eschatologique objet de notre dsir, dont nous attendons la pleine ralisation dans la foi3. 3.3.5. La communio sanctorum Il a t souvent dit dans ce travail, que le concile conoit lEglise comme une communion. En adoptant une ancienne tradition de lEglise, le dernier Catchisme affirme que lEglise est prcisment la communion des saints (CEC, 946). La perspective eschatologique du prsent chapitre nous permet dexaminer encore comment le concile et la thologie catholique postconciliaire peroivent un aspect important de cette communion, savoir lunit entre lEglise du ciel et celle de la terre. Selon la foi, catholique, il ny a quune seule et unique Eglise. Toutefois, sur la base de la rvlation, nous y discernons trois modes dexistence diffrentes quant la perfection de la communion : celui de lEglise terrestre (Eglise militante), dont la communion nest quune anticipation en figure de la communion du Royaume ; celui de lEglise au purgatoire (Eglise souffrante), dont la communion est dj celle du ciel mais pas encore parfaite quant son intensit ; et celui de lEglise
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JEANPAUL II, Laborem exercens, n27. JEANPAUL II, Centesimus annus, n25. 3 JEANPAUL II, Redemptoris missio, n17 ; cf. VIVIANO, B.T., The Kingdom of God, 137+.

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cleste (Eglise triomphante), jouissant dj de la plnitude de communion (LG, 49)1. Toutefois, il sagit toujours dune seule et unique Eglise et non pas de trois Eglises diffrentes. La foi en lunicit de lEglise se complte ainsi par la foi en lunit de lEglise du ciel et de la terre. Elle est exprime de manire saillante et pntrante par Nictas de Rmdiana : Aprs la profession de foi de la bienheureuse Trinit, tu dclares croire la sainte Eglise universelle. LEglise, quest-ce, sinon la congrgation de tous les saints ? Ds le commencement du monde en effet, les patriarches (), les prophtes, les martyres, et tous les justes () constituent une seule Eglise, car, sanctifis par une mme foi et une mme vie, marqus du signe dun mme Esprit, ils forment un seul corps. De ce corps, le Christ est appel la Tte. () Mme les anges, les puissances, les autorits clestes sont membres de cette unique Eglise (). Donc crois que tu dois rejoindre la communion des saints. Saches que cette Eglise une et universelle est tablie sur toute la terre ; tu dois fermement retenir sa communion2. A lintrieur de la communion ecclsiale, notre auteur situe non seulement les chrtiens vivant actuellement sur toute la terre mais galement les patriarches, les prophtes, les martyres et tous les justes du pass, ainsi que les anges, les puissances et les autorits clestes. Il conclut cette numration en affirmant que toutes ces catgories de membres constituent ensemble lEglise une et universelle communion des saints. Toute la Tradition chrtienne, dont Nictas de Rmdiana
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A lre actuelle, les adjectifs : militante, souffrante, triomphante, appartenant un langage et une ecclsiologie dpasss par Vatican II ne sont plus utiliss dans la terminologie thologique. Ces termes ont t couramment employs jusquau concile. Dans sa somme ecclsiologique Journet prcise leur signification : Tels sont les trois tats simultans de lEglise, qui lutte dans les preuves de la terre, libre ses enfants de leurs dettes en purgatoire, triomphe auprs du Christ ressuscit (JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, coll. uvres compltes, Editions StAugustin, 2000, 1900). La Commission Thologique Internationale parle des trois dimensions dans lEglise : prgrination, purification, glorification (CTI, Textes et Documents, 360) et le Catchisme de l'Eglise Catholique des trois tats de lEglise (CEC, 954+). 2 NICETAS DE REMEDIANA, Explanatio Symboli, 10 : PL 52, 851 (tr. fr. dans Verbum Caro 63 (1962), note de bas de page n1, p. 9) ; le Catchisme de l'Eglise Catholique voque ce texte dans le n 946 cit plus haut.

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nest quun tmoin parmi beaucoup dautres, atteste la prennit continue de cette foi qui remonte lEglise primitive. Vatican II accueille pleinement cette Tradition lorsquil affirme quil y a une relle communion qui unit tous les membres du Corps mystique de JsusChrist (LG, 50). Pour le concile (comme pour Nictas), ce corps est composs des saints qui vivent encore sur cette terre dexil et des saints dj glorifis aux cieux notamment la Vierge Marie, les aptres et les martyres , tous troitement unis dans le Christ (LG, 50). En effet, tous ceux qui sont du Christ quils soient encore dans ce monde ou dj au ciel pour avoir reu son Esprit, sont unis en une seule Eglise et adhrent les uns aux autres en lui (LG, 49 ; cf. Ep 4, 16). La communion ecclsiale excde ainsi le temps et lespace ; elle englobe la terre et le ciel de mme que la totalit de lhistoire (cf. He 3, 6). Cette communion consiste dans la participation de tous les membres du corps mystique (morts ou vivants) au mme amour de Dieu et du prochain (LG, 49). Cest donc la charit, pour laquelle il ny a pas de frontires, qui est le ciment dunit entre les diffrents tats de lEglise. Lexistence de la communio sanctorum dans lEglise, qui stend audel des limitations du temps et de lespace, signifie que les barrires entre le ciel et la terre sont permables, que les deux vivent en osmose et quune communication relle est possible dans les deux directions. Cest dans cette foi que les membres vivants de lEglise prient pour ses membres dcds. Sur cette foi repose galement la vnration des saints par lEglise de la terre dans la conviction que lEglise du ciel intercde auprs du Seigneur en sa faveur, car en vnrant la mmoire des saints, nous esprons partager leur socit (SC, 8). En vertu de cette unit dans la communion, il existe une relation mutuelle dans la mission historicosalvifique entre l'Eglise en plerinage sur la terre et l'Eglise cleste1 : tandis que lintercession de lEglise de la terre aide la purification dfinitive des fidles, subissant encore le purgatoire, et leur pleine intgration la communion du salut (CEC, 1030-1032)2, lintercession des saints dj glorifis dans les cieux qui sont nos frres et d'minents bienfaiteurs (LG, 50) constitue pour nous un

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CDF, Eglise, n 6. Cest en particulier par le sacrifice eucharistique que lEglise de la terre porte son secours aux fidles qui accomplissent leur purification finale au purgatoire (DS 856).

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secours puissant dans la traverse de cette vie (LG, 51)1. Il importe de souligner la perspective eschatologique de cette intercession mutuelle : tous les membres de lEglise ceux du ciel et ceux de la terre , saident mutuellement par lchange des dons spirituels, pour que le corps du Christ tout entier spanouisse harmonieusement vers sa plnitude eschatologique, selon le dessein de Dieu. Cest ainsi que la communion des saints saccomplira dans la plnitude de communion en Dieu dans son Royaume2. Toutefois, ds maintenant, entre le ciel et la terre, il ny a aucune intermittence mais bien au contraire une communication bidirectionnelle immdiate et continuelle (LG, 49 ; CEC, 955+). Dans la communio sanctorum, nul ne vit pour soi-mme, comme nul ne meurt pour soimme (cf. Rm 14, 7) car la charit qui en est la source et la loi ne cherche pas soi-mme (1Co 13, 5 ; 10, 24) mais sexprime dans le partage. Ainsi, le moindre de nos actes fait dans la charit retentit au profit de tous les hommes, vivants ou morts, qui se fonde sur la communion des saints (CEC, 953). Le vinculo caritatis (le lien de la charit) ralise la communio sanctorum. A cause de cette communion organique entre les diverses dimensions de lEglise, le chapitre II de la constitution Lumen Gentium consacr au Peuple de Dieu en plerinage sur la terre et le chapitre VII consacr son union avec lEglise du ciel se compltent rciproquement3. En effet, cest la lumire de la vocation et de la nature clestes de lEglise que sclaire aussi le sens de son statut terrestre dEcclesia peregrinans. Ayant son origine dans la vie mme de Dieu, dans lunit de la sainte Trinit, lEglise est dabord une ralit du ciel insre dans le temps4. Ce caractre cleste, et donc eschatologique, de la communion ecclsiale, se manifeste de manire particulirement forte dans la clbration de la liturgie et surtout dans leucharistie.

1 Conscient de cette communion plus forte que la mort, au moment de mourir, saint Dominique disait ses confrres, Ne pleurez pas, je vous serez plus utile aprs la mort et je vous aiderez plus efficacement que pendant ma vie et sainte Thrse notait dans son journal, Je passerai mon ciel faire du bien sur la terre. 2 RATZINGER, J., La mort, 174. 3 PHILIPS, G., LEglise et son mystre au IIme concile de Vatican, t.2, Paris, 1968, 163. 4 SCHOENBORN, Ch., Op cit., 175 (lauteur se rfre ici BALTHASAR VON .H.U., Theodramatik. Das Endspiel, t. 4., Einsiedeln, 1983, 114).

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3.3.6. Leucharistie comme sacrement de la communion eschatologique Dans son usage liturgique et thologique, lexpression communio sanctorum se rapporte tantt la communion entre les saints, cest dire les fidles (quils soient vivants ou morts), tantt la communion aux choses saintes, cestdire aux sacrements (surtout leucharistie)1. Ce double usage exprime la foi de lEglise selon laquelle, dans la communion aux choses saintes, se noue et sexprime la communion entre les saints. Lentre des croyants dans la communion des saints, qui sachvera la fin des temps par leur participation la communion eschatologique du Royaume, prsente ainsi une structure ecclsiale sacramentelle2. Ds les origines de lEglise, les sacrements notamment le baptme, la confirmation et leucharistie, par lesquels seffectue linitiation chrtienne sont communment considrs comme les arrhes et lanticipation du Royaume3. Par la participation aux sacrements, commence ds maintenant pour saccomplir dans la gloire cleste, notre salut ; ils sont des signes qui annoncent et anticipent la gloire venir4. Ce qui est vrai de tous les sacrements, sapplique de manire privilgie au sacrement des sacrements leucharistie. A la dernire cne, Jsus exprime aux disciples le dsir ardent de partager avec eux cette pque et il ajoute, car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu' ce qu'elle s'accomplisse dans le Royaume de Dieu, je ne boirai plus dsormais du produit de la vigne jusqu' ce que le Royaume de Dieu soit venu (Lc 22, 15-18). Dans les rdactions de Matthieu et de Marc, Jsus annonce de manire encore plus explicite quil partagera la pque nouvelle avec ses disciples dans le Royaume des cieux ; il dit, je le (ce calice) boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume de mon Pre (Mt 26, 29 ; cf. Mc 14, 25). A la lumire de ces paroles de Jsus, le dernier repas avec, au cur, linstitution de leucharistie (Mt 26, 26-28 et parallles) , se prsente comme une reprsentation symbolique et une
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Pour lhistoire de lappellation et une vision densemble de divers aspects de la communio sanctorum voir, EMERY, P.Y., Lunit des croyants au ciel et sur la terre = Verbum Caro 63 (1962). 2 DENAUX, A., Op. cit., 32. 3 VAN PARYS, M., Op. cit., 49 ; cf. KELLY, J.N.D., Early Christian Doctrines, London, 19775, 459-462. 4 Cf. THOMAS D'AQUIN, STh, III, q. 60, a. 3.

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annonce prophtique du banquet cleste que les sauvs partageront dans son Royaume. Dans le temps de lEglise, le sacrement de leucharistie est la fois une vocation anamnestique de la dernire cne et une annonce prophtique de celle, nouvelle, du Royaume. Dans sa relation de linstitution, saint Paul relve clairement la dimension eschatologique de leucharistie quand il rappelle aux Corinthiens que chaque fois quils mangent ce pain et boivent cette coupe, ils annoncent la mort du Seigneur, jusqu' ce qu'il vienne (1Co, 11, 26). En clbrant leucharistie, lEglise tourne son regard vers son terme eschatologique dans la certitude que le Christ reviendra (cf. les anamnses du Missel Romain) et que, dans son Royaume, nous serons tous ensemble remplis de sa grce pour lternit (cf. 3me Prire Eucharistique) ; leucharistie est toujours clbre dans lattente du Royaume1. Mais leucharistie est plus quune expression de lesprance des chrtiens de participer un jour la pque du Seigneur dans son Royaume, elle en est galement une anticipation sacramentelle. Lorsque la communaut rassemble autour de la table du Seigneur fait mmoire du salut dj opr historiquement par le Christ, dans lvnement pascal, elle participe dj, par la voie danticipation sacramentelle, ce salut eschatologique quelle clbre sur lautel et quelle exprimentera pleinement autour de la table du Seigneur dans la Jrusalem cleste. Le repas eucharistique reprsente ainsi de manire sacramentelle la communion eschatologique du salut. Ds les dbuts de lEglise, les chrtiens clbraient leucharistie dans la conviction quelle reprsentait, annonait et anticipait, la fois, le temps de lunit eschatologique. Dans la Didach, lide centrale est le rassemblement dans le Royaume de Dieu de lEglise disperse travers le monde. Le pain eucharistique, fait dune multitude de grains, est une image de ce rassemblement eschatologique2. Dans ce texte ancien1,

Cette attente est ressentie de manire trs vive dans les rassemblements eucharistiques de lEglise primitive : Marana tha (1Co 16, 22) ; Que ta grce vienne et que ce monde passe (Didach X, 6). 2 RORDORF, W., Ta aga tois agios , 362-363. Nous lisons encore dans la Didach : Que ton Eglise soit rassemble de la mme manire des extrmits de la terre dans ton Royaume (IX, 4 : SCh 248, 176) et Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise [...]. Et rassemble-la des quatre vents, cette Eglise sanctifie, dans ton Royaume que tu lui as prpar (X, 5 : SCh 248, 180).

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limage du pain eucharistique compos dune multitude de grains a une signification profonde : elle reprsente, de manire relle, lunit actuelle de la communaut clbrante compose dune multitude de membres, et annonce de manire prophtique lunit eschatologique de lEglise encore venir. Cest pourquoi, au moment de vivre son unit actuelle dans leucharistie, lEglise prie avec ferveur pour la plnitude de son rassemblement dans le Royaume. Le dj de son unit eucharistique actuelle voque et anticipe le pas encore de son unit eschatologique, qui se ralisera au banquet du Royaume dans la Jrusalem cleste2. Cette vision de leucharistie souligne le caractre eschatologique de lEglise qui se rvle comme une forme historique du Royaume des cieux. Dans ce cadre, le rassemblement eucharistique des fidles reprsente de manire sacramentelle le rassemblement des lus au banquet cleste3. Le concile valorise cette dimension eschatologique de leucharistie dans une perspective clairement ecclsiale lorsquil affirme que, dans la communion eucharistique, est reprsente et ralise lunit du corps du Christ et la pleine communion du Royaume est dj anticipe (LG, 48). Ainsi, le repas eucharistique est une clbration sacramentelle du banquet cleste qui offre aux fidles les arrhes de leur esprance ultime, savoir lavant-got de la gloire venir (GS, 38 2). Toutefois, cette esprance ultime nest pas uniquement celle qui se rapporte la fin des temps. LEglise croit que les fidles qui sont morts dans le Seigneur participent tout de suite aux fruits de la rdemption le ciel existe dj ! Elle croit galement, comme nous lavons vu dans le
Il manque lunanimit sur la date de sa composition ; tandis que certains estiment quil sagit dun crit du 1er sicle, dautres repoussent sa composition la fin du second, voire le dbut du troisime sicle (cf. BARDY G., Didach ou la Doctrine de douze aptres , dans Catholicisme, t. 3 ; Paris, 1952, col. 747-749). 2 En mme temps, lexprience de lunit eucharistique rend attentive lEglise locale au fait quelle nest quun klasma, une portion, de lEglise universelle qui, disperse travers le monde, clbre le mme mystre de communion dans une multitude de communauts locales (cf. RORDORF, W., Liturgie, foi et vie des premiers chrtiens, Paris, 19882, 54-55. 3 Cette ide saccorde parfaitement avec la thologie de lEglise corps du Christ : puisquelle est le corps du Christ dont la tte est dj ternellement glorifie dans les cieux, lEglise est essentiellement cleste ; cest en clbrant leucharistie sacrement du Royaume, que lEglise se manifeste en sa pleine vrit de corps du Christ et rvle son caractre eschatologique.
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paragraphe prcdent, quentre lEglise du ciel et lEglise de la terre, il existe une relle communion qui sexprime dans lchange mutuel des biens spirituels. Le concile affirme que notre union avec l'Eglise cleste se ralise de la manire la plus clatante dans la clbration de leucharistie. Ainsi quand nous clbrons le sacrifice eucharistique, nous nous unissons trs intimement au culte de l'Eglise cleste (LG, 50). La dimension eschatologique de leucharistie est souligne dans la dernire encyclique de Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, dans une perspective la fois ecclsiale et existentielle (nos 18-20)1. A la suite du concile, lencyclique dveloppe cette problmatique selon trois axes complmentaires : leucharistie comme anticipation sacramentelle de la gloire future (n18) ; leucharistie comme expression et affermissement de la communion de lEglise de la terre avec lEglise du ciel (n19) ; leucharistie comme nourriture des fidles sur la terre dans leur plerinage vers le ciel (n20). Quant lessentiel, lencyclique reprend lenseignement conciliaire mais elle y apporte galement des accentuations et des lments nouveaux. En rappelant la promesse du Christ celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie ternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour (Jn 6, 54) , Ecclesia de Eucharistia place la problmatique eschatologique de la rsurrection des corps dans un contexte explicitement eucharistique. La participation des croyants leucharistie leur procure une garantie de la rsurrection de leurs corps la fin des temps. Comme la raison de cette garantie, lencyclique rappelle que la chair du Fils de l'homme, donne en nourriture, est son corps dans son tat glorieux de Ressuscit. Ds maintenant, les fidles qui partagent le repas du Seigneur, assimilent pour ainsi dire le secret de la rsurrection (n18). Dans le n19, lencyclique souligne la prsence sacramentelle des ralits eschatologiques dans leucharistie. Elle affirme que celui qui se nourrit du Christ dans l'eucharistie n'a pas besoin d'attendre l'au-del pour recevoir la vie ternelle: il la possde dj sur terre, comme prmices de la plnitude venir ; un peu plus loin nous lisons que leucharistie est vraiment un coin du ciel qui s'ouvre sur la terre.

JEANPAUL II, Ecclesia de Eucharistia. Lettre encyclique sur leucharistie dans son rapport lEglise du 17 avril 2003 (http://www.vatican.va, 20. 04. 2004).

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Aprs avoir fortement accentu le ralisme avec lequel les ralits clestes sont anticipes dans la clbration eucharistique, lencyclique en tire des consquences existentielles pour la vie quotidienne des fidles dans le monde (n20). Cest prcisment parce quelle est un rayon de la gloire de la Jrusalem cleste qui traverse les nuages de notre histoire, que leucharistie illumine notre chemin terrestre et devient une impulsion notre marche dans l'histoire. Lesprance du renouveau eschatologique du monde, dont les chrtiens reoivent dj lavant-got dans leucharistie, les engage ne pas faillir aux devoirs de leur citoyennet terrestre et de contribuer, la lumire de l'vangile, construire un monde qui soit la mesure de l'homme et qui rponde pleinement au dessein de Dieu. Rconforts par la nourriture du ciel, les chrtiens doivent rpandre autour deux les valeurs vangliques vie, paix, solidarit, fraternit, etc. quils esprent se raliser pleinement dans le Royaume venir. Cest pour les soutenir dans la tche de construire inlassablement un monde toujours plus humain, que le Seigneur a voulu demeurer avec eux dans l'Eucharistie, en inscrivant dans la prsence de son sacrifice et de son repas la promesse d'une humanit renouvele par son amour. En voquant les exhortations de saint Paul (1Co 11, 17-22. 27-34), le pape rappelle quune participation leucharistie est indigne d'une communaut chrtienne si elle ne saccompagne pas defforts rels pour rendre le monde meilleur, notamment pour soulager le sort des pauvres1. Il conclut que ce sont prcisment ces fruits de transfiguration de l'existence et l'engagement transformer le monde selon l'vangile qui font resplendir la dimension eschatologique de la Clbration eucharistique et de toute la vie chrtienne.

Dans une note de bas de page, lencyclique cite ici plusieurs textes patristiques et magistriels illustrant ce dfi de charit qui est contenu dans leucharistie, entre autres, ce beau texte de S. Jean Chrysostome : Tu veux honorer le corps du Christ? Ne le mprise pas lorsqu'il est nu. Ne l'honore pas ici, dans l'glise, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vtements. Car celui qui a dit: Ceci est mon corps , et qui l'a ralis en le disant, c'est lui qui a dit: Vous m'avez vu avoir faim, et vous ne m'avez pas donn manger , et aussi: Chaque fois que vous ne l'avez pas fait l'un de ces petits, c'est moi que vous ne l'avez pas fait [...]. Quel avantage y a-t-il ce que la table du Christ soit charge de vases d'or, tandis que lui-mme meurt de faim? Commence par rassasier l'affam, et avec ce qui te restera tu orneras son autel (JEAN CHRYSOSTOME, Homlie sur l'vangile de Matthieu 50, 3-4 : PG 58, 508-509).

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On peut conclure cette courte investigation sur la dimension eschatologique de leucharistie dans la doctrine catholique, en disant que son effet est une koinnia qui ne se borne pas la clbration ellemme mais qui continue dans lexistence quotidienne des fidles, pour saccomplir pleinement dans la communion eschatologique du Royaume1. 3.3.7. Conclusions Au bout de cette analyse de la dimension eschatologique de la koinnia dans la doctrine catholique, nous pouvons tirer quelques conclusions gnrales : - Depuis le concile Vatican II, la dimension eschatologique de lEglise largement nglige dans lecclsiologie de type bellarminien est pleinement rintgre dans lecclsiologie catholique. - Conformment lenseignement conciliaire, la doctrine de lEglise conoit le salut comme la participation ternelle des fidles la communion trinitaire (cet aspect a t prsent dans le chapitre prcdent). A chaque fois que les documents conciliaires, ou le Magistre postrieur, traitent de la dimension eschatologique de lEglise la rfrence trinitaire est clairement releve ; elle souligne la vocation transcendantale de lEglise, dont la mission consiste conduire les hommes la communion du Pre, du Fils et de lEsprit-Saint, dans le Royaume des cieux. - Leschatologie catholique contemporaine est centre sur la personne du Christ. Dieu achvera son dessein du salut aprs avoir ramen toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les tres clestes comme les terrestres (Ep 1, 10). Le salut consiste dans lincorporation au Christ. Comme le dit le Catchisme, le ciel est la communaut bienheureuse de tous ceux qui sont parfaitement incorpors lui (CEC, 1026) ; vivre au ciel cest tre avec le Christ (CEC, 1024). - Mais le Christ, tte du corps, nest jamais spar de son Eglise avec laquelle il ne forme quun seul Christus totus. Puisque le Christ est sa tte et quelle est son corps, lEglise est

Cf. TILLARD, J.M.R., Eucharistie et Eglise , dans ZIZIOULAS; TILLARD; VON ALLMEN; Eucharistie, coll. Eglises en dialogue 12, Mame, 1970, 75-136 (134).

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essentiellement cleste1. La doctrine du corps du Christ (LG, 7) souligne le caractre eschatologique de lEglise2. Comme le dit saint Ambroise, l o est le Christ, l est le Royaume3. Comme le corps du Christ, lEglise constitue sur la terre les prmices du Royaume des cieux, quelle manifeste et rend prsent au sein de lhumanit ; en elle et par elle, le Royaume eschatologique de Dieu se dploie dj travers lhistoire pour saccomplir dans la gloire du ciel. Mme si le Royaume est dj l, la porte de la main, il est galement encore venir (dj et pas encore). Inaugur sur la terre par le Christ, perptu travers lhistoire par laction de lEglise dans la force de lEsprit-Saint, il ne parviendra pourtant sa plnitude qu la fin des temps, lorsque le Seigneur reviendra dans la gloire. La nature du Royaume est la communion des hommes entre eux et avec Dieu, cestdire la koinnia. Cette dfinition concide avec la dfinition du salut lui-mme. La participation des sauvs la communion eschatologique du salut signifie leur entre dfinitive dans le Royaume des cieux. La koinnia du Royaume signifie la participation simultane la communion trinitaire du Pre, du Fils et de lEsprit et la communio sanctorum : cestdire la communaut de vie et damour avec la Vierge Marie, les martyres, les saints, tous les justes de lhistoire, les anges, les esprits bienheureux et les puissances du ciel. La communio sanctorum sexprime ds maintenant dans lchange des biens spirituels entre lEglise glorifie au ciel, lEglise en tat de purification dfinitive au purgatoire et lEglise prgrinante sur la terre. Les trois tats constituent une seule, unique et indivisible communaut du salut. La clbration eucharistique durant laquelle la communaut

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SCHOENBORN, Ch., Op. cit., 174. Limage de corps du Christ compte parmi les plus importantes dans la doctrine conciliaire de lEglise. Car elle est lie indissociablement leucharistie, nous reviendrons cette problmatique dans le chapitre consacr la communion dans la vie sacramentelle. Pour linstant, nous voulons seulement voquer sa porte eschatologique. 3 Vita est enim esse Christo ; ideo ubi Christus, ibi vita, ibi regnum (AMBROISE, Expositio evangelii secundum Lucam, 10, 121; PL 15, 1834).

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ecclsiale prie pour les membres dcds de lEglise et confie, lintercession des saints, ses membres vivants, constitue une expression particulirement forte de lunit spirituelle du corps du Christ qui surpasse les limites du temps et de lespace. Le repas du Seigneur est galement lanticipation sacramentelle du festin eschatologique auquel participeront tous les lus dans le Royaume des cieux. La communion eschatologique de toute lEglise est ainsi annonce, prfigure et exprimente dans la communaut des fidles rassembls pour leucharistie. Soude dans la communion par le pain du ciel, lEglise doit la vivre, la manifester et la dilater travers le monde et lhistoire, jusqu ce quelle parvienne sa plnitude dans le Royaume de Dieu. En tant que sacrement du salut, lEglise en ce monde est un signe et un instrument de cette communion eschatologique laquelle le Seigneur invite tous les hommes du pass, du prsent et du futur. Dans luniversalit de cet appel senracine luniversalit de la mission de lEglise, envoye dans le monde entier proclamer la plnitude des temps et la venue du Royaume. Lactivit missionnaire de lEglise apparat ainsi comme une implication pastorale de son caractre eschatologique. Comme le rappelle saint Paul, le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint (Rm 14, 17). Prsent dj en ce monde comme prmices de la communion eschatologique, il implique un type de relations interhumaines, selon les exigences rvles dans lvangile du Christ. Les efforts pour la paix, la justice, lgalit et le partage, les engagements en faveur des ncessiteux et pour la protection de lenvironnement naturel, etc., sont des signes de la terre nouvelle et des cieux nouveaux auxquels auront part ceux qui sengagent ds maintenant, pour linstauration dune civilisation de lamour et pour lclosion dun monde pleinement humain selon le dessein de Dieu. Lappel la conversion, qui accompagne la proclamation du Royaume par le Christ, sadresse autant aux personnes individuelles quaux socits entires, voire lensemble de la famille humaine. A la fin des temps, le rtablissement de la parfaite communion divinohumaine dans le Royaume des cieux saccompagnera du
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rtablissement de lharmonie intgrale au sein de lunivers cr. Le plrme eschatologique de la koinnia stendra ainsi sur lensemble de la nouvelle cration. Lorsque le Seigneur rapparatra dans sa gloire, il nous fera partager le Royaume des cieux. Unis lui et les uns aux autres, nous vivrons dans la koinnia bienheureuse o il ny aura plus de larmes ni de chagrin, mais la batitude qui dpassera tous les dsirs de bonheur qui montent au cur de lhomme. Que ta grce vienne et que ce monde passe (Didach X, 6). Amen, viens, Seigneur Jsus ! (Ap 22, 20).

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4. Notae Ecclesiae dans la perspective de communion


4.1. Introduction En rappelant la foi proclame solennellement par les fidles chaque clbration dominicale de leucharistie, le concile affirme : telle est l'unique Eglise du Christ que, dans le Symbole, nous reconnaissons comme une, sainte, catholique et apostolique (LG, 8 ; cf. CEC, 750)1. Ces quatre qualits de lEglise notes sont des dons divins qui prouvent son authenticit : seule cette Eglise, en laquelle elles se vrifient peut tre reconnue comme la vraie. Le Christ, en effet, a fond lEglise comme tant une, sainte, catholique et apostolique2. Cest pourquoi, les notes sont inhrentes ltre mme de lEglise3, et insparablement lies les unes aux autres4. La disparition de lune delles signifierait non seulement la disparition de toutes les autres, mais tout simplement lanantissement de ltre-mme de lEglise. En raison de ce caractre dindivisibilit des notes, lunit, la saintet, la catholicit et lapostolicit de lEglise, sont des thmes thologiques qui se rencontrent, se croisent et svoquent mutuellement5. Elles voquent
Symbolum Apostolicum (Dz 6-9, 10-13); Symb. Nic.-Const (Dz 86). En utilisant le langage de la thologie scolastique, on dit que les notes appartiennent lesse de lEglise et non pas son bene esse. Cette conviction est partage par toutes les traditions chrtiennes qui laffirment unanimement. Cest une affirmation qui est de premire importance pour comprendre la tche cumnique : les Eglises nont pas crer une Eglise qui soit une, sainte, catholique et apostolique mais retrouver chacune delle la plnitude ecclsiale par la rconciliation mutuelle, afin de vivre pleinement ces qualits. Les dons divins toujours prsents dans lEglise deviennent ainsi une vocation pour les chrtiens diviss. 3 Comme le remarque le cardinal Journet, la distinction que nous introduisons entre ltre ecclsial et ses diverses proprits est uniquement conceptuelle; en effet, entre lessence dun tre et ses proprits mtaphysiques, lidentit est relle et la distinction seulement conceptuelle (JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, coll. uvres compltes, Editions StAugustin, 2000, 1930). De ce fait, les quatre proprits de lEglise, son apostolicit, son unit, sa catholicit, sa saintet, sont identiques rellement son essence elles ne diffrent entre elles que conceptuellement (Idid., 1951). 4 Journet parle ce sujet de la solidarit des notes (JOURNET, Ch., Op.cit., vol. 3, 1932-1933). 5 Dans le prsent chapitre nous laissons de ct la note de saintet car elle ne semble pas susciter de tensions ecclsiologiques particulires dans le dialogue cumnique actuel ; elle est dailleurs rarement voque dans le dbat ecclsiologique.
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aussi comme nous allons le constater une diversit de problmes particuliers, de grande porte cumnique, relatifs la constitution et la vie de lEglise. Dans la prsente tude nous ne pouvons pas nous tendre au-del du champ trac par notre proccupation, savoir, la koinnia. Pour cette raison, nous nous servirons des notes, pour clairer certains aspects de la communion ecclsiale, notamment ceux qui font objet dune divergence entre les Eglises. Mme aprs avoir pos cette restriction, nous naspirons pas lexhaustivit ; nous croyons seulement avoir touch des problmes cumniquement fondamentaux que pose, aux Eglises, linterprtation doctrinale et lapplication pratique de ses trois qualits essentielles : unit catholicit et apostolicit. Comme dans toute cette tude, nous entendons ici suivre lenseignement de lEglise catholique tel quil est prsent par ses documents officiels de ces dernires dcennies et explicit par des thologiens de notre Eglise, lappui des Ecritures saintes et de la Tradition. Il convient dajouter cette introduction que, dans lhistoire doctrinale de lEglise, les notes nont pas toujours t lobjet dune prsentation systmatique comme nous sommes accoutums le voir aujourdhui. Figurant, depuis lAntiquit dans des Credo, les notes taient frquemment voques tant par des Pres que par des thologiens du MoyenAge sans pour autant quun trait particulier leur ait t consacr. Cet tat des choses ne changera quavec la Rforme ; le 16me sicle verra lapparition et le dveloppement rapide du De notis Ecclesiae1. Son but tait, bien sr, apologtique et se rsumait deux tches particulires et intrinsquement lies : premirement, dmontrer que lEglise catholique romaine possdait, en plnitude, chacune des notes ; deuximement, dmontrer que les groupements protestants, issus de la Rforme ne les possdaient pas et, donc, quils ne formaient pas de vraies Eglises2.
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Le dveloppement thologique de la problmatique des notes dans le contexte historique est prsent dans THILS, G., Les notes de lEglise dans lapologtique catholique depuis la Rforme, Gembloux, 1937 ( lire notamment une trs clairante introduction ce sujet) ; cf. du mme auteur, LEglise et les Eglises. Perspective nouvelle en cumnisme, 1967, 93-117. 2 Comme le dit le pre Thils, limportance apologtique de la via notarum consistait dans le fait, quelle permettait de prouver la vrit de lEglise en bloc sans descendre au dtail de ses institutions ou de ses doctrines et de rfuter en bloc les communauts chrtiennes noncatholiques sans discuter les problmes particuliers lis la doctrine ou

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A lge de lcumnisme dans lequel nous vivons, les notes font, nouveau, lobjet dune tude approfondie, non seulement dans lEglise catholique mais dans toutes les Eglises chrtiennes ; elles sont galement lobjet de dialogues bilatraux et multilatraux. Grce aux recherches cumniques srieuses, des progrs prometteurs ont t accomplis quant lintelligence commune des notes. Le but de ce nouvel examen des notes est oppos celui qui se trouvait lorigine du De notis daprs la Rforme : il sagit de discerner leur prsence dans chacune des Eglises, afin quelles puissent se reconnatre mutuellement comme appartenant ensemble lEglise du Christ, une, sainte, catholicit et apostolique. Pour cette raison, tout en esprant ne nous carter en rien de la doctrine de foi de lEglise catholique romaine, nous voulons traiter le problme des notes, en gardant lesprit, une vive proccupation cumnique. 4.2. Lunit et la diversit dans la communion ecclsiale La question qui nous proccupe dans ce chapitre est celle du rapport entre lunit et la diversit lintrieur de lEglise, de leurs exigences respectives, des conditions de leur lgitimit et de leurs limites dans la communion universelle des Eglises. 4.2.1. Fondements divins de lunit et de la diversit ecclsiales 4.2.1.1. Laspect trinitaire Comme nous lavons dj vu dans le chapitre sur lenracinement trinitaire de la communion ecclsiale, lunit de lEglise trouve sa source dans lunit des personnes divines en Dieu (Ep 4, 4-6 ; 1Co 12, 4-6 ; Jn 17, 21)1. En tant que don divin pour lEglise, son unit apparat

la constitution ecclsiale (Les notes de lEglise, intro., p. XIII). Thils fait galement une constatation qui possde, sans doute, une importance cumnique dans le dialogue actuel avec les Eglises orthodoxes, savoir, que le trait De notiis nest pas apparu aprs la sparation de 1054 ce qui est, daprs lui, un signe vident que lEglise romaine na jamais contest ni lauthenticit ni la vrit de ces Eglises, comme elle a fait explicitement ds lapparition des premires communauts protestantes. 1 Cf. Supra, chapitre 3.1. Perspective trinitaire : la communion trinitaire source et modle de la communion ecclsiale (259-275). Sans reprendre ici les noncs de ce chapitre, pour garder la cohrence de lexpos qui suit, nous apportons quelques claircissements additionnels relatifs plus spcifiquement la question de lunit.

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comme un rayonnement de lunit trinitaire du Pre, du Fils et de lEsprit-Saint. Quel tonnant mystre ! Il y a un seul Pre de lunivers, un seul Logos de lunivers et aussi un seul Esprit-Saint, partout identique ; il y a aussi une seule vierge devenue mre, et jaime lappeler lEglise1. Cette mditation de Clment dAlexandrie exprime avec force la foi ferme et constante de lEglise en son unit et en son unicit. Elle exprime galement la conviction que lunit de lEglise est un mystre. Cest pourquoi, notre lauteur tablit un lien entre les trois personnes divines et une seule vierge devenue mre lEglise2. En effet, l o sont les trois, Pre, Fils et Esprit Saint, l aussi se trouve lEglise, laquelle est le corps des trois3. Vatican II se place entirement dans cette tradition patristique. Il raffirme que lEglise est ne de lamour du Pre ternel, fonde dans le temps par le Christ Rdempteur et rassemble dans lEsprit-Saint (GS, n40 2) ; uvre commune de la Trinit, lEglise est une de par sa source divine. Le dcret sur lcumnisme affirme que le modle suprme et le principe du mystre de lunit ecclsiale se trouvent dans la Trinit des personnes, d'un seul Dieu Pre, Fils et l'Esprit-Saint (UR, 2 ; cf. CEC, 813). Ainsi l'Eglise universelle apparat-elle comme un peuple rassembl dans l'unit du Pre, du Fils et de l'Esprit-Saint (LG, 4)4. Dans la Trinit se fonde galement la diversit de lEglise : comme Dieu est un en trois personnes, de mme lEglise, peuple de Dieu compos dune multitude de personnes et de communauts locales diverses, demeure une5. A chacune des personnes divines, nous attribuons une

CLEMENT DALEXANDRIE, Paedagogus 1, 6. Le thme de lEglise Mre est mettre en rapport avec celui de lEglise Epouse du Seigneur qui exprime lunit de lEglise avec le Christ (Mt 9, 15 ; Jn 3, 29 ; Mt 22, 1-4 ; 2Co 11, 2 et surtout Ep 2, 23-32) ; la symbolique nuptiale souligne que lunit du Christ et de son Eglise est fonde sur lamour (cf. CBP, Unit et Diversit dans lEglise, 27). 3 TERTULLIEN, De baptismo 6, 2 : SCh 35, 75. 4 Cf. CYPRIEN, De Orat. Dom. 23 : PL 4, 553; AUGUSTIN, Ser. 71, 20 : PL 38, 463 ; JEAN DAMASCENE, Adv. Iconocl. 12 : PG 96, 1358 d. 5 Le thme biblique de peuple de Dieu, largement dvelopp par le concile, exprime bien la fois lunit et la diversit de lEglise (cf. CONGAR, Y.M., LEglise comme peuple de Dieu , Concilium 1 (1965), 15-32 ; BORI, C., Koinnia. La ideal della
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fonction spcifique dans le mystre du salut ; ainsi, nous appelons le Pre Crateur ; le Fils Rdempteur ; et lEsprit-Saint Sanctificateur. Nous reconnaissons donc une diversification de la vie et de lagir en Dieu, tout en affirmant son indivisible unit. Car lEglise est la manifestation dans le temps, de la vie trinitaire ; la vie ecclsiale doit donc avoir, pour cause exemplaire, lunit du Pre, du Fils et de lEsprit qui est sa cause formelle1. Cela signifie que lEglise doit aussi tre diversifie et sensible la multiplicit des personnes, des fonctions et ministres, des communauts et groupements, des contextes culturels et historiques, des formes de vie et dactions, etc. Cependant, comme la Trinit demeure unie et indivisible dans sa diversit, de mme lEglise doit garder son unit et son indivisibilit malgr les tensions que cause la diversit ; la prire du Christ quils soient un (Jn 17, 21) apparat alors comme un dfi continuel pour lEglise2. Cest pourquoi, seule une Eglise qui est en vrit licne de la communion de vie du Dieu Trinit peut tre signe et instrument de la communion de lhomme avec Dieu et des hommes entre eux3. Dans la perspective cumnique qui nous proccupe ici, il est important de souligner que cette diversit dans lunit ne concerne pas uniquement les chrtiens individuels comme membres de lEglise mais aussi des Eglises locales comme telles, dans la communion de lEglise universelle ; cette diversit trouve, elle aussi, son origine et son modle dans la communion trinitaire4. Comme lintrieur de lunit divine, les

communione nellecclesiologia recente e nel Nuovo Testamento, Brescia, 1972, 55-56; ANGEL, A., Lecclsiologie postconciliaire. Les attentes, les rsultats et les perspectives pour lavenir dans Latourelle, R., (d.), Vatican II. Bilan et perspectives, 1962-1987, t. 1., Montral Paris, 1988, 421+ ; CTI, Texte et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, 1988, 323-362). 1 ZOGHBY, E., Op. cit., 493-496 (citation, 493). 2 Il est remarquer que dans la prire de Jsus lunit entre le Pre et le Fils est clairement prsente comme le modle de lunit des chrtiens : Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grce leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Pre, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoy (Jn 17, 20-21). 3 KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio (Paris) 12 (1/1987), 23. 4 DENAUX, A., LEglise comme communion. Rflexions propos du Rapport final du Synode extraordinaire de 1985 , NRT 110 (1988), 33-35. Un document du dialogue catholico orthodoxe le souligne : parce que le Dieu un et unique est la communion de trois personnes, lEglise une et unique est la communion de plusieurs communauts

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personnes ne sont ni confondues ni spares, de mme, dans lunit ecclsiale, les communauts particulires doivent rester toujours unies mais jamais confondues ; elles doivent pouvoir jouir dune identit spcifique dans la communion. Ceci implique une lgitime pluralit des Eglise locales qui ne soppose pas au projet divin puisquelle senracine dans la pluralit unie de Dieu lui-mme. Pour demeurer fidle au modle trinitaire, il est pourtant fondamental que cette pluralit nentrane pas la rupture de la communion entre les communauts locales. 4.2.1.2. Laspect christologique A travers une diversit dimages et de comparaisons puises dans la Bible, le concile dveloppe la problmatique de lunit diversifie de lEglise en son rapport au Christ (LG, 6). Ainsi, lEglise est le troupeau guid par le Christ Bon Pasteur, ldifice dont le Seigneur est la pierre dangle, lpouse du Seigneur qui lui est unie et soumise dans l'amour et la fidlit1. Le Christ est la vraie vigne dont les croyants sont les sarments ; greffs (sumphutoi) sur le Christ qui est la souche, ils ne font quun seul organisme vivant avec lui2. Comme le remarque le pre Congar, toutes ces images de lEglise se rapportent au Christ car, selon le Nouveau Testament, lunit, cest le Christ3. Parmi toutes ces images que nous trouvons dans la constitution Lumen Gentium, celui de corps du Christ trouve une place particulire4. Elle exprime, de manire particulirement forte, lenracinement de lunit ecclsiale dans le Christ et la diversit voulue par le Seigneur lintrieur de lEglise. Selon LG, 7, le Christ est la tte du corps, quest l'Eglise et son chef ; car il ny a quun seul Christ, il ny a quune seule Eglise. Dans lEglise

LEglise une et unique sidentifie la koinnia des Eglises (CCRO, Le mystre de lEglise et de leucharistie la lumire du mystre de la Sainte Trinit. Document de Munich, DC 79/1982, 944). 1 La citation est tire du n6 mais limage dpouse revient aussi la fin du n7 consacr au corps du Christ, pour exprimer lamour entre le Seigneur et lEglise. 2 Cf. LUISMARIE DE JESUS (o.c.d.), Quelques images de lEglise travers la Bible et la liturgie , Carmel 4 (1996), 3-18. 3 CONGAR, Y.M., Diversits, 22. 4 Elle est dveloppe pour lessentiel dans le n 7 qui lui est entirement consacr, mais ces dveloppements sont complts quant certains aspects particuliers dans les nos 32, 44 et 45.

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corps, la vie du Christ se diffuse dans les membres par la foi et les sacrements ; ainsi, ils sont englobs dans les mystres de sa propre vie. La foi est insparable de la charit ; cest en professant la vrit dans la charit que les fidles crotront tous les gards en Christ qui est le Chef. Le fondement sacramentel de lunit du corps est le baptme par lequel les fidles sont rendus conformes au Christ, et son parachvement ecclsial est leucharistie par laquelle ils sont levs la communion avec lui et entre eux. La communion du corps du Christ implique la diversit des membres, des ministres et des fonctions. Celle-ci, loin de sopposer lunit appartient, au contraire, la nature-mme de lEglise et se vrifie dans l'dification du corps tout entier. Le n44 ajoute que cette lgitime diversit sexprime encore dans une efflorescence de genres de vie (tant solitaires que communautaires) des fidles ; tous, cependant, dveloppent leurs ressources pour le bien de tout le Corps du Christ1. Malgr cette diversit englobant tous les aspects de la vie ecclsiale, il existe cependant entre tous [les fidles] une vritable galit, sur les plans de la dignit et de l'action commune, en ce qui regarde l'dification du corps du Christ (LG, 32). Cette galit in Christo est la source et le fondement de l'admirable unit qui existe dans le corps du Christ, dans lequel la diversit mme des grces, des ministres et de l'action rassemble en un seul tout les fils de Dieu, puisque c'est un seul et mme Esprit qui opre toutes ces choses (LG, 32) ; lEsprit que tous ont reu par le mme baptme au nom du Christ. Cette doctrine conciliaire se fonde, pour lessentiel, sur la thologie paulinienne du corps du Christ (les rfrences aux lettres de Paul sont trs nombreuses dans les nos cits plus haut)2. Selon saint Paul, lEglise

La hirarchie ecclsiastique, avec son autorit vigilante, accorde sa protection et son assistance aux instituts rigs en tous lieux pour l'dification du Corps du Christ, afin qu'ils croissent, se dveloppent et fleurissent selon l'esprit des fondateurs (LG, 45). 2 Bien des tudes ont t consacres la doctrine paulinienne du corps du Christ dans son application lEglise. En ce qui se rapporte plus particulirement la problmatique : unit diversit, voir VANHOYE, R.P.A., Ncessit de la diversit dans lunit selon 1Co 12 et Rm 12 , dans CBP, Unit et Diversit dans lEglise. Textes officiels de la Commission biblique pontificale et travaux personnels des membres, coll. Teologia e Filosifia 15, Rome-Vatican, 1989, 143-156 ; HUSER, G.L., Communion with Christ and Christian Community in 1 Corinthians : A Study of Pauls Concept of Koinonia, dissertation, University of Durham, England, 1992; ROBINSON, J.A.T., The Body, London, 1952 (tr. fr. Le corps. Etude sur la thologie de

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est le corps dont le Christ est la tte et les croyants sont des membres (Ep 1, 22 ; Col 1, 18) ; ils sont le corps du Christ (1Co 12, 27) ; incorpors lui, ils sont en communion de vie avec lui (1Co 1, 9) ; ils ne font qu'un dans le Christ Jsus (Ga 3, 27-28). Comme le Christ est un et indivisible, de mme lEglise est une est indivisible. Cependant, cette unicit nexclut pas la diversit mais, au contraire, limplique. En effet, le corps est unique mais ses membres sont nombreux et ncessairement divers (Rm 12, 5 ; 1Co 12, 12 ; Ep 2, 16 ; Col 3, 15). Ainsi, lEglise, corps du Christ, est pourvu darticulations diverses qui assurent sa vie et son bon fonctionnement (Ep 4, 16 ; Col 2, 19). Les membres du corps, unis la tte dont ils reoivent la vie, forment un seul organisme indivisible dans lequel ils sont incorpors les uns aux autres, au point de ressentir comme leurs propres les souffrances et les honneurs des autres (1Cor. 12, 26). De ce fait, lunit du corps du Christ dpasse une simple cohrence institutionnelle dun corps social ; divine de par sa nature, elle est indestructible. Laffirmation de lunit et de lunicit du corps du Christ constitue le point de dpart de lenseignement paulinien sur la diversit1. Car lunit est le principe organisateur de la multiplicit, le corps du Christ peut tre diversifi et articul de plusieurs manires, sans jamais perdre son unit. De toute vidence, le concile et tout lenseignement magistriel de lEglise, sur le rapport de lunit la diversit dans la communion ecclsiale, font leur cette conviction paulinienne. 4.2.1.3. Laspect pneumatologique Selon le concile, ldification permanente du corps du Christ, dans lunit, est luvre de lEsprit-Saint2. Cest en communiquant aux croyants son propre Esprit que le Christ les runit dans lunit de la foi, de l'esprance et de la charit (UR, 2). Cet Esprit, tant unique et le mme dans la tte et dans les membres, donne tout le corps la vie, lunit et le mouvement (LG, 7). Grce lui, l'Eglise universelle, rpandue travers le monde, apparat comme un seul et unique peuple de Dieu (LG, 4). Cependant, cet Esprit difie le corps du Christ dans la

saint Paul, coll. Parole et Tradition, Lyon, Editions du chalet, 1966, rdition, Paris, 1996). 1 ROBINSON, J.A.T., Le corps. Etude sur la thologie de saint Paul, coll. Parole et Tradition, Lyon, Editions du chalet, 1966, 97+). 2 ZOGHBY, E., Op. cit., 494.

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communion, en disposant ses membres des dons varis, tant hirarchiques que charismatiques (LG, 4). Cest pourquoi, tout en tant le principe de lunit de lEglise, il est en mme temps le principe de sa diversit. Cette doctrine conciliaire correspond pleinement aux donnes bibliques, notamment la pense de saint Paul. Laptre affirme avec force quil y a un seul et unique Esprit (Ep 4, 4). Cet Esprit, qui habite dans l'Eglise et dans les curs des fidles comme en un temple (1Cor 3, 16 ; 6, 19), les sanctifie et rend tmoignage de leur adoption filiale in Christo (Ga 4, 6 ; Rm 8, 15-16 et 26). Il difie le corps du Christ dans la communion en disposant des dons varis ses membres (1Co 12, 4 ; Ga 5, 22). Chacun doit exercer son don propre avec zle sans nonchalance, (mais) dans la ferveur de l'esprit, au service du Seigneur (Rm 12, 11). Parmi ces dons, il y a, entre autres, divers ministres donns certaines personnes, en vue de la construction du corps du Christ (Ep 4, 11-13). Toutes ces facults ne sont pas donns aux membres de lEglise comme des proprits prives dont chacun pouvait disposer sa guise, mais comme des charismes propres au corps du Christ qui doivent tre utiliss en vue du bien commun (1Co 12, 7). Par elles, lEsprit fait grandir le corps entier de manire cohrente (Ep 2, 21-22), jusqu son panouissement plnier dans le Christ (Ep 4, 13). Ainsi, travers la diversit des dons complmentaires, les croyants ne forment qu'un seul corps dans le Christ, tant, chacun pour sa part, membres les uns des autres (Rm 12, 5). Tant lunit que la diversit dans lEglise senracinent dans la prsence en elle de lEsprit-Saint, grce qui elles ne sont pas des valeurs contradictoires mais complmentaires. 4.2.2. LEglise une et multiple depuis ses origines La diversit est un fait historique dans lEglise1. Comme nous allons le voir, elle a plusieurs explications mais sa premire cause historique rside dans le fait que Jsus tout en tant le fondement et le fondateur de lEglise na pas organis formellement la communaut de ses disciples selon un modle institutionnel dtermin. Comme le remarque
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Congar en donne dinnombrables exemples concernant divers domaines de la vie de lEglise travers lhistoire en commenant par lpoque apostolique et en finissant par le pontificat de Jean-Paul II (CONGAR, Y.M., Diversit et communion. Dossier historique et conclusion thologique, Paris, 1982.

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Brown, Jsus na pas laiss ses disciples un modle dtaill pour lEglise mais il leur a envoy son Esprit-Saint, pour assurer la continuit de lEglise avec son uvre propre et son unit dans la foi et la charit, travers la diversit rsultant du dveloppement historique des communauts dans des contextes varis de vie1. Lorsque, aprs la Pentecte, le christianisme commence se rpandre travers le monde, les premires communauts sorganisent selon des modles varis, en assumant les dfis spcifiques quelles rencontrent, suivant les lieux et les temps. Les crits notestamentaires tmoignent dune grande diversit dans lorganisation et le fonctionnement de ces premires Eglises ; les communauts qui vivent Jrusalem et en Jude, Antioche, en Ephse, Rome, en Galatie ou en Macdoine, ne sont pas identiques2. Comme le note la Commission Biblique Pontificale dans les conclusions dune recherche approfondie, aucune ne prtend tre elle seule toute lEglise de Dieu, mais celle-ci est rellement prsente en chacune delles3. Et cest prcisment dans cette conscience commune que chacune reprsente et manifeste la prsence de la mme et unique Eglise du Christ qui fonde leur unit ; ainsi elles croient que lEglise du Christ est une et partout la mme, malgr cette varit de ralisations concrtes quelle reoit en diffrents lieux. Leur vie montre sans quivoque que lunit ecclsiale ne signifie pas luniformit mais implique, au contraire, la diversit. Il serait cependant erron de penser que ces premires Eglises, dont nous parle le Nouveau Testament, navaient rien en commun entre elles. En ralit, certains lments apparaissent dans toutes les communauts et la diversit aussi riche soit-elle a des limites. Le premier lment commun, le plus important et le plus vident, cest la rfrence au JsusChrist reconnu partout comme le Messie et le Seigneur. La foi en lunit et lunicit de lEglise senracine ainsi dans la foi en Christ, lunique Sauveur ct duquel il ny a pas dautres. Il apparat, la lecture des crits notestamentaires, que cette foi en Christ est la rgle dcisive pour la reconnaissance et la sauvegarde de lunit

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BROWN, R.E., Op. cit., 39-40. CBP, Unit et Diversit, 14-28 ; Ksemann, va jusquaffirmer que le canon du Nouveau Testament ne fonde pas, comme tel, lunit de lEglise. Il fonde au contraire, comme tel, la pluralit des confessions (KSEMANN, Unit et diversit dans lecclsiologie du Nouveau Testament , Etudes thologiques et religieuses, 1966, 253). 3 CBP, Unit et Diversit, 27.

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entre les diffrentes communauts et les diverses tendances tant doctrinales que pastorales. Cependant, il ne sagit pas dune foi circonscrite dans des formules dogmatiques qui, dailleurs, nexistent pas encore lpoque , mais dune foi vcue par les croyants et exprime dans la liturgie, notamment dans la clbration commune du repas du Seigneur. Cest pourquoi, la premire rgle dunit dans la foi nest pas lacceptation intellectuelle dun systme tabli de croyances mais lappartenance lEglise qui la confesse, rassemble autour de la table eucharistique et qui en vit au quotidien ; en dautres termes, celui qui fait partie de la communaut des croyants est sr de persvrer dans la vraie foi car cest la communaut croyante, guide par lEsprit du Seigneur, qui la dtient. Lunit dans la foi nempche pourtant pas lexistence dopinions thologiques varies. Toutefois, tout en ayant des vues distinctes sur certains points de la doctrine, tous croient la mme chose quant lessentiel1. Ainsi, la diversit dans llaboration thologique de la foi ne soppose pas lunit dans la foi vcue par toute lEglise et toutes les Eglises. Ce sensus fidei de la communaut croyante permet de prserver la fois la diversit des thologies et lunit de la foi. Il constitue galement une sorte de filtre existentiel pour la vrification des croyances : celles qui sy opposent sont cartes et leurs adeptes sont exclus de lEglise2.

Brown parle de lunit dans la croyance (unity in belief) et de diversit dans la thologie (Op. cit., 41). Lauteur donne lexemple du baptme qui reoit des laborations thologiques varies dans les Actes, chez Paul et chez Jean mais, travers ces diverses thologies, se rpte, tel un fil rouge, lide de purification des pchs et celle de renouveau spirituel par le don de lEsprit-Saint (p. 45). La mme rgle vaut pour leucharistie : mme si des diffrences sont videntes chez diffrents auteurs, dans toutes ces descriptions apparaissent les mmes lments, notamment linsistance sur son caractre anamntique et sa porte eschatologique (p. 46). A cause de cette unit sur lessentiel, ces diffrentes approches thologiques ne se contredisent pas et apparaissent comme complmentaires. 2 Brown remarque que la diversit doctrinale de lEglise aux temps apostoliques et postapostoliques tait large mais elle ntait pas assez large pour assumer des exagrations que lEglise ressentait comme opposes la vraie foi, comme, par exemple, lbionisme ou le marcionisme (BROWN, R.E., Op. cit., 41). Saint Jean aurait crit son vangile pour rfuter les doctrines adoptianistes et gnostiques dEbion (THOMAS, J., Le mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. JC. 300 ap. JC., 146-153). Marcion, qui prche ses doctrines gnostiques Rome au dbut du second sicle, est excommuni en 144 (cf. TERTULLIEN, Ad. Marc. ; IRENEE, Ad. haer., I, 27, 2-3 ; BLACKMAN, E.C., Marcion and his influence, London, 1948).

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LEglise des temps apostoliques tmoigne galement dune diversit des modles organisationnels des premires Eglises locales. En effet, dans la structure de la communaut originelle de Jrusalem et des Eglises johanniques, il y a des diffrences ; de mme les diverses communauts fondes par Paul ne sont pas organises toutes de la mme manire : nous y remarquons des fonctions et des services varis, les pratiques liturgiques ne sont pas exactement les mmes, etc1. Cette varit dorganisation ne supprime pourtant pas un fait dont tmoignent divers crits provenant de milieux varis, savoir, la prsence, dans toutes ces Eglises, de ministres dtenant lautorit denseigner et de gouverner la communaut au nom du Christ (Jn 21, 15-17 ; 1P 5, 2-11 ; Ac 20, 28)2. Le Nouveau Testament montre que de tels ministres apostoliques, reconnus par les fidles, appartiennent la structure de toutes les communauts chrtiennes, aussi varies et multiples quelles soient. Ils sont transmis par le geste (sacramentel) dimposition des mains (Ac 13, 3 ; 1Tt 4, 14 ; 2Tt 1, 6). Le pre Tillard, en sappuyant sur des tudes bibliques et patristiques pertinentes, estime que ds les origines, il y avait dans lEglise deux types de ministre apostolique. Un premier, le ministre dannonce de la bonne nouvelle du salut en Christ, et un second, le ministre de gouvernement de la communaut. Alors que le premier suscite la foi, le second a pour but de maintenir la communaut dans la fidlit son tre de koinnia, de ly crotre. Nous lappellerions ministre de garde et de maintien dans la fidlit, donc lpiscop3. Mme si lexercice pratique de ce ministre peut diffrer dune communaut lautre, il existe dans toutes les communauts dont nous parle le Nouveau Testament. La reconnaissance mutuelle des ministres est un signe de lunit ecclsiale (il suffit de songer la reconnaissance mutuelle des ministres entre Paul et Barnab dun ct et de Jacques, Cphas et Jean de lautre lors de la fameuse poigne des mains, en signe de communion, lissue du conflit judogentil ; Ga 2, 9). Comme autre exemple de lunit dans la diversit lpoque de lEglise primitive, il convient dvoquer la multiplicit des charismes au sein dune communaut locale. Ce sont notamment les chapitres 1Co 12 et

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CBP, Op. cit. BROWN, R.E., Op. cit., 43-45. 3 TILLARD, J.M.R., Eglise et salut. , 683.

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Rm 12 qui le montrent lvidence1. Puisque cette diversit des dons dont vit une communaut est une uvre de lEsprit-Saint, elle ne conduit pas lclatement de lunit mais, au contraire, elle permet son existence : tous ces dons appartiennent, en effet, la communaut tout entire et doivent tre mis au service du bien commun. A la lumire de la vie de lEglise primitive, dont nous parlent les crits notestamentaires, la diversit apparat comme une structure fondamentale de lunit ecclsiale2. Tout ceci nous convainc que la diversit appartient au plan de Dieu et est constitutive de lunit3. Elle apparat comme une uvre de lEsprit-Saint qui guide lEglise et la maintient dans lunit, travers lhistoire et dans les contextes socio culturels varis. Lunit de lEglise est de type communionnel, ce qui implique que la diversit ne doit jamais tre crase par luniformisation (quil soit doctrinal ou pastoral) mais intgre dans une koinnia multiforme et dynamique, qui volue suivant lendroit et le temps. Dans la perspective biblique, tant lesprit de dispersion que lesprit duniformisation se prsentent comme des pchs contre lunit. Toutefois, comme le discours sur les charismes de saint Paul le montre lvidence, la diversit doit toujours tre oriente vers lunit et lunit, son tour, doit assumer et assimiler les diversits dans une communion ecclsiale soude par la charit. Ainsi, en rassemblant le divers dans lun, lEglise est une mais multiple4. 4.2.3. La primaut de lunit LEglise catholique dans son enseignement magistriel, reconnat formellement que l'universalit de l'Eglise entrane d'une part la plus solide des units et, d'autre part, une pluralit et une diversit, qui ne

1 VANHOYE, R.P.A., Ncessit de la diversit dans lunit selon 1Co 12 et Rm 12 , dans CBP, Unit et Diversit dans lEglise. Textes officiels de la Commission biblique pontificale et travaux personnels des membres, coll. Teologia e Filosifia 15, RomeVatican, 1989, 143-156 ; CULLMANN, O., Lunit par la diversit, Paris, Cerf, 1986. 2 Nous ne pouvons pas largir ici notre enqute sur dautres poques, mais Congar dans un dossier historique bien document, dmontre que la vrit de cette thse stend sur lensemble de lhistoire de lEglise (CONGAR, Y.M., Diversit, 37-53 ; une importante bibliographie sur le sujet, 53-54). 3 LANNE, E., Unit et diversit , 34. 4 JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, coll. uvres compltes, Editions St Augustin, 2000, 1934.

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sont pas un obstacle pour l'unit, mais lui confrent au contraire son caractre de communion1. Cette vision de la communion ecclsiale jaillit directement de lecclsiologie labore par Vatican II et contenue notamment dans Lumen Gentium, Unitatis Redintegratio, Orientalium Ecclesiarum, Christus Dominus. Elle converge avec les conceptions de lunit prconises par les autres grandes traditions ecclsiales. Comme le remarque lactuel prsident du Conseil Pontifical pour la Promotion de l'Unit des Chrtiens, le W. Kasper, dans son discours douverture de son mandat, tous les dialogues (cumniques) sont convergents du fait de tourner autour du concept de communio comme de leur conceptcl. Tous dfinissent lunit visible de tous les chrtiens comme unit de communio, et sont daccord pour la concevoir, par analogie avec le modle trinitaire originel, non pas comme uniformit, mais comme unit dans la diversit et diversit dans lunit2. Toutefois, il faut prciser que dans lecclsiologie catholique notamment celle que lon pourrait qualifier dofficielle , lunit de lEglise a la priorit sur la diversit3 ; ce qui nest pas toujours le cas dans certaines autres conceptions contemporaines de lunit ecclsiale4. Dans lecclsiologie catholique, cest toujours lunit qui est la rfrence de base la diversit5. Et il semble bien que la primaut de lunit sur la diversit soit ncessaire
JEANPAUL II, Discours dans l'audience gnrale, 27. 09. 1989, n 2 dans Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XII, 2 (1989), 679 ; cf. Novo Millennio Ineunte. Lettre Apostolique pour la clture du grand Jubil de lan 2000 (6 janvier 2001), nos 46 et 48 : DC n 2240 (21. 01. 2001), 69+ (publie aussi sur : www.vatican.va, 16. 06. 03) ; CDF, Communionis notio, n15-16. 2 KASPER, W., Situation actuelle et avenir du mouvement cumnique, II, 2 (www.vatican.va, 04. 07. 2003). 3 KASPER, W., Situation actuelle, II, 5. 4 CULLMANN, O., Lunit par la diversit, Paris, Cerf, 1986. Ce livre crit par un cumniste protestant reconnu, prconise, comme lannonce dj le titre, la priorit de la diversit sur lunit dans la communion ecclsiale. Plusieurs propositions du prof. Cullmann ont pourtant trouv un accueil trs favorable du ct catholique, voir, LANNE, E., Unit et diversit. Au sujet de quelques propositions rcentes , Irnikon, 60 (1987), 16-46 (Aprs avoir prsent le livre de Cullmann dans un premier temps, lauteur prsente, dans un deuxime temps, diverses ractions catholiques et passe, dans un troisime temps, une prise de position personnelle) ; HALLEUX, A. de, LUnit par la diversit selon Oscar Cullmann , RTL 22 (1991), 510-523 ; RATZINGER, J., Zum Fortgang der kumene. Brief an den Moderator dieses Heftes in Theologische Quartalschrift 166 (1986), 242-249. 5 CONGAR, Y.M., Diversits, 64.
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pour que la communion ecclsiale nclate pas1. Pourtant, elle ne doit jamais touffer la diversit qui lenrichit. En effet, l'unit ne se fait par la suppression des diffrences cestdire luniformisation , mais par leur intgration harmonieuse dans la vie de lEglise universelle. Ni la diversit des membres et des fonctions nabolit lunit du corps du Christ, ni, inversement, lunit du corps nabolit la diversit des membres et des fonctions (CEC, 791). Anims par lunique Esprit qui distribue ses dons divers pour le bien du tout, et stimuls par la mme charit, les membres de lEglise saident mutuellement lintrieur du corps unique, dans leur cheminement commun vers la communion parfaite du Royaume (CEC, 794). Cependant, par analogie avec le corps humain, cette image paulinienne nous fait comprendre la primaut de lunit sur la diversit, dans la conception organique de la communio ecclsiale : aucun membre ne peut garder sa particularit ni accomplir sa fonction sans demeurer intgr dans le corps. On voit donc bien que lunit de lensemble posent des limites la diversit dans lEglise : l o les diffrences entre des chrtiens ou des communauts empchent la profession commune de la foi et la clbration commune des sacrements, la diversit devient illgitime car elle entrane lclatement de la communion. Le minimum suffisant et ncessaire de cette unit requise rside dans les lments que la doctrine catholique dfinit comme tant de iure divino. Ces lments constituent la structure fondamentale de lEglise dfinie par la volont du Seigneur, que lensemble de fidles et des Eglises particulires doivent accepter dans lobissance de la foi. Cette structure est immuable et aucune autorit ecclsiastique ne peut la changer. Parmi ce que lEglise catholique croit comme venant de lautorit divine, il y a surtout la foi rvle contenue dans les Ecritures et transmise de gnration en gnration par la Tradition, les sacrements, la structure hirarchique avec le ministre ordonn et la primaut du pape, ainsi que tous les dogmes dfinis soit par les conciles cumniques soit par lautorit pontificale. Cependant, cette structure divine de lEglise existe toujours dans une figure concrte qui lexprime et qui nest pas neutre son gard. Contrairement la premire, celle-ci est de iure ecclesiastico : elle
1 Comme le remarque Zoghby, des particularismes levs au-dessus des valeurs communes ont t dans lhistoire de lEglise des facteurs de divisions (ZOGHBY, E., Op. cit., 507).

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englobe tout ce qui, dans lEglise, vient des hommes et est susceptible dvolutions et de variations dues aux divers contextes historiques, politiques, socioconomiques, ethnoculturels, etc. Elle dbouche sur la pluralit lgitime des traditions thologiques et liturgiques, des coutumes et des usages particuliers concernant la vie des communauts locales, etc. La figure concrte de lEglise change suivant les temps et les lieux mais elle doit toujours exprimer, avec la fidlit et lefficacit, sa structure fondamentale. Il peut pourtant arriver quelle ne soit plus apte le faire dans de nouvelles circonstances historiques, et quelle doive tre soumise la rvision et la radaptation ; ces radaptations peuvent concerner lEglise dans son ensemble, mais elles peuvent aussi tre locales. Cest dans ce sens-l que nous parlons dEcclesia semper reformanda1. Tout en restant unie en ce qui est ncessaire, lEglise doit galement prserver sa diversit lgitime car, selon laffirmation du concile, elle est une uvre de lEsprit-Saint qui sert l'dification du corps du Christ (LG, 7 ; UR, 2). Cette diversit lgitime qui rpond au caractre de l'Eglise comme communion, elle touche dabord les fidles et se manifeste dans la pluralits des ministres, des charismes, des formes de vie et dapostolat, les opinions thologiques, ect. Cest ainsi que, tout en conservant l'unit dans ce qui est ncessaire, chacun, au sein de l'Eglise, selon la fonction qui lui est dpartie, doit conserver la libert voulue, soit dans les formes diverses de la vie spirituelle et de la discipline, soit dans la varit des rites liturgiques et mme dans l'laboration thologique de la vrit rvle. Il faut en tout cultiver la charit. De cette faon, tous authentiquement manifesteront de jour en jour la plnitude de la catholicit et de l'apostolicit de l'Eglise (UR, 4). Ainsi, dans la diversit, tous rendent tmoignage de l'admirable unit qui existe dans le corps du Christ; car la diversit mme des grces, des ministres et de l'action rassemble en un seul tout les fils de Dieu, puisque c'est un seul et mme Esprit qui opre toutes ces choses (LG, 32).

La multiplicit des traditions ecclsiales qui coexistent dans lEglise catholique romaine ainsi que des rformes introduites par Vatican II en sont des exemples concrets ; on peut encore mentionner les deux codes diffrents de la loi (latin et oriental) qui son actuellement en usage dans la mme Eglise et qui dfinissent de manires diverses ses figures concrtes.

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Deuximement, la diversit lgitime concerne les variations des traditions liturgiques, spirituelles et thologiques, et de la discipline ecclsiastique entre les Eglises locales au sein de la communion catholique universelle. Dans le dernier paragraphe du n23, Lumen Gentium affirme clairement que la varit des Eglises locales, qui se sont constitues travers les sicles en diffrents lieux, nest pas un hasard mais, bien au contraire, une grce de la divine Providence qui correspond luniversel plan salvifique de Dieu pour le monde. La pluralit des Eglises locales diffrentes des unes des autres est ainsi reconnue comme appartenant de iure divino la structure fondamentale de lEglise universelle. Car, dans le plan de Dieu, lEglise universelle est une, toutes ses Eglises particulires doivent donc demeurer unies entre elles pour former ensemble un tout organique et senrichir mutuellement par leurs dons particuliers venant tous de lunique Esprit-Saint qui anime toute lEglise. La sauvegarde de lunit nempche pourtant pas que ces Eglises jouissent d'une discipline propre, d'une coutume liturgique particulire, d'un patrimoine thologique et spirituel qui est le leur. En effet, cette varit d'Eglises locales convergeant dans l'unit dmontre avec plus d'vidence la catholicit de l'Eglise indivisible (LG, 23). Les ides, annonces ici, sont reprises et explicites davantage en ce qui concerne les Eglises catholique dOrient dans le dcret sur lcumnisme (UR, 14-18) et dans le dcret sur les Eglises orientales catholiques (OE, 2-6). Dans les deux documents, la tradition occidentale et la tradition orientale sont prsentes comme complmentaires et non comme contradictoires ; selon une mtaphore remontant lge patristique, mais devenue clbre lge cumnique, elles apparaissent comme les deux poumons par lesquels respire lunique Eglise1. Si donc lEglise particulire, lie son vque, appartient en tant que telle la structure essentielle de lEglise, le concile reconnat que cette structure peut recevoir des figures concrtes diverses et que cette diversit est lgitime, pour autant quelle ne conduise pas sa sparation avec lEglise universelle2. Le concile cherche ainsi un quilibre entre forces centriptes et forces centrifuges, ou, en dautres termes, entre

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JEANPAUL II, Novo Millennio Ineunte. n48. CTI, Texte et Documents, 341.

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unit et diversit dans lEglise, vcue au niveau des Eglises locales1. Sa vision de lunit, cest celle qui recueille et intgre, dans la communion la diversit des traditions liturgiques, thologiques et pastorales et qui reconnat la lgitime varit des ministres, fonctions, mthodes catchtiques, etc2. Toutes ces diversits de iure ecclesiastico ne doivent pourtant jamais aller lencontre de lunit pour ce qui est dans lEglise de iure divino. L'dification et la sauvegarde de cette unit qui reoit de la diversit son caractre de communion est la premire tche du pontife romain (LG, 13), en collaboration avec les vques (CD, 8) et le peuple des fidles tout entier3. 4.2.4. Domaines de lunit et de la diversit En systmatisant les noncs du concile, le Catchisme numre les domaines essentiels o lunit est requise de iure divino pour prserver lintgralit et lintgrit de la communion ecclsiale (CEC, 814 ; cf. LG, 14) : - la profession dune seule foi reue des aptres ; - la clbration commune du culte divin, surtout des sacrements ; - la succession apostolique par le sacrement de lordre, ou en dautres termes, la constitution hirarchique de lEglise. Aucune personne et aucune communaut ne peut prtendre tre pleinement et visiblement unie lEglise quaux conditions de lui appartenir par la confession de la foi de lEglise, la clbration de ses sacrements, et lappartenance ses structures de visibilit articules autour du ministre de direction des vques et du pontife romain4. 4.2.4.1. La foi rvle Conformment au message des Ecritures, cest dans la reconnaissance de Jsus comme Messie cestdire dans la foi en lui que sige le lien le plus fort de lunit de lEglise5. La foi nous unit au Christ et, en
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ANGEL, A., Lecclsiologie postconciliaire. Les attentes, les rsultats et les perspectives pour lavenir dans Latourelle, R., (sous la dir. De), Vatican II. Bilan et perspectives (1962-1987), t. 1., Montral Paris, 1988, 411-440 (430). 2 MEHL, R., Lunit conciliaire de lEglise , in Die Einheit der Kirche. Dimensionen ihrer Heiligkeit, Katholizitt und Apostolizitt. Festgabe Peter Meinhold, Wiesbaden, 1977, 69-79 (76-77); CONGAR, Y.M., Diversit, 12-13. 3 CDF, Communionis notio, n15. 4 Ibid., n11. 5 RIGAUX, B., Le mystre , 237.

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lui, les uns aux autres (Ep 4, 13) ; par la foi, nous devenons enfants de Dieu (Jn 1, 12)1 et membres du corps du Christ. Pour que lEglise soit une, la foi de lEglise doit aussi tre une ; il y a un seul corps (Eglise) car il y a une seule foi (Ep 4, 4-5). Les vrits de la foi nous ont t donnes par la rvlation divine. Pour demeurer dans la plnitude de la foi, il est ncessaire dadhrer tout ce que Dieu a rvl, et viter les doctrines contraires (CIC, can. 750)2. Cette rvlation est contenue dans les Ecritures qui nous enseignent nettement, fidlement et sans erreur, la vrit telle que Dieu, en vue de notre salut, a voulu qu'elle ft consigne dans les Saintes Lettres (DV, 11). Comme il ny a quune seule Bible dans lEglise, il ne peut y avoir quune seule foi3. La parole de Dieu, do jaillit la foi de lEglise, a t rvle lEglise, dans lEglise et pour lEglise (DV, 10)4. Son intelligence sapprofondit continuellement dans la Tradition vivante, grce laquelle lEglise garde fidlement le dpt sacr et le transmet, de gnration en gnration sans aucune altration (DV, 8). Car la parole de Dieu appartient en propre lEglise : tout ce qui concerne la manire d'interprter l'Ecriture est soumis en dernier lieu au jugement de l'Eglise, qui s'acquitte de l'ordre et du ministre divin de garder et d'interprter la parole de Dieu (DV, 12)5. En effet, lEglise jouit continuellement de la guidance de lEsprit de vrit (cf. Jn 14, 17 ; 15, 26 ; 16, 13), le mme qui la inspire au moment de mettre par crit la rvlation. Tout en tant soumise, dans la foi, la parole de Dieu (DV, 10), lEglise est infaillible dans son interprtation ; elle possde et enseigne la totalit de la vrit rvle sans erreur ni altration (CEC, 889). La permanence de toute la rvlation dans lEglise est assure par lensemble du peuple de croyants, grce au sensus fidei par lequel tous expriment leur consentement universel en matire de foi et de murs
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La foi est le premier des tous les liens qui unissent lhomme Dieu (LEO XIII, Satis cognitum, n6 ; http://www.vatican.va, 05 02 2004). 2 Cf. THOMAS D'AQUIN, STh, IIa-IIae, qu. 1, a. 1. 3 BAUM, G., Op. cit., 25. 4 Le canon notestamentaire sest form dans un contexte explicitement ecclsial et lusage liturgique par lensemble des Eglises des crits incertains a t une rgle dcisive pour leur admission ou leur rejet dfinitifs. 5 Dans lenseignement de la foi, ceux qui en ont la charge au nom de lEglise doivent toujours tre soucieux de l'troite unit de toute la doctrine de la foi et de son harmonie (CIC, can. 254 1).

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(LG, 12)1. Le Magistre de lEglise propose croire comme rvl uniquement ce qui est manifest par la commune adhsion des fidles (CIC, can. 750). Lunit de foi ne nie pas la lgitime diversit thologique. Des opinions varies peuvent coexister lintrieur de lEglise, sans que lunit doctrinale soit mise en pril. En effet, si tous sont tenus confesser fidlement les vrits fondamentales, chacun peux avoir des vues personnelles sur les articles discuts2. Cest pourquoi, en exposant la doctrine, [les thologiens] se rappelleront qu'il y a un ordre ou une hirarchie des vrits de la doctrine catholique, en raison de leur rapport diffrent avec les fondements de la foi chrtienne (UR, 11). Ces opinions particulires aident approfondir divers mystres de la foi et elles peuvent tre tenues, tant par des personnes individuelles, que par des traditions ecclsiales. Cest ainsi que, par exemple, la varit des formulations thologiques de la doctrine entre lOccident et lOrient ne doit pas aller lencontre de lunit dans la foi. Au contraire, ces diffrentes formules, plus complmentaires que contradictoires, peuvent aider les Eglises de traditions diffrentes approfondir des aspects de la foi qui ont t mieux saisis par les unes que par les autres (UR, 17). Le cardinal Ratzinger parle cet gard dune polarit sans contradiction3. Toutefois, cette lgitime varit doctrinale ne doit dtourner aucun membre de lEglise de lorientation commune de la foi, dtermine par ce que le peuple de Dieu tout entier croit toujours et partout4. Pour

GRILLMEIER, A., Esprit, position fondamentale et caractre propre de la constitution Lumen Gentium , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II. Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 2, Paris, Cerf, 1966, 165. 2 CONGAR, Y.M., Diversits et Communion, col. Cogitatio Fidei 112, Paris, Cerf, 1982, 9. Selon le droit canonique, il revient l'vque diocsain de dfendre avec fermet l'intgrit et l'unit de la foi par les moyens qui paraissent les mieux adapts, en reconnaissant cependant une juste libert en ce qui regarde les vrits qui demandent encore tre approfondies (CIC, can. 386 2). 3 Expression de Ratzinger cit dans LANNE, E., Unit et diversit , 29. 4 On peut voquer ici le Canon de Vincent de Lrins : Quod ubique universalit, quod semper continuit historique, quod ab omnibus de commun accord (Vincent de Lrins cit daprs ldition de R.S. MOXON, The Commonitorium of Vincentius of Lerins, Cambridge, 1915, 10-11). On voit bien que dans cette optique ecclsiale, les dogmes de lEglise apparaissent comme une formalisation magistrielle des vrits rvles et crues par lensemble des fidles et non pas comme un enseignement

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demeurer une, lEglise du Christ doit prcher un seul et unique message1. Cest pourquoi, lunit dans la foi est la fois un don du Seigneur et une responsabilit de son Eglise et de tous ses membres, qui doivent lembrasser par une adhsion de cur et desprit. Cest en demeurant dans la mme foi que tous poursuivront dun commun effort lunique idal du Royaume de Dieu dont nous parle le Christ dans son vangile. La foi en Christ, en effet, ne se limite pas ladhsion intellectuelle un systme de croyances, mais elle est dabord un chemin de vie avec des implications existentielles trs concrtes2. Comme le dit le concile, lEglise fonde par le Christ et runie constamment dans lunit par son Esprit est une communaut de foi (LG, 8). Cette foi est une vrit divine catholique (LG, 25) selon le double sens de ce qualificatif : premirement, elle contient toutes les vrits rvles quil est ncessaire de croire pour parvenir au salut (plnitude) ; deuximement, elle sadresse tous les hommes et doit se rpandre sur toute la terre (universalit). Selon lenseignement du Christ lui-mme, et rappel par le concile, la foi est ncessaire au salut (Mc 16, 16 ; Jn 3, 5, cf. LG, 14), cest pourquoi, tous les membres de lEglise pasteurs et fidles doivent apporter l'obissance de la foi Dieu qui rvle (DV, 5 ; cf. Rm 16, 26 ; cf. 1, 5 ; 2Co 10, 5-6). Guid par l'Esprit de vrit, qui amne lEglise la vrit tout entire (LG, 25, cf. Jn 16, 13), lensemble des fidles ne peut pas errer dans la foi, lorsque, depuis les vques jusqu'au dernier des fidles lacs, il croit unanimement ce que Dieu rvle (LG, 12).
autoritaire du pouvoir ecclsiastique. Cf. JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, 2050-2055. 1 BAUM, G., Op. cit., 27. 2 Nous ne pouvons pas entrer ici dans la discussion sur les implications morales de la foi. Il convient pourtant de mentionner que dans les cercles cumniques, on parle aujourdhui dhrsie thique qui peut elle aussi tre un facteur de divisions et conduire lclatement de la communion ecclsiale. Dans le sens plnier, en effet, lunit dans la foi ne se limite pas un accord sur la comprhension des doctrines rvles mais comprend galement un consensus sur les implications morales de la foi professe dans la vie de lEglise et de ses membres. Il y a une unit interne entre lorientation doctrinale et lorientation morale dans lEglise. Cest pourquoi, il appartient l'Eglise d'annoncer en tout temps et en tout lieu les principes de la morale, mme en ce qui concerne l'ordre social, ainsi que de porter un jugement sur toute ralit humaine, dans la mesure o l'exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le salut des mes (CIC, can. 747 2).

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Cette foi constitue un unique dpt de vrits divines (DV, 10). Les vques, qui sont les hrauts de la foi (LG, 25), doivent la proclamer entirement ainsi que promouvoir et dfendre l'unit de la foi (LG, 23). De mme, les fidles lacs, munis par lEsprit-Saint du sens de la foi (sensus fidei), doivent en tmoigner tant par une vie sainte que par une parole difiante (LG, 35). Professe par toute lEglise dans le credo, la foi est parmi les liens qui unissent tous les fidles dans ce mme ensemble visible quest l'Eglise (LG, 14). Grce lunicit de la foi (Ep 4, 5) et lunit universelle de tous les fidles dans la foi, le peuple de Dieu est un et unique sur la terre et montre ainsi sa catholicit (LG, 32). Celle-ci sest manifeste pour la premire fois, le jour de la Pentecte, lorsque, la prdication de Pierre et des aptres, un grand nombre dhommes venant de diffrents pays se sont joints lEglise, prfigurant ainsi lunion des peuples dans la catholicit de la foi (AG, 6). Ces vues conciliaires sur la catholicit de la foi refltent la Tradition ancienne de lEglise, telle quelle se trouve exprime par saint Irne dans son Adversus Haeresis o nous lisons le passage suivant : Cest cette prdication [des aptres] que lEglise a reue ; cest cette foi : et bien quelle soit disperse dans le monde entier, elle la garde soigneusement comme si elle habitait une seule maison, et elle y croit unanimement comme si elle navait quune me et quun cur (). Sans doute, les langues, sur la surface du monde, sont diffrentes, mais la force de la tradition est une et identique. Les Eglises fondes dans les Germanies nont pas une autre foi ni une autre tradition ; ni les Eglises fondes chez les Ibres, ou chez les Celtes, ou en Orient, en Egypte, en Lybie, ou au centre du monde1. 4.2.4.2. Les sacrements, surtout leucharistie Selon la doctrine conciliaire, la liturgie est le sommet auquel tend l'action de l'Eglise (SC, 10). En rassemblant dans lunit les enfants de Dieu, elle manifeste et difie la communion ecclsiale jusqu' ce qu'il y

IRENEE, Adv. Haer. I, 10, 1, 2 : PG 7, 551+ (SCh 264, 154-161). Dans le mme sens, le Martyre de saint Polycarpe, dcrit la catholicit dune Eglise locale comme son rattachement la communion de foi de toute lEglise. Au Moyen Age, Ablard, crit que la fides catholica se caractrise par deux traits qui en font une foi universelle : elle simpose tous et elle est rpandue partout (PIERRE ABELARD, Introd. ad Theol. I, 4 : PL 178, 986 c).

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ait une seule bergerie et un seul pasteur (SC, 2). Par la clbration du culte notamment sacramentel les croyants sunissent, d'une faon mystrieuse mais bien relle, au Christtte et entre eux, pour ne faire quun seul corps avec lui (LG, 7). Reprenant ces ides conciliaires, le Code de Droit Canonique affirme que les sacrements du Nouveau Testament institus par le Christ Seigneur et confis l'Eglise, en tant qu'actions du Christ et de l'Eglise contribuent largement crer, affermir et manifester la communion ecclsiastique (CIC, can. 840). Le Catchisme postconciliaire explicite quen vertu des sacrements notamment du baptme qui nous fait entrer dans le corps du Christ (CEC, 1267-1270) et qui constitue le fondement de la communion entre tous les chrtiens (CEC, 1271), ainsi que de leucharistie qui la couronne (CEC, 1324-1325 et 1396) , lEglise apparat comme tant une koinnia sacramentelle (UR, 22 ; CEC, 1118-1119)1. Depuis lantiquit, la thologie tant en Occident quen Orient atteste que la participation commune des fidles aux mmes biens du salut (communicatio in sacris) est la racine de la communion des saints (communio sanctorum) ; elle manifeste leur solidarit spirituelle et tend leur union effective dans la charit en constituant un seul cur et une seule me2 ; elle cre entre eux une situation de communion, enracine dans ces biens divins. Car, parmi ces biens spirituels (sancta), les sacrements occupent une place de premire importance : ils ont toujours t considrs par les chrtiens comme une expression particulirement forte de lunit de lEglise, et un moyen minent pour lapprofondir continuellement3. Cependant, lunit sacramentelle nexige pas luniformit des rites. Diverses traditions cultuelles ont toujours t admises et reconnues dans

DENAUX, A., LEglise comme communion. Rflexions propos du Rapport final du Synode extraordinaire de 1985 , NRT 110 (1988), 33-35. 2 CDF, Communionis notio, n6 ; cf. CONGAR, Y.M., Chrtiens dsunis. Principes dun cumnisme catholique, coll. Unam Sanctam 1, Paris, Cerf, 19482, 63 (le livre est publi galement sur : www.editionsducerf.fr, 10. 06. 2003) ; cf. Catchisme du Concile de Trente, Pars I, art. IX, n25. 3 Lexpression communio sanctorum, telle quon la trouve dans le Symbole des aptres depuis le 4me sicle, possde un double sens (il convient de souligner quil sagit dun seul double sens et non pas deux sens) : elle dsigne la fois et insparablement la participation des fidles aux biens du salut donns par Dieu (sacrements, en particulier), et la communion ecclsiale qui en rsulte (KASPER, W., LEglise comme communion , 17-20).

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lEglise sans que son unit soit remise en cause. Pourvu que lon garde fidlement l'unit substantielle du rite (SC, 38), cestdire les lments essentiels de la clbration que lEglise croit dinstitution divine, les crmonies cultuelles peuvent varier suivant le temps et le lieu, ce qui enrichit la vie liturgique de lEglise. Le concile a reconnu cette varit et la confirme solennellement : il a introduit lui-mme de grandes rformes dans la manire de clbrer le culte (notamment eucharistique) et tabli des directives gnrales pour les adaptations ncessaires de la liturgie la diversit des assembles, des rgions et des peuples (SC, 37-40) ; il a mme oblig les autorits ecclsiastiques locales adapter plus profondment la liturgie aux circonstances particulires de leurs Eglises (LG, 40). Mme si tous les sacrements contribuent ldification du corps du Christ (SC, 59), cest dans leucharistie que la communion ecclsiale atteint son point culminant (LG, 11). En effet, elle est le centre et le sommet de tous les sacrements (AG, 9), qui sont ordonns elle comme leur fin (CEC, 1211)1. Cest pourquoi, la clbration de leucharistie est lacte central du culte chrtien et de la vie ecclsiale (SC, 10 ; PO, 5 ; CIC, can. 897). Rassembls pour la sainte communion, les chrtiens manifestent concrtement l'unit du Peuple de Dieu, qui, dans ce sublime sacrement, est convenablement signifie et merveilleusement ralise (LG, 11 ; cf. 3) ; par le Sacrement du pain eucharistique, est reprsente et rendue effective l'unit des fidles qui forment un seul corps dans le Christ2. Ainsi, lexpression communio eucharistica dsigne la fois la rception de leucharistie par les participants du repas du Seigneur et la relation dintime proximit, qui en rsulte, entre eux (UR, 22). Les documents du Magistre relvent cet gard que la prire de Jsus pour lunit des siens, dans lvangile de saint Jean (Jn 17, 20-21), se trouve lendroit o les autres vanglistes dcrivent la dernire cne et linstitution de leucharistie. En effet, avant de s'offrir sur l'autel de la croix comme hostie immacule, Jsus a pri le Pre pour lunit de ses disciples (et de ceux qui croiront grce leur parole), aprs quoi, il a
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THOMAS D'AQUIN, STh., IIIa, q. 65, a. 3. A la suite de Nicolas de Cuse (Concordantia Catholica, lib. I c. 6 ; d. Kallen, Hamburg, 1964, 53-54), leucharistie est appele dans lEglise, le sacrement des sacrements. 2 JEANPAUL II, Ecclesia de Eucharistia, n21.

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institu dans son Eglise l'admirable sacrement de l'eucharistie qui exprime et ralise l'unit de l'Eglise (UR, 2). LEglise, dans son enseignement officiel, rappelle rgulirement que le lien entre lunit des croyants et le partage eucharistique est fortement soulign dans la doctrine paulinienne du repas du Seigneur. Cest surtout sa Premire Lettre aux Corinthiens qui est la rfrence biblique la plus significative cet gard. Dans cet crit, la participation au corps du Christ possde un sens tantt eucharistique, tantt ecclsial : La coupe de bndiction que nous bnissons, n'est-elle pas communion au sang du Christ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ? Parce qu'il n'y a qu'un pain, plusieurs nous ne sommes qu'un corps, car tous nous participons ce pain unique (1Co 10, 16-17). Paul associe troitement le thme du corps et le thme du pain partag1. Il sagit tout dabord du corps personnel du Christ glorifi, que les fidles partagent dans leucharistie, et ensuite de son corps ecclsial qui se manifeste et se construit autour de lautel. Il apparat clairement que dans la pense de Paul, le corps personnel du Christ, offert dans le pain de la communion, est donn aux fidles en vue de la consommation par laquelle lassemble des fidles devient le corps du Christ. Sil faut distinguer entre le corps du Christ glorifi au ciel et le corps du Christ quest lEglise il nest pourtant pas permis de sparer lun de lautre car par la participation leucharistie qui est elle aussi corps du Christ , les croyants ne font quUn in Christo2. Comme le souligne Cerfaux (et bien dautres exgtes), la formule paulinienne corps du Christ est en rapport direct avec linstitution de la Cne par le Seigneur dune part, et

Cerfaux estime, que le thme du pain partag est plus archaque et proprement chrtien tandis que le thme du corps est dorigine hellnistique et a t consciemment assimil par Paul dans sa doctrine ecclsioeucharistique. Il en dduit que, originellement, lide dunit tait lie au pain (bris) et non au corps et reposait sur le geste du Christ distribuant tous les morceaux dun pain unique (CERFAUX, Op. cit., 203). Ceci accentue encore davantage la thse selon laquelle dans lEglise primitive, lunit de la communaut ecclsiale tait ressentie par les fidles comme une unit proprement eucharistique et que la participation la mme eucharistie manifestait lappartenance de tous la mme communaut de foi. 2 ROBINSON, J.A.T., Le corps, 101.

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la clbration de leucharistie par la communaut chrtienne dautre part1. Comme le Christ, prsent dans leucharistie, est un, de mme tous ceux qui y prennent part aussi nombreux quils soient ne forment quun seul corps par lui et en lui. Ainsi, la communion eucharistique se rvle comme le sacrement de la communion de lEglise2. Chez Paul, la koinnia des fidles est troitement lie au repas du Seigneur : par leur participation commune au corps eucharistique, ils ralisent et manifestent lunit du corps ecclsial du Christ3. Lunit que les chrtiens clbrent ensemble dans leucharistie est la fois une unit desprit et une unit de vie ; cest justement pour cette raison que Paul rprouve les divisions entre les chrtiens : ceux qui clbrent leur unit de cur dans leucharistie doivent montrer leur unit de vie dans la pratique de la charit4. En liant troitement la communion ecclsiale avec la communion eucharistique, le concile se place parfaitement dans le sillage de la pense notestamentaire et paulinienne en particulier. Cest par la participation ce pain unique que les fidles forment, in Christo, un seul corps, son Eglise (aux textes conciliaires cits plus haut, il convient dajouter encore : AA, 8 ; PO, 6 ; cf. 1Co 12, 27 ; Rm 12, 5). Dans lensemble de lenseignement conciliaire, leucharistie apparat comme source et force cratrice de communion entre ceux qui, par la foi et le baptme, sont devenus membres de l'Eglise5. Leucharistie et lEglise sont si intimement lies entre elles quelles ne font quune seule ralit. Ratzinger affirme que, lEglise est clbration de lEucharistie, lEucharistie est lEglise ! Elles ne sont pas juxtaposes, elles sont la mme chose6. Et Tillard explique que cette identification dsigne son

Cerfaux la distingue de la formule hellnistique comme un seul corps et affirme que les deux se compltent dans lecclsiologie de Paul sans squivaloir (Op. cit., 201-225). 2 CONGAR, Y.M., Un peuple messianique, 67. 3 Cf. Supra, dans la Premire tude : La communion dans le Nouveau Testament, 13-33. 4 CERFAUX, L., Op. cit., 202. 5 CDF, Communionis notio, n5. 6 RATZINGER, J., Les principes de la thologie catholique, coll. Croire et Savoir 6, Paris, Tqui, 1985, 56. Lvolution de lexpression corpus mysticum montre que tant lEglise que leucharistie sont corps du Christ (voir ce sujet, DE LUBAC, H., Corpus Mysticum. Eucharistie et Eglise au MoyenAge, Paris 19492).

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[Eglise] tre le plus profond. Il ne sagit pas dune simple image1. Cest pourquoi, selon une formule rendue populaire depuis le pre De Lubac, cest lEglise qui fait leucharistie mais cest aussi leucharistie qui fait lEglise2. Dans la perspective de cette profonde identification entre leucharistie dun ct et lEglise de lautre, il devient clair que, pour la foi catholique, l'unicit et l'indivisibilit du Corps eucharistique du Seigneur implique l'unicit de son Corps mystique, qui est l'Eglise une et indivisible3. Dans l'eucharistie, le Christ, prsent dans le pain et le vin et se donnant nouveau, construit lEglise comme son corps et par son corps ressuscit, il nous unit Dieu un et trine et entre nous4. Leucharistie a pour fruit principal lapprofondissement de ltre communautaire du corps du Christ5. Cest donc lautel que lEglise ralise son unit essentielle, en rassemblant dans une communaut pleinement rconcilie in Christo la diversit des fidles, en dpit de leurs diffrences personnelles et des obstacles humains quils pouvaient opposer cette unit. Cest donc dans la clbration de leucharistie que lEglise se ralise et se manifeste, au plus haut degr, comme un mystre de communion divinohumaine6. Lecclsiologie de communion, sa base mme, est une ecclsiologie eucharistique7. Selon la constitution sur la liturgie, toute clbration liturgique est une manifestation visible de lEglise entire et exprime son unit (SC, 26). Si la foi baptismale est le fondement de la communion catholique de tous les fidles dans lEglise, leucharistie en est lexpression liturgique la plus parfaite et la manifestation extrieure la plus universelle. Selon le concile, dans chacune des assembles eucharistiques mme si souvent elles sont petites, pauvres et loignes les unes des autres se ralise la prsence complte de lEglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique (LG, 26). Leucharistie exprime ainsi la plnitude ecclsiale
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TILLARD, J.M.R., Eglise et salut. Sur la sacramentalit de lEglise , NRT 106 (1984), 658-685 (665). 2 DE LUBAC, H., Mditations sur lEglise, Paris, Aubier, 1953, 113 ; cf. CEC, 1396. 3 CDF, Communionis notio, n11. 4 RATZINGER, The ecclesiology of Vatican II , L'Osservatore Romano. Weekly Edition in English (23 January 2002), 5. 5 TILLARD, J.M.R., Eglise et salut , 681-682. 6 ZOGHBY, E., Op. cit., 498. 7 RATZINGER, The ecclesiology of Vatican II , L'Osservatore Romano. Weekly Edition in English (23 January 2002), 5.

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ralise dans chaque communaut de fidles, rassemble lgitimement autour dun prsident (vque ou prtre dlgu par lui, SC, 42), pour la clbration du mystre chrtien. Chaque clbration eucharistique condition toutefois quelle remplisse les conditions de validit ralise pleinement l'uvre de notre rdemption (LG, 3) et contient tout le mystre de notre salut. Dans la fraction du pain eucharistique, les fidles sont levs la communion avec le Seigneur et entre eux, communion qui surpasse toutes les frontires (LG, 7). LEglise est catholique puisque, dans tous les rassemblements eucharistiques de fidles travers le temps et lespace, se clbre le mme et universel mystre du salut. Cette unicit et cette universalit de leucharistie manifestent la catholicit de lEglise du Christ qui nest autre chose quune communion historique et gographique des communauts eucharistiques particulires. Grce leucharistie, toute communaut locale de fidles lgitimement rassemble autour dun prsident , du fait de clbrer partout le mme et unique mystre, ralise et manifeste lEglise du Christ dans sa plnitude. Cest l, pourrait-on dire, laspect qualitatif de lunit eucharistique de lEglise. Mais leucharistie exprime galement laspect quantitatif de lunit ecclsiale. En effet, rassemble autour de la table du Seigneur, chacune des communauts exprime sa communion avec toutes les autres communauts semblables travers le monde, et qui clbrent actuellement le mme mystre, avec celles du pass qui le leur ont transmis dans une Tradition de foi remontant aux origines de lEglise (LG, 6) et celles du futur qui le recevront delles et qui le perptueront jusqu ce que le Seigneur revienne. Leucharistie reprsente et produit l'unit des fidles ceux de toujours et de partout , qui constituent ensemble un seul corps dans le Christ (LG, 3, cf. 1Co 10, 17). Ainsi, leucharistie ralise et manifeste lunit de lEglise dans sa dimension gographique et dans sa dimension historique. Cest ainsi que, considrs ensemble, tous les rassemblements eucharistiques des fidles passs, actuels et futurs , reprsentent l'Eglise visible tablie dans l'univers (SC, 42). A cause de cette catholicit intrinsque de leucharistie, sont surpasses autour de la table du Seigneur, toutes les frontires juridiques dans lEglise, et son unicit se rvle en pleine lumire. Quelle que soit, du point de vue canonique, lappartenance diocsaine ou paroissiale des fidles rassembls pour le repas du Seigneur, chacun est dans son Eglise, cestdire dans lunique et universelle Eglise du Christ,
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nourrie et maintenue dans la pleine communion catholique, par lunique eucharistie1. En effet, le sacrifice eucharistique, tout en tant clbr chaque fois dans une communaut particulire, est toujours une clbration de toute lEglise, qui reoit du Seigneur le don du salut dans son intgralit (LG 26)2. A chaque eucharistie, la communaut clbrante se manifeste comme une communaut catholique ralisant en elle les critres d'ecclsialit que sont unit, saintet et apostolicit3. Leucharistie manifeste ainsi lunique identit catholique de toutes les communauts qui la clbrent. Lunit eucharistique de la communion ecclsiale est de type pneumatique : en communiant lunique pain et en buvant la mme coupe, tous les membres du corps du Christ reoivent le mme Esprit qui protge la communion ecclsiale tant contre un morcellement chaotique que contre une uniformit monolithique. Dans la force de cet Esprit de koinnia, lEglise se manifeste, leucharistie, comme une communion dans laquelle sont surmontes toutes les oppositions entre les sexes, cultures, races, rangs sociaux, etc. Elle se rvle ainsi comme le peuple de Dieu unique et uni, tabli par le Christ en communion de vie, de charit et de vrit (LG, 9)4. Grce leucharistie, lEglise ralise et manifeste pleinement son universalit. Chaque eucharistie est clbre par une communaut particulire de fidles, rassemble autour de lvque (ou du prtre qui le reprsente). Vatican II dit que cette clbration est lexpression la plus forte de son unit locale (LG, 11). Cependant, le peuple de Dieu est un peuple catholique, cestdire rpandu dans tout lunivers (LG, 13). Chaque communaut particulire fait partie de ce peuple unique. Sur tous les autels du monde, cest la mme eucharistie qui est offerte re prsentation sacramentelle de lunique sacrifice du Christ, offert une fois pour toutes, pour le salut du monde ; dans chaque eucharistie, les

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CDF, Communionis notio, n10. Ce nest pas une vue nouvelle mais une tradition bien ancienne dans lEglise, cf. AUGUSTIN, In Ioann. Ev. Tract., 26, 13: PL 35, 1612-1613. 3 DORE, J., L'Eglise la veille du grand Jubil 2000 Relire Lumen Gentium , DC, n 2190 (18/10/1998), n4a-b, p. 875 (publi galement sur http ://www.doc-catho.com). 4 DENAUX, A., LEglise comme communion. Rflexions propos du Rapport final du Synode extraordinaire de 1985 , NRT 110 (1988), 16-37 ; 161-180.

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fidles rassembls en son nom se nourrissent de son corps unique et le mme partout. Grce lidentit du mystre eucharistique, qui est partout le mme, chacune de ces assembles locales nest pas une fraction de lEglise mais une ralisation concrte et plnire de lEglise ; elle jouit de la plnitude decclsialit1. L'unicit et l'indivisibilit du corps eucharistique du Seigneur implique l'unicit et lindivisibilit de son corps ecclsial, lui aussi un et indivisible. Le concile souligne cet aspect lorsquil affirme que, dans chacune des assembles eucharistiques, le Christ est prsent, qui, par sa puissance, rassemble l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique (LG, 26)2. Chaque assemble eucharistique locale se runit autour de lautel dans la conviction de clbrer le mme mystre que clbrent toutes les autres assembles semblables disperses dans le monde. Ainsi, chaque communaut particulire prend conscience de son appartenance au mme et unique corps ecclsial qui se rassemble travers le monde autour du mme et unique corps eucharistique. Cest donc, partir de ce centre eucharistique que chaque communaut locale sinsre dans le corps ecclsial du Christ, unique et sans division3. Lunique eucharistie soude toutes les communauts locales en un seul corps, car chaque clbration eucharistique dune communaut particulire est toujours en mme temps celle de toute lEglise4. La communion des Eglises locales au sein de lEglise universelle possde ainsi une dimension eucharistique inhrente. Il est donc apparent que, pour lecclsiologie catholique, leucharistie est la racine de la communion des Eglises locales dans lEglise universelle ; elle est toujours une clbration de toute lEglise5. A travers leucharistie, chaque fidle qui appartient une Eglise particulire appartient toutes les Eglises, car leucharistie est toujours clbre par
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ZOGHBY, E., Op. cit., 496-497. Cf. AUGUSTIN, C. Faustum, 12. 20: PL 42. 265 ; In Ioann. Ev. Tract., 26, 13: PL 35, 1612-1613. 3 CDF, Communionis notio, n11. 4 McPARTLAN, P., Sacrament of salvation. An Introduction to Eucharistic Ecclesiology, Edinburgh, T&T Clark, 1995, 67. 5 Selon la Congrgation pour la Doctrine de la Foi, pour cette raison aussi, l'existence du ministre de Pierre, fondement de l'unit de l'Episcopat et de l'Eglise universelle, est en correspondance profonde avec le caractre eucharistique de l'Eglise (CDF, Communionis notio, n11).

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une communaut particulire dans la communion du corps du Christ unique et universel1. A la lumire de leucharistie, lappartenance lEglise se rvle comme tant en mme temps et insparablement particulire et universelle. Cette unit eucharistique de lEglise nest pas seulement gographique mais aussi historique. Chaque clbration de leucharistie exprime lunit du corps du Christ, travers toute lhistoire remontant jusquaux aptres qui, la dernire cne, ont reu du Seigneur lordre de partager ce repas en mmoire de lui jusqu ce quil revienne2. Lunit hirarchique de lEglise tant dans sa dimension locale que dans sa dimension universelle est ancre elle aussi dans la clbration de leucharistie. Lvque du lieu qui est le chef de lEglise locale, est galement, et mme surtout, le prsident de lassemble eucharistique. Cest au titre de cette double prsidence quil constitue un centre visible dunit de sa communaut. Le collge piscopal, compos des prsidents des assembles eucharistiques locales qui sont en mme temps chefs et gouverneurs des Eglises, constitue un lien visible de la communion universelle des Eglises locales. La communion hirarchique de lEglise est ainsi intimement et insparablement lie la communion eucharistique3. Lunit du culte eucharistique de lEglise nimplique pourtant pas lunicit du rite. Comme pour les autres clbrations, une pluralit lgitime est admise ce niveau ; elle exprime la varit des traditions liturgiques et spirituelles dans lEglise. LEglise catholique a toujours autoris des rites multiples condition quils contiennent des lments constitutifs de la clbration eucharistique, notamment lusage du pain et du vin et les paroles de la conscration. Lunit eucharistique de lEglise signifie qu travers des rites diffrents, chaque communaut rassemble autour de la table du Seigneur clbre le mme et unique

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Ibid., n10. McPARTLAN, P., Op.cit., 67. Cette continuit historique est exprime dans la liturgie eucharistique par la commmoration des saints. 3 ZOGHBY, E., Op. cit., 502-503.

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sacrifice du Christ offert une fois pour toutes pour le salut du monde1. Chaque fois que leucharistie est clbre, les fidles font mmoire du mme vnement pascal et rappelle la mort du Seigneur jusqu ce quil vienne (1Co 11, 26). Sur tous les autels du monde et travers des rites varis, les chrtiens ont la conscience de partager lunique pain et de participer lunique coupe par lesquels le Seigneur les rassemble en un seul corps, son Eglise. 4.2.4.3. Les structures visibles dunit Comme nous lavons constat, ds le dbut de cette tude, le concile conoit lEglise comme une koinnia. Celle-ci est ralise par lEspritSaint oprant par la grce dans les membres du corps du Christ et les faisant participer la vie de la tte (LG, 7). Dans cette conception, qui est conforme lesprit de la Bible, la communion spirituelle de vie in Christo, prime sur lappartenance formelle aux structures ecclsiastiques institutionnelles2. En mme temps, le concile affirme que sont pleinement incorpors lunit ecclsiale ceux qui sont unis dans ce mme ensemble visible de l'Eglise, avec le Christ qui la rgit par le souverain Pontife et les vques (LG, 14). Selon lecclsiologie conciliaire, les structures de visibilit de lEglise sont ordonnes la communion spirituelle dans les biens du salut, et la servent3. Cependant, il nest pas permis considrer ces structures comme contingentes car, comme laffirme explicitement le concile, la structure visible de lEglise est un signe de son unit dans le Christ (GS, 44 3). Par consquent, elle fait partie intgrante de ltre ecclsial, et lappartenance cette structure est une condition de la pleine appartenance lEglise. Certes, selon lecclsiologie catholique contemporaine, lunit de lEglise est dabord une unit mystique qui rsulte de la participation des fidles aux mmes biens spirituels dont elle vit. Toutefois, constitue dhommes et de femmes, lEglise forme galement, en ce monde, une communaut sociologique spcifique, structure par des lments visibles tels que les professions de foi, un culte liturgique

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JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, 2070-2071. Cf. BERROUARD, M.F., La premire communaut de Jrusalem comme image de lunit de la Trinit , dans Mayer, C. & Chelius, K.H. (ds.), Homo Spiritalis, Wrzburg, 1987, 207-224 (213). 3 ZOGHBY, E., Op. cit., 504.

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organis avec les sacrements au centre, une structure hirarchique articule autour du ministre piscopal transmis par le sacrement de lordre. Ces structures de visibilit sont requises, tant par la condition sociale de lhomme1, que par le caractre incarnationnel de lconomie du salut et par le caractre terrestre de lEglise prgrinante2. Selon le concile, elles sont indissociablement lies la communion spirituelle dans le corps du Christ car elles crent les conditions ncessaires son avnement et en tracent le cadre ecclsial3. Elles appartiennent intrinsquement lEglise en tant que mysterium salutis, dans lequel la socit, constitue d'organes hirarchiques, et le Corps mystique du Christ constituent une seule ralit complexe forme d'un lment humain et d'un lment divin, o le visible sert le spirituel et lui est ordonn (LG, 8). Cest pourquoi, lEglise catholique croit que la suppression de ces structures de visibilit aurait pour consquence lanantissement de la communion spirituelle entre les fidles et entranerait la disparition de lEglise elle-mme. Elle croit aussi que la pleine participation aux biens du salut exige linsertion des fidles dans ces structures. Partant du principe de lindivisibilit du visible et du spirituel dans ltre ecclsial, le concile enseigne que la pleine communion exige lappartenance au mme ensemble visible de l'Eglise, dont la direction est assure par le souverain Pontife et les vques en communion avec lui (LG, 14). En effet, les ministres de lEglise notamment le pape et les vques , qui forment sa structure hirarchique, sont au service du peuple de Dieu et exercent leur pouvoir sacr en vue du salut de tous ses
1 Cf. Supra : La personne humaine comme un tre relationnel fondements anthropologiques de la communion, 241-258. 2 Lecclsiologie prconciliaire avait tendance prsenter trop unilatralement les structures visibles comme une consquence du caractre socitaire de lEglise : car lEglise, constitue en ce monde comme une socit dhommes, devait avoir des structures de visibilits constitutives de toute socit humaine (par ex. LEO XIII, Satis cognitum ; www.vatican.va (11. 02. 2004). Dans une telle prsentation, ces structures courraient le risque dapparatre comme une facette entirement profane de lEglise (BAUM, G., Op. cit., 34). 3 Toutefois, le concile reconnat en mme temps lexistence dune communion dans les biens du salut avec les Eglises et Communauts ecclsiales nappartenant pas aux structures visibles de lEglise catholique ; ces biens, de par leur nature, font partie du trsor spirituel de lEglise une sainte, catholique et apostolique dont la plnitude subsiste dans l'Eglise catholique, gouverne par le successeur de Pierre et les vques en communion avec lui (LG, 8).

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membres (LG, 18). Dans lecclsiologie de lEglise catholique, la constitution hirarchique de lEglise est prsente comme une structure de iure divino, assurant lunit spirituelle de la communaut ecclsiale ; elle possde une dimension pneumatologique inhrente car, travers elle, lEsprit du Seigneur ralise la koinnia mystique du corps du Christ. Dans la perspective de lecclsiologie conciliaire, la communion hirarchique apparat comme une structure dunit qui est implique par le concept mme de communion1. Cependant, une appartenance purement extrieure aux structures visibles de lunit ne suffit pas pour avoir part la communion du salut. Le concile affirme en effet, que n'est pas sauv, mme s'il est incorpor l'Eglise, celui qui, faute de persvrer dans la charit, demeure dans le sein de l'Eglise de corps mais non pas de cur (LG, 14). Cest pourquoi, la communion visible des fidles au sein des structures institutionnelles de lEglise doit tre scelle par leur communion dans la charit. 4.2.4.4. La charit Un adage antique exprimant la vision traditionnelle de lunit ecclsiale dit, in necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas. A travers les sicles de lhistoire, cette devise a acquis une valeur de rgle pour harmoniser lunit et la diversit dans lEglise. En le transformant lgrement, on peut dire que la diversit doit toujours se conjuguer avec la charit, afin que lunit ecclsiale soit prserve. En effet, comme le dit saint Thomas, l'Eglise est une par l'unit de la charit, parce que tous sont unis dans l'amour de Dieu, et entre eux dans l'amour mutuel2. Le matre dAquin semble se faire ici lcho de saint Paul, selon lequel la charit, cest le lien parfait (Col 3, 14 ; cf. Rm 13, 8-10 ; 1Co 13). Au sein de la communaut chrtienne, cette loi de la charit sexprime dans le partage fraternel des biens spirituels et matriels (koinnia), cestdire dans la mise en commun des dons personnels que chacun a reus du Seigneur, non pas pour un usage priv mais en vue de la construction du corps du Christ tout entier (Rm 12, 3+ ; 1Co 12, 4-30 ;

CONGAR, Y.M., En guise de conclusion , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 3, Paris, Cerf, 1966, 1372. 2 THOMAS D'AQUIN, Exposit. in Symbol. Apost., a. 9 ; JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, 2056-2058.

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Ep 4, 10-13)1. Ainsi, travers la diversit des dons et des fonctions, se tisse la communion du peuple de Dieu, dont la cohrence et lunit sont assures par la mme charit qui anime tous les membres2. Cest aussi grce elle que toutes les diffrences entre les fidles venant de cultures et de milieux varis sont surpasses et que lEglise, dans le monde se montre comme le corps du Christ unique et pleinement ralis, cestdire catholique. 4.2.5. La diversit socioculturelle et linculturation La problmatique de la polarit entre lunit et la diversit dans la communion ecclsiale nous renvoie encore une question importante lpoque de la globalisation : celle de la diversit socioculturelle de lEglise et de linculturation de lvangile. Car lEglise est en ce monde le sacrement universel du salut, elle doit stendre par toute la terre en traversant les pays, les peuples, les nations, les langues, les cultures, etc. Pour tre un signe et un instrument efficace de communion avec Dieu et entre les gens, elle doit sapprocher deux dans les circonstances dtermines de leur vie, en assumant le monde donn dans lequel ils vivent. Cette situation pose lEglise un double dfi : dune part, celui d'vanglisation de la culture, dautre part, celui de linculturation de l'vangile. En dautres termes, il sagit pour lEglise de prserver son unit dans la foi, les sacrements et la constitution hirarchique, travers la varit des formes locales dans lesquelles la foi est prche et vcue, les sacrements clbrs et le ministre hirarchique exerc. Les raisons de cette diversit, que lon peut appeler socioculturelle, sont tant dordre divin que dordre humain3. En premier lieu, cest le caractre transcendant de la rvlation qui nest pas lie, en principe, aucune culture particulire, aucun systme sociopolitique, aucune structure conomique, aucun type de socit spcifique mais, au contraire, destine les imprgner tous de sa lumire divine4. Ensuite, cest lconomie incarnationnelle du salut, de laquelle drive le caractre terrestre de lEglise qui doit, de ce fait,

1 Cf. Supra : La communion dans le Nouveau Testament (dans la Premire tude, 4.2., pp. 13-33). 2 CONGAR, Y.M., Un peuple messianique, 78-80. 3 CONGAR, Y.M., Diversits, 64-65 ; ZOGHBY, E., Op.cit., 495. 4 Bien sr ce postulat ne peut aucunement mener la ngation de lenracinement historique vident de la foi chrtienne dans la culture et la religion juives.

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trouver son modus vivendi dans les contextes socioculturels divers et changeant suivant les lieux et les temps mesure quelle se dilate travers le monde et avance travers lhistoire vers son accomplissement eschatologique. Finalement, cest la libert des hommes qui, don du Crateur, doit tre respecte par lEglise dans son annonce de lvangile au monde et prise en compte dans la vie de chaque communaut ecclsiale particulire. Dj dans la Bible, les questions de la diversit socioculturelle dune part et de lunit ecclsiale dautre part se sont poses aux communauts chrtiennes. Selon le prcepte de Jsus ressuscit, les disciples sont envoys pour tre ses tmoins Jrusalem, dans toute la Jude et la Samarie, et jusqu'aux extrmits de la terre (Ac 1, 8), et pour faire des disciples de toutes les nations (Mt 28, 19). Le jour de la Pentecte, Pierre adresse le message du salut aux reprsentants de toutes les nations qui sont sous le ciel (Ac 2, 5 et 9-11), dont un grand nombre devient chrtien (Ac 2, 14+). Ds la premire re, lEglise apparat comme une communaut des disciples de Jsus, venant dhorizons socioculturels divers. La vision de Pierre Jopp atteste que, selon la volont du Christ, lEglise doit tre une communaut supraculturelle et supraethnique (Ac 10, 11+) ; les missions de Paul et de ses collaborateurs auprs des gentils attestent que telle tait la conviction de lEglise primitive. Toutefois, la prsence de divers groupes ethnicoculturels au sein de la jeune Eglise (comme judochrtiens et paganochrtiens Jrusalem) constitue non seulement une richesse mais galement un danger pour son unit1. Cette situation provoque des tensions, voire des conflits entre les aptres notamment entre Paul et Pierre sur le rle du facteur socioculturel dans lEglise. Les dcisions du concile de Jrusalem (Ac 15) montrent la conviction, laquelle sont arrivs les aptres par un dialogue fraternel, que lunit de la koinnia chrtienne nexige pas lunification des chrtiens sur le fondement dune seule culture, mais admet la varit socioculturelle au sein de lunique Eglise. Malgr les tensions, aux origines de lEglise, la koinnia ecclsiale a pu tre maintenue travers la diversit culturelle. Pasinya constate que les

PASINYA, M.L., Unit et diversit dans les Actes des aptres. Le problme des groupes culturels , dans CBP, Unit et Diversit dans lEglise, 199-208.

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principes unifiants, dans lEglise primitive, taient nombreux : lEspritSaint, lunique plan salvifique de Dieu, les Douze, la doctrine apostolique ou la foi en JsusChrist, la communion fraternelle ou la charit, la prire, la perscution1. La crise considrable, provoque par le choc des cultures au sein de la communaut primitive a permis lEglise de prendre conscience de son universalit et de son caractre supra et transculturel. La conviction constante de lEglise est que lvangile du Christ est un message de salut universel, capable de s'enraciner dans toute culture, de la faonner et de la promouvoir, la purifiant et l'ouvrant la plnitude de vrit et de vie qui s'est ralise dans le Christ Jsus2. Elle est donc de nature et de vocation ouverte la pluralit des espaces ethniques et culturels3. Cest pourquoi, dans lvanglisation des peuples, leur patrimoine culturel, artistique et historique ne doit pas tre rejet mais assimil et mis en valeur, car il constitue un instrument pastoral efficace4. Nous parlons cet gard de linculturation grce laquelle l'annonce de l'vangile reoit un caractre incisif qui en favorise l'coute et la rception5. Elle exige que lvangile du Christ soit rinterprt la lumire des philosophies et de la sagesse des peuples auxquels il sadresse, afin que la lumire de la rvlation divine pntre entirement leurs coutumes, lordre social, leurs murs et leurs valeurs propres. Cest donc une affaire dadaptation de la foi, qui est universelle de nature, aux contextes socioculturels varis dans lesquels elle est prche et vcue. Il sagit dajuster la vie chrtienne dune communaut donne au gnie et au caractre propre de la culture dans laquelle elle est plonge et dassimiler, de manire fructueuse, les coutumes et les traditions, la science et lart des peuples autochtones et tout ce qui peut les aider mener la vie chrtienne authentique dans leur contexte existentiel (AG, 22). Linculturation effectue dans la pleine fidlit la foi de lEglise permet la bonne nouvelle du salut du Christ de simplanter efficacement dans les diffrentes cultures, de sorte que les

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PASINYA, M.L., Op. cit., 208. JEANPAUL II, Pastores gregis, n30. 3 CONGAR, Y.M., Diversit, 55-63 ; JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, 2068-2069. 4 JEANPAUL II, Pastores gregis, n30. 5 Ibid., n30.

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valeurs spcifiques de chaque peuple ne soient pas renies, mais purifies et portes leur plnitude1. Linculturation est le contraire du syncrtisme car il ne sagit pas damalgamer des lments htrognes dans une construction sans unit, mais dclairer, par la lumire de lvangile, les cultures particulires avec les qualits propres de chaque famille des nations (AG, 22). Linculturation est une exigence implique par la conception de lEglise comme communion. Le concile affirme que lunique peuple de Dieu se rassemble partir de divers peuples (LG, 13). Dans chaque communaut particulire, lEglise du Christ, devient prsente et agissante dans la particularit et la diversit des personnes, des groupes, des poques et des lieux2. En effet, la spcificit du contexte goculturel, politicohistorique, socioconomique, etc., dans lequel ils vivent, influence la pastorale, les usages liturgiques et les conceptions doctrinales des Eglises locales. Ainsi, dans chaque Eglise locale, lEglise du Christ acquiert une couleur spcifique due linfluence du monde extrieur. Le caractre catholique de lEglise signifie le rassemblement, dans l'unit, non seulement des richesses chrtiennes partout rpandues mais aussi de tout ce qui est bien, juste et vrai dans le monde (AG, 22). Pour que le corps du Christ saccroisse harmonieusement jusqu son plrme voulu par le Christ, il est ncessaire que les Eglises particulires, fondes sur des aires socio culturelles varies et jouissant de traditions propres, soient reconnues et respectes, avec leurs particularits, au sein de la communion universelle de lEglise (cf. AG, 22). En assumant dans son sein unique cette grande diversit, lEglise universelle se prsente comme une communaut multiculturelle, aux dimensions du monde entier, dans laquelle le tout, comme chaque partie, profite du fait que tous communiquent entre eux et travaillent dans l'unit et sans restriction la perfection de l'ensemble en senrichissant mutuellement par ses propres dons (LG, 13 ; cf. AG, 9)3. LEglise du Christ se manifeste ainsi

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JEANPAUL II, Novo Millennio Ineunte, n40. CDF, Communionis notio, n7-10. 3 KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio (Paris), 12 (1/1987), 25-26. En mditant sur lvnement de la Pentecte, saint Augustin dit : ai-je laudace de dire : je suis dans le corps du Christ,

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comme tant toujours et partout identique quant lessentiel, et multiple et diversifie quant sa figure terrestre concrte. Il est incontestable que lEglise qui, jusqu'au concile, tait reste majoritairement latine dans sa tradition thologicoliturgique, et occidentale dans son aspect culturel, a entrepris avec Vatican II leffort dune authentique universalisation de linculturation. A lpoque dune mondialisation croissante dans tous les domaines de la vie, lEglise du troisime millnaire devra trouver sa place dans la mosaque nouvelle et changeante des peuples et des cultures1 ; elle doit sinculturer dans les nouvelles socits marques par le pluralisme des valeurs, des manires de vivre, des croyances le pape JeanPaul II parle cet gard de lannonce de lvangile du Christ dans les nouveaux aropages de notre monde2. Le christianisme du troisime millnaire devra rpondre toujours mieux cette exigence d'inculturation. Tout en restant pleinement lui-mme, dans l'absolue fidlit l'annonce vanglique et la tradition ecclsiale, il revtira aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples o il est accueilli et enracin3. Lecclsiologie catholique actuelle reconnat la pluralit ecclsiale, rsultant de la diversit socioculturelle du monde, comme une valeur positive et affirme quelle ne porte pas atteinte lunit de la communion catholique, condition que toutes les communauts locales demeurent fidles au Christ et son vangile. Sil faut promouvoir cette pluralit, qui est une richesse de lEglise, il faut, en mme temps, viter

je suis dans lEglise du Christ. () En effet, je suis en communion avec toutes les nations (AUGUSTIN, En. in Ps. 147, 18 : CCSL 40, 2156). Comme un exemple de cette pluralit multiethnique et multiculturelle dans lunit du corps du Christ, Augustin rapporte dans ce texte le miracle des langues de la Pentecte quil prsente comme une figure de lEglise communaut qui rconcilie toutes les langues. Il dit, dans une seule nation se ralisait ce qui tait destin saccomplir en toutes les nations. () Puisque le corps du Christ parle maintenant toutes les langues, je parle moi aussi toutes les langues, la langue de toutes les nations est mienne (ibid.). La mme ide chez Fulgence de Ruspe : Lamour devait rassembler lEglise de Dieu par toute la terre, () et maintenant quelle est rassemble par le Saint Esprit, cest son unit qui parle toutes les langues (FULGENCE DE RUSPE, Sermo 8 in Pent., 2-3 : PL 65, 743-744). 1 JEANPAUL II, Novo Millennio Ineunte. Lettre Apostolique pour la clture du grand Jubil de lan 2000, 6 janvier 2001, n40 (www.vatican.va, 01. 04. 2004). 2 JEANPAUL II, Pastores gregis, n30. 3 JEANPAUL II, Novo Millennio Ineunte, n40.

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un pluralisme illgitime, rsultant de la radicalisation des valeurs particulires, et qui est destructeur de lunit1. 4.3. La catholicit de la communion ecclsiale 4.3.1. Deux regards sur lEglise une introduction En introduisant lide de communion dans son ecclsiologie, Vatican II a permis de porter un regard nouveau sur la comprhension de la catholicit de lEglise, tant dans sa dimension universelle que locale. A la suite du concile, des cumnistes catholiques ont largement explor et dvelopp cette problmatique. Cependant, la Congrgation pour la Doctrine de la Foi a remarqu que la doctrine de la catholicit, labore par Vatican II, a parfois t interprte de manire unilatrale et incorrecte, en sloignant des principes conciliaires2. Il est donc important de cerner la position officielle de lEglise catholique en ce qui concerne sa conception de la catholicit. Il sagit dun problme cumnique important car, selon Unitatis Redintegratio, les divisions entre les chrtiens empchent lEglise de raliser la plnitude de catholicit qui lui est propre en ceux de ses fils qui certes, lui appartiennent par le baptme, mais se trouvent spars de sa pleine communion (UR, 4). Cependant, au niveau cumnique, la question demeure toujours dune grande difficult car nous touchons ici un problme fondamental qui divise diffrentes traditions confessionnelles, savoir la conception de lEglise en gnral et les conditions decclsialit dune communaut locale en particulier. Le pre Congar a remarqu que, dans lhistoire de la chrtient indivise du premier millnaire, deux principaux modles dEglise se sont dvelopps et ont coexist longtemps dans une tension qui sest consomme de manire malheureuse dans le schisme de 10543. Un premier modle, propre la tradition orientale et reprsente

Cest Kasper qui introduit cette distinction de termes entre pluralit lgitime et pluralisme illgitime (KASPER, W., LEglise comme communion , 27). 2 CDF, Communionis notio, n8. 3 Cf. CONGAR, Y.M., De la communion des Eglises une ecclsiologie de lEglise universelle dans Congar, Y. & Dupuy, B.D. (d.), LEpiscopat et lEglise universelle, Paris, 1962, 227-260.

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aujourdhui surtout par les Eglises orthodoxes1, est celui qui conoit lEglise du Christ comme tant essentiellement une communion dEglises locales, dont chacune est autonome par rapport aux autres. Le second, propre la tradition occidentale et reprsent par lEglise catholique romaine, est celui qui conoit lEglise du Christ comme une ralit essentiellement unique et universelle, et subsistant dans le monde travers une multitude de communauts locales. Le choix de lune de ces deux conceptions de lEglise dtermine toute la rflexion sur la catholicit. Si nous partons des principes orientaux, la catholicit de lEglise locale prcde la communion : chaque Eglise locale est catholique en elle-mme et, pour ainsi dire, indpendamment des autres ; en reconnaissant mutuellement cette catholicit, toutes ensembles forment une communion dEglises catholiques. Si nous partons des principes occidentaux, la communion prcde la catholicit de lEglise locale : la catholicit appartient lEglise universelle ; pour tre catholique, chaque Eglise particulire doit demeurer dans la communion catholique de lEglise universelle. Si linsistance sur la localit et le rle du ministre piscopal prime dans la vision orientale de la catholicit, linsistance sur luniversalit et le ministre dunit du pape prime dans la vision occidentale. Des orthodoxes reprochent parfois lEglise catholique davoir transpos la structure organique de lEglise locale lEglise universelle et par consquent, davoir pratiquement transform cette dernire en une unique et immense Eglise locale2. Cependant, du point de vue catholique, il serait possible de leur porter une objection analogue, celle davoir fractionn lEglise universelle en une multitude dEglises locales, indpendantes les unes des autres, et de navoir pas conserv ainsi la structure dunit universelle de lEglise. Gardant lesprit la proccupation cumnique sous-jacente tout notre travail, dans le prsent chapitre nous allons tudier de la catholicit dans son rapport lEglise locale dune part et lEglise universelle dautre part. La relation entre les deux ples de la catholicit constituera ainsi le fil rouge des dveloppements qui suivront.

Les Eglises protestantes semblent tre proches de cette vision mais cette similarit est plus apparente que relle car les conditions de la communion ecclsiale dans les deux traditions se distinguent essentiellement. 2 SCHMEMANN, A., Le Patriarche cumnique et lEglise orthodoxe , Istina 1 (1954), 30-45 (36).

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Commenons cependant par quelques explications prliminaires concernant la comprhension du terme et les aspects de la catholicit. 4.3.2. Sens du terme catholicit selon quelques tmoignages de la Tradition Le mot catholicit, comme bien dautres termes de la thologie, nest ni dorigine chrtienne ni mme juive ; on ne le trouve ni dans le Nouveau ni dans lAncien Testaments. Il drive de ladjectif grec catholicos, luimme issu de ladverbe catholou signifiant, selon le tout, en gnral, de manire universelle. On trouve des mots de ce groupe dans la littrature et la philosophie grecques pr-chrtiennes notamment chez Aristote1 , o ils se rapportent habituellement la porte universelle dune dclaration, ou bien dsignent lobjet gnral dune science ou encore dcrivent le caractre de ce qui est commun tous2. Le latin classique a traduit catholicos par universalis, generalis communis. Dans le latin chrtien, partir du 5me sicle, lusage stablit de transcrire tout simplement le terme grec en lettres latines, afin de prserver son sens ecclsial spcifique, arrt dj par des crits thologiques et des affirmations conciliaires3. La mme tendance a t suivie plus tard par la plupart des langues vernaculaires, surtout du groupe indoeuropen. Dans la littrature grecque chrtienne, ladjectif catholique (et des termes drivs) apparat au dbut du 2me sicle et devient commun partir du 3me sicle4. Le premier sen servir est Ignace dAntioche, martyris vers lan 110. Il lemploie dans son Eptre aux Smyrniotes, dans un fragment qui parle la fois de la validit de leucharistie clbre par lvque (ou son dlgu), du rle central de celui-ci dans la vie de la communaut chrtienne et de la prsence locale de lEglise catholique partout o est le Christ Jsus. Il est difficile de proposer une interprtation certaine de ce premier emploi ; mais il est utile de le connatre :

Ex. : Politique, 3, 37, 6 et 4, 1, 8. De nombreuses rfrences avec ces divers sens sont trouver dans Thesaurus Graecae Linguae, t. 4, Paris, 1841, 794+ 3 Il semble que Nictas de Rmdiana soit le premier le faire. 4 Pour lemploi patristique avec les nuances de sens, voir LAMPE, G.W.H. (ed.), A Patristic Greek Lexicon, Oxford, 1961, 690-691.
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Que personne ne fasse jamais rien sans lvque de ce qui concerne lEglise. Ne regardez comme valide que leucharistie clbre sous la prsidence de lvque ou de son dlgu. Que partout o parat lvque, l aussi soit la multitude ; de mme que partout o est le Christ Jsus, l est lEglise catholique1. Il semble plausible quIgnace dAntioche entende exprimer, par ce terme, la prsence actuelle et effective de lunique Eglise du Christ, partout o la communaut se rassemble autour de lvque pour leucharistie. Si cette supposition est vraie, cela signifierait quoriginellement le terme catholicit sappliquait lEglise locale pour exprimer sa plnitude decclsialit2. Un demi sicle plus tard, le Martyre de Polycarpe (~160) tmoigne de la comprhension de ce terme dans le sens dune universalit gographique de lEglise rpandue dans tout loikoumen3. A partir du 3me sicle, le mot devient frquent

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IGNACE DANTIOCHE, Eptre aux Smyrniotes 8, 2 : SCh 10, 163. Cependant, diffrentes interprtations ont t proposes dont certaines suggrent quIgnace voulait exprimer ici le paralllisme entre lEglise locale rassemble autour de lvque et lEglise universelle rassemble autour du Christ. Le pre Tillard estime quil est impossible de savoir quoi exactement pensait Ignace dAntioche en crivant ces paroles (TILLARD, J.M.R., LEglise locale. Lecclsiologie de communion et catholicit, coll. Cogitatio Fidei 191, Paris, Cerf, 1995, 17-18) ; De Halleux est davis que cette premire apparition du terme catholique dans la littrature chrtienne na sans doute rien voir avec la thologie de la catholicit (DE HALLEUX, A., LEglise catholique dans la lettre ignacienne aux Smyrniotes , dans Patrologie et cumnisme Recueil dtudes, Louvain, coll. Biblioteca ephemeridum theologicarum lovanientium 93, 1990, 90-109) ; Congar, aprs avoir analys un bon nombre dopinions avances, estime que, pour Ignace, la catholicit exprime simultanment une valeur de totalit ecclsiale ralise dans la communaut locale des fidles, rassemble autour de lvque pour leucharistie, et une valeur de vrit et dauthenticit ecclsiale de cette communaut due la prsence en elle du Christ ; il se penche donc vers linterprtation locale comme tant la plus vidente la lumire de la lettre et du contexte dans lequel apparat le terme (CONGAR, Y.M., LEglise une, sainte, catholique et apostolique, coll. Mysterium Salutis 15, Paris, Cerf, 1970, 150-151). Il rappelle toutefois que lauthenticit mme de cette lettre demeure un objet de discussions (JOLY, R., Le Dossier dIgnace dAntioche, Bruxelles, 1979). Pour lensemble des lettres dIgnace dAntioche, voir WEIJENBORG, R., Les Lettres dIgnace dAntioche. Etude de critique littraire et de thologie, Leyde, 1969). 3 Martyre de Polycarpe, VIII, 1 ; XVI, 2 ; XIX, 2 (SCh 10, 162, 242, 264). Toutefois, le pre Tillard remarque que le contexte dans lequel apparat lexpression catholik ecclesia (qui est celle des groupes htrodoxes sloignant de la vraie foi) suggre galement une rfrence la plnitude de vrit dont jouit lEglise guide par le Seigneur JsusChrist, le sauveur de nos mes et le pilote de nos corps (TILLARD,

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tant chez les auteurs chrtiens que dans des symboles pour dsigner la vraie Eglise du Christ souvent en opposition aux groupes hrtiques ou schismatiques , tantt dans sa dimension universelle, tantt dans sa dimension locale1. Pour Clment dAlexandrie (~150211), cette Eglise est catholique dans laquelle se vrifient localement les caractristiques de lEglise apostolique modele selon le dessein divin2. Cyprien applique lexpression ecclesia catholica lEglise locale rassemble autour de lvque3. A fin du 4me sicle, Cyrille de Jrusalem tmoigne dune trs riche conception de la catholicit o sont associs divers aspects de lEglise : LEglise est appele catholique parce quelle existe dans le monde entier dune extrmit lautre de la terre, et parce quelle enseigne de faon universelle et sans dfaillance toutes les doctrines que les hommes ont besoin de connatre, sur les ralits visibles et invisibles, clestes et terrestres. En outre, elle est appele catholique parce quelle soumet la vraie religion tout le genre humain, chefs et sujets, savants et ignorants. Parce quelle soigne et gurit universellement toute espce de pchs, parce quelle possde en elle toute espce de vertus, et toute espce de dons spirituels4. Saint Augustin emploie frquemment ladjectif catholique et le substantif una Catholica5. Chez cet minent tmoin de la conscience
J.M.R., LEglise locale, 18-19). Pour dautres attestations du sens gographique voir : TERTULLIEN, Praescr. 26, 9 ; 30, 2 : SCh 46, Paris, 1957, 123 ; Canon de Muratori, can. 2. 2. 4 (edition de PRIDEAUX-TREGELLES, S. Canon Muratorianus, The earliest Catalogue of the Books of the New Testament, Oxford, 1867, f 1 b 24-26, 30; f 2 a 45). 1 A titre dexemples : CYPRIEN, Epist. XLIV ; XLV ; XLVI ; XLVIII, 3 ; LV, 1 ; LXVI, 8 ; ATHANASE, Ep. Enc. 5; Apol. C. Arianos, 28; Ep. Heort., XI, 11; NICETAS DE REMESIANA, Dz 19 ; Concile de Nice, canons 8, 9, 19 et lanathme qui suit lexpositio fidei ; Constitutions Egyptiennes, XVI, 13 (d. FUNK, II, 110). 2 CLEMENT DALEXANDRIE, Strom. 8, 17, 106, 107 : PG 9, 547 et 551 ; cf. BARDY, G., La thologie de lEglise de saint Clment de Rome saint Irne, Paris, coll. Unam Sanctam 13, 1945. 3 CYPRIEN, Epist. 45, 1 et 55, 24 (BAYARD, d., Saint Cyprien. Correspondance, t. 2, coll. Bud, Paris, 1925, 147-148); cf. BATIFFOL, lEglise naissante et le Catholicisme, Paris, 19712, 427-428. 4 CYRILLE DE JERUSALEM, Cat. 18, 23-25 : PG 33, 1044-1048 (tr. fr. de BOVET, J., Catchses baptismales et mystagogiques, 1962). 5 AUGUSTIN, Epist. 52, 1: PL 33, 194 ; Brev. Coll. III, 3, 3 (BA 32, 135) ; De Bapt. I, 4, 5 (BA 29, 69) ; III, 1, 1 et 4, 4 (177 et 331). Des exemples sont trs nombreux dans luvre dAgustin ; plusieurs (surtout dans les Eptres) sont relevs dans PONTET, M.,

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ecclsiale latine de lpoque patristique, domine le sens gographique. Selon lui, lEglise est appele catholique parce quelle est un peuple unique, rpandu travers le monde entier, et demeurant dans toutes les nations1. Dans le contexte de la crise donatiste, il fait de la prsence universelle de son Eglise un argument pour combattre lEglise des donatistes : la diffusion de luna Catholica jusquaux confins de la terre2 prouve son authenticit, tandis que la prsence des donatistes dans une seule rgion du monde (Afrique du Nord), prouve la fausset de leur Eglises3. On peut donc conclure que les pres tant grecs que latins emploient le terme catholicit pour exprimer tantt luniversalit gographique de lEglise rpandue par toute la terre, tantt la plnitude ecclsiale de toute communaut locale qui demeure dans luna Catholica. Il semble galement que, chez la plupart dentre eux, les deux sens soient associs, au moins implicitement. Au MoyenAge, cette richesse de sens du terme est gnralement prserve ce qui est illustr trs bien par lexplication de la catholicit donne par Thomas dAquin dans son explication du Symbole4. Selon ce texte, lEglise est catholique parce quelle est rpandue dans le monde entier. En citant Rm 1, 8 (votre foi est clbre dans le monde

Lexgse de saint Augustin prdicateur, coll. Thologies 7, Paris, 1945, 419-446, dautres (surtout dans les Sermons et les traits systmatiques et polmiques) dans TILLARD, J.M.R., LEglise locale, 20-27. 1 CONGAR, Y.M., LEglise une, sainte, 152-155 ; mais Tillard remarque que pour Augustin, lexpansion par tout lunivers na de signification que dans la mesure o elle rpond la diffusion de toute la vrit salvifique et tous les peuples (TILLARD, J.M.R., LEglise locale, 20) ; la catholicit comprise comme universalit gographique nest un caractre essentiel de lEglise de Dieu que dans la mesure o elle saccompagne de la fidlit toute la vrit (Ibid., 26) ; en effet, selon lvque confront au schisme donatiste, la pax catholica ne peut sobtenir sans ladhsion de tous lamour de la vrit qui se trouve dans lEglise du Christ (Lettre 28, 1-2 ; BA 46 B, 403-405). 2 En in Ps 47, 7 ; CCSL 38, 543-545. 3 Sur lattitude dAugustin face aux donatistes, voir LAMIRANDE, E., La Situation ecclsiologique des donatistes daprs saint Augustin, Ottawa, 1972. 4 THOMAS D'AQUIN, In symb. 9 (trad. fr. des moines de Fontgombault, Paris, 1969, 177-179 ; elle est faite sur ldition de SPIAZZI, 1954, 982-984). Dans ce texte, Thomas emploie indistinctement les adjectifs catholique et universelle ; aprs avoir introduit la problmatique en disant que lEglise est catholique, cestdire universelle, dans la suite du texte il se tient au mot universelle. Le sens de catholicit qualitative y est pourtant vident.

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entier), Thomas lie troitement cette prsence dans lunivers au caractre universel de la foi, et la mission que le Christ a confie aux aptres de prcher son vangile toutes les crations (en rfrence Mc 16, 15). Cependant, pour lui et ceci est une nouveaut par rapport lpoque patristique , cette catholicit ne se limite pas lEglise prgrinante sur la terre. Il dit que lEglise universelle (cestdire catholique) comprend trois parties. Lune est sur la terre, une autre au ciel, la troisime au purgatoire. Ainsi, la catholicit ecclsiale surpasse les frontires entres les trois tats de lunique Eglise qui, ajoute-t-il, est toute catholique. LEglise est encore catholique cause de la diversit des personnes qui la composent. En se rfrant Ga 3, 28, Thomas affirme que, dans lEglise qui ne rejette personne, les gens de toutes les conditions ne font quun en JsusChrist. Enfin, lEglise est catholique cause de son universalit dans le temps. A cet gard, Thomas affirme que non seulement cette Eglise a commenc du temps dAbel et quelle durera jusqu la fin du monde, mais il ajoute encore quaprs la consommation des sicles, elle demeurera dans les sicles ternellement1. Dans dautres crits, Thomas relve encore laspect christologique de la catholicit ecclsiale2. Celle-ci signifie la plnitude du Christ que possde lEglise et quelle communique aux fidles par les sacrements de la foi ; cette comprhension est troitement lie sa conception de lEglise comme corps du Christ englobant en son sein lensemble des hommes sauvs. Il est donc clair que, pour Thomas d'Aquin, la catholicit est la fois une note quantitative relative la dilatation universelle de lEglise travers le monde et lhistoire, et une note qualitative signifiant la plnitude du salut ralise dans lEglise, corps du Christ3. Les apologtes catholiques de la contreReforme ont perdu la richesse traditionnelle de la notion de catholicit en la rduisant, presquexclusivement, au sens de lextension gographique de lEglise romaine4.
1 Et il rfute lopinion oppose : Il y a eu des hommes qui affirmaient au contraire : lEglise ne doit durer quun temps. Ce en quoi ils sont dans lerreur (Ibid.). 2 THOMAS D'AQUIN, IIIa, q. 8, a. 3 ; IV Sent. D.13, q. 2, sol. 1 ; In Boet. De Trin., q. 3, a. 3 ; In Symb., a.9 ; In Eph. C.4, lect. 2. 3 Sur la conception de la catholicit chez Thomas, voir LABRUNIE, J.D., Les principes de la catholicit daprs saint Thomas , RSPT 17 (1928), 633-658. 4 THILS, G., La notion de catholicit dans la thologie moderne , EThL 13 (1936), 573 ; cf. du mme auteur Les notes, 212+. Cependant, avec la large et rapide diffusion

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4.3.3. La conscience de la catholicit dans lEglise primitive Comme nous lavons dit, le terme catholicit napparat pas dans la Bible. Ceci ne signifie pas pour autant que lide de catholicit soit absente de la conscience ecclsiale des premiers chrtiens. Un premier claircissement ce sujet nous est apport par la manire dont les crits notestamentaires notamment ceux du corps paulinien se servent du mot Eglise1. Dans les Actes des aptres nous trouvons des expressions comme, Eglise qui est Jrusalem (8, 1 ; 11, 22), Eglise qui est Antioche (13, 1 ; 15, 3), Eglise dEphse (20, 17), chaque Eglise (14, 23), Eglise (8, 3 ; 11, 26 ; 14, 27 ; 15, 4 ; 18, 22) dans le sens de communaut locale. Toutefois, la communaut de Jrusalem est dsigne galement comme toute lEglise (5, 11 : universa ecclesia) et Eglise tout entire (15, 22 : omni ecclesia). Le narrateur des Actes parle galement de l'Eglise, sur toute l'tendue de la Jude, de la Galile et de la Samarie (9, 31)2. Nous voyons sexprimer ici la conscience originelle dunit et dunicit de lEglise, prsente dj en diffrents lieux et poursuivant, de manire trs rapide cette poque-l, son expansion gographique travers des
des communauts protestantes dans le monde entier, cette rduction a vite montr sa faiblesse apologtique : les catholiques ne pouvaient plus dire quils constituaient la vraie Eglise car celle-ci tait la seule prsente dans le monde entier. Pour dfendre la possession exclusive de la catholicit par lEglise romaine face au phnomne de la prsence des communauts protestantes dans le monde entier, les apologtes romains commenaient la lier troitement avec les notes dunit et dapostolicit. Ils disaient, quen se sparant de la vraie et unique Eglise, toute communaut perdait automatiquement sa catholicit qui appartenait de droit divin celle-l. On sent dans cette argumentation un rapprochement avec la conception qualitative de la catholicit mais le plus souvent ceci nest pas dvelopp systmatiquement. Pour renforcer leur argument, ils ajoutaient habituellement que la catholicit tait perptue dans lEglise par le sacrement de lordre que les protestant avaient rejet. 1 Sur la thologie de lEglise dans le corps paulinien, voir DUPONT, J., Etudes sur les Actes des aptres, coll. Lectio Divina 45, Paris, Cerf, 1967 ; du mme auteur, Rflexion de saint Paul ladresse dune Eglise divise , dans Best, E. (d.)., Paolo e una Chiesa divisa (1 Co 1-4), Serie Monographica di Benedictina . Sezione biblico ecumenica 5, Roma, 1980, 219-237 ; RAJA, R.J., The Church in Transition. Ecclesiology of the Pastoral Letters , Jeevadhara, 15 (1985), 105-122 ; CERFAUX, L., La Thologie de lEglise suivant saint Paul, Paris, 1974 et du mme auteur, La puissance dans la foi. La communaut apostolique, coll. Foi Vivante, Paris, 1968. 2 Difficile dtablir la forme grammaticale originelle du mot dans ce dernier cas : la Vulgate emploie ecclesia au singulier, des versions grecques hsitent entre singulier et pluriel (cf. Bible Works, version 5.0, en CD ROM).

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rgions de plus en plus loignes de Jrusalem. Avec ltablissement de nouvelles communauts chrtiennes, dans la seconde moiti du livre des Actes, le terme est parfois utilis au pluriel pour parler des diverses communauts locales (15, 41 ; 16, 5). Les Actes parlent encore de lEglise dans le sens gnral de communaut des disciples de Jsus, sans quil y ait, dans les phrases concernes, un rapport littraire direct un lieu prcis (12, 1. 5)1. Nous y trouvons galement lexpression Eglise de Dieu (qu'il s'est acquise par le sang de son Fils), dans un sens clairement universel (20, 28). On peut dire que, dans les Actes, le mot ecclesia dsigne le plus souvent une communaut locale ou une runion concrte de chrtiens ; il semble que cest le sens originel du mot son adaptation par lEglise naissante. Toutes ces communauts particulires sont conscientes de deux choses : elles croient que, dans chacune delles, lEglise du Christ est prsente en toute plnitude ; elles se croient en communion les unes avec les autres. Ainsi, il nous semble permis daffirmer que, malgr labsence du terme, la conscience de la catholicit est gnrale et vive dans la jeune Eglise dont nous parlent les Actes. Dans les Eptres de Paul, le mot Eglise est souvent accompagn dun complment. Il parle de lEglise des Thessaloniciens qui est en Dieu le Pre et dans le Seigneur JsusChrist (1Th 1, 1) ; le sens ici est celui de communaut locale, dans laquelle est ralise dans sa plnitude lEglise de Dieu et de JsusChrist. En sadressant aux Corinthiens, il parle des fidles de cette Eglise qui ont t sanctifis dans le Christ Jsus ; et maintenant, ils sont appels tre saints avec tous ceux qui invoquent en tout lieu le nom de notre Seigneur JsusChrist, leur Seigneur et le ntre (1Co 1, 2). Il est clair que Paul exprime ici sa conviction quentre ceux qui invoquent le nom du Seigneur, il existe une communion universelle celle de la poursuite du mme idal de saintet. Dans ces lettres, il emploie parfois la formule toutes les Eglises pour exprimer leur unit dans le Christ (Rm 16, 4. 16 ; 1Co 4, 17 ; 7, 17 ; 14, 33 ; 2Co 8, 18 ; 11, 28). Dans lEptre aux Ephsiens, le mot ecclesia apparat 9 fois (1, 22 ; 3, 10. 21 ; 5, 23. 24. 25. 27. 29. 32). chaque fois, le sens est celui de toute lEglise (universelle) qui est le corps du Christ et dont le Seigneur est la tte.
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Mme si les vnements dcrits se passent Jrusalem, lattention de lauteur ne se porte pas ici sur le lieu mais sur la situation existentielle difficile de lEglise comme telle.

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Il est possible de cerner un certain dveloppement du sens du mot Eglise dans le Nouveau Testament1. Dans les textes les plus anciens, il se rapporte une communaut de croyants vivant dans un lieu donn donc le sens est celui dEglise locale (Jrusalem, Corinthe, Antioche, etc.) ; ensuite, avec la multiplication des communauts locales, le mot est souvent utilis au pluriel pour dsigner lensemble de ces communauts (toutes les Eglises), finalement, employ au singulier, il dsigne lunique Eglise de Dieu, le corps du Christ, rpandue dans le monde, et dont le sens est celui dEglise universelle. Dans ce dveloppement, le sens original celui de communaut locale ne sest jamais perdu. Lvolution que lon constate indique que la toute premire communaut de disciples de Jsus avait la conscience dtre son Eglise ; partir delle, cette conscience sest tendue sur lensemble des Eglises par la voie de la multiplication des communauts locales. Celles-ci se reconnaissaient mutuellement comme tant de vraies Eglises du Christ et, en mme temps, elles avaient une conscience commune de former ensemble lEglise unique rpandue dans lunivers corps du Christ. Il est incontestable qu chaque fois que le nom Eglise est utilis dans les Actes ou chez Paul pour dsigner une communaut locale, il exprime la plnitude et la compltude ecclsiales qui sy ralisent sans dficience ni dfaillance. Cela signifie que toute communaut locale est considre comme une ralisation concrte et complte de lunique Eglise du Christ. Lorsque le terme est employ pour dsigner toute lEglise, le sens duniversalit gographique et celui de plnitude du corps du Christ sont associs. Daprs ce qui prcde, il nous semble correct de dire que tel quil est utilis par les premiers chrtiens, le mot Eglise contient, en lui-mme, lide de plnitude ecclsiale ralise dans chaque communaut locale (sens qualitatif) et lide dunicit et duniversalit de lEglise du Christ rpandue dans lunivers (sens quantitatif). Les deux ides, associes, seront exprimes plus tard par le mot catholicit. Bien dautres exemples trouvs dans le Nouveau Testament confirment ce qui se dgage de la manire dont le terme Eglise y est utilis. On y constate, par exemple, laffirmation constante de lunicit de Dieu et de
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NEUNHEUSER, B., Eglise universelle et lEglise locale , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 2, Paris, Cerf, 1966, 607-638 (612-616).

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son uvre du salut accomplit par le Christ et actualis de manire permanente dans lEglise. Paul souligne luniversalit du dessein divin : Dieu est unique (donc universel) ; il y a un seul Mdiateur (donc universel) entre Dieu et les hommes, le Christ Jsus notre Seigneur, et un seul (donc universel) Esprit en qui tous ont laccs au Pre (1T 2, 15 ; cf. Rm 3, 29-30 ; 10, 12). LEglise, qui tire son existence de ce plan divin de salut universel, et qui y voit le sens de son existence, ne peut tre quune et universelle elle aussi (Ep 4, 4-6). En elle et par elle, en effet, se ralise la volont de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvs (1Tm 2, 4). Cest pourquoi, au moment o lEglise prend son essor le jour de la Pentecte , Pierre annonce la ralisation de la prophtie de Jol, selon laquelle tous ceux qui invoqueront le nom de Yahv seront sauvs (Ac 2, 16 ; cf. Jl 3, 5). Le Christ, son tour, en qui habite toute la Plnitude, est le principe de cette rconciliation universelle de tous les tres (Col 1, 19-20) qui doivent tre ramens sous sa seigneurie exclusive (Ep 1, 9-10). En effet, selon la prophtie de Caphe prononce lors de la session du Sanhdrin durant laquelle la mort de Jsus a t dcide , le Christ allait mourir non pas pour la nation seulement mais encore afin de rassembler dans l'unit les enfants de Dieu disperss (Jn 11, 51-52). Aprs stre offert sur la croix en ranon pour les pchs du monde entier (2Co 5, 14-15 ; 1Tm 2, 6 ; 4, 10 ; 1Jn 2, 1-2), il poursuit luvre de rconciliation de tous les hommes et de tous les peuples Juifs et paens par lEglise, son corps, dont il est la tte, et qui est continuellement vivifie et conduite par son Esprit. Grce cet Esprit unique (Ep 4, 3), lEglise saccrot (Ac 9, 31) travers le monde et lhistoire, jusqu' recevoir toute la plnitude de Dieu (Ep 3, 19) et parvenir l'unit dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu (Ep 4, 13). Car, il est un Esprit de communion (2Co 13, 13 ; Ph 2, 1), il ralise lunit du peuple de Dieu non pas par la suppression des diversits (1Co 12, 4) mais par leur rconciliation en un seul corps (1Co 12, 13 ; Ep 4, 4). Cette conscience, typique de lEglise primitive, dtre dans et pour le monde linstrument de la ralisation de luniversel dessein salvifique de Dieu par le Christ et dans lEsprit-Saint, sexprime encore travers le zle missionnaire des premiers disciples qui aprs avoir reu la promesse de lassistance du Saint Esprit , se voient envoys par le Seigneur ressuscit comme ses tmoins Jrusalem, dans toute la Jude et la Samarie, et jusqu'aux extrmits de la terre (Ac 1, 8). En effet, il
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faut d'abord que l'vangile soit proclam toutes les nations (Mc 13, 10), afin quelles deviennent des disciples (Mt 28, 19). Ce dynamisme missionnaire tmoigne fortement de lhorizon duniversalit dont est marque la conscience ecclsiale des chrtiens, ds la naissance de lEglise1. Pour conclure ce rapide aperu biblique, il convient de rappeler que la Tradition de lEglise notamment patristique a souvent vu, dans certaines images scripturaires, des reprsentations symboliques de la catholicit2. Cest notamment le cas de clbre thme du peuple de Dieu (Jg 20, 2 ; 1P 2, 10, etc.) dans lequel, travers la diversit des hommes remplissant diverses fonctions, se forme un seul peuple ; cest aussi le thme paulinien du corps du Christ dans lunicit duquel sont organiquement intgrs les membres varis et nombreux (Rm 12, 5 ; 1Co 12, 27 ; Ep 3, 6 ; 4, 12. 25 ; etc.) ; cest encore le thme du banquet auquel sont convis tous les hommes et qui plus encore que celui du corps , permet de mettre en valeur le caractre catholique de leucharistie (Lc 14 ; Ap 5, 9 ; 19, 9)3. Cest en rflchissant sur ces abondantes donnes notestamentaires desquelles se dgage une image de lEglise comme tant la fois une et multiple, locale et universelle, complte en chaque lieu et unie en tous les lieux que les pres de lEglise et les conciles cumniques, sont arrivs lui appliquer le qualificatif catholique. Les pres du concile Vatican II se sont largement inspirs de ces conceptions bibliques et patristiques de la catholicit en redonnant ce concept sa profondeur originelle et en rvlant aussi son importance cumnique.

CBP, Unit et Diversit dans lEglise, 25. MINEAR, P. S., Images of the Church in the New Testament, London, Lutterworth Press, 1961; P. LUIS-MARIE DE JESUS (o.c.d.), Quelques images de lEglise travers la Bible et la liturgie , Carmel 4 (1996), 7+. 3 Parmi dautres images bibliques utilises par des auteurs chrtiens pour exprimer et expliciter lide de la catholicit nous trouvons entre autres, larche de No compare lEglise larche de Pierre (Gn 6-9 cf. Mt 16, 18) ; la vision de Pierre Jaffa dune nappe contenant des animaux purs et impurs comme reprsentation de lEglise contenant des Juifs et des paens (Ac 11, 5-10), etc. Pour plus dexemples avec des rfrences sur leurs apparitions dans la littrature chrtienne voir, CONGAR, Y.M., LEglise, une, sainte, 155+ ; dautres sont trouver dans TILLARD, J.M.R., LEglise locale.
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4.3.4. Racines et caractristiques de la catholicit selon Vatican II G. Thils a remarqu qu la suite des dcisions conciliaires, lEglise sest mise en route vers une catholicit mieux enracine1. En effet, le concile a rappel les racines profondes de la catholicit de lEglise et qui se trouvent en Dieu lui-mme. Tous les hommes tirent leur origine commune de Dieu qui a cr la nature humaine et appelle tout le monde au salut en son Fils, par lEsprit-Saint (LG, 13)2. Cest pourquoi, ladjectif catholique convient dabord au dessein de Dieu qui veut que tous les hommes participent sa vie divine (LG, 2). A cette universalit du dessein divin correspond la mission du Christ, qui est venu rconcilier tous les enfants de Dieu disperss et les rassembler dans lunit de son Royaume (LG, 13). Venant dans ce monde, le Christ a fond lEglise peuple nouveau et universel des fils de Dieu , dont il est le Chef (LG, 13). Aprs sa rsurrection, le Seigneur a envoy ses disciples, lEsprit-Saint qui vivifie lEglise et la rassemble continuellement dans lunit. Ainsi, le mme et unique Esprit, qui est le lien dunit des personnes divines dans la Trinit, est galement le principe de runion et d'unit [des fidles] dans l'enseignement des aptres, dans la communion, dans la fraction du pain et les prires (LG, 13) ; il ralise galement la plnitude de moyens de salut dont jouit lEglise sous sa conduite (AG, 5 ; LG, 10, 14). A la lumire de lenseignement conciliaire, la catholicit, apparat comme une caractristique divine, inhrente ltre ecclsial, une consquence de lenracinement trinitaire de lEglise et de sa nature de sacrement universel du salut divinement tabli en ce monde3. Le concile dcrit la catholicit comme tant la fois une note qualitative et une note quantitative. Le sens qualitatif se rapporte la plnitude des moyens de sanctification grce laquelle lEglise ne manque de rien pour laccomplissement

THILS, G., Vingt ans aprs Vatican II , NRT 107 (1/1985), 22-42 (30). Cest surtout dans LG, 13 que le concile dcrit lenracinement et le caractre de sa catholicit. Pour lhistoire de la formation et lexgse de ce numro, voir LEMIRE, E., La catholicit de l'Eglise : exgse de Lumen gentium 13 et orientations contemporaines pour une ecclsiologie de la catholicit , Fribourg (Suisse), 1987 (mmoire de licence prpar sous la direction de Torrell, J.P.). 3 DE CHAIGNON, F., Eglise et Trinit selon Vatican II , Communio 5-6 (1999), 6577 (71-72).
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efficace de sa mission salvifique. Comme le rappelle le Catchisme de lEglise Catholique, en voquant le sens originel de ladverbe catholou, lEglise est catholique selon la totalit ou selon lintgralit (CEC, 830), ce qui veut dire quelle possde et ralise en elle la plnitude de moyens dont ses fidles ont besoin pour parvenir au salut. Parmi ceuxci, il y a notamment, la parole de Dieu, les sacrements, le ministre, la prire, etc., et, surtout, la charit qui conduit leur fin tous les moyens de sanctification (LG, 42, cf. AG, 6). Le concile note que ces moyens de salut sont aptes procurer une union visible et sociale de lEglise (LG, 10)1. Cette catholicit qualitative, lEglise la possdait dj pleinement le jour de la Pentecte mme si elle ntait quun petit groupe de disciples prsent uniquement Jrusalem (AG, 4). Dans ce sens qualitatif, la catholicit est un attribut de toute Eglise, mme locale2. Le sens quantitatif se rapporte luniversalit gographique et historique de lEglise. Car Dieu veut sauver tous les hommes, lEglise doit s'tendre toute la terre et entrer dans l'histoire humaine, cest pourquoi, elle domine en mme temps les poques et les frontires des peuples (LG, 9). En effet, lunit catholique du peuple de Dieu sont appels soit les fidles catholiques, soit les autres qui ont foi dans le Christ, soit enfin l'universalit des hommes (LG, 13)3. Dans la catholicit de lEglise senracine son caractre missionnaire : comme linstrument universel du salut, elle est envoye dans le monde entier pour rassembler, dans lunit, tous les enfants de Dieu disperss

Le concile emploie les expressions : moyens de salut (LG, 11, 14 ; AG, 4, 6), moyens de grce (AG, 5), moyens de sanctification (LG, 42) ; si le sens immdiat de chacune de ces trois expressions nest pas identique, la ralit dernire laquelle elles se rapportent est toujours la mme, savoir le salut. 2 CONGAR, Y.M., LEglise une, sainte, 169. 3 Lexpression unit catholique apparat deux reprises dans la constitution dogmatique sur lEglise (LG, 8 et 13) ; elle apparat galement dans le dcret sur lactivit missionnaires (AG, 6, 9, 22). A chaque fois le sens de lexpression est plus large que lunit des catholiques lintrieur de lEglise romaine et se rapporte au dessein divin dunit universelle du genre humain dont lEglise est un signe et un instrument. Lexpression est prconciliaire et on la trouve par exemple chez Journet selon qui elle est presque un plonasme : on a dj tout dit en disant catholicit ; il lemploie pourtant rgulirement comme synonyme du terme catholicit (JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, 1933-1936, citation, p. 1933 ; nous lisons encore chez lui : Lunit catholique, ou catholicit, cest lEglise, en tant que rassemblant, dans la communion de la charit sacramentelle (voil lunit), la dispersion de lhumanit dchue (voil la diversit), p. 1935).

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(LG, 17)1. Le concile affirme que cest en vertu des exigences intimes de sa propre catholicit que lEglise sacrement universel du salut est tendue de tout son effort vers la prdication de l'Evangile tous les hommes, dans lobissance son fondateur (AG, 1). Car tous les hommes sont appels au salut, il faut que la bonne nouvelle soit proclame parmi toutes les nations (AG, 9). Ainsi, il est clair que l'activit missionnaire dcoule profondment de la nature mme de l'Eglise car c'est par elle que se dilate partout l'unit catholique (AG, 6). Par son activit missionnaire, lEglise rend prsent le Christ auteur du salut, travers le monde, afin quen lui, tous puissent participer lunit catholique du peuple de Dieu (AG, 9) et constituer ensemble une seule famille et un seul peuple de Dieu (AG, 1). Comme nous lavons constat, la plnitude catholique de lEglise se ralise dans le monde entier et dans toute lhistoire2. Cest pourquoi, lEglise nest pas lie une seule culture ; ce caractre duniversalit dont elle jouit implique quelle nest ni latine, ni grecque, ni slave, elle est catholique3. La catholicit ainsi comprise, implique ncessairement lunicit et lunit de lEglise du Christ : lEglise peut sappeler catholique car, travers le grand nombre des communauts locales varies, et malgr la multitude de membres diffrents, elle demeure un tout organique uni par l'unit de la foi et de la structure divinement institue de l'Eglise universelle (LG, 23). Elle exprime sa plnitude catholique par la synergie, cestdire, le jeu combin de tous les charismes et de tous les dons dans lunit dun seul corps. Catholicit signifie donc communion dans la diversit historique, gographique et culturelle en laquelle se ralise le salut. Grce cette catholicit, la communion ecclsiale devient universelle4. La catholicit rvle ainsi le caractre communionnel de lEglise dans laquelle tous sont unis organiquement par la mme structure, participent aux mmes biens du salut appartenant luna Catholica et tmoignent ensemble devant le monde de leur

1 CHAIGNON, F. de, Op. cit., 72-74 ; CONGAR, Y.M., LEglise une, sainte, 171175. 2 TILLARD, J.M.R., LEglise locale. Lecclsiologie de communion et catholicit, coll. Cogitatio Fidei 191, Paris, Cerf, 1995, 393-394. 3 BENOIT XV, Dei Providentis (01 06 1917). 4 DENAUX, A., Op.cit., 161-162.

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commune esprance dont la source et lachvement se trouvent in Christo. 4.3.5. LEglise universelle comme communion des Eglises locales 4.3.5.1. Distinctions des termes Nous avons dj tabli quelle tait la signification du terme catholicit dans la Tradition et la thologie de lEglise. Toutefois, pour une meilleure apprhension du problme de la catholicit, il semble utile de bien cerner les distinctions qui existent entre plusieurs termes utiliss dans ce chapitre. Commenons par quelques prcisions sur les adjectifs catholique et universel. Comme nous lavons relev, la catholicit possde deux aspects : lun qualitatif dsignant le caractre decclsialit d la possession des moyens de grce, et lautre quantitatif dsignant luniversalit (gographique et historique) de lEglise. Il sensuit que le terme universalit exprime lune de ces deux dimensions de la catholicit, et que ladjectif universel ne peut pas tre considr sans restriction comme synonyme de catholique. LEglise est universelle parce quelle stend dans tout lunivers (toto orbe diffusa) et parce que dans sa marche historique vers laccomplissement eschatologique elle traverse toutes les poques. Comme le dit Paul VI, cest une communaut que ni lespace ni le temps ne sauraient limiter : Du juste Abel jusquau dernier lu , jusquaux extrmits de la terre , jusqu la fin des temps 1. Cette Eglise universelle sincarne dans les Eglises particulires, cest pourquoi, son universalit ne doit pas tre comprise comme la somme, ou, si lon peut dire, la fdration plus ou moins htroclite dEglises particulires essentiellement diverses car, cest toujours la mme et unique Eglise du Christ universelle par sa vocation et sa mission , qui

1 PAUL VI, Evangelii nuntiandi. Exhortation apostolique sur lvanglisation dans le monde moderne du 8 dcembre 1975), n61. Dans le mme numro, le pape se sert de plusieurs images bibliques que la tradition a comprises comme exprimant luniversalit de lEglise : Cest ainsi que le Seigneur a voulu son Eglise : Universelle, grand arbre dont les branches abritent les oiseaux du ciel, filet qui recueille toutes sortes de poissons ou que Pierre retire charg de cent cinquante-trois gros poissons, troupeau quun seul pasteur fait patre. Eglise universelle sans bornes ni frontires sauf, hlas, celles du cur et de lesprit de lhomme pcheur.

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se ralise gographiquement et historiquement, travers une multitude de communauts locales1. Toute lEglise (cestdire lEglise universelle) est catholique dans son essence, cestdire possdant en plnitude toutes les marques decclsialit. Chacune des communauts particulires qui la composent puise dans cette catholicit universelle et jouit pleinement des mmes marques decclsialit, aussi longtemps quelle demeure unie lEglise universelle dont elle est une actualisation concrte. De ce fait, le qualificatif catholique peut tre appliqu aussi bien lEglise locale qu lEglise universelle. Lorsque nous parlons de la catholicit dune Eglise particulire nous voulons exprimer par l le fait que les conditions universelles decclsialit se ralisent localement dans cette communaut et quelle demeure dans la communion de lEglise universelle. Lorsque nous parlons de la catholicit de lEglise universelle, nous voulons plutt voquer son universalit historique et gographique et la plnitude ecclsiale quelle possde de manire inaltrable toujours et partout. Aprs avoir clarifi les distinctions entre les adjectifs catholique et universel, il nous faut encore apporter quelques prcisions concernant les termes, diocse, Eglise particulire et Eglise locale2. Dans lusage courant des thologiens, ces trois termes sont parfois utiliss indistinctement, sans tenir compte du fait que, dans le Code de Droit Canonique et dans les documents rcents du Magistre, ils ne se valent pas, bien quils restent troitement associs entre eux. Le Catchisme tablit que lEglise particulire est une communaut de fidles chrtiens en communion dans la foi et les sacrements avec leur vque ordonn dans la succession apostolique, en prcisant que cette appellation sapplique dabord au diocse ou lparchie (CEC, 833)3. Selon la description plus dtaille que nous trouvons dans le Code de Droit Canonique (can. 368+ ; cf. CCEO, can. 177 1 et 178), lappellation Eglise particulire se rapporte aux entits suivantes : le

PAUL VI, Evangelii nuntiandi, n62 ; cf. CEC, 835. DE LUBAC, H., Les Eglises particulires dans lEglise universelle, Paris, 1971, 27138 ; CTI, Textes et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, 1988, 3l0-341. 3 Dans les Eglises dOrient le mot parchie dsigne une circonscription territoriale de lEglise gouverne par un vque et correspondant au diocse dans lEglise latine.
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diocse, la prlature territoriale et l'abbaye territoriale1, le vicariat apostolique et la prfecture apostolique2, ainsi que l'administration apostolique rige de faon stable3. Dans tous ces cas, il sagit dune portion du peuple de Dieu, dont la charge pastorale est confie normalement un vque exceptionnellement un abb ou un prtre administrateur qui la gouverne comme son pasteur. Sauf le cas du diocse confi aux soins pastoraux dun vque en communion hirarchique avec le pape, les autres situations numres dans ce canon sont des exceptions qui se justifient par des circonstances spcifiques du lieu ou du temps. Cest donc le diocse qui constitue la ralisation fondamentale et, dirait-on, normale de lEglise particulire. Toutefois, il est important de noter que si le diocse est appel, juste titre, Eglise particulire, cette appellation ne lui est pas rserve de manire exclusive et peut sappliquer dautres entits pastorales qui lui sont assimilables. Selon le Code, le diocse est la portion du peuple de Dieu confie un Evque pour qu'il en soit, avec la coopration du presbyterium, le pasteur, de sorte que dans l'adhsion son pasteur et rassemble par lui dans l'Esprit Saint par le moyen de l'vangile et de l'eucharistie, elle constitue une Eglise particulire dans laquelle se trouve vraiment prsente et agissante l'Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique (can. 369). Hormis quelques remaniements de style, cette dfinition est identique, quant lessentiel, celle que nous trouvons dans le dcret conciliaire sur la charge pastoral des vques (CD, 11). Cependant, dans les documents de Vatican II, il y a plusieurs autres termes apparents qui sont employs, sans tre explicitement et clairement dfinis. Ainsi nous y trouvons les appellations suivantes :

La prlature territoriale ou l'abbaye territoriale est une portion dtermine du peuple de Dieu, territorialement circonscrite, dont la charge, cause de circonstances spciales, est confie un Prlat ou un Abb qui la gouverne comme son pasteur propre, l'instar de l'vque diocsain (can. 370). 2 Le vicariat apostolique ou la prfecture apostolique est une portion dtermine du peuple de Dieu qui, cause de circonstances particulires, n'est pas encore constitue en diocse, et dont la charge pastorale est confie un Vicaire apostolique ou un Prfet apostolique qui la gouverne au nom du Pontife Suprme (can. 371 1). 3 L'administration apostolique est une portion dtermine du peuple de Dieu qui, pour des raisons tout fait spciales et graves, n'est pas rige en diocse par le Pontife Suprme, et dont la charge pastorale est confie un Administrateur apostolique qui la gouverne au nom du Pontife Suprme (can. 371 2).

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Eglises locales (LG, 23, 27 ; UR, 14 ; aussi au singulier : PO, 6, 11 ) ; Eglises particulires ou locales (UR, 14) ; Eglises particulires (SC, 13 ; AG, 6, 22 ; CD, 6, 33, 36 ; OE, 19 ; aussi au singulier : CD, 3, 11, 23, 28 ; UR, 15, OE, 19), Eglises particulires ou rites (OE, 2), communauts locales (LG, 26, 28, dans ce dernier numro aussi au singulier)1. Souvent, ces expressions sont utilises de manire synonymique ; parfois, suivant le contexte, le mme terme peut dsigner des ralits diverses. En ce qui concerne lappellation Eglise locale couramment utilise dans les documents de Vatican II, dans les crits des thologiens et des documents ecclsiastiques, mais absente du Code de Droit Canonique , elle possde des acceptions varies. Dans le sens le plus troit, elle dsigne une paroisse ou tout autre rassemblement lgitime de fidles sous la direction dun pasteur (normalement prtre), notamment pour la clbration de leucharistie ; ensuite, elle sapplique au diocse selon le sens donn dans le dcret Christus Dominus et repris par le Code ; et finalement elle dsigne le regroupement de plusieurs diocses, circonscrits autour dun territoire dtermin, dans lequel est tabli une confrence piscopale ou un synode particulier. Vu labsence dune dfinition magistrielle unique, un certain flou persiste dans sa signification exacte. Dans cette tude nous lutilisons dans le sens apparent celui dEglise particulire ou de diocse ; en principe, nous entendons par Eglise locale une portion du peuple de Dieu habitant sur un territoire circonscrit et rassembl en communion de foi, des sacrements et de vie par son pasteur lgitime, habituellement un vque. Quelquefois, le contexte indique que cette appellation stend sur plusieurs Eglises particulires (diocses) lies par des liens socio culturels et historiques, et formant, de ce fait, une unit rgionale reprsente par une confrence piscopale ou un synode particulier. 4.3.5.2. Le caractre universel de lappartenance ecclsiale dun fidle Selon Vatican II, lEglise du Christ est unique et universelle ; cest un peuple qui existe dans tout lunivers et qui tire ses membres de toutes les nations de la terre sans pour autant cesser dtre un et indivisible ; au sein de ce peuple unique, tous les fidles pars travers le monde sont
1 Dans lexpos prliminaire de la constitution Gaudium et Spes, le concile parle de communauts locales traditionnelles et numre entre parenthses familles patriarcales, clans, tribus, villages.

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en communion les uns avec les autres dans l'Esprit-Saint (LG, 13). Laffirmation de cette unicit ontologique de lEglise, constitue une donne fondamentale de lecclsiologie catholique de communion et est dterminante pour la comprhension de la catholicit propose dans les documents du concile et du Magistre postconciliaire. Elle implique notamment une conception spcifique du rapport qui existe entre la dimension universelle et la dimension locale dans lEglise et qui est dterminante pour lapproche de lappartenance ecclsiale dun fidle. Par le baptme reu dans la foi, le croyant entre de manire immdiate dans lEglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique, constitue en ce monde en une communion des fidles qui surpasse non seulement les frontires de diffrents pays, cultures et systmes sociopolitiques mais aussi celles des rites particuliers et des subdivisions administratives, lintrieur mme de lEglise. Bien que le baptme lui soit confr normalement dans une communaut particulire, ce rite ralise son insertion instantane et directe dans lEglise universelle1. Il sensuit que la communion des fidles dans lEglise universelle nest pas la consquence de leur appartenance pralable des Eglises particulires qui sont en communion entre elles, mais une implication directe de leur baptme2. Mme si habituellement la vie du fidle se passe dans une communaut particulire concrte, ce fait nest pas dterminant pour son appartenance lEglise du Christ qui est une et universelle par nature3. Nous constatons ainsi, que dans la conception catholique de lEglise, l'universelle communion des fidles ne peut tre envisage comme le rsultat de la communion ecclsiastique entre leurs
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Dans une situation de ncessit pastorale, on peut songer un baptme donn hors de toute communaut particulire (ex. sur un bateau pris dans une tempte en pleine mer ou dans un territoire o aucune Eglise chrtienne nest formellement tablie). Dans un cas o lappartenance une communaut locale ne peut pas tre tablie cause des circonstances spcifiques, lappartenance lEglise universelle ne fait pourtant aucun doute ( condition bien entendu, que le baptme soit confr de manire valide). 2 CDF, Communionis notio, n10. 3 De ce fait, un fidle appartenant une communaut particulire qui sest spare de lunit de lEglise universelle, peut, quant lui, rester dans lunit de lEglise sil nadhre pas au schisme. La rupture de communion entre sa communaut particulire et lEglise universelle nentrane pas automatiquement son exclusion personnelle de lEglise universelle sil se dsolidarise avec la dcision de la communaut schismatique ; mme avant de joindre une autre communaut particulire son appartenance lEglise une, sainte, catholique et apostolique ne fait aucune objection. Ce fait indique la prsance de luniversalit sur la localit dans lEglise.

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Eglises particulires respectives mais comme une implication fondamentale de leur baptme reu dans lEglise une. Du fait de cette universalit de lappartenance ecclsiale, on peut dire que tout fidle appartient toutes les Eglises, mme si sa vie chrtienne se droule dans une seule1. Ceci se trouve exprim de la plus forte manire dans la clbration eucharistique. Mme si leucharistie est toujours clbre dans un lieu donn et par une communaut particulire, autour de la table du Seigneur tout fidle se trouve dans son Eglise, cestdire dans lunique Eglise du Christ rpandue dans tout lunivers. Cest pourquoi, toute clbration de leucharistie dans lEglise est ouverte tout fidle (se trouvant dans les dispositions requises) sans considration aucune de son appartenance ou de sa nonappartenance, du point de vue canonique, au diocse, la paroisse, ou l'autre communaut particulire o cette clbration a lieu2. Lappartenance ecclsiale dun fidle appartenance considre dans la perspective baptismale et eucharistique montre bien la primaut de luniversalit sur la localit dans la conception catholique de lEglise : avant dapparatre comme une communion de communauts locales, lEglise se rvle comme une communion universelle de fidles, fonde sur le baptme reu dans la mme foi et scelle par leucharistie accessible de la mme manire tous ses membres. 4.3.5.3. La relation entre lEglise universelle et lEglise locale dans la communion catholique Il a souvent t affirm que le concile a pos les fondements doctrinaux du modle de lEglise universelle comprise comme une communion des Eglises particulires. Ce modle nest pas une exclusivit de lEglise catholique romaine, bien au contraire, il constitue aujourdhui le modle de lEglise communment reconnu dans le monde chrtien. Toutefois, son interprtation diverge suivant lEglise, et le point nvralgique de cette divergence rside dans lanalyse du rapport entre le local et luniversel dans lEglise. Dans ce paragraphe nous allons examiner la manire dont ce rapport est saisi dans lecclsiologie catholique

Celui qui est Rome sait que ceux des Indes sont ses membres (JEAN CHRYSOSTOME, In Ioann. hom., 65, 1 : PG 59, 361). 2 CDF, Communionis notio, n9.

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dinspiration conciliaire. Lintelligence de ce rapport, en effet, est dterminante pour la conception de la catholicit de lEglise. Avant dentrer dans des considrations doctrinales, une prcision de langage concernant le terme communion simpose, pour avoir une distinction conceptuelle claire entre les divers plans de la ralit ecclsiale toujours unique et indivisible en soi. Comme nous lavons vu dans le chapitre sur les fondements anthropologiques de la communion, le terme communion sapplique en propre des personnes (divines ou humaines) et ce nest que par analogie quil peut tre employ pour dcrire les relations entre des Eglises particulires lintrieur de lEglise universelle, ou encore entre lEglise universelle dune part et les Eglises particulires dautre part. Cette analogie se rvle particulirement utile pour saisir, de manire correcte, les diffrentes nuances de ces relations complexes et pour avoir une juste apprhension de la catholicit de lEglise (universelle et locale) dans la perspective de la communion. A la ressemblance de Dieu, qui est unique et indivisible dans son tre divin mais qui existe en trois personnes distinctes, lEglise, qui est unique et indivisible dans son tre de corps du Christ, existe dans le monde en une multitude dEglises particulires1. C'est ainsi que le corps mystique est le corps des Eglises (LG, 23) et que lon peut lui appliquer de manire analogique le concept de communion2. Comme laffirmation ferme et sans quivoque de lunicit de Dieu est fondamentale pour une correcte thologie trinitaire, de mme laffirmation ferme et sans quivoque de lunicit de lEglise universelle est fondamentale pour une correcte ecclsiologie de communion. Comme Dieu unique est une ralit ontologiquement pralable chacune des trois personnes divines, de mme, lEglise unique et universelle est une ralit ontologiquement et chronologiquement pralable toute Eglise particulire singulire3 ; comme la plnitude de divinit est ralise dans chacune des trois personnes, de mme la plnitude decclsialit est ralise dans chacune des Eglises particulires. Garder lesprit ces diffrents aspects de lanalogie entre la communion divine et la communion ecclsiale nous aidera mieux saisir le mystre de la catholicit. La catholicit de
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KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio (Paris), 12 (1/1987), 27. 2 CDF, Communionis notio, n8. 3 Ibid., n9.

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lEglise se rapporte, en effet, une relation spcifique semblable celle qui existe en Dieu de son unicit sa pluralit et de son universalit sa particularit. Prexistant dans le dessein salvifique de Dieu avant la cration du monde (LG, 2 ; CEC, 759)1 et manifestant son caractre catholique depuis le jour de la Pentecte (Ac 2, 4+), lEglise est unique et, par consquent, universelle. Cette Eglise universelle et indivisible dans son unicit est la mre qui donne naissance aux communauts particulires comme ses propres filles. Celles-ci, naissant dans et de l'Eglise universelle, c'est d'elle et en elle qu'elles ont leur ecclsialit (Ecclesiae in et ex Ecclesia)2. Les Eglises particulires ne sont pas de simples parties, encore moins des districts administratifs dune confdration dEglises, appele Eglise universelle, mais la mme ralit suprme de lunique Eglise du Christ, prsente et rellement actualise dans un lieu dtermin3. En mme temps, lEglise une et universelle existe dans la
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Dirige, Domine, ecclesiam tuam dispensatione clesti, ut qu ante mundi principium in tua semper est prsentia prparata, usque ad plenitudinem gloriamque promissam te moderante perveniat (SACRAMENTAIRE D'ANGOULEME, In dedicatione basilic nov: CCSL 159 C, rubr. 1851). Cest une conviction trs ancienne dans lEglise, cf. PASTEUR D'HERMAS, Vis. 2, 4, 1: PG 2, 897-900; CLEMENT DE ROME, Epist. II ad Cor., 14, 2 ; ARISTIDE, Apol. 16, 6 ; JUSTIN, Apol. 2, 7). 2 CDF, Communionis notio, n9. Le rapport entre lEglise locale et lEglise universelle est lre actuelle un problme largement discut au sein mme de lEglise catholique. Dans ce qui suit, nous croyons rendre compte de la position qui se dgage de lanalyse des documents officiels de lEglise. Voir ce sujet la discussion importante entre le card. W. Kasper, prsident du Conseil pour lUnit des Chrtiens et le card. Ratzinger, prfet de la Congrgation pour la Doctrine de la Foi dont les principaux articles sont : RATZINGER, J., The ecclesiology of the Constitution on the Church, Vatican II, Lumen Gentium , L'Osservatore Romano (English, 19 September 2001), 5; The Local Church and the Universal Church: A Response to Walter Kasper , America 185 (2001, Nov. 19), 7-10 (http://www.findarticles.com/cf_0/m1321/16_185/80379086/print.jhtml, 25. 02. 2003). KASPER, W., On the Church: A Friendly Reply to Cardinal Ratzinger. Relationship between universal church and local churches , America 184 (2001, April 23-30), 8-14 (http://www.findarticles.com/cf_0/m1321/14_184/75106623/print.jhtml, 25. 02. 2003). 3 ANGEL, A., Lecclsiologie postconciliaire. Les attentes, les rsultats et les perspectives pour lavenir dans Latourelle, R., (sous la dir. De), Vatican II. Bilan et perspectives (1962-1987), t. 1., Montral Paris, 1988, 411-440 (429-431, citation 430) ; cf. JEANPAUL II, Discours aux Evques des Etats-Unis d'Amrique, 16. 09. 1987, n3.

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communion des Eglises locales. En mettant ensemble ces deux affirmations, nous arrivons comprendre que lEglise une et les Eglises locales existent de manire simultane ; elles sont intrieures entre elles1. Conformment ces affirmations dans lesquelles se reflte la position originale de lecclsiologie catholique, il existe entre lEglise universelle et les Eglises particulires, un rapport dintriorit mutuelle2. En voquant lanalogie trinitaire dont nous avons parl plus haut, Kasper parle, cet gard, de lexistence prichortique3. A cause de cette prichorse existentielle, on peut affirmer que lEglise universelle sexprime visiblement dans chacune des Eglises locales et que toutes les Eglises locales ralisent ensemble lEglise universelle unique et indivisible. Cest pourquoi, comme le dit le pape JeanPaul II, la formule Ecclesia in et ex Ecclesiis et la formule Ecclesiae in et ex Ecclesia se correspondent et ne peuvent jamais tre spares lune de lautre4. La nature de mystre de ce rapport entre Eglise universelle et Eglises particulires est vidente; ce rapport n'est pas comparable celui qui existe entre le tout et les parties dans tout groupe humain ou socit purement humaine5. Une consquence de ce rapport prichortique est que lEglise universelle ne peut tre considre ni comme la somme des Eglises particulires ni comme le rsultat de la reconnaissance rciproque entre elles6. En effet, elle jouit de lantriorit (tant historique quontologique) par rapport aux Eglises particulires (comme la mre par rapport ces filles). Certes, dans chacune des communauts particulires, lEglise du Christ est ralise dans sa plnitude. Cependant ceci nest vrai qu la condition que la communaut en cause demeure dans luna Catholica. Uniquement cette condition, il est possible de reconnatre quen elle se ralise localement le catholou authentique et intgral de lunique Eglise de Dieu rpandue dans tout lunivers et traversant toutes les poques. A
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KASPER, W., Situation actuelle et avenir du mouvement cumnique, II, 2 ; http://www.vatican.va (04. 07. 2003), II, 5. 2 CDF, Communionis notio, n9; cf. JEANPAUL II, Discours la Curie Romaine, 20. 12. 1990, n9: L'Osservatore Romano (21. 12. 1990), p. 5. 3 KASPER, W., Situation actuelle, II, 5. 4 JEANPAUL II, Discours la Curie Romaine, 20. 12. 1990, n9: L'Osservatore Romano (21. 12. 1990) p. 5. 5 CDF, Communionis notio, n9. 6 Ibid., n8.

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cause de cette inhabitation mutuelle on doit dire que les ralits universelle et locale ne sont pas distinctes mais quelles sont deux dimensions formelles et constitutives de lunique Eglise du Christ1. Dans la conception conciliaire de la catholicit, lunit prime sur la particularit et luniversalit sur la localit dans lEglise. Lvocation du concept paulinien de corps du Christ nous aide comprendre cette relation : comme dans un organisme vivant, chaque membre subsiste grce son appartenance au corps tout entier ; de mme dans lEglise, chaque communaut particulire subsiste grce son appartenance au corps universel du Christ. Laffirmation de la dpendance originelle et ontologique des Eglises locales par rapport lEglise universelle, nest pas contradictoire avec la conception de lEglise comme communion ; bien au contraire, la communion ecclsiale rvle ainsi son caractre dunit organique et toute sa profondeur thologique. En effet, elle napparat pas comme un simple fait sociohistorique de reconnaissance mutuelle mais comme un trait ontologique appartenant ltre mme de lEglise, tant dans sa dimension particulire quuniverselle. LEglise universelle se rvle comme un organisme unique tiss dun grand nombre de communauts particulires qui en sont des cellules de base et dont chacune tire son existence et sa consistance ecclsiales du fait de son intgration permanente dans ce corps. Comme dans un organisme vivant, chacune des cellules possde la plnitude de vie ; de mme, dans le corps du Christ, chacune des Eglises locales jouit de la plnitude decclsialit (LG 26 ; CEC, 832). Cest prcisment en raison de cette intgration de toutes les Eglises particulires dans luna Catholica quil est possible daffirmer, comme nous lavons dj mentionn, que l'Eglise catholique, une et unique existe dans toutes ces Eglises particulires et par elles (in quibus et ex quibus) (LG, 23 ; CIC, 368)2. Selon le concile, ces Eglises particulires se sont constitues par la grce de la divine Providence (LG, 23), cestdire conformment la volont divine. Ainsi, leur existence est non seulement lgitime mais vraiment voulue par Dieu car elle correspond entirement au caractre d'universalit qui distingue le Peuple de Dieu (LG, 13).
DENAUX, A., LEglise , 166. PIE XII, Mystici Corporis Christi. Lettre encyclique, 29. 06. 1943 (www.vatican.va, 05 03 2004)
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Ces Eglises locales, qui se sont dveloppes historiquement dans des conditions diverses, reprsentent une varit de traditions thologiques, liturgiques, spirituelles, culturelles, etc., cette varit est lgitime et enrichissante pour toute lEglise car, selon le concile, elle dmontre avec plus d'vidence la catholicit de l'Eglise indivisible (LG, 23). Toutefois, ceci nest vrai qu condition que ces diversits ne deviennent pas des particularismes absolutiss brisant lunit de la communion universelle : elles doivent converger vers lunit. Tout en gardant leur autonomie lgitime en ce qui concerne leur discipline propre, leur coutume liturgique particulire et leur patrimoine thologique et spirituel, ces Eglises sont unies en un tout organique par l'unit de la foi et de la structure divinement institue de l'Eglise universelle (LG, 23). Fonde originellement comme une communaut de disciples du Christ vivant Jrusalem, lEglise se manifeste dabord, depuis toujours, sous son aspect local et particulier1. Cependant, mme au niveau local, elle rvle sa nature de communion dans chaque rassemblement particulier de chrtiens runis au nom du Christ pour couter ensemble la parole de Dieu et clbrer le mystre de la rdemption autour de la table du Seigneur. Conformment cette conception atteste par la Bible (Ac 2, 42, etc.) et reprise par le concile (SC, 41), lEglise locale se manifeste de manire la plus accomplie lorsque, sous la prsidence de lvque entour des prtres et des diacres, toute la communaut se rassemble pour couter la parole de Dieu et clbrer leucharistie. Cependant, dans la pratique pastorale, ceci narrive qu titre exceptionnel. En effet, toute Eglise locale se compose dune multitude dassembles particulires (paroisses) qui, sous la prsidence lgitime des prtres mandats par lvque, se runissent pour se nourrir de la parole de Dieu et de leucharistie. Le prtre, en sa qualit de ministre ordonn qui prside la clbration, est un signe sacramentel qui relie cette communaut au diocse reli son tour lEglise universelle par la personne de lvque en communion avec le pape. Dj dans une paroisse, il existe souvent de nombreuses communauts eucharistiques prsides par divers prtres mandats par le cur qui porte la responsabilit de lensemble de ces communauts au nom de lvque. Le modle de

NEUNHEUSER, B., Op. cit., 635.

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communion, avec la rfrence leucharistie et au ministre, sapplique ainsi chaque niveau de la vie ecclsiale et les traverse tous1. Le concile reconnat que toute portion du peuple de Dieu qui clbre leucharistie dans la communion avec son vque, le fait galement dans la communion avec lEglise universelle. Dans la pratique, ceci est exprim, dans la liturgie eucharistique, par la citation des noms de lvque du lieu et du pape (LG, 28 ; cf. SC, 42). Leucharistie apparat ainsi comme le ciment de la communion, tant au niveau local quau niveau universel. Dans la perspective de lecclsiologie conciliaire, lEglise est catholique cestdire complte dans chaque lieu et identique dans tous les lieux par leucharistie (LG, 26) ; elle est universelle en tant que communion des communauts eucharistiques locales fondamentalement identiques. Chaque communaut de ce type dispose en elle-mme de la totalit des prrogatives qui lui permettent de faire vivre ses fidles l'intgralit du mystre du Christ2. En dautres termes, lEglise du Christ, avec lensemble des moyens du salut, est prsente dans chaque communaut locale de type eucharistique3. Toute communaut particulire, rassemble pour leucharistie (autour de lvque ou dun prtre qui le reprsente), prend conscience des trois aspects de sa catholicit : premirement, elle sait, quen elle, lEglise du Christ est ralise pleinement, sans aucune dficience, deuximement, elle se reconnat comme une portion du peuple de Dieu et non pas tout le peuple, troisimement, elle se reconnat en communion avec toutes les communauts locales de mme type du pass, du prsent et du future et rpandues dans tout lunivers. Cest ainsi que toute communaut locale qui clbre leucharistie nest pas une partie de lEglise universelle mais une manifestation sacramentelle locale de luna

DENAUX, A., LEglise , 165. DORE, J., L'Eglise la veille du grand Jubil 2000 Relire Lumen Gentium , DC, n 2190 (18/10/1998), n4a-b, p. 875 (publi galement sur http ://www.doc-catho.com). 3 Par lexpression communaut de type eucharistique nous entendons une communaut qui remplit toutes les conditions requises pour la validit (notamment le ministre) et la lgitimit (notamment la communion avec lEglise universelle) dune clbration eucharistique et non pas un rassemblement actuel de fidles clbrant la messe. Nous voulons exprimer par cette expression la permanence de ce caractre eucharistique qui est un habitus de la communaut mme en dehors de la liturgie.
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Catholica1. Cest pourquoi lEglise est insparablement locale et catholique2. En effet, par leucharistie, chacune des communauts locales vit de la mme et unique vie de grce qui appartient toute lEglise. De mme, chaque communaut locale est pleinement catholique aussi longtemps quelle demeure dans lunit du corps du Christ, car cest en lui uniquement quelle peut prserver intacte son identit eucharistique. A cause de cette insparabilit ontologique de la dimension locale et de la dimension universelle dans le mystre de lEglise du Christ lie son caractre eucharistique, lEglise locale ne peut pas tre considre comme un sujet en soi complet et indpendant de lEglise universelle3. LEglise locale est pleinement lEglise de Dieu, elle nest pas toute lEglise de Dieu4. Aucune Eglise locale ne saurait donc tre Eglise de Dieu dans lisolement5 ; elle ne pourra tre pleinement elle-mme que dans luna Catholica, cestdire au sein de lEglise universelle qui en est la mre et la matrice. Tout dtachement de lEglise particulire par rapport lEglise universelle porterait prjudice lintgrit de la catholicit de la premire, sans pour autant nuire la catholicit originelle et inaltrable de la seconde qui est la source, cestdire lorigine tant historique quontologique de la catholicit de toutes les
Ds avant le concile, des thologiens catholiques commenaient porter un regard eucharistique sur le problme du rapport entre luniversel et le local dans lEglise. Cest surtout K. Ranher qui en a donn un dveloppement systmatique. Son analyse, qui a considrablement influenc la pense des pres conciliaires, est fortement eucharistique : toute eucharistie est clbre dans un lieu donn, dans un temps dtermin et par une communaut concrte de chrtiens rassemble par un prsident. De par sa nature eucharistique, lEglise du Christ se concrtise toujours dans le monde et dans lhistoire comme une communaut locale de croyants, rassemble autour de lautel. Chaque communaut eucharistique est lEglise du Christ et non pas une succursale de celle-ci. Luniversalit se ralise dans la communion des communauts eucharistiques travers le monde (RAHNER, K., Quelques rflexions sur les principes constitutionnels de lEglise , dans Congar, Y. & Dupuis, B.D., LEpiscopat et lEglise universelle, coll. Unam Sanctam 39, Paris, 1962, 541-562). 2 TILLARD, J.M.R., LEglise locale. Lecclsiologie de communion et catholicit, coll. Cogitatio Fidei 191, Paris, Cerf, 1995, 16. 3 CDF, Communionis notio, n8. 4 TOURNEUX, A, Lvque, leucharistie et lEglise locale dans Lumen Gentium, 26 , Ephemerides Theologicae Lovanienses 1 (1988), 140. 5 TILLARD, J.M.R., LEglise locale. Lecclsiologie de communion et catholicit, coll. Cogitatio Fidei 191, Paris, Cerf, 1995, 394.
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communauts en lesquelles est structur le peuple de Dieu unique. Cest pourquoi, chaque Eglise particulire qui se couperait volontairement de cette Eglise universelle sappauvrirait dans sa dimension ecclsiale1. On comprend donc que la conception catholique de catholicit dont tmoignent ses documents officiels, exclut toute indpendance de lEglise particulire par rapport lEglise universelle et remet en valeur la communion organique des Eglises particulire au sein de lunique Eglise universelle. De ce fait, la prservation fidle de la plnitude de la catholicit se prsente comme un dfi pour les Eglises locales. Comme le rappelle le concile, chacune delles est non seulement forme l'image de l'Eglise universelle (LG, 23)2 mais galement tenue de reprsenter le plus parfaitement possible l'Eglise universelle (AG, 20). Par consquent, il faut reconnatre que, dans la vie ecclsiale, le souci de lunit doit toujours emporter sur le droit aux particularits, afin que la communion universelle des Eglises soit sauvegarde. La primaut de lunit sur les particularits est vidente dans la vie des premires Eglises. Comme le dit Kasper, le fait que lunit a la priorit sur tous les intrts particuliers est une vidence qui saute aux yeux dans le Nouveau Testament (1Co 1, 10+). Pour la Bible, une seule Eglise correspond un seul Dieu, un seul Christ, un seul Esprit, un seul baptme (Ep 4, 5+). Selon le modle de la communaut primitive de Jrusalem (Ac 2, 42), malgr toutes les diversits lgitimes, elle est une par la prdication de lunique vangile, ladministration des mmes sacrements et lunique gouvernement apostolique dans la charit (LG 13; UR 2)3. Selon lecclsiologie catholique de la communion, lunit de lEglise nest pas uniquement une communion spirituelle et invisible ; elle implique galement et ncessairement une unit visible et institutionnelle entre les Eglises particulires4. Aussi, laffirmation, selon laquelle dans chaque Eglise locale lEglise du Christ est prsente avec tous ses lments constitutifs, nest vraie que si cette Eglise demeure dans la communion visible de lEglise universelle dont le

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PAUL VI, Evangelii nuntiandi, n62. Cf. CDF, Communionis notio, n7. 3 KASPER, W., Situation actuelle et avenir du mouvement cumnique, II, 2 ; http://www.vatican.va (04. 07. 2003), II, 5. 4 CDF, Communionis notio, n8.

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pontife romain est le centre visible personnel1. Le Catchisme explicite que les Eglises particulires sont pleinement catholiques par la communion avec lune dentre elles : lEglise de Rome qui prside la charit (CEC, 834)2. En effet, selon lecclsiologie de Vatican II, lEglise du Christ, dans sa plnitude, constitue et organise en ce monde comme une communaut (on pourrait ajouter universelle et visible), subsiste dans l'Eglise catholique, gouverne par le successeur de Pierre et les vques en communion avec lui (LG, 8)3. Certes, l'Eglise universelle est la communion des Eglises locales mais dans la perspective catholique il faut expliquer quil sagit toujours dune communion ralise autour de lEglise de Rome (CD 11). La reconnaissance du ministre dunit du pape et la communion visible avec Rome constituent, pour chacune des Eglises particulires, la garantie dtre dans la communion avec toute lEglise, cestdire avec toutes les Eglises locales ; qui la constituent (LG, 13). Cest uniquement dans la communion avec Rome que la catholicit de lEglise universelle et indivise se montre avec clat, travers la lgitime varit des disciplines ecclsiastiques, des rites liturgiques, des patrimoines thologiques et spirituels propres aux Eglises particulires (CEC, 835 ; LG, 23). 4.4. Lapostolicit de la communion ecclsiale 4.4.1. Lapostolicit comme critre dcisif de lauthenticit de lEglise Lapostolicit apparat comme le critre dcisif de lauthenticit des autres proprits de lEglise ; comme le dit Kng, une Eglise nest vritablement lEglise une, sainte et catholique, que lorsquelle est, en tout cela, une Eglise apostolique4. De ce fait, lapostolicit de chacune des communauts locales est une condition ncessaire du maintien de la communion ecclsiale entre elles, au sein de lEglise universelle. Luniversalit de la communion catholique exige lapostolicit de chacune des communauts qui en font partie lEglise catholique est
1 TILLARD, J.M.R. L'Eglise de Dieu est une communion , Irnikon, 4 (1980), 451468 (452-453). 2 Cf. IGNACE DANTIOCHE, Rom. 1, 1. 3 Sur linterprtation du fameux subsistit in, voir WILLEBRANDS, card., La signification de subsistit in dans lecclsiologie de communion , DC 1963 (1988). 4 KNG, H., LEglise, Paris, Descle de Brouwer, 1968, 483.

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une communion dEglises apostoliques. Cest en conservant fidlement et en reconnaissant mutuellement leur apostolicit que les Eglises particulires se savent intgres dans lunit catholique de toute lEglise. Par contre, l o lapostolicit dune Eglise locale nest pas pleinement prserve et reconnue par les autres Eglises de la communion, la communion ecclsiale de cette communaut avec lEglise universelle ne peut non plus tre pleine. Cest ainsi que la catholicit et lunit exigent aussi lapostolicit. Grce la note dapostolicit lEglise prserve travers le temps, et sans altration, son identit originelle reue du Christ quant la foi, aux sacrements et la constitution hirarchique1. Ainsi, lapostolicit attache lEglise de tous les temps ses causes divines originelles ; elle signifie la stabilitas (constance) de lEglise, toujours ancre dans le Christ grce la succession apostolique remontant aux Douze2. 4.4.2. Les aptres selon le Nouveau Testament Le substantif apostolos est rare dans le grec antique et il y possde des acceptions trs parses qui ne sont pas relevantes pour notre propos3. Il apparat une seule fois dans la Septante (1R 14, 6) pour traduire le mot aramen shaliah. Originellement, le terme shaliah dsigne un messager au sens large ; le plus souvent un messager envoy par Dieu. Ce nest que tardivement, peut-tre lpoque de Jsus ou mme aprs lui, que ce terme prend dans le judasme un sens technique prcis dsignant un envoy plnipotentiaire qui agit au nom des autorits religieuses comptentes4. Parmi les fonctions que le Talmud attribue un shaliah, il y a notamment la prsidence aux prires de la communaut et la collecte dargent au nom des autorits qui lenvoient. La dimension juridique est fortement souligne dans ce type de ministre. Sans pouvoir affirmer que lapostolat chrtien drive du shaliah juif, il est possible de faire un rapprochement matriel entre la fonction

CONGAR, Y.M., LEglise une, sainte, catholique et apostolique, coll. Mysterium Salutis 15, Paris, Cerf, 1970, 181-182. 2 JOURNET, Ch., Eglise du Verbe Incarn, vol. 3, 1930-1931. 3 Bateau, flotte, amiral, colonie, reu de livraison, passeport (RIGAUX, B., Les douze aptres , Concilium 34/1968, 11-18 (11) ; KNG, H., LEglise, 485). 4 Shaliah dans The Oxford Dictionnary of the Jewish Religion, Oxford Univ. Press, 1997, 626.

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daptre dans le christianisme primitif et celle de shaliah dans le judasme de la mme poque. Il nest pas exclu que le principe shaliahtique, selon lequel lenvoy dun homme est un autre lui-mme1 agissant avec toute son autorit, soit prsent aussi bien dans lesprit des aptres qui se croient des envoys du Seigneur et munis de pouvoirs spcifiques, que dans lesprit des fidles qui les tiennent pour tels. En effet, la lumire des donnes bibliques, les aptres apparaissent souvent comme des reprsentants lgaux de JsusChrist, qui agissent en son nom et avec son autorit (Mc 3, 14+ ; Mt 10, 2+, etc.). Trs rare dans le grec classique et sans y possder un sens homogne, quasiment absent de la littrature grecque juive, le terme aptre abonde pourtant dans le Nouveau Testament, notamment chez Luc (tant dans lEvangile que dans les Actes) et chez Paul2. Ceci permet de dire quavec le sens que nous lui donnons aujourdhui, le terme est une appellation proprement chrtienne, dont lorigine remonte trs probablement lEglise dAntioche o on a donn, galement pour la premire fois, le nom de chrtiens aux disciples de Jsus (Ac 11, 26)3. Certains estiment que lappellation daptre a t donn aux Douze par la premire communaut de chrtiens et non pas par le Christ lui-mme en vertu de la mission spcifique quils avaient reue du Seigneur celle de le reprsenter en tant que ses envoys. En effet, le sens originel et gnral du terme aptre, dans le Nouveau Testament, est celui denvoy ; sa mission essentielle consiste annoncer la bonne nouvelle de la venue du rgne de Dieu parmi les hommes. Dans ce sens, le Christ lEnvoy de Dieu , est appel par

Mishna Barakhot 5, 5 (cit dans ROLOFF, J., art. Aptre , dans Lacoste, J.Y., Dictionnaire critique de thologie, Paris, PUF, 1988, 77-80. 2 La littrature sur lapostolat dans le Nouveau Testament est norme. Pour la rdaction de ce paragraphe nous avons consult notamment: CERFAUX, Pour lhistoire du titre Apostolos dans le Nouveau Testament , RSR 48 (1960) ; RIGAUX, B., Les douze aptres , 11 ; SCHMITHALS, W., The Office of Apostle in the Early Church, Nashville, 1969, 76-92 ; SCHNACKENBURG, R., Apostles before and during Pauls Time in Gasque, W.W. & Martin, R.P. (eds.), Apostolic History and the Gospel, Grand Rapids, 1970, 287-303; BROWN, S., Apostleship in the New Testament as a Historical and Theological problem , New Testament Studies 30 (1984), 474-480; LDEMANN, G., Paul, Apostle to the Gentiles, Philadelphia, 1984 ; KARRER, M., Apostle, Apostolate in Fahlbusch, E. (ed.), The Encyclopedia of Christianity, vol. 1, Grand Rapids, 1999, 107-109. 3 RIGAUX, B., Les douze aptres , 11+.

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lauteur de lEptre aux Hbreux, l'aptre de notre confession de foi (He 3, 1)1. Mis part cette attribution unique du titre daptre JsusChrist, dans lensemble du Nouveau Testament, il est donn diffrentes catgories de personnes. Il est ncessaire de prendre conscience de ces emplois pour avoir une vision correcte et complte de lapostolat et de lapostolicit dans lEglise. Commenons nanmoins par tracer une perspective plus large. Tout au long de son ministre terrestre, Jsus a t accompagn non seulement des foules qui se rassemblaient occasionnellement pour entendre son enseignement et pour admirer ses miracles mais galement dun large groupe dadeptes assidus hommes et femmes qui le suivaient de manire plus au moins permanente. Sur la base des donnes notestamentaires, on peut introduire certaines distinctions parmi ces partisans du royaume de Dieu, prn par le Rabbi de Nazareth. On effet, ils entouraient leur Matre la manire de cercles concentriques : dabord les Douze (parmi lesquels Pierre, Jacques et Jean, jouissaient dune proximit privilgie), ensuite, les soixante-dix envoys en mission dans les localits o Jsus lui-mme devait se rendre plus tard (Lc 10, 1+)2, finalement, les autres sympathisants qui lont suivi de manire plus ou moins permanente (et dont un certain nombre stait retir aprs le discours sur le pain de vie, cf. Jn 6, 60). Tous ces disciples, quelque soit la catgorie laquelle ils appartenaient, taient exhorts par Jsus proclamer au grand jour les mystres qui leur avaient t rvls par lui (Mt 10, 27). Nous pouvons tirer ici une premire conclusion selon laquelle le simple fait dtre disciple du Christ implique dj une charge que lon appellera plus tard apostolique, savoir, celle dtre tmoin de sa bonne nouvelle du salut devant le monde. Cependant, parmi ces trois classes de disciples voques plus haut, seuls les Douze sont appels aptres. On peut dire quil sagit dun

Par un paralllisme avec le ministre de grand prtre dans la religion juive, le Christ est prsent dans la lettre aux Hbreux comme lEnvoy qui reprsente le Pre et rclame ses droits dans le monde (cf. Mt 21, 37). 2 Comme il ressort de lvangile de Luc, ils reprsentent Jsus la manire des shaliah et parle pour lui : Qui vous coute m'coute, qui vous rejette me rejette (Lc 10, 16).

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titre officiel qui distingue le cercle le plus restreint de disciples de Jsus des autres de ses partisans1. Avant llection du successeur de Judas, Pierre exprime la condition fondamentale quune personne doit vrifier pour pouvoir porter le titre daptre avoir vcu avec Jsus depuis son baptme, jusqu son enlvement (Ac 1, 21-22 ; cf. Lc 22, 28). Il explique, par la mme occasion, que la mission essentielle dun aptre est celle de rendre tmoignage devant le monde au Christ ressuscit. De fait, les aptres ont t choisis par Jsus pour proclamer au monde la venue du royaume de Dieu et exhorter les hommes au repentir et la conversion ; dans les vangiles, ils apparaissent comme des missionnaires (Lc 9, 2 ; Mt 10, 7). Durant la vie terrestre de Jsus, la mission de Douze tait limite aux fils dIsral (Mt 10, 5+ ; cf. Ac 3, 25-26). Cependant, rconforts dans leur foi par leffusion de lEsprit-Saint la Pentecte, ils sont devenus des tmoins inbranlables de la rsurrection du Christ (Lc 24, 45. 49 ; Ac 1, 22 ; 2, 32 ; 3, 15 ; 5, 32 ; 13, 31) en largissant progressivement leur mission auprs des Grecs dabord, et ensuite jusquaux extrmits de la terre (Ac 1, 8)2. Cet Esprit qui les maintient dans la vrit tout entire et qui parle par leurs bouches, est le garant de linfaillibilit de leur message (Jn 14, 26 ; 15, 26. 27 ; 16, 13. 14). Dans le Nouveau Testament, le titre daptre est couramment donn aux disciples en relation avec la mission de prdication de lvangile du Christ, dans la force de son Esprit3. Pour accrditer leur tmoignage auprs des gens,

Il y a quatre catalogue des aptres dans le Nouveau Testament (Mt 10, 2-4 ; Mc 3, 1619 ; Lc 6, 14-16 ; Ac 1, 13). Les noms des Douze sont : Pierre, Andr (son frre) ; Jacques et Jean (fils de Zbde), Philippe et Barthlemy (Nathanael) ; Thomas et Matthieu (le publicain) ; Jacques (le fils d'Alphe), et Thadde ; Simon le Zlot et Judas lIscariote (toujours cit comme le dernier de la liste), il a t remplac par Matthias (Ac 1, 12-26). 2 Loccasion immdiate du premier largissement missionnaire tait la dispersion des chrtiens dans des rgions habites par des paens lors de la premire perscution qui a cot la vie Etienne (Ac 11, 19+). 3 Kng remarque pourtant que cette exigence missionnaire doit tre relativise compte tenu des faits attests par les sources historiques. En effet, des voyages missionnaires dont nous parlent les Actes et dautres crits, il ny a que ceux de Paul et Barnab (qui ntaient ni lun ni lautre du nombre des Douze) ; aprs la rsurrection nous voyons les aptres demeurer pendant une longue priode Jrusalem ( lexception de Pierre, Ac 12, 17) et il est probable que la majorit dentre eux nest jamais sortie la Galile ; les

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les aptres ont reu du Seigneur des dons exceptionnels, notamment celui de chasser des dmons, de gurir des malades et daccomplir dautres miracles en son nom (He 2, 4, cf. Lc 9, 1. 6 ; Ac 3, 1-10 ; 19, 11) ; tout cela manifeste quils sont vritablement des envoys du Christ agissant en son nom. Le ministre apostolique comprend galement des comptences proprement divines, notamment celle de lier et de dlier (Mt 18, 18), cestdire de prendre des dcisions premptoires au nom du Christ et de remettre ou de retenir les pchs (Jn 20, 21-23). Mme si le nombre des douze aptres est prsent comme le symbole de douze tribus dIsral et, pour cette raison, considr comme inchangeable (Ap 21, 14), Paul dont lapostolat sexerce essentiellement parmi les paens (Ac 13, 46 ; Rm 1, 5 ; 15, 18-19, etc.) , se donne aussi le nom daptre (les exemples sont nombreux, surtout dans les adresses de ses lettres mais aussi dans Rm 11, 13 ; 1Co 9, 1-2 ; Ga 2, 8). Il mrite ce titre car il a eu le mme privilge que les Douze ; il a vcu une rencontre personnelle avec le Christ ressuscit (Ac 9, 1+)1 ; il jouit galement du pouvoir ministriel propre aux aptres qui est celui daccomplir des signes et des miracles (2Co 12, 12 ; Rm 15, 18. 19), de confrer des dons spirituels (Rm 1, 11) et de prendre des dcisions dfinitives au nom du Christ2. Plus que les Douze, il est laptre universel par qui lvangile du Christ a t port depuis Jrusalem jusquau monde entier nous le voyons la fin du livre des Actes vangliser Rome, la mtropole du monde (Ac 28, 23-31). Il a une vive conscience de luniversalit de son ministre apostolique qui nest limit ni un seul peuple (Rm 1, 5) ni une seule Eglise locale. Il se sent la charge de toutes les Eglises, notamment celles quil a lui-mme fondes dans divers endroits du monde, loccasion de ses voyages : il les visite et leur envoie des lettres. On peut dire que, dans le sens originel (tmoin oculaire du Christ ressuscit qui remplit un ministre ecclsial en son nom), le titre
Actes attestent quil y avaient beaucoup dhsitation parmi les Douze concernant la mission aux paens (Ac 10, 1-11 ; 18 ; cf. KNG, H., LEglise, 484 et 486-487, n2). 1 Le fait davoir rencontr personnellement le Christ ressuscit ne peut pas tre considr comme critre unique de lapostolat ; 1Co 15, 6 dit que le Christ ressuscit est apparu plus de cinq cents frres la fois et rien dans le Nouveau Testament ne nous autorise penser quils ont tous accompli un ministre apostolique dans lEglise. 2 Paul exige que les Corinthiens reconnaissent que ses directives donnes la communaut viennent du Seigneur lui-mme ; il dfend avec beaucoup de vigueur contre les Galates (Ga 1-2) et contre les Corinthiens (2Co 10) son autorit apostolique.

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daptre est donn, dans le Nouveau Testament, aux Douze et Paul. Tous, ils ont t choisis pour tre aptres par Jsus lui-mme (Lc 6, 13)1. Le choix par le Christ montre que cest en son nom quils exercent la tche apostolique. Cest donc dans le Christ lui-mme que se trouve la source des pouvoirs apostoliques, et non pas dans les personnes des aptres (Ac 3, 6). Lvangile selon saint Marc parle de linstitution des aptres (Mc 3, 14) ; ceci suggre lacquisition dune nouvelle identit et dun caractre spcifique qui sont lis au ministre daptre2. Les aptres ont t chargs du rle unique de fonder lEglise du Christ, conformment sa volont. Cest pourquoi leur ministre ne se limite pas la prdication de lvangile mais implique galement la direction (piscop) des communauts quils fondent. Mme sil est difficile de dterminer aujourdhui de manire prcise le mode exact et les moyens de cette direction, le fait est attest par le Nouveau Testament, au moins pour certains dentre eux. Il sagit dune autorit directionnelle qui est universelle et, de ce fait, elle peut tre exerce dans toutes les communauts locales o se rendent les aptres, mme celles qui possdent dj leurs propres anciens ; Paul laccomplit de cette manire (1Co 11, 34). En tant quenvoys du Seigneur, les aptres sont investis dune autorit sur le plan pastoral que les fidles doivent reconnatre et respecter (1Tm 5, 14) ; les aptres doivent tre obis partout et par tous, car celui qui les coute se montre obissant au Christ et Dieu (Lc 10, 16). En vertu de leur ministre, il leur appartient de rgler la vie communautaire et den donner les normes que tous doivent suivre (1Co 11, 23). Outre la prdication de lvangile et le gouvernement de la communaut, nous voyons aussi des aptres baptiser (Ac 2, 38. 41 ; 8, 38 ; 1Co 1, 14. 16, etc.) et prsider leucharistie (1Co 11, 17-34). Leur ministre implique ainsi des fonctions multiples et variables, suivant les circonstances locales et les besoins des Eglises. Cependant, le but auquel est ordonn le ministre apostolique est toujours le mme ldification et la protection de la communaut (2Co 13, 10). Cest pourquoi les aptres exigent que leurs prescriptions soient appliques dans la vie des fidles (2Th 3, 4) et ils se sentent mme habilits pour

Ceci vaut mme pour ceux qui sont devenus aptres aprs son ascension, cestdire Matthias (Ac 1, 24) et Paul (Ga 1, 1. 12; Rm 1, 1 ; 1Co 15, 9-10). 2 JEANPAUL II, Pastores gregis. Exhortation apostolique sur lvque, serviteur de lvangile de JsusChrist pour lesprance du monde, 16. 10. 2003, n6 (www.vatican.va, 21. 10. 2003).

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exclure de lEglise (voire livr Satan) ceux qui commettent des fautes graves et nuissent ainsi la vie de la communaut (1Co 5, 3-5 ; 1Tm 1, 20). Si la communaut doit reconnatre et accepter le ministre des aptres (Rm 15, 18), cest parce quil est donn pour elle ; lautorit, dont jouissent les aptres, vise maintenir les fidles dans la communion face aux tensions qui apparaissent1. Cest pourquoi, lapostolat apparat comme une fonction de service et Paul va jusquaffirmer tre l'esclave de tous (1Co 9, 19, cf. Mc 10, 44). Le ministre apostolique quil sagisse de la prdication de lvangile, de la direction de la vie communautaire, de la prsidence eucharistique, etc. ne peut jamais se comprendre en dehors de la communaut : il existe pour elle et cest le bien de la communaut qui en est la rgle ultime. Dans la thologie paulinienne de lapostolat, la dimension ecclsiale de cette fonction est fortement souligne : laptre est le centre autour duquel se constitue et se rassemble la communaut de croyants2. A cause de cette importance fondamentale de lapostolat dans la vie de la communaut, Paul le prsente comme le premier et le plus important de tous les charismes ; il le nomme en tte des divers ministres qui structurent la vie des fidles dans lEglise, car il veille ce que ces dons varis de lEsprit rpartis sur les diffrents membres, soient utiliss pour le bien et la croissance de toute la communaut (1Co 12, 28 ; Ep 4, 11). En tant que les tmoins directs de la rsurrection du Christ et des fondements de lEglise, les aptres gardent jamais leur rle unique, non ritrable et non transmissible. Le ministre daptre, dans le sens que ce mot reoit lorsque nous parlons des Douze et de Paul, a t exceptionnel, rserv au temps de la naissance de lEglise et exclu de la succession. La charge et lautorit pour laccomplir, reues directement du Christ sans aucune mdiation humaine, constituent le critre dcisif pour la reconnaissance de la spcificit du ministre des aptres, par rapport au ministre de ceux qui seront leurs successeurs et qui, de ce fait, jouiront des mmes facults ministrielles. Dans le Nouveau Testament, le terme aptre est aussi employ dans un sens plus large, pour dsigner les envoys des Eglises (2Co 8, 23; Ph 2,

Le concile de Jrusalem durant lequel les aptres prennent des dcisions importantes et les communiquent toutes les Eglises pour quelles soient observes par tous, en est un exemple parlant (Ac 15). 2 Cette dimension est fortement souligne dans les crits deutropauliniens (Col, Ep, lettres dites pastorales).

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25)1. Ce sont des dlgus dsigns par elles pour une mission particulire : accompagner Paul avec la collecte pour Jrusalem (2Co 8, 16-24) ou se mettre au service de Paul dans ses besoins de ministre du Christ (Ph 2, 25). Il peut sagir aussi dun cercle large de missionnaires, chargs de la tche de proclamer lvangile (Rm 16, 7+ ; 1Co 12, 28). Ces nouveaux ministres doivent tre considrs, par les croyants, comme de vrais aptres qui accomplissent des fonctions apostoliques au sein de la communaut (1Tm 4, 13+). Paul reconnat et valorise la mission des aptres tablis et envoys par des communauts pour des tches dvanglisation (2Co 8, 23 ; Ph 2, 25). Il tablit pourtant une diffrence entre son propre apostolat, reu directement du Seigneur par la voie dune rvlation personnelle, et cet autre apostolat trouvant sa source dans la volont de lEglise (Ga 1, 1). A la lumire de ces donnes scripturaires, lapostolat quil sagisse de celui des Douze, de Paul ou des aptres des Eglises apparat comme le premier et le plus fondamental des ministres dans lEglise2. 4.4.3. Le sens de lapostolicit aperu historique Le sens que revt ladjectif apostolique dans ses premiers emplois est qui se trouve en liaison avec les aptres du Christ3. Ds lpoque o les Douze disparaissent, la conscience de lapostolicit saffermit progressivement dans lEglise et sexprime notamment par lusage de plus en plus rpandu de ladjectif apostolique pour qualifier diffrentes ralits chrtiennes4. Ainsi, la foi apostolique tait celle quenseignaient les aptres5 ; le ministre apostolique tait celui qui demeurait en
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Le caractre spcifique de lapostolat de Paul sexprime dans le fait que, dune part, il se considre comme envoy par le Seigneur lui-mme (1Co 1, 1) et le Saint Esprit (Ac 13, 4), et que dautre part il tombe galement sous cette catgorie car il est aussi lenvoy de lEglise. 2 KNG, H., LEglise, 490. 3 Martyre de Polycarpe, 16, 2 ; cest le premier emploi attest de ladjectif apostolique dans la littrature chrtienne. 4 HIPPOLYTE a crit un trait sur la Tradition apostolique et IRENEE une Dmonstration de la prdication apostolique. Cf. DIX, Le ministre dans lEglise ancienne, Neuchtel Paris, 1955, 41+ ; BENOIT, A., Lapostolicit au 2me sicle , Verbum Caro 15 (1961), 173-184. 5 Ds une poque trs ancienne, ladjectif apostolique renvoie la doctrine des aptres comme la norme ultime de la foi (Martyre de Polycarpe 16, 2). Lapostolicit de la doctrine signifie la prservation intgre et la transmission vivante du dpt de la foi reue par les aptres du Christ et codifie dans les Ecritures. A partir de l, on considra

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continuit avec le ministre des aptres1 ; une vie apostolique tait celle qui imitait les aptres2, etc. Depuis les temps postapostoliques, nous voyons se rpandre de plus en plus largement lide selon laquelle diffrentes Eglises particulires disperses travers le monde, se rattachent historiquement aux communauts fondes par des aptres3. Citons pour exemple un texte connu de Tertullien : Ce fut dabord en Jude quils [aptres] tablirent la foi en JsusChrist et quils installrent des Eglises. Puis, ils partirent travers le monde et annoncrent aux nations la mme doctrine et la mme foi. Dans chaque cit ils fondrent des Eglises auxquelles, ds ce moment, les autres Eglises empruntrent la bouture de la foi, la semence de la doctrine, et lempruntent tous les jours pour devenir ellesmmes des Eglises. Et par cela mme elles sont considres comme apostoliques en tant que filles des Eglises apostoliques. Toute chose doit ncessairement tre caractrise daprs son origine. Cest pourquoi ces Eglises, si nombreuses et si grandes soient-elles, ne sont que cette primitive Eglise apostolique dont elles procdent toutes4. Depuis Tertullien, on parle ainsi dEglises apostoliques pour dire que leurs origines remontent aux aptres. A la lumire de la Bible et des donnes patristiques, il apparat que le principe de lapostolicit existait, ds lorigine, dans la conception

comme apostolique ces doctrines qui sont attestes par le Nouveau Testament (CHAIGNON, F. de, Op. cit., 75). 1 Ds la fin du 1er sicle, nous voyons stablir une tradition selon laquelle le ministre vient du Christ par les aptres qui ont donn lEglise les vques et les diacres (CLEMENT, Premire ptre aux Corinthiens 42, 1-5 ; 44, 1-2). 2 Entre le 2me et le 3me sicle et aussi au MoyenAge, ladjectif est utilis souvent dans un sens asctique pour dsigner un style de vie valorisant la pauvret et la continence. Les aptres sont prsents comme des exemples de saintet mais souvent cette prsentation est base davantage sur des lgendes et des traditions apocryphes que sur des fondements historiques. Cet usage moral se rpand surtout dans le milieu monastique et dans des sectes chrtiennes (DEWAILLY, M., Note sur lhistoire de ladjectif Apostolique , Mlange de Science religieuse, 1948, 141-152). 3 BOTTE, B., Histoire et Thologie. A propos du problme de lEglise , Istina 4 (1957), 389-400. 4 TERTULLIEN, De Praescr. 20, 4-7. 9 : SCh 46, 1957, 113-114. Dautres tmoignages patristiques dans le mme sens sont rapports dans CONGAR, Eglise une, 188+.

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mme quon se faisait de lEglise comme dune communaut commence dans les aptres mais voue une extension et une dure indfinies, de sorte que lEglise ne soit pas autre chose que la dilatation, si lon peut le dire, du premier noyau apostolique1. Cependant, en ce qui concerne les symboles, la proprit dapostolicit apparat assez tardivement ; elle est absente du Symbole des aptres et on la voit pour la premire fois dans le texte que le concile de Chalcdoine (451) cite tort comme celui de Constantinople (381)2. A partir de cette poque, ladjectif apostolique prend un sens dogmatique et exprime lidentit de lEglise travers le temps quant ses principes essentiels, soit de doctrine, soit de culte, soit dorganisation hirarchique3. Toutefois, le vocabulaire dapostolicit est relativement peu utilis au cours de la priode patristique ainsi quau MoyenAge4. Dans la thologie mdivale, lapostolicit est comprise surtout comme la fermet permanente (fermitas) de lEglise dans la profession de la vraie doctrine de foi reue des aptres et le maintien inaltr du vrai ministre par la succession apostolique5. Lide revient en force aprs la Rforme chez les apologistes catholiques, comme un argument contre les communauts protestantes. Et cest dans la littrature de controverse que se prcise la doctrine de lapostolicit6. Les apologistes refusaient lauthenticit des Eglises issues de la Rforme car elles navaient conserv ni la foi ni la constitution apostoliques de lEglise. Largument majeur tait le manque dans ces communauts de la succession apostolique telle que lEglise romaine la concevait : cestdire comme la transmission historique de lpiscopat par la conscration
CONGAR, Y.M., LEglise une, 186. KELLY, J.N.D., Early Christian Creeds, Londres, 1950, 296-331; KNG, H., LEglise, 499-500. 3 CONGAR, Y.M., Aptres et Apostolat , dans Encyclopaedia Universalis, vol. 2., Paris, 2002, 662. 4 CONGAR, Y.M., Lapostolicit de lEglise , 209-210. 5 Ibid., 209-224. Les thologiens du MoyenAge se servent plus volontiers des termes firma et fortis ; cest notamment le cas de Thomas d'Aquin qui les emploie souvent ensemble : Haec autem Ecclesia sancta habet quatuor conditiones, quia est una, quia est sancta, quia est catholica, id est universalis, et quia est fortis et firma (THOMAS D'AQUIN, Collationes de Credo in Deum, a. 9 : d. Parme, t. 16, 147). 6 CONGAR, Y.M., Lapostolicit de lEglise , 210. Le premier catchisme qui parle de lapostolicit est celui de Trente ; ladjectif apostolique est absent des crits symboliques luthriens et calvinistes du 16me sicle (ibid., p. 210, n5).
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sacramentelle valide1. Ainsi, la succession piscopale est devenue le signe essentiel de lapostolicit dune Eglise. Avec le temps, on est arriv rduire le sens originel de lapostolicit la succession piscopale, la vision qui sera considrablement corrige par le retour aux sources effectu par Vatican II. 4.4.4. Lpostolicit de lEglise selon lecclsiologie catholique contemporaine 4.4.4.1. Le caractre total de lapostolicit Selon Vatican II, lEglise du Christ qui subsiste dans sa plnitude dans lEglise unie au pontife romain, est apostolique (LG, 8). En reprenant les vues scripturaires et patristiques, le concile affirme que le Christ, la suprme pierre angulaire de lEglise (LG, 19), la fonde sur les aptres (LG, 18 ; cf. Ep 2, 20). Le sens gnral de lapostolicit qui se dgage des documents conciliaires est celui de continuit dorigine, de foi et de constitution de lEglise travers le temps avec lEglise de lre apostolique. Le Catchisme explicite cette ide conciliaire en disant que lapostolicit sentend en un triple sens : premirement, lEglise demeure jamais fonde sur les aptres ; deuximement, elle garde fidlement et transmet sans altration la foi des aptres ; troisimement, elle est enseigne, sanctifie et dirige par les vques qui sont des successeurs des aptres (CEC, 857 ; cf. AG, 5). Toutefois, cette identit apostolique de lEglise doit tre comprise de faon dynamique qui ne nie pas lvolution mais la suppose : lEglise est apostolique non parce quelle est aujourdhui comme elle tait sa naissance Jrusalem en ce qui regarde sa ralit historique extrieure, mais parce quelle est, et sera toujours, ce quelle tait dans son essence et sa constitution fondamentale le jour de la Pentecte, tout en ayant un aspect extrieur diffrent selon les poques et les endroits. Car toute lEglise est apostolique, lapostolicit ne se limite pas un seul lment de sa constitution mais englobe tous les lments qui la dfinissent dans son tre et son identit de sacrement du salut. Par consquent, tout ce qui constitue lessence de lEglise demeure inexorablement apostolique, cestdire prserv dans son identit originelle, malgr lvolution des lments secondaires susceptibles de fluctuations de lieu et de temps. Lapostolicit, comme lEglise elle1

THILS, G., Les notes de lEglise, 255-286.

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mme, est indivisible. Lecclsiologie conciliaire fournit une conception totale de lapostolicit qui stend sur tous les domaines de sa vie et concerne lensemble du peuple de Dieu1. Il y a donc lapostolicit de la foi, des ministres, des sacrements, de la vie ecclsiale, de la mission, etc., car tous ces lments sont de lEglise qui est en tout apostolique (LG, 8). Ceci implique que pour demeurer dans la plnitude de lapostolicit, lEglise ne peut se contenter de garder lidentit originelle de certains de ses lments constitutifs, mais aussi les conserver fidlement tous. Lapostolicit se prsente ainsi non seulement comme une proprit indlbile de lEglise mais aussi comme un devoir continuel qui consiste dans la prservation fidle, par chacune des communauts particulires, de lhritage apostolique en ce qui concerne ses lments constitutifs que lon dit dans le langage de la thologie, de iure divino. 4.4.4.2. Lapostolicit de la foi et lapostolat de lEglise Comme nous lavons dj dit, parmi ces lments constitutifs qui dfinissent lEglise dans son identit, il y a, en premier lieu, la foi apostolique. Lapostolicit de lEglise signifie donc dabord sa continuit, dans la foi, avec la communaut fonde par le Christ sur les aptres (2Tm 2, 2)2. Il nous est dit des premiers chrtiens quils taient assidus l'enseignement des aptres (Ac 2, 42). Cette assiduit, de la communaut primitive lenseignement des aptres, doit tre comprise comme son attachement fidle au dpt de la foi (depositum fidei) que les aptres avaient reue du Seigneur et que Pierre a annonc publiquement, pour la premire fois, le jour de la Pentecte. Par la suite, ce tmoignage apostolique originel a t mis par crit et il est contenu jamais dans son intgrit dans les textes canoniques que lEglise reconnat comme inspirs par le Saint Esprit. Le tmoignage contenu dans les Ecritures saintes est apostolique non pas dans le sens que tous ces textes ont t rdigs par des aptres mais dans le sens quils contiennent la foi qui remonte lexprience originelle des aptres et qui a toujours t reconnue par lEglise comme la foi apostolique. Cest

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KNG, H., LEglise, 497. Cf. IRENEE, Ad. Haer. III, 3, 1: PG 7, 848 ; TERTULLIEN, Praescr. 32 : PL 2, 44 ; OPTAT DE MILEVE, II, 3 : PL 11, 947 (CSEL, 26, 36); AUGUSTIN, Contra Faustum, XI, 2 et XXVIII, 2 : PL 72, 713-714. Dautres rfrences sont donnes dans CONGAR, Y.M., LEglise une, 189.

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pourquoi le Nouveau Testament possde la valeur de rgle normative en ce qui concerne la foi apostolique1. Cependant, comme Newman la dmontr, la conservation fidle de la foi des aptres nest pas oppose un dveloppement doctrinal dans lEglise condition que celui-ci suive les principes que nous trouvons dans le message apostolique originel2. En effet, il sagit de prserver lhomognit formelle de la doctrine de foi annonce par lEglise et non pas de se contenter dune simple rptition des paroles apostoliques qui se trouvent consignes dans les Ecritures saintes3. Cest ainsi que lapostolicit de la foi nous renvoie la problmatique de la Tradition apostolique4. En effet, si la Sainte Ecriture est la parole de Dieu en tant qu'elle est consigne par crit, la Tradition Sacre est une transmission vivante des vrits rvles et leur interprtation continuelle sous limpulsion de lEsprit-Saint (DV, 9 ; CEC, 78). Comme les Ecritures elles-mmes, cette Tradition vient des aptres et transmet ce que ceux-ci ont reu de lenseignement et de lexemple de Jsus et ce quils ont appris par lEsprit Saint (CEC, 83)5. Il en rsulte que lEglise laquelle est confie la transmission et linterprtation de la rvlation, ne tire pas de la seule Ecriture Sainte sa certitude sur tous les points de la rvlation. Cest pourquoi lune et lautre doivent tre reues et vnres avec un gal sentiment damour et de respect (CEC, 82). Ainsi, sous l'assistance du Saint Esprit, la perception des choses et des paroles, transmises lEglise dans les Ecritures saintes grandit et mrit continuellement par la contemplation et l'tude qu'en font les croyants qui les gardent dans leur cur, par la pntration profonde des ralits spirituelles qu'ils exprimentent, par la proclamation qu'en font ceux qui avec la succession piscopale ont reu un charisme assur de la vrit (DV, 8). A travers ce dveloppement cependant, la Tradition de foi, qui vient des aptres demeure fidlement conserve et transmise de gnration en gnration jusqu ce que lEglise parvienne une pleine comprhension de la vrit divine. Comme le dit le concile, la

KNG, H., LEglise, 498-499. NEWMAN, J.H., An Essay on the development of Christian Doctrine, Penguin Books, 1974 (first edition, 1845). 3 CONGAR, Y.M., LEglise une, 192. 4 La Tradition et les traditions, vol I : Essai historique, Paris, 1961 ; vol II : Essai thologique, Paris, 1963. 5 JEANPAUL II, Pastores gregis, n28.
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Tradition Sacre et la Sainte Ecriture constituent l'unique dpt sacr de la parole de Dieu qui ait t confi l'Eglise ; en y tant attach, le peuple saint tout entier, uni ses Pasteurs, persvre jamais dans la doctrine des aptres (DV, 10). Cest ainsi que grce la Tradition, il y a une succession continuelle jusqu' la fin des temps de la foi apostolique dans lEglise (DV, 8). Ce qui prserve lEglise dans la plnitude de la vrit rvle travers le dveloppement doctrinal, et dans lunit de la foi apostolique travers la varit dcoles thologiques, cest le sens surnaturel de la foi (sensus fidei), grce auquel l'ensemble des fidles ne peut pas errer dans la foi (LG, 12 ; CEC, 92). Ce sens est un signe de la communion de toute lEglise dans la foi des aptres ; il se manifeste lorsque depuis les vques jusqu'au dernier des fidles lacs, il [le peuple de Dieu tout entier] fait entendre son accord universel dans les domaines de la foi et de la morale (LG, 12). En tant quune qualit surnaturelle, ce sens est veill et soutenu par lEsprit de vrit, envoy par le Christ dauprs du Pre, et quont reue tous les baptiss (Jn 15, 26). Grce au sensus fidei, lEglise tout entire les fidles lacs sous la conduite des ministres non seulement persvre dans la communion de foi apostolique mais aussi pntre toujours plus profondment dans son intelligence et linterprte de manire authentique (CEC, 93) afin den vivre toujours plus pleinement (CEC, 99). Ainsi, la prservation continuelle de lEglise dans la foi des aptres nest pas uniquement du domaine des pasteurs mais aussi des fidles lacs car cest dans le peuple de Dieu tout entier que rside le sensus fidei grce auquel lEglise demeure infailliblement apostolique dans ce quelle croit et enseigne comme vrits rvles. Etant donn que lvangile du Christ est pour lEglise principe de toute sa vie, pour toute la dure du temps (LG, 20), il doit tre transmis dans son intgrit et conserv sans faille dans le peuple de Dieu tout entier. En effet, lidentit de lEglise est dtermine principalement par sa foi. Ce que les aptres avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec Lui et en Le voyant agir, ainsi que ce quils tenaient des suggestions du Saint Esprit (CEC, 76), ils lont transmis leurs successeurs les vques avec la charge de lenseigner (DV, 7 ; CEC, 77), charge qui implique galement un charisme certain de la vrit (DV 8). Ces derniers sont ainsi les hrauts de la foi chargs du devoir de la prdication de lvangile (CD, 12 ; PO, 4 ; CEC, 888) ; revtus de l'autorit du Christ, ils prchent au peuple commis leur soin les
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vrits de foi croire et appliquer dans la pratique de la vie (LG, 25). En communion avec le pontife romain qui jouit du privilge de linfaillibilit personnelle en raison de sa charge (LG, 25 ; CEC, 891 ; CIC, can. 749 1)1, les vques sont des interprtes authentiques des vrits rvles (DV, 10 ; CEC, 85 ; CEC, 829), quils enseignent au nom du Christ et avec lassistance de lEsprit-Saint (DV 10 ; CEC, 86). Ils sont ainsi des tmoins de la vrit divine catholique et les fidles doivent accepter l'avis donn par leur vque au nom de JsusChrist en matire de foi et de morale, et y adhrer avec un respect religieux (LG, 25). Comme le rappelle le pape JeanPaul II, dans ce service de la Vrit, tout vque est plac face la communaut, en ce sens qu'il est pour la communaut, vers laquelle il oriente sa sollicitude pastorale2. Cest cause du caractre de service du ministre de lvque que la communaut doit reconnatre son autorit de pasteur et son enseignement apostolique, car il laccompli comme un re-prsentant du Christ lui-mme, et agissant en son nom (in persona Christi). En communion avec le pape, les vques exercent ensemble la fonction du Magistre sacr qui consiste enseigner sans erreur la foi authentique et la protger des dviations et des dfaillances (CEC, 890). Depuis les origines, la mission de maintenir les Eglises particulires de la communion catholique dans la foi des aptres tait lie formellement la succession apostolique de lpiscopat dans la communion de foi de toute lEglise3. Ceci correspond la conviction que nous trouvons dj dans la Bible et selon laquelle une des fonctions fondamentales du ministre est de maintenir les fidles dans la communion de la vraie foi et de les garder contre les erreurs doctrinales (Ac 20, 28-31 ; Ep 4, 1116 ; 1Tm 1, 3+ ; 4, 6 ; 2Tm 2, 14 ; 4, 1-8 ; Tite 3, 9-11). Il est significatif cet gard que, selon une tradition trs ancienne, remontant probablement aux origines du christianisme, lordination piscopale est prcde par une confession de foi du candidat4. Le rite romain de
CONCILE DE VATICAN I, Constitution dogmatique Pastor Aeternus ; Dz 1839 (3074). 2 JEANPAUL II, Pastores gregis, n29. 3 CHANOINES DE MONDAYE, Lvque daprs les prires dordination , dans Episcopat et lEglise universelle, Paris, 1962, 739-780 ; CONGAR, Y.M., LEglise une, 208+. 4 Ceci est dailleurs vrai pour toute ordination (sacerdoce, diaconat) ainsi que pour la transmission de toute fonction significative dans lEglise, notamment celle qui a un rapport direct avec la foi comme la fonction des catchistes.
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l'ordination piscopale prvoit galement limposition de lvangliaire ouvert sur la tte de l'vque lu. Ce geste exprime quil doit tre imprgn de lvangile du Christ dans tout son ministre et lenseigner fidlement au peuple, dans la fidlit infaillible la doctrine de la foi1. Par la conscration piscopale, il devient un tmoin lgitime de la foi de lEglise, muni de charisma veritatis pour lenseigner de manire authentique. Dautre part, selon une tradition dont tmoigne dj Clment de Rome (fin du premier sicle), lassentiment de toute lEglise est requis pour la dsignation dun ministre2. Cet assentiment est une attestation de lauthenticit de la foi du candidat. Il est li la conviction ferme que le peuple de Dieu tout entier ne peut pas errer dans la foi le concept de sensus fidei, en effet, nest pas une dcouverte conciliaire mais appartient la tradition ancienne et constante de lEglise3. Lvque, de fait, nest pas la rgle dernire de la foi mais un hraut de la foi de lEglise, de laquelle vient le caractre authentique de son enseignement. C'est pourquoi la vie de l'Eglise et la vie dans l'Eglise sont pour tout vque la condition indispensable de l'exercice de sa mission d'enseigner4. Parlant de son ministre denseignant de la foi, saint Augustin disait ses fidles : A voir la place que nous occupons, nous sommes vos matres; mais par rapport l'unique Matre, nous sommes avec vous condisciples dans la mme cole5. Il peut donc arriver, et il est effectivement parfois arriv dans lhistoire de lEglise, que des vques sloignent de la vraie foi et tombent dans lhrsie. Saint Irne exhorte alors les fidles se dtourner des pasteurs qui ont abandonn la vraie religion6. Cette vraie religion se trouve dans la communion de toute lEglise, et manifeste dans lunit du collge piscopal dans la foi apostolique. Il apparat ainsi que lapostolicit est

Rites de l'ordination d'un vque dans L'Ordination de l'vque, des prtres, des diacres, Paris, 1996. 2 CLEMENT DE ROME, Cor., XLV, 3. 3 Cf. AUGUSTIN, De Praed. Sanct. 14, 27: PL 44. 980. 4 JEANPAUL II, Pastores gregis, n28. 5 AUGUSTIN, En. in Ps. 126, 3: PL 37, 1669. 6 IRENEE, Ad. Haer. IV, 26, 2: PG 7, 1053. Au MoyenAge nous trouvons les mmes convictions, selon saint Thomas par exemple, lautorit des ministres nest une rgle normative que si elle est elle-mme rgle par la foi apostolique (CONGAR, Y.M., Lapostolicit de lEglise selon saint Thomas dAquin , RSPT 44, 1960, 220 ; THOMAS D'AQUIN, De verit., q. 14, a. 10, ad 11 ; De unitate Ecc., 11, 28 : PL 43, 410-411).

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intimement lie la catholicit. Tertullien parle de la consanguinit de doctrine des Eglises locales et dans cette unanimit doctrinale, il voit un signe de leur apostolicit1. LEglise nest pas le but pour elle-mme ni en elle-mme : elle existe pour actualiser, continuellement dans le monde, la mission du Christ qui veut sauver toute lhumanit. Ce caractre universel du salut demande de lEglise que l'annonce de l'vangile soit chaque jour continue et renouvele2. Cest pour la ralisation de cette mission que le Christ a institu les douze et que ceux-ci se sont donns des successeurs3. Btie sur ce fondement solide, lEglise est, pour le monde, le tmoin de la foi reue des aptres, cette foi qui est la voie du salut pour toute personne qui laccueille dans son cur et la suit dans sa vie. Lapostolicit de lEglise nous renvoie ainsi non seulement la prservation fidle de la foi des aptres lintrieur de lEglise mais galement sa divulgation toujours plus large travers le temps et le monde. Parce quelle est convocation de tous les hommes au salut, lEglise est, par sa nature mme, missionnaire envoye par le Christ toutes les nations pour en faire des disciples (CEC, 767 ; AG, 1-2 et 5-6 ; cf. Mt 28, 19-20). Cest pourquoi, lEglise doit prcher la foi apostolique comme source de vrit salvifique toute lhumanit (DV, 10)4. Dans la perspective de la vocation missionnaire de lEglise, lapostolicit implique lapostolat cestdire le devoir dtendre continuellement le rgne du Christ toute la terre, pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, notamment par la divulgation toujours plus large de son vangile5. A la lumire de lapostolicit, lapostolat est soumis une double exigence : dune part transmettre fidlement et sans aucune altration la
TERTULLIEN, Praescr. 32 : PL 2, 44. Nous trouvons des vues similaires chez saint Thomas qui dans sa conception de lapostolicit distingue entre la valeur horizontale de continuit de la foi apostolique travers les sicles et la valeur verticale didentit avec la foi des aptres. Si la seconde garantit lorthodoxie doctrinale, la premire en constitue le cadre et le moyen de sa ralisation (CONGAR, Y.M., Lapostolicit de lEglise selon saint Thomas dAquin , RSPT 44, 1960, 209-224). 2 JEANPAUL II, Pastores gregis, n65. 3 Ibid., n9. 4 A l'Eglise, communaut des disciples du Seigneur crucifi et ressuscit, est donc confie solennellement la tche de prcher l'vangile toute la cration (JEANPAUL II, Pastores gregis, n26). 5 En se rfrant au concile, le Catchisme dfinit lapostolat comme toute activit du Corps mystique qui tend tendre le rgne du Christ toute la terre (CEC, 863 ; cf. AA, 2).
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foi des aptres, dautre part garder lEglise proche du monde, cest dire transmettre la foi dune faon comprhensible et accessible aux gens dun lieu et dun temps donns. Pour conserver lEglise dans lapostolicit, lapostolat suppose lidentit de la foi et implique lvolution continuelle dans sa transmission en fonction des situations concrtes o sexerce lactivit missionnaire (AG, 6). Dans cette mission, une responsabilit particulire revient aux vques qui, en vertu de leur ministre, sont des prdicateurs de lvangile du Christ (LG, 25) et qui doivent le divulguer dans la fidlit au message originel, cestdire en toute conformit la rvlation que les aptres ont reue du Seigneur (DV, 7). De par leur participation particulire la mission des aptres participation reue par la succession apostolique les vques sont les premiers prdicateurs de l'vangile toute crature (AG, 38). Ils sont consacrs non seulement pour un diocse mais pour le salut de tous les hommes1. Aprs les vques, cette responsabilit incombe aux prtres qui en tant que leurs collaborateurs, participent aussi leur ministre de lvanglisation (AG, 37). De ce fait, ils doivent avoir cur de mener la communion avec le Christ tous les hommes appels au salut et daccomplir leur apostolat avec une sollicitude pastorale particulirement dvoue lgard des non chrtiens (AG, 37). Cependant, lapostolat nest pas rserv aux pasteurs seuls ; il est du domaine commun et tous y sont destins par le Seigneur lui-mme en vertu de leur baptme et de leur confirmation (LG, 33). Le concile rappelle que tous les membres du corps du Christ sont tenus de cooprer son expansion et son dveloppement pour l'amener le plus vite possible sa plnitude (AG, 36) ; de ce fait, ils doivent avoir une vive conscience de leur responsabilit commune en ce qui concerne l'uvre de l'vanglisation du monde. Tous les fidles se trouvent-ils plus strictement obligs de rpandre la foi et de la dfendre par la parole et les uvres, comme de vritables tmoins du Christ (LG, 11 ; cf. 33). En somme, le Seigneur continue sa mission du salut non seulement par le moyen de la hirarchie qui enseigne en son nom et en vertu de son pouvoir, mais aussi par le moyen des lacs dont il fait aussi ses tmoins et qu'il remplit du sens de la foi et du don de sa parole afin que la force de l'vangile resplendisse dans la vie quotidienne, familiale et sociale

JEANPAUL II, Pastores gregis, n65.

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(LG, 35 ; cf. AA, 2 ; AG, 21). Le Catchisme affirme encore que le vritable aptre cherche les occasions dannoncer le Christ par la parole, soit aux incroyants (...), soit aux fidles, et il incite les fidles lacs cette annonce dans leur milieux de vie et de travail (CEC, 905 ; AA 6 ; cf. AG 15). En effet, cest surtout, dans lannonce au monde du message du Christ que, l'apostolat des lacs et le ministre pastoral se compltent mutuellement (AA, 6). Le Catchisme reconnat le caractre extrmement important de lengagement des fidles lacs pour lvanglisation lorsquil dit que dans les communauts ecclsiales, leur action est si ncessaire que, sans elle, lapostolat des pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet (CEC, 900). 4.4.4.3. Lapostolicit du ministre et la communion 4.4.4.3.1. La succession apostolique et le ministre piscopal La problmatique de lapostolicit de lEglise nous renvoie encore la question de la succession apostolique insparable de celle du ministre en gnral et du ministre piscopal en particulier. Alors que le terme apostolicit semploie dans la thologie pour exprimer la continuit dorigine et de foi de lEglise de tous les temps avec lEglise du temps des aptres, lexpression succession apostolique semploie habituellement dans un sens plus restreint pour dsigner la transmission historique et ontologique du ministre apostolique par la conscration piscopale. Il est clair que la succession apostolique ne consiste pas dans la transmission de lexprience spcifique et unique des aptres qui ont t des tmoins oculaires du Ressuscit et, titre unique, les fondements de lEglise. Il sagit de la succession dans la charge apostolique, qui consiste dans lidentit de la fonction et non pas dans lidentit de lexprience personnelle. La succession apostolique, en effet, est permanence dun office malgr la disparition de ceux qui, successivement, lassurent1. Les donnes scripturaires sont insuffisantes pour nous renseigner, en dtails, sur la question de la succession apostolique. Il est pourtant incontestable que, depuis les origines de lEglise, nous assistons au phnomne de lexistence et de la transmission des divers ministres au
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CONGAR, Y.M., LEglise, 224.

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sein des communauts chrtiennes (Ac 14, 23 ; 20, 17-23)1. Bien quil soit aujourdhui difficile de dcrire avec prcision leur type et les modalits exactes de leur transmission, le fait, comme tel, ne peut tre contest. Le pre Congar parle dune transmission totale des ministres structurant lEglise qui stend bien au-del de ce que les textes canoniques nous en disent2. Cest pourquoi, le rle de la Tradition dans cette transmission doit tre pris en considration si nous voulons nous en faire une ide vraie3. Depuis les origines, les ministres qui sont considrs comme essentiels non seulement pour le bon fonctionnement mais aussi pour lexistence mme de lEglise, sont ceux qui sont transmis par le rite particulier de lordination ; ils sont communment reconnus comme irremplaables pour la structure organique de lEglise4. Parmi eux, il y a celui dpiscop intimement li au ministre spcifique des aptres. Les origines du ministre piscopal et de lusage du terme piscopos dans les communauts chrtiennes sont attestes dans le Nouveau Testament (Ac 20, 28 ; Ph 1, 1 ; 1Tim 3, 2 ; Tt 1, 7)5. Par le rite de limposition des mains, les piscopoi deviennent les successeurs des aptres ; leur ministre, qui prolonge celui des aptres, garantit la continuit de lEglise du Christ fonde sur les aptres, dans les Eglises dont ils sont pasteurs. Grce leur ministre, et malgr la mort des aptres et lcoulement du temps, chacune de ses communauts particulires demeure en continuit historique avec lEglise des origines. Face aux hrsies et aux schismes, qui menacent lunit de la

Sur le ministre dans le Nouveau Testament, voir, LEMAIRE, A., Les Ministres aux origines de lEglise, coll. Lectio divina 68, Paris, 1971 ; DELORME, J., Le Ministre et les ministres selon le Nouveau Testament, Paris, 1974 ; GRELOT, P., Eglise et ministre, Paris, 1983 ; GUILLET, J., Le ministre dans lEglise. Ministre apostolique Ministre vanglique , NRT 112 (4/1990), 481-501. 2 CONGAR, Y.M., LEglise, 220. 3 Sur la Tradition et le ministre, voir La Tradition et les traditions, vol II : Essai thologique, Paris, 1963, 111-136. 4 IGNACE DANTIOCHE, Trall. 3, 1 ; cf. CEC, 1593. 5 Il sagit pourtant dun terme puis dans le langage commun. Dans le grec profane de lpoque de lEglise primitive, le mot piscopos dsigne une fonction de surveillance et dadministration au sein dun groupe organis de personnes (ex. officiers dans larme ; administrateurs des tats). Le rle des piscopos est de veiller sur la bonne organisation et le bon droulement de la vie commune au sein du groupe, de la socit (BEYER, H.W., Episcopos in nonbiblical Greek in Kittel, G. (ed.), Theological Dictionary of the New Testament, vol. II, Grand Rapids, 1964, 608-614).

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communion ecclsiale depuis les dbuts, le rle des vques, comme signes et protecteurs de la communion apostolique, saffermit progressivement aux premiers sicles. Ainsi, partir dune pratique ecclsiale, se forge progressivement la doctrine de la succession apostolique qui associe le ministre des vques au ministre des aptres, le ministre des aptres celui du Christ et le ministre du Christ au dessein divin. Clment de Rome, nous en parle en ces termes : Les aptres nous ont annonc la bonne nouvelle de la part de JsusChrist. JsusChrist a t envoy par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les aptres du Christ. Cette double mission elle-mme, avec son ordre, vient donc de la volont de Dieu. Munis des instructions de Notre Seigneur JsusChrist, pleinement convaincus par sa rsurrection, et affermis dans leur foi en la parole de Dieu, les aptres allaient, tout remplis de lassurance que donne le Saint Esprit, annoncer partout la bonne nouvelle de la venue du Royaume des cieux. A travers les compagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et cest ainsi quils prirent leurs prmices, et, aprs avoir prouv quel tait leur esprit, ils les tablirnt vques et diacres des futures croyants1. 2 Irne , Tertullien3, Hippolyte4 et dautres attestent galement lexistence de la succession apostolique5 ; Hippolyte6 et dautres7 disent quelle est transmise par le rite liturgique de limposition des mains. A la lumire des tmoignages patristiques, il est possible daffirmer que ds la disparition des premiers aptres, la succession apostolique par lordination piscopale est regarde, dans lEglise, comme la

CLEMENT DE ROME, Cor. XLII, 1-4 ; cf. XLIV, 1-4 ; trad. Suzanne-Dominique, Les crits des Pres apostoliques, Paris, 1963. 2 IRENEE, Ad. Haer. III, 3, 1 et III, 3, 3 : PG 7, 848 et 849 (SCh 34, Paris, 1952, 105) ; cf. LANNE, E., Le ministre apostolique dans luvre de saint Irne , Irnikon 25 (1952), 113-141. 3 TERTULLIEN, Praescr., 32 : PL 2, 44. 4 HIPPOLYTE, Trad. Apost. 3 : SCh 27. 5 Dautres exemples chez Cyprien, Ambroise, Jean Chrysostome sont voqus dans CONGAR, Y.M., LEglise une, p. 193, note 29. 6 HIPPOLYTE, Trad. Apost. 2 : SCh 27. 7 CORNEILLE, Lettre Fabius dAntioche, n10 ; cf. EUSEBE, H. E., VI, 43, 7-10: PG 20, 617+ (SCh 41, Paris, 1955, 155-156).

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transmission du ministre et de lautorit des aptres aux vques qui leur succdent et qui se succdent sur les siges piscopaux1. Dans le christianisme primitif, la succession apostolique na jamais t conteste2. Ceci est une preuve que le ministre piscopal, transmis par lordination dans la succession apostolique apparaissait aux premires communauts chrtiennes comme inscrit dans la trame mme du christianisme, avant dtre formul comme un de ses principes constitutifs3. Il se dgage ainsi des tmoignages bibliques et patristiques que le ministre dpiscopos, reu par la succession comme celui dapostolos , est considr ds les origines comme relevant de lessence de lEglise. Le concile Vatican II confirme ces vues lorsquil dit que les vques, tablis dans leur ministre par une succession ininterrompue depuis l'origine, sont la ligne issue de la souche apostolique (LG, 20) et, ce titre, appels successeurs des aptres (LG, 18). Toute la doctrine du chapitre III de la constitution dogmatique sur lEglise La constitution hirarchique de lEglise et, en particulier, lpiscopat, (nos18-29) manifeste que selon la doctrine catholique, le ministre piscopal transmis par lordination sacramentelle dans la succession apostolique fait partie intgrante de la constitution de lEglise dans ce monde. De ce fait, on ne peut considrer la succession apostolique du ministre piscopal, qu lintrieur de la succession apostolique de lEglise universelle et en liaison avec elle4. Cest ainsi que la succession apostolique signifie, en premier lieu, ladhsion perptuelle de lEglise tout entire lidentit originelle qui lui a t donne par les aptres sous la conduite de lEsprit de la Pentecte. Comme telle, la succession est une caractristique intrinsque de ltre ecclsiale assure continuellement par le mme Esprit-Saint qui est descendu sur la premire communaut de croyants le jour de la Pentecte et qui ne cesse daccompagner lEglise et de la maintenir dans son identit initiale.

Congar remarque que la comprhension de la succession comme la transmission dun ministre dautorit apostolique saffermit avec le temps, surtout partir de Cyprien (CONGAR, Y.M., LEglise une, 194-195). 2 BURN-MURDOCH, H., Church. Continuity and Unity, Cambridge, 1945, 77-78 et 113+. 3 CONGAR, Y.M., LEglise une, 199. 4 REMMERS, J., Op. cit., 39.

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Laffirmation de cette succession continuelle de toute lEglise, par laquelle elle demeure jamais apostolique, est essentielle pour la question de la succession apostolique du ministre piscopal et de tous les autres ministres et services ecclsiaux : elle constitue la fois le cadre, la source et la raison de la succession du ministre. Le ministre et surtout lpiscopat qui occupe la premire place parmi les divers ministres qui ds le dbut s'exercent dans l'Eglise (LG, 20) ne doit jamais tre dtach de cet arrire-fond ecclsial car la succession nest pas la simple ininterruption dans loccupation dun sige1 ; elle nest pas une transmission prive de lindividu lindividu des fonctions et des pouvoirs confis originellement aux aptres2. Sur larrirefond de la succession apostolique de lEglise tout entire, la succession piscopale apparat comme un signe sacramentel de la continuit objective de lEglise avec la communaut apostolique originelle. La chane des ordinations, remontant jusquaux aptres, signifie que lvque nest pas le simple reprsentant de son Eglise locale, mais le tmoin de lorigine, et donc le garant de la fidlit de son diocse au projet initial que Jsus a inaugur par son ministre et transmis ses aptres. La succession apostolique fait ainsi de lui le garant de la conformit de son Eglise lEglise apostolique des origines3. En tant que tmoin et garant de lapostolicit de son Eglise, lvque, par son ministre, assure galement la communion externe de la communaut locale, dont il est le pasteur, avec toutes les communauts locales actuelles qui, par la succession apostolique de leurs pasteurs, se rfrent historiquement et ontologiquement aux mmes origines apostoliques4. Dans cette perspective ecclsiale clairement communionnelle, la succession apostolique du ministre piscopal ne peut se comprendre correctement qu la lumire du mystre de la

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CONGAR, Y.M., LEglise une, 205. Malheureusement, nous le savons, ctait la tendance dominante dans la conception postridentine de lapostolicit vise apologtique. Comme le dit Kng, le fait denvisager la succession apostolique uniquement sous laspect de la succession des charges ecclsiastiques reprsente un rtrcissement clrical de la nature des choses (KNG, H., Thses concernant la nature de la succession apostolique , Concilium 34/1968, 29). 3 Ministre piscopal. Contribution de lAssociation Europenne de Thologiens Catholiques la consultation en vue du Synode sur lEvque de 2001, n1 (www.culture-et-foi.com, 29. 03. 2004). 4 KNG, H., Thses concernant, 30.

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communion de toute lEglise1. En effet, celui qui on succde dans le ministre nest pas celui qui nous le transmet ; on est consacr par dautres ministres qui reprsentent la communion universelle des Eglises apostoliques, dans lEglise universelle unique et indivise. Ce qui fait la succession apostolique, ce nest pas la simple continuit historique dans la transmission sacramentelle de lpiscopat, mais ladhsion effective dune communaut locale la communion des Eglises apostoliques dans laquelle se trouve la grce et la source du salut. Avec un vque ordonn dans la communion des Eglises, une Eglise locale signe son adhsion aux principes de lEglise universelle et reoit alors, du Saint Esprit, la grce des sacrements2. De ce fait, la charge pastorale dune communaut locale suppose et exige la communion avec toute lEglise dont cette communaut ralise localement le mystre. Partant de tels principes qui sont ceux de lecclsiologie de communion le Magistre de lEglise affirme que la succession apostolique par le sacrement de lordre est lun des liens de lunit qui maintient lEglise dans la communion (CEC, 815, cf. UR 2 ; LG 14 ; CIC, can. 205). Par la conscration sacramentelle, les vques sinscrivent dans la succession apostolique en tant que pasteurs dune communaut ecclsiale particulire3. La conscration piscopale devient ainsi un signe de la succession de leurs Eglises dans la foi et la vie apostoliques et, par consquent, de leur communion dans lEglise apostolique de tous les temps. Cest grce lpiscopat que lEglise conserve intacte la plnitude de son identit apostolique originelle travers toute lhistoire et dans tout l'univers et se manifeste comme une communion universelle. Dans la conception catholique de lapostolicit, lpiscopat se montre ainsi comme tant la fois une condition et une attestation de lidentit apostolique de lEglise dans son tre, et sa mission dinstrument universel du salut.
REMMERS, Y., La succession apostolique de lEglise entire , Concilium 34 (1968), 37-49 (notamment 37-40). 2 CONGAR, Y.M., LEglise une, 205-207. Cest sur la base dune telle conception de lapostolicit que des Eglises orthodoxes, attaches au principe de conciliarit (sobornost), refusent encore aujourdhui la reconnaissance de la validit dune conscration piscopale confre par un vque schismatique car elles estiment que la succession apostolique ne peut pas subsister en dehors de la communion ecclsiale (Ibid.). 3 JEANPAUL II, Pastores gregis, n26.
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Cette insertion du ministre ordonn dans le mystre de communion de lEglise tout entire manifeste encore son caractre de service. Car le ministre est un des moyens par lesquels le Christ ne cesse de construire et de conduire son Eglise (CEC, 1547) Cest lautorit de lEglise qui dtient la responsabilit daccorder, des personnes prouves, le droit lordination par laquelle elles reoivent des fonctions ministrielles dans la succession apostolique (CEC, 1598). Tous les ministres sont des services exercs au nom du Christ et en vertu dun envoi ecclsial pour ldification du corps mystique, et laccomplissement de sa mission de sacrement du salut pour le monde. Ce sont les ministres qui sont institus pour lEglise et non pas lEglise pour les ministres1. Aucun ministre et le ministre piscopal de manire particulire ne peut se comprendre que sil est considr comme un service dans et pour lEglise, ordonn sa vie et sa mission dans le monde2. Conscients de limportance de leur ministre pour la vie et la mission de lEglise, les vques doivent laccomplir dans lesprit de service (CEC, 894). Comme le croit lEglise, le ministre des vques comme celui des aptres dans lequel il sorigine est dinstitution divine ; il vient du Christ qui la institu, lui a donn autorit et mission, orientation et finalit (CEC, 874 ; cf. LG, 18). Conformment une tradition liturgique qui remonte aux aptres, il est octroy par le rite liturgique de limposition des mains par lvque sur le candidat, et une prire conscratoire spcifique (LG, 20 ; CEC, 1573)3. Par ce rite que la Tradition de lEglise lappelle sacrement (CEC, 875) , lvque est configur sacramentellement au Christ Prtre, Matre et Pasteur (CEC, 1585)4. Le sacrement de lordre est en effet une participation ontologique la vie et la mission du Christ5 ; ceux qui lont reu, font et donnent par don de Dieu ce quils ne peuvent faire et donner deuxmmes (CEC, 875) ; ils agissent in persona Christi Capitis, cestdire en tant que le Christ et par son pouvoir divin (PO 2 ; cf. LG, 10, 28 ; CEC, 1548-1549). A la suite des aptres, les vques sont ainsi porteurs

1 HOFFMANN, J., Ministre en thologie catholique dans Congar, Y., (d.), Vocabulaire cumnique, Paris, Cerf, 1970, 366-380 (377). 2 DORE, J., Op. cit., n2b. 3 PIE XII, Sacramentum Ordinis. Constitution apostolique : DS 3858. 4 JEANPAUL II, Pastores gregis, n7. 5 JEANPAUL II, Ibid., n6.

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de la prsence active du Seigneur en son absence physique1. Par leur ministre, le Christ, qui a choisi et institu les aptres, continue dagir toujours dans son Eglise (LG, 21). Par lpiscopat qui est le sacrement du ministre apostolique (CEC, 1536), les vques participent la responsabilit apostolique (CEC, 1594) et sont tablis comme pasteurs du troupeau du Seigneur (CD, 11). A ce titre, ils jouissent des mmes facults ministrielles queux (LG, 20). 4.4.4.3.2. Les munera et les potestas dans le ministre de communion de lvque Dans sa dernire encyclique sur lvque, JeanPaul II rappelle lenseignement conciliaire selon lequel la conscration piscopale confre la plnitude du sacrement de l'ordre, le sacerdoce suprme, la totalit du ministre sacr2. Dans les documents du Magistre depuis Vatican II, la conscration piscopale est prsente comme le sacrement qui donne radicalement, ontologiquement, le pouvoir dexercer lpiscopat3. Le pre Congar a dit que du point de vue strictement dogmatique, la plus grande nouveaut du concile consistait dans laffirmation de la sacramentalit de lpiscopat et de lenracinement des charges (munera) des vques dans le sacrement de lpiscopat et non pas dans une dlgation papale4. En effet, par lEsprit Saint qui leur a t donn, les vques ils ont t constitus de vrais et authentiques matres de la foi, pontifes et pasteurs (CD, 2 ; CEC, 1557-1558). Cest donc en vertu du de la conscration piscopale que chaque vque devient prophte, prtre et pasteur (LG, 20). En tant que prophte, il prche lvangile, explique aux fidles la parole de Dieu et leur enseigne la foi de lEglise, conformment la Tradition apostolique (LG, 25 ;

CONGAR, Y.M., LEglise une, 198. JEANPAUL II, Pastores gregis, n6. 3 LAMBERT, B., La constitution Lumen Gentium du point de vue catholique de lcumnisme , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 3, Paris, Cerf, 1966, 1263-1277 (1270-1271) ; cf. TOURNEUX, A, Lvque, leucharistie , 135-138. 4 En effet, il sagissait dun problme encore discut par les thologiens. Cependant, le concile ne la pas fait sous la forme dune proclamation solennelle mais la insr dans lensemble de son enseignement sur la nature et la structure de lEglise (CONGAR, Y.M., En guise de conclusion , dans Barana, G. & Congar, Y. (ds), LEglise de Vatican II, Etudes autour de la constitution conciliaire sur lEglise, t. 3, Paris, Cerf, 1966, 1366).
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CIC, can. 753 et 756 2 ; CEC, 888-892)1 ; en tant que prtre, il les sanctifie par les sacrements, notamment par leucharistie (LG, 26 ; CIC, can. 835 1 ; CEC, 893)2 ; en tant que pasteur, il gouverne et dirige la communaut (LG, 27 ; CIC, can. 381 1 et 391 1 ; CEC, 894-896)3. Selon cette doctrine, les trois munera essentielles du ministre piscopal ne sont pas fondes sur une dlgation du pouvoir confr par un acte juridique du pape, mais sur la conscration piscopale elle-mme, reue dans la communion de lEglise, et en vue de la faire crotre et de la protger4. La mission canonique accorde par le pape nest pas considre comme la source des munera des vques, mais comme leur lgitimation ecclsiastique5. Cependant, elle ne peut tre considre comme secondaire ou superflue par rapport la conscration sacramentelle mais comme troitement lie avec elle et exige par le caractre propre du ministre piscopal, qui est un service dans et pour lEglise. La Nota explicativa praevia6, ajoute la Lumen Gentium, distingue entre les trois facults (munera) dune part et le pouvoir effectif (potestas) ncessaire leur exercice dans la communion de toute lEglise, dautre part, ou, en dautres termes, entre laspect ontologico sacramentel du ministre piscopal et son aspect canonicojuridique. Tandis que les munera drivent de lordination elle-mme, leur exercice exige une dtermination canonique positive de la part de lautorit hirarchique d'aprs les normes approuves par l'autorit suprme

JEANPAUL II, Pastores gregis, chap. III : Matre de la foi et hraut de la parole (nos26-31). 2 Ibid., chap. IV : Ministre de la grce du sacerdoce suprme (nos32-41). 3 Ibid., chap. V : Le gouvernement pastoral de l'vque (nos42-54). 4 NEUNHEUSER, B., Eglise universelle et lEglise locale , 632. 5 On pourrait dire dans le langage des juristes que la mission canonique est une question de licit, non de validit (LAMBERT, B., La constitution , 1270-1271 ; cf. NEUNHEUSER, B., Eglise universelle et lEglise locale , 632). Cette reconnaissance claire par le concile que les munera piscopaux sont confrs par la conscration sacramentelle est un point capital dans la discussion avec lOrthodoxie car il montre quun lien de communion ontologique et, alors, incassable, existe entre la hirarchie catholique et la hirarchie orthodoxe, le lien de la participation commune une mme sacramentalit de lpiscopat. 6 Prpare par la commission doctrinale du concile sur la demande de Paul VI, et signe par son Secrtaire Gnrale, Pricls Felici, la Nota explicativa praevia fait assurment partie des Actes du Concile; toutefois elle ne fait pas partie du texte de la constitution Lumen Gentium vot et promulgu le 21 novembre 1964.

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(Nota praevia, 2)1. Cest cette dtermination juridique qui est la source de la potestas. Les deux sont ncessaires pour lexercice du ministre piscopal dans lEglise. Cest pourquoi un vque doit non seulement tre insr sacramentalement dans lordre piscopal mais aussi tre insr canoniquement dans le collge piscopal par la communion hirarchique avec sa tte, le pontife romain, lequel lui accorde le pouvoir dexercer son ministre dans lunit avec toute lEglise. Dans les annes qui ont suivi Vatican II, on insistait beaucoup sur lenracinement du ministre piscopal dans la conscration sacramentelle en ngligeant parfois trop le fait que le concile a donn un double principe relatif lpiscopat. Lexhortation apostolique de Jean Paul II, Pastores gregis, rappelle quon se trouve plac dans la plnitude du ministre piscopal en vertu de la conscration piscopale et au moyen de la communion hirarchique avec le chef du collge et avec les membres, c'est--dire avec le collge qui sous-entend toujours son chef2. La distinction entre facult (munus) et pouvoir (potestas) ne peut donc jamais tre perue la manire dune sparation de ces deux aspects du ministre piscopal. Leur lien intrinsque devient apparent lorsque nous considrons lpiscopat non pas en soi mais en tant quun ministre de lEglise, dans lEglise et pour lEglise, ordonn ldification et la protection de la communion ecclsiale. Dans la conception catholique de la communion, en effet, il ne s'agit pas d'un vague sentiment, mais d'une ralit organique qui veut s'incarner dans une structure juridique et dont l'me est la charit (Nota praevia, 2). Pour tre un vque dans la communion ecclsiale, il ne suffit donc pas dtre ordonn, il faut encore prendre sa place propre dans la socit ecclsiastique qui est la structure de visibilit de la communion de grce. Dautre part, du fait que lpiscopat, en tant quune participation sacramentelle la triple fonction du Christ, dpasse les facults purement humaines, il ne suffit pas dtre lu et confirm dans ce ministre par le pape pour lexercer ;
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KASPER, W., LEglise comme communion. Un fil conducteur dans lecclsiologie de Vatican II , Communio (Paris), 12 (1/1987), 24. 2 JEANPAUL II, Pastores gregis, n8. Cette doctrine a pris la forme dune norme lgale dans le dernier Code de Droit Canonique qui statue que, par la conscration piscopale elle-mme, les vques reoivent avec la charge de sanctifier, celles d'enseigner et de gouverner, mais en raison de leur nature, ils ne peuvent les exercer que dans la communion hirarchique avec le chef et les membres du collge (CIC, can. 375 2).

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il faut galement tre consacr pour recouvrir les munera ; cest pourquoi, tout vque doit tre consacr avant la prise de possession de son office (CIC, can. 379). Une telle considration de lpiscopat valorise le rle des vques comme ministres de la communion ecclsiale1. Le but premier de leur ministre est le maintien et la promotion de la vie de koinnia dans les communauts confies leurs soins pastoraux ; les munera et les potestas dont ils jouissent, leur sont donns en vue de ce but. Plac la tte de lEglise, chaque vque est principe et fondement de lunit des fidles confis sa sollicitude de pasteur (LG, 23 ; cf. CEC, 886)2. De par son ministre, il peut tre dfini comme symbolisant par sa fonction cette unit quil sefforce de servir et de promouvoir3. De ce fait, il est le centre dune structuration ordonne de tous les autres dons de lEspritSaint, desquels vit la communaut rassemble autour de lui. Le caractre terrestre de lEglise exige que ces charismes et ministres varis soient harmoniss sous sa responsabilit de pasteur afin que la koinnia nclate pas. Si nous considrons le ministre piscopal comme un service dunit au sein de la koinnia ecclsiale, la triple fonction de prophte, prtre et pasteur, qui lui est assigne en vue de son accomplissement, apparat comme inscrite de lintrieur dans la structure de la communaut. Une structuration hirarchique de la vie de la communaut autour dun centre personnel muni de lautorit pastorale, loin de mettre en cause la koinnia, la sert et la protge au contraire. Dans son Eglise locale, l'vque est avant tout le ministre d'unit charg de veiller ce que tous les charismes, fonctions et ministres, s'exercent dans la concorde ; il est celui qui garantit, promeut et reprsente la koinnia de son Eglise. En rsumant ce qui prcde sur les munera et les potestas, on peut dire que, selon la doctrine catholique, le ministre piscopal est soumis un double principe selon lequel la conscration sacramentelle est indissociable de sa lgitimation juridique par lautorit pontificale. Cest pourquoi, seuls ces vques qui demeurent dans la communion hirarchique avec le pape sont habilits lexercer dans la communion

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TILLARD, J.M.R., Eglise et salut. , 683-685. TOURNEUX, A, Lvque, leucharistie , 136. 3 AETC, Ministre piscopal. Contribution de lAssociation europenne de thologiens catholiques la consultation en vue du Synode sur lvque de 2001, n1 (www.cultureet-foi.com, 29 03 2004).

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de toute lEglise. Cette doctrine de lpiscopat senracine dans la conception catholique de la communion ecclsiale que ce ministre doit servir. 4.4.4.3.3. La collgialit des vques et la communion Cependant, le ministre de communion des vques ne se limite pas leurs communauts locales. En effet, unis entre eux et en communion avec le pontife romain, les vques, participant la sollicitude de toutes les Eglises (CD, 3 ; cf. LG 23)1 et contribuent au bien de tout le corps mystique qui est aussi le corps des Eglises (CEC, 886). Nous passons donc un autre aspect important du ministre des vques la collgialit. Lintroduction par Vatican II de lide de collgialit dans sa doctrine sur la constitution hirarchique de lEglise, tait un choix de premire importance pour le dveloppement de lecclsiologie de communion. Il faut se rappeler que lecclsiologie prconciliaire inspire par Trente et Vatican I regardait les vques essentiellement comme des reprsentants du pape dans le terrain, munis des habilitations juridiques ncessaires pour agir en son nom. Cependant tout lenseignement doctrinal soulignait la supriorit du pape sur les vques. Il ny avait donc pas de place pour la vritable collgialit l o les vques taient considrs tant individuellement que collectivement comme des excuteurs de directives venant den haut. A la diffrence de cette doctrine, qui plaait les vques sub Petro, le concile les place cum Petro. Il les regarde comme des successeurs des aptres, en communion avec le pape successeur de Pierre , avec qui ils portent ensemble la charge pastorale du peuple des croyants. La collgialit se rapporte prcisment cette charge pastorale quont reue originellement tous les aptres et qui continue, travers le temps, dans tous leurs successeurs lgitimes, en vertu de la succession apostolique. LEglise croit que la collgialit piscopale appartient sa structure constitutionnelle divinement institue par le Christ (de iure divino) et est ncessaire pour le maintien de son tre de communion2.

JEANPAUL II, Pastores gregis, n55. JEANPAUL II, Allocution de clture de la 7me Assemble gnrale ordinaire du Synode des vques (29. 10. 1987), n4 : AAS 80 (1988), 610 ; Pastor bonus (28. 06. 1988), Annexe I : AAS 80 (1988), 915-916; DC 85 (1988), 980 ; Pastores gregis, n8 ; CTI, Texte et Documents (1969-1985), 344.
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Le terme collgialit est absent tant du Nouveau Testament que du langage de la thologie jusquaux temps prcdant directement Vatican II. Cest donc un nologisme n dans les milieux cumniques, de la rencontre de la thologie latine avec la thologie orthodoxe1. Le langage thologique depuis lpoque patristique et le langage canonique partir du MoyenAge emploient dautres termes pour parler du groupe des vques runis sous lautorit suprme du pape, notamment, ordo, corpus episcoporum et plus tard seulement, collegium, traduit en franais par collge2. Le concile adopte ce dernier terme et lutilise frquemment pour parler des vques en communion avec le pape mais il nemploie jamais de terme collgialit3. Tandis que le substantif collge se rapporte au groupe des vques constitus en une entit sociale concrte organise selon des normes dtermines, le substantif collgialit, qui drive de ce premier, est une catgorie abstraite de pense thologique, se rapportant une proprit spcifique de la constitution hirarchique de lEglise en ce monde. Selon la Nota explicativa praevia, le mot collge, appliqu au corps piscopal, sentend au sens de groupe stable (Nota praevia, 1)4.

A lorigine, il sagissait de transmettre en franais le sens du terme russe sobornost. En thologie orthodoxe, sobornost dsigne la communion organique, pneumatique et visible de tous les fidles pasteurs et lacs dans lEglise. Dans sa dimension spirituelle, la sobornost apparat comme laccord de consciences scell par et manifest dans la communion aux choses saintes (notamment la participation commune leucharistie) ; dans sa dimension visible, elle sexprime comme communion des saints, cestdire la communaut de vie et dagir enracine dans lunit de foi et la charit fraternelle et treinte dans une structure. Par la suite, ce sens originel et global du concept de sobornost commenait tre rendu en franais par un autre nologisme, celui de conciliarit (driv de conciliation) tandis que le terme de collgialit a pris un sens technique relatif au collge piscopal. Il faut remarquer que le sens originel du concept de sobornost nest pas inclus dans le terme collge, que le concile emploie exclusivement en relation avec le collge piscopal (CLEMENT, O., Un essai de lecture orthodoxe de la constitution pastorale Gaudium et Spes , dans Barana, G., Op. cit. t. II, note n1, p. 727. Sur la sobornost, voir, Irnikon, 1929 ; CONGAR, Y, Jalons pour une thologie du lacat, Paris, 1953). 2 Tous ces termes sont absents du Nouveau Testament qui nous parle des Douze ou des aptres et qui les prsente comme un groupe organis sans pour autant avoir un terme technique pour le dire. 3 CTI, Texte et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, 1988, 343-344. 4 Il est prcis au mme endroit quil faut distinguer ce sens thologique du sens juridique profane selon lequel le terme collge signifie un groupe d'gaux qui dlgue son pouvoir un prsident choisi parmi les membres (Nota praevia, 1).

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La collgialit est intimement lie lapostolicit de lEglise car, dans le collge piscopal, avec le pape sa tte, se perptue le collge des aptres avec Pierre comme son chef (LG, 22 ; CEC, 880-881 ; CIC, can. 330 et 336 ; CCEO, can. 42) ; tous les vques qui demeurent en communion hirarchique avec le pontife romain, constituent la succession du collge apostolique1. Ds les temps de lEglise primitive, nous constatons que le ministre apostolique est troitement li avec lide de collgialit malgr labsence du terme comme tel2. Conformment aux Ecritures saintes, le Christ a transmis des pouvoirs spcifiques ses aptres considrs non pas individuellement mais en tant quun corps de Douze (Mt, 18, 18 ; 28, 18-20 ; Jn 20, 21-23 ; Lc 22, 19 ; 1Co 11, 24+). Telle tait la conviction de la premire Eglise et des aptres eux-mmes : cest pour complter le collge apostolique aprs la mort de Judas, quils ont agrg leur groupe Matthias. Par son adjonction au collge, ce dernier est devenu porteur du nom daptre et dtenteur des mmes pouvoirs que tous les aptres (Ac 1, 12-26). Cest donc par lagrgation successive de nouveaux membres au corps des aptres devenu aprs leur mort le corps des vques que le collge apostolique se perptue dans le collge piscopal. Transpose sur ce plan collectif, la succession apostolique signifie la continuation du corps apostolique dans le corps piscopal, cestdire la succession totale du collge tout entier et non pas la succession des aptres pris individuellement. Par la conscration piscopale, les vques sont sacramentellement assums dans le collge des successeurs des aptres. De ce fait sauf le cas particulier du pape chaque vque succde, pour ainsi dire, aux aptres et non pas un aptre3. Le fait que chaque vque soit successeur du collge

JEANPAUL II, Pastores gregis, n55. Le concile de Jrusalem est un exemple concret de cet esprit de collgialit dans lEglise primitive (Ac 15). 3 Il faut tout de mme affirmer quen ce qui concerne la transmission historique du ministre, il nest pas faux de dire que chaque vque succde un aptre particulier sans pour autant que lon puisse toujours le vrifier. Dautre part, il est sr que tous les papes qui succdent laptre Pierre dans le ministre dvque de Rome, ne lui succde pas quant la transmission historique de lpiscopat. Il nest donc pas faux de dire que le pape, en tant que membre du collge piscopal, succde, lui aussi, au collge apostolique et ce nest qu lintrieur de ce collge quil devient successeur personnel de Pierre.
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apostolique signifie que dans chacune des Eglises particulires se perptue lunique Eglise du Christ, btie originellement sur les aptres. LEglise universelle apparat ainsi comme une communion des Eglises apostoliques et le collge piscopal comme un signe de lapostolicit de toute la communion catholique des Eglises1. Runis en collge, les vques accomplissent leur ministre de pasteurs non pas comme des ministres spars les uns des autres et sans aucun lien entre eux, mais en tant que les membres dun corps tabli. Cest dans le collge piscopal, considr comme un corps unique et indivis, que se perptue le ministre apostolique et cest le collge comme tel qui est le propritaire collectif des fonctions (munera et potestas) piscopales. Chaque vque participe ces fonctions non pas titre individuel mais en tant que membre du collge2. Le collge piscopal, avec le pontife romain sa tte, jouit dun caractre de sujet collectif dans lEglise et est habilit agir au nom de lEglise avec lautorit qui lui vient du Seigneur (LG, 22 ; Nota praevia, 3)3. Laction collgiale des vques exprime leur sollicitude commune pour lEglise tout entire, laquelle ils sont appels en vertu de leur ministre et sous la direction de leur chef, le pape (LG, 23 ; CD, 3 ; CEC, 886). En parlant de cette sollicitude, lexhortation apostolique de JeanPaul II, Pastores gregis, introduit une distinction entre la collgialit affective (collegialitas affectiva) et la collgialit effective (collegialitas effectiva)4. La collgialit affective, qui existe toujours entre les vques lintrieure de la communion piscopale, peut tre compare un habitus impliqu par le ministre piscopal et sexprimant dans une vigilance continuelle des vques non seulement lgard de leurs Eglises locales mais galement lgard de lEglise universelle. A sa base se trouve la conception de lEglise universelle comme communion
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DENAUX, A., LEglise comme communion , 167. JEANPAUL II, Apostolos suos. Motu proprio (21. 05. 1998), n8 ; JEANPAUL II, Pastores gregis, n8. 3 JEANPAUL II, Apostolos suos. Motu Proprio sur la nature thologique et juridique des confrences des vques (21. 05. 1998), n9 (www.vatican.va, 25. 03. 2003) 4 JEANPAUL II, Pastores gregis, n8. Dans le texte franais, lexpression collegialitas affectiva est rendue tantt par collgialit affective tantt par affection collgiale (ibid.). Dans des documents magistriels nous trouvons galement lexpression affectus collegialis traduit par esprit collgial (ex. Apostolos suos, n5, 12, 15 ; CE, Ecclesi imago. Directoire sur le ministre pastoral des vques, 22 fvrier 1973, n210).

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des Eglises locales organiquement unies entre elles ; cette unit organique de la communion catholique impose chaque vque la sollicitude continuelle lgard du corps du Christ tout entier. Cette collgialit affective devient une collgialit effective (collegialitas effectiva) lorsque les vques entreprennent communment des actions concrtes dont la porte stend sur plusieurs ou sur toutes les communauts locales. Le degr suprme de la collgialit effective est le concile cumnique, runissant les vques du monde entier pour statuer sur des points de grande importance dans le domaine de la foi, des murs et de la discipline ecclsiastique (CIC, can. 337 1 ; CCEO, can. 50 1)1. Parmi dautres ralisations de la collgialit effective, il y a les conciles particuliers, le synode des vques, les confrences piscopales, la collaboration missionnaire, lengagement commun en faveur des pauvres, etc2. Toutes ces formes de laction commune des vques sont des expressions concrtes de la collgialit qui relvent de lorganisation ou de la figure concrte de lEglise ; cela signifie quelles sont de iure ecclesiastico et peuvent varier suivant le lieu et le temps3. La doctrine de la collgialit correspond la conception de lEglise comme communion universelle du peuple de Dieu et compose dune multitude de communauts particulires disperses travers le monde. Au sein du collge, chaque vque reprsente son Eglise particulire ; on pourrait dire quil est une personnification sacramentelle de la portion du peuple de Dieu confie ses soins pastoraux. Cela signifie, quen sa personne dvque est rendue prsente toute la communaut dont il est le pasteur4. A ce titre, il est le signe et linstrument de

Car le pape est le chef du collge piscopal et le pasteur suprme du peuple de Dieu qui porte de manire personnelle la sollicitude de toute lEglise, il lui revient de convoquer et de prsider le concile et dauthentifier ses dcrets (CIC, can. 338 ; CCEO, can. 51). 2 Cest le pontife romain qui, compte tenu des besoins concrets de lEglise, choisit et promeut dautres formes selon lesquelles le collge exerce sa sollicitude pastorale l'gard de l'Eglise tout entire (CIC, can. 337 3 ; CCEO, can. 50 3). Toute action commune des vques, pour tre un acte vritablement collgial, doit tre demande ou reue librement par le pontife romain dans sa qualit de signe de lunit de lpiscopat et de lEglise (CIC, can. 337 2 ; CCEO, can. 50 2). 3 CTI, Texte et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, 1988, 344. 4 Sur lvque comme hypostase ecclsiale portant en lui toute la communaut, voir, ZIZIOULAS, J., LEtre ecclsial, coll. Labor et Fides 3, Genve 1981, 120-121.

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communion entre sa communaut et les autres communauts dEglise re-prsentes dans le mme collge par leurs vques respectifs1. Ds lors, un seul collge compos dune multitude dvques devient une reprsentation dun seul peuple de Dieu compos dune multitude de communauts. Cest ainsi que la dimension collgiale donne l'piscopat son caractre duniversalit qui correspond luniversalit du peuple de Dieu2. Dune part, la varit des vques exprime la lgitime diversit des communauts locales qui composent ce peuple universel ; dautre part, lunit des vques au sein du collge, manifeste par leur communion hirarchique avec son chef, exprime lunit du peuple de Dieu qui demeure unique travers les diversits locales (LG, 22). Il est ainsi possible d'tablir un parallle entre l'Eglise une et universelle, donc indivise, et l'piscopat un et indivis, donc universel3. Comme membre du collge, lvque est un point de jonction entre son Eglise particulire et l'Eglise universelle : dans la communion des Eglises, il reprsente son Eglise particulire, tandis que dans son Eglise, il reprsente la communion des Eglises4. Cest ainsi que, par le ministre piscopal les portiones Ecclesi participent la totalit de l'Una Sancta tandis que celle-ci, toujours par ce mme ministre, se rend prsente dans la Ecclesi portio5. Par une analogie avec le rapport dintriorit mutuelle (prichorse), qui existe entre lEglise universelle et lEglise locale, il est possible de parler, cet gard, dune intriorit similaire qui existe entre le collge piscopal comme corps universel, unique et indivis, et lvque individuel comme son membre6. Puisque chaque Eglise particulire ralise, en son sein la totalit du mystre de lEglise la condition dappartenir la communio ecclesiarum universalis , de mme chaque vque jouit de la plnitude du ministre piscopal (munera et potestas) la condition dappartenir la communio episcoporum universalis. Nous avons dj vu plus haut que

TOURNEUX, A, Lvque, leucharistie et lEglise locale dans Lumen Gentium, 26 , Ephemerides Theologicae Lovanienses 1 (1988), 106-141 (140). 2 JEANPAUL II, Pastores gregis, n8. 3 Ibid., n8. 4 Ibid., n55. 5 Ibid., n55. 6 Ibid., n8.

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cette appartenance suppose et la conscration piscopale et la communion hirarchique avec le pape comme la tte du collge. Le paralllisme entre lEglise et le collge piscopal nous permet dapporter un clairage supplmentaire sur la nature de ces deux sujets. Comme lEglise universelle nest pas la somme des Eglises locales mais une ralit qui est antrieure celles-ci, de mme le collge piscopal nest pas la somme des vques mais une ralit qui est antrieure aux vques pris individuellement1. Ainsi, il devient patent que la communion des vques au sein du collge ne rsulte pas de leur reconnaissance mutuelle mais de leur intgration ce collge. Tant lunit du collge que la pleine communion ecclsiale s'expriment visiblement dans un ministre, o tous les vques se reconnaissent unis dans le Christ et o tous les fidles trouvent la confirmation de leur foi le ministre dunit du pontife romain2. 4.4.4.3.4. Le ministre dunit du pontife romain Du fait que le pontife romain est considr dans lEglise catholique comme signe visible et garant de l'unit tant de lpiscopat que du peuple de Dieu tout entier, la communion avec le pape est une condition ncessaire de la communion ecclsiale pleine et visible. Selon la doctrine catholique, la fonction unique du pape, dans la communion des Eglises, se fonde historiquement et doctrinalement sur le choix fait par le Christ dtablir laptre Pierre comme le chef du collge apostolique et la pierre cestdire un fondement solide et inbranlable sur laquelle il allait btir son Eglise (Mt 16, 18)3. Le concile affirme que le Christ, qui avait choisi les aptres, a pris parmi eux le bienheureux Pierre qu'il a tabli comme principe et fondement perptuel autant que visible de l'unit de la foi et de la communion (LG, 18 ; CEC, 881)4. Aprs avoir affirm par trois fois son amour pour le Christ, Pierre se voit recevoir, du Seigneur ressuscit, la mission de patre ses brebis (Jn 21, 15-19) ; selon Luc, Jsus lexhorte affermir ses frres (Lc 22, 31) et selon Matthieu, il lui accorde un pouvoir spcifique en relation avec sa mission (Mt 16, 19). Les Actes attribuent Pierre le rle de chef et de
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JEANPAUL II, Apostolos suos, n12. JEANPAUL II, Ut unum sint, n97. 3 RATZINGER, J., La primaut de Pierre et l'unit de l'Eglise , DC 1991, 654-659. 4 CTI, Texte et Documents 1969-1985, 342.

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porte-parole du collge des aptres (Ac 2, 14 ; cf. 2, 37 ; 5, 29), et Paul lui reconnat le privilge de voir le premier des aptres le Christ ressuscit (1Co 15, 5)1. La place assigne Pierre dans le collge apostolique est fonde sur les paroles mmes du Christ, telles quelles sont conserves dans les traditions vangliques. Nombreux tmoignages scripturaires tmoignent de la foi ferme de lEglise primitive dans llection de Pierre, parmi les autres aptres par le Seigneur lui-mme, et pour un ministre unique. Selon la foi constante de lEglise catholique, le ministre concd par le Seigneur Pierre, le premier des aptres, se perptue dans ses successeurs, les pontifes romains (LG, 20)2. Comme Pierre a t le chef et le principe dunit du groupe daptres, de mme chaque pontife romain, en tant que son successeur, est le chef et le principe dunit du collge piscopal (LG, 18). Cest pourquoi les vques gouvernent lEglise sous la prsidence et lautorit du pape, qui est le chef visible de toute l'Eglise (LG, 18 ; CIC, can. 331). De son ct, dans l'exercice de sa charge de pasteur suprme de l'Eglise, le pontife romain est toujours en lien de communion avec les autres vques ainsi qu'avec l'Eglise tout entire (CIC, can. 333 2) ; les vques assistent le pontife romain dans l'exercice de sa charge en lui apportant leur collaboration sous diverses formes (CIC, can. 334) que le pape lui-mme dtermine par son autorit en vue du bien du peuple de Dieu tout entier (Nota previa, 3 ; CIC, can. 337 3). Il existe donc une unit daction entre le pape et les vques, unit qui manifeste la communion organique au sein du collge. Cette communion drive du fait que le pape, en tant quvque est pleinement ancr dans le collge, et gal aux autres vques quant la participation au mme sacrement de lpiscopat. Avant mme dtre le chef suprme de lEglise et du collge piscopal, le pape est un vque mis la tte dune Eglise particulire celle de Rome , qui appartient la communion universelle des Eglises. Le pape et tous les vques constituent, ensemble, un seul collge piscopal en vertu du mme sacrement quils ont tous reu ; il ny a pas entre le pape et les autres vques de diffrence sacramentelle mais uniquement une diffrence

Nous voquons ici ces textes selon la manire dont ils sont habituellement cits par les documents de lEglise, sans entrer dans la polmique exgtique concernant leurs origines et leur authenticit. 2 MOELLER, Ch., Le ferment des ides dans llaboration de la Constitution Lumen Gentium , dans BARAUNA, G., Op. cit., t 2, 87.

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fonctionnelle, cause de la responsabilit spcifique confie par tous les vques lun dentre eux, pour quil soit le signe visible de leur unit dans le collge et de lunit de leurs Eglises particulires dans lEglise universelle. Lencyclique cumnique Ut unum sint souligne ceci : en tant quvque, le pape est lun de ceux qui a reu de l'Esprit la charge commune de patre le peuple de Dieu, et son service dunit lui est confi, l'intrieur mme du collge des vques1 ; tous les membres du collge sont eux aussi vicaires et lgats du Christ. L'vque de Rome appartient leur collge et ils sont ses frres dans le ministre2. A la lumire des documents officiels de lEglise partir de Vatican II, il est clair que le pape nest ni hors du collge ni hors de lEglise : il est pleinement intgr dans le peuple de Dieu par le sacrement de baptme et dans le collge piscopal par le sacrement dordre. Cette communion du pape avec les autres vques senracine non seulement dans la participation au mme sacrement dpiscopat, mais elle est galement implique par la conception mme du collge conu, par le concile, la manire dun corps (Nota praevia, 1). Comme le corps s'entend toujours et ncessairement avec sa tte et comme la tte appartient pleinement au corps tout en demeurant le principe organisateur de sa vie et de son fonctionnement , de mme le pape appartient pleinement et au collge corps des vques et lEglise corps du Christ , tout en conservant intgralement en lui son rle de vicaire du Christ et de pasteur de l'Eglise universelle (Nota praevia, 3 ; LG, 19). En tirant le pape dun certain isolement, dans lequel le maintenait la doctrine tridentine renforce par la constitution Pastor Aeternus de Vatican I, les documents de Vatican II Lumen Gentium en particulier ont introduit un nouvel quilibre entre son ministre personnel de chef suprme de lEglise et le ministre collgial du corps piscopal3. Le concile a reconnu que, tant la primaut papale que la collgialit piscopale, taient de iure divino ; il a galement reconnu que lunion troite entre la primaut et la collgialit relevait, elle aussi, de la rvlation divine elle-mme4. Conformment la doctrine catholique, le

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JEANPAUL II, Ut unum sint, n94. Ibid., n95. 3 DENAUX, A., LEglise comme communion , 170. 4 ANGEL, A., Lecclsiologie postconciliaire. Les attentes, les rsultats et les perspectives pour lavenir dans Latourelle, R., (dir.), Vatican II. Bilan et perspectives (1962-1987), t. 1., Montral Paris, 1988, 411-440 (431) ; cf. LG, 22-23.

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ministre de primaut du pape ne peut tre compris et explicit qu'en relation avec le ministre de collgialit des vques ; la primaut et la collgialit sont deux ples dun service de communion dans et pour lEglise, corps du Christ. Toutes les Eglises sont en pleine et visible communion, parce que les Pasteurs sont en communion avec Pierre et sont ainsi dans l'unit du Christ1. Le ministre du pape lgard de lEglise universelle est le mme que celui de chaque vque lgard de son Eglise particulire, savoir, veiller (episkopein) au nom du Christ, sur le peuple de Dieu. A ce titre, il est le premier des serviteurs de l'unit2. Personne nest fait pape pour dominer les Eglises mais pour les maintenir en communion existentielle de foi, de sacrements, de discipline commune et de charit fraternelle ; cest pourquoi le pape ne peut exercer son ministre de primaut quen communion avec les vques runis autour de lui en collge. Car aucune charge (munus) ne peut sexercer sans un pouvoir (potestas) correspondant, le pape en tant que le ministre suprme de la koinnia de toutes les Eglises locales, dans lEglise universelle, jouit dun surcrot dautorit, par rapport aux autres vques, qui lui permet daccomplir efficacement sa mission. La rintgration du pape au collge, initie par Vatican II, sest faite sans rien sacrifier des prrogatives propres de son ministre, notamment en ce qui concerne son pouvoir universel, direct et immdiat sur tous les membres de lEglise ministres et fidles , et son infaillibilit doctrinale3. Comme le dit le concile, le Pontife romain a sur lEglise, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute lEglise, un pouvoir plnier, suprme et universel quil peut toujours librement exercer (LG 22 ; cf. Nota previa, 4 ; CD 2, 9 ; CEC, 882)4. Le Code de Droit canonique prcise : non seulement le Pontife Romain possde le pouvoir sur l'Eglise tout entire, mais il obtient aussi sur toutes les Eglises particulires et leurs regroupements la primaut du pouvoir ordinaire par laquelle est la fois affermi et garanti le pouvoir propre ordinaire et immdiat que les vques possdent sur les Eglises particulires

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JEANPAUL II, Ut unum sint, n94. Ibid., n94. 3 GRILLMEIER, A., Esprit, position fondamentale et , 166. 4 Il sagit bien dun pouvoir absolu car, contre une sentence ou un dcret du Pontife Romain, il n'y a ni appel ni recours (CIC, can. 333 3).

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confies leur soin (CIC, can. 333 1). On voit ainsi que son pouvoir nest pas destin contredire ou abolir le pouvoir ordinaire des vques dans leurs Eglises respectives mais, au contraire, le garantir et laffermir ; cest dans ce sens que sexplique le pouvoir du pape sur les Eglises particulires de la communion catholique1. Mais le pape nest pas le sujet unique du pouvoir ultime dans lEglise ; en effet, le collge piscopal, dans son ensemble, est lui aussi, en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pouvoir suprme et plnier sur l'Eglise tout entire (CIC, can. 336, cf. LG, 22). Les vques exercent collgialement ce pouvoir, notamment lorsque, runis par le pape en concile cumnique et sous son autorit, ils prennent des dcisions formelles et premptoires lgard de toute lEglise (CIC can. 337 1). Outre cette forme solennelle et rare, le collge exerce ce mme pouvoir par toute autre action commune des vques, lorsquelle elle est demande ou reue librement par le pontife romain (CIC, can. 337 2). Sans porter atteinte la primaut du pontife romain, lecclsiologie actuelle linsre pleinement dans le collge piscopal en ce qui concerne lexercice du pouvoir dans lEglise. Tout en confirmant la conviction traditionnelle que la primaut papale est indispensable pour le maintien de la communion, il est reconnu explicitement dans lenseignement doctrinal et sanctionn par des lois positives de lEglise que le pape nest pas lunique sujet de ce pouvoir et que le collge tout entier lexerce avec lui pour le bien du peuple de Dieu tout entier. Comme nous lavons dit, le second privilge du pape concerne son infaillibilit personnelle dans les matires de foi et de murs. Enseigne dj explicitement par Vatican I2, cette doctrine est confirme par Vatican II et lenseignement postconciliaire. Pour comprendre correctement sa signification et sa porte, il faut la replacer comme le font le concile et le Magistre dans le contexte ecclsial. Le concile parle en premier lieu de linfaillibilit de lEglise tout entire qui, jouissant de lassistance de lEsprit de vrit, ne peut errer dans la foi (sensus fidei). Ce sensus fidei est prsent comme la participation du peuple de Dieu tout entier cestdire des fidles sous la conduite du Magistre linfaillibilit propre du Christ. Son but est de maintenir

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JEANPAUL II, Ut unum sint, n92. DS 3074.

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lEglise dans la puret de la foi apostolique (LG 12 ; cf. DV 10 ; CEC, 889). En second lieu, linfaillibilit est un attribut de tous les pasteurs chargs denseigner les vrits de la foi au peuple des fidles dans la conformit lvangile du Christ. Comme le dit le Catchisme, cest pour permettre aux fidles de professer sans erreur la foi authentique que le Christ a dot les pasteurs du charisme dinfaillibilit en matire de foi et de murs (CEC, 890). Les vques considrs isolment ne jouissent pas de linfaillibilit, mais bien lorsquils enseignent les vrits de la foi rvle en communion avec le pape (LG, 25 ; CIC, can. 749 2 ; CEC, 892). Leur infaillibilit stend aussi loin que le dpt lui-mme de la rvlation et les fidles doivent donner leur assentiment de foi lenseignement des vques (LG 25 ; cf. CEC, 890). Finalement, la mme infaillibilit revient titre personnel au pontife romain lorsquil proclame par un acte dcisif une doctrine tenir sur la foi ou les murs (LG, 25 ; CIC, can. 749 1). Pleinement insr dans le peuple de Dieu comme son pasteur suprme et intgr dans le corps piscopal comme son chef, le pape jouit de linfaillibilit en tant que le successeur personnel de laptre Pierre, qui le Seigneur a confi la mission daffermir ses frres (Lc 22, 32 ; le contexte immdiat suggre quil sagit de les affermir dans la foi). Lorsque le concile parle de linfaillibilit du pontife romain, il tient souligner quil en jouit en tant que le chef du collge des vques (LG, 25). Il est ainsi clair que le pape exerce son infaillibilit en communion avec les membres du collges et pour affermir dans la foi toutes les Eglises de la communion catholique confies son affection pontificale. Lorsque le pape dclare ex cathedra qu'une doctrine appartient au dpt de la foi, il ne le fait pas isol des autres vques mais il parle au nom de tous les pasteurs en communion avec lui1. Ceci est confirm par la pratique historique de linfaillibilit ; en effet, aucune doctrine dans lEglise na jamais t proclame par le pape avant quune consultation nait t effectue parmi les membres du collge et quun assentiment gnral des vques exprimant la foi du peuple tout entier nait t auparavant tabli. Comme nous avons pu le constater, tant la primaut que linfaillibilit pontificales sont des dons accords lEglise pour la maintenir dans la koinnia. Cest pourquoi lune et lautre quelles soient exerces par le

JEANPAUL II, Ut unum sint, n94.

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pape de manire personnelle ou par les vques en communion avec lui de manire collgiale doivent toujours tre accomplies dans la communion de toute lEglise1. Dans lencyclique Ut unum sint, le pape affirme que, comme vque de Rome, il se sait appel exercer le ministre dunit lgard de toutes les Eglises et de toutes les Communauts ecclsiales2 ; il rappelle la foi catholique selon laquelle lvque de Rome est, de iure divino, le principe et le fondement permanent et visible de l'unit de toutes les Eglises3. Leur communion avec l'Eglise de Rome et avec son vque est une condition essentielle selon le dessein de Dieu de la communion pleine et visible4. Selon la conviction de lEglise catholique, le ministre dunit du pape, dans sa potentialit, est un ministre vocation universelle. Cette universalit devient apparente lorsque la charge pastorale de lvque de Rome est mise en parallle avec le dsir du Christ que tous ceux qui croient en lui soient un ; dsir dans lequel sexprime le dessein divin pour lEglise (Jn 17, 21)5. Malgr le fait queffectivement le ministre dunit du pape ne sexerce actuellement que sur la portion des chrtiens de la communion catholique, il reste pourtant vrai quau niveau des principes ce qui concerne l'unit de toutes les Communauts chrtiennes entre videmment dans le cadre des charges qui relvent de la primaut6. Renouvele et approfondie lre de lcumnisme, cette conscience duniversalit du ministre pontifical impose aujourdhui au pape de chercher de nouvelles modalits dans son exercice, afin quil soit reconnu et accept par toutes les Eglises chrtiennes. Cependant, dans la plupart des Eglises chrtiennes noncatholiques, dont la mmoire est marque par certains souvenirs douloureux, le ministre du pape notamment sa prtention la primaut et linfaillibilit personnelles reprsente une difficult mme si plusieurs dentre elles aspirent un ministre universel dunit7. Du point de vue
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Ibid., n95. Ibid., n95. 3 Ibid., n88. 4 Ibid., n97. 5 Ibid., n95. 6 Ibid., n95. 7 JEANPAUL II, Discours au Conseil cumnique des Eglises Genve, le 12 juin 1984.

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de lEglise catholique, le dfi cumnique devant lequel se trouvent aujourdhui les Eglises, lgard du ministre ptrinien est celui de trouver une forme d'exercice de la primaut ouverte une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun l'essentiel de sa mission1. Il est certain que la recherche dune telle forme ne pourra aboutir des rsultats tangibles qu condition dtre mene communment par les Eglises encore divises, en suivant les principes de lecclsiologie de communion et avec, comme cadre, une structure conciliaire de lEglise dans laquelle la primaut et la collgialit, luniversalit et la localit coexistent en osmose, se correspondent et se compltent. 4.5. Conclusions Au terme de cette investigation sur les notae Ecclesiae dans la doctrine de lEglise catholique, il nous faut proposer maintenant quelques conclusions relatives la conception de la communion ecclsiale qui sen dgagent. 4.5.1. Lunit Commenons par la note dunit. - La premire constatation, et la plus vidente, est laffirmation ferme et constante de lunit et de lunicit de lEglise : dans son tre de communion divinohumaine, lEglise est jamais une et indivisible. Lunit de lEglise est indestructible car elle lui vient de Dieu qui est un et qui constitue la puissance duniverselle unit de lEglise. Cette unit apparat ainsi comme un mystre de foi, que lEglise croit malgr lexprience douloureuse des divisions entre les chrtiens. - Lunit de lEglise est de type communionnel, cestdire quelle suppose et implique, comme une condition ncessaire, la diversit. Le concept mme de communion implique la diversit et lEglise ne peut exister en tant que communion qu travers la diversit. La diversit, comme lunit, senracine en Dieu qui nest pas seulement un mais aussi diversifi en tant que trinit de
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JEANPAUL II, Ut unum sint, n95 ; cf. QUINN, J.R., L'exercice de la primaut. Le prix payer pour l'unit des chrtiens (www.culture-et-foi.com, 29. 03. 2004 ; une rflexion davantage pastorale que dogmatique, mais qui touche plusieurs aspects de la discussion actuelle sur la primaut).

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personnes. La diversit appartient ltre de lEglise de iure divino et se manifeste dans tous les domaines de sa vie. Elle correspond lconomie incarnationnelle du salut et au caractre terrestre de lEglise. Dans la diversit ecclsiale se refltent la pluralit des personnes qui composent lEglise et la varit des richesses socioculturelles du monde quelle traverse dans son volution historique. La multiplicit des Eglises locales, qui reprsentent des traditions ecclsiales diverses dveloppes travers les sicles et se distinguant entre elles quant la thologie, la spiritualit, la liturgie et lorganisation ecclsiastique, correspond pleinement la conception catholique de la communion ecclsiale. Cependant, pour que la diversit ne conduise pas lclatement de la communion universelle de lEglise, elle doit se soumettre aux exigences de lunit ; lunit est en effet la rfrence de base de toute diversit lgitime dans lEglise et elle en impose les limites. Toutefois, faisant partie du projet divin concernant lEglise, la diversit ne doit jamais tre crase par une uniformisation unilatrale de la vie des Eglises locales dans la communion catholique universelle. A lintrieur de la communion ecclsiale, les limites de la lgitime diversit tant au niveau local quau niveau universel sont traces par lunit dans la foi, les sacrements et la structure hirarchique de lEglise. Cependant, cette unit ne soppose pas une lgitime diversit dans ces mmes domaines. Lunit de la foi signifie ladhsion commune, unanime et complte de tous les fidles ministres et lacs toutes les vrits divinement rvles qui sont contenues dans les saintes Ecritures et transmises fidlement de gnration en gnration par la Tradition sacre. Seules sont tenues pour rvles ces vrits que lensemble de fidles tient unanimement pour telles travers les sicles et qui ont t proclames solennellement par lEglise (soit dans un Credo officiel, soit par une dclaration dogmatique explicite du concile ou du pape). Ladhsion de toute la communaut ecclsiale une vrit est lattestation ultime de son appartenance au dpt de la foi catholique. Cependant, lunit de la foi ne signifie pas luniformit dans les laborations thologiques des vrits rvles. Bien au contraire, les traditions thologiques varies, qui existent dans
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lEglise depuis ses origines, tmoignent de sa communion dans la foi. Pour prserver cette communion de lclatement, la diversit thologique ne peut jamais remettre en cause les dogmes de lEglise qui ont t explicitement proclams. LEglise est une communio sacramentorum qui se caractrise par lunit de la vie sacramentelle. Cette unit signifie, en premier lieu, que toutes les communauts particulires de la communion catholique clbrent partout les mmes sept sacrements que lEglise croit dinstitution divine. De cette communicatio in sacris (participation aux mmes biens du salut) nat la communio sanctorum universalis (communion universelle des saints). La communion sacramentelle implique lunit quant la doctrine fondamentale de chaque sacrement et admet la diversit quant aux dveloppements thologiques particuliers relatifs ses divers aspects. De mme, si elle exige lunit sur la substance des rites sacrs, elle admet la diversit quant aux formes liturgiques des clbrations. A travers la varit des traditions liturgiques qui se sont dveloppes sur le fondement de la mme doctrine, se manifeste la communion sacramentelle de toute lEglise. Parmi tous les sacrements, leucharistie occupe la place centrale en tant que le sacrement par excellence de la communion ecclsiale. Par la participation au corps eucharistique du Christ, les fidles manifestent, affermissent et approfondissent leur communion dans le corps du Christ quest lEglise. Runie autour de lautel, chaque communaut de fidles se sait intgre dans la communion eucharistique de toute lEglise qui stend sur tout lunivers et sur lensemble de lhistoire. Tandis que lunit de la foi eucharistique est une condition ncessaire de lunit ecclsiale entre les communauts particulires, la varit des thologies eucharistiques, qui demeurent unanimes sur lessentiel, tmoigne de la richesse doctrinale de ce mystre inpuisable et ne soppose pas cette unit. De mme, tandis que lunit substantielle du rite est requise pour la validit sacramentelle de leucharistie, les variations des traditions liturgiques dans sa clbration ne sopposent pas lunit eucharistique de lEglise mais la manifestent dans toute sa richesse de communion.
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La communion intrieure des fidles dans lEglise, corps du Christ, prsuppose et implique leur communion extrieure au sein de lEglise, socit. La structure hirarchique de la socit ecclsiale dcoule de la conception organique de la communion, selon laquelle lunit spirituelle ne peut rellement exister que dans une figure sociale concrte ; cest pourquoi la suppression de cette structure extrieure quivaudrait lanantissement de la communion spirituelle. Cette figure concrte de la communion ecclsiale sarticule autour du ministre piscopal, que lEglise croit dinstitution divine et qui est ordonn au maintien de la communion spirituelle. Dans chaque Eglise locale, lvque est le centre visible dunit des fidles ; dans la communion universelle des Eglises locales, ce rle appartient de iure divino au pape le centre visible de toute lEglise. La constitution hirarchique est la fois une condition et une consquence de la communion ecclsiale. 4.5.2. La catholicit

Passons maintenant la note de catholicit. - La catholicit se rapporte, en premier lieu, lconomie trinitaire du salut. Le dessein salvifique du Pre est catholique car il est relatif lensemble de lhumanit : Dieu veux sauver tous les hommes sans exception. Le salut ralis par le Fils est catholique : le Christ est mort pour rconcilier tous les hommes avec Dieu et entre eux et les rassembler dans lunit du Royaume. La mission de lEsprit-Saint est catholique : en diffusant dans les croyants la vie divine, il est le principe de leur runion universelle in Christo. - Dans cette catholicit de lconomie trinitaire du salut, senracine la catholicit de lEglise instrument universel de ce salut dans le monde. De ce fait, la catholicit apparat comme une proprit divine appartenant ltre de lEglise et sexprimant travers sa vie. - Dans la conception catholique de la catholicit de lEglise, il est possible de distinguer deux dimensions formelles (ou conceptuelles), savoir, la catholicit qualitative et la catholicit quantitative. La catholicit quantitative se rapporte luniversalit historique et gographique de lEglise : en tant que le sacrement universel
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du salut, lEglise doit se rpandre sur toute la terre et dominer lensemble de lhistoire. Une consquence directe de cette catholicit quantitative est lunicit numrique de lEglise, qui demeure une et indivise malgr son expansion historique et gographique. La catholicit qualitative signifie la prsence, dans lEglise, des lments constitutifs decclsialit, cestdire de tout cela qui constitue lEglise dans sa qualit de sacrement universel du salut, notamment, la foi, les sacrements, la structure hirarchique. Grce ses lments dinstitution divine, lEglise est dans et pour le monde linstrument efficace de la communion avec Dieu et entre les hommes. Cette catholicit qualitative implique lidentit continuelle et inaltrable de lEglise, toujours et partout, quant son tre ecclsial. En mettant ensemble ces deux dimensions formelles, on peut dire que la catholicit se rapporte dune part luniversalit gographique et historique de lEglise, constitue par le Seigneur comme linstrument du salut pour toute lhumanit, et dautre part sa plnitude ecclsiale (plrme) grce laquelle elle peut effectivement raliser ce rle. La comprhension catholique de la note de la catholicit implique une conception spcifique du rapport entre lEglise universelle, dune part, et lEglise locale dautre part. Laffirmation de lunicit numrique et de lunit indivisible de lEglise du Christ se trouve au cur mme de lecclsiologie catholique de communion. Fonde par le Christ sur les aptres comme une communaut du salut unique, lEglise se dilate travers le monde et lhistoire partir de ce noyau primitif, sans jamais perdre cette unicit originelle. De ce fait, elle apparat en premier lieu comme une seule et unique communaut universelle de fidles, rassemble dans lunit de la foi, des sacrements et des structures visibles de communion. Cest pourquoi, par le baptme, tout fidle entre de manire immdiate et directe dans cette unique communaut ecclsiale aux dimensions du monde. Selon lenseignement magistriel catholique, lEglise universelle prcde ainsi tant historiquement quontologiquement les Eglises locales qui naissent delle et vivent en elle Ecclesiae in et ex Ecclesia. Le catholou est du
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domaine de luniversel et cest de lEglise universelle que les communauts locales tirent leur existence comme Eglises. Cest pourquoi, aucune Eglise particulire ne pourrait prserver intgralement son ecclsialit (catholou) en dehors de lEglise universelle qui est sa mre et sa matrice. En mme temps, cette unique et universelle Eglise du Christ existe dans le monde comme une communion des Eglises particulires et travers elles Ecclesia in et ex Ecclesiae. Chacune de ces Eglises est constitue limage de lEglise universelle en reproduisant la structure ecclsiale originelle institue par le Christ. Dans toutes ces communauts locales, le catholou est pleinement et intgralement ralis, condition quelles demeurent dans la communion de lEglise universelle. Il existe ainsi une inhabitation mutuelle (prichorse) entre lEglise universelle et lEglise locale : dune part, lEglise du Christ, une et universelle, est re-prsente avec tous ses lments constitutifs dans chacune des communauts locales ; dautre part, toutes les communauts locales existent lintrieur de lunique et universelle Eglise du Christ. Conformment cette vision prichortique de la catholicit, la communion ecclsiale ne peut tre conue comme le rsultat de la reconnaissance mutuelle entre les Eglises locales, mais comme le rsultat de leur participation commune lUna Catholica. Dans la conception de la catholicit dont tmoignent le concile et les documents magistriels de ces dernires dcennies, la priorit revient ainsi lEglise universelle, de laquelle les Eglises locales tirent leur ecclsialit. Lvque de Rome est considr comme un centre personnel, institu par le Christ de la communion universelle de lEglise. Cest pourquoi la communion de toutes les communauts locales avec lEglise de Rome, qui les prside dans la charit, est la fois un signe et une condition de leur pleine intgration dans lUna Catholica. Au niveau de la vie pastorale, la priorit de luniversalit sur la localit signifie que le souci de lunit universelle doit toujours avoir la priorit sur le droit aux particularits des communauts locales. Ces particularits perdent leur lgitimit l o elles menacent dclatement la communion catholique universelle.

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La catholicit, envisage comme la participation commune de toutes les communauts locales la mme identit ecclsiale de lUna Catholica, dcoule de la source eucharistique. En effet, runies autour de lautel, toutes les communauts particulires mangent le mme corps du Seigneur et boivent le mme sang du Seigneur, participant ainsi la mme vie divine et acqurant par l, la mme identit ecclsiale. Ainsi, par la communion eucharistique, les communauts affermissent leur communion catholique dans lunique corps du Christ. Clbre localement par une communaut particulire, leucharistie appartient en propre lEglise du Christ, cestdire lUna Catholica dans laquelle sont intgres toutes les communauts locales. Dans chacune des communauts eucharistiques se ralise et se manifeste la mme et unique Una Catholica universalis, dont elles sont des actualisations locales. Ainsi, cest leucharistie qui est lultime critre de la catholicit de chaque communaut dEglise et le ciment de la communion catholique de toutes les communauts locales appartenant lUna Catholica. 4.5.3. Lapostolicit

Finissons par quelques conclusions relatives la note dapostolicit. - La note dapostolicit apparat comme le critre dcisif dauthenticit des autres notes seule cette Eglise peut prtendre tre une, sainte et catholique laquelle est, en mme temps, apostolique. - Lapostolicit signifie la continuit ininterrompue de lEglise, dans ses lments constitutifs , notamment la foi, les sacrements et la constitution hirarchique avec la communaut originelle que le Christ a fonde sur les douze aptres. En dautres termes, il sagit de maintenir lEglise chaque poque en koinnia avec lEglise des origines. Dans lapostolicit ainsi dfinie, on peut distinguer un aspect historique et un aspect ontologique. Laspect historique est relatif au processus de transmission de lidentit originelle de lEglise de gnration en gnration. Laspect ontologique se rapporte la prservation infaillible de tous les lments constitutifs de cette identit travers son volution historique. - Lidentit de lEglise est dtermine en premier lieu par sa foi. LEglise est apostolique dans son tre et sa vie car elle demeure
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dans la continuit de la foi avec lEglise des aptres. Ces derniers avaient directement reu cette foi du Seigneur, par une rvlation divine, et ils lont enseigne par la suite au monde de manire authentique dans la force de lEsprit de la Pentecte. Selon lenseignement magistriel de lEglise catholique, la foi droitement conserve et fidlement transmise est un critre dcisif de lapostolicit de lEglise. Le dpt essentiel de la foi apostolique se trouve consign dans les saintes Ecritures qui constituent, pour lEglise la source premire et la norme ultime de lorthodoxie doctrinale. Sous limpulsion et lassistance de lEsprit de vrit, lEglise jouit dun charisma veritatis qui lui permet de transmettre fidlement, de gnration en gnration, la rvlation contenue dans les textes sacrs, de grandir continuellement dans son intelligence et den donner une interprtation authentique sans jamais sloigner de la vrit divine. Il y a ainsi dans lEglise un dveloppement doctrinal homogne qui fait partie de la Tradition apostolique. Grce cette Tradition, il y a une succession de la foi apostolique travers ce dveloppement doctrinal qui en constitue une interprtation authentique, cest dire conforme lesprit originel. Lintgrit de la foi apostolique dans la transmission est assure lintrieur de lEglise par le sensus fidei. Cette qualit surnaturelle, qui appartient lensemble des fidles lacs et ministres , signifie que le peuple de Dieu tout entier ne peut pas errer dans la foi. Le sensus fidei montre que la foi apostolique ne peut tre ni connue, ni reue, ni conserve intgralement que dans la communion de toute lEglise. Cest ainsi que la communaut ecclsiale devient la rgle vivante de la foi authentique ; celui qui croit ce que lEglise croit demeure de manire sre dans la communion de la foi apostolique. Rvle lEglise et lui appartenant en propre, cest par lEglise et dans lEglise que la foi est enseigne et interprte de manire infaillible. Linfaillibilit du Magistre quil soit exerc de manire collgiale par les vques ou de manire personnelle par le pape ne peut se comprendre qu lintrieur de lEglise et son service. La pleine intgration des ministres chargs de lenseignement dans la communion de foi de toute lEglise est ainsi une condition fondamentale de linfaillibilit
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de leur Magistre. Personne ne pourrait prtendre enseigner de manire authentique la foi apostolique sans appartenir lEglise apostolique. Dans chaque Eglise particulire de la communion catholique, lapostolicit est conserve au moyen de la succession apostolique qui la rattache, tant historiquement quontologiquement, la communaut originelle des disciples du Christ. Dans une analogie avec les deux aspects de lapostolicit (ontologique et historique), on peut distinguer, dans la succession apostolique, un aspect matriel et un aspect formel. Laspect matriel relatif lapostolicit ontologique signifie la continuit effective de tous les lments qui dfinissent lidentit propre de ltre ecclsial, cestdire la succession totale de lEglise due la prsence, en elle, de lEsprit de la Pentecte qui la maintient inexorablement dans son identit dorigine. Laspect formel relatif lapostolicit historique dsigne la continuit ininterrompue du ministre apostolique dans le ministre piscopal qui est la fois un instrument, une condition et une garantie de la succession apostolique de toute lEglise. La succession matrielle de lEglise constitue la source, le cadre et la raison de la succession formelle du ministre piscopal. Pour cette raison, la succession du ministre ne peut se comprendre ni seffectuer qu lintrieur de la communion avec toute lEglise. Transmis par le sacrement de conscration, le ministre piscopal fait partie intgrante de iure divino de la constitution de lEglise en ce monde. Par la chane ininterrompue des ordinations remontant aux aptres, lvque devient un garant et un tmoin de lidentit apostolique de lEglise particulire dont il est pasteur ; malgr lcoulement du temps, il assure ainsi formellement la prsence relle, en elle, de lEglise que le Christ a fonde jadis sur les aptres. La succession piscopale, par laquelle les vques participent la mme mission que les aptres et jouissent dans lEglise de la mme autorit queux, signifie la permanence dun ministre malgr la disparition de ceux qui lexercent successivement.

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La transmission du ministre piscopal manifeste la dimension communionnelle de lapostolicit de lEglise. En effet, celui qui on succde dans le ministre apostolique nest pas celui qui le transmet. Sa transmission par des vques des autres Eglises particulires ordonns, eux aussi, dans la succession apostolique et dont les Eglises demeurent dans la communion catholique de toute lEglise, manifeste lEglise universelle comme une communion des Eglises apostoliques particulires. Par la succession apostolique, non seulement un nouvel vque reoit le ministre apostolique, mais aussi une Eglise particulire signe son adhsion la communion des Eglises apostoliques. Le ministre piscopal est un ministre par excellence ecclsial, ordonn ldification de la communion des fidles dans le corps du Christ et laccomplissement efficace, par lEglise, de sa mission de sacrement de communion dans et pour le monde. Par la conscration sacramentelle, les vques participent ontologiquement aux trois munera du Christ Prtre, Matre et Pasteur , et sont habilits agir in persona Christi. Cependant, en tant que ministres de lEglise et dEglise, ils doivent galement tre lgitims dans leur ministre par lEglise qui les envoie en leur donnant des pouvoirs (potestas) ncessaires pour lexercice de leurs fonctions ministrielles dans la communion ecclsiale. Cest pourquoi, lexercice du ministre piscopal dans lEglise est soumis un double principe : il exige dune part la conscration sacramentelle, qui en constitue le fondement matriel, et dautre part lenvoi par le pape, qui en constitue la lgitimation formelle. Ceci correspond la conception catholique de lEglise, selon laquelle la communion du corps du Christ est indissociable de la structure sociale de lEglise. Cest pourquoi seuls ces vques qui demeurent dans la communion hirarchique avec le pape sont habilits formellement exercer leur ministre dans la communion de toute lEglise. Le caractre communionnel de lEglise sexprime encore travers la collgialit piscopale : lEglise communion des communauts particulires , correspond le collge piscopal communaut des vques ; un seul collge compos dune multitude dvques correspond un seul peuple de Dieu compos dune multitude dEglises particulires.
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La doctrine de lpiscopat nous enseigne que chaque vque est le reprsentant officiel de son Eglise au sens fort du terme, cestdire quen lui se trouve personnifie (ou hypostasie) lEglise particulire dont il a la charge pastorale. De ce fait, au sein du collge, chaque vque signifie lappartenance de sa communaut particulire la communion de lunique Eglise. Le collge piscopal apparat ainsi comme une hypostase ecclsiale de lEglise universelle. Le collge piscopal, dans lequel se perptue travers le temps le collge apostolique originel, est un signe de lapostolicit des Eglises particulires dont les vques appartiennent ce collge. Chaque vque ordonn dans la succession apostolique et demeurant dans lunit du collge, assure et manifeste lapostolicit de son Eglise particulire ; le collge dans son entier apparat ainsi comme un signe et un garant de lapostolicit de toutes les Eglises de la communion catholique. La collgialit se rapporte la charge pastorale de toute lEglise que le Seigneur a confie originellement au corps des aptres et qui continue travers lhistoire dans le corps des vques, leurs successeurs. Cette sollicitude collgiale des vques, lgard de toute lEglise, rvle celle-ci comme une vritable communion de charit dans laquelle chacun devient responsable pour le tout et tous ensemble pour chaque membre. Dans la conception catholique de la collgialit, le collge piscopal est une ralit historiquement et ontologiquement antrieure aux vques pris individuellement. En effet, le collge ne se constitue pas par la reconnaissance mutuelle des vques entre eux mais par lagrgation successive de nouveaux membres au collge originel fond par le Christ. A cette conception de la collgialit correspond la conception catholique decclsialit, selon laquelle lEglise universelle nest pas le rsultat de la reconnaissance mutuelle entre les Eglises locales mais une ralit qui leur est antrieure tant historiquement quontologiquement. Il existe ainsi une analogie entre lantriorit du collge chaque vque et lantriorit de lEglise universelle chaque Eglise particulire. Comme il existe une prichorse entre lEglise universelle et lEglise locale, de mme, il existe une prichorse analogique entre le collge et chaque vque : dune part, dans le collge, il incarne
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son Eglise particulire, dautre part, dans son Eglise particulire, il incarne lEglise universelle. Lunit de lEglise universelle et lunit du collge piscopal sont garanties par et signifies dans la personne et le ministre du pape, le chef suprme tant de lEglise que du collge. Car la foi catholique le reconnat comme un signe visible de lunit des vques au sein du collge et de lunit des fidles au sein du peuple de Dieu universel, la communion avec le pape est une condition ncessaire de la communion ecclsiale tant des vques que des fidles. Comme nous lavons vu, les prrogatives personnelles du pape notamment la primaut et linfaillibilit , ne se comprennent que si elles sont considres comme des charismes particuliers ordonns ldification du corps du Christ tout entier et au maintien de sa communion. Cest pourquoi le pape nest ni audessus de lEglise ni au-dessus du collge piscopal mais au centre de lune et de lautre ; et ses pouvoirs spcifiques sont des services appartenant toutes les Eglises. Choisi par lensemble des vques comme leur chef, il manifeste leur communion tant visible que spirituelle au sein du collge et assure leur unit dagir pastoral dans toutes les Eglises de la communion catholique ; mis la tte dune Eglise particulire, il est reconnu comme un signe dunit tant visible que spirituelle de toutes les Eglises particulire en communion avec son Eglise. Cette pleine insertion de lvque de Rome au collge piscopal, et de son Eglise particulire la communion universelle des Eglises, ouvre une voie nouvelle une reconsidration cumnique du ministre du pape. Sil est certain que lEglise catholique ne peut carter de sa conception de lEglise un ministre quelle croit dinstitution divine, qui existe depuis les origines, et qui lui parat absolument indispensable pour le maintien dune relle communion ecclsiale entre les communauts particulires, il est pourtant possible de chercher de nouvelles manires de son exercice qui soient mieux appropries aux conditions historiques dans lesquelles vivent les Eglises chrtiennes aujourdhui.

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Vers une vision commune de lEglise observations finales

Sur la base des analyses qui prcdent, nous voulons proposer prsent quelques remarques de conclusion. Avant de toucher aux questions proprement thologiques, il est utile de relever le caractre concordant de lecclsiologie de communion avec les principales tendances philosophiques et socioculturelles de notre temps. Ce fait est important pour deux raisons : premirement, il aide les fidles concevoir lEglise comme une ralit qui est proche de leurs conceptions de la vie et du monde, et qui correspond ainsi leurs aspirations humaines ; deuximement, il facilite le dialogue de lEglise avec le monde. Lecclsiologie fonde sur la notion de koinnia saccorde bien avec les majeures tendances anthropologiques actuelles de type existentialiste et personnaliste, qui conoivent la personne humaine comme un tre relationnel. Lhomme sautoralise en tant quhomme et parvient au bonheur grce aux relations quil noue avec ses semblables. A lpoque de lavnement rapide dune socit informatique, il acquiert une conscience de plus en plus aigu de linterconnectivit des hommes, dans un monde de plus en plus rtrci, et o les barrires traditionnelles empchant la communication le temps et lespace sont dpasses. Devant les mouvements unificateurs dans les domaines socioculturel et politicoconomique qui traversent la plante, il se rend compte dinnombrables interdpendances qui lient les hommes les uns aux autres. En mme temps, lhomme reste un tre qui dcouvre au plus profond de son intimit une aspiration surpasser soi-mme et tendre vers lInfini. Ce dsir naturel dentrer en relation avec un Autre, quel que soit son nom, louvre naturellement Dieu. Lecclsiologie de communion prsente lEglise comme le lieu o lhomme peut dsaltrer cette double soif de sa nature en entrant en relation avec les autres
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hommes et avec Dieu. De ce fait elle correspond bien la mentalit des gens daujourdhui et sharmonise avec les principaux courants dans la philosophie, la culture et la vie sociale. Passons prsent, quelques remarques plus spcifiquement thologiques1. Tant lEglise catholique que les Eglises runies dans le Conseil cumnique des Eglises reconnaissent que la notion de koinnia exprime bien ce quest lEglise dans son tre, sa vie, sa vocation terrestre et son destin eschatologique. Il existe une incontestable affinit entre la conception de la koinnia dans les documents du Conseil dune part, et dans les documents de lEglise catholique dautre part. Entre les deux institutions, il ny a pas de dsaccords significatifs sur la comprhension du concept de koinnia en soi, cestdire dans ses parties intgrantes et ses principales exigences. Les deux sont daccord pour dire que la pleine communion ecclsiale : - doit tre la fois spirituelle et visible ; - quelle implique ncessairement lunit dans la comprhension de la foi apostolique ; - quelle sexprime dans la koinnia de la vie sacramentelle fonde sur la reconnaissance mutuelle du baptme et manifeste dans la clbration commune de leucharistie ; - quelle exige un accord substantiel sur la conception du ministre et la reconnaissance rciproque des ministres ; quelle implique galement lexistence dans lEglise, dun ministre dpiscop tant au niveau local quau niveau universel ; - quelle exige des structures communes permettant aux Eglises de prendre des dcisions et dagir ensemble ; - quelle ncessite galement une vision partage de la morale chrtienne et une conception commune du rle de lEglise face au monde et ses problmes. Cet accord sur la comprhension du concept en soi constitue un fondement solide pour la poursuite du dialogue cumnique visant llaboration dune ecclsiologie commune. Cependant, il ne peut pas encore tre considr comme un rel consensus sur la vision de lEglise et de ses divers aspects. Comme nous lavons vu, malgr cet accord sur les principes de la koinnia, la majorit des Eglises divergent entre elles

Les remarques qui suivent compltent en ralit les conclusions de la deuxime tude.

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sur la comprhension de chacune de ses parties intgrantes. Devant ce fait, il faut reconnatre que la notion de koinnia sest montre jusqu prsent inefficace pour conduire les Eglise llaboration dune vision commune de lEglise et de son unit visible. En effet, aprs un demi sicle de dialogue, les Eglises sont confrontes aux mmes questions doctrinales qui les divisaient au dpart, comme par exemple le caractre du lien entre le visible et linvisible dans la constitution de lEglise, le rapport entre lEglise locale et lEglise universelle, la relation entre la communion ecclsiale et la communion eucharistique, etc. Un problme majeur dans le dialogue cumnique sur lEglise est celui du ministre. Dans la perspective catholique, il contient deux questions distinctes bien quelles restent intimement lies entre elles : la premire concerne la place du ministre ordonn dans la structure ministrielle de lEglise, avec ses prrogatives spcifiques denseigner, de sanctifier et de gouverner le peuple de Dieu ainsi que son rle dans la prservation de lauthenticit apostolique et de la continuit de lEglise. La seconde concerne le ministre dunit du pape, avec ses prrogatives de juridiction universelle et dinfaillibilit. A comparer la conception spcifique catholique du ministre avec la vision contenue dans les textes du Conseil et de la Foi & Constitution, il faut reconnatre que le chemin vers un accord substantiel entre les diffrentes traditions sur cette question est loin davoir abouti. Malgr ces impasses, il faut reconnatre que la notion de communion a permis de raliser des progrs significatifs dans le dialogue sur lunit ecclsiale et ses formes possibles. Elle a conduit, notamment, le Conseil abandonner progressivement le modle fdratif dunit, dominant pendant les premires dcennies du mouvement cumnique. Les Eglises, aprs avoir grandi ensemble dans lintelligence de ce quest la vraie koinnia la lumire des sources communes de la foi (Bible, Tradition, Liturgie), avouent aujourdhui quelle ne peut tre conue comme une sorte de ligue des Eglises confessionnelles1, fonde sur un contrat conclu entre elles. La koinnia nest pas un effet de la volont commune des chrtiens dtre ensemble mais une consquence de leur

Nous avons utilis parfois dans cette dissrtation ladjectif confessionnel sans ignorer les problmes quil pose aux Eglises. Nous lavons fait par commodit du langage pour exprimer le fait quil existe dans le monde une multitude dEglises chrtiennes de traditions diffrentes, qui possdent leurs propres doctrines de foi et qui se considrent toutes comme de vraies Eglises du Christ.

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participation commune la mme ralit ecclsiale. Grce la notion de koinnia, les Eglises comprennent mieux, aujourdhui, que leur unit visible in Ecclesia ne peut se faire sans une relle communion spirituelle in Christo. Cest cette dernire qui en est la source et le fondement. Ceci leur permet de considrer lunit ecclsiale surtout dans sa dimension surnaturelle comme un don de Dieu lEglise, et daffirmer un certain degr rel et indestructible de la koinnia au-del des divisions actuelles. En mme temps, toutes les traditions reconnaissent aujourdhui que la pleine koinnia nest pas uniquement une communio spiritualis in Christo mais galement une communitas socialis in Ecclesia. Elles affirment que la communion dans la foi, la vie et le tmoignage, qui est implique par le concept mme de koinnia, nest pas possible sans quelques structures de communion permettant aux Eglises la prise de dcisions et laction communes. La communion visible institutionnalise et la communion spirituelle apparaissent ainsi non pas comme deux ralits juxtaposes, mais comme deux dimensions dune seule Eglise qui est indivisible dans son tre de communion. En mme temps, lecclsiologie de communion donne la priorit la dimension spirituelle de lEglise, en lui subordonnant linstitution sociale avec toutes ses structures extrieures. Le dialogue cumnique sur lEglise, comprise comme koinnia, a dmontr que la pleine unit ecclsiale ne pouvait tre que multidimensionnelle et totale, stendant sur tous les aspects de lEglise et se ralisant tous ses niveaux. En mme temps, la perspective communionnelle, dans lecclsiologie, a permis aux Eglises et surtout lEglise catholique de mieux comprendre que lunit ecclsiale ne signifiait pas luniformit ; celle-ci sopposant mme celle-l. LEglise, en tant que koinnia, ne peut tre envisage comme un rassemblement de communauts locales en tout identiques, mais comme une communion de communauts locales unies dans le ncessaire et varies dans le secondaire. Grce la notion de koinnia, on a mieux compris que lunit visible de lEglise ne pouvait pas se raliser par limposition force dun seul modle thologique, liturgique et pastoral de lEglise lensemble de la chrtient. Les Eglises sont devenues plus attentives les unes aux autres et plus sensibles au respect des traditions locales et des particularits qui enrichissent la communion ecclsiale lorsquelles sont assumes dans lunit. La koinnia est unit mais elle nest pas uniformit ! Les recherches bibliques et patristiques ont mis en vidence que leucharistie se trouvait au cur mme de la communion des fidles
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dans lEglise. La perspective de la koinnia a permis ainsi de mettre en valeur la dimension eucharistique de lEglise. On a mieux compris que le partage eucharistique ne pouvait tre isol de la communion des fidles dans la foi, la vie et le tmoignage. Mme sil manque toujours lunanimit entre les Eglises sur les conditions exactes du partage eucharistique et sur ses formes possibles dans la situation cumnique actuelle, toutes estiment que leucharistie est le sacrement qui difie la communaut ecclsiale et constitue son centre vital. Grce la notion de koinnia, on assiste actuellement une incontestable valorisation de leucharistie dans lecclsiologie cumnique, et un rapprochement entre la tradition protestante dun ct et les traditions catholique et orthodoxe de lautre sur la dimension eucharistique de la communion ecclsiale. Pour conclure, il nous semble important dapporter deux observations sur des questions formelles. La premire concerne le caractre spcifique et distinct des instituions prsentes et compares dans cette dissertation. Elle est ncessaire pour bien cerner le statut formel de leurs enseignements respectifs. LEglise catholique romaine est une Eglise de type confessionnel, qui possde une doctrine de foi dfinie. Celle-ci est exprime, pour lessentiel, dans les dogmes et explicite dans les documents des conciles, les encycliques des papes, les catchismes, les canons du droit et dautres publications officielles du Magistre ecclsial. Ces textes sont reprsentatifs de la doctrine de lEglise catholique. Tout diffrent est le statut du Conseil cumnique des Eglises, qui nest pas une Eglise et ne reprsente officiellement aucune de ses Eglises membres. Les documents du Conseil et de la Foi & Constitution contiennent une thologie supraconfessionnelle qui ne sidentifie entirement la doctrine daucune Eglise et ne reprsente aucune tradition de foi particulire. Ce sont des accords cumniques qui expriment des convergences, voire parfois des consensus, entre diffrentes traditions sur certains points de doctrine. Aucune Eglise ne reconnat entirement sa foi dans les dclarations du Conseil, mme si toutes estiment quelles expriment une partie de leur doctrine spcifique. Lorsque nous mettons en dialogue la doctrine de lEglise catholique dun ct et la thologie cumnique du Conseil de lautre, il est important de ne pas oublier cette diffrence. En effet, lorsque lEglise catholique arrive reconnatre, dans une affirmation particulire du
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Conseil sa propre foi, cela ne signifie pas encore quelle est en accord, sur ce point particulier, avec chacune des Eglises reprsentes au sein du Conseil. Analogiquement, le fait que lEglise catholique considre une affirmation particulire du Conseil comme contraire sa foi ne signifie pas encore quelle soit en dsaccord, sur ce point spcifique, avec toutes les Eglises qui appartiennent au Conseil. Cest pourquoi, le dialogue de lEglise catholique avec le Conseil ne peut tre considr comme le dialogue avec une tradition particulire ; il ne peut pas non plus remplacer les dialogues et les accords bilatraux. La seconde observation formelle concerne le statut ecclsiologique de la notion de koinnia. Lorsque nous lappliquons lEglise, il est important de ne pas oublier quil nest pas un synonyme du terme ecclesia. Dans la Bible, il nest jamais utilis comme nom de lEglise, alors que diffrents mots du groupe koinos y sont employs pour dcrire ce quest lEglise dans son tre, sa vie, sa mission et son destin ultime. En mme temps, beaucoup dautres images, termes et expressions sont utiliss par les auteurs de la Bible pour rendre compte de la ralit riche qui se trouve contenue dans lappellation ecclesia et qui demeure pour lesprit humain mme le plus pntrant un mystre ineffable. Lhistoire de lecclsiologie nous montre galement qu travers les sicles lEglise recourait des concepts varis pour se dcrire. Cest ainsi que lEglise, qui est koinnia, est galement peuple de Dieu, corps du Christ, temple de lEsprit, sacrement, societas perfecta, etc. Chacune de ces appellations peut tre utilise comme un paradigme ecclsiologique spcifique, partir duquel il est possible de dvelopper toute une vision systmatique de lEglise. Loption faite pour lune delles dterminera le choix des sujets spcifiques, et surtout la perspective dans laquelle ils seront dvelopps. En mme temps, toutes ces appellations constituent des thmes ecclsiologiques qui se traversent et se recoupent mutuellement, et il est impossible de rdiger un trait decclsiologie complet sur le fondement dune seule dentre elles. Que nous options pour la notion de koinnia ou pour celle de corps du Christ, ou encore pour celle de sacrement comme tant notre paradigme ecclsiologique de base, dautres notions apparatront invitablement dans notre trait. La diffrence consistera dans le poids relatif accord chacune delles. Cest ainsi, par exemple, quil est possible de traiter de la societas perfecta et hierarchica dans la perspective dune ecclsiologie de communion, ou de traiter de la communio spiritualis de lEglise dans la perspective dune ecclsiologie
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de socit. Dans le premier cas, lEglise nous apparatra comme tant, en premier lieu, une communion spirituelle et sa structure sociale comme le cadre institutionnel de celle-l. Dans le second cas, lEglise nous apparatra comme tant, avant tout, une institution sociale de ce monde, hirarchiquement structure, et la communion spirituelle comme une ralit intrieure qui existe grce cette structure. Aucune de ces visions nest fausse en soi, mais chacune delles, prise sparment, propose une vision de lEglise incomplte et appauvrie, car les deux sont complmentaires et doivent tre tenues ensemble dans une ecclsiologie quilibre. Pour cette raison, la notion de koinnia ne doit pas tre absolutise dans lecclsiologie ni valorise au-del de ses capacits effectives pour dcrire lEglise dans sa nature et son but, ou pour constituer la base dune vision commune de lunit visible. Pour trouver des solutions aux impasses de lecclsiologie cumnique actuelle, il nous semble ncessaire, prsent, de mettre en dialogue divers concepts, visions et modles ecclsiologiques, dont certains nous viennent de la Bible et de la Tradition commune, alors que dautres se sont dveloppes au cours des sicles dans chacune des Eglises, et que dautres encore ont t proposes rcemment par le mouvement cumnique. A notre avis, le chemin vers une vision commune de lEglise lge de lcumnisme passe par une intgration harmonise de ces divers modles, dans une ecclsiologie multiconceptuelle et multidimensionnelle. Sans doute, lapport de la thologie et du dialogue doctrinal entre les Eglises pour la cause de lunit des chrtiens est important et les efforts communs dans ce domaine doivent tre poursuivis avec persvrance. Cependant, il faut surtout que chaque Eglise et chaque chrtien thologien ou non reconnaisse humblement que ce ne sont pas les hommes ni les institutions qui vont rparer la communion brise par le pch, mais le Seigneur lui-mme, en rponse leur humble prire, et m par leur effort commun de conversion continuelle.

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BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE Les documents des papes, des conciles, des congrgations romaines, etc. cits dans cette bibliographie et qui ne sont pas accompagns dune rfrence, sont publis sur le site officiel du Saint Sige : http://www.vatican.va, 13. 06. 2004.

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