Architecture Et Economie
Architecture Et Economie
Grégoire Bignier
L’approche découle de l’expérience professionnelle de l’auteur autant que de son
enseignement, ce livre ayant pour origine son cours en cycle master à l’école
d’architecture de Paris/Val-de-Seine. Il complète le précédent ouvrage de l’au-
teur, Architecture et écologie, comment partager le monde habité ?, dans lequel
il décrit un horizon architectural et urbain répondant aux nécessités de la transi-
tion écologique.
Grégoire Bignier est architecte, métier qu’il exerce en France comme à l’étranger. Titulaire
d’un mastère en ingénierie de l’École nationale des ponts et chaussées, il enseigne par
ailleurs l’écologie appliquée à l’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture
de Paris/Val-de-Seine ainsi qu’à l’Essec, dans le cadre du mastère spécialisé Management
urbain et immobilier.
Illustration de couverture :
ISBN : 978-2-212-67628-0
Code éditeur : G67628
schéma temporel d’une architecture (dessin de l’auteur)
29 €
Grégoire Bignier
L’approche découle de l’expérience professionnelle de l’auteur autant que de son
enseignement, ce livre ayant pour origine son cours en cycle master à l’école
d’architecture de Paris/Val-de-Seine. Il complète le précédent ouvrage de l’au-
teur, Architecture et écologie, comment partager le monde habité ?, dans lequel
il décrit un horizon architectural et urbain répondant aux nécessités de la transi-
tion écologique.
Grégoire Bignier est architecte, métier qu’il exerce en France comme à l’étranger. Titulaire
d’un mastère en ingénierie de l’École nationale des ponts et chaussées, il enseigne par
ailleurs l’écologie appliquée à l’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture
de Paris/Val-de-Seine ainsi qu’à l’Essec, dans le cadre du mastère spécialisé Management
urbain et immobilier.
Illustration de couverture :
ISBN : 978-2-212-67628-0
Code éditeur : G67628
schéma temporel d’une architecture (dessin de l’auteur)
ÉDITIONS EYROLLES
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Grégoire Bignier
Introduction 16
Épilogue 144
Glossaire 149
Crédits 155
P rol ogue
« La modestie va bien aux grands hommes. C’est de n’être rien et
d’être quand même modeste qui est difficile. »
Jules Renard (1864-1910), Journal
figure 1
Un métro aérien dans une ville du sud
© Martin Becka, from the serie Dubai Transmutations (martin-becka.com)
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d’un côté, spatiale et urbaine de l’autre, lo- L’héroïsme pour un architecte, c’est de res-
giques qui ne convergent que rarement. ter tapi et de déplacer les bassines.
Seulement à la longue, il ne faut pas seule-
ment « une main », il faut aussi des billes pour
suivre. Trésorerie, personnel, réseau d’anciens, Phase 2
références de moins de trois ans, bureaux à
l’adresse prestigieuse, diplômes, titres, fonc- Oui, c’est ça, ce monde prenait l’eau de par-
tions, décorations, prix, loges, toques, tout tout et l’architecte découvrait un peu tardive-
ce qui permet de prendre la parole au bon ment qu’il n’entrait pas dans ses intentions de
moment pour orienter les choix conceptuels, l’ensevelir sous une mince pellicule de ciment,
les décisions qui figent le projet, l’architecte d’hydrocarbures et de métaux lourds. L’écolo-
ne peut s’appuyer sur les mêmes moyens que gie avait été à l’origine de sa vocation et il se dé-
ceux du Groupement. Aussi, jour après jour, solait toujours plus de voir émerger des projets
semaine après semaine, année après année, le de bâtiments de la taille d’une ville, bâtiments
projet se réduit-il à son essence même, son le plus souvent commerciaux qui suçaient l’ar-
unique fonction de transporter du monde, rière-pays du moindre commerce résistant, du
n’importe comment, délai du contrat respec- plus petit arpent de terre arable. Gigantesques
té ! Ceci n’est pas un métro, c’est un squelette hangars, ils s’affublaient de noms anglici-
de métro, un pur objet technologique dont sés comme pour anticiper leur future taille,
un œil averti pourrait détecter les traces que d’abord ville, puis pays, bientôt continent. Les
l’architecte prétend y avoir inscrites. Ici, la plus grandes machines que l’Homme ait jamais
place pour un élément de signalétique, là des conçues, pour déambuler processionnellement
fourreaux pour un éclairage urbain, un jeu de entre des rayons dégorgeant de marchandises,
lignes dans le chevêtre qui fait implicitement pour attendre de s’engouffrer dans un gros ci-
référence à la culture locale, toutes ces traces gare blanc à destination des plages chauffées à
sont encore là pour témoigner qu’il y a cru. À blanc par le dérèglement climatique ou pour
la longue, même le client, obnubilé lui-même embarquer sur des bateaux de vingt étages qui
par la date de mise en service qu’il a impru- n’allaient nulle part. Ces machines étaient le
demment annoncée, a fini par oublier qu’il y plus souvent conçues par de jeunes architectes,
avait un architecte. ingénieurs comme lui, bimés2 à mort (pour une
L’objet se révèle alors comme un instant de architecture le plus souvent improbable). Bâ-
compromis, présentant les stigmates de cette timents génériques désespérants, engendrant
lutte inégale, comme une promesse non te- un espace violent où tout et surtout n’importe
nue, seulement belle de cette énergie démen- quoi pouvait se passer. Oui, il entrait mainte-
tielle déployée pour ce qui n’est somme toute nant dans ses intentions de dessiner le monde
qu’une poutre en béton armé sur laquelle tel qu’il pensait qu’il pouvait être et non tel
circulent des wagons. Mais l’architecte a per- que la personne responsable du marché pensait
du, le projet de ville n’est pas là, le modèle qu’il devait être, même si c’est elle qui payait
n’a pas émergé, la possibilité d’un métro civi- ou donnait l’ordre de payer ou suggérait de
lisé manquera dans les prochains projets des payer (ou pas).
prochaines villes, même dans les rares pays
où l’architecture est censée être un bien com-
mun. L’œuvre de génie civil obtiendra, elle, 2 - BIM pour Building Infor-
une large reconnaissance de la corporation mation Modeling est un modèle
des ingénieurs, sans que ceux-ci se rendent informatique d’échanges de
même compte qu’ils construisent, ouvrage données, modèle partagé par tous
après ouvrage, un monde déshumanisé. les partenaires de la conception
d’un bâtiment.
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Introducti on
16
É
crire qu’un thème d’études appliqué à ou par les aléas de la commande qui déstabi-
l’architecture, en l’occurrence l’écono- lisent le modèle.
mie circulaire, en réinterroge la défini- À l’inverse, la pratique de l’architecture
tion est un poncif universitaire. Nous avons sur la base de la simple médiation entre dif-
pourtant choisi cet angle polémique pour in- férents opérateurs ou acteurs semble répondre
troduire notre propos plutôt que le conclure programmatiquement aux exigences les plus
ainsi, bien que le présent ouvrage ne soit pas contemporaines du fait de la multiplicité de
une thèse soumise à ses canons, mais plutôt ces derniers. Cette approche est celle qui est
un essai. Le lecteur se fera sa propre opinion majoritairement enseignée dans les écoles
à l’aune des exigences actuelles posées par le françaises aux pédagogies les plus crédibles.
développement du monde. Toutefois, cette dématérialisation de la ré-
Dans les écoles d’architecture, notamment ponse architecturale ne saurait se suffire à elle-
françaises pour ce qu’en connaît l’auteur, un même quand nous parlons de fonctionnalités
sempiternel débat est de savoir ce que l’on est à satisfaire – confort, sécurité, esthétique, spa-
censé enseigner : de l’objet le plus matériel, tialité – qui doivent bien se matérialiser à un
dans sa physicalité la plus triviale au pur arte- moment ou à un autre.
fact de médiation engendré par la complexité Bien sûr, on objectera que chaque archi-
du monde, toute la panoplie de définitions de tecte a sa propre définition de l’architecture,
l’architecture est explorée, débattue, concep- ce qui en fait assurément un art. Pour lui,
tualisée. On en connaît quelques définitions dans l’exercice de son métier, il ne s’agit pas
historiques solides : l’architecture résultant de démontrer, mais de bâtir, même si chacune
de la relation intérieur/extérieur comme un de ses constructions ne se présente pas tou-
des fondements de l’architecture moderne, jours comme un manifeste. On a connu des
l’architecture comme projet humain tel que bâtiments sublimes et totalement idiots, ou
l’a énoncé Louis Kahn, sans oublier « le jeu émanant de concepts les plus brillants, mais
savant, correct et magnifique des volumes dont la réalisation est une insulte aux énoncés
assemblés sous la lumière » de Le Corbusier, de Vitruve. Entre un abri décoré et une archi-
pour ne citer que les plus courants. tecture discursive, le champ actuel de l’archi-
La première approche, l’objet physique tecture nous semble difficile à cerner tant la
et rien que l’objet, fonde de nombreuses pé- période historique est intimidante de par son
dagogies d’écoles, suisses, autrichiennes ou accélération3 et de par sa complexité4. Aussi
espagnoles pour lesquelles il ne saurait être faut-il être conscient que ce qui sera dit ici
question de concept architectural, seulement n’est pas un cours d’architecture, un modèle
d’agencements de matière, de dispositifs et à suivre, mais la tentative de décrire un cadre
d’espaces, tous éléments questionnés par leur de pensée, un paysage fait de propositions ar-
durabilité, leur esthétique et souvent leur ticulées entre elles.
écologie. Il est souvent reproché à cette ap- Une des questions posées à l’architecture
proche son simplisme provincial, le fait que par l’économie circulaire se situe bien quelque
cela pousse les universités vers des filières part entre ces deux approches si l’on veut en
« professionnalisantes » ou de ne pas répondre éviter les impasses respectives et c’est là que
à la complexité du monde. En gros, d’être
des universités et non des écoles. Pour notre
3 - On peut lire à ce sujet Hartmut
compte, il nous semble que cette approche se Rosa, Accélération, une critique
trouve historiquement éprouvée par l’émer- sociale du temps, coll. « Théorie
gence d’outils conceptuels tels que le BIM critique », La Découverte, 2010
(Building Information Modeling), par les exi- 4 - Edgar Morin, Introduction à la
gences liées à une certaine résilience urbaine pensée complexe. Ed. Poche, 2005,
Ed. Points Essai, 2014
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la spécificité de l’économie circulaire pourrait temps qu’il s’organise, alors l’architecte qui
bien apporter des hypothèses fertiles, à tout projette, qui « nous » projette dans l’avenir
le moins une posture vis-à-vis de ce débat. À par ses plans (un peu au-delà de la garantie
la fois réponse matérielle, car on parle bien décennale pour les plus conscients), qui bâ-
de flux, d’échanges, d’énergie, de réemploi, tit, construit, modélise, semble être aussi bien
toutes choses qui ne sauraient faire l’impasse placé qu’un économiste pour affronter cette
d’une matérialité évidente, mais aussi réponse question. À tout le moins d’y contribuer. Voi-
programmatique aux questions d’organisa- là un rôle qui pourrait autant fonder l’exer-
tion urbaine, de prospective rendue à nou- cice du métier que celui d’empiler parpaing
veau nécessaire par les questions écologiques sur parpaing, de se concevoir comme un pur
et de transversalité entre champs de toute na- centre de profit comme le font la majorité des
ture (économique, social, etc.). bureaux d’études techniques ou de bâtir des
Mais la chose est rendue ardue, car, nous châteaux en Espagne.
le verrons, la propre définition de l’écono- Pour notre part, après avoir tenté de ras-
mie circulaire est elle-même émergente. Dès sembler quelques connaissances dans le
lors, de quoi parlons-nous ? Vouloir se servir domaine de l’écologie quand elle concerne
d’un modèle émergent pour interroger une l’architecture5, nous nous sommes rendu à
discipline qui se cherche semble voué à un l’évidence des limites du champ scientifique
échec certain. Et pourtant, nous pensons que quand il tente de s’appliquer à l’architecture.
la période incite maintenant à s’en emparer, L’économie, voilà bien ce qui aujourd’hui
car ces incertitudes les rendent justement gouverne le monde, qu’on le veuille ou non,
plus malléables. Et, qui sait, peut-être arri- même si celle-ci est bien sûr tributaire des
verons-nous à consolider, préciser, actualiser grands chiffres de la réalité humaine (démo-
l’une par l’autre ? Et si l’économie circulaire graphie, ressources naturelles, anthropologies,
était elle-même une architecture ? Et si, tout climat, technologies, etc.). Si, comme Bruno
simplement, ne retrouverait-on pas une défi- Latour nous l’annonce, Gaïa notre Terre n’est
nition plus solide de l’architecture que notre ni une Déesse, ni une pure physicalité, mais
époque brouillée aurait perdue de vue ? Une plutôt un projet hybride à construire entre
définition partagée, car menant à une espé- anthroposphère et biosphère dont il nous
rance commune, espérance que l’époque rend appartient d’en définir les lois, alors nous ne
plus que jamais nécessaire. pouvons pas faire l’impasse d’une approche
Mais comment un architecte pourrait-il économique : « Si Gaïa est un opéra, il dé-
avoir la prétention de s’intéresser au do- pend d’une improvisation constante qui n’a
maine économique normalement réservé ni partition, ni dénouement, et qui ne se joue
aux champs scientifique ou managérial ? Si, jamais deux fois sur la même scène. S’il n’y
comme nous le pensons, l’économie circulaire a aucun cadre, aucun but, aucune direction,
est un objet qui doit autant au champ écono- nous devons considérer Gaïa comme le nom
mique qu’aux champs social et écologique, si du processus par lequel des occasions va-
celle-ci est un modèle qui se conceptualise au- riables et contingentes ont obtenu l’opportu-
tant qu’il se construit, qui s’invente en même nité de rendre les événements ultérieurs plus
probables. En ce sens, Gaïa n’est pas plus la
créature du hasard que de la nécessité. Ce qui
5 - Grégoire Bignier, Architecture
veut dire qu’elle ressemble beaucoup à ce que
et écologie, comment partager le nous avons fini de considérer comme l’his-
monde habité ?, Eyrolles, 2015 toire elle-même6. » Le vrai cousinage d’une
6 - Face à Gaïa, huit conférences sur école d’architecture n’est pas avec les Arts
le nouveau régime climatique, La décoratifs ou l’École des Ponts et Chaussées,
Découverte, 2015, p. 142
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mais avec celles qui enseignent les sciences tendre vers des villes plus durables : amélio-
économiques. rer le métabolisme urbain des villes en l’en-
Mais pourquoi l’économie circulaire ? visageant comme un écosystème. Or, il paraît
La crise économique qui perdure, la ques- acquis qu’une des principales caractéristiques
tion des ressources et des déchets, de l’éner- d’un écosystème mature est un fonctionne-
gie et des pollutions diverses, pour tout dire ment tendant vers la circularité et non pas la
un certain état du modèle de développe- linéarité. Le concept d’économie circulaire est
ment économique européen, voire mondial, actuellement un outil en voie de développe-
amènent à s’interroger sur l’avenir de l’idéal ment qui pourrait nous aider de tendre vers
urbain occidental. Les formes spatiales que cette circularité métabolique.
prennent ces impasses découlent d’un modèle Pour tenter de décrire plus finement ce
économique essentiellement linéaire, dont modèle et ses implications architecturales,
les acteurs ne se soucient pas (ou peu) de la nous allons successivement décrire ce que
traçabilité des matières de leur production nous comprenons du modèle majoritaire
ainsi que de leurs destinées. Les villes sont au- actuel, préciser la définition de l’économie
jourd’hui des systèmes dits « ouverts » où les circulaire et articuler ce contenu avec l’archi-
flux suivent une trajectoire linéaire : des flux tecture proprement dite. Puis, nous tenterons
entrent (nourriture, eau, objets manufacturés, de donner à ces arrangements une figure ur-
etc.) et d’autres en sortent (déchets, dissipa- baine et territoriale, car nous ne saurions nous
tions, nuisances, etc.). Les activités humaines maintenir à la seule échelle du bâtiment. En
se traduisent en effet par un prélèvement effet, comme nous l’avons décrit dans notre
d’une grande quantité de matière au sein de ouvrage sur l’écologie appliquée à l’architec-
la biosphère. ture, se cantonner à cette échelle est une er-
Parmi ces flux de matière à l’ère de l’An- reur dans la mesure où écologie et économie
thropocène7, les matériaux de construction et ne peuvent être réduites au cadre beaucoup
les déchets issus du BTP sont parmi les plus trop étroit du bâtiment. Enfin, tirer les en-
importants. À l’échelle nationale française, seignements de ce que nous croyons être un
les déchets des filières du BTP représentent profond changement de paradigme pour l’ar-
260 millions de tonnes, avec une part du sec- chitecture.
teur du bâtiment qui s’élève à 42 millions, Dans cet effort, la question d’une éven-
soit 10 millions de plus que la production tuelle définition actualisée de l’architecture
ménagère8. sera donc incidemment abordée, par-là ai-
Au-delà des chiffres, les flux dits « maté- dant à en préciser les modalités liées à son en-
riaux » retiennent particulièrement notre seignement. Et pour que le propos soit clair,
attention. Ces flux sont la concrétisation du nous voudrions l’illustrer d’un exemple, celui
cadre bâti. Matière première de nos villes, les
matériaux de construction ne peuvent pas
simplement être considérés comme des bilans 7 - Période géologique actuelle
de matières et support énergétiques, ils posent durant laquelle l’impact de la
des questions plus vastes, celles de la ville et présence de l’homme est à l’échelle
de l’habiter. C’est dans cette dimension que des phénomènes naturels. Cette
le métabolisme de ces flux demande une at- dénomination n’est pas encore
reconnue par l’Union internatio-
tention particulière et peut devenir une entrée nale des sciences géologiques, mais
en matière de recherche en architecture et en souvent vulgairement utilisée.
urbanisme. 8 - Données chiffrées extraites de
De cette observation, une nouvelle ap- l’ouvrage Matière grise, Encore
proche urbaine peut être envisagée afin de Heureux, Pavillon de l’arsenal,
2014.
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