LE PROGRAMME VILLES SANS BIDONVILLES
DANS LAGGLOMERATION DE RABAT-SALE
ETUDE DE CAS SUR UNE ERADICATION DES BIDONVILLES AU PAS DE
COURSE AU MAROC
Rapport final
Mission encadre par Urbanistes du Monde
Et soutenue par lAssociation Internationale des Maires Francophones
Une tude ralise par :
Roxane FOROUGHMAND, Institut de Gographie de La Sorbonne, Paris 1
Guillaume FOURNIER, Ecole urbaine de Sciences Po
Rfrentes : Hind KHEDIRA & Sanae ALJEM
Forum 2017 : Nouvelles approches par le financement des villes du Sud
1
Rapport consultable en ligne : www.urbanistesdumonde.com
Disponible en tlchargement pour les adhrents dUrbanistes du Monde.
Ralis la suite dune mission encadre par lassociation Urbanistes du Monde, ce rapport de recherche sinscrit dans la prparation dun
forum international sur les nouvelles pratiques de financement des projets urbains dans les villes du Sud. Dans un contexte de croissance
urbaine rapide, de globalisation et de financiarisation de lconomie tout autant dautonomisation croissante des villes, analyser les
dispositifs et outils de financements innovants et leurs impacts socio-spatiaux et de gouvernance constitue lobjectif central de ce projet. 11
villes sont tudies dans ce cadre.
Ce document danalyse, dopinion et/ou dtude nengage que ses auteurs et ne reprsente pas ncessairement la position dUrbanistes du
Monde et de ses partenaires. Il ne reflte pas non plus ncessairement les opinions dun organisme quelconque, y compris celui de
gouvernements ou dadministrations pouvant tre concerns par ces informations. Lexhaustivit et lexactitude des informations
mentionnes ne peuvent tre garanties. Sauf mention contraire, les projections ou autres informations ne sont valables qu la date de
publication du document.
Lobjet de la diffusion de ce document est de stimuler le dbat et de contribuer la constitution dune base de donnes sur les grandes tendances
luvre dans les politiques territoriales et urbaines des villes du Sud.
Les droits relatifs ce document appartiennent lassociation Urbanistes du Monde. Toute autre utilisation, diffusion, citation ou
reproduction en totalit ou en partie ne peut se faire sans la permission expresse du ou des rdacteur(s). Son stockage dans une base de
donnes autre que celle dUrbanistes du Monde est interdit.
URBANISTES DU MONDE, Roxane Foroughmand et Guillaume Fournier, 2017.
2
Rsum
Lanc en 2004, le programme Villes Sans Bidonvilles vise la rsorption de cette forme
dhabitat insalubre sur lensemble du territoire Marocain. Contrairement aux approches menes
jusqualors, le programme se veut plus social et intgr. Il se focalise sur trois mcanismes innovants :
la coordination entre les diffrents acteurs, laccompagnement social et la participation financire des
bidonvillois. Toutefois, le programme rpond plus une course lradication de toutes les baraques
plutt qu une ambition de rsoudre un problme social sous-jacent. Non adapt aux ralits sociales,
politiques, financires et foncires, le programme Villes Sans Bidonvilles conduit progressivement la
cration despaces de relgation sociale o sont dplacs les bidonvillois.
Mots-cls : Programme Villes Sans Bidonvilles , Maroc, Gouvernance, Accompagnement Social,
Habitats Insalubres.
Abstract
The Cities Without Slums program, launched in 2004, seeks to put an end to this form of
unhealthy housing. Contrary to previous approaches, the program is more social and integrated. It
focuses on three innovative mechanisms: the coordination of the actors, the social support, and the
financial participation of the inhabitants. However, the program is more a race to eradicate all the
barracks rather than an ambition to solve an underlying social problem. The Cities Without Slums
program, which is not adapted to social, political, financial, or land-related realities, is gradually
leading to the creation of social relegation areas where the inhabitants are displaced.
Keywords: City Without Slums Program, Morocco, Governance, Social Support, Unhealthy
Housing.
3
Table des matires
I. Le programme Villes Sans Bidonvilles : une nouvelle approche dans la rsorption des
bidonvilles au Maroc. Lexemple de lagglomration de Rabat-Sal .................................. 7
1. Historique de la formation des bidonvilles au Maroc..................................................... 7
a. La formation des bidonvilles dans lagglomration de Rabat-Sal ............................. 7
b. Lvolution des intervention publiques en matire de rsorption des bidonvilles ... 8
2. Le Programme Villes Sans Bidonvilles , une politique de rsorption rigidifie qui
tient sur trois piliers ............................................................................................................... 9
a. Le premier pilier du PVSB : la coordination entre les acteurs .................................... 9
b. Le deuxime pilier du PVSB : laccompagnement social des bidonvillois ........... 11
c. Le troisime pilier du PVSB : la volont de responsabiliser financirement les
bidonvillois ....................................................................................................................... 12
3. Lexemple de lagglomration de Rabat-Sal : une tude de cas du Programme Villes
Sans Bidonvilles ................................................................................................................ 15
a. O en est la situation des bidonvillois dans lagglomration de Rabat Sal ? .......... 15
b. Les diffrentes dmarches de rsorption des bidonvilles Rabat et Sal depuis le
lancement du PVSB en 2004 ............................................................................................ 17
II. Des bidonvilles aux villes bidons : les raisons de lchec du programme Villes Sans
Bidonvilles ............................................................................................................................... 21
1. Les lacunes dans la mise en uvre du programme Villes Sans Bidonvilles ........... 21
a. La centralit dans le systme politique facteur de blocages dans la mise en uvre du
PVSB ................................................................................................................................ 21
b. Un impact social ngatif ........................................................................................ 22
c. Linadquation des modes de financement aux mnages bidonvillois ...................... 23
2. Des bidonvilles la ville bidon ............................................................................... 24
a. Les oprations de rsorption Sal ........................................................................... 25
b. Les oprations de rsorption Rabat : du bidonville la ville bidon .............. 25
Propos conclusifs ................................................................................................................. 28
Bibliographie ........................................................................................................................ 30
4
2015 2016
Figure 1 : La rsorption du bidonville Douar El Kora : un projet
phare du PVSB Rabat inaugur par le roi en 2002
Le 12 Octobre 1999, alors quil nest au pouvoir que depuis un an, Mohammed VI prononce un
discours Casablanca au cours duquel il voque une nouvelle priorit pour lautorit : mobiliser tous
les moyens pour intgrer les couches dfavorises au sein de la socit et assurer leur dignit .
Lintronisation du nouveau roi constitue ainsi le point de dpart de discussions et dbats sur la pauvret
et lamnagement du territoire, soit sur deux enjeux majeurs la fois pour le dveloppement interne du
pays et pour son rayonnement linternational.
En 2001, 1/5 de la population vivait dans de lhabitat insalubre, autrement dit un marocain sur
cinq vivait dans un quartier informel sous-quip et faiblement intgr au reste du tissu urbain (Le
Tellier, 2008)1. Lhabitat insalubre prend diffrentes formes allant du bidonville lhabitat clandestin
en dur (aussi appel habitat non rglementaire) en passant par la mdina (nouvelle ou ancienne), le douar
et la poche dinsalubrit dissmine. La forme la plus visible reste le bidonville qui rsulte dune
occupation de fait, illgale, du sol et qui se manifeste par la multiplication de logements spontans
que lon peut appeler baraques 2.
Trois raisons principales ont conduit le gouvernement soccuper en priorit de la rsorption
des bidonvilles. La premire est lie au fait que cette forme dhabitat insalubre, avec lhabitat clandestin
en dur, est la plus rpandue sur le territoire marocain. La deuxime raison concerne le contexte mondial :
UN-Habitat et les Objectifs du Millnaire dicts au tournant du XXIe sicle font du logement des
personnes pauvres une proccupation majeure. La dernire raison est celle qui a contribue
lacclration de la mise en place dune politique de rsorption des bidonvilles : linscurit minente
que reprsente ce type dhabitat. En 2003 les attentats de Casablanca commis par des terroristes qui
sortaient des bidonvilles ont constitu llment dclencheur de la mise en place du Programme Villes
sans Bidonvilles (PVSB).
1
Le Tellier, Julien. la marge des marges urbaines : les derniers bidonvilles de Tanger (Maroc). Logique gestionnaire
et fonctionnement des bidonvilles travers les actions de rsorption , Autrepart, vol. 45, no. 1, 2008, pp. 157-171.
2
Dfinition de Bidonville de la revue en ligne Goconfluences : http://geoconfluences.ens-
lyon.fr/glossaire/bidonville [page consulte le 25/07/17].
5
Ce programme a t lanc en 2004 par le Ministre de lHabitat et de lUrbanisme (MHU) dans
loptique dradiquer lensemble des bidonvilles du Maroc et damliorer les conditions de vie des
bidonvillois en leur permettant laccs au logement dcent. Ce dernier sest annonc innovant travers
les diffrentes mesures qui le constituent : la volont dune bonne gouvernance qui se manifeste par
des contrats-villes scellant une coordination entre les acteurs, le dsir daccompagner les bidonvillois
dans leur transfert grce lexprimentation de la matrise douvrage social , et la cration de crdits
logements comme le Fogarim (Fonds de garantie pour laccession au logement des populations revenus
irrguliers et modestes) subventionn par ltat ou comme le microcrdit issu dorganismes privs.
travers la mise en uvre de tous ces dispositifs le Programme Villes Sans Bidonvilles saffiche
comme une politique ambitieuse voulant combler les lacunes des prcdentes qui ont chou dans
lradication des bidonvilles. Ce programme a suscit de lengouement grce aux chiffres de ses
rsultats : depuis son lancement 56 villes ont t dclares sans bidonvilles sur les 85 concernes par
le projet. Mais une ralit en cache une autre. Si les villes de taille moyenne russissent rsorber les
baraques de leur territoire, les grandes villes peinent atteindre leurs objectifs en la matire, en raison
de la taille et du nombre de bidonvilles quelles englobent.
Aussi innovant et encourageant soit-il dans le contexte politique marocain, le PVSB comporte
de nombreuses failles. Treize annes se sont coules depuis sa mise en place et il nest toujours pas
arriv son terme alors quil avait, lorigine, 2010 comme date butoir. Le court terme dans lequel
sinscrit ce programme ne serait-il pas plus le reflet dune course lradication des bidonvilles plutt
que celui dune relle volont du gouvernement redessiner le paysage urbain pour rintgrer des
populations en marge ?
Afin de rpondre cette question, nous avons choisi de centrer notre tude sur lagglomration
de Rabat-Sal. Ce nest pas un hasard si notre intrt sest port sur la capitale et sur ce que lon
surnomme sa ville dortoir . Ces dernires font partie dun ensemble de 18 villes qui concentrent plus
de 82 % des mnages bidonvillois, cet ensemble est souvent localis dans ce quon appelle le triangle
atlantique Casa-Fs-Tanger o lon retrouve de grands bidonvilles (Royaume du Maroc, 2004)3.
Notre raisonnement sest construit autour de deux types de mthodes. La premire est lenqute
quantitative que nous avons pu laborer grce aux donnes du Ministre de lHabitat et de lUrbanisme
(MHU), mais aussi grce aux tudes de certains chercheurs. La deuxime est lenqute qualitative qui
nous a conduit raliser huit entretiens. Parmi ces derniers deux ont t mens avec des acteurs sociaux
(Agence de Dveloppement Social et Lacivac4), deux avec des acteurs institutionnels (lInspection
Rgionale (de lHabitat ?) de Rabat-Sal-Zemmour-Zar et la Direction Gnrale du Ministre de
lHabitat et de lUrbanisme (MHU)) et quatre avec des chercheurs ayant travaill sur le sujet. Aux
entretiens sajoutent lobservation directe matrialise par les photos prsentes dans le rapport ainsi que
les lectures des nombreux documents officiels, acadmiques et journalistiques portant sur lobjet de
notre tude.
La premire partie de cet article introduit le PVSB en exposant le contexte de son lancement,
les mesures qui le constituent et ses avances dans lagglomration de Rabat-Sal. La seconde analyse
en dtail les rsultats du programme et met en avant les raisons du retard de son excution, voire son
chec.
3
Un bidonville est considr comme grand lorsquil dpasse les 500 mnages selon le Ministre de lHabitat et de
lUrbanisme (MHU).
4
Lacivac est une filiale de la Cour de la Caisse de Dpt et de Gestion (CDG) et constitue un organisme priv qui agit
dans la rsorption des bidonvilles avec pour fonction laccompagnement social.
6
I. Le programme Villes Sans Bidonvilles : une nouvelle approche dans
la rsorption des bidonvilles au Maroc. Lexemple de
lagglomration de Rabat-Sal
1. Historique de la formation des bidonvilles au Maroc
Le terme bidonville apparat pour la premire fois dans les annes 1930 Casablanca.
Premire consquence de lexode rural au Maroc, le dveloppement de ces structures prcaires va tre
encourag par les politiques de sgrgations sociales et ethniques impulses lors du Protectorat franais.
Cest la suite de la Seconde Guerre mondiale que le processus connat une expansion sans prcdent,
notamment dans les plus grandes agglomrations. Lexode rural est en effet de plus en plus prgnant.
Lurbanisation, qui ne dpassait pas les 29% en 1960, frle les 45% en 1980.
Cet lan dmographique dans les villes marocaines a chapp au contrle du gouvernement qui n'a pas
su trouver les moyens pour enrayer ce phnomne d'urbanisation. Par consquent, la misre rurale na
cess de sexporter dans les villes, o l'habitat insalubre a prolifr sous la forme de bidonvilles puis
d'habitats clandestins en dur.
a. La formation des bidonvilles dans lagglomration de Rabat-Sal
Fortement touche par les phnomnes de pauvret urbaine, lagglomration de Rabat concentre
une population bidonvilloise trs importante. Loin derrire Casablanca, laire urbaine de la capitale
concentre le deuxime plus grand nombre de baraques du Maroc. Pour bien comprendre la prolifration
des bidonvilles dans lagglomration, nous avons dcid de nous focaliser sur Rabat et Sal. Initialement
assez proches, les deux villes ont connu un destin diffrent la suite des crises du dbut du XXme
sicle et de linstauration du Protectorat. La dcision de faire de Rabat la capitale du Maroc la place
de Fs en 1912 na fait que confirmer cette diffrenciation. Alors que Rabat va se dvelopper, Sal va
devenir un lieu de relgation sociale.
Privilgie par les europens, la capitale devient un centre administratif important, ce qui va modifier
grandement la physionomie de la ville. Ainsi, celle-ci connat une forte immigration en provenance du
Vieux Continent ds 1912. Les premiers plans durbanisme prvoient un dveloppement de la capitale
au Sud, lOuest et au Sud-Est sans prendre en compte laccroissement naturel de la population
marocaine et lexode rural.
Dans les annes 1920, la croissance urbaine et dmographique de Rabat est fulgurante. Les diffrentes
lacunes des plans durbanisme engendrent une dissmination non matrise de lespace urbain. Les
locaux venus des campagnes vont sinstaller dans la mdina ou mme pour certains dans les deux cits
destines leur accueil : les cits Habbous et Akkari. Rapidement, ces espaces sont saturs et des zones
dhabitat prcaires vont se dvelopper autour de la mdina, des axes de communications majeurs ou
encore non loin des zones industrielles.
Face la croissance de ce type dhabitat, les premires ractions des pouvoirs publics vont tre de
regrouper les populations dans des trames sanitaires , ayant pour but de relier progressivement les
quartiers aux rseaux publics. Le recours ce type de politique va saccentuer dans les annes 1930 et
va tre lorigine de la formation de certains des bidonvilles les plus connus de la capitale, comme le
Douar Al Kora ou le Douar Doum. Les migrations urbaines saccentuant les annes suivantes, la
situation ne tend pas samliorer. Les bidonvilles dj prsents se densifient pendant que dautres
voient le jour.
7
Figure 1 : "Le Douar Dbagh au premier plan gauche, les trames sanitaires de la Cit satellite de Yacob El
Mansour et, au fond, le quartier des Noual et le minaret de la cit Habous ( droite) en 1953 (Rabat)" 5
Cette explosion dmographique va bien entendu toucher les villes proximit de Rabat comme Tmara
et Sal. Le dcoupage urbain de cette dernire a accentu la prolifration de bidonvilles comme celui de
Tabriquet, et de faire de la ville un rceptacle de la misre urbaine.
b. Lvolution des intervention publiques en matire de rsorption des bidonvilles
Face au problme pos par les bidonvilles, les pouvoirs publics adoptent jusque dans les annes
1940 une politique de rejet marqu par la sgrgation ethnique et sociale des populations bidonvilloises.
Jugs impropres au mode de vie urbain, on cherchait dplacer au maximum ces espaces prcaires la
marge.
A partir des annes 1940 et jusque dans les annes 1970, cest une approche plus sociale qui prvaut
avec la volont de construire un maximum de logements dans le but de loger le plus grand nombre
(Essahel, 2011)6. Cette approche rpond une logique de prvention lhabitat insalubre qui simpose
progressivement dans le contexte marocain. Cette vision se prolonge aprs lIndpendance, mais les
investissements et les rsultats sont contrasts. En ralit, cette priode est marque par des oprations
desthtique urbaine, o les bidonvilles sont dissimuls derrire des murs de la honte . A partir des
annes 1970, face linadquation des rponses proposes aux bidonvillois, les autorits dcident de
changer de paradigme dintervention. En se calquant sur les orientations fixes par les bailleurs de fonds,
le Royaume exprimente la restructuration in situ. Ce mode dintervention consiste rgulariser les
terrains occups par les bidonvillois, les raccorder aux rseaux publics existants mais aussi dy installer
des quipements publics comme des coles ou encore des maisons de sant. Toutefois, ces oprations
restent de faible ampleur et sont critiques, car, pour beaucoup, elles favorisent la bidonvillisation en
dur.
5
Essahel Habiba, Politique de rhabilitation des quartiers non rglementaires au Maroc et mobilisations des
habitants. Etudes de cas dans lagglomration de Rabat (Rabat, Tmara, Skhirat) P.55, 2011
6
Ibid.
8
La dcennie 1980 marque une reprise significative de la politique de rsorption des bidonvilles (Le
Tellier, 2008)7. Le contexte des meutes dans les banlieues franaises et marocaines (Casablanca en
1981) incite les pouvoirs publics investir dans une politique de recasement, pour des raisons
scuritaires. Ce mode dintervention consiste pour lEtat fournir une aide pour lachat de lots de
terrains viabiliss, sur lesquels sera autorise lauto-construction encadre et progressive de logements.
Si les rsultats commencent se faire sentir, le taux daccroissement des bidonvilles continue toutefois
dexploser et les politiques de recasement montrent des limites dadaptation aux populations
bidonvilloises. La situation ne samliore pas dans les annes 1990 avec un taux daccroissement des
bidonvilles dans les grandes villes de lordre de 5,6%.
Les checs successifs des approches dveloppes jusque dans les annes 1990 ont amen le
gouvernement repenser une politique de rsorption prenant en compte les enjeux sociaux, sanitaires et
scuritaires qui gravitent autour des bidonvilles. Cest ainsi quest n le Programme Villes Sans
Bidonvilles, une politique de rsorption rigidifie.
2. Le Programme Villes Sans Bidonvilles , une politique de rsorption rigidifie qui
tient sur trois piliers
Afin dlaborer une nouvelle politique de rsorption des bidonvilles il a fallu reprer les failles des
prcdentes. Tout dabord, les bidonvillois taient peu accompagns financirement dans leur transfert
et les lieux dans lesquels ils taient recass ou relogs ntaient ni viabiliss ni quips, cest partir de
cela que sont nes de nombreuses drives. Lquation tait simple : une baraque = un lot de terrain .
Cependant un grand nombre de bidonvillois navaient pas assez dargent pour lachat dun lot : certains
vendaient leur lot pour aller vivre dans des quartiers clandestins en dur, voire pour retourner dans un
bidonville et dautres spculaient sur leur baraque, ne la dtruisant pas aprs leur dpart mais la
revendant une autre famille qui pourrait ainsi bnficier son tour dun lot.
Pour mettre fin ces drives, il est dcid que le Programme Villes Sans Bidonvilles rigidifie
ces procdures : les bnficiaires dun lot doivent le payer avant de construire dessus, les mnages
doivent obligatoirement dtruire leur baraque avant de pouvoir btir sur la parcelle attribue, les
nouvelles habitations doivent tre bties selon les rgles durbanisme (Le Tellier et Gurin, 2009).
Lensemble de ces mesures rigoureuses cotent cher aux bidonvillois qui doivent financer le loyer dun
logement transitoire aprs la destruction de leur baraque, lachat du lot et la construction de leur
nouveau logement. Cest dans ce contexte que le programme tente daccompagner socialement et
financirement les bidonvillois tout en encadrant davantage les oprations en faisant appel des acteurs
qui travaillent en synergie.
a. Le premier pilier du PVSB : la coordination entre les acteurs
Un membre de lAgence de Dveloppement Social (ADS) nous a confi que la force dun bon
programme de rsorption de bidonvilles se rsume en une formule en trois temps : gouvernance,
convergence, ciblage . Comme des musiciens au sein dun orchestre, lefficacit des diffrents
acteurs trouve sa source dans lharmonie de leur coordination. Des outils de contractualisation sont mis
en place afin de rpartir les rles de chacun. Il est possible de catgorifier quatre types dacteurs : les
acteurs institutionnels, sociaux, financiers, et les acteurs de ralisations urbaines.
7
Le Tellier Julien, A la marge des marges urbaines : les derniers bidonvilles de Tanger (Maroc), 2008
9
Figure 2: La coordination des acteurs au coeur du PVSB au Maroc
Le schma qui prcde tmoigne de linscription de la dmarche du Programme Villes Sans
Bidonvilles dans le cadre dune politique conventionnelle privilgiant une approche de proximit en
dveloppant une synergie des acteurs privs, publics et associatifs concerns. Des contrats villes sans
bidonvilles sont tablis de manire consensuelle entre ltat et des partenaires publics-privs.
Daprs lun de nos interviews travaillant pour la Direction Gnrale du Ministre de lHabitat et de
lUrbanisme, les diffrents acteurs interviennent sparment au cours de trois stades :
Le stade de la programmation de rsorption du bidonville au cours duquel le Ministre de
lHabitat et de lUrbanisme (MHU), supervis par le Ministre des Finances et de la
Privatisation (MPF), choisit le mode dintervention (restructuration, relogement, recasement 8)
en fonction de la nature et des caractristiques des sites concerns et constitue une assiette
financire afin de mobiliser les fonds ncessaires lopration. Les fonds publics disponibles
pour le financement du PVSB sont : la Fondation Mohammed V, le Fond Hassan II, le Fond de
Solidarit Habitat (FSH) financ par une taxe sur le ciment et le budget gnral de ltat.
Le stade dexcution durant lequel le Ministre de lIntrieur et lensemble de ses reprsentants
rgionaux (Wali), provinciaux (Gouverneur) et locaux (Cad, Pacha et Moqqadem) ont pour
mission de grer la population (recensement, attribution, transfert et dmolition) mais surtout
8
La restructuration est une opration qui consiste viabiliser, quiper et reconstruire les bidonvilles in situ ; le
relogement conduit les populations tre transfres dans des logements sociaux (dont la superficie est infrieure 60
m) in situ ou ex nihilo ; le recasement permet aux ex-bidonvillois daccder la proprit dun lot dhabitat social (entre
64 et 80 m).
10
dassurer le pilotage et le suivi de lopration en se runissant en comit. Trois comits ont t
mis en place pour grer les diffrentes oprations de rsorption plusieurs chelles : le Comit
National de Suivi (CCS) qui supervise et value la mise en uvre du PVSB, le Comit Rgional
de Coordination (CRC) qui fait le point priodiquement sur ltat des avances sociales,
physiques et financires du programme et le Comit Provincial dIdentification et de Mise en
uvre (CPIMO) qui entreprend des visites de chantier pour sassurer de la bonne excution des
projets. Cependant lefficacit de ces trois comits est questionnable : des doutes existent
quant leurs relles capacits se coordonner, ce que chacun nempite pas sur les missions
des autres (Essahel, 2013 : 163).
Avant que ne dbute le stade dexcution, une convention est signe avec un oprateur public
qui prendra le rle de matre douvrage des oprations de relogement ou de recasement. Le
Holding damnagement Al Omrane est depuis 2004 le principal oprateur public de
lhabitat. Ce dernier assure la responsabilit technico-financire et sociale des oprations qui lui
sont confies.
Le stade de construction des quipements prend place lorsque les populations sont reloges
ou recases. La construction de logements est confie au secteur priv par appel manifestation
dintrt (AMI). Le recours des institutions financires comme la Caisse de Dpt et de
Gestion (CDG) et ses filiales privs (Dyar El Mansour, etc.) permet ltat davoir plus de
ressources financires pour multiplier loffre de logements. Interviennent ensuite les
gestionnaires de rseaux qui ont pour fonction dquiper les quartiers. Il est important de
mentionner quavant ces organismes sous tutelles bnficiaient de subventions pour raliser les
rseaux mais quaujourdhui ce sont eux qui doivent financer lensemble des travaux en
rcuprant les cots travers la facturation des services aux abonns (Iraki, 2009).
Les bidonvillois, lors de leur transfert, doivent donc faire face un nouveau mode de vie qui inclut de
nouvelles charges payer (lectricit, eau, etc.). Si le Programme Villes Sans Bidonvilles agit sur
loffre en faisant appel des partenaires privs, il tente de sadapter la demande des populations cibles
en dveloppant des outils innovants tels que laccompagnement social et les crdits logement.
b. Le deuxime pilier du PVSB : laccompagnement social des bidonvillois
Dans le cadre du Programme Villes Sans Bidonvilles les oprateurs publics placs sous la
tutelle du Ministre marocain de lHabitat assurent la matrise douvrage des oprations de relogement
et de recasement mais, nayant pas ou peu de comptences dans laccompagnement social, ils peuvent
dlguer cette fonction des oprateurs sociaux. Ce second pilier du PVSB est invitable pour mener
un projet de rsorption bien. Un membre de lADS nous a expliqu que derrire la destruction dune
baraque il y a la destruction dune dynamique sociale, culturelle, conomique et politique : seuls les
oprateurs sociaux peuvent accompagner les populations dans ce transfert et dans ce nouveau mode de
vie qui les attend .
Ceux qui agissent sur le plan social sont lAgence de Dveloppement Social (ADS) qui est un
tablissement public dot dune grande autonomie financire, les ONG, les associations et les bureaux
dtudes. Officiellement, leurs missions consistent cibler les populations en question via des enqutes
socio-dmographiques, les informer des avances dun projet, les associer aux prises de dcision, les
assister dans toutes les tapes de transfert : dmarches administratives et responsabilisation conomique.
Gnralement les acteurs sociaux sont sur le terrain et entrent en contact avec les bidonvillois travers
la mise en place de guichet unique, ou en se rendant directement chez lhabitant. Ils reprsentent, en
quelque sorte, un intermdiaire entre les habitants et les oprateurs techniques. En ralit, on attend des
11
oprateurs sociaux quils convainquent les bidonvillois de dmolir leur baraque plutt quils ne les
aident sadapter un nouveau train de vie.
Aujourdhui laccompagnement social peut tre considr comme lenfant oubli du Programme
Villes Sans Bidonvilles . Sur le papier il est recommand, mais na jamais t obligatoire. Le peu de
financement mais aussi la faible libert daction ont conduit des oprateurs tels que lADS et les ONG
se mettre lcart (El Jarmouni, 2008 ; Le Tellier et Gurin, 2009). Laccompagnement social devient
donc de plus en plus privatis : les oprateurs publics font appel des organismes privs tel que Lacivac
qui est une filiale de la CDG dveloppe spcialement pour la matrise douvrage sociale. Un membre
de Lacivac nous a confi : Pour rsorber un bidonville nous navons pas besoin dune ONG ou de
psychologues mais nous avons besoin dtre efficaces. Les bidonvillois veulent du concret, ils veulent
du boulot, de quoi gagner leur vie. Nous agissons alors sur trois stades au cours dune opration de
rsorption : le stade pr-oprationnel o nous proposons une tude de faisabilit au matre douvrage
aprs une enqute socio-dmographique ; le stade oprationnel o lon assure le suivi des mnages, la
dmolition de leurs baraques et leur transfert ; le stade post-oprationnel o, une fois que les personnes
sont loges, nous faisons en sorte de valoriser le site daccueil en crant des associations.
Figure 3 : Distribution de sac dos aux enfants du bidonville Douar El Kora Rabat par les membres de
Lacivac
Les oprations sociales, comme lillustre par exemple la distribution de sacs dos aux enfants de Douar
El Kora avant la rentre scolaire (Cf. Figure 3), sont encore trs faibles. Le rle de laccompagnement
social reste, avant tout, conomique dans la mesure o son but est de faciliter le recouvrement des
contributions financires des mnages, notamment grce lexposition du recours aux crdits logement.
c. Le troisime pilier du PVSB : la volont de responsabiliser financirement les bidonvillois
Le cot global du Programme Villes Sans Bidonvilles slve 25 milliards de Dirhams
financ 40 % par les subventions (essentiellement le FSH) et les aides internationales, 30 % par les
mnages et 30 % par la prquation (ONU-Habitat, 2011). Comme nonc plus haut, la rigidification
12
des rgles du PVSB a pour consquence les sommes importantes que doivent dbourser les bidonvillois.
Entre le paiement de leur lot rendu obligatoire avant toute construction et leur investissement dans un
logement transitoire en attendant que leur nouvelle habitation soit finance et construite, ils doivent
trouver une aide financire. Le cot support par les bidonvillois nest pas le mme selon le mode
dintervention (restructuration, recasement ou relogement). En moyenne une maison btie cote entre
60 000 et 150 000 Dh selon les oprations.
Restructuration Recasement Relogement
In situ (sur le lieu de rsorption) In situ (sur le lieu de In situ (sur le lieu de
Type rsorption) ou Ex nihilo rsorption) ou Ex nihilo
dopration (transfert des mnages sur (transfert des mnages sur
un autre site) un autre site)
- Doter les bidonvilles en quipements - Valoriser les lots en auto- - Dlguer la construction
dinfrastructures ncessaires construction assiste. des immeubles de
(assainissement, voirie, eau potable, relogement un oprateur.
lectrification) pour les intgrer au tissu - quiper les nouveaux
Descriptions de urbain. quartiers en voirie, - Mettre en place, dans un
lopration clairage public et station second temps, les
- Rgulariser leur situation urbanistique dpuration. quipements publics du
et foncire. nouveau complexe
dhabitation.
Cot initial (sans 30 000 Dh/baraque 50 000 Dh pour les lots 120 000 Dh/appartement
subvention de mono-familiaux et 60 000
ltat) Dh pour les lots bi-
familiaux.
Aide au 15 000 Dh/baraque qui ne finance que 25 000 Dh pour les lots 40 000 Dh/appartement
financement des les quipements en voirie et en mono-familiaux et 20 000
mnages (Fonds assainissement. Dh pour les lots bi-
de Solidarit familiaux.
pour lHabitat
(FSH))
Source : chiffres de lONU-Habitat, 2011. Ralisation : R. Foroughmand et G. Fournier
Figure 4 : Les diffrents financements des bidonvillois en fonction des diffrentes oprations de rsorption de bidonvilles
13
Pour financer leur nouvelle habitation les bidonvillois peuvent faire appel trois principaux types de
financement selon leur solvabilit9 :
Lpargne logement est destine aux familles peu solvables, c'est--dire aux mnages qui nont
pas la possibilit davoir un prt hypothcaire. Ce mcanisme permet aux populations cibles
dpargner auprs des banques pendant quelques annes afin de pouvoir accder, terme, un
crdit hypothcaire. Toutefois il est difficile pour ces catgories de population dpargner car
leurs ressources disponibles sont faibles.
Les fonds de garantie hypothcaire comme le Fogaloge-Public qui est un fonds rserv aux
fonctionnaires dont le revenu ne dpasse pas 72 000 Dh par an et qui veulent acqurir un
logement dont le prix ne dpasse pas 350 000 Dh (Essahel, : 160). Le Fogarim, quant lui,
est un fonds ddi aux personnes revenus irrguliers et modestes . Les banques
commerciales, essentiellement la Banque Centrale Populaire (BCP) et le Crdit Immobilier et
Htelier (CIH), ont t invits tendre le crdit hypothcaire cette nouvelle clientle. La
garantie assure par ltat en cas de non remboursement par les bnficiaires, couvre 70 % des
prts plafonns 200 000 Dh, avec des mensualits de 1 500 Dh maximum et une dure de
remboursement pouvant atteindre 25 ans. Mais plusieurs interrogations se posent autour du
Fogarim : les banques commerciales marocaines sont-elles prtes saventurer dans un march
encore jeune auquel sajoutent des risques coteux ? Comment familiariser ce type doutil une
population qui a longtemps t exclue dun monde de banquiers ?
Le microcrdit permet aux bidonvillois demprunter 50 000 Dh maximum auprs dorganismes
privs. Cependant, comme lillustre le tableau au-dessus, dans le cas dun relogement les
populations ne peuvent pas se satisfaire dune si petite somme. Nanmoins, pour les familles
solvables, le recours au microcrdit peut tre dterminant car, couvrant entre un ou deux tiers
du cot global de laccession la proprit, il emporte ladhsion au projet de relogement ou de
recasement. Contrairement au Fogarim, la dure de remboursement du microcrdit est comprise
entre 2 et 10 ans, ce qui engendre de lendettement (mme si les mensualits de remboursement
sont estimes entre 300 Dh et 700 Dh).
9
La solvabilit est la capacit autofinancer une partie de la construction, dassurer les charges mensuelles de
remboursement (et donc davoir un revenu rgulier) et/ou demprunter des conditions avantageuses auprs dun rseau
social. Les facteurs de solvabilit sont gnralement les revenus et la solidarit familiale.
14
3. Lexemple de lagglomration de Rabat-Sal : une tude de cas du Programme Villes
Sans Bidonvilles
Figure 5 : Le Bouregreg, cordon ombilical qui relie Rabat Sal
Rabat ne peut tre tudie sans Sal, et inversement. Surs rivales mais complices, les deux
villes sont relies par un cordon ombilical quest le Bouregreg10 et forment ainsi une agglomration
comprenant environ 1 900 000 habitants. Rivales, elles nont pas le mme niveau de dveloppement :
Rabat, ville lumire est la capitale administrative du royaume, tandis que Sal, ville dortoir , dont
la population excde celle de Rabat, abrite une main duvre de salaris. Complices, elles le sont grce
aux mouvements pendulaires des travailleurs sur leur sol. Depuis 2011 les habitants de lagglomration
disposent de deux lignes de tramway reliant les deux villes. Chaque jour, 650 000 personnes franchissent
la valle du Bouregreg (AFD, 2012)11.
a. O en est la situation des bidonvillois dans lagglomration de Rabat Sal ?
Les deux villes ont une typologie dhabitats similaires : les zones dhabitat clandestin, les
quartiers de recasement, les zones dhabitat de standing (villas et immeubles) et les bidonvilles se
dessinent au cur de lagglomration de Rabat-Sal.
Les bidonvilles constituent la forme la plus visible dhabitat insalubre, dautant plus quils sont
majoritairement situs au bord de la cte atlantique, comme le montre le croquis ci-dessous. Un habitant
de Rabat nous confiait : la mer a longtemps t considre comme rpulsive aux yeux des marocains,
parce quelle tait synonyme dinvasions. Les bidonvilles se sont multiplis sur la cte atlantique,
personne dautre ne voulait y habiter. Aujourdhui ils dtruisent tous les bidonvilles pour faire du
littoral un lieu attractif pour le tourisme, et a cest grce laide des miratis qui sont les premiers
investisseurs ! Pollution visuelle et obstacles au dveloppement de zones touristiques stratgiques, les
10
Le Bouregreg est le fleuve qui traverse Rabat et Sal, prenant sa source dans le Moyen Atlas.
11
http://carte.afd.fr/afd/fr/projet/tramway-de-rabat-sale
15
bidonvilles situs sur le littoral proccupent le gouvernement marocain qui fait de leur rsorption une
priorit.
tat des lieux des bidonvilles au sein de lagglomration de Rabat-Sal depuis le lancement du
PVSB
Aujourdhui les bidonvilles varient de 0 22 ha dans lagglomration de Rabat-Sal. La plupart ont un
nom comprenant le mot Douar qui, en Afrique du Nord, dsigne un campement nomade. Ils se sont
forms par une occupation illgale dun terrain dont le statut juridique peut varier du public12 au priv.
Les bidonvilles sont implants en couronne autour de lespace urbanis. Certains sont intgrs au tissu
urbain, notamment grce la prsence du tramway leurs portes, comme Sehb El Cad et Sidi Moussa
Sal. Dautres sont plus loigns, tel est le cas des seize petits douars de Takkadoum et de lensemble
des bidonvilles au Sud de Rabat.
12
Le foncier public est le foncier qui est entre les mains de personnes non propritaires au sens classique et que ltat
peut dpossder par le moyen dactes administratifs. On retrouve les habous (terres issues de donations religieuses), les
guich (terres traditionnellement affectes lentretien de forces militaires), les terrains collectifs (terres communes dun
groupe ethnique).
16
Figure 6 : Une station de tramway aux portes du bidonville de Tabriquet Sal
Linterdpendance de Rabat et Sal se traduit par le dplacement des bidonvillois de la capitale dans sa
priphrie dortoir. Toutefois, leur manire de rsorber les bidonvilles diffre car elles nont pas les
mmes priorits en termes de dveloppement : la capitale se veut ville lumire , tandis que Sal reste
sa ville dortoir .
b. Les diffrentes dmarches de rsorption des bidonvilles Rabat et Sal depuis le
lancement du PVSB en 2004
Rabat face la rsorption de ses bidonvilles
Rabat a t la premire ville signer une convention Ville Sans Bidonville la suite du
lancement du PVSB en 2004. La chef de service de la direction rgionale de Rabat-Sal-Zemmour-Zaer
nous a prcis que Rabat sinscrit dans une double dynamique : la capitale adhre la fois au PVSB et,
depuis 2014, au Programme Rabat Ville Lumire, capitale de la Culture (RVL). Ce dernier a pour
objectif de hisser la capitale du Royaume au rang des grandes mtropoles mondiales . Le programme
de rsorption des bidonvilles et celui de Rabat Ville Lumire vont donc de pair : le second sert de
propulseur au premier.
Lon comprend pourquoi la rsorption des bidonvilles devient une priorit pour la capitale qui cherche
avoir une rsonnance internationale. Lorsque le contrat Ville Sans Bidonville a t sign, lobjectif
fix tait de reloger la majorit des mnages sur place avant 2010. On en comptait 6 577 lorigine.
Cependant plus de dix ans aprs, la question des bidonvilles tait toujours dactualit. Certes le plus
grand et le plus ancien bidonville, Douar El Kora, a t rsorb comme dautres poches, mais il
semblerait que les mnages bidonvillois se soient multiplis car on en retrouve 9 000 en 2014. Ces
derniers se concentrent majoritairement dans larrondissement de Yacoub El Mansour, o ils
reprsentent 65 % de la population, et Youssoufia, o ils en reprsentent 20 %.
17
Cest le Programme Rabat Ville Lumire qui a permis de relancer le dossier. Une nouvelle
convention fut signe dans ce cadre la fin de lanne 2014. Cette dernire prend en considration les
checs des oprations prcdentes qui sont en grande partie lis un manque de foncier disponible dans
la ville. Les emplacements de nombreux bidonvilles, en front de mer majoritairement, reprsentent
aujourdhui des zones stratgiques pour dvelopper le tourisme dans la capitale. Paralllement le foncier
public disponible au sein de la ville manque fortement, et investir dans du foncier priv pour reloger ou
recaser les bidonvillois reviendrait avancer des fonds trop importants et endetter lEtat. Ainsi, la
nouvelle convention privilgie le transfert des bidonvillois dans les communes priphriques, plusieurs
vingtaines de kilomtres de Rabat (Ain El Aouda, Oum Azza, Bouknadel, Ain Attig, Sebah) ou dans
des villes nouvelles loignes comme Tamesna. Les populations sont recases ou reloges sur des
terrains domaniaux et/ou collectifs.
Figure 7 : Sites de transfert prvus pour la rsorption des bidonvilles de Rabat
Des interrogations subsistent toutefois sur le dplacement de plusieurs milliers de mnages loin de leur
ancrage conomique et social. Comment remporter ladhsion des mnages bidonvillois de Rabat ce
genre de projet alors que plusieurs incertitudes rgnent sur leur future intgration socio-conomique, sur
les solutions de transports collectifs ou encore sur les infrastructures (de sant, dtudes, etc) qui
seront disponibles dans leur site daccueil ?
18
Sal face la rsorption de ses bidonvilles
Le dveloppement conomique de Rabat na eu aucune influence sur celui de Sal. La ville a grandi
sans relle cohrence urbaine (El Jarmouni, 2008). Nul besoin dtre un urbaniste chevronn pour
comprendre que Sal est en pleine mutation. Lon observe et l grues et camions qui sactivent autour
des chantiers dquipements urbains et des rsidences de logements moyen standing .
Les petits noyaux de baraques ont commenc se multiplier dans les annes 1930 sur les plateaux de
Tabriquet et de Bettana o ils demeurent encore aujourdhui sous la forme de bidonvilles de plusieurs
hectares. Peupls majoritairement de migrants la recherche de travail, les bidonvilles de Sal sont
constitus de marchs ambulants qui attirent les chmeurs dans lconomie illgale. Par exemple, le
bidonville de Tabriquet sest construit autour du dveloppement dactivits commerciales et plus
prcisment avec larrive du souk.
Figure 8 : Le souk longeant le bidonville de Tabriquet Sal
Gnralement le souk et la mosque constituent les deux piliers dun bidonville. Si cet habitat se
maintient et se dveloppe cest aussi grce lusage illicite de rseaux dlectricit, comme le remarque
Majda El Jarmouni dans son tude sur le bidonville Sehb El Cad, qui se situe non loin de celui de
Tabriquet.
Depuis le lancement du PVSB, plusieurs oprations de rsorption sont en cours Sal mais trs peu sont
acheves. Le bidonville Karyan El Oued constitue le projet phare du PVSB Sal. Mdiatis grce
des visites royales rgulires, cest lun des seuls projets de rsorption de bidonville avoir abouti dans
la ville dortoir . Lopration applique Karyan El Oued tait une opration tiroir, cest--dire que
les populations ont t dplaces par tranches successives. Dans le cas prsent, 75 % des mnages ont
t recass in situ, tandis que les 25 % restant ont t envoy vers un site daccueil 5 km du site initial
(Le Tellier et Gurin, 2009 : 665).
Lopration tiroir a pour qualit de varier les modes dinterventions (recasement, relogement,
restructuration) dans un projet de rsorption de bidonville, mais sa mise en uvre est longue et parfois
19
inefficace. Pour la rsorption du bidonville Sehb El Cad, qui a dbut en 2001, il a t question dune
telle opration : lobjectif tait de recaser 1 239 mnages in situ et den reloger 1 305 ex nihilo. Seul le
relogement a t effectu pour linstant, les mnages ont t envoys Sad Hajji, site daccueil localis
sur la cte atlantique au Nord de Sal.
Figure 9 : Le bidonville de Sehb El Cad qui peine tre rsorb
Aujourdhui le bidonville de Sehb El Cad reste trs visible dans le paysage urbain de Sal, tout comme
dautres bidonvilles tels que celui de Tabriquet ou de Ras El Mae. La rsorption des baraques semble
prendre plus de temps que celle qui est en cours Rabat. Cependant Sal a un avantage sur la capitale :
la possibilit de construire des sites de relogements lintrieur de ses frontires administratives comme
Sad Hajji ou encore Sidi Moussa qui longent la cte atlantique.
Figure 10 : Sad Hajji, site de relogement Sal qui borde la cte atlantique
20
II. Des bidonvilles aux villes bidons : les raisons de lchec du
programme Villes Sans Bidonvilles
Depuis le lancement du PVSB, 56 villes ont t dclares sans bidonvilles sur les 85 concernes
par le projet. Toutefois, ces chiffres dissimulent une ralit contraste. Si les villes de taille moyenne
russissent radiquer les baraques de leur territoire, les grandes villes peinent atteindre leurs objectifs
en la matire, en raison de la taille et du nombre de bidonvilles quelles englobent. Aussi innovant et
encourageant soit-il dans le contexte politique marocain, ce programme comporte de nombreuses
limites, lies son dfaut dadaptation aux ralits de terrain.
1. Les lacunes dans la mise en uvre du programme Villes Sans Bidonvilles
a. La centralit dans le systme politique facteur de blocages dans la mise en uvre du PVSB
Si des efforts ont t promis lors de la rforme de 2011 faisant suite au Printemps arabe , le
systme politique marocain reste toujours extrmement centralis autour des instances
gouvernementales. Or, le PVSB prne la synergie dans un systme dacteurs complexe, impliquant un
nombre trs important dintervenants. En ralit, le portage institutionnel des oprations connat de
nombreux dboires. Facteur de blocages internes, la centralit du systme politique marocain se
caractrise travers le rle que joue le Ministre de lIntrieur dans lexcution du PVSB. Les autorits
locales (Wali, Pacha, Cad et surtout les Moqqadem), extrmement prsentes dans la vie quotidienne
des marocains ont t charges de dplacer les populations et de dfinir les ayants droit du programme
au travers un recensement. De son ct, en raison des multiples drogations et dlgations de pouvoir,
le Wali dispose dune influence trs importante. Ce poids hirarchique dtermine les stratgies
dexcution. Par exemple, les reprsentants du Ministre de lHabitat et de lUrbanisme ne disposent
que dun faible rle dans la gouvernance, alors que le Wali administre les dossiers distance sans une
relle consultation des comits de pilotage. Les associations et les lus locaux ne sont sollicits que pour
signer les conventions de projet. La vision scuritaire de la rsorption des bidonvilles est donc
omniprsente dans lexcution du programme.
Selon Imane Bkiri et Mohamed Aneflouss13, cette approche top down extrmement hirarchise serait
lorigine de pratiques dintrt strictement individuelles. Dune part, les acteurs institutionnels nhsitent
pas profiter de leur pouvoir pour senrichir personnellement, pendant que les bidonvillois alimentent
cette corruption ou ont recours des ruses (organisation de mariages arrangs pour faire partie du
recensement des mnages bidonvillois par exemple) pour profiter au maximum du PVSB. Comme le
signale le rapport de lONU-Habitat14, mme si le ministre de lHabitat et de lUrbanisme et les
oprateurs locaux font preuve dune grande implication, le manque de volont des autorits locales ou
encore des lus locaux freinent les oprations. Lorganisation du recensement des mnages bidonvillois
confirme cet argument. Cens aboutir un document dfinissant les ayants droit du programme, celui-
ci est confi par le Wali des agents dautorit locale, comme les Moqqadem. Ces derniers sadonnent
parfois des pratiques frauduleuses rendant les recensements errons. Si les conventions autorisent
dautres recensements, cela entrane systmatiquement une augmentation du nombre de bnficiaires.
Par consquent, des reprogrammations sont ncessaires pour reconstruire des logements, la place
13
Bkiri Imane, Aneflouss Mohamed, Lintgration urbaine par le relogement. Processus oprationnels et modes de
faire. Cas du projet de Relogement El Kora Rabat , 2014
14
ONU-Habitat, Evaluation du programme national Villes Sans Bidonvilles . Propositions pour en accrotre les
performances , 2011
21
dquipements socio-collectifs comme des coles ou des espaces verts par exemple. Par ailleurs, certains
lus locaux glent des terrains domaniaux mobiliss pour reloger ou recaser des bidonvillois sous
prtexte quils ne sont pas ouverts lurbanisation.
Le manque de coordination des acteurs du projet li la mainmise du ministre de lIntrieur
est donc un facteur de blocage dans les oprations de rsorption des bidonvilles. Par ailleurs, lon
constate donc bien que le rle prpondrant de lIntrieur conditionne la vision scuritaire du
gouvernement dans la question des bidonvilles.
b. Un impact social ngatif
La participation limite des bidonvillois
Les rapports sont unanimes : limpact social du programme est globalement ngatif. Si
laccompagnement social est mis en avant comme tant lune des innovations majeures produite par le
PVSB, ce principe comporte en ralit de nombreuses lacunes. Laccompagnement social souffre en
effet dun dfaut dencadrement institutionnel. Simplement encourag par les autorits, la fonction de
laccompagnement social demeure extrmement ambige, ce qui favorise les interprtations multiples.
Ds lors, deux visions sopposent : la conception minimaliste dun ct et la conception maximaliste de
lautre (Le Tellier, 2009)15. La premire, partage notamment par ladministration prne une
participation passive des habitants, se cantonnant la simple information. La seconde est dfendue par
les oprateurs sociaux et quelques lus qui voient laccompagnement social comme une mdiation
constante et un moyen de dveloppement socio-conomique. Toutefois, nayant aucune lgitimit
lgale, les acteurs sociaux tels que lAgence de Dveloppement Social (ADS) ou les associations nont
pu avoir quun rle extrmement limit. Au niveau macro, le poids de ces derniers devenait de plus en
plus insignifiant dans les ngociations entre acteurs et au niveau micro ils n'ont pas russi gagner la
confiance des bidonvillois, qui se tournaient majoritairement vers les agents d'autorit locale et
notamment les moqqadem. Dans le contrat Villes Sans Bidonville de lagglomration de Rabat de 2014,
les associations sont mme compltement absentes des oprations. Les oprateurs sociaux absents du
processus de dcision, cest donc la vision dune participation passive des mnages qui sest impose.
Si des actions sont menes en amont et en aval, compte tenu des moyens humains et financiers des
oprateurs sociaux, elles restent extrmement minimes. En ralit, laccompagnement social sest
rsum, dans la majeure partie des cas la mission de convaincre les bidonvillois de dtruire leur
baraque plutt que de les accompagner dans leur changement radical de mode de vie. Pour la rsorption
de lemblmatique Douar Al Kora de Rabat, un certain nombre de bidonvillois ont d quitter et dtruire
leur baraque en lchange de 180 000 Dirhams, sans que l'on ne se proccupe de leur futur logement ou
de leur intgration.
Des modes dintervention inadapts aux mnages
Dans lagglomration de Rabat-Sal, le Douar Al Kora fait figure dexception puisquil sagit
dune opration de restructuration. Les bnficiaires du programme nont pas t dplacs par les
autorits. Les autres bidonvillois connaissent gnralement un autre sort. Souvent placs en centre-ville
ou sur le front de mer, les terrains anciennement occups par les baraques sont dots dune grande valeur,
notamment dans une agglomration comme celle de Rabat, o le foncier se fait de plus en plus rare. Ds
lors, une fois les bidonvilles rduits en tas de gravats, les terrains vierges sont souvent rcuprs pour
construire des quipements urbains ou des logements haut et moyen standing . Les modes
15
Le Tellier Julien, Accompagnement social, microcrdit et rsorption des bidonvilles au Maroc , Les Cahier
dEMAM, 2009
22
dintervention du PSVB se structurent autour du triptyque restructuration (comme pour le Douar Al
Kora), relogement et recasement, dont la proportion dpend du contexte local. La dernire convention
datant de 2014 pour lagglomration de Rabat, Sal et Kenitra englobe 9000 personnes, dont 6000
prvues en recasement et 3000 en relogement. Depuis quelques annes, la priorit est donne au
recasement, plus adapt aux contraintes foncires de lEtat, et sociales des habitants. Le relogement
engendre quant lui beaucoup de frais supplmentaires et des modes de vie extrmement diffrents
(coproprit, voisinage...). Par ailleurs, la taille des appartements est souvent juge trop petite pour les
anciens mnages bidonvillois. Quel que soit le mode dintervention, beaucoup de mnages ne sont pas
prts changer leur mode de vie et leur lieu dhabitation pour accder la proprit. Ainsi, les oprations
font rgulirement lobjet de rsistances vives.
En labsence dun accompagnement social efficient, cens assurer le transfert dun mode de vie un
autre, ces modes dintervention semblent inadapts aux situations des bidonvillois. Par consquent, ces
dplacements engendrent une dgradation des conditions de lintgration urbaine et sociale. Les sites de
recasement ou de relogement souffrent gnralement dun dficit dquipements socio-collectifs, de
commerces ou encore despaces verts. Lon constate dans de nombreux cas des dgradations dans les
conditions demploi et dans les relations sociales.
En ralit, lintgration sociale des anciens bidonvillois ne peut tre quentache par ce manque
de participation dans les processus de relogement ou de recasement. Limpact social de la rsorption du
bidonville est donc relativement ngatif.
c. Linadquation des modes de financement aux mnages bidonvillois
Des modes de financement non adapts
La participation financire des bidonvillois comporte, elle aussi, de nombreuses lacunes par
rapports aux objectifs initiaux. En effet, le recours au microcrdit pour financer le futur logement des
bidonvillois ne semble pas correspondre leurs besoins et leurs capacits financires. Dans les faits,
si le microcrdit suscite beaucoup despoir, il est peu efficace dans le cadre du PVSB. Dans les
oprations de relogement ou de recasement, les bidonvillois doivent faire face des cots situs entre
100 000 et 150 000 Dirhams. Or, dans le cadre du microcrdit, la loi fixe un plafond de prt 50 000
dirhams maximum. Ds lors, pour accder la proprit, les habitants doivent faire appel leur finances
personnelles ou des prts familiaux, ce qui nest pas donn tous les bidonvillois, bien au contraire.
De plus, ils devront supporter les cots lis aux mensualits de remboursement du prt qui oscillent
selon Julien Le Tellier entre 20 et 70% des revenus des mnages bidonvillois (Le Tellier, 2009)16. On
comprend donc ici linadquation de loffre de financement aux capacits financires des habitants.
Quant au Fogarim, le plafond est de 200 000 Dirhams, mais les mensualits stalent sur une priode
plus importante (jusqu 25 ans). Si lon ajoute ces frais de recouvrement de prt les nouvelles
dpenses des bidonvillois comme leau ou llectricit, quils ne payaient pas avant, on comprend alors
les rticences utiliser de tels mcanismes. Julien le Tellier illustre ces problmes de financement en
montrant la diffrence entre la progression des baraques dtruites et celle des maisons construites dans
le bidonville Karyan El Oued de Sal. La premire est beaucoup plus importante que lautre, ce qui
montre bien les difficults financires des habitants.
16
Le Tellier Julien, Accompagnement social, microcrdit et rsorption des bidonvilles au Maroc , Les Cahier
dEMAM, 2009
23
Les rigidits et lenteurs administratives lorigine de cots supplmentaires
Aux rigidits administratives abordes plus haut sajoutent les lenteurs administratives
(Rashmuhl, Toutain, 2014)17, vectrices, elles aussi de cots supplmentaires pour les bidonvillois et pour
les collectivits. Dans le cadre du crdit hypothcaire, les mnages doivent disposer dun titre foncier
pour pouvoir emprunter. Or, les lenteurs administratives rendent parfois la tche bien difficile, surtout
pour les collectivits qui, pour percevoir les impts fonciers et les taxes locales, ont besoin de titres
fonciers. Labsence dun tel document constitue donc un manque gagner important pour les
collectivits.
Les modes dintervention du PVSB sont gnralement vecteur de cots supplmentaires pour les
mnages une fois installs. Outre les frais de recouvrement des prts, les anciens bidonvillois doivent
faire face des dpenses auxquelles ils ne sont pas habitus : les frais deau ou dlectricit. Par ailleurs
et comme nous lavons expliqu plus tt, les modes dintervention du programme engendrent
aujourdhui rgulirement des dplacements des populations quelques kilomtres de leur ancien lieu
de vie. Certains habitants doivent faire face dautres problmes financiers lis leur perte demploi ou
aux cots levs de transport, ncessaires pour se rendre en ville. On comprend donc pourquoi il existe
des phnomnes de glissement : les mnages insolvables nont plus dautre choix que de vendre leur
appartement ou leur lot pour retourner vivre dans de lhabitat insalubre. Ce phnomne quivaut en
gnral 10% ou 20% des mnages bnficiaires du programme 18.
Les banques coupent les canaux
Ce dficit concerne les organismes de microcrdit et les banques impliques dans le Fogarim.
La confiance envers ces mnages modestes est extrmement faible et le taux dimpays est estim
12,5% au niveau national19. Ds lors, un certain nombre de banques publiques ont tir la sonnette
dalarme et ont coup les canaux de liquidit. Lon constate entre 2015 et 2016 une baisse dattribution
des prts dans le cadre du Fogarim de 14%20. Par ailleurs, 88% des prts sont fournis par trois banques,
dont deux publiques : le CIH, la Banque Populaire et BMCE Bank. Lon voit bien ici la mfiance que
les banques exercent lgard du programme.
2. Des bidonvilles la ville bidon
Ces multiples facteurs dchecs nous conduisent questionner la volont politique de ce
programme. Le PVSB rpond plus une ambition dradiquer la pauvret urbaine visible, quau souci
de rsoudre un problme social sous-jacent. Le programme russit finalement dplacer les populations
dans des logements rpondant aux normes urbaines des autorits publiques. Toutefois, le manque
dinfrastructures et dquipements socio-collectifs rendent ces espaces difficilement vivables. En cela,
il ne sagit en rien dhabitats. Les baraques sont certes dtruites, mais les oprations de rsorption
surtout Rabat tendent faonner des espaces dexclusion et de relgation sociale.
17
Toutain Olivier, Rashmuhl Virginie, Evaluation et impact du Programme dappui la rsorption de lhabitat
insalubre et des bidonvilles du Maroc , 2014
18
Ibid
19
Ibid
20
Mounadi Dounia, Fogarim et Fogaloge : a commence fort en 2016 ! , Aujourdhui le Maroc, publi le 2 juin
2016 : http://aujourdhui.ma/economie/immobilier/fogarim-et-fogaloge-ca-commence-fort-en-2016
24
a. Les oprations de rsorption Sal
Comme nous lavons expliqu plus haut, la situation des bidonvillois Sal nest pas la mme que
dans la capitale. Difficile donc de comparer cette situation avec une zone aussi tendue au niveau du
foncier que Rabat. Toutefois, Les projets du PVSB Sal sont aussi vecteurs de la relgation sociale
des bidonvillois. Les problmes sur le terrain sont en effet toujours les mmes : la destruction de la
baraque engendre des frais financiers supplmentaires, laccompagnement dans le transfert est limit et
les quipements urbains, espaces verts ou encore les commerces font dfaut. Les anciens mnages
bidonvillois deviennent propritaires dun logement, pas dun habitat.
b. Les oprations de rsorption Rabat : du bidonville la ville bidon
Cette ralit est accentue Rabat. Le manque de foncier disponible conduit lEtat rcuprer
les terrains anciennement occups par les bidonvillois. Souvent dune grande valeur, ils sont rutiliss
pour des constructions de logements ou dquipements urbains. Par consquent, les bidonvillois doivent
tre transfrs ailleurs. Les contraintes financires de lEtat ne lui permettent pas dacheter des terrains
privs pour reloger ou recaser les mnages. Ceci pos, seuls les terrains domaniaux sont utiliss pour le
PVSB. Or, comme le montre le graphique ci-dessous, le foncier domanial mobilisable reprsente
seulement 3% de la structure foncire du Royaume. La situation est encore plus critique dans les grandes
villes comme Rabat.
Structure du rgime foncier au Maroc
Domanial Habous
3% 1%
Collectif
20%
Melk
76%
Melk Collectif Domanial Habous
21
De facto, les terrains mobilisables par lEtat se trouvent vingt ou trente kilomtres de la capitale, Ain
El Aouda ou Tamesna. Les bidonvillois sont donc relogs plusieurs kilomtres de leur habitat initial,
loin des activits et des rseaux de transports urbains.
21
Selon les chiffre de Tarik Harroud publis dans Un urbanisme dEtat en qute de terrains publics , Revue
Foncire n15, janvier-fvrier 2017
25
Pour parer la crise du logement touchant les grandes agglomrations du Maroc, le Royaume a
lanc en 2004 le programme Villes Nouvelles, cens aboutir la construction de logements sociaux sur
des terrains domaniaux vierges. Lamnagement de Tamesna est au cur de ce programme de cration
de nouvelles villes. Lanc en 2005, le projet est cens accueillir terme 250 000 habitants sur plus de
800 hectares (Harroud, 2017)22. La dernire convention PSVB pour la ville de Rabat prvoit le transfert
de certains mnages bidonvillois dans cette municipalit.
Depuis Rabat, il faut traverser les routes de campagne pendant une trentaine de minutes pour arriver
Tamesna. Lorsque l'on pntre dans l'enceinte de la ville le silence est frappant : seuls les travaux et le
vent se font entendre.
Figure 11: Tamesna, ville fantme
Il faut dambuler longuement sur les avenues interminables pour voir une voiture ou un passant fouler
le bitume des routes. Tamesna comporte tous les aspects dune ville, mais sans ses habitants. Une mdina
artificielle, une grande mosque, des avenues tout juste goudronnes et des tours de logement un peu
partout s'rigent comme des statues au milieu d'un dsert. Partout, le vide. Les activits sont inexistantes
: peu de commerces, pas dentreprises ni dhpital. Sans parler du manque dquipements socio-
collectifs. Pis encore, lendroit est trs mal desservi par les transports. Or, les habitants sont souvent
obligs de faire laller-retour jusqu Rabat quotidiennement. La vie sans voiture Tamesna est trs
complique.
22
Harroud Tarik, Handicaps et contradiction du Programme de villes nouvelles au Maroc. Mode de gouvernance
et processus de mise en uvre , Les Cahiers dEMAM, 2017
26
Figure 12 : La construction de logements au milieu d'un terrain vide Tamesna
Aujourdhui, 40 000 mes peuplent la ville nouvelle, des anciens bidonvillois pour la plupart. Ces
derniers, habitus au mode de vie de la capitale se retrouvent dans cette ville nouvelle sans repres,
souvent sans emploi, avec des dpenses supplmentaires et un accompagnement social quasiment
inexistant.
A quelques kilomtres de l, plus au sud, Ain El Aouda offre un cadre plus rural. Le silence se
fait beaucoup moins ressentir. Ici, les habitants sagglomrent autour de lavenue principale. Tout au
long de cet axe, on trouve des petits commerces et des emplacements pour prendre le bus o le grand
taxi en direction de Rabat. Il suffit de marcher quelques minutes pour arriver aux terrains rservs aux
oprations de recasement des bidonvillois de la capitale. Le brouhaha des marchands ambulants rsonne
encore dans les rues, devenues trs calmes.
27
Figure 13 : Les fours pain individuels de Ain Aouda : reflet de l'insuffisance des quipements socio-collectifs
Lanimation ne dpasse pas lartre principale de la commune, qui absorbe difficilement le flux
dhabitants que lon a transfrs ici. Le contexte dAin El Aouda nest pas le mme que Tamesna
puisquil sagit dune ville qui existait dj lorigine. Toutefois, lon injecte ici un trs grand nombre
dhabitants sans dvelopper les quipements socio-collectifs et les infrastructures en consquence.
Nous constatons donc une dgradation de lintgration urbaine et sociale et un enclavement des anciens
bidonvillois dans les sites daccueil qui leur sont rservs. Paralllement, les tudes menes et les
entretiens raliss nous confirment la chute parfois drastique des dpenses essentielles en raison des
nouveaux frais financiers induits par la transformation du mode de vie et lloignement du site par
rapport la centralit.
Les mnages sont donc exclus dans des espaces de relgation sociale, compltement livrs
eux- mmes. Le schma nest finalement pas si diffrent que dans les bidonvilles, une exception prs
: le bton. Si les constructions foisonnent ces dernires annes, cela ne signifie en rien que lon fabrique
de lhabitat. Des bidonvilles, lon transfre les populations dans des villes bidons .
Propos conclusifs
Le PVSB ressemble donc plus une course lradication des bidonvilles plutt qu une
volont relle de rsoudre un problme social sous-jacent. Compltement exclus des grandes villes, les
mnages se trouvent relgus leur marge. Des solutions existent pour pallier les problmes sociaux et
financiers gnrs par ce programme. Le microcrdit par exemple est plus efficace lorsquil concerne
les travaux aprs lemmnagement des habitants. Cest pourquoi le mode dintervention le plus adapt
reste le recasement. Le style de la maison dite marocaine favorise ladaptation et la progressivit des
travaux en fonction des besoins et des finances des habitants, contrairement au relogement, qui impose
un prix et une surface. Cest dans ce contexte que nous pouvons voquer le mcanisme du tiers
associ . Dans le cadre du recasement, lorsque deux mnages ne sont pas en mesure de payer la
28
construction de leur logement, ils ont la possibilit davoir recours un tiers investisseur. Ce dernier
prend part linvestissement des bidonvillois et rcupre un tage de la maison construite.
Gnralement, ce sont des commerants qui utilisent ce mcanisme pour exploiter le rez-de-chausse
ou des investisseurs souhaitant spculer sur la valeur marchande du terrain. Ce processus nest que trs
faiblement utilis dans lagglomration de Rabat-Sal, puisque le foncier mobilis pour recaser les
bidonvillois nest pas valoris par les pouvoirs publics. De facto, il nest pas intressant pour les
investisseurs.
Quoi quil en soit, si rien est fait pour amliorer lintgration sociale, urbaine et financire des
bidonvillois, la situation risque dempirer. Lombre des consquences sociales de la Politique de la Ville
mene en France nest jamais trs loin. Le Maroc souffre paralllement de la prolifration de lhabitat
clandestin en dur. Alors que les bidonvilles du Royaume sont vous lvacuation, lhabitat clandestin
en dur entre dans un processus de normalisation urbanistique li au laisser faire des pouvoirs publics.
Les problmes sociaux et financiers gnrs par les oprations du PVSB conduisent les mnages
bidonvillois rutiliser les fonds obtenus pour sinstaller dans ces formes dhabitats insalubres, moins
visibles dans lespace public.
Ds lors, les villes bidons gnres par le PVSB posent une double problmatique. Reste savoir si
le Royaume saura reprendre le contrle de la situation dans les annes venir.
29
Bibliographie
Ressources acadmiques
Bkiri Imane, Aneflouss Mohamed, Lintgration urbaine par le relogement. Processus
oprationnels et modes de faire. Cas du projet de Relogement El Kora Rabat , 2014
Chtouki Hassan, La planification urbaine au Maroc. Etat des lieux et perspectives. , 2011
El Jarmouni Majda, Evaluation dune opration de rsorption de bidonvilles et ses impacts :
cas de lopration de relogement Sad Hajji Sal. , 2007
Essahel Habiba, Politique de rhabilitation des quartiers non rglementaires au Maroc et
mobilisations des habitants. Etudes de cas dans lagglomration de Rabat (Rabat, Tmara,
Skhirat) , 2011
Fawzi-Zniber Mohammed, Lenjeu des bidonvilles au Maroc Conditions de dveloppement
et volutions actuelles. , Prsentation lcole darchitecture de Casablanca
Harroud Tarik, Un urbanisme dEtat en qute de terrains publics , Revue Foncire n15,
janvier-fvrier 2017
Harroud Tarik, Handicaps et contradiction du Programme de villes nouvelles au Maroc. Mode
de gouvernance et processus de mise en uvre , Les Cahiers dEMAM, 2017
Le Tellier, Julien. la marge des marges urbaines : les derniers bidonvilles de Tanger
(Maroc). Logique gestionnaire et fonctionnement des bidonvilles travers les actions de
rsorption , Autrepart, vol. 45, no. 1, 2008, pp. 157-171.
Le Tellier Julien, Accompagnement social, microcrdit et rsorption des bidonvilles au
Maroc , Les Cahier dEMAM, 2009
Le Tellier Julien, Guerin Isabelle, Participation, accompagnement social et microcrdit
logement pour la rsorption des bidonvilles au Maroc , 2009
Toutain Olivier, Tribillon Jean Franois, A quelle production urbaine contribue la politique
du logement ? , Revue Foncire n16, mars-avril 2017
Articles de presse
Gattioui Jihane, Rabat : 270 MDH pour reloger 9000 familles , Les Eco, 18 fvrier 2016
Kadiri Ghalia, Tamesna, une ville pas smart du tout aux portes de Rabat , Le Monde, 30
aot 2017
Mounadi Dounia, Fogarim et Fogaloge : a commence fort en 2016 ! , Aujourdhui le Maroc,
publi le 2 juin 2016 : http://aujourdhui.ma/economie/immobilier/fogarim-et-fogaloge-ca-
commence-fort-en-2016
Fogarim : les banques tirent la sonnette dalarme , LEconomiste, juillet 2013 :
http://www.leconomiste.com/article/908701-fogarim-les-banques-tirent-la-sonnette-d-
alarme
Rapports
Banque Mondiale, Programme Villes Sans Bidonvilles. Analyse dimpact social et sur la
pauvret , juin 2006
Ministre Dlgu, Charg de lHabitat et de lUrbanisme, Manuel de procdure concernant
la ralisation du programme national Villes Sans Bidonvilles , octobre 2004
Ministre Dlgu Charg de lHabitat et de lUrbanisme, Programme Villes Sans
Bidonvilles, 2004-2010, Plan de mise en uvre , mai 2005
ONU-Habitat, Evaluation du programme national Villes Sans Bidonvilles . Propositions
pour en accrotre les performances , 2011
30
Toutain Olivier, Rashmuhl Virginie, Evaluation et impact du Programme dappui la
rsorption de lhabitat insalubre et des bidonvilles du Maroc , 2014
Sitographie
Issuu, Les politiques de rsorption de lhabitat insalubre au Maroc. Exemple dune opration
de recasement Ain El Aouda , Power Point de prsentation ralis par Laure Vichard en
2014 : https://issuu.com/lorounette78/docs/dossier_ain_el_aouda
Site du Ministre de lHabitat et de la Politique de la Ville du Maroc : http://www.mhpv.gov.ma/
Personnes interviewes
Younes Benabdellah, ancien membre du promoteur immobilier Dyar El Mansour, actuellement chef
de projet au sein de Lacivac (filiale de la CDG).
Imane Bkiri, chercheuse marocaine qui a crit sa thse sur le bidonville Douar El Kora.
Tarik Harroud, enseignant-chercheur lInstitut National dAmnagement et dUrbanisme (INAU).
Olivier Toutain, consultant Rabat qui a consacr une partie de son travail au PVSB.
Un chercheur associ spcialis dans les questions de participation citoyenne dans le cadre de lINDH
en milieu urbain au Maroc.
Un membre de lAgence de Dveloppement Social (ADS).
Une inspectrice rgionale au Ministre de lHabitat et de lUrbanisme charg de la rgion de Rabat-
Sal-Zemmour-Zaer.
Un inspecteur gnral au Ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme de Rabat.
31