Alassanethese PDF
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THESE
Présentée et soutenue publiquement
Le 17 Décembre 2008 par :
Mbaye DIENG
MEMBRES DU JURY :
Jean Claude BRUNEAU, Professeur de Géographie, Université Paul Valéry Montpellier III
1
Remerciements
Mes premiers remerciements vont à ma directrice de thèse Madame Annie Chéneau
Loquay. La confiance qu’elle m’a apportée en acceptant de diriger cette thèse, a permis à ce
travail d’arriver à son terme. Veuillez trouver ici l’expression de ma gratitude pour vos
conseils avisés, et surtout pour le voyage sur le terrain qui a permis un réel développement de
ma réflexion dans un cadre formel. Votre soutien financier et toute l’aide que vous m’avez
apportée dans le cadre du GDRI (Groupe de Recherches Internationales) NETSUDS, ont été
précieux surtout dans mes moments de doute.
Mes remerciements vont aussi à Monsieur Emmanuel Eveno qui m’a facilité mon
accueil au sein du Laboratoire LISST CIEU de l’Université de Toulouse Le Mirail. Je voudrai
aussi remercier Messieurs Michel Lessourd et Olivier Sagna pour leurs judicieux conseils et
leurs encouragements.
Il me semble aussi normal de remercier ceux qui ont accepté de me recevoir à
Ziguinchor, de répondre à mes questions, d’appuyer mes démarches et de me réorienter au
besoin. Monsieur Ismael Diadhiou, Mr Alassane Ngom, Alassane Ndour, Paul Sédar Ngom,
Tonton Sadibou Tall de la Sonatel à Dakar, Cheikh Guèye et Mamadou Abdoul de l’ONG
ENDA-Tiers Monde à Dakar, trouvez ici mes remerciements les plus sincères. Ceux-ci vont
aussi à mon ami Ibrahima Sylla pour nos longues veillées de discussion.
A Monsieur Mouhamadou Maouloud Diakhaté de l’Université Gaston Berger de
Saint-Louis qui a guidé mes premiers pas dans la recherche.
A Cheikh, Jocelyne Faye, Brice, Marion, Mouhamet, Josselin, Christelle, Lilian,
Sévérine Carausse, Christelle, Claudia, Géraldine, et à tous les doctorants du LISST-CIEU,
que ce fut bon d’être à vos côtés.
A Gilles et Michelle Dubois, Famara Diédhiou, Théo Diarra et sa femme, Condé
Moustapha, A mes sœurs Nafissatou Diop et Ndèye Binty Diop de Toulouse, aux jeunes de
Bordeaux Papa Mamadou Ndiaye et Oumar Sow pour leur relecture du document. A mes
chers amis et frères Mansour Diouf et Mouhamadou Yéro Sall. A Makhtar Sarr et Canar Diop
Mes remerciements aussi à Mamadou Thiam pour sa relecture vigilante du manuscrit,
sa femme Fatou Coundoul, à Oumar Sall, Faly Samb, Musa Njié, Jules Ndiaye et son Neveu
Mamadou dit Nioro ainsi qu’à mon jeune frère Adama Sow de Bordeaux pour m’avoir
toujours accueilli dans ses 9 m² au cours de mes différents séjours à Bordeaux.
2
Je ne peux oublier de remercier mes parents, mon ami et frère Docteur Aboubacry Sy
et sa famille.
Un remerciement particulier ira à ma femme le Docteur Lahla Fall Dieng ainsi qu’à
mon fils Alassane Dieng Junior, ainsi qu’à toute personne qui, de près ou de loin, a contribué
à la réalisation de ce travail. Aux amies et compagnons de ma femme, les docteurs Seynabou
Mbengue et Marème Sougou.
Enfin que tous ceux que j’ai oubliés veuillent bien me pardonner.
3
Je dédie cette thèse
au Docteur Aboubacry Yoro Sy, mon grand frère et confident ainsi qu’à
sa femme Aminata Ly qui m’a couvé d’amour pendant mon adolescence.
A mes beaux parents Samba Diamé et Khadija Fall
A toute ma famille
4
TABLE DES MATIERES
Remerciements _____________________________________________________________ 1
LISTES DES CARTES _____________________________________________________ 10
LISTE DES FIGURES ET GRAPHIQUES _____________________________________ 11
LISTE DES TABLEAUX ____________________________________________________ 12
Avant-propos ______________________________________________________________ 13
Résumé __________________________________________________________________ 15
Introduction générale _______________________________________________________ 16
PREMIERE PARTIE_______________________________________________________ 24
TIC et territoire : approche théorique _________________________________________ 24
Introduction ______________________________________________________________ 25
Chapitre 1 : Approches Conceptuelles _________________________________________ 26
I-Etat de la recherche sur la problématique territoriale des TIC_________________________ 26
I-1 - Territoire, Innovation, Réseaux : Construction d’une problématique. _____________________________27
I-1-1 - La géographie : une science sociale en intelligence avec l’espace ______________________________27
I-1-2- Resituer le concept de territoire vis-à-vis de l’espace géographique _____________________________30
I-1-2-1-Le territoire est avant tout un système ___________________________________________________31
I-1-2-2- Les acteurs produisent le territoire _____________________________________________________32
I-1-2-3 - Le territoire un système défini par sa matérialité __________________________________________34
I-1-2-4- Les réseaux participent à la production du territoire. _______________________________________36
I-2-1- L’idéologie de l’abolition de la distance ___________________________________________________41
I-2-2- Les espoirs déçus : l’indifférenciation spatiale ou la fin d’une illusion ___________________________43
I-2-3- Pour une approche spatiale des mutations _________________________________________________44
I-3- Internet et espace géographique : enjeux et débats ____________________________________________46
II- Contexte des pays africains : rappel de la problématique ____________________________ 50
II-1- Les pratiques de l’espace en Afrique laissent entrevoir des réseaux inachevés ______________________52
II-2- Une production duale de l’espace, des formes urbaines juxtaposées et imbriquées ___________________53
II-3- Le cas du Sénégal : les acteurs du système des télécommunications ___________________________54
II-3-1- Les acteurs institutionnels et organisationnels _____________________________________________55
II-3-2- Les acteurs privés prennent le relais de l’Etat _____________________________________________57
III- Revue de la littérature sur les TIC en Afrique : des approches différentes. ______________________59
IV- La particularité du cas à traiter : Ziguinchor, une région enclavée, traumatisée par une
longue guerre de séparation _______________________________________________________ 64
IV-1- L’enclavement de la région, premier facteur de sa marginalisation. ______________________________65
IV-2- L’écologie et la diversité ethnique, autres éléments de différenciation ____________________________67
Chapitre 2 : Eléments de Méthodologie ________________________________________ 74
I- Une approche par l’analyse spatiale. ______________________________________________ 75
II- Une approche par la diffusion spatiale ___________________________________________ 78
III- Les méthodes d’enquêtes : une association du questionnaire et du guide d’entretien _____ 80
III – 1- Le contact avec le terrain _____________________________________________________________81
III-1-1 - Le choix des sites d’observation. ______________________________________________________82
III-1-2- La phase des enquêtes de terrain _______________________________________________________84
III - 2 - Les contraintes à la production de l’information ___________________________________________85
Conclusion _______________________________________________________________ 87
5
DEUXIEME PARTIE ______________________________________________________ 88
La mise en place de la problématique communicationnelle dans l’espace régional de
Ziguinchor _______________________________________________________________ 88
Introduction ______________________________________________________________ 89
Chapitre 3 : Le développement des infrastructures et des services de Télécommunications :
la Sonatel maître d’œuvre/ l’Etat régulateur souverain ____________________________ 90
I- Le Sénégal : un pays pauvre qui a développé une infrastructure de qualité. _____________ 90
II- Les mutations des Télécommunications au Sénégal : un objectif de service universel _____ 93
II-1- Les télécommunications, un sous secteur économique émergent _________________________________96
II-2- Le réseau de télécommunications : un bilan positif des équipements, _____________________________97
II-3- Avec une répartition nationale très déséquilibrée _____________________________________________99
II-3-1 - La configuration actuelle du réseau une tendance au rééquilibrage ___________________________100
II-3-2-Le réseau international : une plate forme ouest africaine en devenir ? ___________________________105
III- La situation nationale de l’accès aux équipements ________________________________ 107
III-1- Le téléphone, des performances dues au cellulaire __________________________________________107
II-2- Internet au Sénégal: une croissance soutenue de la bande passante ______________________________111
II-2-1- Les caractéristiques de la connectivité __________________________________________________111
II- 2 - 2 - Une évolution des accès grâce à leur mutualisation ______________________________________114
Chapitre 4 : La région de Ziguinchor dans l’espace Sénégambien : Approche socio
économique ______________________________________________________________ 118
I- Profil démographique de la région de Ziguinchor __________________________________ 122
I – 1- Problèmes méthodologiques ___________________________________________________________122
I - 2 - Premier enseignement : une population extrêmement jeune ___________________________________124
I- 3 - Deuxième enseignement : la région reste profondément rurale _________________________________126
I-4- Troisième enseignement : l’exode rural, un phénomène récurrent _______________________________130
II - Situation socio-éducative régionale : des taux élevés de scolarisation _________________ 133
II-1- Les causes historiques de la scolarisation en basse Casamance _________________________________134
II- 2 - L’enseignement public : des efforts soutenus _____________________________________________135
II - 3 - La formation professionnelle : une filière dynamique _______________________________________136
II- 4 - L’alphabétisation des adultes __________________________________________________________137
III-Approche socio-économique : entre le mythe d’une richesse et la réalité d’une crise profonde
_____________________________________________________________________ 139
III-1 - Le secteur primaire : une prééminence de la riziculture ______________________________________139
III-1-1- Entre le paysan et la riziculture, la permanence d’une histoire _______________________________139
III-1-2 - La riziculture : grandeur et décadence _________________________________________________140
III- 2 - Les secteurs secondaires et tertiaires : des activités peu diversifiées ___________________________143
III- 3 - Le commerce : la position transfrontalière de la région un atout pour l’activité ? _________________145
III-3-1 - Situation et évolution du sous secteur du commerce _______________________________________145
III-3-2 - Une dynamique suivant une organisation réticulaire de l’activité _________________________147
IV Une évolution économique régionale sur fond de crise politique récurrente ____________ 150
IV-1- L’impossible stabilisation de la région ___________________________________________________150
IV-2- Quels impacts de la crise politique dans l’évolution régionale? ________________________________151
Conclusion ______________________________________________________________ 154
Chapitre 5 : Le réseau local de communication, une pénétration mal aisée ___________ 159
I- La région de Ziguinchor : le maillon faible du territoire Sénégalais ? __________________ 163
I-1- Les causes historiques : la coupure gambienne fragilise le lien avec le «Sénégal» ___________________164
I-2 - La géographie régionale, second facteur d’isolement. ________________________________________166
II- Acquis et insuffisances des infrastructures de transport____________________________ 169
II-1- L’incapacité du réseau terrestre à intégrer la région au Sénégal_________________________________170
6
II-1-1- Un réseau routier local tourné vers les centres urbains ______________________________________172
II- I - 2- Les contraintes au désenclavement interne : l’impraticabilité et l’insuffisance de l’offre de transport_176
II – 2- Le désenclavement régional aérien reste à faire ___________________________________________178
II-2-1 - Les tendances du transport aérien ______________________________________________________179
II-2-2- Les contraintes au développement du transport aérien ______________________________________181
II-3 - Le trafic maritime, grandeur et décadence _________________________________________________182
II-3-1-Tendances passées et actuelles. ________________________________________________________182
II-3-2 la catastrophe du Joola accentue l’enclavement régional _____________________________________185
Conclusion ______________________________________________________________ 187
TROISIEME PARTIE _____________________________________________________ 189
Le déploiement des réseaux de télécommunications à l’échelle régionale. ____________ 189
Introduction _____________________________________________________________ 190
Chapitre 6 : La diffusion des Infrastructures de télécommunications dans la région. ___ 192
I -Les insuffisances du réseau électrique et de la production énergétique. ________________ 192
II - Les infrastructures de télécommunications : Etat des lieux _________________________ 199
II – 1 - Vers le déploiement d’un réseau performant______________________________________________199
II – 2 - Ziguinchor profite d’un programme de déploiement de la fibre optique. ________________________201
II – 3 - Les infrastructures et équipements téléphoniques de base ___________________________________203
II – 3 – 1 - Un territoire entièrement couvert par les faisceaux hertziens ______________________________203
II – 3 – 2 - Les centraux de commutation innervent les zones rurales. ________________________________204
II – 3 – 3 - Les infrastructures de téléphonie mobile _____________________________________________204
III - Le réseau Internet, une couverture en constante expansion ________________________ 207
IV - Une couverture régionale intégrale par les ondes. _________________________________________208
Conclusion ______________________________________________________________ 211
Chapitre 7: La répartition spatiale des équipements à l’échelle locale _______________ 212
I- La poste s’essouffle, les services financiers sont sous représentés______________________ 214
II- Une réelle complémentarité entre radios nationales, communautaires et associatives ____ 215
III- Le téléphone, un accès plutôt urbain ___________________________________________ 219
III-1- Tendances actuelles de la téléphonie filaire _______________________________________________225
III-2 - La téléphonie rurale : un bilan peu réjouissant _____________________________________________226
III-2-1- Promouvoir la téléphonie filaire _______________________________________________________228
III-2-2- Le déploiement du téléphone fixe sur Gsm.______________________________________________229
III – 2 – 3 - Le CDMA (code division multiple access), une solution technologique qui peut modifier la donne.
_________________________________________________________________________230
Conclusion ______________________________________________________________ 232
QUATRIEME PARTIE : ___________________________________________________ 233
Formes d’accès et d’Usages des TIC dans la région de Ziguinchor. _________________ 233
Introduction _____________________________________________________________ 234
Chapitre 8 : La mutualisation des accès aux TIC, une forme d’appropriation du téléphone
et d’Internet. _____________________________________________________________ 235
I - De l’enclave au réseau téléphonique : l’impact des télécentres. ______________________ 236
I-1- Le télécentre : éléments de caractérisation __________________________________________________236
I-2- La multiplication des télécentres dans l’espace régional_______________________________________237
I-3-1 - Le télécentre, un phénomène qui amène le téléphone en milieu rural ___________________________238
I-3-2 - En milieu urbain, une dynamique qui privilégie les centres villes : Exemple de Ziguinchor. _________241
I-3-2-1- Ziguinchor : une ville entre crise et modernité ___________________________________________241
I-3-2-2 - La crise des télécentres, une disparition programmée ? ____________________________________245
7
II - Les cybercentres, symboles de l’accès à Internet à petit prix. _______________________ 247
II-1- Les cybercentres dans l’espace régional, une dynamique qui privilégie la ville. ____________________248
II-2- Les cybercentres dans la ville de Ziguinchor, une évolution en différentes phases. _________________250
II-2 -1 - De l’escale à la périphérie, trois périodes de développement : _______________________________251
II-2-1-1 - 1996-2000, un phénomène géographiquement localisé ___________________________________252
III-2-1-2- Entre 2000 et 2003, des établissements mixtes démultiplient l’accès _________________________254
II-2-1-3- La banalisation de l’Adsl ouvre une nouvelle ère. _______________________________________255
II-2-2 - Typologie des cybercentres dans la ville ________________________________________________258
CONCLUSION ___________________________________________________________ 260
Chapitre 9 : Logiques d’appropriation du téléphone, des usages innovants __________ 261
I Le téléphone, un formidable outil de désenclavement ________________________________ 262
II-1- Une extraversion des usages du téléphone _________________________________________________264
II-2 - Le mobile principal support de la relation _________________________________________________271
III- Le mobile, des usages innovants. _______________________________________________ 275
II--1- Une prime aux cartes prépayées ________________________________________________________279
II - 3 - Des systèmes pour décourager la concurrence. ____________________________________________281
II – 3- 1 - La recharge électronique, une innovation plébiscitée par les usagers ________________________281
II – 4 - Deux puces sur de vieux portables ____________________________________________________284
II-5 - Les sms (short messages services) une aubaine pour les jeunes ________________________________284
II – 6 - Le mobile, un relais communautaire en zone rurale ________________________________________287
III- Le business autour du mobile : un marché lucratif en milieu urbain _________________ 289
CONCLUSION ___________________________________________________________ 290
Chapitre 10 : Au-delà du téléphone, les villes s’ouvrent à Internet : jeux des acteurs usages,
et appropriations. _________________________________________________________ 291
I – La formation des acteurs et des usagers aux TIC. _________________________________ 292
I-I- Le marché de la formation. _____________________________________________________________292
I-2 - L’échec Scolaire, principal facteur d’émergence d’un marché __________________________________294
I-3- Une entreprise privée pionnière : SUD Informatique._________________________________________296
II - Le rôle du secteur institutionnel et organisationnel, des efforts appréciables. __________ 298
II-1- Les logiques et stratégies de l’Etat _______________________________________________________298
II – 2 - ONG et organisme internationaux : un rôle décisif? ________________________________________299
III - Deux cas illustratifs du développement d’Internet par l’aide internationale. __________ 300
III - 1 -Le centre Aden : une initiative de la coopération française apporte l’accès à Internet en zone rurale ____
_____________________________________________________________________________301
III – 1 – 1 - Localisation géographique et dispositif de fonctionnement _______________________________302
II-1-2- Etat des infrastructures à Coubanao ____________________________________________________303
III - 1 – 3 - Un contexte socio-économique local favorable à l’initiative du projet Aden _________________304
III – 1 – 4 - Les solutions techniques d’accès à Internet. __________________________________________305
III – 1 – 5 - Equipement et dispositif de fonctionnement __________________________________________307
III – 1 – 6 - La formation : les principes de base d’Open Office ____________________________________308
III – 1 – 7 - L’activité connexion à Internet : une source fiable de revenus ____________________________309
III – 2- Intégration des TIC dans le système éducatif local : Cas du lycée Djignabo de Ziguinchor. _________314
III – 2 – 1 - Rappel du contexte national. ______________________________________________________314
III – 2 – 2 - Le lycée Djignabo, un vaste établissement en décrépitude _______________________________315
III – 2 – 3- Le projet Humtec, une connexion au réseau pour révolutionner les pratiques pédagogiques. _____316
III – 2 – 4 - Les moyens matériels pour une structure totalement autonome ___________________________318
II – 2 – 5 - Les conditions techniques de connexion à Internet ______________________________________320
II – 2 – 5 - Les conditions d’accès et d’usage de la salle informatique _______________________________321
IV - Les usages d’Internet dans la ville de Ziguinchor, une analyse à travers les cybercentres 325
IV - 1 - Le cybercentre, un lieu d’accès prioritaire pour les Ziguinchorois. ____________________________326
IV - 2 - Les usages d’Internet, des spécificités locales très marquées_________________________________328
IV – 3 – 1 - 1 - Des usagers jeunes et instruits, principaux clientèle des cybercentres. ___________________328
IV – 3 - 1 – 2 - La prédominance des usages ludiques ____________________________________________330
8
IV – 3 – 2 Au centre ville, une diversification très nette des usages. _________________________________331
IV - 3 - 3 - Dans la zone intermédiaire des usages très proches de ceux de l’escale ______________________333
IV – 3 – 4- Place au jeu et au chat dans la périphérie : Exemple à Lyndiane___________________________334
V - L’aspect vitrine des sites web sur la Casamance. __________________________________ 337
V-1- La prolifération des sites touristiques, une production destinée à l’extérieur ______________________338
V – 2 - Les sites web au sein des associations villageoises et paysannes ______________________________340
V – 3 - Les collectivités locales de Ziguinchor, les grands absents sur le Web _________________________341
V – 4 - Le conflit casamançais sur la toile _____________________________________________________343
VI - La région vue par les internautes à travers les blogs ______________________________ 343
CONCLUSION ___________________________________________________________ 346
CONCLUSION GENERALE _______________________________________________ 347
BIBILIOGRAPHIE _______________________________________________________ 356
OUVRAGE GENERAUX _________________________________________________________ 356
ARTICLES ___________________________________________________________________ 361
MEMOIRES, THESES ET HDR __________________________________________________ 370
RAPPORTS ET ETUDES _______________________________________________________ 372
SITES INTERNET _____________________________________________________________ 374
ANNEXES ______________________________________________________________ 375
QUESTIONNAIRE D'ENQUETES ________________________________________________ 376
Entretien avec Alassane Ngom Directeur de Sud Informatique. ____________________ 389
9
LISTES DES CARTES
10
LISTE DES FIGURES ET GRAPHIQUES
Figure 1: Evolution des victimes civiles par mines entre 1988 et 2006 _______________________________ 70
Figure 2: Evolution du parc de téléphones fixes de 2000 à 2006 ___________________________________ 107
Figure 3: Evolution des abonnés mobiles entre 2000 et 2005 _____________________________________ 109
Figure 4: Evolution cumulée des abonnés au fixe et au mobile au Sénégal de 2000 à 2006 ______________ 110
Figure 5: Evolution de la bande passante au Sénégal entre 1999 et 2007 ____________________________ 111
Figure 6: Etat des échanges commerciaux de la région de Ziguinchor (Source PDRI 2005) _____________ 146
Figure 7: Typologie des routes au sein de la région _____________________________________________ 176
Figure 8: Evolution du trafic aérien de 1994 à 2000 ____________________________________________ 179
Figure 9: Evolution du frêt aérien entre 1994 et 2004 ___________________________________________ 180
Figure 10: Evolution du nombre de navire arrivant au port de Ziguinchor entre 1993 et 2002 ___________ 183
Figure 11 Evolution du trafic total au port de Ziguinchor entre 1993 et 2002_________________________ 184
Figure 12: Evolution des abonnés à l'électricité par département entre 1993 et 2002 __________________ 197
Figure 13: Taux de saturation du réseau mobile Orange dans trois régions du Sénégal en Septembre 2007 _ 206
Figure 14: Récapitulatif des radios communautaires dans la région en 2007 _________________________ 217
Figure 15: Nombre de cybercentres par quartier en Octobre 2006 _________________________________ 250
Figure 16: Evolution sur 9 ans des cybercentres dans la ville de Ziguinchor de 1998 à 2007 ____________ 252
Figure 17: Destination des appels sortants de Ziguinchor entre Janvier 2004 et Décembre 2006 _________ 265
Figure 18: Evolution du trafic total en Erlang à la centrale de Ziguinchor en 2004 ____________________ 272
Figure 19: Evolution du trafic total en Erlang à la centrale de Ziguinchor en 2005 ____________________ 272
Figure 20: Trafic total à la centrale en Erlang de Ziguinchor en 2005 ______________________________ 272
Figure 21: Evolution mensuelle du trafic téléphonique en Erlang de la région en 2004 _________________ 273
Figure 22: Evolution mensuelle du trafic téléphonique en Erlang de la région en 2005 _________________ 273
Figure 23: Evolution mensuelle du trafic téléphonique en Erlang de la région en 2006 _________________ 273
Figure 24: Destination principale des appels des abonnés mobiles Orange en 2006 dans la région _______ 283
Figure 25: Evolution mensuelle des connexions à Internet en 2007 à Coubanao ______________________ 311
Figure 26: Diagramme en barre des connexions en 2007 ________________________________________ 312
Figure 27: Architecture technique de la salle des ressources (source Laurent Piolenti 2007) ____________ 320
Figure 28: Les lieux d'accès privilégie à Internet à Ziguinchor selon les internautes ___________________ 326
Figure 29: Age moyen des Internautes _______________________________________________________ 327
Figure 30: Niveau général d'études des Internautes_____________________________________________ 329
Figure 31: Types d'usages dans les cybercentres _______________________________________________ 330
Figure 32: Interface du site de réservation de la SOMAT ________________________________________ 333
Figure 33: Répartition des usages d'Internet dans le quartier de Lyndiane ___________________________ 336
Figure 34: Interface du site web casamance.net________________________________________________ 339
Figure 35: Portail web du Conseil régional de Ziguinchor _______________________________________ 342
Figure 36: Tableau publicitaire de ASFI sur Internet ___________________________________________ 344
11
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1: Evolution annuelle des victimes civiles par mines de 1988 à 2006 _________________________ 70
Tableau 2: Indicateurs sociaux du Sénégal en 2007 ______________________________________________ 92
Tableau 3: Quelques statistiques des télécommunications au Sénégal en 2007 _________________________ 98
Tableau 4: Quelques chiffres sur l'Internet au Sénégal en 2007 ___________________________________ 113
Tableau 5: Frais d'abonnements Adsl en 2007 en FCFA _________________________________________ 113
Tableau 6: La région de Ziguinchor en chiffre _________________________________________________ 118
Tableau 7: Répartition par arrondissement des villages déplacés de la Région _______________________ 122
Tableau 8: Taux départementaux d'urbanisation en 2004 ________________________________________ 127
Tableau 9: Effectifs scolaires par département en 2004 __________________________________________ 136
Tableau 10 : Principales productions agricoles de la région ______________________________________ 142
Tableau 11 Les remplissages des établissements hôteliers ________________________________________ 144
Tableau 12: Pourcentage de dégradation des routes ____________________________________________ 178
Tableau 13: Situation de l'électrification urbaine au Sénégal par foyer et par région en 2005 ___________ 195
Tableau 14: Evolution des abonnés à l'électricité par type et par département de 2000 à 2004 ___________ 195
Tableau 15: Situation de l'électrification rurale par région au Sénégal par foyers ruraux (Source ASER)___ 198
Tableau 16: Evolution des abonnés au téléphone au Sénégal de 1993à 2004 _________________________ 220
Tableau 17: Répartition des abonnés au téléphone fixe de 2001 à 2004 _____________________________ 221
Tableau 18: Evolution des capacités équipées et raccordées de 2001 à 2004 _________________________ 222
Tableau 19: Répartition du coût de raccordement selon la zone et le type ___________________________ 223
Tableau 20: Etat des Résiliations pour défaut par centrale de paiement des lignes fixes de 2001 à 2004 ____ 224
Tableau 21: Prévision des demandes de raccordements en téléphone sur 3 ans _______________________ 225
Tableau 22: Tableau de synthèse des contraintes et des hypothèses ________________________________ 228
Tableau 23: Tableau des communications téléphoniques par centrale au Sénégal _____________________ 263
Tableau 24: Destinations des appels sortants de Ziguinchor entre Janvier 2004 et Décembre 2006 _______ 265
Tableau 25: Répartition des commerçants par secteur d'activité ___________________________________ 267
Tableau 26: Les Points de vente TIGO dans la région de Ziguinchor en octobre 2007 __________________ 277
Tableau 27 Tableau tarifaire de l'opérateur Orange (à l'unité) en janvier 2008 _______________________ 282
Tableau 28: Tableau tarifaire de TIGO à la seconde en 2008 _____________________________________ 282
Tableau 29: Tableau récapitulatif du matériel informatique et technique du Centre Aden _______________ 308
Tableau 30: Les effectifs du Lycée de 2001 à 2005 _____________________________________________ 316
12
Avant-propos
C’est en 1999, que je découvrais pour la première fois la région de Ziguinchor dans le
cadre de la réalisation de mon mémoire de Maîtrise en géographie. Celui-ci portait sur les
modifications de l’écosystème du fleuve Casamançais dues à la sécheresse climatique qui
sévit dans la région depuis la fin des années 1960. Un mémoire de DEA, sur la même
problématique, a logiquement suivi cette recherche. Il devait déboucher sur une thèse de
doctorat. Après Un DESS en gestion de l’environnement, j’ai décidé de faire une thèse de
doctorat pour étudier l’environnement et les ressources naturelles dans l’estuaire de la
Casamance.
En 2003, après une année d’inscription à Toulouse, je traversais des moments de doute
et d’angoisse car je ne savais pas comment aborder sérieusement cette thèse tout en
bénéficiant de l’encadrement et de l’aide matérielle nécessaires. En octobre 2004, je fis la
connaissance de Madame Annie Chéneau Loquay, Directrice de recherches au CNRS au
Centre d’Etude d’Afrique Noire (CEAN) de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Bordeaux.
Je lui fis part de ma situation et lui exposa mon vœu de m’inscrire sous sa direction à
Bordeaux. Ayant mené plusieurs études sur la région depuis 1979, elle m’a convaincu que les
modifications éco systémiques en cours dans la région ont été largement étudiées. Elle me fit
la proposition de changer de sujet tout en gardant ma région d’études pour aborder cette
problématique très récente sur les modes d’insertion des TIC dans les pays du Sud1 en
m’assurant de toute son aide. Ainsi naquit ma collaboration avec elle.
Une place particulière dans la collecte des données et dans l’élaboration de la réflexion
doit être réservée à mon accueil au sein du réseau de recherche Africanti, du GDRI
NETSUDS, tous deux de l’Unité Mixte de Recherche CNRS-IRD de Bordeaux. Mon accueil
en tant que chercheur associé au sein du défunt GRESOC (Groupe de Recherches
Socioéconomiques) à l’Université de Toulouse Le Mirail m’a été utile pour approfondir mes
axes de recherches. Mes deux premières années de thèse ont été donc entièrement consacrées
à la familiarisation avec la littérature sur les TIC autant dans les pays développés que dans les
pays du sud afin de mieux cerner les différences de problématique. Evidemment, le site WEB
d’Africanti et la revue NETCOM ont facilité ma phase d’initiation. La consultation des
archives du colloque « Fractures numériques Nord/Sud » organisé par Africanti en Août 2003,
1
C’était aussi sa thématique de recherche.
13
m’a convaincu qu’aborder la question des TIC dans les pays du Sud ne doit pas uniquement
se limiter à décrire les insuffisances des infrastructures d’accès. Je remarquais des nuances
profondes selon que la question était abordée par des économistes, des sociologues, des
géographes, ou de tout autre chercheur pouvant s’y intéresser. L’approche pluridisciplinaire
m’a montré que ces questions devaient être analysées dans leur globalité sans se focaliser
uniquement sur les handicaps des pays du Sud tant les situations sont controversées. Je
découvrais par la même occasion que le Sénégal était cité en exemple pour son réseau de
télécommunications et ses politiques en matière de développement des TIC. Les facteurs
sociaux et économiques de l’impact des TIC constituaient les principaux éléments d’analyse.
Les facteurs territoriaux un peu négligés ne permettaient pas d’avoir des éléments de
comparaison à l’échelle du pays.
Pour ma région d’études, ma principale difficulté était de faire la corrélation entre
l’enclavement de région, la situation politique traumatisante et toutes les opportunités que les
populations pouvaient tirer d’un développement des infrastructures de télécommunications.
Ainsi, mes échanges avec Vincent Foucher2 ont été très fructueux pour comprendre le
traumatisme que la région de Ziguinchor a vécu. Indépendamment, de ces contacts, j’ai
abondamment eu recours aux ressources inépuisables d’Internet. A ce titre, la consultation du
site Internet de l’observatoire de l’insertion des TIC au Sénégal (OSIRIS), de même que mon
inscription sur plusieurs listes de diffusion m’ont été profitables.
De manière générale, d’une recherche bibliographique à l’autre, j’ai pris la mesure de
la littérature variée autant sur les rapports TIC-Développement, sur les rapports TIC-
Territoire, que sur les rapports TIC-Intégration et Mondialisation. De manière récurrente,
revenait le thème de la fracture numérique mais la posture de recherche d’Annie Chéneau
Loquay sur les pays africains, est celle adoptée pour définir mon canevas de recherche. Elle
écrit notamment en 1997 qu’ «en analysant comment s’insèrent dans les pratiques sociales et
dans les territoires les moyens nouveaux d’information et de communication, et quel est leur
impact, on appréhendera quel rôle ils peuvent jouer dans la résolution des problèmes
régionaux». Evidemment je ne prétends pas avoir épuisé la littérature sur mon thème de
recherche d’autant que, pendant toute la phase de rédaction, j’ai été amené à compléter mes
références bibliographiques. Ainsi, se résume le contexte particulier dans lequel cette thèse est
réalisée.
2
Il est l’auteur d’une thèse et de nombreux articles sur ce conflit qui a ensanglanté cette partie du Sénégal.
14
Résumé
Mots Clés : Ziguinchor – Enclavement - TIC - Secteur informel –- Accès publics
Téléphone- Internet - Relation TIC/territoire - Initiatives privées – Usage.
Summary
Key words: Ziguinchor - Enclosing – ICT- Informal- phone center- Cyber center –
Private Initiatives- Public Access-
Ziguinchor belongs the most isolated administration’s area in Senegal. In this district,
slate or cut to the rest of Senegal by a foreign country; Gambia, taken in armed rebellion since
1982, infrastructures of the telecommunications know paradoxically a modernization which
hoists her at a level of the other regions of Senegal, except in the Dakar region. These
networks of infrastructures, although unevenly distributed, allow the region of Ziguinchor to
be connected with the world streams of information. Spurred by the local deprived
entrepreneurs, of the market of the informal, and the international assistance, develop points
of access in trick of type télécentre for the telephone and cybercentres for the Internet. The
space of relation of the region widens. The true revolution of the communications is the phone
mobile. But the manners of Internet (email at first) and of the mobile phone reveal effects at
the same moment of extraversion and centring of the regional society.
15
Introduction générale
Ce travail de thèse porte sur les « Réseaux et Systèmes de Télécommunications
dans une région périphérique du Sénégal : Ziguinchor en Casamance » (Carte 1).
La région de Ziguinchor est une région particulière dans l’ensemble national
sénégalais de plusieurs points de vue. L’héritage colonial en fait une région coupée du reste
du territoire national par un pays étranger, la Gambie. Son peuplement originel est différent,
les Diolas, les Manjacks, les Mancagnes, peuples de riziculteurs ne se retrouvent pas dans
d’autres régions. Elle appartient à la région naturelle de la Casamance au climat sub guinéen
alors que le reste du Sénégal est sahélien. Notre territoire d’étude est morcelé par un réseau
hydrographique dense, qui lui confère une certaine attractivité et entretient le mythe d’une
région riche. Ces particularités ne sont pas étrangères à la crise politique que connaît la région
depuis plus de vingt ans. En effet, la coupure gambienne renforce ce sentiment
d’exterritorialité de la région. Les difficultés sont surtout liées à la circulation des biens et des
personnes, à la vie de relation, autant avec ses voisins immédiats qu’avec le reste du pays.
L’enclavement et l’éloignement physique constituent indéniablement un facteur d’isolement
de la région de Ziguinchor.
Face à ces handicaps matériels liés à une situation de périphérie, que nous apprennent
les processus de développement des télécommunications dans cette partie du Sénégal ? Les
communications à distance peuvent-elles pallier les difficultés des communications
matérielles ? Quels rôles les réseaux jouent-ils dans les zones enclavées? Quelles sont les
relations entre TIC (Technologie de l’information et de la communication) et Territoires?
Cette région est-elle en avance ou en retard en matière de développement des TIC par rapport
aux autres régions du Sénégal? Quel rôle jouent les différents acteurs dans l’équipement du
territoire ? Quel est le rôle de l’Etat, du secteur privé, des réseaux sociaux ?
Ce sont autant de questions qui constituent la problématique centrale de notre thèse,
les télécommunications sont-elles aptes à transcender la rugosité d’un tel territoire et
comment ?
L’acronyme TIC3 renvoie « aussi bien à des objets matériels, outils, procédés, qu’à
des objets immatériels, des connaissances, des contenus, des symboles et couvrent, dans le
même temps, les trois branches de la communication : les télécommunications (téléphone,
16
transmissions par câble ou par satellite), l’informatique au sens large et l’audiovisuel ». Les
TIC sont nées de la fusion de l’informatique et des télécommunications. La diversité de leurs
composantes résume en elle-même toute la difficulté pour déterminer les limites du champ
d’application des TIC.
De la naissance de l’écriture à l’Internet, il y a eu, dans l’histoire des innovations
technologiques, une profusion d’outils de plus en plus performants. Hier les routes, les
chemins de fer, la navigation maritime et aérienne, la mobilisation des ressources
énergétiques, la révolution induite par l’imprimerie etc., et aujourd’hui les TIC. Le défi
semble être se déplacer toujours plus vite, de communiquer facilement et d’avoir une maîtrise
sur les notions de temps et de distance, un contrôle sur l’information. Au même titre que les
matières premières, le capital et le travail, les télécommunications, à travers l’information,
sont considérées comme un facteur de production territoriale.
Les TIC, et plus particulièrement les réseaux de télécommunications, s’inscrivent dans
l’espace géographique. Ils maillent le territoire et modifient les rapports espace/temps car
avec Internet, «la planète semble s’être rétrécie, la distance se trouve niée et le temps
domestiqué» souligne Henry Bakis (1980) l’un des spécialistes français des rapports entre
géographie du territoire et communication. La nouveauté est que désormais, certains réseaux,
Internet en particulier, rendent possibles des liens invisibles qui modifient le fonctionnement
classique du territoire.
Face à cette nouvelle problématique des objets immatériels comme les TIC, qui, par
nature, diffèrent des objets matériels de communication sur lesquels s’est fondé le
développement industriel, les géographes s’interrogent. Contrairement aux autres
technologies, la principale caractéristique des réseaux de télécommunications réside dans leur
capacité à transcender la rugosité territoriale. Les auteurs mettent souvent en avant leur
possibilité de supprimer l’obstacle de la distance, facilitant du coup la circulation de
l’information. Dans le débat sur le rôle des TIC dans le développement territorial, certaines
approches soutenues par la recherche prônaient même une indifférenciation spatiale4. Il est
tentant, en effet, de penser que le caractère nouveau des TIC mettrait ces dernières à même de
créer une nouvelle trame du territoire par substitution aux autres réseaux déjà existants.
4.Des mythes simplificateurs qui veulent une déterritorialisation des échanges née de l’instantanéité des relations
sans distance a été largement prônée par les thèses des futurologues américains. (Exemple des équipes de
recherche du MIT à Cambridge ou à Stanford). De la déterritorialisation, nait un autre mythe : celui de la
reterritorialisation. La position des géographes qui travaillent sur cette question a largement contribué à
repositionner le débat en mettant à mal le mythe de l’indifférenciation spatiale.
17
Carte 1: Carte de situation de la région de Ziguinchor
18
A l’échelle mondiale, ces nouveaux outils jouent un rôle considérable dans le
processus de mondialisation et de globalisation des économies. Les progrès accomplis dans le
traitement et la maîtrise de l’information et de la communication ont favorisé l’essor et le
renforcement économique des pays du Nord. En Afrique, le contexte économique
défavorable, en plus du faible développement de ces technologies, ne plaide guère en faveur
de l’insertion des pays africains dans ce processus.
La situation du Sénégal montre, cependant, qu’en matière de technologies de
l’information et de la communication, le pays est un exemple en Afrique de l’Ouest malgré
son indice de développement humain (IDH) qui le classait en 2006 au 156ème rang mondial
sur 177 par le programme des nations unies pour le développement (PNUD). Le
développement des infrastructures et des services de télécommunications, la multiplication
des radios privées, l’accès à l’Internet à haut débit, et surtout l’usage progressif de ces
technologies dans les différents segments de la population et de l’économie sénégalaises, font
dire à Olivier Sagna (2006) que le Sénégal est en marche vers la société de l’information.5
L’environnement des télécommunications a beaucoup évolué et ceci grâce à l’existence
d’infrastructures modernes couvrant une grande partie du territoire sénégalais. Dans ce
contexte national fortement marqué par des stratégies politiques qui mettent les TIC au cœur
de la perspective de développement économique, pourquoi le choix de la région de
Ziguinchor comme terrain d’étude? Ce choix réside dans les faits suivants :
Il est peu de termes qui soient autant dans l’air du temps que ceux de Technologies de
l’Information et de la Communication. Et dès qu’on évoque les rapports TIC/territoire, à côté
de l’argumentaire du renforcement économique des métropoles, se développe celui de la
redynamisation des zones les plus reculées6. Mais malgré l’importance croissante que
5. Article présenté aux rencontres sous régionales de l’E-altas francophone de l’Afrique de l’Ouest les 26, 27 et
28 Avril 2006 sur le thème : « société de l’information développement local et participations citoyennes, Quels
outils, quelle formations ? La société de l’information est un concept très médiatisé, flou et difficilement
conceptualisable pour reprendre les termes de Philippe Vidal dans sa thèse sur la « Région face à la société de
l’information : Le cas de Midi Pyrénées et de Poitou Charentes en 2002. La mondialisation et la globalisation
des économies grâce aux technologies dites nouvelles ont accouché d’un nouveau terme fourre tout que seule
une approche pluridisciplinaire permet de comprendre. Si, pour les politiques, il est d’usage fréquent dans les
divers discours, par contre le terme « société de l’information » divise le milieu de la recherche universitaire.
C’est en ce sens qu’il faut comprendre Marc Guillaume (1997) quand il dit que « Le terme de société de
l’information est au centre de la rhétorique dominante. C’est le terme convenu, le lieu commun pour désigner
des innovations techniques majeures et leurs conséquences sociales. L’emploi de ce terme auquel viennent
s’ajouter ceux portés par la mode, (autoroutes de l’information, multimédias, commerce électronique etc.), s’il
n’est pas précisé et approfondi, conduit à amalgamer des phénomènes de nature très différentes. Il en résulte
des analyses faibles et des prospectives floues. C’est pour sortir de ce flou qu’il est nécessaire de se distancier
par rapport au vocabulaire reçu et de revenir aux processus concrets. » (Pour la source se rapporter à la thèse de
P. Vidal, pages 59-60)
6.Philippe Vidal, Françoise Desbordes (2007) :«Les technologies de la société de l’Information (TIC/SIG) au
service de l’aménagement et du développement des territoires en Afrique de l’ouest » ENEA, PROSENSUP,
19
prennent les TIC dans l’économie nationale7, les inégalités spatiales s’inscrivent dans un
espace national sénégalais fortement différencié, avec la ville de Dakar, principale zone
économique, qui polarise tous les investissements, et des villes intérieures sans attrait pour
l’investissement. Dans ce contexte, les études, jusqu’ici connues sur les TIC au Sénégal, se
limitent à faire l’état général du déploiement des réseaux électroniques au niveau national
avec une grande production sur Dakar, la capitale, mais très peu de choses sur les autres
régions. Dakar et la ville de Touba ont fait l’objet de travaux sectoriels s’intéressant à la
dynamique de développement et d’insertion des TIC. Les régions de l’intérieur font l’objet de
peu de publications malgré les politiques de modernisation des infrastructures initiées par les
pouvoirs publics.
Ainsi notre interrogation principale est savoir si la région de Ziguinchor fortement
enclavée et isolée, répondant à la métaphore géométrique du centre et de la périphérie souvent
utilisée pour décrire l’opposition entre deux types fondamentaux de lieux dans un système
spatial (le centre qui commande et la périphérie qui subit), en retard dans beaucoup de
secteurs, connaît, ou pas paradoxalement, un déploiement important des TIC
comparativement aux autres régions du Sénégal.
Outre le fait de vouloir combler ce vide, le choix de la région de Ziguinchor permet de
répondre à une problématique centrale concernant les rapports TIC/Territoire. En effet, cette
étude est une approche locale du déploiement des TIC dans une région instable. Mais malgré
cette instabilité politique, la région de Ziguinchor et au-delà la Casamance, est semblable aux
« régions périphériques que forment les zones frontalières africaines qui seraient selon des
études récentes des lieux d’une vie de relation ou plus précisément de circulation intense où
se réaliserait au quotidien une véritable intégration par le bas ou informelle, appuyée sur les
réseaux de relations sociales des acteurs divers de l’échange. »8
Une autre raison du choix du domaine d’étude se trouve dans la situation politique de
la région de Ziguinchor. Cette partie du Sénégal continue de subir les conséquences
désastreuses d’un conflit de séparation qui n’a toujours pas connu de solution politique
définitive. Un simple clic sur le lien Casamance dans Internet, permet d’avoir un nombre
impressionnant d’informations sur cette crise et sur le traumatisme qui en a résulté. Mais des
20
études menées dans d’autres pays en proie à un conflit de plus grande ampleur (exemple de la
RDC9) ont montré que malgré la déliquescence de l’Etat central, un processus d’implantation
des TIC est en place.
Dans son article « Surmonter les contraintes physiques et politiques pour le
déploiement et l’appropriation de l’Internet en RDC »10 Raphaël Ntambué Tshimbulu (2004)
nous donne un exemple de développement des TIC dans un pays en crise. Dans le territoire
fragmenté de la République démocratique du Congo (RDC) entre les différentes factions qui
se font la guerre, il y a un usage des différentes TIC. Le secteur informel très dynamique est le
moteur du développement des usages d’Internet dans cette région d’Afrique dont la situation
géopolitique est très loin de se stabiliser. Dans « Internet en Afrique : Un immense espoir
pour la jeunesse » Pascal Renaud (1999) écrit « même dans les pays en guerre, Internet est
porteur d’espoir. En RDC, dans l’ancien Zaïre, pays devenu le plus pauvre de la planète, les
cybercafés fleurissent, même en zone rebelle. »
En Afrique, de manière générale, les infrastructures modernes de télécommunications
sont moins développées dans les pays ou l’emprise des Etats sur le territoire est moins
marquée : Tchad, Sierra Leone, RDC, Libéria11. Cependant, dans la région de Ziguinchor,
quoique la crise perdure, la situation n’est pas encore catastrophique puisque l’Etat sénégalais
est présent dans la région à toutes les échelles de représentation politique.
L’hypothèse soutenue est que les chocs successifs que la région de Ziguinchor a
connus n’ont pas entravé le développement de systèmes de communication modernes et
que les TIC sont mises à profit pour pallier les défaillances physiques de communication.
Par systèmes de communication, nous entendons bien sûr les échanges, les transports,
la circulation des biens et des personnes, l’information et la communication par l’usage de ces
nouveaux outils (Internet par exemple) qui rendent obsolètes ceux qui, il y a quelques temps,
étaient à la pointe de la technologie.
Les études sur le continent Africain reviennent très souvent sur le constat de
l’obsolescence, du sous-équipement et de la faiblesse des infrastructures. Cependant, au-delà
du constat, Annie Chéneau Loquay12 nous fournit une analyse par une approche des réseaux
22
l’enclavement de la région. Cette partie expose aussi l’état des infrastructures de
télécommunications dans la région.
La troisième partie étudie le déploiement des réseaux de télécommunications dans la
région. Elle traite des accès au téléphone et à Internet à travers le phénomène de mutualisation
qui est un aspect du modèle africain d’accès aux TIC.
La quatrième partie : définit les formes d’usage et d’appropriation des TIC dans la
région. Au préalable, elle insiste sur le rôle des acteurs sociaux pour favoriser le
développement des TIC. Sur l’ensemble de ces questions, la ville de Ziguinchor constitue un
champ d’observation et d’analyse particulièrement intéressant confortée en cela par sa place
économique dans l’espace sénégambien.
La conclusion présente une synthèse ainsi que les perspectives de recherche issue de
cette étude.
23
PREMIERE PARTIE
TIC et territoire : approche théorique
24
Introduction
Cette première partie est consacrée aux orientations théoriques. Elle se compose de
deux chapitres :
Le chapitre 1 : est consacré à la construction d’une problématique à travers les
concepts de territoires et réseaux. Il nous permet aussi de montrer les enjeux scientifiques
d’une telle étude grâce à une revue critique de la littérature.
Le chapitre 2 : Méthodologie- contexte de mobilisation de l’information- et limites de
l’étude.
25
Chapitre 1 : Approches Conceptuelles
19.Se rapporter au travail de Gaston Zongo sur les Télécentres au Sénégal. Sur demande du Centre Canadien de
Coopération Internationale (CRDI), des études ont été surtout menées sur le Sénégal en ce qui concerne le
développement des TIC en Afrique et au Sénégal en particulier et ceci depuis les années 2000.
20.Beaucoup de pays africains ont connu des instabilités politiques marquées par de sanglantes guerres civiles.
C’est le cas de la Somalie qui n’existe plus que sur les cartes. On peut notamment citer le Zaïre actuel RDC
vaste et riche pays qui échappe au contrôle total de l’Etat central. En Afrique de l’ouest la Sierra Léone, le
Libéria de même que la Côte d’Ivoire ont connu des périodes de troubles où les pays ont été au bord de
l’implosion.
21.Benoît Véler (2001) : « Le réseau point commun entre Internet et la géographie» www.antioche.net
26
I-1-Territoire, Innovation, Réseaux : Construction d’une
problématique.
La connaissance scientifique des TIC est un champ multidisciplinaire, l’un des grands
carrefours des sciences humaines où les principaux apports proviennent de la sociologie, de la
psychologie, des sciences de l’information et de la communication mais aussi de la
géographie en ce qui concerne la dimension spatiale des télécommunications. Jusqu’à une
période récente, cet aspect n’a guère été envisagé ni de manière systématique, ni même
accessoirement. Pourtant, le développement de la géographie des transports aurait pu stimuler
et canaliser l’étude géographique des télécommunications. Mais cette branche de la
géographie économique s’est exclusivement cantonnée à l’analyse des transports qui ont
permis de résoudre les problèmes liés à la distance en réduisant la pénibilité, le coût et le
temps consacré à entrer en communication avec les autres hommes.
Les TIC semblent être le dernier avatar de lutte contre la distance. Celles-ci iraient-
elles plus loin encore en radicalisant notre rapport à l’espace ?22Il y a une évolution
significative avec l’augmentation des publications géographiques qui introduisent résolument
la dimension spatiale des TIC dans toutes les recherches entre le territoire, l’innovation
technologique et la complexité des réseaux.
La géographie est définie par Roger Brunet (1992) comme «la connaissance de cette
œuvre humaine qu’est la production et l’organisation de l’espace».23 La position de la
discipline par rapport aux autres sciences sociales est ambitieuse car il s’agit de comprendre la
diversité des systèmes géographiques et de formaliser les processus qui expliquent cette
différenciation de la surface de la terre. Son objet est la description et l’interprétation de
l’organisation de la surface terrestre par les sociétés humaines. Le dénominateur commun de
22.Cette question est posée par Sarah Tesse dans son article : « Les technologies de l’information et de la
communication annulent-elles l’espace ? » Par une approche philosophique des concepts d’espace et de distance
et ceci grâce à la phénoménologie (Heidegger et Merleau Ponty), elle s’est attachée à démontrer en quoi l’espace
déborde le simple concept de distance.
23. Dans « Les mots de la géographie en 1992 ». Cf bibliographie
27
toutes les recherches géographiques réside dans l’étude systématique de la dimension spatiale
des phénomènes.
Les géographes ont fait de l’espace leur entrée principale même si, comme le stipule
Roger Brunet (al et 1993, p 233), l’espace «est utile aux stratèges, aux marchands, aux
promoteurs et autres investisseurs et même au promeneur.» En résumé, quiconque veut
comprendre l’organisation et le fonctionnement des sociétés humaines s’intéresse
nécessairement à l’espace (A.C.Loquay 2007), notion consubstantielle à la géographie (Max
Sorre)24
L’espace est commun à plusieurs disciplines, et chacune en a sa propre perception.
Mais pour la géographie l’espace est continu, concret et localisable contrairement aux autres
sciences ou la notion est un peu abstraite (espaces mathématiques, économiques, politiques,
sociaux, juridiques, psychologiques etc…) En réalité l’observation géographique et la
description subséquente de l’espace ou des espaces ne sont qu’une forme d’entrée pour
étudier la société. C’est sans doute ce qui explique que la géographie est une discipline qui
peine à trouver sa place dans une classification des sciences, entre les sciences de la nature et
les sciences sociales25 car les géographes sont sans cesse confrontés à la délimitation de leur
objet de recherche26.
Les grands découpages thématiques dans la discipline (géographie physique,
géographie humaine… etc.) ont permis de produire des concepts originaux, ou d’enrichir des
notions empruntées à d’autres sciences sociales. Par exemple en donnant un point de vue sur
l’aménagement de la surface de la terre, la géographie partage des concepts avec les sciences
sociales et des questions ou des méthodes avec les spécialistes d’autres systèmes complexes.
Discipline de l’organisation de l’espace, la géographie s’est considérablement
renouvelée au cours de ces vingt dernières années tant dans ses concepts que dans sa
démarche pour dépasser cette approche analytique et essayer de saisir la manière dont les
sociétés s’approprient l'espace pour s'organiser et se structurer. L’abandon progressif des
anciens découpages thématiques pour cette approche phénoménologique se justifie par le
besoin de comprendre les mécanismes qui induisent ces phénomènes et surtout la
compréhension du rôle des acteurs, dans le temps, mais également à différents niveaux
d’échelles.
La géographie trouve également dans ce renouvellement27 de méthode, les ressources
24.Cité par Gilbert Maistre dans sa thèse de doctorat : « Géographie des mass-médias » 1976 PUQ
25.Lu sur le site de http//www.chez.com/geographienet/ - 21k, site consulté le 25 Aout 2007
26.Annie Chéneau Loquay (2007)
27.Exemple du groupe RECLUS (Réseau d’Etudes des Changements dans les localisations et les Unités
28
pour apporter les éclaircissements nécessaires sur l’impact potentiel des technologies de
l’information et de la communication sur les territoires. Il faut dire qu’il existe de grandes
bifurcations et des mouvements nouveaux et profonds qui interviennent dans la
différenciation et l’organisation des territoires dans un univers en perpétuel changement dans
lequel les problèmes ont une dimension mondiale. Comme l’affirme Gilbert Maistre (1976),
«ce qu’il est convenu d’appeler la nouvelle géographie refuse de se laisser enfermer dans
cette conception réductrice de l’espace-lieu ». Elle se sent concernée par tous les types
d’espaces et ne peut être insensible à la compréhension de l’impact des télécommunications
sur l’espace. Face à cette perspective, de nouveaux axes de recherches et de prospectives ont
émergé et au sein de la discipline géographique s’est singularisée la «géographie des
télécommunications»28 comme l’ont été par le passé la géographie humaine ou la géographie
physique.
La géographie des télécommunications étudie les interrelations entre les réseaux
sociaux et techniques et leurs relations avec le territoire. Selon Eveno29 (1997), c’est une
géographie qui se doit de «s’interroger sur les façons dont les TIC s’intègrent dans les
rapports socio-territoriaux, dans les formes de territorialité des organisations politiques et
économiques». Sur ce terrain de recherche, l’originalité de l’approche géographique doit se
situer dans la lecture spatiale des télécommunications. Comme l’écrit Henry Bakis (1980) :
«l’importance du système transport- télécommunications, semble tout à fait claire. En effet,
c’est l’inclusion des télécommunications dans un complexe de relation que le phénomène a le
maximum de pertinence géographique. Pour résumer cette constatation par une formule, on
pourrait dire que la géographie des télécommunications est somme toute, une partie de la
géographie des communications»30. Les aspects immatériels (télécommunications et
l’ensemble des TIC) s’associent donc aux aspects matériels pour enrichir l’analyse
géographique.
Après les transports, la géographie étudie désormais les incidences des réseaux de
29
télécommunications sur la construction territoriale. Cependant Marie Claude Cassé (1995)
déplore que tout en s’intéressant au réseau de télécommunications au sens restrictif
d’équipements techniques susceptibles de structurer l’espace au même titre que les réseaux de
transport antérieur, la discipline soit restée muette sur les caractéristiques propres à cet enjeu
immatériel. La raison tient au fait que les géographes n’ont pas toujours fait l’investissement
nécessaire pour comprendre les processus techniques liés aux TIC (A. Chéneau Loquay 2007)
et donc leurs implications spatiales et sociales, investissement qui demande du travail et du
temps, ce que Gille Puel (2006)31 appelle «un coût d’entrée élevé»
Le territoire est l’objet de toutes les attentions [..], parce qu’il est au centre des
représentations que nous nous faisons de la complexité qui nous entoure. Et ce qui nous
entoure, c’est d’abord l’espace, mais le terme est trop neutre pour caractériser ce que nous
pressentons comme étant plus élaboré. Le territoire s’est substitué doucement à ce terme
(espace) en conférant plus d’épaisseur à ce que l’on pourrait aussi nommer environnement,
[…] c’est-à-dire mêlant à la fois milieu physique, naturel et aménagé. Mais subtilement, le
territoire s’avère être beaucoup plus que l’espace, l’environnement, ou les hommes qui le
peuplent et se l’approprient; il est plus que tout cela, mais finalement ne correspond plus à
rien à force d’utilisations abusives. Alexandre Moine 200632
30
I-1-2-1-Le territoire est avant tout un système
En géographie, le concept de territoire est muni d’une métrique, celle des distances
géographiques et c’est cette métrique qui permet de le maîtriser et de le représenter dans
l’espace euclidien. Mais certaines définitions du concept de «territoire» sont très proches de
celles de «l’espace géographique ». Pour Roger Brunet (et al… 1993), «l’espace
géographique est l’étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés en vue de leur
reproduction, non seulement pour se nourrir et s’abriter, mais dans toute la complexité des
actes sociaux. » Cette définition de l’espace géographique peut facilement se confondre avec
celle donnée par Maryvonne Le Berre (1992)34 à propos du territoire. Le concept renvoie,
selon cet auteur, à la portion de surface terrestre appropriée par un groupe social pour assurer
sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux.
Ces deux définitions nous montrent que le concept de territoire est marqué par la
polysémie. Pour éviter tout risque de redondance, il nous semble que le territoire doit être
abordé par rapport à ce qu’il est avant tout : un système même s’il n’est jamais véritablement
défini comme tel (Le Berre 1992)35. Ce préalable est fondamental pour toute recherche de
consensus car l’évolution des entités territoriales se construit à partir d’interactions entre des
entités d’échelles différentes et leurs relations.
Pour Roger Brunet (1997), le territoire n’est pas un dérivé de l’espace36, il est plutôt
un espace organisé, le produit des interrelations entre les différents acteurs. C’est un ensemble
de systèmes complexes en permanente évolution selon des temporalités très différentes, si
bien qu’il est difficile de démêler quelles sont les interactions significatives dans leur
émergence. Les relations qui les entretiennent, qui les construisent ou qui les détruisent, se
modifient au cours du temps. Il s’agit des interrelations multiples (Moine 2006) qui lient ceux
qui décident, perçoivent, s’allient, imposent et finalement aménagent. C’est parce que le
«territoire est dans sa structure un outil, un potentiel de ressources naturelles et artificielles,
matérielles et immatérielles plus ou moins rares mobilisées par les hommes en fonction des
techniques de production et d’encadrement dont ils peuvent disposer à un moment de leur
histoire » (Chéneau Loquay 2007).
34
Maryvonne le Berre sous la dir de A.Bailly, R.Ferras,D.Pumain, in «Encyclopédie de Géographie », 1992,
pages 617-633
35.Cité par Alexandre Moine dans son texte : «Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire
pour l’aménagement et la géographie» Encyclopédie de Géographie 2006 Numéro 2 Pages 115-132
36.«L’espace géographique est l’étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés en vue de leur
reproduction." Roger Brunet 1997.
31
Il s’agit d’un tout, composé de sous systèmes, d’éléments et surtout de relations qui
ont abouti à «un système spatialisé, mettant en relation une multitude d’agents et d’objets
matériels et immatériels.» (Besancenot. F. 2006)37 Cette «nécessité territoriale» comme le dira
Claude Raffestin plus tard découle du fait que l’espace géographique est marqué par des
strates de phénomènes très divers qu’il faut nécessairement connecter entre elles38.
On peut donc identifier, dans ce système, plusieurs catégories d’acteurs susceptibles
d’influencer son évolution : l’Etat, par ses politiques, influence les collectivités territoriales ;
celles-ci doivent bien gérer les affaires dont elles ont la charge dans l’espace qui correspond à
leurs prérogatives, les citoyens, les acteurs sociaux qui sont les différentes parties prenantes
lorsqu’ils souhaitent modifier leur environnement et disposer d’un rôle effectif ou potentiel
notoire (Vaivre, 200139), des entreprises ou à titre individuel lorsque leur développement
amène à saisir les potentialités de l’espace géographique.
Cette approche systémique du concept met d’abord en relief la multiplicité des acteurs
qui agissent et interagissent dans l’émergence et le fonctionnement du territoire.
Au départ, le territoire était la terre, le sol, il était indissociable des notions d’existence
et de ressource. Par le jeu des acteurs, l’espace est sans cesse utilisé, il se construit, se crée, se
modifie et se transforme. Plusieurs générations se succèdent sur le même espace et chacune
marque son passage en effaçant lentement ou brutalement les empreintes de celles qui les ont
précédées. Pour la géographie, l’individu, le groupe, plus ou moins informel, l’entreprise, la
collectivité locale, l’Etat… sont les principaux acteurs de la construction territoriale.
C’est Pierre George (1974) qui introduit la notion de territoire dans le champ de
l’aménagement. Les liens entre le sol, la ressource et les modalités d’organisation politique
sont établis. Les thèmes récurrents de son œuvre sont l’action humaine, le milieu, l’usage que
l’on peut faire de la ressource et la mise en valeur des potentialités d’un espace défini.
Mais lorsque Guy Di Méo (1998) dans «Géographie Sociale et Territoire» écrit que le
territoire «témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de
l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur
37.François Besancenot : Acte du colloque sur le territoire organisé sous sa direction en 2006.
38.Annie Chéneau Loquay (2007)
39.Cité par Alexandre Moine 2006
32
histoire, de leur singularité »40, il fait allusion à l’existence d’un espace social et d’un espace
vécu. Le concept est muni dès lors d’une dimension cognitive, imaginaire que lui donne deux
héritages, un matériel et un idéel.
Roger Brunet (1992) tient sensiblement le même discours car pour lui sur un espace
défini, il existe des interactions entre l’homme et son environnement immédiat avec comme
finalité l’appropriation de cet environnement. Pour qu’il ait territoire, il faut donc que la
réalité matérielle soit appropriée par l’acteur. « L’idée de territoire […] implique l’expression
d’une volonté d’appropriation plus ou moins exclusive…» (Yves Lacoste 2004)41.
Cette idée est intéressante et replace bien l’enjeu que représente le rôle de l’acteur
dans la construction du territoire. R Brunet (1992) ajoute d’ailleurs dans Les Mots de la
géographie, après avoir qualifié le territoire d’espace approprié, qu’il est autre chose que
l’espace, lui associant des représentations et une socialisation.
Cette logique relationnelle liée à la complexité des diverses échelles du territoire
(nationale, régionale, locale etc) fait naitre chez Claude Raffestin (1980) une approche du
système territorial et surtout des acteurs en termes de jeu de pouvoir. De tous les géographes,
Raffestin est celui qui a fait de l’étude des relations sociales un enjeu de taille pour
comprendre les mécanismes qui fondent la construction territoriale.
A l’occasion de la construction territoriale se manifeste un ensemble de relation où
circule le pouvoir (Raffestin 1980). L’enjeu de la maitrise des réseaux de pouvoir est
fondamental dans la construction territoriale. A partir de la notion de pouvoir, Claude
Raffestin essaie d’allier les deux héritages (matériel et idéel) lié au territoire. Il a une triple
ambition : accorder une signification unique au territoire pour en faire un concept, proposer
une vision du territoire basée sur un système relationnel qui se manifeste par des réseaux
matériels et sociaux, et enfin donner à l’information sa place dans le processus de
construction territoriale.
Ainsi donc, selon Raffestin (1980), le territoire est défini par le jeu d’acteurs et de
pouvoir. Les différents acteurs du territoire ont par définition et par fonction un pouvoir sur le
territoire dont ils gèrent une maille et ses éventuelles subdivisions. Pour lui, c’est le pouvoir
qui est l’élément constitutif du territoire car sur celui-ci s’exerce toujours un pouvoir qui
repose de plus en plus sur la maîtrise de l’information. Raffestin (1980), développe la
conception du territoire à partir de l’analyse des réseaux sociaux et définit la territorialité
40.Guy Di Méo : «Géographie sociale et territoire». Paris Nathan Collection « Fac » page 42-43.
41.Yves Lacoste (2004) « De la géopolitique aux paysages », Dictionnaire de la géographie, Paris, A. Collin,
413 pages
33
comme étant toute relation sociale sur un territoire donné.
Dans «Pour une géographie du Pouvoir» (1980)42, il propose une vision du terme qui
favorise le processus d’organisation de l’espace selon lequel les rapports sociaux sont faits
«d’actes intentionnels qui agissent sur l’espace; il nomme ce processus la «théorie
relationnelle du territoire». Parce que le territoire peut-être défini comme le champ d’un
système d’intentions humaines en activité (Raffestin 1996, page 7)43, dans leur relation
mutuelle, les acteurs construisent des réseaux matériels mais aussi sociaux fondés autour du
pouvoir par «nécessité territoriale44». Le territoire est un niveau privilégié de partenariat et de
contractualisation pour faciliter la coordination des initiatives de base, des modes d’actions
des acteurs sociaux, de l’Etat, des populations et des intervenants extérieurs. Raffestin (1980)
fait donc du territoire le révélateur des relations de pouvoir qui s’exercent à tous les échelons
de la vie sociale.
Pour l’auteur, est territoire tout espace qui relève des relations toutes marquées par le
pouvoir45. Cette mise en scène fait de ces rapports sociaux une donnée cardinale du territoire.
C’est pourquoi l’auteur pense qu’avec les techniques de communication plus présentes et plus
performantes, toute étude de la production du territoire doit intégrer, l’analyse des réseaux de
télécommunications (1996, p 8)
42.Claude Raffestin (1980) : « Pour une géographie du pouvoir », Librairies Techniques, Paris, 1980, 249 pages
43.En préface au livre de Denise Pumain et Jean Marc Offner «Réseaux et territoires : significations croisées»,
Claude Raffestin s’appuie sur le concept de «trois couches » de Nicolas Curien pour montrer que les auteurs du
livre ont bien compris les enjeux liés aux réseaux matériels et sociaux dans le processus de territorialisation.
Pour l’auteur, les «territoires successifs révèlent leurs potentialités au fur et à mesure de la mise en place des
réseaux de toutes»
44.Ce sont les termes utilisés par Raffestin.
45.Claude Raffestin (1980) : «Pour une géographie du pouvoir» Librairies techniques Paris 1980, 249Pages
46.Pierre George dans son œuvre : «L’ère des techniques constructions et déconstructions» 1974. Se rapporter
aussi à l’ouvrage codirigé par Jean Marc Offner et Denise Pumain : «Réseaux et territoire significations
34
territoriales (A Bailly 1998).
Il serait aisé de multiplier les exemples illustrant ce crédo technique. Cependant, nous
rappelons que l’espace géographique est un espace différencié; la différenciation de cet
espace résulte d’une longue organisation par les différents acteurs (Bakis 1994). Cet espace
géographique tel qu’il est bâti et constitué en tant qu'objet de la géographie humaine est
intrinsèquement un espace technique. Les infrastructures techniques contribuent à
l’organisation de l’espace à toutes les échelles spatiales, à son découpage en sous ensembles à
sa structuration. Ce point de vue est partagé par Pierre Georges (1974). Le territoire se
construit, c’est un espace approprié, fait de lieux unis et ceci grâce à la technique qui permet
de modeler l’espace par l’impact des infrastructures sur l’occupation du sol et par les
transformations globales qu’elles induisent.
Pour l’exemple, il est difficile d’imaginer un territoire sans infrastructures de transport
(Offner et Pumain 1996) dans la mesure où ces derniers constituent à la fois le support, la
condition et la manifestation concrète des échanges de toute nature qu’elles génèrent. Les
réseaux routiers, ferroviaires, ou les réseaux techniques urbains, ont été au cours du dernier
siècle un fort agent de modification de l'usage de l'espace notamment en participant au
désenclavement des campagnes, à l'exode rural et au développement des agglomérations. Ces
réseaux ont été déterminants dans le processus du développement industriel même si la mise
en relation d’un espace dépend des milieux naturels et humains dans lesquels elle s’inscrit en
même temps.
De la qualité et du fonctionnement de l’infrastructure, est tributaire tout
développement sensé structurer les territoires et/ou assurer leur articulation externe. C’est la
logique d’aménagement propre à la France surtout dans les années 1960-1970 où l’Etat, en
occupant une position majeure, a créé les conditions de planification, d’intervention et
développement local.
Par contre, pour des auteurs comme Jacques Ellul, cette approche du territoire par la
technique comporte un risque : celui d’une aliénation47 avec une incorporation régulière et
permanente d’innovations technologiques qui contribuent à rationnaliser l’espace. Mais Pierre
croisées » paru aux éditions de l’Aube en Novembre 1996 dans lequel, les auteurs évoquent l’importance de la
technique dans la constitution des réseaux sur un territoire.
47.Dans ce débat sur la relation de l’homme et de la technique se trouve poser la question du déterminisme de la
technique et de sa place. Jacques Ellul (1977) la voyait comme envahissant l’espace, une aliénation car disait-il
dans l’ouvrage paru chez Calmann Lévy (Le système technicien) : « c'est la technique qui opère le choix ipso
facto, sans rémission, sans discussion possible entre les moyens à utiliser... L'homme (ni le groupe) ne peut
décider de suivre telle voie plutôt que la voie technique .... Ou bien il décide d'user du moyen traditionnel ou
personnel ... et alors ses moyens ne sont pas efficaces, ils seront étouffés ou éliminés, ou bien il décide
d'accepter la nécessité technique, il vaincra ... soumis de façon irrémédiable à l'esclavage technique. Il n'y a
donc absolument aucune liberté de choix »
35
Musso (2003), permet de nuancer cette vision déterministe de la technique parce que la
technique en tant que phénomène ne peut être définie par sa seule condition matérielle mais
doit également intégrer ses conditions sociales et symboliques (Bernard 2003). C’est
l’assimilation d’une infrastructure technologique à un progrès social qui est souvent
dangereuse et trompeuse comme l’a si bien démontré Pierre Musso (2003)48
A chacune des étapes de l’incorporation d’une technique sur un territoire, des
bouleversements sont observables. Il en est de même des technologies de l’information et de
la communication fondées sur une interaction de plus en plus grande grâce à la multiplication
des canaux de communication (Bakis 1994). Comme pour les réseaux antérieurs de transport,
il est possible d’apprécier, et d’analyser les effets de ces nouveaux réseaux sur l’espace
géographique. Cependant, ne mentionner que l’aspect immatériel de ces techniques, c’est
ignorer, comme le démontre Henry Bakis49, que leur évolution ne peut être considérée comme
une transformation, il faut plus la percevoir pour ce qu’elle est, c'est-à-dire, une mutation. Il
me semble donc important d’intégrer la problématique de l’appropriation par les usagers
finaux de ces réseaux, qu’ils soient consommateurs, administrés, citoyens ou simples
habitants50.
Chaque science a ses termes, chaque discipline, ses notions, mais le concept de réseau
à la particularité de s’utiliser avec des contenus différents d’une science à l’autre. La notion
interroge toutes les disciplines scientifiques de la physique à l’anthropologie en passant par la
géographie. C’est une notion omnipotente et omniprésente, écrit Pierre Musso (2001, Page
194)51. Etymologiquement, le mot réseau vient du latin «Retis» qui signifie filet ou tissu avec
toutes ses composantes (lignes, nœuds, points). Roger Brunet (1992) le définit comme un
«ensemble de lignes ou de relations aux connexions plus ou moins complexes».
La géographie développe deux acceptions du réseau, la première topographique
48.Il rappelle en parlant d’Internet que cette utopie technologique selon laquelle « la mise en place d’un réseau
technique provoquerait un changement et un progrès social », n’est pas nouvelle et avait déjà été évoquée lors
du déploiement des réseaux ferroviaires.
49.Henry Bakis : «Territoire et Télécommunications : Déplacement de l’Axe problématique : de l’effet
structurant aux potentialités d’interactions ». Netcom Vol VIII, N°2, 367-400 1994
50.Cette approche a été celle du GRESOC (Groupe de Recherches socio économiques) de l’Université de
Toulouse Le Mirail.
51.Pierre Musso (2001) « Genèse et critique de la notion de Réseau. » Sous la direction de Daniel Parrochia
Penser les réseaux. Champs Vallon, collection Milieux.
36
fondée sur le principe de la contiguïté (réseau hydrographique), la seconde topologique,
fondée sur la distance et la mise en connexion de multiples relations spatiales qui sont des
éléments clés de la dynamique des territoires quel que soit le niveau géographique auquel
elles opèrent. Gabriel Dupuy (1985, p 68)52 énonce les caractéristiques premières du réseau :
connexité et contiguïté. Un réseau est connexe, nous dit Dupuy, s’il « solidarise » l’espace
socio-économique, s’il «crée de la solidarité» à l’exemple du réseau routier : il est non
connexe dans le cas contraire (exemple des voies navigables). Autrement dit, la connexité est
à la fois une figure de la densité du réseau et une notion socio-économique de solidarité liée
au territoire physique (Pierre Musso 1995).
Dans la mesure où les relations humaines sont une donnée cardinale du territoire
(Raffestin), la géographie intègre une autre dimension du concept car c’est sous la forme de
réseau que se coordonnent les actions des différents groupes sociaux d’un territoire. H. Bakis
(1990), souligne dans son texte, «La banalisation des territoires en réseaux», que les réseaux
humains ont toujours existé. Les nœuds de ces réseaux sont composés d’individus ou de
groupes sociaux. Cette notion de réseau social (Social Network) théorisée en 1954 par John A
Barnes53 s’est largement répandue par la suite dans les études en sciences sociales. L’individu
devient l’élément de référence à partir duquel se construit un réseau de relations socio
temporelles fort complexes et diverses à tous les échelons du territoire.
Parce que sa fonction principale est de relier différents points, le réseau est inscrit dans
une dimension interrelationnelle. Il peut donc être matériel (par exemple un ensemble de
routes) ou immatériel s’exprimant par des relations (comme pour les êtres humains) ou par
des flux (ce que permettent les réseaux de télécommunications). Donc en tant «qu’objet
technico-économique complexe » et outil «d’intermédiation et d’interconnexion» (Nicolas
Curien 1992), le réseau a bien pour fonction d’assurer la mise en rapport, en relation et en
connexion entre les acteurs et les espaces qu’ils animent.
Objet multidimensionnel, le réseau s’est imposé comme une forme de la pensée
contemporaine avec l’explosion des techniques réticulaires dont les développements les plus
importants sont liés aux domaines des transports et des télécommunications54. L'articulation
entre les différentes approches sur les types de réseaux ouvre un champ de réflexion. A une
52.Dupuy Gabriel (1985) «Systèmes, réseaux et territoires. Principes de réseautique territoriale », Presses de
l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, Paris, 168 p.
53.Moda Guèye 2001
54.Cf Mignotte Alexandre : « Entre Fragmentation et interconnexion territoriale : la gestion des réseaux de
sentiers en espaces naturels protégés, Rhône Alpins » Thèse de doctorat de géographie. Université Joseph
Fourrier de Grenoble (2004)
37
époque où les sciences sociales sont marquées par la pensée réticulaire (Raffestin 1996)55, où
les réseaux sont indispensables pour comprendre la géographie actuelle des territoires
(A.Chéneau. Loquay 2007), il est important de se situer sur la lignée des travaux de Claude
Raffestin où le territoire est considéré comme une production sociale, c'est-à-dire une
construction élaborée par des acteurs sociaux à partir de cette réalité première qu’est l’espace
(Offner et Pumain 1996). Dans ce cas précis, analyser la relation réseau et territoire revient à
opposer des logiques réticulaires à des logiques horizontales (Pierre Musso 2003)56. Notre
démarche voudrait s’inscrire résolument dans cette logique.
L’application aux TIC englobe, les outils, les réseaux qui les supportent, les systèmes
informatisés de communication et de gestion de données, les services aux usagers. Ces
technologies de par leur nature et leur caractéristique font évoluer considérablement les
modalités concrètes des activités humaines et font de l’information le principal enjeu. C’est la
ligne défendue par Claude Raffestin (1980) dans sa conception du territoire. Pour l’auteur,
l’information donne lieu à des stratégies et pratiques puisque toute ressource est un enjeu
(Raffestin 1980) et les processus de communication constituent alors des éléments majeurs de
la production territoriale.
A tout bien considérer, cette remarque conduit évidemment à analyser les réseaux de
télécommunications en liaison avec la production territoriale (Raffestin, 1996, page 8) car
« c’est la théorie de la communication qui commande à l’heure actuelle l’écogénèse
territoriale». En recherchant les connexions les plus efficaces sur un territoire, on s’apercevra
de l’empreinte prégnante des réseaux modernes de télécommunications dans la structuration
de l’espace géographique.
Le principe de l’interconnexion des réseaux, l’idée de réseau des réseaux, s’affirme
(Pierre Musso 1988). L’étude de ces réseaux de plus en plus denses, complexes et
hiérarchisés, articulés par les grandes agglomérations est indispensable pour comprendre les
mutations territoriales (A. Chéneau Loquay 2007). Le rôle du géographe n’est pas d’analyser
les relations dialectiques entre des territoires du contigu, du continu et des territorialités
fréquemment discontinues pratiquées, par des populations qui habitent ces lieux. Son rôle
n’est pas aussi d’analyser seulement les relations entre les divers modes de territorialité mis
en œuvre par des populations usant d’un même espace.(Piolle ,91)57. Ainsi pour Bakis et
55.Claude Raffestin dans sa préface à l’ouvrage « Réseaux et territoires : significations croisées » Editions de
L’Aube 1996.
56.Sous la direction de Pierre Musso 2003 «Réseaux et sociétés » Presses Universitaires de France, 328 pages
57.Cité par Véronique Fourault dans son analyse du texte de Marie Claude Cassé dans l’encyclopédie de
Géographie Chapitre 55.
38
Grasland (1997) «Les géographes se doivent d’investir plus largement le champ des réseaux
et de procéder à des analyses tant théoriques que factuelles s’ils veulent être en phase avec
l’évolution des sociétés et des territoires »58.
La place des réseaux techniques est de plus en plus importante, et ceux-ci sont
devenus aujourd'hui un élément fondamental de l'organisation de l'espace. Ils participent ainsi,
par exemple, à remettre en cause les limites classiques de l'organisation administrative, tout
en étant, parallèlement, garants d'une certaine homogénéité des territoires. La géographie des
réseaux semble l’emporter sur la géographie des lieux. Les relations entre l’organisation
territoriale et les nouveaux réseaux contribuent à définir les enjeux actuels de l’aménagement
territorial (Eveno 1997). L’analyse territoriale voit les TIC comme l’ensemble des
infrastructures physiques de télécommunications, c'est-à-dire les «réseaux» qui permettent
d’acheminer les informations et les communications jusqu’aux abonnés.
Quelques questions peuvent servir d’exemples pour illustrer cette articulation entre
territoires et réseaux de télécommunications. Comment perçoit-t-on l’arrivée de cet espace
virtuel qui ne connaît pas de frontière? Est- ce que cet espace virtuel peut permettre le
déplacement du lien social qui est un des facteurs de définition du territoire? Quel est le
véritable impact des TIC sur le territoire? Quelle Géographie des TIC?
Les transports ont apporté la solution aux problèmes que pose la distance. La réflexion
autour du caractère structurant des réseaux de transport sur l’aménagement du territoire a été
largement menée par les géographes. Cependant, comme l’écrit si bien Pierre Musso dans son
ouvrage Communiquer demain69, est il raisonnable de reproduire ce même modèle d’analyse
élaboré pour étudier l’impact des réseaux de transport sur le territoire aux TIC ?
Les effets structurant des TIC sur l’espace géographique tiennent pour beaucoup à
leur structure en réseau. Dans son ouvrage « le Macrocosme : histoire des communications :
de la cellule au village planétaire », Joël de Rosnay fait une analogie très proche entre
Internet et le système nerveux. Il explique que les communications sont, en quelque sorte,
consubstantielles à la matière vivante. Denise Pumain et Jean Marc Offner (1996) écrivent : «
66.En 1983, cet auteur essaie d ‘expliquer, les fondements de la géographie de la communication dans son article
« Eléments pour une géographie des télécommunications ». Il serait soutenu à partir de 1985 par des auteurs
comme Christian Verlaque qui vont qui investiront le champ de la recherche.
67.Mentionnons que Bakis en faisant l’histoire de la géographie des Télécommunications est revenu sur les
publications de Jean Marc Battesti en 1965 : «le service télex et son rôle dans le développement économique du
département de l’Hérault : essai de géographie des télécommunications » Bulletin de la société languedocienne
de géographie. Juillet Septembre 1965
68.La revue Netcom est un modèle de référence pour la géographie des télécommunications. Elle rassemble dans
une série de publications plusieurs articles qui évoque les relations espace géographique et technologies de
l’information et de la communication.
69.Pierre Musso : «Communiquer demain : Nouvelles technologies de l’information et de la communication». La
Tour d’Aigues, Edition de L’Aube 1994
41
le développement des réseaux de communication a relancé deux mythes : celui de l’ubiquité
dans le territoire et celui d’une stabilisation de la mobilité des hommes par les téléservices et
le télétravail »70
Sans précautions, des disciplines voisines de la géographie (sociologie, économie
spatiale, sciences de l’information-communication…..) se sont très tôt intéressées à
l’information et à la communication en éludant totalement le fait spatial (Bernard 2003). Par
exemple, les sciences de l’info-com se réfèrent aux approches sociales c'est-à-dire
interrelationnelles. Elles ont longtemps présenté les TIC comme des objets « a-
géographiques» de telle sorte que la négation de l’espace ne posait pas réellement problème.
Une littérature prolixe sur les thèmes de l’abolition de l’espace, la fin des distances, l’ubiquité
etc…s’est considérablement développée. Les chercheurs de l’université de Cambridge et
Stanford se sont particulièrement illustrés dans ce domaine71. Marshall Mac Luhan (1967)72
théorise la notion de «village planétaire» comme si la planète s’était rétrécie grâce à la
capacité de mise en relation qu’offrent les télécommunications. Des courants de pensées
divers et variés ont émergé et font planer un doute celui «d’un village global » du fait du
« rapprochement des hommes et des lieux dans la distance abolie et l’information
généralisée » Dollfus (1997).
Le sociologue Manuel Castells, dans ses trois tomes sur l'ère de l'information73,
consacre un chapitre à l'espace des flux qui demeure fragmentaire et insuffisant pour donner
une vision synthétique de la relation entre espace et technologies de l'information et de la
communication.
Le cas des économistes est encore plus manifeste. A la crise économique et
énergétique des années 1970, il fallait trouver une autre alternative : «les télécommunications,
économes en énergie, consommant peu d’espace, accessibles en tout point du territoire, sont
au cœur des stratégies de sortie de crise et conduisent au discours de l’indifférenciation
territoriale jusqu’au début des années 1980 »74. Ce contexte économique et social difficile
marqué par le tassement de la croissance des pays du Nord, a été déterminant dans la
conceptualisation et le renforcement du mythe de l’indifférenciation spatiale. Or cette
70.Denise Pumain et Jean Marc Offner : « Réseaux et territoires : significations croisées » Editions de l’Aube,
La tour d’Aigues 1996
71.Emmanuel Eveno dans son rapport sur les activités de la commission nationale de géographie de la
communication en 1995.
72.Mc Luhan (1967)
73.Castells Manuels, 1998 et 1999
74.Avec la reconnaissance d’une branche de la géographie de l’information et de la communication, le mythe de
l’indifférenciation spatiale est évoqué comme un délire analytique par Emmanuel Eveno. Marie Claude Cassé,
dans un article «Les réseaux et la production de territoire » publié dans la revue « sciences de la société »
numéro 35, 1995, apporte une clarification enrichissante sur les rapports Territoire et Télécommunications
42
approche de l’espace est marquée par une surestimation du rôle sociétal des
télécommunications et évacue trop vite le fait que le territoire n’est jamais homogène
(hétérogénéité des densités de population, répartition inégale des activités sur l’espace), qu’il
est façonné par l’histoire, qu’il est produit par les hommes qui y vivent avec des stratégies
différentes. Faire cette prophétie, c’est oublier que l’information ne peut s’affranchir
totalement des contingences spatiales car, comme le souligne fort justement Gilbert Maistre
(1976 p, 39), il n’y a pas de différences fondamentales entre l’organisation linéaire et les
caractéristiques externes des réseaux de communication et ceux des transports. «Les deux
types de réseaux sont anisotropes puisque leurs flux empruntent un support matériel continu.
Ils tissent leur ramification tout autour du globe innervant l’espace géographique. » (Maistre
1976).
75.Annie Chéneau Loquay citant Gilles Puel dans son mémoire d’habilitation en France, ils sont une dizaine au
plus et ne sont pas aussi nombreux aux USA et au Canada.
43
l’espace des réseaux, ce serait sans doute une raison valable et suffisante pour oublier la
géographie et l’ensemble des problématiques, qui dans les sciences sociales intègrent cette
notion de distance ».
Pour les géographes détracteurs de ce mythe de l’indifférenciation spatiale, les TIC ont
certes un pouvoir déterritorialisant mais la fin de la distance et des déplacements physiques
reste impossible même si la globalisation et l’uniformisation ne sont pas contradictoires76.
C’est la thèse défendue par Marie Claude Cassé (1995)77 qui rappelle que la fin de la distance
et des déplacements physiques n’est pas pour un futur proche. Emmanuel Eveno (1991)
abonde dans le même sens car l’annonce de la disparition de l’espace paraît de l’ordre de
l’information sensationnelle même si l’avènement de TIC « participe à la mise en place d’une
société nouvelle (Bakis) que l’on a pu qualifier de post industrielle (Bell), d’ère
électrotechnique (Brzézinski) ou de troisième vague (Toffler) 78.»
Selon Henry Bakis (2001) les contraintes de proximité restent très fortes. On retrouve
le territoire là où on ne l’attendait pas. Pour l’auteur, les géographes doivent tenir compte des
mutations induites par les télécommunications et les réseaux sur l’espace géographique, mais
il serait «naïf de croire à la toute puissance structurante et révolutionnaire d’un quelconque
moyen de communication pour subitement réorganiser en profondeur les territoires. En
revanche des effets sont possibles qu’il convient d’apprécier. » Il semble plus opportun de
réfléchir sur la nouvelle configuration du territoire car pour Pierre Musso (1994): « le réseau
de télécommunications ne se substitue ni aux territoires, ni aux lieux : il s’y insère, accentue
les polarisations, les interconnexions en ajoutant le déplacement en temps réel des flux
d’informations aux déplacements physiques des hommes et des marchandises ».
76.Fabienne Cavaillé: « Conflit d’aménagement et légitimités territoriales : Recherches sur les identités
territoriales des expropriés de l’Autoroute A 20 » Université du Mirail 1998.
77.Marie Claude Cassé : « Les Réseaux et la production de territoire » Paru dans la revue des sciences de la
société Numéro 35 en 1995
78 .Eveno Emmanuel, thèse de doctorat du 3ème cycle. Cf Bibliographie.
44
l’information et territoires. Les études s’orientent vers une prise de conscience plus large du
nouveau défi que pose la compréhension des implications spatiales et sociales des
technologies de l’information et de la communication. Henry Bakis (1995) réconcilie les
différentes postions car, selon lui, l’essor des TIC doit avoir une seule
orientation géographique: constituer l’un des leviers de l’aménagement du territoire c'est-à-
dire permettre le désenclavement des territoires isolés, améliorer les performances
économiques par la dynamisation de certaines régions grâce à la connexion entre le niveau
local et le niveau global et ceci par des formes diverses d’activités.
L’orientation actuelle est une prise en compte plus large de l’étude géographique des
télécommunications et de la communication. Depuis 2000, les thèses portant sur les relations
entre espace géographique et TIC, très minoritaires en France jusqu’à une époque récente, ont
connu une évolution très significative. Selon le GRESOC79, de 1980 à 2000 sur l’ensemble
des thèses ou mémoires français, seules huit (8) mentionnent dans leur titre une référence à
l’étude d’un objet inclus dans l’ensemble constitué par les TIC dans son rapport à l’espace.
Entre 2000 et 2004, toujours selon les mêmes sources, il y a une évolution significative dans
la mesure où sur cette période de quatre ans, on ait assisté à trente et un sujets de thèses
portant sur les problématiques TIC.
Il serait impossible de dresser la liste exhaustive des thèses et publications sur les
relations espaces et télécommunications. Cependant, ces travaux ont bien porté sur l’Europe
(Eveno 1991, Salicéti Marie Ange 1998, Vidal Philipe 2002, Ulmann 2006 etc,), sur le
Canada (Maistre Gilbert 1976, Larramée 1998, Côté 2007) sur l’Amérique et de plus en plus
sur l’Afrique Subsaharienne (Bernard 2003, Lokou 2005, Péjout 2007, Guignard 2007).
Le fait majeur de la décennie 1990-2000 est l’émergence et la tendance à la
généralisation de l’outil Internet, très particulier de par sa nature et sa dimension collective et
interactive. Quelles que soient les différentes prises de position des géographes, on peut
s’attendre à des niveaux d’analyse différents de l’outil de communication Internet dont les
enjeux épistémologiques sont en «disputes» entre la géographie et des disciplines voisines ou
très souvent concurrentes.
45
I-3- Internet et espace géographique : enjeux et débats
Selon Loïc Grasland, les économistes se sont penchés sur la localisation des
entreprises du secteur TIC, le rôle des infrastructures de télécommunications dans le
développement local, l'intensité d'adoption et d'utilisation des TIC selon les lieux, l'extension
de la coordination à distance dans ou entre les entreprises et les effets de polarisation ou de
dispersion engendrés. Les relations entre espace virtuel et réseaux sociaux ont fait l'objet d'un
certain nombre de travaux et d'interrogations en sociologie, incluant la question des
représentations mentales de ces relations (Serges Proulx 2001, Dominique Wolton…). Des
essayistes comme Jean Claude Guillebaud (2001) s’inquiètent de l’émergence de ce «sixième
continent» constitué par le cyberespace déterritorialisé et gouverné par l’immédiateté80.
Devant ces approches diverses et variées, «ce jeu d’inclusions et de contournements»
(Bernard 2003), que des auteurs ont essayé de développer, les géographes se sont intéressés à
la diffusion des TIC dans l'espace, à la géographie du réseau Internet. Qu’apporte Internet
dans l’analyse que l’on peut faire des relations entre l’espace géographique et les technologies
de l’information et de la communication ?
La géographie fournit toujours une base qui permet de circonscrire dans l’espace les
effets positifs induits par la création de connaissances et le développement de toute
innovation. En associant l’informatique et les télécommunications, Internet intègre
aujourd'hui l'ensemble de tous les réseaux informatiques interconnectés dans le monde.
L’originalité d’Internet réside dans le mode de communication qu’il rend possible.
C’est un réseau mondial de télécommunications entre ordinateurs formé de multiples réseaux
interconnectés utilisant un protocole commun appelé «Internet Protocol» (IP). Son arrivée a
profondément bouleversé la pensée communicationnelle. Nous pouvons communiquer
aujourd’hui facilement à l’échelle du monde, accéder instantanément à l’information, stocker,
explorer et manipuler de vastes quantités d’information.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la place d’Internet dans la société est loin de
faire l’unanimité. Ce réseau fascine et son développement a suscité de nombreux débats
autour de ses enjeux. Il existe généralement trois courants dans les discours relatifs à ce
nouveau média : un courant technophile résolument pro-Internet qui incarne le discours
dominant, un courant technophobe en contradiction totale avec le précédent et enfin les
80.Guillebaud Jean Claude : «L’homme en voie de disparition?» In « Le Monde diplomatique» Aout 2001
46
partisans d’un usage raisonné car pour eux, Internet n’est qu’un outil qui permet une
utilisation réelle des services offerts par ce secteur technologique et économique. Dominique
Wolton dans « L’Autre Mondialisation » et « Internet : et après ? Une théorie critique des
nouveaux médias » abonde dans le même sens que les autres auteurs. Cependant, il revient sur
une réalité : la nécessité de prendre du recul face à ce nouveau média car on semble dans une
société où seul Internet est capable de réguler autant les activités que les normes de
fonctionnement malgré le fait qu’il accepte que la société de l’information a inauguré une
nouvelle ère, celle d’une société multiculturelle. Donc, pour les tenants de ce courant comme
Pierre Musso (1994), cette utopie technologique du réseau, selon laquelle la mise en place
d’un réseau technique provoquerait un changement, un progrès social est une assimilation
trompeuse.
Quoi que l’on puisse penser d’Internet, selon Maryann Feldman81 (2002), il aura fallu
dix huit ans à la radio pour conquérir un marché de cinquante millions (50.000.000) de foyer,
seize ans aux premiers ordinateurs pour atteindre ce même chiffre. Mais en quatre (4) ans le
nombre d’internautes dépasse largement ce chiffre. D’après les dernières estimations de l’UIT
en 2006, il existerait deux Milliards d’internautes dans le monde. Cet ensemble de systèmes
mis en réseau par Internet crée un espace virtuel dans lequel les internautes peuvent évoluer.
Selon Joël de Rosnay (1995, p.166-167), le « cyberspace incarne le monde virtuel qui naît des
informations échangées par les hommes dans les réseaux de communication. (…) Le monde
d’Internet est un cyberspace. Il créé les conditions d’une nouvelle citoyenneté électronique
(…) Le cyberspace est un océan illimité, une terra incognita sur laquelle on s’aventure avec
des cartes rudimentaires » Quels que soient les niveaux d’analyse, cet espace virtuel ou
cyberespace s’oppose à l’espace physique réel des géographes.
Selon Eric Bernard (2003), la géographie aborde la technologie Internet suivant quatre
façons: en tant que secteur technologique et économique, en tant que produit, en tant que
représentation d’un espace et enfin en tant que topologie virtuelle. Certes, Internet n’est pas
un type de réseau comme ceux du chemin de fer ou des télécommunications mais ce réseau
est un réseau territorial, qui ne sera rien sans la présence préalable d'autres réseaux (utiles
pour offrir des infrastructures déjà en place), ni d'une population déjà habituée aux moyens de
communication, et prête à les utiliser. D’ailleurs, dans Internet, géographie d’un réseau,
Gabriel Dupuy (2002), nous montre en tant que technologie du territoire, Internet peut être
analysé avec la même approche que les autres réseaux préexistants. On peut en décrire les
81.Directrice d’étude des politiques à l’Institut de sécurité de l’Information à l’Université de John Hopkins.
47
itinéraires, les flux, les sources, les destinations, les nœuds. Cela est dû au fait qu’en termes
d’infrastructures, le succès de l’Internet repose dans sa capacité à exploiter les infrastructures
existantes sans nécessiter la mise en place de nouvelles lignes.
De tout temps, la logique du territoire inscrivait les relations sociales dans la durée et
les circonscrivait dans un certain espace et à un certain nombre de personnes, les rendant
directes et maîtrisées. Mais cette logique de territoire, circonscrite dans la fermeture, est
aujourd’hui ouverte avec Internet. En jetant dorénavant un pont immatériel entre les différents
niveaux de l’espace géographique (Henry Bakis 1994), Internet favoriserait la connexité au
détriment de la contiguïté. Cela ne veut pas dire que l’espace géographique disparaît.
D’ailleurs tous les analystes portant leur attention sur les relations entre l'espace et Internet
sont d'accord sur un point : l'espace géographique ne s'est pas dissout dans le phénomène
Internet. Ce qu’il faut dire est qu’Internet crée incontestablement de nouveaux réseaux de
relation sans obligation de proximité et des territorialités nouvelles. Les concepts de territoire
et territorialité perdurent et assurent d’autres fonctions sociales importantes82.
Cependant Internet pose aussi un problème fondamental quant à son accès et ses
usages. En effet, malgré la croissance constante du nombre d’Internautes et sa diffusion
progressive, on est bien loin de l’image utopique et idéalisée d’un monde où tout un chacun
aurait accès à cet espace virtuel. Le développement des infrastructures est très inégal, des
zones périphériques ne sont pas couvertes, la pénétration est lente à cause des coûts
d’investissements élevés. Il y va de soi que si le réseau Internet permet de s’émanciper des
territoires, il n’est pas pour autant libéré des contraintes qu’impose parfois le territoire.
A défaut d’un développement raisonné et concerté, construit sur des valeurs de
solidarité, d’équité, Internet reproduit naturellement les fractures sociales et géographiques,
les inégalités. Selon Henry Bakis il existe des pesanteurs géographiques qui « se traduisent
par des inégalités spatiales qui préexistent aux télécommunications, et qui dureront quels que
puissent être les efforts des opérateurs les plus engagés dans une démarche de service
publics. » Pour lui, l’accentuation des différences spatiales en matière de télécommunications
conduit à des espaces sur équipés alors que d’autres espaces sont notoirement sous-équipés.
La rugosité territoriale impose donc ses limites et introduit une «fracture». Ce que
résume bien l’argumentation d’Annie Chéneau Loquay (2007) quand elle fait référence à la
prise de conscience d’une fracture numérique, multiforme avant tout géographique entre Nord
et Sud, régions centrales et régions périphériques. Selon elle, à l’échelle des pays développés
48
on peut admettre qu’Internet se singularise par son ouverture. Mais si l’on pénètre dans
l’épaisseur du tissu territorial, surtout dans les pays en voie développement, « la perception
n’est plus la même. La rugosité du lieu s’impose avec ses contraintes économiques et
politiques qui faussent le jeu. » Ces pays se caractérisent par des inégalités spatiales
importantes avec des espaces en réseaux et d’autres totalement hors réseaux.
La question de «la rugosité essentielle de l’espace géographique en pays sous
développés », comme le note Philippe Grenier (1987), est caractérisée par l’hétérogénéité
considérablement plus accentuée qu’ailleurs des économies, des cultures et des sociétés,
enracinées dans des milieux parfois fort contrastés à l’origine, et en tout cas très inégalement
modifiés par l’homme. Cette hétérogénéité se répercute évidemment sur la nature et le niveau
des usages des TIC et sur la nature et le niveau des aptitudes locales à satisfaire ces besoins.
Les zones à fortes concentrations humaines, avec un poids économique évident, bénéficient
de ces réseaux au détriment des zones pauvres et peu peuplées. Pour nombre de pays
africains, l’accès universel reste un horizon lointain. Dès lors que l’on s’éloigne des
concentrations urbaines où les réseaux fixes et cellulaires peuvent se développer avec des taux
de retour sur investissement satisfaisants, les infrastructures de télécommunications
deviennent rares. Toutefois les situations nationales sont extrêmement variées et ont évolué
très rapidement ces dernières années.
Mais l’argumentation de Benoît Véler (2001) selon lesquelles les réseaux techniques
sont le résultat des milieux sociaux déjà en place et qui déterminent les besoins spécifiques en
communication, l’analyse de Henry Bakis (1990)83 qui note que, dans l’absolu, l’organisation
des réseaux se fait sous l’influence d’un milieu socio-économique préexistant, la réflexion de
Annie Chéneau Loquay (2001)84 sur la carence des réseaux techniques et la puissance des
réseaux sociaux dans les pays du Sud, et bien d’autres nous renvoient à considérer le
processus de territorialisation des TIC par rapport aux rôles que peuvent jouer les réseaux
sociaux dans leur développement. Dès lors analyser les technologies de l’information et de la
communication en Afrique requiert une étude minutieuse des spécificités des pays africains
où à la carence des réseaux techniques se «substitue» la puissance des réseaux sociaux.
85.Cette approche a été inspirée par le travail élaboré par Philippe Grenier en 1987 sur l’énergie et l’espace au
Sénégal mené par les géographes de la Recherche Coopérative sur Programme RCP Numéro 693.
86.Cette position est défendue par ThandiKa Mkandawire Directeur de l’UNRISD dans sa préface du livre «Le
Sénégal à l’heure de l’information : Technologies et Sociétés » sous la direction de Momar Coumba Diop.
Karthala UNRISD 2003.
50
passe à la notion de partage numérique. Ce nouveau partage du monde vient s’ajouter à celui
déjà existant entre riches et pauvres. On doit donc travailler à une société de l’information
plus juste et plus solidaire. On parlera alors «d’info riches» et «d’info pauvres». En dernière
analyse, la fracture numérique, c’est la fracture du développement et il serait cependant
illusoire de penser que les pays du sud pourraient réaliser le développement grâce aux TIC, ce
qui ne ferait – en partie- que jeter les bases d’un déterminisme technologique inconscient. En
effet, certaines études misent sur les TIC pour le développement économique et social de
l’Afrique. Comme le dit Annie Chéneau Loquay (2004), « ces technologies sont en général
parées de toutes les vertus. Sésame pour le marché et «le grand bon en avant», outils de
libération individuelle, elles sont censées en elles mêmes accroitre la qualité de vie, stimuler
la participation politique, promouvoir la cohésion sociale et l’égalité de toutes les régions. »
C’est ce que pense Jacques Bonjawo (2002 page 18) dans son ouvrage «Internet, une chance
pour l’Afrique» pour qui, si «l’Internet est utilisé à bon escient, il peut contribuer à améliorer
la vie en Afrique, notamment en faisant reculer la pauvreté.»
-Ce premier type d’approche trop déterministe des TIC présente beaucoup de vices et
évacue les modes d’insertion. Certes la problématique des TIC en Afrique se heurte aux
limites et aux barrières du sous développement. Mais les interactions, multiples et profondes,
sont si nombreuses et si contraignantes qu’il n’apparaît pas possible de les comprendre sans
les situer du coup dans le cadre général de la déficience des réseaux techniques. Selon Annie
Chéneau Loquay : «dans les pays industrialisés (…) les grands systèmes qui insèrent la
planète dans les maillages de plus en plus serrés, liaisons routières, aériennes,
télécommunications, satellites, réseaux électriques, électroniques, financiers, forment
système. Ils ne fonctionnent correctement qu’en interconnexion, en synergie. Internet exprime
à l’extrême ce rôle de connectivité ». Cependant, la diversité des entrées disciplinaires des
récents travaux consacrés aux dispositifs d’accès aux réseaux de communication en Afrique,
qu’il relève du secteur public ou privé, montre la richesse d’un objet qui se prête autant à
l’analyse économique ou sociologique, qu’à l’étude des territoires et des usages.
51
II-1 Les pratiques de l’espace en Afrique laissent entrevoir des réseaux
inachevés
87.Se rapporter à l’étude faite par Fred Feldman sur l’économie informelle en Afrique.
http://www.hcci.gouv.fr/lecture/synthese/economie-informelle-developpement.html#1
52
II-2 Une production duale de l’espace, des formes urbaines juxtaposées et
imbriquées
Ainsi donc, on assiste à une production duale de l’espace très contrastée créant des
zones dépourvues de toutes infrastructures.
Au milieu des années 90, les autorités sénégalaises prennent véritablement conscience
du rôle central que les TIC peuvent jouer dans le processus de développement du pays. En
témoigne le IXème Plan d’orientation pour le développement économique et social (1995-
2002), qui affirme que les TIC ne doivent plus être considérées comme un luxe au service
d’une élite, mais comme « une nécessité absolue pour le développement ».92 Cette
incorporation des TIC dans les divers plans de développement économique illustre bien le
niveau atteint par les télécommunications au Sénégal. Avec un réseau numérique et des fibres
optiques au plan national, des câbles sous-marins et satellites pour l'international, le réseau
sénégalais s’est constamment amélioré. Parallèlement un tournant important s’opère à partir
de Février 2001 avec la création, pour la première fois dans l’histoire du gouvernement
sénégalais, d’un Ministère de la Communication et des Technologies de l’Information.
Durant cette même année, le Sénégal adopte un nouveau code des télécommunications. La
Délégation à l’Informatique (DINFO), qui était depuis 1987 un des principaux instruments de
l’Etat en la matière, est, dans un premier temps, rattachée au Secrétariat général de la
présidence de la république, puis transformée en Direction de l’Informatique de l’Etat (DIE)93
avant d’être érigée en Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE) avec pour mission
principale la modernisation de l’administration94. L’environnement légal et réglementaire a
été modifié avec la création de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART)
devenu par la suite l’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP)
avec l’extension de ses prérogatives dans le cadre de la libéralisation des services postaux95.
Entre temps, la libéralisation du secteur des télécommunications, avec la privatisation de la
Sonatel, a ouvert, le capital de cette entreprise à France Télécom.
En décembre 2003, l’Etat annonce sa décision de mettre un terme au monopole de la
Sonatel (Société Nationale des Télécommunications) sur la téléphonie fixe et internationale à
compter du 19 juillet 2004. Enfin en janvier 2005, une lettre de politique sectorielle du secteur
des télécommunications pour la période 2005-2010 est adoptée parachevant un cycle de
réformes du secteur des télécommunications entamé en 1981.
92.Tiré des travaux de Olivier Sagna (2007) qui cite notamment le IXème plan d’orientation de la République
du Sénégal pour le développement économique et social (1995-2002). Dakar.
93.Cf. Décret n° 2001-476 du 18 juin 2001 portant création de la Direction informatique de l’Etat.
94.Cf. Décret n° 2004-1038 du 23 juillet 2004 portant création et fixant les règles de fonctionnement de
l’Agence de l’informatique de l’Etat.
95.Cf. Loi n° 2006-15 du 4 janvier 2006 étendant les pouvoirs de l’ART à la régulation du secteur postal
55
Cette qualité du réseau, mais aussi la souplesse du cadre légal et réglementaire des
télécommunications, a attiré les centres d'appels à Dakar et fait du Sénégal un des principaux
sites d'accueil de cette activité offshore pour la France et la Belgique, aux côtés du Maroc et
de la Tunisie96.
Parallèlement à cette politique nationale, la société civile a été un des principaux
acteurs du développement des TIC au Sénégal97. Bien qu’il ait des traditions associatives
depuis toujours au Sénégal, les organisations de la société civile ont plus émergé au début des
années 1980, et ont contribué à vulgariser les TIC dans divers secteurs de la société. Elles ont
appuyé l’intervention de tous les organismes dont l’attention s’est portée sur la dimension
sociale et sur les processus d’appropriation de ces technologies par les groupes sociaux
souvent marginalisés (femmes, jeunes, ruraux, handicapés, analphabètes, etc.)98 On peut les
ranger dans trois catégories : celles qui sont spécialisées sur la promotion de ces technologies,
celles qui ont d'autres objectifs, mais cherchent à se l'approprier en vue du renforcement de
leurs actions et, au milieu, celles qui ne sont pas spécialisés, mais disposent de programme(s)
structuré(s) et permanent(s) sur le sujet99. Pour exemple, l’organisation non gouvernementale
ENDA Tiers-Monde, a joué un rôle primordial pour la connectivité du Sénégal à l’Internet.
Bien que son rôle soit devenu moins important, cette ONG continue d’exercer une
sensibilisation auprès des populations marginalisées comme les bidonvilles, les jeunes non
scolarisés. De nombreuses autres associations ou ONG participent aussi aux efforts de
développement de l’Internet. Ces organismes contribuent à une mise en commun d’effort
planifiés en direction des secteurs populaires. Cependant, selon le sociologue Abdou Salam
Fall (2006), en dépit de l’ancrage social de cette cible, «ces actions restent expérimentales et
concernent plus explicitement les leaders jeunes et femmes »
96.Site du journal Jeune Afrique article de Juin 2007, consulté le 04 Novembre 2007
97.Olivier Sagna a retracé dans son article «La marche du Sénégal vers la société de l’information » Revue
Netcom Vol 21, n° 3-4,2007 en pages 21-23, le rôle que des organismes comme Enda-tiers ont joué dans le
développement des TIC au Sénégal.
98.Olivier Sagna (2007) http:// www.osiris.sn
99.Ken Lohento : «ONG et appropriation des technologies modernes de la communication en Afrique :
Approche historique et critique » Avril 2003 Communication présentée lors du colloque International
Africanti : «Les fractures numériques Nord/Sud en question ? Quels enjeux ? Quels Partenariats ? www.grdi-
netsuds.org
56
II-3-2- Les acteurs privés prennent le relais de l’Etat
Ils font sortir certaines TIC (Internet en particulier) de leur cadre institutionnel
S’il est aujourd’hui une problématique qui constitue une priorité pour favoriser le
développement des TIC en Afrique, c’est bien celui de l’accès qui retient le plus l’attention.
Pour saisir l’importance et la nature des usages des technologies de l’information et de la
communication, il faut nécessairement analyser les accès publics. L’accès public, privé ou
associatif est la principale forme d’accès aux TIC. Cette prime à l’accès collectif s’explique
par la faiblesse de l’accès individuel. Le faible niveau de vie moyen des populations et le coût
réel du matériel et de la communication, sont les principaux obstacles à l’accès individuel aux
TIC. Cette mutualisation peut être analysée comme une forme particulière d’appropriation des
TIC concernant à la fois Internet, la téléphonie mobile et filaire100. L’accès est avant tout une
problématique collective.
La population sénégalaise a des dispositions favorables envers les TIC. Mais il me
semble utile de porter l’attention nécessaire aux processus par lesquels le contact des
communautés de base avec les TIC est établi. Les efforts de l’Etat pour la modernisation des
101
infrastructures sont considérables. Mais le fonctionnement de l’économie sénégalaise
laisse une grande place aux opérateurs privés qui revendent des services de
télécommunications au public. Ils exploitent la plus grande partie du réseau de distribution
des TIC vers les communautés de base. Les gérants de télécentres et de cybercentres privés
constituent l’essentiel de cette catégorie d’acteurs. Ils ont vu dans les télécentres et
cybercentres une porte d’accès à de nouveaux services susceptibles d’intéresser les
populations. Il n’est pas nécessaire d’être particulièrement observateur pour constater la
présence massive de télécentres102, et cybercentres même dans les quartiers les plus reculés.
Ces acteurs privés jouent donc un rôle important car ils font sortir, par exemple, l’accès à
Internet, du milieu institutionnel pour lui donner sa place dans les quartiers, les rues des
principales villes Sénégalaises. Ce contexte est celui que l’on trouve dans toutes les villes du
100.Cette problématique a fait l’objet d’un Symposium à Dakar «Accès aux TIC et service Universel en Afrique
Subsaharienne, comparaisons et dynamiques » 26-27-28 Novembre 2007. GRDI Netsuds. www.gdri-netsuds.org
101.Nous insistons une fois de plus sur la prédominance du secteur informel dans l’économie sénégalaise.
102.Cette situation a fait l’objet de plusieurs études notamment sur la ville de Dakar avec Frédéric Barbier et
Ibrahima Sylla.
57
Sénégal. L’accès s’est développé grâce aux différentes initiatives des acteurs privés.
Notre étude porte sur un territoire dont les acteurs (Etat, élus locaux, opérateur privé,
etc.) sont amenés à lutter contre la pauvreté et à favoriser le développement local par
différents moyens. Concrètement, il s’agit donc de chercher à savoir comment se répartissent
les systèmes de communication entre les villes de la région et la campagne d’une part, et entre
les différents quartiers de l’agglomération Ziguinchoroise. D’autre part, comment se
superposent ou divergent la densité démographique et la densité des différents moyens de
communication et au-delà l’accessibilité des populations de la région aux TIC.
58
III- Revue de la littérature sur les TIC en Afrique : des
approches différentes.
L’Afrique subsaharienne porte les germes d’un système d’aménagement territorial qui
a longtemps favorisé le développement de centres urbains au détriment des zones rurales.
Cette domination, comme chacun le sait, s’est traduite, au plan spatial par la capacité
d’absorption des investissements, la forte concentration des hommes et des activités sur des
aires en urbanisation. Aussi, dans tous les Etats d’Afrique sub-saharienne, l’expression des
déséquilibres spatiaux est constamment marquée. L’inégale répartition des centres urbains
ainsi que les effets de concentration humaines et infrastructurelles sur une portion des
territoires nationaux, sont les principales caractéristiques des politiques urbaines. Les
évolutions technologiques, voire les révolutions technologiques, d'information et de
communication, la mobilité croissante des personnes, l'accentuation de l'inégale répartition
des hommes, des activités et des richesses obligent à penser autrement l'aménagement du
territoire.
« Dans un monde où l'interconnexion est forte, où la production économique et la
reproduction sociale impliquent une circulation accrue des personnes, des biens et des
informations, cette mobilité est tributaire de la qualité et du fonctionnement des réseaux
matériels (voies de circulation, réseaux énergétiques, télécommunications), «systèmes
nerveux » du développement qui sont censés structurer les territoires et/ou assurer leur
articulation externe.» La présence ou l'absence, les insuffisances ou les déficiences de ces
infrastructures sont un révélateur du degré d'assise et d'emprise d'un Etat sur son territoire et
sur la société correspondante. Les modifications qui affectent les réseaux ne sont pas sans
incidence sur les changements de localisation ou la transformation des activités productives
des territoires, donc sur leurs structures, voire sur leur cohérence ou leur fragilisation.
La littérature est restée très longtemps muette sur les réseaux de télécommunications
en Afrique. Les publications sur l’Afrique sont minoritaires. Eric Bernard (2003) déplore que
dans la revue française de référence Netcom, sur les quatre cents (400) articles qui ont été
publiés entre 1998 et 2000, 15 articles portaient sur l’Afrique sur des sujets très divers. Pour
lui, «la prééminence de l’Afrique subsaharienne francophone en général, et dans cet
ensemble de quelques pays (Congo, Gabon, Burkina Faso Sénégal), constitue un fait qui peut
étonner lorsqu’on prend en compte la dimension internationale de la revue. Parmi les
59
nombreux contributeurs non francophones, seul Roméo Bartolini traite de l’Afrique. Des
régions entières ne sont pas ou peu abordées (Afrique australe, de l’Est, Maghreb) et au sein
même de la seule Afrique francophone certains pays ne sont pas cités.»
Pourtant, les premiers réseaux de télécommunications et de transmission de
l’information apparaissent en Afrique avec la colonisation dans les principales régions
administratives comme le Sénégal pour l’AOF103 et le Congo pour l’AEF104. La célèbre voie
ferrée Dakar Niger date de cette époque. Le premier réseau télégraphique est très tôt introduit
au Sénégal à la fin des années 1859105. Pour autant, jusqu’à la veille des indépendances, ces
réseaux sont restés lacunaires. Dominique Desbois (1999), en analysant le sous équipement
du continent africain, l’explique en ces termes : « le sous équipement des pays en
développement en infrastructures de télécommunications présente deux origines distinctes qui
se conjuguent à des degrés divers selon les pays concernés : l’un historique, l’autre
économique. » Le facteur d’ordre historique du sous-développement des infrastructures est,
selon cet auteur, un « avatar de la colonisation ». Il poursuit : « les incohérences de la
période coloniale et le comportement spéculatif ou simplement rentier des opérateurs
concessionnaires ont conduit à cumuler des retards considérables dans la mise en place
d’infrastructures de communication ». Aux indépendances, les réseaux étaient
« embryonnaires ou obsolètes ». Comme explication, Dominique Desbois (1999)
écrit : « durant la période de 1900 à 1940, l’orientation des capitaux tant publics que privés,
qui s’est faite en direction d’investissements de rente (…) traduisant l’absence manifeste
d’intérêt politique de la part du colonisateur, n’a pas permis le déploiement d’infrastructures
de communication nécessaires au développement économique et social ».
La situation actuelle des réseaux de télécommunications n’a pas profondément changé.
La réalisation d’infrastructures modernes de communication privilégie les concentrations
urbaines au détriment des zones rurales. Mais une nouvelle posture de recherche sur les
dynamiques des relations entre territoire, société et communication en Afrique, fait émerger
de la part de certains auteurs des problématiques intéressantes. Depuis 2000, on assiste à des
études de plus en plus importantes sur le continent. Nicolas Péjout (2007) fait une approche
sociologique de l’Internet en Afrique du Sud. Il a montré le rôle majeur que les TIC jouent
dans les processus de changement social et dans les dynamiques de développement humain.
Par une approche complémentaire des politiques et des modes d’appropriation des TIC,
62
(2001) s’est intéressé quant à lui à l’utilisation des TIC par les émigrés sénégalais. Son étude
montre la façon dont les Sénégalais de l’extérieur et leurs familles restées au pays se servent
des technologies pour entrer en contact et comment celles-ci influent en retour sur leurs
relations et leurs modes de vie. L’impact social des TIC a fait l’objet d’une étude de Moda
Guèye (2001) qui est revenu sur le lien que la diaspora sénégalaise établie en Italie et en
France entretient avec le Sénégal grâce à un usage massif des TIC.
Les applications sociales des TIC ont aussi concerné des études. Il s’agit, entre autres,
des télécentres et cybercafés qui constituent aujourd’hui d’importantes activités de services,
pratiquées par les populations aussi bien pour sortir du chômage et de la précarité. L’on peut
noter sous ce rapport les travaux d’Annie Chéneau Loquay (2001 ? 2002 etc), de Zongo
(2000), Anaïs Laffitte (2001), Sambou (2002), Sylla (2004), etc.
Cependant, hormis le travail du géographe Cheikh Guèye, il n’existe aucune autre
étude qui permet de soutenir une étude comparative entre les différentes régions du Sénégal.
Les études se concentrent sur la côte ouest sénégalaise et à Dakar. Cet intérêt pour la capitale
peut laisser supposer que les autres zones ne présentent pas d’utilité majeure et que le
déploiement des TIC y est embryonnaire. Ce qui justifie le choix porté sur la région de
Ziguinchor.
63
IV- La particularité du cas à traiter : Ziguinchor, une
région enclavée, traumatisée par une longue guerre de séparation
115.Il est l’auteur d’une thèse de Doctorat en 2001 sur le thème : « De la continentalité à l’Etat enclavé »
CIRTAI, Université du Havre. Chercheur à l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité.
(INRETS). Unité «Systèmes productifs, Logistique et Organisation des Transports ». Texte présenté lors du
16ème Festival International de Géographie. Saint Diè Des Vosges sur le thème : « Le monde en réseaux. Lieux
visibles, Liens invisibles » 29 Septembre-2Octobre 2005.
116.C’est l’ancienne appellation de la région de Dakar.
117.Dans le programme de construction et de relance des activités économiques en Casamance, (PRAESC), il
est question d’ouvrir des négociations entre la Gambie et le Sénégal afin de voir les modalités d’exploitation
d’un pont qui serait érigé su sur la Casamance. Cette proposition qui émane du gouvernement sénégalais pose
déjà énormément de problèmes car pour des questions de souveraineté on voit mal la Gambie laisser le Sénégal
venir construire un pont sur le fleuve sans son implication.
65
Carte 2: Illustration de l'enclavement régional
66
IV-2 L’écologie et la diversité ethnique, autres éléments de
différenciation
118.La première fondamentale est celle de Paul Pélissier sur les paysans du Sénégal en 1966 suivie de plusieurs
autres études notamment avec les chercheurs de l’IRD et du CIRAD.
119.Ceci est aussi valable dans les régions du Fleuve au Nord et au Sénégal Oriental dans l’extrême Sud est du
Sénégal. Ces franges de la population sénégalaise ont été jusqu’à une période très récentes peu considérées par
l’administration centrale.
120.La rébellion armée n’a épargné aucun secteur de la vie socio économique régionale.
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IV-3- La situation de «ni guerre, ni paix» ruine les efforts de
développement régional
Cette guerre d’indépendance que mène le Mfdc (Mouvement des forces démocratiques
de la Casamance) est le plus vieux conflit civil connu en Afrique. Et pourtant, si on la
compare aux guerres ailleurs en Afrique de l’ouest, elle est pratiquement inconnue malgré les
conséquences humanitaires. Depuis 1982, le Mfdc se bat pour une Casamance indépendante,
d’abord sous forme de protestations populaires puis, depuis 1990, sous forme de guérilla.
Il est constaté une très rapide évolution de la situation qui est allée en se dégradant.
Ainsi, ce qui n’était qu’une crise au départ, va passer du stade de conflit latent, à un stade
d’escalade de la violence où le conflit gagne en intensité. La violence et les mesures
répressives augmentent, laissant s’instaurer un cycle infernal où vont alterner la violence
terroriste et la violence de la répression. Ce conflit se caractérise surtout par l’existence de
périodes de hautes tensions alternant avec des phases d’accalmie.
Ce conflit a, de par sa nature et son ampleur, remis en cause non seulement les
conséquences des traitements coloniaux des spécificités régionales et culturelles121 mais aussi
les capacités du Sénégal à promouvoir une réelle intégration de la Casamance dans son
ensemble.
Le particularisme régional casamançais a longtemps influé sur les relations entre l’Etat
sénégalais et sa partie méridionale : celles ci se caractérisent par une double dynamique qui se
situe entre une logique d’intégration et une logique d’émiettement facilitée en cela par la
coupure gambienne. Les différences socio culturelles en plus de celles très marquées au plan
écologique, ont exacerbé la crise casamançaise que Dominique Darbon (1984)122 qualifie de
crise de la marginalité. Selon lui ce mécontentement qui a débouché sur cette guerre civile,
loin d’être conjoncturel est plutôt structurel. En somme, ce conflit révèle l’incompatibilité du
type d’organisation sociale des populations du sud, antiétatique, de celui hiérarchisé de l’Etat
Sénégalais123.
Les conséquences sociales de cette crise présentent un bilan catastrophique. En effet,
longtemps considérée comme le grenier du Sénégal, la Casamance n’est certainement plus
121.La Casamance bénéficiait d’un statut spécial pendant l’époque coloniale car jamais la domination militaire
du colon ne s’est pas réellement traduite sur le terrain.
122.Darbon Dominique : «Le culturalisme bas casamançais. » Politique africaine numéro 14, Juin 1984 pages
125-128
123.Idem 1984
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autosuffisante pour deux raisons : la pluviométrie en dent de scie en fonction des années124 et
l’abandon par les populations de l’activité agricole du fait de l’insécurité engendrée par les
rackets excessifs perpétrés sur les populations civiles et les mines anti-personnelles
disséminées dans les zones de culture.
En 1997125, il y a une intensification de la terreur avec l’usage des mines anti
personnelles qui ont fait leur apparition. Ces mines disséminées sur les routes ont fait 680
victimes civiles126. Les zones minées décrivent une auréole au sud de la ville de Ziguinchor127
et vont de la frontière aux confins du fleuve. Il existe aussi des zones minées et ignorées avec
des risques d’explosion énormes. Selon l’ONG Handicap International (2006), les engins
lancés et qui n’ont pas explosé, provoquent plus de 70% des accidents. Entre 1998 et 2005,
les explosions des mines sur la route ont fait 37,99% de victimes civiles alors que les victimes
militaires ne représentent dans la même période que 22,97%.128 Entre 2000 et 2005, cette
tendance est à la baisse avec 14,83% de victimes civiles.
Les routes tuent à cause des mines alors que les représailles sur les civils font rage
dans les années les plus sombres de la crise (1992-1998). Des camps de réfugiés émergent de
part et d’autre de la frontière avec la Guinée Bissau. Et depuis Août 2006, la région Nord
pacifiée par les précédents cessez le feu connaît un regain de violence avec la guerre fratricide
que se mènent les différentes factions séparatistes depuis que la Guinée Bissau a sécurisé sa
frontière. La Gambie sert de terre d’accueil aux milliers de réfugiés129 qui fuient les villages
du Nord.
124.Les travaux de l’institut de recherches pour le développement (IRD) ex ORSTOM, constituent une base de
données pour comprendre les conséquences du déficit hydrique sur les activités agricoles régionales. La
péjoration climatique ainsi que les systèmes d’adaptation des populations ont retenu l’attention des chercheurs
qui ont mis en avant l’évolution dans les systèmes de productions locales. On peut citer entre autres les travaux
de Albergel, J Montoroi, Pascal Boivin, Marie Christine Cormier Salem, Annie Chéneau Loquay etc.
125.Cette année marque aussi le début de la numérisation du réseau téléphonique sénégalais et le renforcement
de ses capacités en lignes téléphoniques.
126.Source handicap International qui intervient depuis 1999 dans la zone fait de la sensibilisation et de
l’accompagnement des victimes pour diminuer la souffrance des populations civiles qui ont abandonné ces zones
à risque que l’on peut identifier le long du ligne confiné entre Ziguinchor, principale ville de la Casamance et La
frontière Bissau Guinéenne.
127.La carte des zones minées fournie par Handicap International montre un axe qui longe toute la frontière avec
la Guinée Bissau.
128.Statistiques fournies par le rapport d’Handicap international sur le conflit casamançais en 2006
129.Le CICR les estime à 6000 personnes
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Tableau 1: Evolution annuelle des victimes civiles par mines de 1988 à 2006
Figure 1: Evolution des victimes civiles par mines entre 1988 et 2006
Victimes civiles des mines de 1988 à 2006 en Casamance
250
200
150
Victimes civiles des
mines de 1988 à
100 2006 en Casamance
50
0
88
96
98
00
02
04
06
19
19
19
20
20
20
20
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Les populations de ces zones rurales ont payé un lourd tribut à l’insécurité, au régime
de non droit, au règne de la terreur et du grand banditisme. Les exactions commises par des
bandes armées pendant les razzias sont fréquentes. Les routes sont à la merci des bandits qui
violent, dépouillent les voyageurs ou au pire, assassinent ceux qui ne sont pas originaires de
la région.
Pendant les périodes les plus sombres du conflit, la psychose des mines sur les routes
ont poussé à l’abandon quasi systématique de celles-ci. Les voies de communication et les
pistes de production, devenues très peu sûres, ne sont plus empruntées. La vie socio
économique de la région est complètement paralysée. Les rizières qui étaient le siège d’une
intense activité agricole sont en friche accentuant le déficit de production qui a déjà souffert
des années successives de sécheresse. Le potentiel agricole productif de la Casamance (sol,
eau, pêche, végétation) est entamé par l’évolution de la salinisation des terres à cause des
remontées marines dans la partie fluviomaritime mais aussi par l’abandon des zones de
cultures. A la crise politique se greffe une crise économique et sociale. Beaucoup de villages
sont abandonnées à cause de l’insécurité. L’exode des populations, fuyant les zones
d’insécurité, grossit les quartiers périphériques de Ziguinchor130. Ces populations s’établissent
dans des zones marécageuses, mal aménagées et sous équipées131.
Ajoutant encore au traumatisme, la région a vécu le 26 septembre 2002, la plus grande
catastrophe maritime avec le naufrage du bateau le Joola132 qui a fait 1863 victimes recensées.
Ce bateau était le seul lien maritime entre la Casamance et la capitale sénégalaise. Il
entretenait le commerce par l’approvisionnement de la région et l’écoulement des produits
agricoles et de cueillette vers les marchés de l’intérieur du Sénégal.
Tous ces facteurs nourrissent un sentiment d’abandon. La région semble abandonnée à
son sort car, même si on note le retour des projets et des programmes de développement133, il
130.Ziguinchor est la principale ville de la Casamance. Elle est un symbole pour la rébellion qui veut en faire la
capitale de la Casamance indépendante. En Décembre 1982, la marche des femmes vers la gouvernance de la
région durement réprimée par les autorités Sénégalaise et la traque qui s’en est suivie marque le début de la
guerre de séparation qui continue encore à faire des victimes innocentes.
131.Les nombreuses organisations humanitaires comme le programme alimentaire mondial apportent nourriture
et assistance à ses populations qui viennent gonfler les familles déjà victimes d’une situation sociale difficile. Il
existe même des zones dans les quartiers dits « aisé » des poches de misère sociale comme souvent décrites par
les organismes humanitaires.
132.Nous choisissons l’orthographe Joola pour parler du bateau qui reliait Dakar à Ziguinchor qui a sombré au
large des côtes gambiennes le 26 Septembre 2002 aux larges de côtes gambiennes. Cette catastrophe est
durement ressentie dans la région au plan psychologique car aucune famille n’est épargnée vu la nature des liens
familiaux en Afrique.
133.Les différents processus de retour à la paix avec le gouvernement sénégalais élu depuis 2002, ont permis une
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y a eu un départ massif entre 1992 et 2001. Tous les secteurs aussi bien économiques que
sociaux sont affectés par la crise par la baisse des investissements mais aussi par la
dégradation des infrastructures existantes.
Ce traumatisme s’est exacerbé dans une période pendant laquelle le réseau des
télécommunications du Sénégal s’est modernisé. Dans ces dix dernières années134 (10), la
situation des télécommunications au Sénégal, a connu une nette amélioration. Les services de
télécommunications connaissent une forte croissance. Ils représentent une part significative de
l’activité économique, en termes de chiffre d’affaires, d’investissements, de création
d’emplois directs dans le secteur des télécommunications, et par des effets induits, dans le
reste de l’économie sénégalaise. On estime que les télécommunications à elles seules génèrent
6%135 du PIB sénégalais. Cette modernisation se traduit par une amélioration de la couverture
du territoire sénégalais en téléphonie mobile, une augmentation des points d’accès public au
téléphone fixe, une généralisation de l’ADSL pour Internet, une baisse évolutive des coûts de
communication renforçant au passage la démocratisation des usages, une présence de plus en
plus remarquée dans le domaine des téléservices et du télétravail etc.….
A Ziguinchor, le déploiement des Technologies de l’Information et de la
Communication est concomitant au renforcement des facteurs traumatisants qui bloquent la
reprise d’une vie économique et sociale normale dans la région et amène les interrogations
suivantes.
1. L’évolution difficile de la région favorise-t-elle la pleine insertion et l’intégration
matérielle de la Casamance dans le réseau global dont Internet est la voie obligée?
La baisse des investissements due à la crise a-t-elle entravée la modernisation du
réseau de télécommunications de la région sud ?
2. Quelles TIC pour ces zones à majorité rurales ? Téléphonie mobile, téléphonie
rurale, radiophonie, fax, traitement de texte, Internet, où se trouvent les priorités ?
3. Quels usages pour ces zones défavorisées et mal desservies par les voies de
communication ? Quel effet pour le développement régional ?
4. Le déploiement des TIC est-il plus important que les difficultés de la région peuvent
le laisser supposer? Est-on en face d’une situation paradoxale136 qui révèle un
accalmie totale sur le plan militaire et permettent d’envisager la reconstruction de la région avec l’aide de la
coopération internationale et le retour des ONG.
134.Il s’agit de la période qui va de 1996 à 2006 car c’est à partir de cette date qu’on peut réellement dater la
marche du Sénégal vers la société de l’Information.
135.Olivier Sagna (2006).
136.La situation d’abandon de la région accentue son retard en matière d’infrastructures. On peut supposer qu’il
en de même pour ce qui concerne les TIC mais il est possible que cet isolement n’entrave en rien le processus de
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développement et une appropriation avancés des TIC si on compare la Casamance à
d’autres régions du Sénégal?
5. Ziguinchor est-elle intégrée par les réseaux de télécommunications de façon
différente dans l’ensemble national sénégalais.
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Chapitre 2 : Eléments de Méthodologie
Les différents objets géographiques (territoires, réseaux et TIC) sur lesquels porte cette
recherche, sont envisagés comme des phénomènes socio-spatiaux. Ils ont été abordés dans
leur statut d’objet sociétal en prenant en compte les degrés de connexion qui les caractérisent
habituellement. Cependant, il est très difficile d’appliquer systématiquement aux territoires
africains les mêmes méthodes que celle des géographes dans d’autres pays pour analyser les
phénomènes liés aux TIC. Comme l’écrit Eric Bernard en 2003 « appliquer une grille de
lecture aussi séduisante sur une réalité africaine ne parait pas judicieux et ne le semble pas
toujours ». En effet, le caractère lacunaire des réseaux d’infrastructures électriques, routiers,
ou téléphoniques et l’absence d’intégration entre eux, constituent la principale contrainte.
Mais l’intensité des contrastes sociaux et la diversité des paysages, montrent que, localement,
en plus des grands systèmes techniques et autres infrastructures, l’organisation des territoires
et de l’espace y est durablement affectée par l’organisation en réseaux sociaux. L’importance
de faire partie d’un réseau social crée un système de fonctionnement basé sur l’économie de
l’affection dans la plupart des sociétés africaines137.
Pour aborder l’étude présente, nous avons utilisé l’approche territoriale développée par
Bakis et Grasland138(1997) dans leur posture de recherche sur les réseaux et les territoires.
Ces auteurs se sont donnés la tâche d’analyser les réseaux et l’intégration des territoires
suivant leur rapport à l’espace. Leur approche développe une logique morphologique, une
logique fonctionnelle et enfin une logique prenant en compte leurs effets spatiaux. Ainsi, nous
privilégions une démarche à deux niveaux :
• d’abord, une approche par l’analyse spatiale des réseaux (routes, électricité,
télécommunications) car le sujet s’y prête. L’objectif est de pouvoir déterminer les
grandes disparités spatiales des différentes infrastructures au Sénégal en général, et à
l’intérieur du territoire de la région de Ziguinchor en particulier,
• ensuite, une approche par la diffusion spatiale de l’innovation. Cette approche prend
en compte les processus sociaux, économiques qui opèrent à différentes échelles
137.La confrérie mouride est typique de cette organisation sociale et économique des sociétés en réseaux.
L’appartenance à la confrérie est une assurance afin d’intégrer plus facilement le circuit des affaires.
138.Bakis et Grasland (1997) «Les réseaux et l’intégration des territoires : Position de recherche » Netcom, vol
11, numéro 2 pages 421-430.
Page 74
d’espace et de temps.
Par ailleurs, pour saisir l’importance et la nature des usages des TIC, la production de
l’information a nécessité l’utilisation d’autres outils comme le questionnaire et le guide
d’entretien139. Ces outils ont contribué à comprendre le contexte général (géographique,
économique, les jeux des acteurs, etc.). Ils ont aussi permis d’analyser le contexte local dans
notre terrain d’étude afin de montrer que les chances de développement des TIC ne sont pas
partout identiques au Sénégal.
D’une manière générale, les interactions spatiales entre les différents objets
géographiques sont matérialisées dans des réseaux qui parcourent un territoire. A ce titre, le
réseau (ses formes, ses propriétés et ses diversités) est depuis longtemps un objet privilégié de
l’analyse spatiale. Un réseau physique de communication se définit toujours par sa longueur
et sa densité, sa forme et sa connexité. Ces paramètres sont fondamentaux pour définir
l’accessibilité et la centralité d’un lieu dans un territoire donné. Ils permettent aussi de
comprendre la diversité des lieux et partant, les modes d’organisation de l’espace qui y sont
associés.
On peut donc comprendre que l’analyse spatiale soit une véritable orientation de
recherche dans la géographie moderne et dans la compréhension des phénomènes dans leur
globalité. Comme le soulignent Bakis et Grasland (1997), une appréhension et une
compréhension fine de l’évolution des sociétés et des territoires, des phénomènes qui les
parcourent, ne peuvent s’envisager sans une analyse tant théorique que factuelle des réseaux,
qu’ils soient physiques ou organisationnels. Pour ces auteurs, il faut une approche
morphologique des réseaux territoriaux et une approche fonctionnelle afin d’aboutir à une
analyse de leurs effets spatiaux. A quoi correspond l’analyse spatiale des réseaux?
Il s’agit d’une méthode de recherche, adoptée par les géographes, qui implique la
139.Nous utilisons ici, la même méthodologie que le GDRI NESTUDS sur la problématique générale des accès
dans les pays du Sud. www.gdri-netsuds.org
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combinaison de savoirs et de compétences empruntés à des disciplines diverses et variées
allant des sciences sociales aux sciences humaines, aux statistiques, aux mathématiques et à
l’informatique. Son objectif est de montrer en quoi la prise en compte des localisations est
utile à la connaissance des objets (D. Pumain, Thérèse S Julien 2001). Elle contribue à en
expliquer les caractéristiques et à en comprendre les dynamiques. Certains auteurs donnent de
l’analyse spatiale un sens thématique « une analyse formalisée de la configuration et des
propriétés de l’espace géographique, tel qu’il est produit et vécu par les sociétés humaines »
(Pumain D et Thérèse Saint-Julien 1997), d’autres mettent l’accent sur la dimension spatiale
des phénomènes étudiés « rechercher, dans les caractères d’unités spatiales, ce qui relève de
leur position géographique » Charre (1995) ; alors que pour Brunet R (1992), l’analyse
spatiale est une méthode qui permet «de préciser la nature, la qualité, la quantité attachées
aux lieux et aux relations qu’ils entretiennent ».
Ce type d’analyse offre en l’espèce, l’intérêt de rechercher, les moyens de
développement d’un territoire à partir des réseaux dont il dispose : externalités (effets induits),
économie d’échelle, etc., paramètres fondamentaux pour la desserte des territoires. Dans tous
les cas, la première étape de l’analyse spatiale consiste à identifier les objets élémentaires au
niveau desquels il faut recueillir l’information (Léna Sanders 2001). Ce qui justifie le choix
de l’analyse spatiale pour aborder notre question de recherche.
D’abord avec les TIC, l’information géographique peut être accessible à tous sans
aucune limite grâce aux différents réseaux. Donc, il s’agit d’une question qu’on ne peut
éviter de poser car elle porte en germe une recomposition des modalités des communications
avec des conséquences tant territoriales que dans les structures économiques et sociales. A cet
égard, les TIC sont à considérer dans un ensemble associant inévitablement les autres réseaux
d’infrastructures (transports, routes, télécommunications, etc.).
Ensuite, l’analyse morphologique des réseaux, comme l’autorise cette méthode, est la
mieux identifiée et partant la plus abordable. Les avantages de cette démarche s’appuyant sur
les distributions spatiales des objets, permettent de pouvoir procéder à des démarches
hypothético-déductives ou systémiques (Sanders 2001). Par l’analyse spatiale, on pose la
question de l’aménagement du territoire sénégalais à partir des réseaux et leurs aptitudes à
pallier les insuffisances de développement surtout de la zone sud du pays. Elle met en lumière
l’inadéquation entre les formes et les densités des réseaux d’une part, et les échanges entre les
différentes régions du territoire sénégalais, d’autre part. En effet, les réseaux techniques ne
sont pas parfaitement maillés. Il existe des déséquilibres territoriaux originels, une
hiérarchisation spatiale créée par les différents types de réseaux, conduisant à une polarisation
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trop grande et de plus en plus accentuée autour des principales villes, au détriment des petites
villes et des campagnes140. De manière systématique, les réseaux d’infrastructures opposent
l’Ouest du pays assez bien maillé, et l’Est où ils sont lacunaires.
Pour appliquer cette grille de lecture construite sur la mise en réseau des espaces,
l’exemple de la région de Ziguinchor est d’une valeur significative. Cette région est le
stéréotype d’une zone enclavée associant à la fois l’isolement et la «pauvreté».
«L’enclavement ne découle pas d’une absence de réseau » (Chapitre 5) « mais d’une réponse
dysfonctionnante de ces réseaux aux nécessités d’ouverture.»141 Une analyse structurale et
fonctionnelle des réseaux de communication de la région de Ziguinchor, permet d’étudier les
processus de son enclavement liés à sa simple position géographique.
Cette méthodologie nous a permis :
• de définir la structure des divers réseaux en fonction des objectifs de développement
dans la région.
• de détecter les mécanismes d’échanges de l’information dans la région de
Ziguinchor.
• Enfin de déterminer les réseaux d’informations existants, formels ou informels.
Nous avons collecté les informations sur les infrastructures et les services proposés
afin d’identifier les espaces desservis ou marginalisés, en vue de procéder à une
cartographie des dessertes, une couverture spatiale des différents moyens de
communication.
Cette approche, par l’analyse spatiale, nous a aussi permis d’analyser le phénomène
des cybercentres dans la ville de Ziguinchor. En effet, l’usage d’Internet est un phénomène
essentiellement urbain. La dynamique spatiale des cybercentres est complexe et révèle une
géographie ultra sélective. Nous avons procédé à une analyse de l’emplacement géographique
des cybercentres, le tout corrélé à la distribution spatiale des activités économiques et de la
population afin de déterminer l’évolution dans le temps et dans l’espace les lieux d’accès à
Internet. Ceci nous a permis de distinguer plusieurs zones de développement des accès
Internet dans la ville (Chapitre 9). Par ce procédé d’analyse, nous avons montré que dans la
ville de Ziguinchor, l’occupation de l’espace montre trois zones bien distinctes avec des
concentrations humaines et des activités bien différenciées. L’analyse spatiale du phénomène
Internet montre que les cybercentres qui sont devenus des lieux d’usage de moyens modernes
140.Alain François Loukou (2005) en fait part d’ailleurs dans sa thèse sur les télécommunications en Côte
D’Ivoire.
141.Debrie Jean (2001)
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de communication, se sont développés du centre ville de Ziguinchor vers la périphérie.
Reprenant l’approche proposée par Bakis et Grasland (997), pour l’étude de
l’intégration des territoires par les réseaux, au sens de l’analyse spatiale, on ne peut manquer
de s’interroger sur les relations entre réseaux territoriaux et réseaux organisationnels. A ce
stade de la recherche, certaines incohérences peuvent subsister. Mais elles permettent de
montrer que «les dynamiques spatiales s’appuient très largement sur des mises en réseau
multiple » (Bakis 1997). A ce niveau, l’étude se concentre sur la complémentarité des réseaux
organisationnels ou sociaux dans les processus de développement des territoires. Pour ce cas
spécifique des TIC, les processus et les modes de diffusion de l’innovation dans les territoires
africains prennent des formes et des modalités différentes.
Cependant, pour comprendre l’utilisation des TIC et leurs applications, se limiter à la
seule analyse spatiale des réseaux risque de contenir une faiblesse méthodologique. Ainsi,
l’approche par la diffusion spatiale, très compatible avec l’analyse spatiale des réseaux
complète nos outils d’analyse.
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Selon Denise Pumain (1997), la théorie de la diffusion spatiale de l’innovation est
avec la théorie centre-périphérie et celle des lieux centraux, l’une des principales propositions
théoriques développées ou enrichies par les géographes pour s’expliquer «les structures
spatiales et l’évolution des systèmes spatiaux». Pour sa part, Thérèse Saint-Julien (1992)142,
s’est largement intéressée aux phénomènes de diffusion spatiale et à leur formalisation. Pour
elle, la diffusion spatiale « recouvre l’ensemble des processus qui concourent au
déplacement, à la migration, de l’innovation dans l’espace géographique et aux effets en
retour que ces déplacements engendrent dans cet espace143». Son idée est qu’un certain
nombre de transformations de l’espace (agricoles, architecturales, etc.) est dû à des effets
d’influence qui opèrent par «contagion». Bien que pouvant être physique, ce phénomène peut
être social et économique, à travers des comportements d’imitation dans un domaine aussi
complexe que celui de l’innovation technologique.
En ce qui concerne les TIC, parler de diffusion spatiale revient à raisonner en termes
d’adoption et d’acceptabilité de ces technologies par les usagers. Cependant, Roger Brunet
dans Les Mots de la Géographie (1992), évoque des critères économiques (différences de
revenus), culturels où des pressions sociales locales très fortes pour caractériser les freins
possibles à la diffusion spatiale d’une innovation. Mais la diffusion d’une innovation n’est pas
exclusivement économique (Von Thunen 1827 dans ses théories fondateurs de l’espace, T
Saint Julien 1992). Elle dépend aussi d’un ensemble de facteurs.
Par l’étude des accès publics dans la région de Ziguinchor, on montrera que les
transformations spatiales induites par les TIC ne sont pas de grandes ampleurs. Cependant,
l’émergence récente du secteur informel dans ce nouveau créneau économique, montre que la
diffusion spatiale des points d’accès est surtout due à des effets d’imitation. Il a fallu que des
individus croient à l’importance de la communication électronique pour que se développent
des points d’accès dans la région. Prenant l’exemple du téléphone, ou de l’Internet, on va
analyser leur développement depuis l’installation des premières structures dans la ville de
Ziguinchor jusqu’à leur développement dans des zones sans attrait pour l’investissement
économique.
Dans cette ville, l’occupation de l’espace montre trois zones bien distinctes avec des
concentrations humaines et des activités différenciées. Par exemple, pour l’accès à Internet,
les cybercentres qui sont devenus des lieux d’usages de moyens modernes (Internet, fax,
Page 79
téléphone.etc.), se sont développés dans le centre de la ville avant de toucher la périphérie.
Nous avons procédé à une analyse de l’emplacement géographique des cybercentres, le tout
corrélé à la distribution spatiale des activités économiques et à la population afin de
déterminer leur évolution dans le temps et dans l’espace.
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III – 1- Le contact avec le terrain
Ce travail est le fruit d’une recherche de terrain qui a duré 18 mois (entre Août 2004
et Octobre 2007) avec des séjours alternés entre le Sénégal et la France. Ces missions de
collecte d’information ont été l’occasion de nouer des contacts. Mon premier séjour a eu lieu
du 7 août au 22 Octobre 2004. Il a été mis à profit pour rencontrer, les responsables de la
Sonatel afin de faire le point avec eux sur l’état des infrastructures de télécommunications au
niveau de la région de Ziguinchor. Les données recueillies ont largement servi à l’approche de
la répartition spatiale des infrastructures d’accès dans la région. Mais elles ont été complétées
par des études postérieures entre 2006 et 2007 à la direction nationale de la Sonatel à Dakar.
Les autorités administratives ont été mises à contribution pour me faciliter la collecte des
informations. C’était aussi l’occasion de rencontrer les personnes ressources, des membres de
la société civile et des acteurs privés directement impliqués dans la réalisation de structures
d’accès aux TIC comme les télécentres et les cybercentres. Il faut reconnaître que je me suis
plus intéressé à la situation qui prévaut dans la ville de Ziguinchor avant de m’interroger par
la suite sur toute la région.
Le deuxième séjour s’est déroulé du 5 janvier au 7 juin 2006. Accessoirement, j’ai
profité de l’organisation du colloque E-atlas francophone à Dakar au mois d’Avril pour
présenter quelques aspects des initiatives privées pour développer l’accès public aux TIC dans
la Ville de Ziguinchor. Par la suite je suis reparti sur le terrain avec Madame Annie Chéneau
Loquay (du 2 au 9 Mai 2006) pour mieux adapter ma problématique aux réalités locales. Ce
deuxième voyage a été aussi l’occasion de faire des déplacements dans les autres villes de la
région (Bignona, Oussouye et Thionck Essyl). Pour mieux faire des comparaisons, je suis
parti dans des zones rurales très représentatives comme Kafountine dans l’arrondissement de
Diouloulou au Nord-Ouest et au Cap Skirring dans le département d’Oussouye. Ces deux
localités constituent les principales zones touristiques de la région. Ce deuxième voyage a été
déterminant dans le choix et la représentativité des zones pour les enquêtes et les entretiens.
Enfin, le dernier séjour sur le terrain s’est déroulé du 3 Août au 7 Décembre 2007.
Les 26, 27 et 28 Novembre 2007, pendant le Symposium International du GDRI NETSUDS
sur l’Accès Universel à Dakar, j’ai pu présenter un texte traitant de la diversité des accès et
des usages dans les différents quartiers de la ville de Ziguinchor. Ces différents déplacements
sur le terrain m’ont convaincu que l’accès aux TIC dans la région de Ziguinchor est un
phénomène essentiellement urbain avec quelques cas en milieu rural qui méritent d’être
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analysés. En fonction de ces critères, il était plus facile pour moi, de choisir des sites pour
procéder à mes enquêtes de terrain.
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télécommunications, tout part de Ziguinchor. De par sa position stratégique sous régionale,
radios privées, télécentres, cybercentres, points d’accès publics et privés aux technologies de
l’information et de la communication… se sont d’abord développés dans cette ville avant
d’atteindre les autres régions de la Casamance naturelle. C’est pourquoi, en raison de la
polarité de la ville de Ziguinchor, de sa place dans l’économie de la région et aussi de son
statut de principale ville qui bénéficie de l’apport de l’exode rural, nous avons jugé
indispensable de comprendre comment se développent les accès aux TIC dans cette ville.
Ainsi une grande partie de la collecte des données s’est faite dans la ville de Ziguinchor.
Le choix de Bignona nous a semblé aussi pertinent pour une raison principale liée à sa
position de ville carrefour. Deuxième pôle urbain régional, Bignona est un passage obligé
pour atteindre Ziguinchor par la route en venant du Nord. Un autre facteur et non des
moindres, se trouve dans le fait que, pendant longtemps, cette ville a été épargnée par le
conflit civil. Sa relative stabilité et sa proximité avec la capitale régionale (distance de 30 km
environ), nous semblent importantes pour analyser les phénomènes d’accès dans une ville qui
malheureusement est très pauvre économiquement (aucune activité économique, autre que le
commerce et l’agriculture).
Enfin, la dernière ville choisie est celle d’Oussouye qui est la collectivité urbaine la
plus rurale de toute la région. Oussouye est située dans la zone la plus morcelée par le réseau
hydrographique. Cette zone détient les plus faibles taux de toute la région en matière
d’infrastructures : liaison téléphonique toujours assurée par faisceaux hertzien au moment où
la boucle optique dessert les autres villes, 911 abonnés à l’électricité pour tout le département
en 2004, 355 abonnés au téléphone fixe pour la même année. Tous ces critères justifient que
le chef lieu de département devait être choisi comme lieu d’enquêtes.
En milieu rural, pour conduire les enquêtes, un choix raisonné de villages a été fait en
fonction des critères suivants : taille de la population, accessibilité par rapport à Ziguinchor,
présence d’infrastructures de base comme le téléphone et l’électricité…etc. Des situations
intéressantes ont émergé. C’est le cas de la station balnéaire du Cap Skirring. Elle abrite le
«club méditerranée » et le second aéroport de la région. Etant donné que la population qui
fréquente cette ville est d’origine étrangère donc susceptible d’être habituée à l’usage fréquent
des TIC dans leur pays d’origine, le Cap Skirring était incontournable pour moi dans mes
enquêtes. C’est aussi valable pour Kafountine dans le département de Bignona. Avec la
saturation du Cap Skirring, le tourisme intégré est en train de basculer de cette zone vers celle
de Kafountine selon le syndicat du tourisme de Ziguinchor. En plus Kafountine était très
intéressant à voir car sur 14 villages de la communauté rurale, seuls cinq (5) sont situés sur la
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terre ferme, le reste est constitué par des îles. Cette localité est aussi très réputée pour ses
activités commerciales. Kafountine est l’un des principaux points de transformation des
produits de la pêche dans la région.
Disons le clairement, par ces enquêtes, notre objectif principal était de déterminer les
usages associés aux TIC dans l’espace régional. Pour cela, nous avons repris le protocole
d’enquêtes du GDRI NETSUDS (Voir annexes). Certes, il est plus axé sur l’analyse et la
compréhension de cette forme de mutualisation des accès publics à Internet, cependant, il
offre l’avantage, au-delà d’Internet, de mesurer la diversité des acteurs du secteur et
d’analyser les modes de communication des autres TIC comme le téléphone par exemple.
Cette phase a été la plus dure et la plus difficile. Pendant des mois, j’ai parcouru la
région de Ziguinchor en pleine saison des pluies ou en pleine canicule. Dans les villes
principales, une carte à la main, j’ai essayé tant bien que mal de situer les points d’accès
publics surtout en ce qui concerne l’accès à Internet. En même temps j’exploitais les
différentes informations de seconde main pour ajuster mes déplacements. Il s’agit
principalement des éléments fournis dans les différents services régionaux du commerce, du
tourisme et des structures de micro finances. C’est d’ailleurs à la suite de ce repérage que j’ai
particulièrement ciblé les différents quartiers de la ville de Ziguinchor pour analyser les
phénomènes liés à l’accès à Internet. Cette phase de repérage a donné lieu à un entretien avec
les responsables des lieux d’accès comme les cybercentres et les télécentres. Nous avons
procédé à 215 enquêtes et entretiens dans la région. Dans la ville de Ziguinchor, 105
questionnaires ont été distribués ; à Bignona 42, à Oussouye 31 questionnaires, et enfin en
milieu rural 37 répartis comme suit : 8 à Kafountine, 13 au Cap Skirring et 16 à Coubanao145.
Ce sont les modes de communication des particuliers qui nous ont le plus intéressé.
Dans cette catégorie, des enquêtes ont été faites tant au niveau des télécentres que des
cybercentres. Nous avons fait passer des questionnaires et des entretiens aux différents
145.Dans cette localité où se trouve le Centre Aden, je voulais faire plus d’enquêtes mais je suis arrivé dans une
période où le centre recevait le moins de monde. J’ai pu donc exploiter les informations fournies par les
responsables du centre.
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usagers qui présentent des profils différents : élèves, fonctionnaires, sans emplois,
agriculteurs, étudiants, femmes et hommes, jeunes et adultes pour ressortir la diversité des
usages et comprendre les dynamiques dans les formes de communication. Etant donné que ces
différents services sont offerts par des particuliers qui ont compris l’utilité de s’investir dans
ce nouveau créneau, des entretiens particulièrement ciblés ont lieu avec les principaux
propriétaires de ces structures d’accès.
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Devant ce sentiment d’insécurité, le département d’Oussouye est celui dans lequel la collecte
de l’information a été la moins fournie. Par contre, dans le Nord de la région, je n’ai pas eu de
grandes difficultés de déplacement.
Les autres difficultés sont plus techniques et liées aux données fournies par la
SONATEL. Elles sont parcellaires parfois et nécessitent un long travail de recoupement et
d’analyse. En effet, les remontées des informations ne sont pas toujours assurées entre les
différents services de l’opérateur de téléphonie. A cause de la concurrence surtout sur le
réseau mobile, la SONATEL refuse de communiquer systématiquement sur le nombre de ses
abonnés où des investissements prévus pour l’amélioration de la couverture réseau dans la
région. C’était encore plus difficile pour le second opérateur téléphonique SENTEL. Donc,
dans le texte, je n’ai malheureusement pas eu des informations récentes sur la cartographie du
réseau de téléphonie mobile du Sénégal. Les commentaires se basent sur la carte du réseau
mobile fournie par l’ARTP en 2005. Toutefois, ces insuffisances n’empêchent pas de faire
certaines projections au vue des améliorations par les différents opérateurs.
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Conclusion
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DEUXIEME PARTIE
La mise en place de la problématique
communicationnelle dans l’espace
régional de Ziguinchor
Page 88
Introduction
149.Jean Marc Offner (1993) : « Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification
scientifique » In l’Espace Géographique Numéro 3.
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Chapitre 3: Le développement des
infrastructures et des services de
Télécommunications : la Sonatel maître
d’œuvre/ l’Etat régulateur souverain
Les éléments qui structurent l’étude méritent d’être précisés en vue d’une meilleure
compréhension de l’aspect régional que nous donnons à cette thèse. Etant donné que ce travail
présente l’utilisation des systèmes modernes de télécommunications dans une portion du
territoire sénégalais, l’analyse propose d’abord un panorama des infrastructures
technologiques auxquelles ont accès les populations sénégalaises. Pour chacune de ces
infrastructures, les avantages et les inconvénients ont été identifiés et nommés pour mieux
cerner la situation de la région de Ziguinchor par rapport au Sénégal dans les chapitres
suivants.
Le Sénégal affiche depuis quelques années, suite à la dévaluation du franc CFA (1994)
une croissance régulière de 5 %. Selon les comptes nationaux révisés en 2004, la situation
économique et financière du pays est marquée en 2005150 par une croissance réelle du PIB
estimée à 6,1% contre 5,6% en 2004. Les grands secteurs d’activité sont l’agriculture, la
pêche, le tourisme et les sociétés de service comme le transport et les télécommunications. Le
secteur primaire, essentiellement tiré par le sous secteur agricole, enregistre une croissance de
12,2% en 2005 contre 2,7% en 2004. Quant au secteur industriel les tensions inflationnistes
150.Tous les chiffres sont issus du rapport de l’agence nationale de la démographie et de la statistique (ANDS)
publié en 2006
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sur le marché n’ont pas été favorables à son développement. Sa croissance est estimée en
2005 à 4,2% contre 6,2% en 2004. Par contre la croissance est quasiment stable au niveau du
tertiaire avec 5,5% grâce au secteur des télécommunications qui a crû de 10,4% en 2005.
Selon le rapport annuel de la société de télécommunications de 2006, l’entreprise a produit
11,8% des recettes fiscales de l’état sénégalais et 7,8% des exportations du pays grâce aux
innovations tant techniques que commerciales. Sa contribution directe à la croissance du PIB,
hors effets induits, représente 0,58 point sur une croissance estimée à 5,1%151. Ces
performances, pour un pays en développement, montrent que le secteur des
télécommunications a atteint un niveau optimal par rapport aux autres secteurs de l’économie
car dans la plupart des pays industrialisés ou en phase d’industrialisation, la part des
télécommunications se situe entre 1,7 et 2,8% du PIB (rapport UIT 2000)152.
Carte 3: Carte administrative du Sénégal en 2007153
Page 91
Cependant, les performances économiques enregistrées n'ont pas eu d’effets sur les
conditions de vie des populations pour réduire substantiellement la pauvreté. Le Sénégal a été
admis en 2001 dans la catégorie des Pays les moins avancés (PMA). L’indice de
développement humain du PNUD l’a classé en 2006 au 156ème rang sur 177 pays. Le Produit
intérieur brut (PIB) par tête d’habitant (environ 600 $Us) est l’un des plus faibles au monde et
au rythme actuel de l’économie ; les experts pensent qu’il faudra environ 30 ans pour le
doubler. Enfin, le pays supporte un fort endettement extérieur (3 865 millions de dollars US)
et les déficits sociaux sont de plus en plus lourds. L’encours de la dette a représenté 86,2% du
PIB en 1994, 80,1% en 1996 et se situe à 71,3% en 2000. Le service de la dette, pour sa part,
a représenté, après rééchelonnement, 4,5% des recettes d’exportation des biens et des services
et 11% des recettes fiscales en 1994 juste après la dévaluation. Cinq ans après, ces taux se
situent respectivement à 12% et 21,3% en 1999 et passent à 12,7% et 22,6% en 2000.
154.Le taux de croissance est revu à la baisse pour ces années à venir avec la faillite des ICS (Industries
chimiques du Sénégal) qui étaient le fleuron de l’économie nationale et le premier secteur d’exportation du
Sénégal.
155.En 2005, l’Union Internationale des Télécommunications a produit un rapport sur le développement des TIC
Page 92
Dans notre propos, nous tentons de retracer la diffusion des TIC au Sénégal et
d’analyser les démarches innovantes en matière d’aménagement du territoire sénégalais par
les infrastructures de télécommunications. Où en est le Sénégal ? La problématique de l’accès
et du service universel, tant débattue lors du Sommet Mondial de la Société de l’information
de Genève, trouve t’elle des débuts d’application? Comment analyser l’objectif de service
universel fixé par la Sonatel pour 2010 dans un contexte économique morose, avec un
renforcement de l’économie de l’informel ?
Le Service Universel est défini comme «la mise à disposition de tous d’un service
minimum consistant en un service téléphonique d’une qualité spécifiée à un prix
abordable, ainsi que l’acheminement des appels d’urgence, la fourniture du
service de renseignement et d’un annuaire d’abonnés, sous forme imprimée ou
électronique et la desserte du territoire national en cabines téléphoniques
installées sur le domaine public et ce, dans le respect des principes d’égalité, de
continuité, d’universalité et d’adaptabilité» L’article 2 de la loi n°2001-15 du 27
décembre 2001 portant code des Télécommunications
Pendant longtemps, le paysage technologique du Sénégal a été marqué par la radio qui
constituait le principal médium, du moins le seul qui était accessible à la grande masse de la
population. La télévision apparaît par la suite avec une lenteur manifeste dans son expansion.
Aujourd'hui, la merveille technologique qui, semble-t-il, a eu le plus grand écho en termes
d'expansion surtout chez les jeunes, est le téléphone portable et l’Internet. Cette situation
atteste des efforts de modernisation des infrastructures amorcée depuis 1981.
et des télécommunications dans les pays les moins avancés (PMA). Dans ce document, le Sénégal est cité en
exemple en Afrique de l’Ouest notamment dans l’évolution du secteur entre 2001 et 2005. De manière générale
aussi les tendances et les problèmes sont évoqués pour les années à venir. Document consultable sur
http://www.itu.int/net/home/index-fr.aspx
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En effet, les efforts historiques pour couvrir le territoire national se sont poursuivis
avec conviction surtout en ce qui concerne la téléphonie fixe, le mobile et l’accès à Internet.
L’infrastructure et les services de télécommunications, l’informatique et les médias ont atteint
un degré de développement relativement important par rapport à la situation qui prévaut dans
nombre de pays africains.
En outre, le pays a fait des TIC et téléservices une priorité de développement
économique156. Il s’agit, nous dit Olivier Sagna157, de faire en sorte que les TIC « ne soient
perçues comme un luxe pour une élite mais comme une nécessite absolue pour le
développement.»
Avec l’alternance politique, le président Wade fait des TIC un des points majeurs de
sa politique. Au cours de la caravane multimédia, Abdoulaye Wade s’est exprimé pour un
usage massif d’Internet par les populations sénégalaises. Son désir était de voir la caravane
multimédia contribuer «à réduire la distance qui sépare la ville de la campagne » avant
d’ajouter que « les technologies d’information et de communication sont un puissant outil de
démocratie par ce qu’elles sont à la portée de toutes les races et de tous les continents » (en
ligne sur www.osiris.sn )
Le président Wade voue une certaine admiration aux TIC et surtout à Internet. En
atteste ce passage de son discours à l’ONU en 2002: « Monsieur le président [s’adressant à
Koffi Annan] si les africains bénéficient des mêmes conditions favorables que les autres
peuples, ils disposent de toutes les ressources intellectuelles pour relever le défi de la société
de l’information et des communications. C’est fort de cette conviction que j’ai décidé
d’engager résolument une politique hardie de développement des NTIC158au Sénégal. »159
Cette conscience politique de l’importance des TIC, a conduit à des vagues
successives d’amélioration du réseau de télécommunications dont les plus décisives ont
abouti à la généralisation de l’Adsl (asymetric digital subscribe line) dans toutes les régions
du pays depuis 2004. La priorité absolue de la société de télécommunications est de réussir le
service universel160 pour toute la population sénégalaise avant fin 2010. Cette question du
service universel qui était au cœur du débat du sommet mondial de Genève, est définie
156.Plusieurs plans de développement sectoriel ont marqué les télécommunications au Sénégal. Le plus
important a été celui du VII plan de développement économique et social de 1985-1989 mis en place avec la
naissance de la Sonatel en 1985. L’objectif assigné à la jeune société était de développer l’infrastructure,
améliorer l’accès afin de réussir le plan de rattrapage défini par l’Etat
157.Lors des nombreuses discussions Olivier Sagna
158.Il parle de NTIC alors que nous avons choisi l’acronyme TIC.
159.Discours du président Wade le 18 Juin 2002 à l’assemblée générale des Nations Unies à propos des TIC au
service du développement. Source OSIRIS : www.osiris.sn/article490.html consulté le 26 Avril 2007
160.Dans son rapport d’activité de Décembre 2006, la Sonatel consacre une part importante à cette question qui
doit être résolue avant fin 2008 avec la généralisation du téléphone dans tous les villages du Sénégal.
Page 94
comme un accès aux infrastructures et aux services TIC « ubiquitaire, équitable et
161
financièrement abordable » . Selon les conclusions de ce sommet, l’accès universel
«constitue l’un des défis de la société de l’information et devrait être l’objectif de tous ceux
qui participent à son édification.»
L’objectif de service universel que défend la SONATEL, se heurte à un territoire
sénégalais marqué par des extrêmes. D’une part une croissance démographique et une
urbanisation intensive de la capitale qui exige une concentration des infrastructures de
télécommunications afin de faire face au risque de saturation du réseau. D’autre part, une
nécessité d’équité territoriale pour les espaces géographiques de l’intérieur qui se
«dépeuplent » afin de les intégrer dans l’espace national sénégalais. Il est vrai que la
«fracture numérique » est multiforme et reproduit les disparités sociales et spatiales existantes
(H Bakis 1988, p 21). Ce terme, aussi imprécis soit-il, renvoie à deux dimensions spécifiques,
l’une sociale, l’autre territoriale. Les populations qui « n’accèdent » pas aux TIC seraient
celles qui accumuleraient le plus de « déficits sociaux » (faibles niveaux de formation, de
revenus …) et celles qui habiteraient sur des territoires non correctement maillés par les
réseaux d’infrastructures. Ainsi, toute politique publique actuelle des TIC, doit se classer dans
la catégorie de « lutte contre la fracture numérique », ce que semble mettre en œuvre la
société nationale de télécommunications.
Pour relever le défi du service universel au Sénégal, la Sonatel s’attèle à la correction
des déséquilibres spatiales en infrastructures entre les différentes régions du Sénégal tout en
accordant la priorité au milieu rural. En 2006, l’opérateur téléphonique a investi plus de 110
Milliards de FCFA162 pour l’amélioration de son réseau avec presque 60% des
investissements consacrés au matériel d’exploitation dont les deux tiers aux équipements de
transmission, aux lignes et réseaux publics. Cependant, «l’accès universel est entendu en
général à l’échelle d’un Etat acteur des politiques publiques sur son territoire, mais il
implique aussi la réduction de la fracture numérique internationale et plus spécifiquement
Nord-Sud dont les modalités sont beaucoup moins connues et étudiées »Annie Chéneau
Loquay163. Ces différents angles, autour desquels, on peut étudier les thématiques relatives à
l’accès universel, nous amènent à analyser la situation des infrastructures de
Page 95
télécommunications au Sénégal sous divers aspects.
164.Gaye Daffé et Mamadou Dansokho (2003) dans un article : « Les nouvelles technologies de l’information et
de la communication : défis et opportunités pour l’économie Sénégalaise » Avril 2003, ont décrit les différents
programmes publics de développement qui ont marqué le secteur des télécommunications depuis les
indépendances ainsi que les diverses réformes institutionnelles qui ont accompagné le processus.
165.C’est une société d’économie mixte créée avec France câbles radios pour gérer les télécommunications
internationales.
166.En Septembre 2007, la société SUDATEL a été choisie par l’Etat du Sénégal suite à l’appel d’offre qui a été
lancé. Ses activités qui devaient commencer en Janvier 2008 ont été repoussées pour le mois de Mai de la même
année.
Page 96
II-2 Le réseau de télécommunications : un bilan positif des
équipements167,
167.Tous les chiffres donnés dans cette partie sont tirés de la Sonatel, du site de Osiris mais aussi des travaux de
Olivier Sagna.
168.Olivier Sagna : «le Sénégal en marche vers la société de l’information (1996-2006)» actes du colloque
régional de l’e-atlas sur le thème « société de l’information participation citoyenne et développement durable.
Quelles formations ? Quels outils ? Dakar les 26, 27 et 28 Avril 2006. Presses universitaires du Mirail Décembre
2006.
169.www.osiris.sn
170.En 1990, la Société nationale des télécommunications décide de laisser l’exploitation de ses lignes publiques
à des privés dans un souci de rentabilité économique mais aussi de répondre à sa mission de service public pour
l’accès au plus grand nombre de sénégalais au téléphone.
171.Ces chiffres sont des estimations établies par l’agence de régulation des télécommunications et des postes
sur la base des données fournies par les opérateurs en 2005
172.www.osiris.sn
Page 97
réseaux, une meilleure efficacité dans l’action des opérateurs, mais surtout la baisse
successive des redevances mensuelles et des frais d’accès à l’Adsl. Toutefois les besoins sont
immenses.
Entre la capitale, qui polarise l’essentiel des infrastructures liées aux
télécommunications et les autres régions173, un accès ubiquitaire passe par une interconnexion
du territoire sénégalais du local au global (ce que le pays essaie de réussir) à un rééquilibrage
des infrastructures et leur modernisation au profit des autres régions du Sénégal. Devant ce
déficit abyssal, la SONATEL s’est engagée à consacrer 6% de ses investissements pour le
monde rural d’ici 2010 afin d’augmenter le nombre de lignes fixes en milieu rural et
désenclaver les zones isolées. Elle finira d’achever la couverture du territoire national
sénégalais en équipant tous les villages d’ici cette échéance grâce à la technologie Code
Division Multiple Access (CDMA) dont la réalisation a commencé en 2007
Carte 4: Architecture du réseau de câbles sous-marins desservant l'Afrique de l'Ouest
Source: http://www.africanti.org/IMG/mem 1
173.Thomas Guignard (2004) : «Les accès publics à Internet au Sénégal : une émergence paradoxale » In
Mondialisation et Technologies de la communication en Afrique. Sous la Direction d’Annie Chéneau Loquay,
Paru Chez L’harmattan Juillet 2004, Pages 211-253.
Page 98
(Source Sonatel, Osiris et ONU)
Abonnés au fixe en 2006 282 573
Abonnés au Mobile 2982623 avec deux opérateurs : Orange
et TIGO soit 26,51 de la population
Télédensité* 2,67%
Bande Passante* 310Mpbs en 2003, 1,24 Gigabits en
2006
Nombre abonnés Internet > 20000 en 2005
Nombre d’utilisateurs > 650000 soit 5,9% de la population174
potentiels
Taux d’équipement des 2,14% en 2005
ménages en Ordinateurs
Taux de ménages ayant accès 0,29% de la population
à Internet
Nombre de Fournisseurs 7
d’accès en 2007
* une bande passante est définie comme le débit supporté par une ligne de communication.
* La télédensité est le nombre de lignes téléphoniques pour 1000Hbts
174.www.osiris.sn, voir aussi les dernières statistiques fournies par les nations unies ;
175.Cette partie s’appuie sur la consultation des rapports fournis par la Société Nationale des
Télécommunications du Sénégal et ainsi que ceux de l’Agence de régulation des télécommunications et des
postes sur une période de quatre années : 2002, 2003, 2004, 2005, 2006. Certaines notes de synthèse de
l’observatoire de l’insertion des télécommunications au Sénégal (Osiris) à travers la revue électronique Batik et
la thèse d’Eric Bernard (2002) nous ont été utiles.
Page 99
II-3-1 La configuration actuelle du réseau une tendance au rééquilibrage
Page 100
et les risques de saturation du réseau ont nécessité des investissements colossaux qui
se sont traduits par le remplacement de la liaison analogique par la boucle optique.
Les travaux de Cheikh Guèye (2003) ont permis de montrer les efforts colossaux de
modernisation entrepris sur cet axe. La région de Diourbel a bénéficié d’un
programme spécifique en 1996 d’un coût d’environ 16 Milliards de F Cfa qui a
abouti à son raccordement au réseau national à fibre optique et à la réalisation de
centraux téléphoniques.
- le troisième axe est celui du Sud en direction de Kaolack, Nioro, Ziguinchor, Kolda
Tambacounda où la fibre optique est opérationnelle depuis fin 2004.
Ces infrastructures sont complétées par des centraux de commutation téléphoniques
dans toutes les régions du Sénégal. Au nombre de 12, ces centraux ont permis d’accroitre la
capacité en lignes. Cette capacité équipée qui était de l’ordre 105 180 en 1994 a connu en 10
ans des améliorations significatives : 132397 en 1996, 146000 en Juillet 1997 et 313 633 en
fin 2004. La région de Dakar regroupe 69% de la capacité installée vient ensuite l’axe Thiès-
Diourbel-Touba.
En vérité, la concentration de la population à l’ouest est le principal facteur
d’explication de la forte concentration des infrastructures de télécommunications. Au sous
peuplement de l’Est du pays (les régions de Tambacounda et au Nord du pays, exception faite
à la vallée du fleuve), où les densités varient entre 1 et 5 habitants au Km², s’opposent les
zones densément peuplées de l’Ouest et la capitale des mourides (Touba) au centre. En outre,
selon les prévisions de l’agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), en
2015, 60% de la population sénégalaise vivraient en milieu urbain. Cet accroissement
démographique, sous l’effet combiné de l’accroissemnt naturel et de l’exode rural, amène la
SONATEL à densifierson réseau à l’extrême ouest du Sénégal.
La carte n° 5 extraite du rapport de l’Agence de Régulation des télécommunications et
des postes (ARTP) en 2005, montre une distribution des infrastructures de
télécommunications conforme à celle de la population. Ainsi, dans la région de Matam, où le
chef lieu d’arrondissement, en l’occurrence Ranérou (situé sur l’axe Linguère-Bakel) est érigé
département en 2002, on sent nettement que l’opposition entre campagne et ville s’affirme
totalement. On notera également, les noyaux centraux de télécommunications que deviennent
les villes de Thiès au centre, Kaolack et Ziguinchor.
Page 101
Carte 5: Carte des infrastructures de Télécommunications en 2005
Page 102
Ce déséquilibre est aussi manifeste pour les infrastructures de téléphonie mobile
(Carte 6,). Contrairement à la téléphonie filaire où la SONATEL est le seul opérateur, pour le
mobile, le marché se partage entre LA SONATEL par sa filiale Orange et le groupe SENTEL
sous la marque TIGO. En 2006, toutes les principales villes et axes routiers sont couverts par
le réseau GSM. Sur ces cartes n° 5 et 6 qui recensent les infrastructures, la zone du Ferlo
(centre de la région de Louga), la région naturelle de la Casamance (Ziguinchor, Kolda) et une
bonne frange de la région de Tambacounda surtout à son extrême sud-est, s’apparentent à un
«désert technologique». Le centre du Sénégal donne l’aspect d’une «combe évidée» prolongée
au Sud-est et au Sud-ouest.
Le nombre de BTS176 (boitier de transmission secondaire) qui permet d’apprécier la
capacité technique du réseau a atteint 433 unités en 2006. Toutefois entre 2004 et 2006, la
couverture du territoire n’a pas fondamentalement variée (42% du territoire national). Sur un
ensemble de 317 BTS (boitier de transmission) installés par la SONATEL, la région de Dakar
englobe 51% des effectifs en raison d’un BTS tous les 1500m. Cette norme est de 15 Km pour
le reste du territoire sauf dans la région de Ziguinchor où elle est fixée à 1 BTS tous les 9 km.
La SENTEL a, pour sa part, mis en service 116 BTS dans la même. Mais nous n’avons pas
leur répartition à l’échelle nationale. Malgré tout au vue de la carte n° 7 est tenté de dire que
la répartition des infrastructures de la SENTEL n’est pas loin de celle de la SONATEL.
Les régions les mieux couvertes sont naturellement la presqu’île du Cap-Vert et le
bassin arachidier au centre et une partie de la vallée du fleuve Sénégal. Pour ce dernier
exemple, l’importance de la communauté expatriée vers l’Occident n’est pas étrangère à
l’amélioration de la couverture mobile. Les opérateurs de téléphonie ont développé les
infrastructures dans la vallée du fleuve Sénégal pour permettre à la diaspora de maintenir un
lien avec leurs familles auxquelles, elle apporte un soutien financier essentiel. Ces mêmes
raisons justifient aussi le développement de la téléphonie mobile dans la région de Diourbel
avec la forte colonie mouride et dans celle de Louga au centre du Sénégal. D’ailleurs une
étude sur l’appropriation des technologies par les émigrés (S. M.Tall 2003), a montré qu’ils
ont beaucoup contribué à l’explosion du téléphone cellulaire qui devient par la même
occasion un outil de désenclavement communautaire.
176.Le boitier de transmission secondaire est une infrastructure téléphonique placée toujours aux extrémités des
zones couvertes par les faisceaux hertziens afin d’assurer la continuité du réseau.
Page 103
Carte 6 : Répartition des infrastructures mobiles de la Sonatel en 2004
Page 104
Ces deux cartes n’ont malheureusement pas été réactualisées depuis 2004. Pourtant de
nouvelles infrastructures ont été créées afin d’améliorer la couverture du territoire. Cependant,
elles constituent des indicateurs pour comprendre la couverture du territoire sénégalais par le
téléphone mobile.
Par son port et son aéroport international, le Sénégal est déjà une place forte du trafic
sous régional de personnes et de marchandises. En plus d’une société entièrement tournée
vers l’extérieur, le Sénégal devient, grâce aux liaisons téléphoniques internationales, une
passerelle vers les autres pays de l’Afrique en matière de télécommunications. Il renforce sa
position de carrefour des télécommunications au niveau de la sous région par sa participation
à la réalisation du câble sous marin ATLANTIS 2 reliant le Sénégal, le Portugal, l’Espagne, le
Cap-Vert, le Brésil et l’Argentine. En dehors de ce câble sous marin, la liaison satellitaire
s’est continuellement améliorée. L’essentiel des liaisons internationales est assurée par
satellite sur le système INTELSAT et par un réseau de quatre câbles sous marins atterrissant à
Dakar. A côtés des deux centres de transit international (CTI) en service depuis 1996, le
centre de télécommunications par satellite de Gandoul assure les fonctions de centre de
transmission internationale de téléphonie, de données et de centre télévisuel international.
Cependant, c’est surtout le haut débit et la mise en service programmée de nouvelles liaisons
satellitaires qui renforcent la position dominante du Sénégal par rapport aux pays enclavés de
l’Afrique de l’Ouest obligés de faire passer certaines de leur transmission par le réseau
Sénégalais.
Après le câble sous marin ATLANTIS 2 d’une capacité de 20 Gbps, la mise en
service, en 2002, du câble sous marin en fibres optiques SAT3/WASC-SAFE d’une capacité
maximale de 120 Gbps reliant les pays de la côte ouest africaine jusqu’en Afrique sud et
l’Asie du Sud et l’extrême orient, a contribué à améliorer la capacité de la bande passante du
Sénégal. Celle-ci est portée en fin 2006 à 1024 Mpbs. Elle ouvre par la même occasion l’ère
du haut débit et prédispose d’une reconfiguration des échanges grâce au multimédia et à
l’Internet. Le raccordement au câble de garde à fibre optique est exploité conjointement avec
la SOTELMA (Mali), et MAURITEL (Mauritanie). Cependant, la pose de ce premier câble
sous marin à fibre optique le long de la côte occidentale avec 10 points d’atterrissement en
Page 105
Afrique, n’a pas totalement résolu le problème de la connectivité de la sous région. Tout
d’abord, le Sénégal profite de sa position dominante pour appliquer des tarifs élevés sur le
réseau de fibres optiques. Ensuite, dans des territoires vastes et enclavés comme le Mali, qui
nécessitent de déployer la fibre optique sur de longues distances, les liaisons satellitaires sont
plus que nécessaires pour les désenclaver. Ainsi, les liaisons par faisceaux hertziens ou par
satellites vers les autres pays sont très développées. Par exemple, pour les communications
régionales, les liaisons sont assurées par un réseau de faisceaux hertziens comprenant les
artères PANAFTEL (pour le Bénin, le Mali, le Burkina Faso, le Niger) et INTELCOM financé
par la CEDEAO et reliant les capitales des pays membres. A ce propos, PANAFTEL est un
réseau mixte (téléphonie et télévision) panafricain déployé sur tout le continent avant la vague
libérale des années 2000. Avec la Gambie, un projet de fibre optique depuis Vélingara (au
Sénégal) doit relier les villes de Bassé, Georgetown, Banjul la capitale avant de se raccorder à
la boucle ZKT2 (Ziguinchor-Kolda-Tambacounda) à partir de la ville de Kaolack.
L’information et la technologie ne devant pas être réduites à leur simple dimension
technique, leur appropriation au Sénégal se fait dans un contexte d’économie informelle177, et
d’expansion de la culture du bazar178 qui a beaucoup contribué à améliorer les indicateurs du
secteur de la téléphonie mobile, du téléphone fixe et de l’internet. Une mutualisation qui peut
être analysée comme la principale forme d’accès aux TIC dans les pays du Sud.
177Cf. Annie Chéneau-Loquay (2001). Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique. Netcom, Vol. 15, n° 1-
2, p.121.132
178Cf Momar Coumba Diop (2003) : «Le Sénégal à l’heure de l’information : technologies et société.» Karthala
Unsrid page 39
Page 106
III- La situation nationale de l’accès aux équipements
Pour la téléphonie filaire, l’effort d’équipement a été constant depuis vingt cinq ans.
Ce qui permet de comprendre le bilan positif des abonnements téléphoniques même si la
concurrence du mobile est très forte. Le nombre d’abonnés au téléphone fixe est de 282 573
en 2006 alors que pour la même période il avoisine les 2982623 pour le mobile.
Le graphique suivant retrace l’évolution du parc téléphonique national de 2000 à 2006. Sur ce
graphique, les lignes résidentielles (70% en 2004) constituent la majorité du parc, le reste
étant les lignes d’entreprise, administration et surtout les points d’accès public au téléphone
comme les télécentres (22000 en 2006)179. Entre 2001 et 2003, il y a une stagnation du
nombre d’abonnés au fixe. Cela est dû en partie à la crise que les télécentres, principaux lieux
d’accès publics au téléphone, ont connue sur ces deux années.
179.Il y a de cela moins de 5 ans, le nombre de télécentres au Sénégal avait atteint le chiffre de 22000.
Cependant, depuis ces dernières années il existe une véritable crise dans ce créneau d’investissement
économique avec la faillite de beaucoup de ces petites structures qui se sont présenté à un moment comme un
secteur d’emplois rémunérateurs pour les jeunes.
Page 107
En fait, après une augmentation constante entre 1996 et 2002, les télécentres publics
ont connu une vague successive de fermeture due à leur faillite. Selon Bassirou Cissé,
président de l’Union Nationale des Exploitants de Télécentres au Sénégal (UNETTS),
«plusieurs télécentres sont des survivants à cause de la féroce concurrence du mobile. En
plus en ne faisant pas figurer la distance réglementaire entre deux télécentres dans le contrat
qu’elle a signé avec les gérants de télécentres, la Sonatel, en tant que opérateur a poussé au
désordre infernal qu’il y a eu dans les agréments de télécentres»180. Pour mettre de l’ordre
dans l’exploitation des télécentres, la SONATEL décide en juillet 2001, de suspendre les
agréments pour une durée de 6 mois occasionnant en même temps un tassement sur le nombre
de lignes fixes en service au Sénégal. A partir de 2004, la tendance à la hausse des
abonnements au téléphone fixe s’affirme. En effet, la baisse du coût du téléphone de l’ordre
de -18% en 2006, les formules d’abonnements téléphoniques, très souples181, ont contribué à
augmenter le nombre de lignes résidentielles. Cependant, en dépit de la baisse continue des
coûts de téléphone, le secteur de la téléphonie fixe souffre de certaines contraintes : la
demande en ligne reste encore élevée par rapport à la capacité raccordée de la Sonatel. Dans
le secteur de Touba et de la vallée du fleuve du Sénégal, le délai d’attente pour l’ouverture
d’une ligne peut prendre plus de six mois.
Les carences du réseau de téléphonie fixe sont palliées par le réseau mobile. Cette
situation n’est pas uniquement sénégalaise. Partout en Afrique, selon l’Union Internationale
des Télécommunications (UIT), la croissance du mobile a atteint 400% entre 2000 et 2006.
Dans ces sociétés de l’oralité avec des taux d’analphabétisme très élevés, le cellulaire s’est
parfaitement intégré. En général en Afrique, si le téléphone mobile a été plébiscité, c’est en
grande partie à cause de la carence du téléphone fixe. La plupart des réseaux du même type
connaît dès le départ une croissance fulgurante. Dans beaucoup de villages où le téléphone
fixe est absent, il est possible d’accéder au téléphone grâce au réseau mobile. Au Sénégal,
depuis 2000 le parc mobile passe du simple au double voir parfois au triple (Figure 3). Selon
le rapport d’activité de 2006 de la SONATEL, la croissance de l’activité mobile n’a pas failli
en 2006 malgré la stratégie agressive de la concurrence. Le nombre d’abonnés à Orange
Mobile a atteint pour la période la barre des 2 Millions, ce qui se traduit par une hausse de
98,7% de son parc de téléphonie par rapport à la fin de l’année
Page 108
Figure 3: Evolution des abonnés mobiles entre 2000 et 2005
Pour mieux illustrer la prééminence du mobile sur le fixe, le graphique (figure 4) ci-
dessus nous montre qu’au Sénégal, en ajoutant les abonnés de la SONATEL à ceux de la
SENTEL, plus de 3000000 de personnes sur une population de 11000000 ont accès au
Téléphone. Ce chiffre peut même, dans certaines circonstances, être multiplié par 2,5 si l’on
sait que l’accès au téléphone est collectif surtout dans les zones rurales ou un seul téléphone
suffit pour que tout le village puisse répondre convenablement aux appels à chaque fois qu’il
sera nécessaire. Dans son analyse de la fracture numérique, Gabriel Dupuy (2006) attire
l’attention sur le rôle que la téléphonie mobile joue dans le renforcement de la télédensité
dans les pays sous développés en ces termes : « le succès du téléphone mobile dans la plupart
des couches de la population et dans toutes les régions du monde a surpris les observateurs».
Page 109
Figure 4: Evolution cumulée des abonnés au fixe et au mobile au Sénégal de 2000 à 2006
Cette croissance est due en partie à une offre de service élargie basée sur :
l’amélioration de la couverture mobile et l’extension du réseau de distribution des cartes
prépayées avec des formules qui concurrencent rudement les télécentres privés. Cette baisse
sensible des coûts de communication et une simplification des tarifications décidée depuis
1999 par le principal opérateur de téléphonie fixe et mobile, ont favorisé la croissance du
téléphone mobile. L’arrivée d’un troisième opérateur devrait permettre encore de doper la
télédensité182. Théoriquement depuis Janvier 2008, la SUDATEL devait commencer son offre
de service de téléphonie fixe, mobile et d’Internet.
182.La société Sudatel, adjudicataire de la troisième licence de téléphonie mobile qui doit en plus développer des
services de téléphonie fixe et Internet, n’a toujours pas commencé ses activités au 1er Octobre 2008
Page 110
II-2 Internet au Sénégal: une croissance soutenue de la bande
passante
Bien que de création récente183 au Sénégal, le réseau Internet est doté d’un potentiel de
développement important. Il nous semble utile de donner un bref aperçu sur les grandes étapes
qui ont marqué son développement.
Les données de la Sonatel et d’Osiris dont cette figure est issue permettent de signaler
que les câbles en service ont offert une capacité grandissante en matière de débit à Internet.
Sur cette figure, en dix années, la bande passante a connu une évolution constante.
1200
1000 1024
800 775
600
512
400
310
200
42 90
0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Années
Source : Sonatel
Dieng Mbaye 2007
183.C’est au début des années 1990 qu’Internet est arrivé au Sénégal suite à un accord entre opérateur Historique
de Télécommunications du Sénégal, la Sonatel et la société américaine Millénium Cellular International.
Auparavant, il est utile de rappeler qu’Eric Bernard dans sa thèse sur le déploiement des infrastructures Internet
en Afrique a montré le rôle précurseur qu’un réseau de recherche comme RIO a joué dans le développement de
cette infrastructure au Sénégal à la fin des années 1980. Cette thèse est consultable sur les sites
www.africanti.org et www.gdri-netsuds.org
Page 111
De 64 Kbps à ses débuts en 1996, la bande est triplée en 1997 avec la mise en place de
deux nouvelles lignes de 64 Kbps vers le Canada. Cependant, seule la capitale avait
réellement à un accès correct à Internet. C’est à partir de 1999 que toutes les villes
secondaires du Sénégal seront connectées grâce à la technologie IP. En juin 2000, le Sénégal
dispose d’une bande passante composée de deux liens de 2 mégabits chacun et d’un lien de 64
Kilobits (câbles et Wireless anciennement MCI)
Depuis 2002, la bande passante ne cesse d’évoluer en même temps qu’une bonne
répartition du réseau téléphonique national. A cette date, le Sénégal disposait à lui seul 65%
de la bande passante internationale de la sous région ouest africaine qui totalisait dans son
ensemble 81,5Mpbs (Eric Bernard 2002).
Le 5 Novembre 2002, avec la liaison au câble SAT3, la SONATEL annonce la mise
en service d’un lien supplémentaire de 34 Mpbs faisant passer la bande de 53 Mpbs à 79
Mpbs184. Une étape importante est franchie avec l’arrivée de l’Adsl en fin 2003 dans la
capitale avant d’être étendue à toutes les régions du pays en juillet 2004. L’amélioration
constante de la bande passante (310 Mpbs en 2003, 465 Mpbs en 2004, 775 Mpbs en 2005,
1,24 Gigabits en 2006) positionne le Sénégal parmi les pays disposant des débits les plus
importants en Afrique aux côtés de l’Afrique du Sud, de l’Egypte et de la Tunisie (Sagna
2006).
Corrélativement, au développement de la bande passante, de nouvelles entreprises ont
émergé dans le secteur de l’Internet et des téléservices (Sagna 2006). Nous assistons en même
temps à la multiplication des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Au début des années 2000,
ils étaient une trentaine (Gaye, Daffé 2003) qui offraient aux clients une qualité de service
relativement bonne grâce à la liaison spécialisée ou le RNIS. Ces fournisseurs d’accès
peuvent être regroupés en quatre catégories : les fournisseurs du privé, les structures
d’enseignement et de recherche, l’administration et les ONG comme Enda Tiers monde. Cette
dernière organisation a joué un rôle pionnier dans la diffusion des TIC au Sénégal par sa
participation au réseau GreenNet à la fin des années 1990. Dans les régions, il a fallu que des
individus croient «à l’importance de la communication électronique pour le développement
de leur secteur d’activité» (Bernard 2003) afin de voir des fournisseurs d’accès s’y installer.
Les plus dynamiques, sont en situation de quasi monopole : LA SONATEL par sa filiale
Orange, les groupes Arc Informatique et ATI, enfin l’UCAD etc
Le plus souvent, ces FAI louaient une ligne spécialisée avec des redevances
Page 112
mensuelles hors TVA variant de 285000185 FCFA186 en (2002) pour 19,2 Kpbs (la capacité la
plus faible) à 2520000 FCFA pour (2048Kpbs) soit la capacité la plus élevée. Ces tarifs ont
été très dissuasifs pour permettre un développement d’Internet à cause des coûts prohibitifs.
Mais la mise en service du câble SAT3/WASC-SAFE a contribué à baisser les prix (tableau
5). Paradoxalement depuis que les coûts ont baissé avec l’Adsl, les FAI ne sont plus qu’un
nombre de douze en fin 2004. La raison nous est fournie par le responsable de Sud
Informatique a Ziguinchor187, car selon cet interlocuteur, le rôle de FAI n’est plus rentable.
Page 113
Pour l’accès individuel, la souscription à l’Adsl 512 est la plus fréquente et la Sonatel
propose une série de baisse en offrant très souvent les frais d’accès et de modem. Cependant,
il faut nécessairement souscrire une ligne téléphonique facturée à part en plus de la redevance
mensuelle et la Tva. Ainsi, la facture téléphonique plus l’abonnement Internet 512, reviennent
généralement à 25000 FCFA en moyenne par mois. Ces coûts ne permettent pas au sénégalais
moyen de s’offrir un abonnement à domicile bien que cette tendance commence à se
développer.
188.Source : Rapport de l’agence de régulation des télécommunications et des postes de Décembre 2006
consultable sur le site www.artp.sn. Tous les chiffres qui sont donnés dans ce paragraphe sont tirés de ce rapport.
189.Selon le site www.osiris.sn en date du 26 Avril 2006
Page 114
défavorisés des quartiers populaires. En décembre 2006190, le Sénégal comptait 400
cybercentres dont 63% dans la capitale contre 184191 en 2001. On peut établir plusieurs
typologies de cybercentres. Une première typologie, selon la nature du dispositif, distingue les
cybercentres high tech que l’on retrouve dans les centres villes qui polarisent les activités
économiques modernes. Dans les périphéries des villes, c’est souvent des télécentres qui ont
été transformés par les gérants en cybercentres avec un petit dispositif d’accès à Internet.
Dans tous les cas, la majorité des cybercentres est couplée dans la plupart du temps à d’autres
services allant de la connexion Internet, à la formation en Informatique en passant par les
services bureautique et le téléphone. En outre les conditions techniques d’exploitation des
cybercentres ont largement évolué. Entre 2000 et 2002, les coûts d’abonnement pour une
connexion RTC ou lignes spécialisées (LS) prohibitifs ont eu raison de beaucoup de
cybercentres192. Mais depuis 2004, avec la banalisation de l’ADSL, il n’est guère étonnant de
voir le marché de l’accès s’élargir.
Il faut retenir le rôle que les cybercentres jouent dans la diffusion de l’accès à l’outil
Internet. Ce n’est pas la connexion individuel, ni celle qu’on peut avoir dans les
établissements scolaires ou dans les lieux de travail qui ont amélioré le nombre d’internautes
au Sénégal. En offrant une connexion à moindre coût (200 FCFA en moyenne l’heure, voir
150 FCFA dans certains cas en 2007), les cybercentres ouvrent la technologie Internet à une
bonne frange de la population sénégalaise. Ces cybercentres ne désemplissent pas et rares sont
les moments où ils ne sont pris d’assaut par les populations même si les usages ludiques sont
les plus développés.193Ils ont contribué à sortir Internet de son cadre institutionnel du début
vers les quartiers populaires des villes.
190.www.osiris.sn
191.Guignard Thomas 2004
192.Il ya eu une valse d’ouverture et de fermeture de cybercentre au Sénégal.
193.Dans n’importe quel cybercentre des villes d’Afrique, il suffit d’interroger la barre de connexion pour voire
que c’est le Chat et la messagerie qui sont les plus utilisés.
Page 115
Conclusion
Au cours de la décennie 1996-2006, l’utilisation des TIC au Sénégal a fait des percées
remarquables dans beaucoup de secteurs d’activités. Les avancées technologiques du Sénégal
se sont traduites par le développement des infrastructures de téléphonie fixe, la percée du
mobile, l’amélioration de la connexion Internet. En outre, le Sénégal est l’un des rares pays
africains à mettre en ligne son fichier électoral par souci de transparence. Ainsi chaque
sénégalais, où qu’il se trouve, peut bien vérifier son inscription effective sur les listes
électorales et faire des réclamations en cas d’omission ou d’erreur sur son identité.
Sur le plan continental, les autorités Sénégalaises se font le chantre de la cause des
TIC en Afrique et dirigeaient jusqu’en 2005 le volet TIC du Nouveau partenariat pour le
développement économique (NEPAD)194. En plus le président Wade a joué un rôle décisif
dans l’adoption du fond de solidarité numérique lors du sommet de Genève. En Juin 2002, à
la tribune des Nations Unies, il est largement revenu sur son projet de Cybervillage «parc
technologique à l’entrée de Dakar, bénéficiant d’infrastructures de télécommunications
hautement compétitives». Poursuivant son discours le président Wade avise que «ce parc est
destiné à recevoir les entreprises majeures intervenant dans le domaine des Nouvelles
Technologies, et les futures start-up de jeunes Africains souhaitant participer à la Nouvelle
Economie »195
Au niveau étatique, l’Intranet gouvernemental est aujourd’hui fonctionnel. Les sites
web des collectivités locales, même s’ils sont souvent statiques, deviennent des outils de
gestion des administrations décentralisées. En outre, dans le système scolaire sénégalais, les
TIC sont devenues des outils dans la formation des jeunes diplômés sénégalais. En plus, une
évolution significative est portée par la société civile sénégalaise. Comme le dit Annie
Chéneau Loquay (2007, p 233) partout en Afrique, la société civile a su trouver les
mécanismes de financements à mettre en place pour réduire la fracture numérique «et
connecter les pays pauvres autrement qu’en se conformant au jeu habituel du marché ».
L’UNESCO à travers les centres multimédias communautaires (CMC), installés le
194.Le NEPAD est aujourd’hui en quasi léthargie à cause des divergences de leadership qui opposent les
dirigeants africains.
195.Extrait de son allocution du 18 Juin 2002 à l’ONU. Je précise qu’à la place de Nouvelles technologies de
l’information et de la communication, nous adoptons toujours celui de TIC
Page 116
plus souvent dans les zones défavorisées, combinant Radio et accès à Internet, contribue à
améliorer l’accès aux TIC dans l’ensemble du territoire sénégalais. Un autre facteur et non des
moindres dans la diffusion des accès publics est le rôle que jouent les opérateurs privés. Par
des initiatives adaptées à des populations ayant de faibles ressources et un niveau
d’instruction souvent réduit, ils contribuer à la mutualisation des accès et à atténuer les
besoins immenses des populations sénégalaises.
La question de l’accès aux TIC au Sénégal, peut donc être vue sous divers angles,
différents selon les thématiques considérées. Dans le cas de cette thèse, l’aspect fondamental
était de faire ressortir le clivage qu’il y a entre une répartition très inégale des infrastructures
de télécommunications sur l’ensemble du territoire national et le dynamisme des démarches
innovantes de la part des différents acteurs pour faciliter les accès aux TIC aux populations.
Ainsi, il suffira de démontrer dans les pages suivantes que l’intégration et le désenclavement
des régions périphériques par les télécommunications, sont les enjeux actuels de l’équipement
pour répondre à l’impératif de service universel. C’est ce que nous tenterons de voir à travers
le cas de la région de Ziguinchor où la voie ferroviaire est absente, le trafic fluviomaritime en
crise, et les réseaux routiers déficients, le tout dans un contexte de traumatisme profond
occasionné par la crise politique.
Page 117
Chapitre 4 : La région de Ziguinchor dans
l’espace Sénégambien : Approche socio
économique
196.Jusqu’en 1984, il existait la région de Casamance. Cette désignation par un hydronyme est fréquente en
Afrique, où les fleuves ont été les principaux moyens de pénétration et de colonisation. Pour Jean Claude Marut
(1994) cette éponymie fluviale est créatrice d’identité et «une telle désignation peut s’avérer redoutable,
lorsqu’elle alimente un discours séparatiste. Les autorités administratives ne s’y sont pas trompées lorsqu’elles
ont supprimé le terme Casamance du vocabulaire administratif en 1984, démontrant, s’il en était besoin, la
puissance symbolique du nom : nommer c’est déjà faire exister. Le nom est un enjeu.» Depuis 1984, la scission
de la Casamance a donné les régions de Ziguinchor dans la partie maritime, et celle de Kolda beaucoup plus
vaste et moins encline à des velléités séparatistes, en Casamance continentale.
Page 118
Les divisions administratives de la région de Ziguinchor
Page 119
Carte 8 : Carte administrative de Ziguinchor
Page 120
Cette région forme la Basse Casamance qui est la fraction septentrionale d’un vaste
ensemble qui englobe, par delà les frontières, toutes les rias et les plaines côtières
s’échelonnant de la Gambie à La Sierra Léone baptisée les « rivières du Sud ». C’est aussi un
espace transfrontalier entre la Gambie, la Casamance et la Guinée Bissau. C’est une région
qui ignore, et élude totalement cette notion de frontière née des découpages coloniaux.
Ziguinchor, est parmi les principaux pôles économiques et touristiques du Sénégal.
Le principal facteur de blocage du développement des TIC réside dans la faiblesse des
infrastructures, dans la pauvreté et l’analphabétisme de la population, et les inégalités socio
économiques croissantes. Souvent dans un contexte semblable, les priorités des populations
sont ailleurs que dans les TIC. Les besoins basiques des populations (accès à l’eau,
assainissement, électricité, téléphone…) n’étant pas toujours assurés, la lutte contre les
inégalités sociales et spatiales dans les équipements, les accès et les usages des technologies
de l’information et de la communication pose un énorme défi.
A travers l’étude socio économique de la région, notre objectif principal est de mettre
en lumière le contexte dans lequel les technologies de l’information et de la communication,
qui sont un défi important pour le développement et l’éradication de la pauvreté au Sénégal,
s’insèrent dans cette région aux multiples paradoxes.
Page 121
I- Profil démographique de la région de Ziguinchor
I – 1- Problèmes méthodologiques
Tableau 7: Répartition par arrondissement des villages déplacés de la Région (Source Caritas
2004)
Page 122
département de Ziguinchor, regroupant la commune du même nom et les arrondissements de
Niaguis et Nyassia, situés à la frontière de la Guinée Bissau et le département d’Oussouye
sont les plus touchés par le phénomène. Sur ce tableau, près de 231 villages197 ont été
abandonnés, rayés de la carte ou réduits à «leur simple expression198 ».
Si le Buluf199 par exemple n’a quasiment pas été affecté, la zone Kaguit-Youtou200 a
été complètement dévastée. Sans renier les conséquences de la guerre pour toute la région, il
est difficile d’obtenir des chiffres fiables tant les contextes sont très complexes d’une zone à
l’autre. Par exemple, un recensement de 1998 effectué par le Caristas201 donnait le chiffre de
62638202 déplacés, Ziguinchor ayant reçu quelques 14000 hébergés dans des abris provisoires
ou chez de proches parents. Les chiffres du HCR (haut commissariat pour le refugiés)
indiquent qu’une autre dizaine de milliers de personnes se sont réfugiées en Guinée Bissau et
en Gambie.
Page 123
I - 2 - Premier enseignement : une population extrêmement jeune
Trente ans après, la structure par âge de la région de Ziguinchor et peut être toute la
Casamance205, s’est transformée et est identique à celle du Sénégal. Le constat demeure la
majorité écrasante de jeunes. Dans la région, 46,75 % ont moins de 15 ans et ceci tant chez
les hommes que chez les femmes alors que la population de plus de 60 ans est très faible et
représente 6,4% de l’ensemble régional. L’âge moyen de la population régionale dépasse
difficilement 29ans.
Par conséquent la pyramide des âges de la région de Ziguinchor présente un profil en
parasol comme dans la plupart des pays du tiers monde. Pourtant loin de se stabiliser, les
mêmes mouvements migratoires décrits précédemment, se sont renforcés avec les aléas
climatiques. L’amélioration de l’espérance de vie à l’échelle nationale (de 47 ans en 1976,
elle est à 53 ans en 2004), les efforts de lutte contre la mortalité infantile, et la fécondité
203.La direction nationale de la statistique et de la prévision du Sénégal produit chaque année une situation de
chaque région du Sénégal.
204.Pour rappel quand on parle de la région de Casamance, on veut évoquer cette entité administrative qui
englobait les régions de Kolda et Ziguinchor avant la réforme administrative de 1984.
205.Les mêmes études démographiques sur la région de Ziguinchor risquent de montrer les mêmes tendances.
Page 124
féminine ont contribué à modifier la forme de la pyramide des âges de la région.
L’extrême jeunesse de cette population accroît la prise en charge autant par les parents
que par l’Etat car ces jeunes, il faut les nourrir, loger, soigner, éduquer sans contrepartie
immédiate de production.
70 et +
60- 69 ans
50-59 ans
40-49 ans
30-39 ans
20-29 ans
10-19 ans
0-9 ans
Hommes Femmes
Or, avec 53% des ménages de la région vivant en 2003, en dessous du seuil de
pauvreté206, la demande sociale s’accroît. Sans éducation et sans emploi, ces jeunes, fuyant les
campagnes, viennent grossir le phénomène de la débrouille en milieu urbain et se recyclent
dans un secteur informel qui ne parvient pas à résorber tous les chômeurs.
206.Il s’agit des estimations tirées des enquêtes de la coopération allemande présente par l’intermédiaire du
projet GTZ pour l’appui au développement socio économique pour la paix en Casamance.
Page 125
I- 3 - Deuxième enseignement : la région reste profondément rurale
L’urbanisation dans les pays subsahariens est en forte croissance. Mais, s’il fallait
caractériser la répartition spatiale de la population de la région de Ziguinchor, la notion de
rural s’imposerait. Cette région reste ancrée dans le monde rural malgré un taux
d’urbanisation de 44% au cours des vingt-cinq dernières années. Ce taux n’a aucune
signification géographique car si le département de Ziguinchor s’urbanise (plus de 80%),
ceux de Bignona et d’Oussouye restent profondément ruraux avec respectivement 15% et
11% de population urbaine.
Cette population diverse (Diola 61%, mandingues 9%, peuls 8.8%, wolofs 5%, le
reste formant les sous groupes dont les mouvements migratoires ont donné une appartenance
locale) est inégalement répartie entre les trois départements. Un peu moins de la moitié se
trouve concentrée sur les 15,75 % de la superficie régionale que constitue le département de
Ziguinchor. En vérité, c’est à la ville de Ziguinchor où on retrouve des densités élevées
(jusqu'à 158 habitants au km2 pour une population totale de 182 453 habitants en 2004), que
l’on doit cette forte concentration humaine dans ce département.
Le département de Bignona, pourtant le plus vaste (72,15 % de la superficie
2
régionale), a une densité de 42 habitants au km et compte 210 104 habitants. Cette densité est
de 30 habitants au km2 pour le département d'Oussouye qui a une superficie de 891 km2 pour
seulement 35 429 habitants.
Au niveau des communautés rurales, la zone amphibie, située à l’ouest, est la moins
peuplée de toute la région. Paradoxalement, le nord et l’est de ce département, pourtant
accessibles par la voie terrestre, sont aussi faiblement humanisés car malgré la présence des
vastes plaines proches de la Gambie, et des plateaux faiblement découpés par le réseau
hydrographique, l’occupation humaine est clairsemée. Par contraste avec ces zones de faible
peuplement, il existe des zones rurales densément peuplées comme dans le secteur des
Djougoutes et des Kalounayes (47 Hbts/Km²) (dans le Bignona) et dans les villages du secteur
d’Oussouye où les densités rurales peuvent dépasser les 50 Habitants au Km².
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Tableau 8: Taux départementaux d'urbanisation en 2004
Entités Population Population rurale
Urbaine en % en %
Bignona 17,95 82,05
Oussouye 11,44 88,56
Ziguinchor 84 16
Région 47,18 52,82
Dans ces terroirs où l’espace favorable à la riziculture est très restreint, l’occupation
du sol montre une certaine ingéniosité. Une simple observation de la carte administrative nous
montre une forte concentration humaine sur les plateaux.
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Carte 9: Cartes des densités selon les arrondissements en 2004
Page 128
Carte 10 : Villes et Villages de plus de 2500 habitants en 2002
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I-4 Troisième enseignement : l’exode rural, un phénomène récurrent
207.La basse Casamance qui forme la région de Ziguinchor, est très souvent appelée le pays Diola du fait de
l’influence de cette ethnie majoritaire qui marque de ses empreintes toute la vie économique politique et
culturelle de la région.
208.Nous faisons très attention par rapport à l’usage de ce mot qui renvoie uniquement à notre compréhension
aux populations originaires de cette région car son évocation rappelle pour certains la non appartenance de ces
population au Sénégal.
209.La riziculture Diola a fait l’objet de plusieurs publications dont la plus remarquable est celle de Paul
Pélissier en 1966. Par la suite d’autres études sous la direction de L’Institut de recherches pour le développement
(IRD) se sont singularisées pour évoquer les problèmes auxquels elle se confronte. Beaucoup d’auteurs ont écrit
sur cette crise climatique Pagès(1977), Claude Marius (1968), Sircoulon (1992), Chéneau Loquay (1994), Pascal
Boivin, , J P Montoroi (1992) Dacosta (1989) etc
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Brigitte Albert Barbier (1994) dans les années 1970 tend à devenir définitive. Selon cet
auteur, par le passé, c’était pendant la saison sèche (fin Octobre, début Mai) que les
populations et surtout les femmes partaient vers Dakar où elles sont embauchées en tant que
domestiques. Maintenant c’est la population jeune et surtout scolarisée (15 et 35 ans) qui
constituent les principaux migrants. Or dans une économie régionale de type familial, avec
une riziculture exigeante en main d’œuvre, l’accès à la ressource se confronte à l’insuffisance
de cette main d’œuvre affectée par la migration. Ainsi, l’impact économique et sociologique
de cette migration est important à tel point qu’il n’est pas abusif de dire que la majorité des
villages de la Casamance survivent grâce au soutien des membres de la famille ayant quitté le
village.
Le second facteur migratoire est lié à la scolarisation. Le rôle déterminant de l’école
dans les mutations des terroirs de la Casamance a fait l’objet d’un article de Vincent Foucher
(2002). L’auteur nous montre que la basse Casamance a été très tôt scolarisée. Et cette
scolarisation a fini par vider les zones rurales de la région. L’école comme l’affirme Jean
Claude Marut (2005) est le principal facteur d’exode rural dans les terroirs de la Casamance.
Enfin le dernier facteur migratoire, beaucoup plus récent (1990- 2002) et dont
l’impact sociologique n’est pas très bien étudiée est d’ordre sécuritaire. Il est lié au conflit
armé. Les razzias et rackets opérés dans le cadre d’un grand banditisme sous la bannière des
bandes armées séparatistes ont déplacé les populations des villages au Sud du département de
Ziguinchor et une partie du département de Sédhiou en moyenne Casamance. Depuis le début
de l’année 2000, des exactions violentes, plus criminelles que militaires, sont rapportées.
Selon l’UNICEF, en 2002, le nombre de personnes ayant abandonné leur village par peur, se
chiffrent entre 30 et 75.000210, et sur cette proportion, 4.000 sont des élèves déplacés et
hébergés dans des abris provisoires que le PAM (programme alimentaire mondial) prend en
charge211.
210.Ce dernier chiffre est une hypothèse haute. L’OIM (Office Internationale des migrations) avance le chiffre
plus probable de 30 000 personnes. C’est ce dernier chiffre qui est retenu dans la composante démobilisation.
211.Selon le responsable du programme alimentaire mondial à Ziguinchor (enquêtes Mai 2006), on estime que le
nombre de repas distribués à ces élèves se situe à plus de 150000 par an dans la ville de Ziguinchor. Ces chiffres
nous renseignent sur la précarité sociale de plus en plus importante dans cette région.
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Et la ville de Ziguinchor récupère cette masse de migrants
C’est une ville dont le développement est lié aux différents flux migratoires. Après les
Bissau Guinéens fuyant la guerre d’indépendance du PAIGC212 (à partir de 1973) c’est autour
des populations des campagnes de venir s’installer en ville. Il n’est pas abusif de dire que
l’intensification des migrations résidentielles est déterminante dans le dynamisme
démographique de la ville. En 1973, la ville de Ziguinchor comptait 70000 Habitants (Jean
Claude Bruneau 1979). En l’espace d’une génération, la population de la ville est estimée à
182453 Habitants en 2004 soit plus du 1/3 de la population régionale (404398 habts). Derrière
Dakar, Kaolack, Thiès, Saint Louis, la cité casamançaise est la cinquième agglomération du
Sénégal, Touba (500000 Habts) n’étant pas considérée à cause de son statut d’exterritorialité
(Guèye Cheikh 2002).
En 1973, plus de 53% des citadins sont nés hors de la ville (J.C Bruneau 1979). Et
aujourd’hui, la part de l’apport de l’exode rural dans le développement urbain de Ziguinchor
est conséquente : 43,7% de la population ont une installation récente dans la ville. Avec
l’aggravation de la crise climatique, migrations et sécheresse forment deux processus qui
s’enchaînent et s’accélèrent accentuant le dépeuplement des campagnes.
L’autre motivation est liée à l’insécurité dans les zones rurales. La faible distance à la
ville de Ziguinchor (les villages frontaliers à la Guinée Bissau sont distants de 12 à 50 Km
maximum de la ville) conduit naturellement les populations à choisir cette destination.
L’attrait du marché urbain du travail, et la fuite de l’insécurité, drainent une main
d’œuvre disproportionnée par rapport au besoin du marché. Alors que la population urbaine a
quadruplé, la faiblesse du tissu industriel régional et l’absence d’activité de substitution,
aggravent le sous emploi dans la population active urbaine. En 2004, le taux de chômage à
l’échelle régionale était de 64% de la population active contre 60% à l’échelle nationale.
Incapables de satisfaire leurs besoins, ces chômeurs dépendent très souvent de leurs parents
jusqu’à un âge avancé. Ce chômage structurel est accentué par une conjoncture économique
difficile et par les effets néfastes des différents plans d’ajustement structurel à l’échelle
nationale. Le développement de petites activités dans l’informel entretient l’illusion d’une
activité économique qui en réalité ne permet pas à cette population de faire face à la baisse
des revenus.
Page 132
Cette situation n’est pas sans conséquences dans les politiques urbaines : accentuation
de la pauvreté, augmentation de la population non accompagnée par la mise à niveau des
équipements et infrastructures, développement de l’habitat spontané et des constructions
anarchiques, faiblesses des capacités d’intervention des collectivités locales dans un contexte
de décentralisation politique.
Toutes ces raisons évoquées justifient l’attention particulière que nous accordons à la
ville de Ziguinchor tout au long de cette étude. Elle a été un laboratoire d’analyses des
processus d’appropriation et de développement des TIC autant dans son cœur historique que
dans ses extensions actuelles.
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II-1 Les causes historiques de la scolarisation en basse Casamance
Page 134
II- 2 - L’enseignement public : des efforts soutenus
219.La formation professionnelle se développe de plus en plus dans la région avec l’émergence des structures
adaptées à la région depuis la fin des années 1990. Elle propose des filières avec des cycles cours dans la
bureautique, le secrétariat et l’informatique.
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dernier accord «cessez le feu» signé en décembre 2004.
Malgré les taux de scolarisation, l’échec scolaire au niveau élémentaire est important
car seuls moins de 40% des élèves se retrouvent au secondaire. Et suivant le sexe, les garçons
sont plus représentés que les filles, 38,72 contre 31,31% en 2004. En sachant que le système
éducatif sénégalais ne prévoit pas grand-chose pour ces populations exclues de
l’enseignement élémentaire, la situation est plus difficile pour les femmes que pour les
hommes. Elles se retrouvent à une place bien définie car, en cas d’échec, la société leur
assigne un rôle domestique qu’elles remplissent en toute saison : les durs travaux rizicoles,
piler le mil, élever les enfants, faire du maraîchage et transformer les produits de la cueillette
et tout ceci à cause de la précocité des mariages (20-24 ans), et des lourdes charges familiales.
En cas d’exode elles forment la grosse colonie de ménagères rencontrées très souvent dans les
quartiers de Dakar à la recherche d’un hypothétique travail.
Page 136
d’une qualification professionnelle permet d’intégrer plus rapidement le marché de l’emploi
dans un contexte socio économique où le chômage des jeunes a atteint des proportions
inquiétantes (52,5%). Mais, outre leur insuffisance ou plutôt leur inadaptation, la plupart des
centres de formation se trouvent dans la ville de Ziguinchor. Sur les onze (11) écoles de
formation professionnelle recensées, huit (8) sont localisées dans la ville de Ziguinchor. Ces
quelques écoles techniques contribuent à drainer la population scolaire régionale vers
Ziguinchor.
Pour pallier les carences de l’enseignement public et les défaillances de la formation
professionnelle, l’Etat sénégalais autorise de plus en plus le secteur privé à faire de la
formation professionnelle. A Ziguinchor, à côté de SUD Informatique, cohabitent le Centre
pour la Promotion de l’Informatique en Casamance (CPIC) et l’Institut Supérieur de
Management (ISM) qui se partagent un marché de plus en plus ouvert.
C’est à l’issue du chapitre sur les usages des TIC que l’on pourra comprendre le
véritable rôle que la formation professionnelle joue dans les processus d’appropriation sociale
de ces technologies. La multiplication de ces centres spécialisés dans ce domaine témoigne du
dynamisme actuel de la formation professionnelle à l’échelle de la région.
A cause de sa grande diversité ethnique, le président Senghor220 disait que «la région
de Ziguinchor est en réalité une terre de passage et de rencontre, de métissage et
d’échanges». Depuis les indépendances, la situation socio linguistique de la région de
Ziguinchor a considérablement évolué. Dans son rôle linguistique interethnique, la langue
Diola est rudement concurrencée par le wolof surtout dans la ville de Ziguinchor où, juste
après les indépendances, les fonctionnaires originaires du Nord du pays, occupent la majorité
des emplois publics. Cependant malgré la richesse linguistique, en 2004, près de 31% de la
population ne savent ni lire ni écrire et cette proportion augmente chez les femmes (44%).
Le niveau culturel général de la région ne peut que s’enrichir du développement des
structures d’alphabétisation. Les effectifs ont enregistré une hausse avoisinant 33% en 2004.
La répartition des auditeurs selon la langue montre la prédominance des langues Diola,
Mandingue et Peul qui représentent près de 90% des auditeurs. Pour les radios
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communautaires que nous avons pu visiter (Awagna à Bignona, Kassoumay à Oussouye) le
diola est la langue de travail. Si l’on mesure l’importance de la radio dans la diffusion de
l’information, on peut comprendre la place accordée à l’alphabétisation dans les langues
locales.
Page 138
III- Approche socio-économique : entre le mythe d’une
richesse et la réalité d’une crise profonde
Jean Claude Bruneau (1979), nous dit que le voyageur qui se rend dans la région de
Ziguinchor a l’impression de changer de pays à cause de sa tonalité verdoyante et de ses
rizières. Dans les récits des écrits coloniaux, la région est décrite comme une immense zone
de richesses agricoles (Charpy 1994). Cette originalité n’est-elle qu’apparence avec la crise de
production qui s’est installée dans la région depuis les années 1970? Dans tous les cas, cette
crise a entrainé une certaine fragilité économique de la population. En effet, malgré la
croissance soutenue à l’échelle nationale depuis 1995 (5 % par an) et la maîtrise de l’inflation
(3,2 % en 1994 après la dévaluation du FCFA contre 1,7 % en 1998), la pauvreté touche près
de 53% de la population régionale. L’apport significatif de recettes croissantes du tourisme
dans l’économie régionale ne suffit pas, pour autant, pour enrayer la pauvreté avec des taux de
chômage qui avoisinent les 64% de la population active.
221.Source : PRDI
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1993222) et du dynamisme du secteur informel avec le développement du petit commerce.
Dans une économie sénégalaise dominée par la culture arachidière, source
exclusivement numéraire de la paysannerie, la région de Ziguinchor se singularise par son
attachement à la pratique d’une riziculture très ancienne. Le riz exerce sur toute l’économie
régionale une écrasante souveraineté.
Le phénomène le plus contraignant et le plus grave pour toute l’économie régionale est
que la production du riz est essentiellement destinée à la consommation et non à la revente.
De l’importance de sa récolte dépendent, non pas l’aisance du budget familial et des
ressources monétaires, mais plutôt le prestige et l’aisance sociale (Pélissier 1966). Les liens
entre les paysans casamançais et cette culture ne datent pas d’aujourd’hui. Pour étudier cette
question, il est donc nécessaire de replacer l’analyse sur une double échelle historique et
géographique. Paul Pélissier (1966, page 709) confirme cet attachement à la riziculture :
« Manger n’a d’autre sens que de manger du riz et c’est au dernier degré de la misère que de
passer une journée entière sans en consommer. Etre riche c’est disposer de rizières et de
greniers abondants» Pélissier, 1966, Les Paysans du Sénégal
Les fondements d’un tel attachement sont dus aux potentialités écologiques dont
regorge le milieu naturel. La région de Ziguinchor est en réalité cette entité régionale
beaucoup plus complexe qu’on appelle la basse Casamance. Malgré sa taille modeste, cette
région dispose d’une pluviométrie proche de celle des régions guinéennes (700 à 1400
mm/an). L’omniprésence du réseau hydrographique, et l’importance des précipitations « font
de l’eau un agent essentiel dans la construction des paysages » (Cormier Salem 1996). Un
réseau dense de marigots découpe la région en plateaux favorables à la culture sèche, et en bas
fonds riches en apports sableux et en dépôts vaseux réservés à la riziculture (Pélissier 1966).
222.A partir de 1992, les zones touristiques du Cap Skiring et de Kafoutine ont été attaquées par la rébellion. Les
établissements hôteliers ont fermé et la peur s’est installée parmi les Tours opératoires qui ont abandonné la
destination Casamance. Mais depuis les divers cessez le feu, la destination connaît un certain dynamisme avec
un tourisme particulier : celui du tourisme d’affaires.
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Un capital terre estimé à près de 210000 hectares constitués de sols riches et variés, aptes au
développement des cultures céréalières, fruitières, fourragères et aussi arachidières. Ces
conditions climatiques induisent forcément une opposition systématique de la Casamance au
reste du Sénégal dont les sols sont appauvris par la culture arachidière.
En réalité, le drame de la région de Ziguinchor est précisément de se trouver, pour une
large part, dans cet espace subguinéen qui a participé à la construction volontaire d’un
mythe : celle d’une région riche (Chéneau Loquay 1994). Pour Jean Claude Marut (1994 in
Barbier-Wiesser et al, p.16)
Et, aux lendemains des indépendances, cet espace aux fortes potentialités devait par
conséquent être mis en valeur de manière intensive et moderne. Il en allait de la richesse de la
nation sénégalaise et de la réussite du jeune Etat. Ainsi, le gouvernement sénégalais a très tôt
lancé le mythe d’une « verte Casamance » qui s’opposerait aux terres arides et pauvres du
nord. Mais les sécheresses endémiques des années 1970 révèlent la fragilité de cet écosystème
trop dépendant des apports en eau douce. Sans doute à cause de sa dépendance aux
précipitations, le système traditionnel affecté depuis fort longtemps par un processus
structurel, profond et de long terme, s’est modifié car le contraste entre le mythe casamançais
et la réalité d’une crise écologique, économique et politique sans précédent est aujourd’hui
frappant (Chéneau Loquay 1994, P 51). L’inspection régionale de l’agriculture de Ziguinchor
informe que la production céréalière a diminué de 41 673 à 33 479 tonnes, de 1990 à 1996,
soit une baisse de 19,7 %.
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Tableau 10 : Principales productions agricoles de la région
Secteurs 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001
Riz et 56452 59436 54328 56828 50602 64181 ND 100452 98545 62347
autres
céréales
pêche 8533 12383 12982 13424 16228 15325 17443 15592 15518 16909
Tonnage 29400 67000 70000 33588 46000 57000 78000 10500 86000 75000
arachide
Source : Direction Régionale de l’Agriculture (2004)
La riziculture affectée par une série d’années sèches (1971-1972, 1977, 1980, 1982-
1983), où la pluviométrie dépasse rarement 700 et 800 mm, est rudement concurrencée par les
cultures de rente. L’arachide, malgré la crise de production, occupe 25% des superficies
emblavées. Fait nouveau dans cette terre de riziculture, le maraîchage se développe dans les
zones très ouvertes à l’installation des populations venues du nord, c’est le cas notamment
dans le secteur de Bignona.
Les autres secteurs d’appui à la production connaissent aussi des difficultés assez
importantes. La pêche, premier secteur à l’exportation du Sénégal, baisse régulièrement dans
les tonnages du fait de la raréfaction de la ressource. L’exploitation artisanale des ressources
halieutiques (3326 T pour la pêche artisanale en 2002) semble de plus en plus une activité
mineure en dépit de l’étendue du littoral, de l’interpénétration de la mer et de la terre, et de
l’importance du réseau hydrographique du fleuve Casamance (Cormier Salem 1996). Ce
secteur, autrefois soutenu par les industries de transformation qui employaient une bonne
partie de la main d’œuvre féminine, est marqué par la fermeture des usines (SOSECHAL et
IKAGEL par exemple dans la ville de Ziguinchor), spécialisées dans la transformation des
produits halieutiques.
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III- 2 - Les secteurs secondaires et tertiaires : des activités peu
diversifiées
223.Ces usines sont dans une situation très délicate avec des valses de fermetures et de réouvertures. En tenant
compte de cette précarité, on peut dire que la région compte trois usines de conditionnement des crevettes.
224.Source : plan régional de développement intégré de la région de Ziguinchor élaboré par le conseil régional
en 2005.
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solidement implantés dans l’économie locale. A vrai dire, la Casamance, dans son ensemble,
constitue une région où prospèrent les activités artisanales. Selon la chambre régionale des
métiers de Ziguinchor, l’artisanat est articulé à différents secteurs de l’économie dont celui du
primaire auquel il fournit les matériels et petits biens d’équipements. Il contribue surtout au
rayonnement culturel de la région.
Cependant, la singularité du milieu naturel et humain de la région dans l’ensemble
national, permet le développement d’un tourisme destiné au marché international. Cette partie
du Sénégal est divisée en quatre zones touristiques qui cumulent des taux de remplissage de
leurs établissements hôteliers satisfaisants : Kafountine-Abéné, Cap Skirring, la ville de
Ziguinchor et enfin la zone continentale. Suite notamment à l’amélioration de la situation
politique, le tourisme au Sénégal se porte mieux.
Sur ce tableau (n° 11), les taux d’occupation des infrastructures touristiques ont stagné
depuis 1994. En effet, cette activité se heurte à d’énormes difficultés qui ont pour origine
l’insécurité et surtout l’enclavement de la région. En effet, sur 17 campements villageois
reconnus, seuls 7 fonctionnaient correctement en 2004 à cause de l’insécurité prévalant dans
la zone. Par ailleurs, entre Avril et Novembre, la plupart des dessertes aériennes vers le Cap
Skirring sont arrêtés. Dans ces conditions, les potentialités touristiques (climat doux et
agréable comparé à certaines régions du Sénégal, végétation luxuriante et verdoyante) sont
sous exploitées, faisant du tourisme, un sous secteur qui participe faiblement à l’essor
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économique de la région.
225.A. Chéneau Loquay, Lombard J, Ninot O 1999 « Réseaux de communications et territoires transfrontaliers
en Afrique : les limites d’une intégration par le bas » XVème journées de l’association Tiers-monde, Béthune
27-28 Mai 1999
226.Cette question fait l’objet d’un chapitre dans les pages suivantes et relate de la faiblesse du réseau de
communication.
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Figure 6: Etat des échanges commerciaux de la région de Ziguinchor (Source PDRI 2005)
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et ignore le mode de fonctionnement du commerce dans la région. En effet, la frontière
qu’elle partage avec la Gambie (400 Km environ) qui a un volume d’échanges largement
excédentaire avec Ziguinchor, rend l’activité commerciale vulnérable. Les produits des pays
frontaliers sont introduits frauduleusement dans l’espace régional. Le comble est que les
produits agricoles de la région, comme l’arachide, vendus à la Gambie, reviennent dans la
région sous forme de produits manufacturés. Ce trafic ne date pas d’aujourd’hui. Il est très
ancien et ancré dans les mœurs commerciales locales. Jean Claude Bruneau (1979) nous
rapportait que la frontière est perméable «les colporteurs la passent en rase campagne pour
venir proposer la marchandise de village en village et jusqu’à Ziguinchor. Cette contrebande
porte sur des produits de diverses provenances (Europe, Amérique, Extrême Orient) : tissus,
chaussures, ustensiles de cuisine, très nombreux postes de radio, médicaments, pièces
détachées et même cyclomoteurs »
Dans cet espace transfrontalier, de nombreux acteurs tirent parti de la discontinuité
monétaire qui stimule le commerce (Pourtier R, 2003, p118). La meilleure illustration est
celle entre le Sénégal et la Gambie. Le différentiel entre le franc Cfa et le Dalasi gambien,
monnaie non convertible, favorise les échanges informels échappant au contrôle des changes
et de la douane. En témoigne les nombreux marchés, de part et d’autre de la frontière, qui
ponctuent les espaces frontaliers de la région de Ziguinchor. D’ailleurs de nombreuses études
ont souligné cette particularité d’une organisation informelle qui est capable de s’approprier le
commerce sous régional dans les espaces d’échanges et de rencontres en Afrique occidentale.
(Grégoire E et Labazée .P 1993)229
229.E Grégoire, P Labazée : (2004) «Grands commerçants d’Afrique de l’Ouest : logiques et pratiques
d’hommes d’affaires contemporains. » Paris Karthala.
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contrat ou régies par les normes et institutions marchandes»230.
Les activités commerciales à vocation purement nationale sont rares. L’importance
historique du commerce de traite et de l’agriculture de rente, le rôle joué par les communautés
marchandes dans le commerce de longue distance ont fait l’objet de témoignages Ceux-ci
révèlent un trafic dense constitué à la fois de courants d’échanges vers la Gambie, la Guinée,
vers la côte mais aussi vers les marchés hebdomadaires sous régionaux qui assurent la revente
des produits locaux (ABOUD, C 1994)231. Ces réseaux commerciaux jouent donc « des
complémentarités et des distorsions normatives en se déplaçant sur les différents espaces
d’échanges que constituent les «Loumas »232et les centres urbains. Ce sont souvent les mêmes
individus, grossistes et semi grossiste, que l’on retrouve sur les divers marchés
hebdomadaires. Ces acteurs sont rarement isolés et fonctionnent en réseaux organisés aux
différentes échelles commerciales depuis le grossiste ou «homme d’affaires» assurant des
fonctions d’intermédiation –jusqu’au petit détaillant. (…) Ces réseaux sont généralement
basés sur la parenté «élastique» allant de la famille à la corporation, en passant par la
communauté ou l’origine régionale.»233
Avec la crise agricole dans les autres régions du Sénégal, un nouveau mode de
structuration en réseau, basé sur l’appartenance confrérique, nait avec l’arrivée des migrants
mourides. Il est important de rappeler le rôle décisif que les migrants, surtout wolofs, jouent
dans le commerce au niveau régional depuis qu’ils ont remplacé les négociants européens et
libanais. Selon Mamady Sidibé234 (2003, p 292), avec la sécheresse, les agriculteurs, de
confessions mourides, sont venus en masse dans la région du Sud pour cultiver l’arachide.
Grâce à leur réseau de relations sociales, beaucoup se sont reconvertis dans le commerce. Ces
commerçants qui réexportent les produits agricoles de la Casamance et importent en même
temps les denrées de première nécessité ont aussi acquis une puissance financière. En
acheminant, les produits de base vers les terroirs enclavés de la région de Ziguinchor puis en
dirigeant les productions vivrières de la région vers les marchés urbains de Dakar, Touba,
Kaolack etc. Ces réseaux de commerce parviennent à intégrer le Nord sahélien et le Sud
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forestier. En outre, le secteur du commerce est le principal bénéficiaire du micro crédit
accordé par les banques et les mutuelles.
On signale au passage que la région compte une agence auxiliaire de la banque
émettrice (Agence BCEAO235) quatre banques de dépôts (CBAO, SGBS, BHS, CNCAS). A
ce système bancaire s’ajoute une multitude de mutuelles de crédit, de caisses rurales de crédit,
de caisses villageoises d’épargne et de crédit. En tenant compte de toutes ces organisations de
micro finances qui soutiennent les activités commerciales en priorité, on recense plus de
18000 membres. En 2004, selon le PDRI, 4228 prêts financiers ont été accordés pour
permettre aux populations de faire fructifier le commerce.
235.Banque Centrale des Etats de l’Afrique de L’Ouest dont le siège est à Abidjan (Côte D’Ivoire)
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IV Une évolution économique régionale sur fond de crise
politique récurrente
236.Le rapport du CONGAD (Conseil des Organisations Non Gouvernementales du Sénégal) publié à la suite
du Forum organisé en 1998 à Ziguinchor pour promouvoir le retour des ONG et des structures étatiques dans
certaines zones de la région. Ce rapport daté de juin 2000 est parmi les premiers à dresser l’état de la situation
économique et sociale de la région Sud et mesurer l’impact direct de la guerre.
237.Mamady Sidibé (2003).
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IV-2 Quels impacts de la crise politique dans l’évolution régionale?
La rébellion s’est traduite dans les faits par la destruction des infrastructures de bases,
la baisse des investissements etc… Or, l’articulation entre les notions d’espace, de réseau
physique ou technique et territoire doit beaucoup à l’état des infrastructures en place
(Raffestin 1996).
L’impact économique direct de la rébellion tient plus au fait que la plus grande partie
des pertes économiques viennent de la non exploitation du potentiel économique de la
Casamance mais surtout du gel des investissements et du retrait de la plupart des organismes
de développement et de recherches qui intervenaient dans la zone. La baisse des
investissements privés et surtout, le gel des activités des entreprises dans le secteur de la
pêche et du tourisme condamnent les populations rurales à la pauvreté car, avec l’insécurité,
les circuits de commercialisation de la production rurale se sont considérablement réduits. Les
secteurs de la pêche et de l’élevage ont également été fortement perturbés par les événements.
En termes d’investissement, les structures gouvernementales admettent en tout cas qu’il n’y a
aucune baisse dans les prévisions budgétaires mais en matière de réalisation d’infrastructures,
beaucoup de programmes ont été stoppés. Le programme national de relance des activités
économiques en Casamance (PRAESC), initié par le pouvoir issu de l’alternance politique,
décrit la situation de la région en ces termes sombres qui rappellent que le contexte socio
économique de la reconstruction de la région est très difficile. Les projets de développement
présents dans la zone ont été affectés par le conflit. Certains ont dû même être stoppés tels le
PROGES (Projet de Gestion de l’Eau au Sud) en décembre 1997 ou le projet d’extension du
Domaine Industriel de Ziguinchor qui devait être appuyé par la coopération allemande avant
que celle-ci ne retire sa participation. Le Programme d’Appui à la Pêche Artisanale en
Casamance (PROPAC) a également vu son efficacité sensiblement limitée car les
bénéficiaires, dispersés, ne pouvaient être joints.
Dans le secteur des transports (Chapitre 5), il apparaît que les réseaux de la
Casamance sont plus dégradés que la moyenne nationale « sans qu’il soit possible de désigner
l’insécurité comme principale responsable de ce retard »238 mais les troubles n’ont pas
favorisé un contexte propice à leur entretien ou réfection. Le déficit d’infrastructures routières
accentue le confinement de la région dans ses terres.
238.Note du PRAESC
Page 151
Dans le domaine des infrastructures sanitaires et scolaires, en plus de l’insécurité, et de
l’enclavement des îles, les populations des zones frontalières souffrent, voire, manquent
d’infrastructures sanitaires. Les populations déplacées au niveau des zones de troubles sont
obligées de se réfugier chez des parents dont les difficultés sociales ne permettent pas de faire
face aux besoins primaires accentuant la promiscuité sociale.
Les systèmes scolaires et de santé sont en déperdition, souvent sans locaux, sans
outillages, ressources ou personnels compétents. Au niveau de l’éducation, il est noté qu’en
plus du délabrement des infrastructures, le manque de matériel didactique, la démotivation et
la déqualification du personnel enseignant, des taux de réussite en baisse constante. Trop de
problèmes dans ce secteur sont recensés: écoles abandonnées parce que détruites, parfois
insuffisantes ou, au pire, inexistantes. Pourtant, le taux brut de scolarisation239 de la
Casamance est l’un des plus élevé du Sénégal sinon le plus élevé puisque la population
scolarisée (2001) dans les établissements publics s'élève à 84.280 élèves, sur une population
scolarisable de 98.285 ; soit un taux de 85,75 %240 alors qu’à l’échelle nationale ce taux se
stabilise à 69% à la même date.
Dans le domaine énergétique (chapitre 6), même si l’objectif des pouvoirs publics est
d’augmenter significativement le taux d’accès à l’électricité des populations, en particulier de
doubler le taux d’électrification rurale avant 2005 pour le porter à 15% puis à 62% à l’horizon
2022 (ASER 2006)241, les troubles politiques, ont fortement compromis le développement de
l’électrification dans la région. Avec un parc de production exclusivement thermique,
l’opérateur historique (la SENELEC) envisage de porter la production de la région à 5
Mégawatts pour combler le vide. An niveau de la Société nationale chargée de la
commercialisation de l’électricité, des efforts d’amélioration de la capacité de production
sont en cours. Cependant sur un programme d’électrification rurale prévu dans la région, la
société reconnaît les difficultés à brancher, depuis la ville de Ziguinchor, les 26 villages
prévus pour 2004 car la priorité est d’aborder de lutter contre les énormes poches non
électrifiées dans les villes. En vérité, dans le domaine énergétique, la région n’échappe à la
situation nationale de production déficitaire qui occasionne des coupures électriques très
fréquentes plombant au passage la production alors que dans les zones rurales le recours à la
239.Il faut comprendre par taux brut de scolarisation les jeunes en âge d’aller à l’école et qui sont effectivement
inscrits mais sur ce taux élevé comparativement au reste du Sénégal beaucoup de ces inscrits abandonnent
l’école assez tôt et ce avant la fin du cycle primaire.
240.Statistiques fournies en 2004 par la direction nationale de la statistique et de la prévision du Sénégal dans le
rapport annuel de l’état socio économique de la région de Ziguinchor.
241. Agence Sénégalaise pour l’Electrification Rurale (ASER).
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biomasse reste la principale source d’énergie.
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Conclusion
242.Pendant, l’époque coloniale, tout un système de commercialisation des produits agricoles était en place avec
les maisons de négoce. Après les indépendances, l’Etat a favorisé l’émergence de sociétés de commercialisation
des récoltes qui ont toutes fait faillite avec la libéralisation économique. Phénomène nouveau, les populations ont
mis en place des circuits très perfectionnés avec les marchés hebdomadaires qui foisonnent dans toutes les
contrées du Sénégal. Ces marchés sont très répandus dans la région et ont retenir celui DIAOBE en Haute
Casamance qui est transfrontalier.
243.En 1979, selon l’étude de Jean Claude Bruneau, la situation de l’emploi urbain montrait la prééminence des
fonctionnaires. Cette tendance s’est plutôt renforcer car il n’existe pas de structures adéquates pour la création
d’emploi.
Page 154
Enfin la crise politique sous régionale n’est pas pour arranger la situation générale. En
effet, soumise à une insécurité quasi permanente, il faut rappeler que cette zone souffre
d’abord de son enclavement (Chapitre 5) car en dépit de l’amélioration des liaisons aériennes
et routières, des télécommunications, «le cordon ombilical avec le Nord reste fragile, et que le
problème crucial du désenclavement est loin d’être résolu244» Ce contexte socio-économique
délicate constitue le principal cadre d’analyse de l’insertion des TIC à Ziguinchor.
Page 155
Encadré 1 : A propos de la crise de production en Casamance
Aucun territoire n’a été aussi intensément exploité au Sénégal que celui de la Casamance après le bassin
arachidier. Le Sénégal qui a poursuivi la politique agricole coloniale en privilégiant les zones arachidières, face à
l’urgence de devenir autosuffisant en riz a lancé des programmes d’aménagements des espaces rizicoles de la
Casamance. Des projets comme la SOMIVAC (Société de mise en valeur de la vallée de la Casamance), le
PRIMOCA (Projet rizicole de la moyenne Casamance), la DERBAC (Projet pour le développement rural de la
Casamance) sont créés (Bonnefons et Loquay 1985 ; Barry, 1986 ; Montoroi 1992). Bien que les techniques de
mise en valeur des sols soient historiquement connues en Casamance (Pélissier 1966), tous ces projets ont
échoués et les terres de mangroves subissent un processus d’acidification à cause des vicissitudes liées à
l’influence quotidienne des marées dans le chenal intérieur de la Casamance (Claude Marius 1968). Les relevés
pluviométriques ont mis en évidence une période déficitaire (J. P. Montoroi 1996) caractérisée par des indices
marquants d’aridification du milieu. Ce déficit a de fortes répercussions sur les écoulements de surface et
l’alimentation en eau des cultures et des cours d’eau notamment le fleuve Casamance (Dacosta H 1989). Il existe
une contamination des eaux souterraines par les intrusions marines qui se concentrent en amont et réduisent les
surfaces cultivables ainsi que la production régionale. Le risque climatique qui tend à devenir une norme
(Montoroi 1996) incite à modifier et à adapter les modes de mise en valeur par une réponse qui privilégie
d’autres spéculations agricoles inconnues des populations dans un passé récent. La dépendance de ce milieu aux
aléas climatiques montre toutes les limites des politiques de développement. A l’inverse, la situation sociale
complexe et l’organisation des activités qui repose sur la force du travail constitué par les jeunes qui respectent
le pouvoir des anciens (Roche 1985, Montoroi 1992) permet aux populations de Casamance de perpétuer cette
tradition ancestrale de la culture du riz. De ce mythe d’une région riche, il ne reste plus que la constatation du
déficit de la production car loin d’être autosuffisante, les populations achètent le riz pour leur alimentation
(Loquay 1994). Dans la dégradation des ressources naturelles, l’alarmiste ambiant est de rigueur.
Dans un article : Demain encore le riz ? Fin d’une civilisation, paru en 1994, Annie Chéneau Loquay rapporte :
«la région de Ziguinchor, largement autosuffisante en riz dans les années 60, connaît depuis 1970 un déficit
chronique (….) Désormais, les paysans diolas de la basse Casamance ont à faire face à des risques plus
nombreux et plus grave liés à la rareté et à la détérioration des facteurs de production, risques climatiques,
fuite de la main d’œuvre, pauvreté des outils, terres salinisées, cherté des intrants. De plus la dépendance des
systèmes paysans par rapport à l’économie de marché est plus large et en fait tout à fait dans la logique
économique d’un système libéral ; le producteur diola a intérêt actuellement à vendre des produits
rémunérateurs et à acheter le riz qui lui manque plutôt qu’a en produire d’avantage ».
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Encadré 2 : A propos de la crise Casamançaise
La lecture de la violence en Casamance peut se faire suivant des paliers distincts. D’abord, le 31 Décembre 1982,
une manifestation réunissant des milliers de personnes se rendait à la Gouvernance de Ziguinchor pour
revendiquer l'indépendance de la Casamance. « Une analyse froide aurait permis de lire que les populations
s'interrogeaient avec maladresse sur les relations du nouveau pouvoir à la Casamance 245». Elle a été réprimée
dans le sang. L'année suivante la branche armée du Mfdc (ATIKA) est créée. Le Maquis, équipé d'armes
blanches et de vieux fusils de chasse au début s'est vu doté d'armements sophistiqués et modernes à partir des
années 1989246.
A la place d'un dialogue permanent qui aurait pu dédramatiser la crise, l’état central sénégalais a choisi la
répression, installant la guerre en Casamance. Ainsi emprisonnements, tortures, exécutions extrajudiciaires ont
jalonné le conflit casamançais qui a lourdement endeuillé la région. A coté des divisions internes qui minent le
Mfdc, il y a la position indécise de l’état sénégalais qui oscille entre durcissement et négociation avec la
rébellion
De 1982 à cette date, ont suivi huit années d’escarmouches et de répressions militaires et judiciaires avant que le
Mfdc ne passe à l’offensive, en 1990, sous la forme d’une guérilla. Les troubles ont lieu spécialement en basse
Casamance dans la région de Ziguinchor et le long de la frontière avec la Guinée Bissau considérée, à tort ou à
raison, comme base de repli des maquisards. Ainsi, de local, ce conflit est devenu sous régional avec un impact
de plus en plus visible sur la stabilité du voisin du Bissau Guinéen et depuis quelques temps Gambien247.
A partir de 1990, les actions de guérilla ont véritablement pris une tournure dramatique. Les attaques meurtrières
à l’encontre de populations se sont multipliées, l’insécurité grandissante au fil des mois et des années attestaient
de l’ampleur d’une lutte dont le gouvernement sénégalais a sous estimé la portée. « En effet, même si les attaques
armées ont débuté quelques années plus tard, l’existence d’un maquis était avérée au milieu des années 1980
déjà »248. La solution militaire ayant mené à l’impasse, le gouvernement a alors décidé d’ouvrir des négociations,
parallèlement au renforcement des mesures sécuritaires. En 1991, un accord de cessez le feu est signé entre le
pouvoir central et le mouvement rebelle. Mais les termes de cet accord pouvaient difficilement faire foi car le
leader du Mfdc249 et le chef de la branche armée du mouvement qui a conduit les négociations, étaient en prison.
Dès sa sortie l’abbé Diamacoune leader de la rébellion a rejeté en bloc les accords et durcit sa position, alors
que le signataire des accords a décidé d’adopter une ligne « pacifiste ». Les dissensions entre les membres du
mouvement commençaient déjà à apparaître. Elles ont donné lieu à la formation d’un front nord et d’un front sud
où L’abbé s’est positionné comme maître à penser du mouvement. Il a demandé ainsi l’arbitrage de la France
245.Selon la RADDHO
246.1989 a vu le Sénégal en froid avec tous ces voisins. La Mauritanie d’abord avec l’éclatement des
évènements sanglant dans la vallée du fleuve Sénégal le 9 Avril 1989 et les vagues de rapatriements forcés qui
en ont suivi. Des camps de réfugiés mauritaniens ont essaimé le long de la vallée. Avec la Gambie cette année
coïncide avec l’éclatement de la confédération sénégambienne alors que la Guinée Bissau à la suite des
découvertes des gisements de pétrole à la frontière avec le Sénégal avait remis en cause le tracés des frontières.
Ces pays ont donné un coup de pouce à la rébellion. Rien que l’accueil des combattants du MFDC en territoire
gambien et Bissau Guinéen suffit à semer le doute sur le soutien que ces pays ont octroyé à la rébellion.
247.En Mars Avril 2006, l’armée Bissau guinéenne à décider de sécuriser sa frontière avec le Sénégal. Les bases
rebelles ont été démantelé poussant la guérilla à se replier au Nord de la région qui a déposé les armes depuis les
accords de cessez le feu de 1991. Il s’en suit une guerre fratricide avec le front Nord qui tient à aller en
Négociation avec le Sénégal. L’armée nationale pour des questions de souveraineté ne pouvait pas laisser des
factions rebelles se battre au cœur du territoire sans intervenir. Il s’en suit un mouvement d’exode vers la
frontière le territoire gambien.
248.Sidibé Mamady (2003)
249.L’Abbé Augustin Diamacoune.
Page 157
pour apporter la preuve de sa thèse : «la Casamance n’a jamais fait partie du territoire sénégalais, elle avait un
statut spécial ».
Un deuxième cessez le feu est signé en juillet 1993 à Ziguinchor par le front nord, en attendant les résultats de
l’arbitrage. Mais le rapport Jacques Charpy250 n’est pas allé dans le sens des arguments défendus par l’abbé. La
dénonciation des conclusions de l’arbitrage par l’abbé a entraîné un regain de violence et chez les membres du
« front sud » .Jusqu’à la fin de années 1990, l’évolution du conflit est marquée par de nombreuses attaques
contre les civils et des embuscades tendues à l’armée. Les négociations ont été d’autant plus difficiles que le
pouvoir central avait désormais deux interlocuteurs dont les dissensions internes sont allées en s’accentuant
malgré les pourparlers qui se sont tenus dans la capitale gambienne en juin 1999. L’alternance politique
intervenue au Sénégal en 2000 avait fait renaître un espoir de paix dans la région avec la relance des
négociations avec le Mfdc. Dans ce cadre, un programme de reconstruction et de relance des activités
économiques en Casamance a été lancé. Il a répertorié l’ensemble des problèmes de la région et fait des
propositions soumises aux bailleurs de fonds. Simplement les négociations sont toujours dans l’impasse et la
région s’éloigne de plus en plus de la paix à cause du manque d’unité des différentes factions indépendantes du
Mfdc et qui se font la guerre.
250.Expert français chargé de diriger la commission qui a statué pour donner son avis sur l’appartenance de la
Casamance au Sénégal pendant la période coloniale. D’après l’expert, les territoires situés entre la Gambie et la
Guinée Bissau faisaient bien partie des territoires placés sous l’administration du gouverneur du Sénégal.
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Chapitre 5 : Le réseau local de
communication, une pénétration mal aisée
La fonction fondamentale des transports est d’ordre géographique par le rôle qu’ils
jouent dans la structuration et l’organisation des espaces et des territoires. Jean Marc Offner et
Denise Pumain (1996)251 notent, à ce propos, qu’ «il est difficile d’imaginer un territoire sans
réseaux de transport, dans la mesure où ces derniers constituent à la fois le support, la
condition et la manifestation concrète des échanges de toute nature qu’ils génèrent».
Comme partout ailleurs, les transports terrestres routiers sont devenus prédominants au
Sénégal pour l’acheminement des personnes et des biens. Avec un parc automobile de 160000
véhicules (125000 à Dakar)252 en 2003253, et un réseau routier de 13576Km dont 3972km
goudronnées et 9604km de pistes répertoriées, le Sénégal fait partie des pays les mieux
équipés de l’Afrique de l’ouest254.
Héritage d’un passé colonial, ce réseau assez honorable, est cependant moins
important que celui de la Côte d’Ivoire dont le réseau de 70000Km de routes classées
(6000Km bitumés) permet l’approvisionnement des pays enclavés comme le Mali ou le
Burkina Faso. Cette description du réseau routier ne doit pas cependant masquer des réalités
changeantes et contrastées dans la mesure où il est entièrement dirigé vers Dakar. La plus
grande partie du réseau est située à l’ouest d’une ligne Dagana-Kolda et concerne une zone
regroupant 85% de la population totale et près de 90% de la production commercialisée255
Long de 906Km, le réseau ferroviaire ne joue aucun rôle intégrateur du territoire
sénégalais, concurrencé par la route tant pour le transport de marchandises que pour les
voyageurs depuis l’arrêt en 1986256 de certaines liaisons ferroviaires et le démantèlement des
rails.
Au niveau des infrastructures portuaires, le Sénégal dispose de quatre ports maritimes.
251.Se rapporter à leur ouvrage «Réseaux et territoires : significations croisées» Editions de l’Aube 1996
252.Ministère du transport terrestre et de l’équipement.
253.Source direction des travaux publics du Sénégal
254.Jérôme Lombard (2003) : «Sénégal : des dérives du système des transports à la catastrophes du Joola»
Revue Afrique Contemporaine Numéro 207, pages 165- 184,
255.Rapport Development Gatway Sénégal 2004
256.Dans les années 1980, le secteur des transports sénégalais a connu de profonds bouleversements avec les
divers plans d’ajustement structurel de l’économie. Il y’a la libéralisation du secteur qui a vu les privés de plus
en plus impliqués surtout dans la modernisation du parc automobile.
Page 159
Le port le plus important est celui de Dakar alors que les ports secondaires sont localisés à
Saint louis au Nord, Kaolack au centre ouest, et Ziguinchor au Sud. Après celui d’Abidjan, le
port de Dakar est le plus important de toute la sous région ouest africaine. Celui de
Ziguinchor, beaucoup plus modeste, assure surtout l’approvisionnement en marchandises de
la région et le transport de voyageurs vers le Nord.
Le transport fluvial est en déclin malgré les 1000Km de voies navigables
principalement sur le fleuve Sénégal en toute saison depuis l’édification du barrage de Diama
en 1984 et une partie du fleuve Casamance entre la ville de Ziguinchor et l’estuaire.
En matière de transport aérien, le réseau aéroportuaire compte 14 aéroports ouverts à
la circulation publique. Toutefois, seul Dakar est réellement utilisé dans le transport
international. Trois aéroports contrôlés ou de première catégorie (Ziguinchor, Cap Skirring,
Saint-Louis) complètent ce dispositif de navigation aérienne. L’essor du tourisme étant
directement lié à la densité et à la qualité des infrastructures, en dehors de l’aéroport
international de Dakar, les aéroports secondaires des zones touristiques comme Saint-Louis au
Nord, Ziguinchor et le Cap Skirring au Sud, sont assez fréquentés en haute saison (Octobre-
Avril). Dans l’ensemble, on dénote 20 aéroports et aérodromes civils ou militaires dans tout
le Sénégal.
Etant donné que la facilité et la rapidité des transports, notamment de personnes et des
marchandises, sont des conditions du développement ; au regard des normes internationales,
le réseau sénégalais est largement insuffisant. En plus, la crise économique des années
1970/1980 a donné un sévère coup de frein à la maintenance, accélérant ainsi la détérioration
des infrastructures de transport et des services correspondants. L’impact de la crise
économique sur les infrastructures a été tel qu’un programme d’ajustement sectoriel des
Transports (PAST) s’est avéré nécessaire en 1991257 car comme le souligne Rolland Pourtier
(2001 page 128)258 : «c’est aux routes qu’est dévolue la mise en réseau des territoires.
Rassembleuses d’espaces, elles jouent un rôle éminent dans la construction nationale».
La voie ferroviaire qui a joué un rôle important pendant l’époque coloniale surtout
dans les villes de l’ancien bassin arachidier est dépassée. Seul l’axe Dakar-Bamako est
fonctionnel. Le trafic fluvial est faible alors que les routes sont en très mauvais état et
semblent incapables de satisfaire la demande en matière de désenclavement des villes de
257.Source «les échos de la banque mondiale» Numéro 4 Avril 2006 En 1991, le Sénégal a mis en place un
programme d’ajustement sectoriel des transports avec l’assistance des bailleurs de fonds. Ce programme était
conçu sous la forme d’opérations articulées autour de réformes politiques et d’investissements matériels pour
faire face aux problèmes se posant au niveau sectoriel.
258.Rolland Pourtier : «Afriques Noires» Hachette, Paris 2001
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l’intérieur du Sénégal.
L’intensité des échanges et par conséquent les besoins en infrastructures de transport
et de communication sont liés directement au peuplement des villes. Relier entre eux les pôles
économiques, favoriser la croissance des zones à fort potentiel économique en les
désenclavant, sont l’une des stratégies du Sénégal en matière de transport et depuis quelques
temps en télécommunications. Mais toute cette logique de choix «n’a pas permis de réaliser
des infrastructures visant à l’amélioration des échanges locaux, ni de prendre en compte la
demande en matières d’infrastructures intermédiaires pour les transports domestiques et de
proximité»259
Ainsi donc, cette modernisation du réseau de transport n’ayant pas partout la même
intensité, il subsiste d’importantes disparités spatiales en matière d’infrastructures de
communication. Cette situation se retrouve bien illustrée par la répartition géographique des
infrastructures routières, qui privilégie les zones d’importance économique viable : toutes les
routes convergent vers la zone côtière suivant un axe Saint Louis au Nord et Ziguinchor au
Sud (carte n° 11, p 160).
Bien que répondant au souci de l’Etat de consolider sa présence dans les limites du
territoire (Lombard 2003), le maillage spatial des infrastructures montre que la région de
Ziguinchor reste isolée malgré les efforts consentis. Une longue décennie d’instabilité et de
conflit y a provoqué un double phénomène d’urbanisation accélérée et de détérioration des
réseaux de communication accentuant ce sentiment d’exterritorialité que vivent les
populations du Sud.
259.Il s’agit d’un rapport daté de Novembre 2000 suite à une étude de B. Peccous sur la classification des routes
Sénégalaises.
Page 161
Carte 11 : Le réseau de communication du Sénégal
Page 162
I- La région de Ziguinchor : le maillon faible du territoire
Sénégalais ?260
Gênée par la Gambie dans ses relations avec le Nord du Sénégal, la région de
Ziguinchor, constitue la plus isolée sinon la plus lointaine des régions administratives du
Sénégal. Malgré qu’elle soit ouverte sur l’océan atlantique (86 Km de côtes ensoleillés),
qu’elle soit drainée par un important réseau hydrographique où qu’elle ait une frontière
internationale autant au Nord qu’au sud, son principal handicap demeure son enclavement.
Pourtant, les contraintes physiques et humaines variées sont très souvent partiellement
circonscrites et n’empêchent pas l’effet structurant des réseaux de transports de s’exercer dans
la maîtrise de l’espace261. Bien plus qu’un simple itinéraire, les réseaux de communication
terrestres sont un élément fondamental de l’économie locale, régionale, voire nationale ou
internationale, en permettant la libre circulation des biens et des personnes, elles- mêmes
intégrées dans les mécanismes économiques. Les conditions de desserte, en termes de qualité
et de délai, sont les principaux facteurs de développement économique des territoires.
A l’image de tout le reste du Sénégal, la région de Ziguinchor est largement
dépendante du réseau routier qui assure plus de 90% des déplacements des biens et
personnes262. Cependant, les raisons de sa difficile intégration au territoire sénégalais tiennent
moins à la nature qu’à l’histoire : la présence du territoire gambien qui coupe la province
méridionale. L’absence de solution politique à la coupure gambienne accentue l’enclavement,
et le sentiment d’insularité renforce cette vision d’exterritorialité.
Afin de mieux analyser les contraintes en matière de communication inhérentes à la
260.Ce titre est emprunté à Jean Claude Marut. En 1994, sous la direction de Barbier Wiesser, les éditions
l’harmattan publie un ouvrage dont le titre assez évocateur « Comprendre la Casamance » aborde plusieurs
aspects qui expose autant l’originalité que les difficultés de cette région. Ce livre coédité avec la MSH fait un
aperçu global de la région suivant divers aspects. Il nous a servi tout au long de cette étude comme point de
départ car en dix ans, le contexte a beaucoup évolué puisque après la situation de guerre, cette région tend vers
la réconciliation et la reconstruction.
261.Jean Paul Rodrigue en réponse à la question « Qu’est que la géographie des transports ? » définit les champs
et les dimensions de la géographique des transports en insistant sur le caractère multidisciplinaire de cette
branche de la Géographie. Source Université de Montréal Département de Géographie.
www.geog.umontreal.ca/geotrans/fr/ch1fr/conc1fr/ch1c1fr.html
262.Source : direction des travaux publics du Sénégal.
Page 163
région, il me semble judicieux de comprendre par l’histoire et la géographie, les
raisons déterminantes du retard d’intégration de la région. Ce manque d’intégration dans
l’ensemble national sénégalais, grâce à un réseau de communication adapté et efficace,
positionne la région de Ziguinchor dans une situation périphérique. Ce qui en général marque
un certain déséquilibre entre les espaces car certains s’érigent en vrai centre polarisateur sur
une périphérie marginale.
«D’un point de vue sénégalais, cette coupure apparaît comme une aberration. Encore
s’agit-il là d’une perception qui n’est pas neutre, porteuse d’une logique de négation de la
Gambie. S’y oppose une autre représentation qui voit l’aberration dans l’appartenance de la
Casamance au Sénégal.» J Claude Marut (1994)
Le Sénégal est l’un des rares pays présentant une discontinuité géographique majeure.
« Si la Casamance souffre, comme le reste du Sénégal, de la mauvaise qualité et de la taille
insuffisante du réseau routier, elle subit en plus les conséquences de sa géographie
particulière » rapporte le programme de relance des activités économiques en Casamance en
2002.
La configuration de la Casamance par rapport au reste du Sénégal montre une
absurdité étonnante. La Casamance est isolée du Sénégal par la Gambie, petit pays
anglophone, qui s’apparente à un couteau planté dans sa gorge, réduisant ainsi les possibilités
de communication. Fruit des découpages coloniaux, la question de la coupure gambienne s’est
très tôt posée à l’administration de la colonie du Sénégal. «Casamance et Sénégal», tel est le
sous titre donné à son témoignage sur l’appartenance de la Casamance au Sénégal, par
Jacques Charpy (1994). Sa thèse montre comment les négociations entre la France et l’empire
Britannique n’ont pas abouti à un échange de territoire qui faciliterait le contrôle territorial
intégral de la colonie du Sénégal : «échanger ces comptoirs (au sud de la Sierra Léone) serait
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une excellente affaire et nous ferait de la Sénégambie une belle colonie compacte.»263 A cause
de cette coupure264, la colonisation française ne s’est véritablement pas imposée dans cette
région qu’après la seconde guerre. Cet héritage éternel des empires coloniaux facilite la
perception d’un espace casamançais (J. C. Marut 1994) : les limites de la Casamance sont
ainsi constituées pour les quatre cinquièmes par des frontières internationales (80%).
Cette coupure, représentée par l’enclave Gambienne, constitue pour le Sénégal
plusieurs sortes d’handicaps. Tout d’abord, la Gambie exploite habilement sa situation
géographique (J.C Marut 1994, Vincent Foucher 2002) en jouant sur la captation du trafic
routier ou aérien (l’aéroport de Banjul dessert directement la Casamance), ensuite par
l’existence d’une active contrebande avec le Sénégal et les pays voisins exploitant les
différences tarifaires entre les deux pays.
Politiquement, les handicaps sont énormes en termes d’indépendance nationale par
rapport à une sujétion extérieure qui fragilise le lien avec la Casamance. Ensuite en termes
d’unité nationale dans la mesure où cette discontinuité territoriale est un frein à une prise de
conscience nationale sénégalaise. En même temps, elle encourage les mouvements centrifuges
(en plus de l’isolement par la Gambie, l’autre frontière de la Casamance est la Guinée
Bissau265). La colonisation a légué à cette région certaines ambiguïtés qui déterminent les
interdépendances entre ses parties (Lambert 2002) tandis que le séparatisme casamançais se
nourrit partiellement de cette situation d’enclavement (Chéneau Loquay, Lombard, Ninot
1999)
Outre cette grande originalité qui est d’être coupée en grande partie du territoire
sénégalais par un territoire étranger, la région de Ziguinchor souffre d’un enclavement
interne. En effet par son appartenance à l’ensemble guinéen forestier et humide, cette région
est drainée par le fleuve Casamance avec ses nombreux affluents dans l’estuaire (à peu près
86Km de large) suivant un long couloir de 360Km d’Ouest en Est.
263.Propos du Gouverneur colonial du Sénégal Louis Léon Faidherbe rapportés par Charpy
264.La coupure gambienne n’est pas l’unique cause. Les populations de la Casamance ont résisté longtemps à la
domination française. Le mythe de la femme Aline Sitoé Diatta est né de cette époque. Cette femme a contribué
à dresser les populations contre les exigences du colonisateur par le refus de payer les impôts locaux, de donner
leur riz et de lever la conscription pendant la seconde guerre mondiale. Lire l’ouvrage de Jean Girard, publié en
1969 à l’IFAN «Genèse du pouvoir Charismatique en Basse Casamance».
265.Selon Jean Claude Marut, cette situation géographique de la Région par rapport au Sénégal n’est pas
étrangère à la crise politique sous régionale. In Comprendre la Casamance : Le mythe, Penser la Casamance.
Page 23 MSH Karthala 1994
Page 165
I-2 La géographie régionale, second facteur d’isolement.
Ziguinchor est une région estuarienne et maritime qui détermine une géographie
particulière. La région s’identifie au fleuve Casamance. Le réseau hydrographique se
conjugue avec un climat pluvieux (800 à 1500mm/an) de type soudano-guinéen pour former
un ensemble régional doté d’importantes potentialités forestières et halieutiques. Cette région
est entièrement déterminée par le fleuve qui relie l’Atlantique au plus profond des terroirs par
le jeu des marais. Né sur les bas plateaux du Fouladou266, le fleuve s’étend sur près de 350km
et dispose d’un bassin versant de plus de 20150km². Ce fleuve marque bien son passage du
plateau à la zone maritime. Sur le plateau, le fleuve connaît peu d'embranchements avec le
Soungrougrou comme véritable affluent. A l'ouest, juste après Ziguinchor, commence une
zone amphibie de marais vaseux et un réseau inextricable de marigots envahis par l'eau de
mer. Selon André Schwarz Bart267, on est en présence d’une région de paysage calme et
compliqué de delta : «une contrée où se mêlent les eaux claires d’un fleuve, les eaux vertes
d’un océan, les eaux noirâtres d’un marigot.» Cette région correspond à une côte d’ennoyage
ou submergée (Carte n°12), caractérisée par une succession de rias aux larges embouchures
où le marnage est très important (4 à 5m), où les marées remontent profondément à l’intérieur
des terres (220Km selon Claude Marius 1968, Pagès 1970). Ces variations de marées
favorisent l’existence de dépressions plus ou moins marécageuses occupées par la mangrove
que la pluie permet de dessaler. Ce dense réseau des marigots multiplie paradoxalement les
possibilités de circulation et de cloisonnement. Ce qui est donc à la fois un atout et un
inconvénient. Il commande la distribution de l'habitat et impose les axes d'échanges.
Cependant, ce réseau hydrographique, véritable appareil circulatoire de jadis268, ne joue plus
un grand rôle dans le désenclavement de la région même si dans les îles de l’estuaire
inaccessibles par voie terrestre, le transport par pirogues motorisées existe.
Les conséquences d’un tel enclavement sont énormes en termes d’intégration :
«l’accès à certaines zones enclavées de la région de Casamance, pose aujourd’hui de sérieux
problèmes entraînant des difficultés d’approvisionnement et d’évacuation de la production
266.Le Fouladou est ce qu’il convient d’appeler la haute Casamance. Fouladou fait référence aux populations
peules qui peuplent la haute Casamance. D’ailleurs, la morphologie de cette région de plateau tranche avec celle
de la basse Casamance caractérisée par la prédominance de bas fonds et de plaines.
267.Cité par Jean Claude Marut 1994
268.Pendant l’époque coloniale et l’économie de traite, le fleuve Casamance a beaucoup joué dans le transport
des marchandises à l’échelle méridionale. Il faudrait se rapporter à l’étude de Jean Claude Bruneau en 1979, pour
comprendre le rôle que le réseau Hydrographique à jouer dans le développement de la ville de Ziguinchor
comme principale métropole de la Casamance.
Page 166
agricole, sans parler des difficultés d’évacuations sanitaires. Les habitants de ces îles où
l’administration est quasi inexistante en raison de l’enclavement, n’ont pas accès aux services
de base. De plus, la sécurité des personnes et des biens n’y est pas assurée. Cette situation
contribue au développement d’une économie locale insulaire, fondée sur les trafics, la
contrebande, la culture de drogue en complète déconnexion du reste du pays269»
La maîtrise de cet espace s’avère difficile. A l’intérieur de la région, des liaisons
terrestres entre les villes chefs lieux de département existent. Cependant, le problème du
désenclavement concerne plutôt les zones rurales, et les îles. La contrainte majeure réside
dans la mauvaise qualité des infrastructures routières, surtout sur les derniers maillons du
réseau constitué par les routes et pistes. Sous l’influence conjuguée du climat et de la baisse
des crédits alloués aux collectivités locales depuis que la décentralisation politique270 leur
donne la charge d’entretien des infrastructures routières, routes et pistes se dégradent vite.
Telle est la situation du réseau de transport dans la région qui donne à la notion
d’enclavement tout son sens à la lumière des difficultés de circulation que nous étayerons
dans les pages suivantes.
269.Tiré de l’état des lieux effectué par le PRAESC (programme de relance des activités économiques en
Casamance)
270.Depuis la seconde phase de décentralisation en 1996, plusieurs compétences reviennent aux collectivités
locales au Sénégal. L’éducation, la culture, l’entretien et la réfection des infrastructures constituent entre autres
des secteurs à la charge des collectivités locales. Cependant, les crédits alloués à ces structures servent le plus
souvent à régler les charges de fonctionnement. En résumé, malgré cette volonté politique de décentralisation les
moyens financiers ne suivent pas quand on sait qu’il est très difficile de procéder au recouvrement des impôts
locaux.
Page 167
Carte 12 : le réseau régional de communication
Page 168
II- Acquis et insuffisances des infrastructures de transport
271.Par Sénégambie méridionale, il faut comprendre cet espace transfrontalier que forment la Gambie, la
Casamance et la Guinée Bissau. L’ONG Enda Tiers Monde (Avril 2004) en collaboration avec Oxfam a analysé
les dynamiques d’intégration dans cet espace. Il ressort de cette étude qu’en dépit des complémentarités de leurs
systèmes de production et des nombreuses ressources naturelles, les économies des trois composantes de la
Sénégambie méridionale demeure peu articulées.
272.Ministère du transport terrestre et de l’équipement.
Page 169
II-1 L’incapacité du réseau terrestre à intégrer la région au Sénégal
La région de Ziguinchor est longtemps restée une zone de pénétration mal aisée, replié
sur lui-même «où la route n’était conçu que comme le prolongement du fleuve dans les
secteurs isolés de l’intérieur inaccessibles par voie d’eau273». Seules trois routes permettent
de relier Ziguinchor à Dakar : l’axe Ziguinchor- Faraféni- Kaolack (Nationale 4) ou la voie
transgambienne, la route Ziguinchor-Banjul- Dakar (Nationale 5) par l’ouest, et la voie de
contournement Ziguinchor- Tambacounda- Dakar par l’est.
Aujourd’hui, le réseau régional compte 1074km dont 324Km de routes bitumées et
7km de pavé et à peu près autant de routes départementales stabilisées que complètent les
1400 km de pistes impraticables en saison pluvieuse. Les routes nationales 4 et 5 ont
récemment fait l’objet de réhabilitation. Mais un axe réputé très confortable peut, en quelques
années, devenir difficile faute d’entretien périodique. Les liaisons entre les différentes
localités très faibles en termes de capacité, ne facilitent pas l’accès aux différentes zones de
production économique. Autour de la liaison terrestre de la transgambienne qui parachève un
réseau de communication avec le Nord du Sénégal, s’organise un réseau convergent vers la
ville de Ziguinchor. A l’heure actuelle, la transgambienne est la route la plus utilisée pour le
transport de marchandises et de voyageurs vers Ziguinchor. Bien que le contournement de la
Gambie par la route à l’est soit possible (876 Km), les populations n’ont d’autres choix que
cette route où deux bacs vétustes (photo 1 et 2) permettent le franchissement du fleuve. Leur
faible capacité, leurs pannes fréquentes provoquent d’interminables files d’attente sans
compter la priorité accordées aux véhicules gambiennes. Il est possible de perdre des heures
parfois même des jours entiers à remplir des formalités administratives. De très lourdes
tracasseries administratives aux deux frontières, nord et sud, empêchent un flot rapide et
régulier de véhicules. S’y s’ajoutent des contrôles anarchiques tout au long du trajet, aussi
bien du côté sénégalais que du côté gambien.
Depuis l’éclatement de la confédération sénégambienne274 et les crises à répétition
entre les deux pays (encadré 3), à propos des pratiques tarifaires, la voie de contournement par
Tambacounda est très souvent utilisée par les transporteurs pour protester contre ce qu’ils
Page 170
jugent comme un «diktat» des autorités gambiennes. Cependant, ces boycotts fréquents275
engendrent autant de pertes pour l’économie gambienne surtout avec les taxes de passage de
la frontière. En plus, à cause des pertes de temps lors du franchissement du bac, une intense
activité informelle allant de la restauration et de la revente de produits gambiens se développe.
Cette route qui passe par Tambacounda (Nationale 6) est en très mauvais état, souvent
coupée par les voleurs. Elle rallonge les coûts de transport des marchandises qui sont
forcément répercutés sur le prix de revente par les commerçants. Cette situation aggrave le
manque d’intégration politique et économique dans un grand ensemble sous régional. Mais en
dépit des pertes de temps dues au double passage frontalier et au franchissement du fleuve
Gambie par un bac, le moyen le plus rapide et le moins onéreux reste la traversée de la
Gambie (450Km de Dakar à Ziguinchor par la transgambienne contre 876Km par le
contournement à l’est). Ensuite se déplacer à l’intérieur de la région n’est pas chose aisée car
les obstacles que crée le réseau hydrographique sont loin d’être résolus.
Comment Ziguinchor pourrait-elle devenir une région désenclavée aussi longtemps
qu’il faudra plus de temps pour se rendre d’un point du territoire à l’autre ? Les lacunes qui
restent à combler concernent d’abord le trafic routier car le réseau primaire présente de nettes
disparités.
Il s’agit en premier lieu d’élargir la communication entre la région et les autres villes
du Sénégal mais aussi entre villes et villages de la province méridionale. Dans cette partie du
pays, les routes sont rares et nombreux sont les villages que l’on peut seulement atteindre par
pirogue. Or, comme le souligne Jérôme Monod (2006)276, en matière d’aménagement
territorial, la qualité des liaisons à moyenne distance commande l’avenir de la vie régionale.
Ainsi lorsque l’on considère les instruments en notre disposition pour assurer la jonction des
différents points de la région, on constate qu’autant pour les liaisons lointaines que pour de
courtes distances, les infrastructures sont insuffisantes.
275.En Août 2005, suite à l’augmentation des tarifs du bac de Faraféni (30%) sans concertation avec le Sénégal,
les transporteurs sénégalais ont boycotté le passage de la Gambie pendant presque un mois. Des accords au plus
haut sommet des Etats ont permis de résoudre le problème mais il ne serait pas surprenant que cette situation se
reproduise.
276.Jérôme Monod (2006) : «L’aménagement du territoire ». Que sais-je ? Presses Universitaires de France
première édition 1971.
Page 171
II-1-1 Un réseau routier local tourné vers les centres urbains
Page 172
Planche Photo 1 et 2: Le calvaire de la traversée de la Gambie
Page 173
Encadré 3 : Revue de la presse Sénégalaise sur les hausses tarifs au bac de Faraféni
Les transporteurs sénégalais qui veulent entrer en Gambie débourseront 30% de plus sur le tarif habituel. Selon
la radio futurs médias, la Chambre de commerce de Faraféni, ville gambienne frontalière au Sénégal vient
d’informer la Chambre de commerce de Dakar de la mesure prise par le gouvernement gambien qui va entrer en
vigueur dès ce 1er mai 2007. Les transporteurs sénégalais prennent acte et demandent au gouvernement de
prendre des mesures pour mettre fin aux tracasseries policières dont ils sont victimes en Gambie. De fait, le bac
de Faraféni est la principale source de revenus de la Gambie. Les autorités gambiennes l’utilisent également
comme instrument de pression sur le Sénégal. Mais aussi, il semble que la Gambie cherche à être autonome sur
le bac de Faraféni. En effet, la hausse du prix de la traversée ne serait pas sans lien avec l’achat par la Gambie de
deux nouveaux bacs qui peuvent transporter jusqu’à 60 véhicules pour un temps de traversée de moins de dix
minutes. Ce n’est pas la première fois que le prix de la traversée du bac de Faraféni connaît des hausses. En
2005, les autorités de Banjul avaient unilatéralement augmenté les tarifs. Ce qui avait poussé les chauffeurs
sénégalais à bouder la traversée du bac et à contourner la Gambie en passant par la route de Tambacounda. Le
Président Wade avait par la suite proposé à la Gambie la construction d’un tunnel, d’un pont sur le fleuve
Gambie ou de permettre au Sénégal de mettre en circulation son propre bac sur le fleuve Gambie. Des
propositions qui ne semblent pas enchanter du tout Yaya Jammeh, le président gambien malgré l’assurance
donnée par le Sénégal que la construction de ces infrastructures seraient financées par l’Union européenne et
l’Usaid. Ainsi, après la rencontre du Méridien-Président entre les deux chefs d’Etat, Yaya Jammeh n’a pas donné
suite aux propositions du Sénégal. Bien au contraire, il expliquera plus tard que ce sont les populations qui ne
sont pas d’accord.
En décidant, sans concertation, à la mi-août, de doubler les tarifs de traversée du bac de Faraféni, point de
passage le plus court pour relier le Nord et le Sud du Sénégal, notre voisin gambien, pour masquer la violation
des accords qu’il avait conclus, invoque la flambée des cours du pétrole. Dans les usages internationaux, un
accord ratifié entre et reste en vigueur tant qu’il n’est pas dénoncé unilatéralement par l’une des parties ou
renégocié. Dans le cas de ce que certains appellent la « tension » dans les relations entre le Sénégal et la Gambie,
il est à retenir que ce dernier pays n’a eu recours ni à l’un ni à l’autre procédé avant d’augmenter les tarifs de
traversée. Une telle manière de faire est politiquement primitive et diplomatiquement conflictuelle. Il est alors
paradoxal qu’après coup, que la Gambie s’étonne de la réaction de bon sens du Sénégal (qui a approuvé la
décision des transporteurs de contourner le territoire du voisin) en tentant d’imputer à notre pays une quelconque
responsabilité dans la dégradation de sa situation économique interne qui n’est que l’effet boomerang de sa
décision inopportune. Dans ses relations avec son voisin de l’intérieur, le Sénégal a toujours privilégié le
dialogue et la concertation en se fondant sur les liens multiformes qui nous unissent. Mais, la décision que vient
de prendre la Gambie prend complètement à rebrousse poils cette option. Pour un pays dont l’économie dépend
pour l’essentiel du Sénégal, la Gambie a fait un pari sur la compréhension complaisante et toujours renouvelée
des Sénégalais face aux palinodies dont elle est coutumière. Mais, cette fois-ci, elle est allée un peu loin en
Page 174
voulant asseoir sa croissance sur la bourse de nos compatriotes. La réaction excédée des transporteurs sénégalais,
qui ont décidé de faire un blocus à la frontière entre les deux pays et de passer par Tambacounda pour rejoindre
la Casamance, est tout à fait compréhensible et légitime. Dans un tel cas de figure, il est donc tout à fait normal
qu’en l’absence d’un accord acceptable pour les transporteurs, notre pays prenne les mesures d’accompagnement
nécessaires (réduction de 10% sur le prix du carburant à partir de Vélingara, réhabilitation de la route Kaolack-
Tambacounda) pour permettre la continuation du flux d’échanges avec la Casamance. Même du temps où la
traversée de la Gambie ne constituait pas le casse-tête qu’elle est aujourd’hui pour les Sénégalais, la
discontinuité territoriale provoquée par ce pays a toujours gêné le développement et l’unité nationale du Sénégal,
sans parler du manque à gagner induit par la fraude. Ce fait colonial, né de la rivalité entre la France et la
Grande-Bretagne lors de la conquête de l’Afrique, pouvait être gommé dans ses aspects négatifs, si toutefois,
dans l’intérêt bien compris de nos deux pays, s’instaurait une franche coopération économique et sécuritaire. Qui
plus est, malgré les droits de passage payés par les Sénégalais, la route qui relie le Nord du Sénégal à la
Casamance, dans son tronçon situé en territoire gambien, n’a jamais fait l’objet d’un entretien à la hauteur de son
importance stratégique. Notre sous-région, pour échapper aux soubresauts qui ont laminé, ailleurs en Afrique,
des pays et jeté leurs populations dans une précarité létale par la faute de dirigeants non éclairés, a besoin d’un
climat de confiance loin des discours de défiance inutiles et paranoïaques. Des solutions à long terme existent
pourtant pour régler définitivement le problème de la traversée du territoire gambien et le président Wade en a
proposé récemment. Mais, comme par le passé, on note toujours des blocages du côté gambien et le statu quo
revient à tenir notre pays en otage. C’est pourquoi, en toute souveraineté mais aussi en toute responsabilité, le
Sénégal, dans l’attente qu’une solution acceptable soit trouvée, a tenté de trouver une réponse par le
contournement, ce que le président Wade a qualifié dernièrement de « décision politique inéluctable ». Si la
Gambie s’octroie la liberté de hausser unilatéralement les tarifs de traversée sur ses bacs, pourquoi notre pays
n’aurait-il pas lui aussi celle de contourner son territoire ? La CEDEAO s’est saisie du « conflit » et a désigné le
président Obasanjo du Nigeria pour une médiation. Elle est dans son rôle, mais il est constant que le Sénégal
n’est en rien responsable de la situation qui prévaut. Dès lors, toute négociation doit partir du fait qu’une des
parties a violé des accords bilatéraux qu’elle a signés et que la solution ne peut passer d’abord que par la
reconnaissance, par la partie défaillante, de son forfait. Et même en cas de solution, le Sénégal doit offrir une
alternative à la traversée de la Gambie à ses populations. PAR IBRAHIMA MBODJ
Page 175
II- I - 2- Les contraintes au désenclavement interne : l’impraticabilité et
l’insuffisance de l’offre de transport
Dans leur article «Impasse et Défis dans le Transport Routier» (2002, P 110), Jérôme
Lombard et Olivier Ninot écrivent, à propos du Sénégal : «le transport routier peine à se
régénérer et à offrir un service de qualité, tant pour les personnes que pour les marchandises.
Les infrastructures de communication sont aujourd’hui en piteux état. Dans l’ensemble des
villes du pays, les voies urbaines sont de qualité médiocre voire désastreuses»279. Dans les
mêmes proportions, il est écrit dans le PRDI280 que les causes de l’enclavement interne de la
région Ziguinchor, tiennent non pas à l’insuffisance des routes mais à la dégradation
progressive des infrastructures en place. Elles se dégradent vite sous l’effet combiné du climat
et d’un trafic de poids lourd souvent excessif surtout pendant la campagne de
commercialisation de l’arachide. C’est sur la base des données du PRDI complétées par celles
de la direction de la prévision et de la statistique sur l’état de l’économie régionale que les
analyses suivantes s’appuient.
500
400
300 Bitumées
200 Non Bitumées
100
0
départemental
nationales régionales
es
Bitumées 192 71,35 44,27
Non Bitumées 0 56,65 470,439
279.Sous la direction de Momar Coumba Diop. « La Société Sénégalaise entre le global et le local » Edition
Karthala 2002, sous la direction de Momar Coumba Diop.
280.Programme Régional de Développement Intégré élaboré en 2004 par le Conseil Régional de Ziguinchor.
Page 176
La route reste est le seul exutoire pour les populations afin de se déplacer entre les
localités de la région ou avec le reste du Sénégal. Ce recours à des moyens de transport
souvent vétustes entraine souvent une circulation parfois anarchique des véhicules surtout au
centre ville de Ziguinchor.
Par le Nord, la ville de Ziguinchor est reliée à celle de Bignona par la route nationale
numéro 1 qui traverse la Gambie. Cet axe est l’une des voies routières les plus importantes
pour l’approvisionnement en marchandises et le transport interurbain. Une autre route
départementale dessert la capitale Gambienne et les grandes zones de pêche de l’ouest
(Kafountine-Abéné). Viennent ensuite la route Ziguinchor-Oussouye et la route touristique
Ziguinchor-Le Cap Skirring. Ce tronçon qui dessert les campements touristiques est
pratiquement impraticable et freine dans une certaine mesure le développement touristique car
l’aérodrome du Cap est sous exploité. Au plan international, la ville de Ziguinchor est reliée à
la Guinée Bissau par le prolongement de la transgambienne.
Cependant le bon fonctionnement d’un tel système se heurte à de sérieuses difficultés
liées surtout à leur dégradation. «Les routes se dégradent extrêmement vite. Chaussée
défoncée, fondrières énormes alternant avec la tôle ondulée, tel est l’aspect dangereux
qu’offrent les routes de la région en saison sèche lorsque s’achève la campagne arachidière
et que s’annonce la saison des pluies.» (Bruneau 1979). Entre Ziguinchor et Bignona, pavée
sur 7km, la route est souvent recouverte par l’eau lorsque les grandes marées se conjuguent
avec les hautes eaux du fleuve Casamance. Cet axe est un lieu de passage obligé et malgré
tout, il est l’un des trous noirs des communications terrestres car l’état du pavage est
déplorable.
Après leur réfection, les routes reprennent très tôt leur aspect antérieur. De manière
générale, le réseau classé connaît plus de 74% de dégradation (tableau 12), qu’elle soit
majeure, mineure ou complète, c'est-à-dire que les itinéraires présentent « de nombreuses
coupures et une forte présence de tronçons dégradés.» L’état des routes interdit de dépasser
les 60km/h en raison des nombreux nids de poule sur la chaussée. La dégradation des pistes
de production à 97% est plus problématique pour une économie de type rurale.
De plus, à cause de l’insécurité, il faut compter sur les contrôles de police
extrêmement fréquents surtout entre la frontière gambienne et la ville de Ziguinchor. En plus
les «péages» pour le franchissement des frontières sont le plus souvent de simples «taxations
informelles» qui n’alimentent aucun fond de construction ou d’entretien routier.
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Tableau 12: Pourcentage de dégradation des routes
Cette situation, en plus d’être aggravée par une efficacité insuffisante dans la gestion
et dans l’exécution de l’entretien des routes, s’est empirée avec le minage de vastes tronçons
soit par l’armée ou le MFDC sans pour autant qu’il soit possible de tenir pour principal
responsable la rébellion.
L’enclavement est aussi accentué par l’offre de transport insuffisant Selon la direction
régionale de la prévision et de la statistique, la région détenait en 2004, l’un des parcs
automobiles le plus vétuste de tout le Sénégal. L’âge moyen des véhicules en circulation
dépasse très souvent 25 ans. Seules les voitures particulières et celles des ONG et de
l’administration ont moins de 10 ans. Cette vétusté est due à la faiblesse des investissements.
La mesure d’arrêter l’importation des voitures de plus de 5ans à l’échelle nationale, a des
répercussions sur le nombre de véhicules introduits dans la région malgré la hausse des
immatriculations de voitures neuves notée ces dernières années. Par voie de conséquence, la
mobilité est affectée, faute de moyens suffisant pour le déplacement des populations à
l’intérieur de la région.
Dans une zone aussi enclavée que Ziguinchor, favoriser le développement du tourisme
repose nécessairement sur une amélioration du transport aérien qui est vital pour la promotion
de l’activité. La région dispose de deux aéroports à Ziguinchor et au Cap Skirring. Les
activités de ce second aérodrome sont essentiellement saisonnières et participent au
développement du tourisme.
Page 178
II-2-1 Les tendances du transport aérien281
50000
45000
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
5000
0
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
281.L’ensemble des chiffres proviennent de l’ASECNA mais aussi des projections économiques sur l’état de la
région de Ziguinchor fournies par la direction de la statistique et de la prévision en Juin 2005
Page 179
En ce qui concerne le fret, sa situation est très contrastée. Il est moins important,
comparé aux tonnages transportés par la route ou par la voie maritime. Les échanges avec le
marché dakarois représentent la quasi-totalité du trafic de marchandises.
25000
20000
Frêt en Kg
15000 Importation
exportation
10000
5000
0
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
Page 180
II-2-2 Les contraintes au développement du transport aérien
A cause des prix pratiqués (65000 FCFA pour un aller retour sur Air-Sénégal soit 100
euro), 95% de la population n’ont pas les moyens de se payer ce mode de transport et se
rabattent sur le transport terrestre ou maritime. Par rapport à la route, le trafic aérien de
passagers reste marginal.
La seconde contrainte au développement du trafic aérien est liée à l’état de la flotte.
Les pannes fréquentes et l’annulation de la desserte sont aussi récurrentes. Il y a une certaine
irrégularité en plus de l’insuffisance des liaisons. L’état des infrastructures ne permet pas
aussi de développer le trafic aérien. En effet, l’aéroport de Ziguinchor, localisé en plein cœur
des habitations, très exigu ne répond pas aux normes de transport aérien. L’insuffisance des
infrastructures de l’aérogare ne permet d’accueillir que des avions très modestes.
L'insécurité qui continue de régner dans la région, obère un fort potentiel touristique
dont la valorisation est bloquée depuis l'aggravation du conflit en 1993. Entre 1996 et 1999,
l’apparition des premières mines sur les routes de Casamance qui ont fait les premières
victimes civiles a aggravé le sentiment d’insécurité. S’y ajoute aussi les attaques dirigées
contre les campements touristiques du Cap Skirring et de Kafountine pour asphyxier
économiquement le secteur.
Pour conclure on ne saurait trop insister sur le rôle du trafic aérien dans le
désenclavement de la région de Ziguinchor auquel il ne contribue que modestement. A coté
de la route, c’est le trafic maritime qui joue un rôle primordial dans le désenclavement et les
échanges avec la ville de Dakar jusqu’à la catastrophe du bateau le Joola en Septembre 2002.
Page 181
II-3 - Le trafic maritime, grandeur et décadence
Les réseaux de transport tant collectifs qu’individuels ont atteint leur limite non pas
par saturation mais par leur inadéquation du fait des difficultés géographiques tributaires de la
configuration de la région. Entre la Casamance et le reste du Sénégal, on estime qu’au-delà de
certaines heures, les possibilités de liaison sont anéanties à cause des difficultés de
franchissement de la frontière gambienne. En outre, à l’intérieur de la région, il n’est pas
prudent de se déplacer. Dans cette situation de confinement des populations à l’intérieur de la
région, la seule possibilité est la voie maritime qui permettait jusqu’à une période récente à la
région de ne pas friser la paralysie totale.
Page 182
Par le passé, le port de Ziguinchor a joué un rôle fondamental dans l’économie de
traite. Son exploitation a beaucoup contribué au développement de la culture arachidière mais
aussi à l’approvisionnement en denrées alimentaires de la région. Après la seconde guerre
mondiale la quasi-totalité de l’approvisionnement régional se faisait encore par la voie
maritime, « la moins coûteuse d’ailleurs la seule aisément praticable.» (Bruneau 1976).
Après les indépendances, et ceci malgré le déclin du trafic fluvial dû à la répartition des taches
entre la route et le fleuve, le trafic maritime est resté très important pour l’économie de la
région.
L’analyse des fiches de la capitainerie montre que le trafic maritime repose
essentiellement sur le transport de marchandises, le transport de passagers s’étant estompé
depuis 2002 avec le naufrage du bateau le Joola.
Figure 10: Evolution du nombre de navire arrivant au port de Ziguinchor entre 1993 et 2002
250
200
150
Nombre de
navires
100
50
0
93
94
95
96
97
98
99
00
01
02
19
19
19
19
19
19
19
20
20
20
Le port reçoit des bateaux cargos d’une certaine capacité pour l’exportation des
oléagineux et l’approvisionnement à partir de Dakar essentiellement du riz et du ciment. Le
nombre de navires accostant à Ziguinchor est en moyenne de 125. Mais entre 1997 et 2000, le
nombre a sensiblement augmenté pour se stabiliser à 211.
Dans le volet importation, en regardant, le graphique suivant, on note que les tonnages
enregistrés se stabilisent autour d’une moyenne de 26500 Tonnes jusqu’en 2002. Cette baisse
Page 183
s’explique par l’importance du transport de produits de consommation par la route. Seuls les
matériaux de construction difficiles à acheminer par la route transitent par le port. Sur 38925
tonnes en 2002, 58% sont du ciment, 26,2% du riz, et 11,9% de fuel destiné exclusivement à
la seule centrale de la SENELEC qui alimente toute la région en électricité.
Quant au volet dit exportation, son tonnage, après une chute vertigineuse entre 1996 et
2000, amorce un fort redressement pour se hisser à 66076 tonnes en 2000. Malgré cette
hausse, le niveau des exportations en 2002 reste très en deçà de l’année 2000. Les
exportations reposent essentiellement sur des tourteaux d’arachide, de l’huile brute
d’arachide, et de noix d’anacardier. La forte baisse de ces exportations en 2002 était due
d’une part ; à une faible production arachidière suite à une faible pluviométrie, d’autre part,
toute la production de noix d’anacardier destinée à l’exportation a été embarquée à partir du
port de Banjul en République de Gambie voisine, au lieu du port de Ziguinchor selon les
autorités portuaires.
Figure 11 Evolution du trafic total au port de Ziguinchor entre 1993 et 2002
80000
70000
60000
50000 importations
40000 Exportations
30000 Passagers
20000
10000
0
93
94
95
96
97
98
99
00
01
02
19
19
19
19
19
19
19
20
20
20
Page 184
le naufrage du Joola, le trafic maritime est un secteur en profonde léthargie.
Pour lutter contre les difficultés de liaison entre la Casamance et le reste du Sénégal,
l’Etat décide d’exploiter les couloirs maritimes. De part la mer, les conditions de navigation
sont assez favorables, ce qui avait suscité un vif espoir. Depuis 1991, est mise en place la
desserte Dakar-Ziguinchor-Dakar, grâce au bateau le Joola, éponyme de l’ethnie majoritaire
dans la région.
Le navire Le Joola fonctionnait à raison de deux allers-retours par semaine. Avec
l’apparition, sur la Nationale 4, des «coupeurs de route» qui obligent les véhicules à changer
d’itinéraire, ce bateau était un élément essentiel, sinon vital, des relations entre la région
méridionale et Dakar. Selon Jérôme Lombard (2003), «expression d’un lien économique et
politique entre le nord et le sud du pays, le Joola constituait un des rares équipements
octroyés par l’Etat pour l’intégration de la Casamance. Dans une région où le pouvoir
central n’a jamais réussi à régler les problèmes de fonds, ce navire était devenu, à la fois, un
objet délaissé et l’enjeu d’appétits multiples»
Le bateau Joola a été un succès et une véritable bouffée d’oxygène pour le sud du
Sénégal. La réussite, au début, encourage la mise à l’eau d’un autre bateau le «Kassoumay».
En cinq heures de temps, Ziguinchor est reliée à Dakar avec escale à Banjul. Cependant les
prix élevés (1200FCFA pour un aller simple en 1998) constituaient une forme de ségrégation
car c’était plutôt les hommes d’affaires ou les touristes qui pouvaient se permettre de
l’emprunter. Beaucoup de « fils » de la Casamance étaient exclus dans l’utilisation de ce
moyen de transport et une certaine frustration était visible. Après moins de trois ans de
circulation, le «Kassoumay» est arrêté faute de rentabilité et il ne restait plus que le Joola.
Ce bateau a créé une véritable économie aux alentours des ports de Ziguinchor et de
Dakar. L’agitation était perceptible les jours de départ car le bateau était vital pour l’économie
et les échanges entre la Casamance et le reste du Sénégal. Cependant le Joola du fait de la
sollicitation excessive dont il faisait l’objet, tombait souvent en panne. Il apparaissait aux
yeux des populations comme un moyen sûr de transport puisque c’est l’armée nationale qui se
chargeait de son exploitation. Par ailleurs, le Joola permettait de mettre fin aux tracasseries
administratives pour traverser la Gambie coupant ainsi à ce pays une bonne partie de ces
Page 185
rentrés financières.
Dans la nuit du 26 septembre 2002, le bateau sombre au large de la Gambie devenant
la plus grande catastrophe maritime de l’histoire avec plus de 1863 victimes, chiffre qu’on ne
peut qualifier de définitif car beaucoup voyageaient sans billet. Le navire avait une capacité
de 550 passagers, mais régulièrement, l’équipage laissait monter beaucoup plus de personnes.
Le chiffre de 2000 passagers est évoqué. Un véritable traumatisme a marqué ce dernier
voyage du bateau. En effet, la lenteur des secours fait que beaucoup de personnes sont mortes
prisonnières des eaux. Cette date coïncidait à la fin des vacances, de nombreux jeunes
lycéens, étudiants, footballeurs retournaient à Dakar pour la rentrée. Par ailleurs, sur les 1863
victimes, bilan officiel du naufrage, moins de 300 corps ont été retrouvés et inhumés pour la
plupart de manière anonyme dans quatre endroits du Sénégal et de la Gambie.
Au traumatisme né d’une longue guerre d’indépendance, se greffe le naufrage du
Joola qui assurait deux fois par semaine la desserte vers le reste du pays avec escale à l’entrée
de l’estuaire dans l’île de Karabane. La production de fruits, du bois, les produits de la pêche,
le commerce de l’huile ou de vin de palme…etc. se confrontent à une grave crise de
commercialisation étouffant de facto l’économie de la région.
Page 186
Conclusion
284.Les «bana bana» désignent très souvent les femmes très actives dans le commerce informel. Mais ce terme
s’utilise pour caractériser toute personne qui suit les marchés hebdomadaires pour faire du commerce. Du temps
du bateau le Joola, les femmes «bana bana» allaient à Kafountine pour acheter le poisson séché, les huitres afin
de les revendre dans le marché du port à Dakar.
285
Journal Sud Quotidien du 28 Septembre 2008 en ligne sur www.sudonline.sn consulté le 10 Octobre 2008
Page 187
touristique, pourvoyeuse immédiate de devises qui a été privilégiée.» (J.C Marut 2002)286
286
«Mondialisation, particularismes, lieux de pouvoir en Casamance » In l’Afrique Politique CEAN IEP
Bordeaux 2002, pp 269-284,
Page 188
TROISIEME PARTIE
Le déploiement des réseaux de
télécommunications à l’échelle régionale.
Page 189
Introduction
Le développement des TIC dans la région sera fortement influencé par ce qui
suit :
• une population plus rurale qu’urbaine
• un système éducatif qui laisse beaucoup de jeunes sans formation à cause d’un taux
d’échec scolaire élevé,
• une absence d’intégration des différentes parties du territoire morcelé par la densité
des réseaux hydrographiques,
• une population jeune et une croissance démographique importante qui peuvent être
analysées à la fois comme atout mais aussi comme handicap. Atout dans la mesure
où ce public jeune a grandi avec la société de l’information. Handicap, car l’absence
de possibilités d’accès peut exclure une large frange de la population et leur
permettre d’être des relais efficaces à la vulgarisation des TIC.
Page 190
Cette troisième partie est structurée en deux chapitres :
Le chapitre 6 : présente l’état des réseaux d’infrastructures de télécommunications
développées par la SONATEL dans la région de Ziguinchor. Un accent particulier sera
réservé à l’énergie qui est une des conditions essentielles pour accéder à certaines TIC. Ce
chapitre fait clairement ressortir les déséquilibres dans l’aménagement du territoire régional.
Les besoins sont immenses mais la géographie de la région présente des zones de l’estuaire
morcelées et difficiles à aménager pour permettre aux populations d’avoir convenablement
accès à des technologies aussi simple que le téléphone.
Le chapitre 7 : présente la couverture territoriale par les principaux équipements TIC
que sont la radio, le téléphone dans sa composante fixe et mobile et enfin Internet. Il ressort
cette fracture numérique qui se renforce en faisant de Ziguinchor, le seul espace qui bénéficie
réellement de la modernisation du réseau initiée par l’Etat et la Sonatel.
Page 191
Chapitre 6 : La diffusion des
Infrastructures de télécommunications dans
la région.
Notre question de départ porte sur les relations entre les réseaux de
télécommunications et les usages qui en sont faits par les populations de la région de
Ziguinchor. Comment peut-on qualifier le déploiement des réseaux de télécommunications
dans la région de Ziguinchor ?
Après les précédents chapitres qui ont montré les insuffisances de la région dans sa vie
de relation avec le reste du Sénégal, celui-ci a pour fonction de procéder à une analyse des
infrastructures de télécommunications afin de mesurer leur impact sur l’intégration du
territoire et leur capacité de mise en réseau. Nous présentons d’abord la situation énergétique
dans la région de Ziguinchor avant de parler de la répartition des infrastructures de
télécommunications.
Page 192
Une carence énergétique288 notoire règne en Casamance. Une bonne partie de la région
de Ziguinchor ne dispose pas d’un réseau électrique suffisant. Cette disparité dresse «un mur
entre deux espaces sur lequel viennent buter les échanges et les transferts de technologies en
faveur des secteurs, des régions ou des couches de populations les plus dépourvues à
l’origine, contribuant ainsi à renforcer leur cloisonnement et leur marginalisation dans
l’accès aux Tic.289»
L’électricité, a vu le jour en 1927 dans la région avec le premier gazogène de la ville
de Ziguinchor qui a fonctionné pendant un demi-siècle290. Aujourd’hui la production et la
distribution sont assurées par la SENELEC (Société nationale d’électricité) depuis 1974. Dans
les années 1980, pour diminuer la dépendance par rapport au pétrole, la SENELEC achetait
l’électricité à la SONACOS qui la fournissait à la ville de Ziguinchor en brûlant les sous
produits de l’arachide. Mais avec la désorganisation de la filière arachidière291, la principale
source de production de l’énergie actuellement au niveau de la centrale de Ziguinchor est le
pétrole.
Le parc de production du réseau interconnecté est composé des équipements de
l’unique centrale qui alimente les deux régions de Ziguinchor et de Kolda. Il s’agit de la
centrale de Boutoute, dans la périphérie de la ville de Ziguinchor. Elle assure la production, le
transport et la distribution de l’énergie grâce à l’extension de sa capacité à 5 mégawatts
réalisée en 1999. Ce réseau de distribution d’électricité est composé des réseaux moyenne
tension de 30 kV et de 6,6 kV. Selon le rapport 2004 de la DPS (Direction de la Prévision et
de la Statistique)292, le réseau a enregistré depuis 2000, une hausse significative de l’ordre de
7%. Cette hausse concerne principalement la ville de Ziguinchor et nécessite par conséquent
un développement mieux adapté aux besoins de l’ensemble de la population et de l’économie
de la région. C’est pourquoi une nouvelle ligne de 30Kv a été réalisée depuis 2000 sur l’axe
Ziguinchor-Kolda.
Au niveau régional, la production, à l’image du réseau, a enregistré des hausses dans
les départements de Bignona et d’Oussouye avec respectivement 70% et 64%293
d’augmentation. Les causes de cette augmentation se trouvent dans la reprise des activités
Page 193
touristiques au Cap Skirring, à Kafountine et les nombreuses auberges disséminées dans la
zone de l’estuaire. Selon le syndicat régional du tourisme de Ziguinchor, avec l’accalmie sur
le plan politique, les taux de remplissage des établissements touristiques sont au maximum
pendant 5 à 7 mois dans l’année. Ces établissements sont les plus gros consommateurs294 de
l’énergie produite par les centrales de la Senelec.
L’irrégularité et la mauvaise qualité dans la distribution de l’électricité sont les
principales contraintes structurelles du secteur. Pour atteindre ses objectifs au niveau régional,
la SENELEC met en œuvre depuis 2002 un programme d’investissements. La centrale de
Boutoute a été entièrement rénovée et un investissement de 300Millions de franc CFA a été
dégagé pour l’extension du réseau dans les grandes villes. Ce programme d’investissement a
pour principaux objectifs : de couvrir le maximum de quartiers non électrifiés, densifier la
grille électrique à l’intérieur des localités déjà électrifiées, limiter les pertes techniques
(déperdition d’énergie) et décourager les vols d’électricité.
Sur le tableau suivant (n°13, p 192) où sont représentés les taux d’électrification
urbaine des onze régions du Sénégal, Ziguinchor enregistre les plus faibles taux. La région est
devancée par des villes situées dans des régions aussi périphériques qu’elle : Tambacounda
(58,6% en 2005) et Matam (57,8% en 2005). Cependant, de gros efforts ont été faits pour
porter le taux d’électrification urbaine de 31,7% en 2000 à 51,7% en 2005 soit une
augmentation nette de 18,7% en 5 ans.
Mais ce tableau (n°13, p 192) masque de fortes disparités à l’intérieur de la région. Sur
60107295 ménages répertoriés, seuls 18485 sont abonnées à l’électricité avec une
consommation, dans l’ensemble, fort modeste.
294.Une étude sur l’énergie faite en 1987 sur l’énergie en Casamance par Annie Chéneau Loquay avait abouti au
même constat
295.Extrait du site : www.unfpa.sn/docs/recencement.rtf qui rassemble les résultats du recensement général de
la population en 2002.
Page 194
Tableau 13: Situation de l'électrification urbaine au Sénégal par foyer et par région en 2005 (Source
ASER)
Page 195
Le tableau (n°14, p192) nous donne la mesure des disparités à l’intérieur de la région.
L’essentiel de la consommation électrique est à usage privé. La SONACOS, principal
employeur industriel de la région est autonome en électricité. Les industries hôtelières du Cap
Skirring, dépendent de la SENELEC avec cependant des groupes électrogènes qui prennent le
relais en cas de délestages.
Les progressions au niveau des abonnés officiels montrent une administration très
présente dans le département de Ziguinchor qui enregistre une variation de 55,91% en cinq
années contre 38% au département de Bignona et 8% à Oussouye qui détient, une fois de plus,
les plus faibles taux départementaux.
Les privés représentent l’essentiel des abonnés de la SENELEC. Ceux-ci progressent
de 17,59% en cinq ans. Paradoxalement, c’est le département d’Oussouye qui enregistre les
plus forts taux avec 28, 1% de variation en 2004. Ce chiffre renseigne sur les efforts faits dans
ce département pour améliorer la couverture électrique. Le département de Ziguinchor avec
72,43% des nouveaux abonnés en 2004 est le plus électrifié de la région. En vérité, la ville de
Ziguinchor pèse lourdement sur ces statistiques. Cette ville accueille l’essentiel des nouveaux
migrants et continue de s’étendre. Les quartiers périphériques de Lyndiane, Kandé, Kénia
Kandialang Sud enregistrent un taux d’accroissement naturel de 6% en 2004. Ces quartiers
font partie de ce que la SENELEC désigne par «poches prioritaires d’électrification ». Par
contre, dans certains quartiers spontanés, comme au Sud de la ville, on continue de s’éclairer
à la bougie et à la lampe à huile, pour longtemps sans doute.
Les disparités à l’intérieur de la région sont aussi très énormes. Si la quasi-totalité des
villes et des circonscriptions rurales assez peuplées disposent de l’électricité fournie par la
SENELEC, la pénétration des énergies modernes dans des villages souvent isolés, à l’écart
des grands axes routiers est très faible.
Page 196
Figure 12: Evolution des abonnés à l'électricité par département entre 1993 et 2002 (Source Sénélec)
16000
14000
12000
10000 Ouusouye
8000 Ziguinchor
Bignona
6000
4000
2000
0
1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
Source : Agence Régionale de la Statistique et de la Prévision de Ziguinchor(2004)
Page 197
travaux entrent dans le cadre d’un vaste programme d’amélioration nationale de la couverture
en énergie électrique des 14000 villages du Sénégal.
Tableau 15: Situation de l'électrification rurale par région au Sénégal par foyers ruraux (Source ASER)
La distribution de l’énergie montre une fois de plus que le Sénégal est un territoire
marqué par des extrêmes. A l’image de la répartition démographique, la distribution de
l’énergie fait émerger un secteur sous équipé constitué par les régions périphériques. Sur ce
tableau, les régions de Ziguinchor, Kolda et Tambacounda enregistrent les plus faibles taux
d’électrification rurale. Ces faibles taux sont surtout dus au fait que les régions frontalières ne
sont pas sur le réseau interconnecté du Sénégal. Cette situation complique l’extension du
réseau à leur niveau. Pour résoudre le problème de la déforestation, l’ASER envisage
d’installer des panneaux solaires dans tous les villages inaccessibles par le réseau électrique
national.
Cette situation énergétique, ainsi décrite, caractérise le contexte de modernisation des
infrastructures de télécommunications dans la région de Ziguinchor.
Page 198
II - Les infrastructures de télécommunications : Etat des
lieux
Page 199
son cours normal.
Les travaux de l’automatisation du réseau de la région commencent en 1983. A partir
de cette date, les liaisons entre la région, le reste du Sénégal et l’extérieur sont assurées par la
mise en service d’un réseau de faisceaux hertziens. En 1992, un cap décisif est franchi avec la
visite du Pape Jean Paul II et l’organisation de la CAN (coupe d’Afrique des nations) de
Football dans la région. Pour réussir la couverture audiovisuelle et téléphonique de ces deux
évènements, la SONATEL a entrepris d’énormes investissements. L'axe de transmission
Kaolack-Ziguinchor de type numérique avec 480 voies a été mis en service. Ce système est
aussi le support actuel du téléphone portable ou GSM.
En 1999, la région de Ziguinchor profite du programme de fibre optique ZKT2296
d’une valeur de 6Milliards de francs Cfa. L’avantage de cette technologie très poussée est
d’offrir une grande fluidité du trafic car sur une boucle on peut faire passer 76
communications simultanées. Désormais, le dispositif de communication de la SONATEL
dans la région est composé :
Du centre des lignes réseaux de Ziguinchor, Bignona et Oussouye
Des divers centres de commutation dont les plus importants sont basés à Ziguinchor,
Bounkiling297, Bignona et Thionck Essyl
Des centres de transmissions, enfin plusieurs antennes relais téléphoniques, qui
permettent de fluidifier les communications, sont en cours d’installation dans les
villages inaccessibles pour compléter le maillage territorial. D’ailleurs ces antennes
relais servent aussi à la téléphonie mobile pour la filiale Orange de la société de
télécommunications.
296.Ziguinchor -Kaolack-Tambacounda
297.Administrativement Bounkiling est un arrondissement du département de Sédhiou dans la région de Kolda.
Mais sa proximité avec Bignona facilité l’utilisation des infrastructures de commutation pour faire passer les
communications de la région de Ziguinchor par cette centrale.
Page 200
II – 2 - Ziguinchor profite d’un programme de déploiement de la fibre
optique.
La fibre optique est l’épine dorsale de tout réseau de télécommunications grâce aux
artères à très haut débit de transmission qui la composent. Elle permet «de fluidifier les
communications, de démultiplier les intercommunications». La région est couverte sur trois
quart par une ceinture de câbles à fibres optiques mise en place juste après la numérisation du
réseau de transmission téléphonique en 1999. Ce programme de haut débit ouvre, encore plus,
le territoire de Ziguinchor sur les TIC.
En termes de capacité, le réseau de fibre qui dessert la région de Ziguinchor accroît
largement le potentiel de tout le Sud-ouest du Sénégal. Pour la mise en service de ce réseau, la
SONATEL a changé d’abord tous les équipements pour les adapter aux conditions
d’utilisation du réseau de câbles. De 4 fois 1024 voies de communication, la capacité dans
cette boucle est passée à 16 fois 1024 en 2005. Ce réseau de câble se prolonge suivant deux
principaux axes vers Dakar :
par la route du Sud : la boucle passe par Ziguinchor-Kolda-Vélingara-
Tambacounda-et Kaolack.
Un second réseau de boucle relie Ziguinchor à Kaolack par la transgambienne.
Cependant, la traversée du territoire gambien se fait par faisceau hertzien.
Depuis 2004, un projet de boucle internationale est en gestation entre le
Sénégal et la Gambie. L’objectif est de relier Vélingara à Banjul (la capitale
gambienne), en passant par la ville de Bassé. Comme pour les transports
routiers, le manque d’intégration politique entre les deux Etats se fait encore
sentir car la Gambie tergiverse par peur de voir le Sénégal décider des
conditions d’exploitation de cette fibre optique298. Pour éviter que la région ne
soit isolée en cas de crise avec la Gambie, le Sénégal a opté pour le
renforcement de la boucle de la route du sud pour au moins assurer le
298.C’est l’explication qui nous a été fournie par les responsables de la Sonatel rencontrés au cours de nos
enquêtes sur le terrain. Selon le directeur régional de la Sonatel, cette situation ne pose pas réellement des
problèmes car il y a cette possibilité de contournement de la Gambie. Cependant, l’avantage de la réalisation de
la boucle transgambienne permettrait de fluidifier la transmission de l’information mais aussi d’accroître la
capacité en lignes.
Page 201
«désenclavement numérique» de Ziguinchor.
Ce réseau de fibres optiques forme avec les faisceaux hertziens et les différents
centraux de commutation, et les BTS, les principales infrastructures de télécommunications
dont dispose la région de Ziguinchor.
Un autre projet est à l’étude pour étendre la boucle optique à la ville d’Oussouye.
Cependant à cause de la couverture végétale et des îles, dans la façade maritime de la région,
faire passer la fibre optique est parfois coûteux. La SONATEL préfère déployer le haut débit
par liaison hertzienne ou satellitaire. Depuis Juillet 2005, la station touristique du Cap
Skirring est couverte par l’Adsl grâce à la liaison hertzienne.
De l’aveu même de la cellule stratégie et communication de la direction régionale de
la SONATEL à Ziguinchor, jamais la demande en liaisons n’a été aussi élevée. C’est
pourquoi, malgré l’installation actuelle et programmée de la fibre optique, le renforcement de
la liaison satellitaire existante est plus que d’actualité. L’importance de la liaison satellitaire,
dans cet espace géographique hostile, est mesurée très tôt par la SONATEL. Au plan
international, la région accueille des infrastructures de transmissions satellitaires. Elles sont
déployées à Bignona, à Oussouye et au Cap Skirring. Les autres infrastructures qui
Page 202
complètent les faisceaux hertziens et les centraux de commutation, sont constituées des
réseaux STM1 de 155Mpbs/s à Oussouye et STM4 de 622 Mpbs/s à Ziguinchor.
299. Jusqu’en 1985, c’est cette structure qui gérait les communications à l’échelle nationale.
Page 203
Ziguinchor-Oussouye est supporté par un faisceau hertzien synchrone de la société Siemens,
capable de véhiculer 1890 communications avec deux canaux de transmission. Dans la
direction Oussouye-Cap Skirring, c’est un faisceau hertzien de type PDH moins performant
qui assure les liaisons.
«Le téléphone mobile connaît en Afrique un succès qui dépasse les prévisions les plus
optimistes300» écrit A. Chéneau Loquay en 2001. Pour Cheikh Guèye (2003), au Sénégal, si le
téléphone est la technologie qui a connu le développement le plus important « c’est sa
300.Annie Chéneau Loquay : «Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique». Netcom Volume 15, N°1-2
Septembre 2001
Page 204
composante mobile qui porte désormais l’essentiel de sa croissance ».
L’adoption de cette technologie s’inscrit dans une optique de modification des modes
de communication dans la société sénégalaise. En effet, le mobile semble s’être
convenablement intégré dans le quotidien des sénégalais. Il allie à la fois croissance,
dynamisme et innovation sur le marché du fait de la concurrence sur ce segment de marché
de télécommunications. Ce succès semble s’expliquer par le fait que la téléphonie mobile est
portée par la facilité d’acquisition et de conservation, l’effet de mode, la fascination et la
nécessité qui jouent de manière concomitante pour expliquer son boom. L’importance de
l’adoption du mobile par les populations sénégalaises est « avant tout une confirmation du
rôle grandissant du téléphone dans les relations sociales »301. Dans ce contexte, pour la
SONATEL, et la SENTEL, le second opérateur de téléphonie mobile, la couverture totale du
pays par le téléphone mobile est un impératif. Pour l’opérateur historique, le mobile doit
assurer aux zones rurales le saut de l’obstacle coûteux que constitue la mise en place d’un
réseau de téléphone filaire.
A Ziguinchor les deux opérateurs de téléphonie mobile, le label ORANGE pour la
SONATEL et TIGO pour la SENTEL, ont installé les dernières innovations technologiques
pour la téléphonie mobile afin de réduire les effets néfastes de la couverture végétale. Le
dernier opérateur de téléphonie mobile, la SUDATEL qui doit faire de la téléphonie fixe et
mobile sous le label EXPRESSO, n’a pas démarré ses activités. Ce que l’on sait est que cet
opérateur est actuellement en train de déployer son réseau dans tout le Sénégal. Les
informations dont nous disposons302 ciblent trois zones :
un BTS (boitier de transmission secondaire) Alcatel Evolium avec 3 secteurs et
90 circuits est installé à Ziguinchor. Sa puissance permet de couvrir toute la
ville et une partie des arrondissements de Niaguis et Nyassia dans la partie sud
du département
un BTS 60 avec 2 secteurs capables de véhiculer 45 communications dessert
Bignona, l’arrondissement de Diouloulou et une partie des zones enclavées de
l’estuaire.
Au sud ouest de la région, un BTS 60 avec 2 secteurs capables de véhiculer 45
communications est installé pour couvrir la station touristique du Cap
Skirring et la ville d’Oussouye.
Page 205
A ce jour, la Sonatel a installé 11 BTS fonctionnels. Elle prévoyait de mettre en
fonction 9 autres BTS avant fin 2007. Par ailleurs, il n’a pas été possible d’avoir le parc de
téléphones portables disponibles dans la région303. Cela s’explique par les formes d’usages du
téléphone mobile (quatrième partie) qui ne permet aux opérateurs de connaître réellement leur
nombre d’abonnés tant les logiques d’appropriation du téléphone sont particulières.
Le réseau téléphonique mobile est constamment saturé dans la région de Ziguinchor
(figure 13, p203). Cette région constitue avec Kaolack, et Diourbel le secteur où le réseau de
la SONATEL est constamment saturé.
Figure 13: Taux de saturation du réseau mobile Orange dans trois régions du Sénégal en Septembre 2007
Dans la région de Diourbel, les causes de la saturation peuvent s’expliquer par la forte
consommation du téléphone portable au sein de la communauté mouride de Touba qui l’a
considérablement intégré dans son mode de fonctionnement. A Kaolack, elle est aussi due à
303.Du fait du fonctionnement du marché de la téléphonie mobile en Afrique, il est toujours difficile d’avoir le
parc de téléphone mobile en utilisation. En effet, c’est le système de cartes prépayées qui est le plus utilisé. Or ce
système échappe totalement au contrôle des sociétés de téléphonie.
Page 206
une forte demande. Cependant, dans la région de Ziguinchor, malgré les infrastructures de
téléphonie mobile, les causes de la saturation sont liées à la couverture végétale qui réduit
considérablement le rayonnement des BTS. Pour lutter et atténuer les effets de la couverture
végétale, les 9 autres BTS prévus pour 2007, devaient être installés aux extrémités des
faisceaux hertziens.
Par ailleurs, avec la modernisation de l’offre technique, les couvertures ORANGE et
TIGO jusqu’ici restreintes dans les limites communales des capitales départementales
(Ziguinchor, Oussouye, Bignona) et dans la partie touristique du Cap Skirring se sont
considérablement améliorées. La convergence créée entre l’amélioration de la téléphonie
filaire et celle de la téléphonie mobile confère une dimension particulière à l’utilité du
téléphone dans cette partie du Sénégal qui s’ouvre par le biais des infrastructures au reste du
pays. Le téléphone mobile, (Chapitre 9) s’est rapidement imposé comme une modalité
efficiente et efficace pour surmonter les carences de la téléphonie filaire dans la région de
Ziguinchor.
Les premières connexions Internet dans la région remontent à la fin de l’année 1996.
Comme dans les autres régions du Sénégal où les capitales régionales ont accédé à Internet
via la ligne téléphonique de la SONATEL ; la connectivité régionale était essentiellement
limitée à la ville de Ziguinchor. En 1997, le lien Internet est porté à 64Kpbs. Cette connexion
par RTC (réseau téléphonique commuté) ne permettait pas de débits satisfaisants (64Kpbs)
notamment quand cette liaison était partagée avec d’autres utilisateurs. La médiocrité du
réseau autorisait uniquement de télécharger le courrier électronique à cause de la lenteur de la
navigation.
Depuis 2004, les débits se sont considérablement améliorés. Grâce à la boucle optique
le débit actuel est porté à 1,24 Gbits aboutissant à une véritable révolution avec la banalisation
de l’Adsl. Malheureusement, seules les villes de Bignona et Ziguinchor disposent de cette
infrastructure Adsl. Pour des localités d’Oussouye et du Cap Skirring, des solutions
Page 207
techniques innovantes ont permis à ces zones d’accéder à cette technologie grâce à la liaison
hertzienne depuis Ziguinchor. Dans le cadre du Projet d’Appui au désenclavement numérique
(ADEN) initié par la mission française de coopération dans le village de Coubanao (Chapitre
10), cette solution technique a permis de connecter le centre à Internet grâce au déploiement
de la technologie CDMA (Code Division Acces).
Malgré tout, la région de Ziguinchor présente de fortes inégalités spatiales dans l’accès
à Internet. Dans ce territoire enclavé où l’habitat est essaimé sur de vastes étendues, il existe
énormément de zones sans possibilité d’accès à Internet. C’est tout un émiettement auquel on
assiste même dans les villes qui peuvent avoir une connexion Internet. Des îlots se
singularisent par rapport aux «déserts numériques» constitués principalement par les zones
enclavées de l’estuaire. Pour qu’Internet puisse permettre à ces populations rurales de
transcender les frontières géographiques et sociales, d’importantes améliorations doivent être
apportées dans la couverture territoriale par des infrastructures de hautes qualités
technologiques à des coûts d’accès relativement abordables. C’est cette option que la
SONATEL semble choisir en voulant faire du CDMA (Code Division Multiple Access), une
alternative crédible pour développer aussi bien le téléphone qu’Internet en milieu rural.
Page 208
de l’information. En plus, elle permet de couvrir des espaces étendus avec moins de coûts et
peu d’infrastructures. Selon Saïdou Dia (2002)304 « la radiodiffusion a trouvé au Sénégal des
conditions d’adaptation exceptionnelles qui lui permirent de s’imposer, au fil des années, à la
fois, comme le moyen d’information et de communication le plus populaire, mais aussi, à
cause de l’oralité de la société, comme le support moderne d’expression culturelle préféré des
populations ».
Après l’indépendance du Sénégal, ce média de masse va être largement mobilisé au
nom de «l’unité nationale ». La radio fut progressivement investie d’un ensemble de
«missions» liées aux divers enjeux politiques, économiques et culturels qui ont jalonné
l’évolution du Sénégal. Il n’est pas étonnant donc que la couverture radiophonique du
territoire national soit devenue un enjeu stratégique. Le jeune Etat, nouvellement indépendant
va multiplier l’installation des émetteurs afin que le maximum de populations sénégalaises
puisse accéder à une information «contrôlée et verrouillée». Ce développement touchant les
couches populaires confirme l’importance primordiale de la radio comme moyen majeur
d’information et d’éducation des populations. Dans certains travaux (Saidou Dia 2002,
Guignard 2007), cette orientation est une réponse pour éviter dans certains cas que les
populations des zones frontalières s’orientent vers les médias transfrontaliers.
La radio arrive dans la région de Ziguinchor en 1961 avec l’antenne de l’office des
radios et télévision du Sénégal (ORTS). Une information accessible à tous les citoyens, dans
toutes les localités et dans toutes les langues de la Casamance est produite. D’ailleurs selon la
RADDHO305, cet instrument a beaucoup joué dans la construction d’une «identité
casamançaise». En effet, l’Abbé Diamacoune, chef historique du Mfdc, en tant qu’animateur
d’une émission culturelle dans cette radio, fustigeait et critiquait la politique du gouvernement
sénégalais dans cette région. Son émission, toujours selon la même source, était des plus
suivies par les populations. Ce rappel anecdotique est pour renseigner sur le rôle de support
moderne d’expression culturelle de cet outil de proximité dans les zones rurales.
De 1960 à 1994, la chaine nationale sénégalaise (RTS) est restée en situation de quasi
monopole dans la diffusion de l’information et la production d’émission à l’échelle nationale.
Selon André Jean Tudesq306, la chaine nationale sénégalaise a été un outil pour contenir
certaines revendications des masses rurales et a contribué à forger et maintenir une identité
nationale sénégalaise. Dans la région de Ziguinchor, et ceci avant la libéralisation des ondes à
Page 209
partir de 1994, les radios étrangères étaient aussi captées par les populations. Il s’agit de la
Radio France internationale (RFI), et la British Broardcasting Corporation (BBC) mais aussi
les radios des pays frontaliers de la Guinée Bissau et de la Gambie. A partir de 1994, la
multiplication des radios FM, des radios communautaires ou associatives, et les émissions en
langues locales, constituent le véritable tournant dans la diffusion de l’information de toutes
sortes.
Cependant, malgré la volonté de l’Etat, ce n’est ni les BTS, ni les centraux de
commutation, ni les faisceaux hertziens qui vont réussir l’intégration de la région par les
télécommunications. Le véritable choix technologique performant en matière de
télécommunications, en dehors du processus de numérisation, est le déploiement du réseau de
fibre optique. Cette modernisation traduit la volonté de l’Etat du Sénégal de développer une
infrastructure de qualité dans cette partie du pays.
Page 210
Conclusion
La SONATEL a fait de l’accès universel sa priorité absolue dans le développement
des infrastructures de télécommunications au Sénégal. Selon, d’ici 2015, chaque sénégalais
doit pouvoir disposer «d’un service minimum consistant en un service téléphonique d’une
qualité spécifiée à un prix abordable » (le code des télécommunications, article 2 de la loi n°
2001-15, décembre 2001).
Cet objectif de service universel, est pour l’heure difficile à réaliser dans la mesure où
l’essentiel des moyens de communication et d’information est concentré dans la ville
principale, la capitale en particulier. En effet, la région de Ziguinchor est un territoire au
caractère rural affirmé. Le seul véritable pôle urbain est Ziguinchor. Bignona et Oussouye
sont plutôt des villes moyennes sans attrait pour l’investissement. Entre celles-ci, se
singularisent des différences d’infrastructures énormes qui font de Ziguinchor (161530 hab en
2004), le seul véritable centre urbain de la région, capable de rivaliser avec les autres villes du
Sénégal.
Et pourtant, toutes les personnes rencontrées, au cours de nos différentes étapes de
terrain, sont conscientes que les TIC participent à la facilitation des échanges, autorisent un
accès rapide à l’information, permettent d’abaisser les charges de communication. Les enjeux
économiques, politiques et culturels des TIC sont très bien cernés. Cependant, l'accès et
l'utilisation des TIC dans la région de Ziguinchor, sont limités par divers problèmes : capacité
limitée en ressources humaines, infrastructures inadaptées dans certaines zones rurales et
surtout l’enclavement géographique. La particularité de cette région est son isolement et son
enclavement. Deux facteurs d’exclusion qu’une situation de conflit armé a aggravé.
Page 211
Chapitre 7: La répartition spatiale des
équipements à l’échelle locale
307. Flichy Patrice : «L’innovation technique. Récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle
théorie de l’innovation » Paris Edition la découverte, 2003.
Page 212
populations qui «n’accèdent» pas aux TIC seraient celles qui accumuleraient le plus de
«déficits sociaux» (faibles niveaux de formation, de revenus …) et celles qui habiteraient sur
des territoires non maillés correctement par les réseaux d’infrastructures.
Au delà, du téléphone et d’Internet, la radio et les services postaux et financiers, sont des
secteurs d’appui à la production dont les processus de développement sont à prendre en
compte.
Page 213
I- La poste s’essouffle, les services financiers sont sous
représentés
Page 214
services et produits postaux. En même temps, ce bouleversement technologique a suscité des
besoins nouveaux, et ouvre de nouvelles perspectives. L’instrumentalisation du téléphone et
surtout de la télécopie dans les différentes opérations en est l’un des exemples les plus précis.
A chaque émission de mandat, le téléphone sert de lien pour avertir le destinataire de l’envoi
effectué afin qu’il puisse procéder à son retrait dans les plus brefs délais.
Pour désenclaver sensiblement la région la poste ouvre progressivement son marché
dans les îles de l’estuaire. Elle introduit un service public de proximité. Selon sa direction
régionale, dans certaines zones, les chefs de villages sont mis à contribution pour redistribuer
les courriers aux destinataires moyennant une certaine rétribution. Mais le service universel
postal, en partant des principes directeurs retenus par l’Union Postale Internationale (UPI),
qui défendent et sauvegardent le droit à la communication de chaque citoyen, est loin d’être
réalisé dans cette partie du Sénégal malgré l’implication de nouveaux acteurs.
Dans cet objectif d’intégration nationale de la région de Ziguinchor, ce que les
autorités administratives n’ont pu réussir par le service universel postal, elles parviennent tant
bien que mal à le faire par la radio et la télévision pour asseoir l’unité, l’identité et la
souveraineté nationale dans cette partie que les velléités de séparation ont complètement
minées.
Des radios pour traiter des sujets et des actualités à vocation régionale
311. Abdoulatif Coulibaly (2003) : «Les nouvelles technologies de l’information et de la communication et les
personnels des médias» In Le Sénégal à l’heure de l’information : Technologies et société. Karthala. UNRISD.
2003, pages 145-165.
312.
En juillet 1994, l’Etat sénégalais autorise l’arrivée dans le paysage de cette radio. Son succès explique
l’ampleur que le mouvement a connu car on dénombre, pas moins de 57 radios Fm et communautaires en 2003
Page 215
privée du Sénégal, ouvre une antenne dans la région sous la dénomination de SUD info
Ziguinchor. Un an après (1999), c’est autour de la radio DUNYA Fm de s’y installer.
Pratiquement, toutes les grandes chaines privées nationales ont une station relais dans le Sud :
WALF Fm Ziguinchor, mais aussi la RTS qui s’est mise sur la bande FM. Pendant la journée,
elles font des émissions locales et cinq fois en moyenne par jour, elles sont synchronisées
avec la maison mère pour les informations nationales, internationales et les avis et
communiqués. L’arrivée en masse des radios privées et la concurrence qui s’en est suivie ont
favorisé les journaux en langues locales. L’auditeur en zones rurales n’a plus besoin
d’attendre l’arrivée probable d’un parent venu des zones urbaines pour accéder à une
information souvent parcellaire.
C’est la multiplication des radios communautaires et associatives qui a fini par
parachever l’équipement du territoire régional par les ondes. Selon l’Institut PANOS de
Dakar, la véritable décentralisation de la communication au Sénégal est donnée par les radios
communautaires. Celles-ci, se construisent dans le quotidien des populations des zones
pauvres, pas ou peu instruites, souvent isolées et marginalisées. Nées le plus souvent par le
biais de la coopération internationale, ces radios sont devenues la véritable source
d’information populaire des zones rurales. Les radios communautaires sont peu coûteuses,
faciles à utiliser, et touchent toutes les couches de la communauté par l’usage des langues
locales. Elles assurent l'information, l’éducation, le divertissement, et servent de plateforme
pour la discussion et l'expression culturelle. Elles ont la particularité de prêter la parole aux
populations locales qui peuvent donner leur avis sur la gestion de leur collectivité. Comme
moyen de communication de base, elles maximisent les possibilités de développement issues
du partage d'information, des connaissances et d’aptitudes existant déjà au sein de la
communauté.
L’émergence des radios communautaires a favorisé celle de la parole, surtout en
milieu rural. «Ces radios fournissent une information locale produite par les gens du terroir»
(PANOS). Les journalistes ou animateurs descendent sur le terrain pour aller à la rencontre du
public. Plus que partout ailleurs, le contexte de la région confère aux radios communautaires
un rôle majeur au service du développement à la base. En effet, cet espace se caractérise par
un niveau de pauvreté élevé, un taux d’analphabétisme important, et un environnement
socioculturel cosmopolite.
Cette proximité donne au paysan, longtemps délaissé par les radios nationales ou Fm,
au Sénégal.
Page 216
une certaine reconnaissance. Dans une récente étude sur les radios communautaires, l’institut
PANOS rapporte, à propos de la radio AWAGNA à Bignona, «la radio émet en langue Diola,
parle des problèmes rencontrés par cette partie de la population sénégalaise et, partant, sert
de relais à sa culture.» Le rôle des radios est aussi déterminant dans la lutte contre
l’analphabétisme, les maladies sexuellement transmissibles, que dans lutte contre la
dégradation de l’environnement et les ressources naturelles dans un contexte où l’agriculture
de bas fonds et de mangroves est confrontée à un processus de salinisation des terres. Face à
ces questions d’importance, les radios communautaires ont un rôle essentiel à jouer
puisqu’elles sont les seules en mesure de développer une pédagogie adaptée, utilisant les
langues locales pour permettre aux populations d’en décrypter les enjeux.
313.Ce chiffre est une moyenne car la radio communautaire mandingue qui émet depuis Adéane ne couvre pas
plus de 60 Km de rayon d’action.
Page 217
Education qui a installé six autres radios communautaires dans toute la Casamance. Ces
radios qui émettent en moyenne 10 heures par jour, choisissent des plages horaires pendant
lesquelles les principaux auditeurs sont libres pour les écouter : l’après midi, après la fin des
travaux champêtres pour le paysan, la nuit avec le retour de l’éleveur à la maison, tôt le matin
quand la bonne ménagère a un peu de temps libre avant de partir au marché.
Ces radios qui se reconnaissent volontairement paysannes, jouent un rôle important
dans la consolidation de la paix en Casamance. Elles assurent un rôle inestimable dans la
coexistence pacifique entre les différentes cultures. Cette référence au rôle pacificateur n’est
pas anodine. «En donnant à tous l’opportunité de s’exprimer, elle désamorce les différends
qui pourraient naitre de frustrations et de rancœurs accumulées dans le silence.» (PANOS)
Dans une région aux velléités séparatistes, la couverture radio présente des enjeux
politiques énormes car en permettant aux populations de ces zones rurales d’accéder aux
mêmes informations que les autres régions du Sénégal, l’Etat leur rappelle qu’elles font partie
intégrante du territoire sénégalais. Ainsi donc, ces radios accordent une priorité absolue aux
langues locales et offrent une alternative crédible aux émissions diffusées en français ou en
anglais par les stations internationales de la RFI et de la BBC. Elles participent à la
construction d’un territoire intégré dans l’ensemble national sénégalais grâce aux ondes
radiophoniques.
Contrairement à la couverture radiophonique, celle de la télévision est très
problématique à cause de la couverture végétale et surtout de la lancinante question de l’accès
à l’électricité. Seuls les principaux centres urbains et les localités électrifiés en milieu rural
reçoivent directement la télévision sénégalaise et les chaines privées émettant depuis Dakar.
Page 218
III- Le téléphone, un accès plutôt urbain
Le téléphone existe dans la région depuis l’époque coloniale. Mais la grande majorité
de la population n’a pas accès à cette technologie pour diverses raisons. Jusqu’au début des
années 1960, seule l’administration et les grandes compagnies commerciales disposaient d’un
accès effectif au téléphone. C’est à partir de 1974 que les abonnements privés au téléphone se
sont développés avec le passage de la commutation du manuel au semi-automatique. En 1985
avec la création de la SONATEL, la commutation devient automatique. Le véritable
catalyseur performant de l’extension du réseau de téléphonie sera la SONATEL tout au début
des années 1990. La modernisation des dispositifs techniques, permet de nouvelles vagues de
raccordements qui s’enchaînent à la fin des années 1980 pour toucher pleinement le milieu
rural au début des années 2000. Cette progression des abonnés est la conséquence de la
libéralisation du secteur des télécommunications314 qui a introduit de nouvelles politiques de
développement du secteur. Le parc téléphonique connaît une véritable croissance avec la
multiplication des télécentres publics dans l’espace régional à partir de 1995. Aujourd’hui la
majorité des accès téléphoniques surtout en milieu rural se présente sous forme de télécentres.
En même temps le parc privé s’améliore et de très grands projets voient le jour pour améliorer
considérablement l’accès dans les zones enclavées avec le déploiement de la technologie
CDMA pour la première fois par la Sonatel dans la région de Ziguinchor. Le tableau suivant
donne à titre comparatif avec le reste du Sénégal, des indicateurs de taille sur le
développement du téléphone dans la région de Ziguinchor.
314
Cf Chapitre 3.
Page 219
Tableau 16: Evolution des abonnés au téléphone au Sénégal de 1993à 2004
Ce tableau (n° 16, p217) retrace l’évolution du téléphone au Sénégal de 1994 à 2004.
Pour les données de l’année 2001, nous avons eu du mal à obtenir des informations. Au
niveau de la Sonatel, la raison évoquée tient au fait que, par suite de restructuration et de
redéploiement des services, certaines informations sont parcellaires. L’autre problème majeur
est que la SONATEL ne tient pas compte du découpage administratif du Sénégal qui compte
onze régions. Au niveau de l’entreprise de télécommunications, c’est par secteur que les
données sont élaborées. Donc, suivant ce découpage, la région de Fatick est intégrée dans le
secteur de Kaolack, Matam dans Saint-Louis enfin Kolda dans Ziguinchor et Tambacounda.
Donc sur ce tableau, le centre de Ziguinchor renferme certaines données de la région de
Kolda. Leur analyse nous donne un aperçu général sur le téléphone dans cette région naturelle
du Sénégal. Les seules données disponibles et qui traitent exclusivement de la région
administrative de Ziguinchor couvre la période 2001 à 2004.
L'évolution des écarts entre les régions est très irrégulière et atteste du dynamisme des
régions du centre ouest du Sénégal (Diourbel315 se classant second pôle téléphonique du
Sénégal en seulement cinq ans). Toutes les régions du Sénégal ont connu une croissance
régulière sur la décennie 1994-2004. Le centre de Ziguinchor arrive en avant dernière position
avec 8209 abonnés devant la région de Tambacounda qui totalise 6001 abonnés. Au moment
315
.Le géographe Cheikh Guèye a pu l’expliquer par le poids que la ville sainte de Touba a dans la région. Pour
toute référence cf bibliographie.
Page 220
où des régions, très mal classées pour tous les autres indicateurs de développement ont pu
doubler ou tripler leur nombre d’abonnés, la région de Ziguinchor se caractérise par sa
faiblesse en nombre d’abonnements téléphoniques. Les régions les moins dotées en téléphone
fixe sont celles qui sont situés dans les zones frontalières du sud et du sud-ouest du Sénégal.
Cette situation est symptomatique de toutes les zones frontalières africaines où des études ont
montré qu’elles sont parmi les dernières à être touchées par l’innovation316. Ce cumul de
distorsions entraîne un décalage avec les autres régions du Sénégal. Elles sont encore plus
marquées à l’intérieur de la région comme nous l’atteste la répartition des abonnés fixes par
départements.
La télédensité à l’échelle régionale est de 13,9 lignes pour 1000 habitants alors que le
taux de raccordement dans la ville de Ziguinchor est de 48,01%. Ce qui illustre bien la
difficulté à opposer les villes capitales régionales, symboles de la modernité et les autres
localités d’une même région dépourvues d’un accès suffisant au téléphone fixe. En réalité,
l’accès au téléphone fixe est un phénomène essentiellement urbain comme il en est aussi pour
l’Internet. Il existe de fortes distorsions entre les villes et les campagnes où les rares localités
connectées par le réseau filaire sont des chefs lieux d’arrondissement ou de communautés
rurales. Cependant à partir de 2003, on note une augmentation exponentielle des abonnements
au téléphone. Plusieurs facteurs permettent, d’expliquer cette importante évolution des taux
de raccordement. Le réseau filaire a vu sa capacité en lignes s’améliorer constamment dans
tous les départements de la région. Pour précision, la capacité en lignes est le nombre de
raccordements possibles sur une centrale. Elle est différente de la capacité équipée qui renvoie
316.
Cf les travaux de Camille Lancry sur Sikasso et Alain François Loukou sur la Côte d’Ivoire.
Page 221
au taux d’occupation. A la fin de l’année 2004, la capacité en ligne équipée pour toute la
région est de 6494 lignes pour un taux d’occupation régional de 36% alors que la capacité
raccordée représente environ 86% de la capacité équipée. Cette amélioration de la capacité
équipée a permis de satisfaire les demandes en instance dans la ville de Ziguinchor et des gros
bourgs ruraux du département de Bignona comme Diouloulou, Thionck Essyl et Kafountine.
Page 222
expressions et dans leurs modes de communications toujours soumis aux limitations de
l’espace et du temps317». En outre, Oussouye est le seul département de la région où la fibre
optique est absente. La modernisation du réseau n’y a pas atteint son caractère optimal.
L’autre facteur d’enclavement, en dehors de l’infrastructure, repose sur les coûts
pratiqués par la Sonatel. Ceux-ci sont dissuasifs pour ces zones où la principale source de
revenu est la pratique de l’agriculture. En effet, si en milieu urbain pour avoir le téléphone, il
faut débourser 39510 FCFA318, en milieu rural du fait de l’absence de proximité de
l’infrastructure de téléphonie, le prix du raccordement téléphonique est fixé à 134099 FCFA.
317.Nyamba A (2000) « La parole du téléphone : signification du téléphone chez les Sanan du Burkina
Fao » (Dir) Annie Chéneau Loquay « Enjeux des Technologies de la communication en Afrique. » Editions
Karthala, Paris.
318.Ces chiffres sont tirés du rapport de Direction de la prévision et de la statistique sur l’état socio économique
de la région de Ziguinchor publié en Juin 2004. 1euro équivaut à 656 FCFA en moyenne.
Page 223
Ces investissements répondent au souci de la SONATEL de maximaliser l’exploitation du
potentiel du marché touristique de ces deux zones. C’est également une manière pour
l’entreprise de téléphonie de s’appuyer, après quelques années d’exploitation, sur les
infrastructures développées pour étendre l’expansion de son réseau vers les autres zones
touristiques de l’estuaire avec la saturation de ces deux stations du Cap Skirring et de
Kafountine.
Paradoxalement, Ziguinchor, Louga, et Tambacounda, sont les régions du Sénégal, où
les résiliations d’office pour défaut de non paiement des factures téléphoniques sont les plus
faibles du comme l’atteste le tableau (n° 20, p 221) suivant :
Tableau 20: Etat des Résiliations pour défaut par centrale de paiement des lignes fixes de 2001 à
2004
Page 224
III-1- Tendances actuelles de la téléphonie filaire
La répartition de la téléphonie fixe suit celle de la population. Le tableau (n° 22, p 222)
suivant établit les prévisions de la demande de raccordement entre 2002-2005. Elles ont été
établies dans le cadre du plan d’équipements par les fournisseurs pour les localités urbaines.
Pour les villages, ce sont les conseils ruraux qui ont défini les priorités pour équiper leurs
localités. Ces informations sur les demandes en instance permettent de saisir les tendances.
Entre 2002 et 2005, les demandes en instance n’ont cessé d’augmenter passant de
5082 à 6794 soit 13.36% de plus pour toute la région. Ces chiffres attestent d’un besoin en
téléphone exprimé par les populations.
Page 225
localités ciblées, 22 sont situées dans le département de Bignona et 12 à Oussouye. En 2003,
seules 5 localités du département de Ziguinchor ont été raccordées. Enfin en 2004, 24
localités l’ont été dans le département Bignona.
Il apparaît que les plans de dotations en infrastructures élaborés par la SONATEL
veulent corriger les déséquilibres entre les différents départements. Avec les pouvoirs
renforcés des collectivités locales, le conseil régional de Ziguinchor, selon son secrétaire
général319 veut que «sur le territoire régional, chaque citoyen puisse accéder à l’information
et en donner grâce à la multiplication des accès au téléphone sans se déplacer sur plusieurs
kilomètres.» A ce rythme d’extension de la capacité de raccordement des centrales
téléphoniques, la Cellule Planification de la SONATEL estime que «d’ici fin 2009 toutes les
prévisions seront réalisées pour réduire les écarts entre la région de Ziguinchor et le reste du
pays».
Cependant le bilan de la téléphonie rurale montre que les objectifs, ainsi définis, sont
loin d’être atteints.
Page 226
suite à l’accord cadre entre le gouvernement sénégalais et la SONATEL. Un investissement
de 13milliards 987 FCFA a été dégagé pour équiper avant fin 2005 les 431 villages cibles322
de la Casamance et participer au désenclavement des zones rurales.
Toutefois, il existe une précision de taille qu’il faut faire : la perception que nous
géographes, avons du terme rural est très différente de celle de la société de
télécommunications. Pour la SONATEL c’est la capacité de raccordement offerte par la
technologie utilisée qui permet de classer les zones en rural ou urbain. Dans le jargon de la
société toute zone équipée de la technologie du SR 500323 dont la capacité ne dépasse pas 30
possibilités de connexions, fait partie du secteur de la téléphonie rurale. Et pour les zones
urbaines, c’est le concentrateur numérique éloigné (CNE) d’une capacité de 250 à 500
connexions qui est utilisé. Or, dans la région de Ziguinchor, des localités qui répondent aux
critères géographiques de milieu rural sont équipées par cette technologie. Il s’agit entre
autres des sites de Kafountine, Diouloulou, Sindian, Thionck Essyl.
Dans le cadre de l’élaboration de son programme régional de développement intégré
(PRDI), le conseil régional de Ziguinchor a bien défini les priorités pour l’accès au téléphone
en milieu rural. Le tableau (n 23, p 225) suivant est un résumé succinct des obstacles au
développement du téléphone en milieu rural. En même temps des hypothèses de
développement sont élaborées. Ce tableau ne renferme pas l’ensemble des problèmes et
solutions pour le téléphone en zone rurale. Cependant, il donne des indicateurs sur la situation
dans les communautés rurales de la région de Ziguinchor.
322.Ce programme concerne aussi des villages situés dans la région de Kolda car n’oublions pas que le centre
de Ziguinchor est aussi responsable du secteur de Kolda. Dans la région de Ziguinchor, seuls 63 villages sont
concernés par ce programme.
323.SR 500 est un type d’équipement qui permet de faire que de petite connexion. Cette technologie est
développée par une entreprise Canadienne.
Page 227
Tableau 22: Tableau de synthèse des contraintes et des hypothèses
de solutions pour le développement des réseaux téléphoniques
En fonction de ces critères, la nouvelle vision de la téléphonie rurale dans cette partie
du Sénégal est basée sur un programme de développement suivant trois axes :
La SONATEL, répète à l’envie le poids des investissements fixes pour raccorder les
villages dispersés du Sénégal. Dans la région de Ziguinchor, les localités situées le long des
axes routiers et de la boucle optique sont les premières zones concernées par cette politique de
développement de la téléphonie filaire. Il y a une corrélation très étroite entre l’accessibilité
physique, la répartition de la population et l’équipement des localités en réseau de téléphonie
filaire. Le département de Bignona mieux desservi par les voies de communication secondaire
est le principal bénéficiaire de cette politique. Viennent ensuite, les villages au Nord Ouest de
l’Estuaire (Kafountine), ceux des zones frontalières à la Gambie et à la Guinée Bissau. Ces
localités ont la particularité de figurer par les zones rurales les plus peuplées de la région
(Kafountine 4203 habitants, Diouloulou 2725 habitants, Nyassia 6186 habitants) en 2006324,
En outre ce sont les secteurs les plus dynamiques en matière d’échanges économiques. En
témoigne les nombreux marchés hebdomadaires où les «bana bana» viennent échanger des
produits de la pêche, de l’huile de palme et de contrebande venus des pays limitrophes.
Pour équiper ces zones, la Sonatel utilise la technologie «point multi point». C’est un
procédé très simple. A partir d’un village cible, les villages équipés en station terminale sont
324
Source PEPAM (Programme d’eau potable et d’assainissement du Millénaire) élaboré par le gouvernement
sénégalais.
Page 228
connectés suivant une architecture étoilée. Mais cette technologie a ses limites qui sont pour
la plupart du temps liées à son coût. Pour chaque village cible, l’investissement revient au
minimum à 40 Millions de F CFA sans parler des charges d’entretien. Pour que cette
technologie soit rentable, il faut au moins 30 à 40 abonnés par village mais la plupart du
temps, le nombre de raccordements ne dépasse pas 10 abonnés par site. Et le plus souvent
c’est l’exploitant du télécentre villageois qui est le principal abondé.
Bien que très coûteuse, cette technologie a permis de désenclaver significativement
certaines localités du territoire régional jusque dans certains villages très reculés par rapport
aux principaux axes routiers. L’argument de rentabilité est brandi par la SONATEL pour
justifier les difficultés à déployer le réseau filaire dans la région de Ziguinchor. Pour éviter
des coûts de revient élevés, la SONATEL développe depuis quelques années la technologie
du téléphone fixe sur GSM (Global System For Mobile Communication)
Page 229
la SONATEL.
Pour l’accès public, la société de télécommunications a fait installer des cabines
téléphoniques GSM marchant au solaire où à l’électricité dans certains villages qui en
disposent. Celles-ci sont directement gérées par des associations villageoises, par des
groupements d’intérêt économique ou par de simples exploitants. Ces cabines marchent avec
des cartes à 120 unités. Elles fonctionnent dans le style des télécentres. Après chaque
utilisation des 120 unités de communication, le gérant fait recharger sa carte auprès de la
SONATEL. Pour la société de téléphonie, ce mode de gestion permet de ne pas revivre
l’expérience des cabines publiques à la fin des années 1980. En effet, des cabines à pièces
étaient dispersées sur l’ensemble du territoire. Mais leur gestion s’est révélée très coûteuse
avec les nombreuses dégradations qu’elles subissaient à chaque manifestation de colère325.
Bien que ces cabines fonctionnant sur le modèle du GSM, ait démontré leur utilité,
cette solution n’a pu combler l’énorme vide en matière d’accès téléphone dans les zones
rurales. Dans la communauté rurale de Balinghore, qui dispose pourtant de cette technologie,
le fixe sur GSM y est inexploitable, faute de réseau, surtout les week-ends. Ce cas n’est pas
totalement isolé. Pour pallier à ces désagréments et atteindre son objectif de service universel,
la SONATEL va pousser l’innovation en introduisant la téléphonie rurale grâce à la
couverture par CDMA.
Cette technologie, très développée en Amérique latine dans les favélas où les
conditions d’accès sont très difficiles, s’adapte particulièrement dans ce milieu géographique
hostile. Très peu couteuse pour son déploiement, (2 à 3 Millions pour couvrir une zone de 30
Km), il suffit de disposer d’un téléphone fixe spécifique qui ressemble au GSM. En fonction
du BTS (technologie du cellulaire) qui dessert son lieu de domiciliation déclarée lors de la
souscription du téléphone, l’abonné est connecté et peut utiliser son téléphone sur un rayon de
15 Km. Au-delà, la connexion devient impossible. Selon, Babacar Ndour326 : «grâce à cette
325 C’était surtout le cas des cabines de Dakar en 1988. Ces émeutes ont notamment permis à la Sonatel de
remettre en cause le fonctionnement des cabines téléphoniques.
326.Il est le responsable du réseau de téléphonie rurale au sein de la Sonatel. Entretien en date du 18 Septembre
2007 au siège de la dite entreprise au quartier de la Médina.
Page 230
technologie, certaines zones rurales de la Casamance inaccessibles par la route auront accès
au téléphone avant fin 2007. Les perspectives de la téléphonie rurale au Sénégal passeront
inéluctablement par la généralisation de cette technologie que la SONATEL envisage
d’ailleurs de développer partout. » Le projet pilote de la technologie CDMA (Code Division
Multiple Access) a été déroulé pour la première fois dans les zones de Dakar, Foundiougne,
Touba, Ziguinchor, Tambacounda et Saint-Louis.
Dans son rapport annuel de 2006, la SONATEL révèle que les résultats ont été
concluants et le projet de généralisation pour la couverture du réseau national a été lancé.
Cette technologie propose des réponses pertinentes en termes de couverture, d’exploitation
technique et commerciale, et propose des niveaux d’investissements intéressants. Elle apporte
une solution à d’autres problématiques : absorption des demandes en instance, remplacement
des réseaux obsolètes. D’ailleurs, «l’universalisation de la disponibilité »327 de l’accès à
Internet devra passer par cette technologie. Il est prévu qu’afin de démocratiser l’accès à
Internet depuis le mobile, que la SONATEL offre tous les services Internet à 128Kbits, voix,
fax, etc, aux abonnés du réseau Orange.
Page 231
Conclusion
328.Cette approche est celle défendue et démontrée par des auteurs comme Annie Chéneau Loquay, puis par
Philippe Vidal et François Desbordes dans leurs travaux. Cf Bibliographie.
329.Ce modèle d’accès, comme nous le verrons plus tard, est celui largement développé surtout dans les villes
pour l’accès à Internet.
Page 232
QUATRIEME PARTIE :
Formes d’accès et d’Usages des TIC
dans la région de Ziguinchor.
Page 233
Introduction
Cette quatrième partie de la thèse traite spécifiquement des TIC que sont le téléphone
(dans sa composante fixe et mobile) et Internet. Elle est l’occasion de répondre à plusieurs
questions posées au cours des développements précédents. Quels sont les usages du téléphone
dans le contexte d’enclavement et d’isolement de la région ? A quoi sert Internet ?
Nous avons vu que l’accessibilité téléphonique, quelques soient les efforts déployés
par la SONATEL, reste toujours problématique. En effet, les grandes avancées
technologiques pour faire du téléphone un instrument d’intégration territoriale sont plus
perceptibles au niveau du mobile qu’à celui du fixe. Le réseau Internet s’est amélioré et le
haut débit est présent dans les villes. La plus grande contrainte à son développement, demeure
la défaillance du réseau électrique surtout en zone rurale. Cependant, quelques soient les
efforts pour la téléphonie et l’Internet, le développement de l’accès à ces TIC est rendu
possible par des initiatives prises par des acteurs différents.
Page 234
Chapitre 8 : La mutualisation des accès aux
TIC, une forme d’appropriation du
téléphone et d’Internet.
330
Cette remarque est valable uniquement pour les cybercentres en milieu urbain.
Page 235
I De l’enclave au réseau téléphonique : l’impact des
télécentres.
Page 236
I-2 La multiplication des télécentres dans l’espace régional
332.Les chiffres sur les télécentres montrent parfois des valses énormes. En une année, de grandes différences
peuvent être observées en raison de la faillite de certains exploitants.
Page 237
La répartition spatiale des télécentres suivant une logique économique propre à leur
fonctionnement, révèle une inégalité dans l’accès collectif au téléphone autant en milieu
urbain qu’en milieu rural. Aujourd’hui, il est possible de voir deux télécentres voisins de 20 à
30 m de distance surtout dans les centres villes des agglomérations urbaines de la région. A la
périphérie de ces villes, la distance séparant deux télécentres peut atteindre 500m.
Outre, leur répartition spatiale inégale, ces structures d’accès public au téléphone sont
aussi caractérisées par leur grande diversité. Les plus répandus sont les télécentres publics où
les accès sont exclusivement réservés au téléphone. Mais au-delà du téléphone public, certains
télécentres proposent un fax, parfois un ordinateur, une imprimante et une photocopieuse.
Nous avons établi une carte de la répartition spatiale des télécentres dans les zones
rurales de la région de Ziguinchor. Lorsqu’on l’observe, on constate que comme pour les
abonnés privés, les points d’accès publics au téléphone longent les axes routiers et la
distribution de la population.
Tout d’abord, sur cette carte (n° 14, p238), les localités tout autour de Thionck Essyl
et Diouloulou ont une densité en télécentre beaucoup plus importante que les zones au sud de
la région. Les villages de l’estuaire du fleuve Casamance sont aussi moins bien équipés que
ceux à la frontière avec la Guinée Bissau.
Les zones du secteur de Thionck Essyl, traditionnellement opposées à la rébellion,
concentrent un nombre important de télécentres ruraux. D’ailleurs, c’est à Thionck Essyl que
la SONATEL a installé les moyens modernes de télécommunications pour rendre accessible
ces zones par le téléphone. Les équipements sont constitués par les CNE dont la capacité de
raccordement équivaut à 500 connexions possibles. C’est cette technologie que l’on retrouve
généralement dans le réseau de téléphonie en milieu urbain. En termes de capacité de
raccordement, la demande pour l’ouverture d’une ligne de télécentre peut être rapidement
satisfaite pourvu que la localité soit accessible par le réseau filaire.
D’autre part, au Nord-ouest du département de Bignona, les télécentres publics
Page 238
deviennent de véritables éléments structurants de l’espace à Kafountine et Abéné. Au nombre
variant entre 7 et 19, les télécentres ne sont plus concentrés au cœur de ces deux villages. On
en trouve désormais dans leurs zones d’expansion respectives. Kafountine est le principal port
de pêche et de transformations des produits halieutiques de toute la Casamance (Cormier
Salem 1992). S’y échangent quotidiennement des produits locaux et ceux de contrebande
avec la Gambie, qui prennent en suite par pirogue, la direction de l’île de Karabane avant
d’être acheminés vers le marché du port de Dakar. Certes depuis le naufrage du bateau, le
Joola (26 Septembre 2002), il y a de moins en moins de trafic. Mais les télécentres qui se
sont créés, pour la plupart, au début de l’année 2000 continuent à fonctionner grâce
notamment au développement du tourisme.
En revanche, le sud de la région est sérieusement sous équipé en télécentres. C’est le
département d’Oussouye qui est le moins accessible. L’insécurité n’est pas étrangère à cette
situation. En effet, les bandes armées opèrent des rackets fréquents auprès des commerçants
établis à la frontière avec la Guinée Bissau. Or, pour les propriétaires de télécentre,
promouvoir une activité à but lucratif suppose la sécurité et la sérénité. Ils préfèrent investir
dans les zones qui disposent d’un cantonnement militaire. Ainsi, les télécentres sont le plus
souvent localisés dans les chefs lieux d’arrondissement ou de communautés rurales (Nyassia,
Diembéring, etc.) Dans cette partie de la région, la norme de 5km de distance reconnue pour
définir l’accessibilité téléphonique passe au double pour beaucoup de villages frontaliers de la
Guinée Bissau. Les seules zones qui ont un télécentre sont situées sur la route reliant la ville
de Ziguinchor à la Guinée Bissau (exemple du village de Mpack)
Sans les télécentres, l’accessibilité au téléphone aurait été plus réduite. Plus qu’en
milieu urbain, dans les zones rurales, les télécentres sont devenus un outil d’utilité
quotidienne. Ils ont contribué à rendre le téléphone populaire. En milieu urbain, dès les
premiers moments de la vulgarisation des télécentres, Ziguinchor fait partie des villes du
Sénégal qui se sont distinguées par leur dynamique spatiale de développement des accès
collectifs au téléphone.
Page 239
Carte 14: Répartition spatiale des Télécentres en milieu rural en 2006
Page 240
I-3-2 En milieu urbain, une dynamique qui privilégie les centres villes : Exemple
de Ziguinchor.
Les premiers télécentres qui se sont créés ont privilégié le cœur historique des villes
de Ziguinchor, Bignona et Oussouye avant de s’étendre par la suite vers les périphéries.
Page 241
Trois zones d’habitation et d’activités économiques différentes se superposent (Carte
15).
Page 242
La première zone correspond au quartier de l’Escale. Selon les enquêtes socio-
économiques de 2004333, sur une population urbaine de 168593 habitants, cette
partie de la ville en concentre 6%. C’est le secteur des habitats à loyers
modérés habités par des fonctionnaires, cadres de l’administration et agents
commerciaux dont les revenus permettent de faire face aux charges locatives.
La taille des ménages est comprise entre 5 et 6 habitants. C’est le quartier de la
modernité avec un accès effectif à l’eau et à l’électricité. Selon le bureau
régional de la direction de la statistique et de la prévision, 85% de la
population disposent d’un téléviseur et 30% ont un téléphone à domicile en
2004. L’Escale est aussi le poumon économique de la ville. On y trouve
l’essentiel des services administratifs, des infrastructures économiques et
culturelles. Dans cette zone se trouvent également le commandement militaire
de la zone sud du Sénégal. Ce quartier draine quotidiennement des milliers
d’individus aux origines sociales et aux activités différentes.
La seconde zone ou secteur intermédiaire qui concentre plus de 75% de la
population urbaine. Ces quartiers populaires regroupent les divers groupes
humains de la Casamance et constituent avec les quartiers périphériques le
réservoir de main d’œuvre de la ville. Les seuls équipements collectifs
apparents sont le lycée et surtout le marché. C’est le secteur du commerce de
détail. 57% de la population disposent d’un téléviseur et 18% ont accès à un
téléphone privé.
Enfin la dernière correspond à la périphérie de la ville avec des formes
diversifiées. Il s’agit de quartiers récemment peuplés, conséquence de
l’explosion démographique de la ville. Ces quartiers abritent aussi des migrants
ruraux aux dates d’implantation ancienne ou récente. Beaucoup d’habitants
sont venus avec la guerre d’indépendance de la Guinée Bissau334 et y sont
restés. D’autres vagues d’immigration, beaucoup plus récentes avec le
dépeuplement des campagnes à cause de l’exode rural ou des combats entre la
rébellion et l’Etat sénégalais sont aussi notées dans ces quartiers. Leur
présence a eu une forte empreinte sur la structuration de l’espace qui reproduit
333.Une enquête sur l’état de la pauvreté dans les villes du Sénégal a été publiée par l’agence nationale de la
statistique et du développement (ANSD), en 2004. Toutes les statistiques qui suivent sur la ville de Ziguinchor
sont extraites de ce rapport consultable en ligne sur le site www.ansd.sn
334
Pendant la guerre d’Indépendance, Ziguinchor a servi de base de repli aux combattants du PAIGC (Parti
africain pour l’indépendance de la Guinée Bissau et du Cap-Vert)
Page 243
les formes d’occupation connues dans les campagnes. La particularité
démographique de ces quartiers est la dominance féminine (51%) et celle
importante des enfants de moins de 4ans qui constituent près de 18% des
populations en 2004. Les biens de confort, selon les données statistiques335
(moins de 5% pour chaque indicateur sauf pour l’électricité336) ne sont pas
encore entrés dans les mœurs des populations. Fonctionnellement, la zone
périphérique est défavorisée du fait de la faible présence d’infrastructures
économiques, de services à caractère sociaux et d’équipements publics
(électricité, eau, téléphone).
Depuis l’ouverture du premier télécentre dans la ville en 1993, les télécentres se sont
développés essentiellement dans le centre ville jusqu’en 1997. En 2004, 63% des télécentres
étaient répartis entre le quartier de l’Escale, cœur administratif et économique de la ville, et la
zone intermédiaire (Santhiaba, Boucotte, Belfort), où se trouve le marché de Saint Maur des
Fosses. En revanche dans les zones périphériques de la ville, où se concentre une population
souvent pauvre et analphabète, les télécentres ne représentent que 37%.
Selon Léon Charles Ciss337, en milieu urbain, la prolifération des télécentres peut
s’expliquer par la facilité relative qu’il y a à se lancer dans une telle entreprise. Il suffit de
630 000 FCFA comme capital de base pour ouvrir un télécentre compte non tenu de
l’aménagement et de l’équipement des cabines. Les télécentres devenus un secteur important,
les réseaux économiques informels se sont emparés de ce nouveau créneau d’investissement.
Mais la particularité des télécentres est de fonctionner comme des entreprises informelles
avec une grande prééminence des relations sociales dans leur mode de gestion. Ainsi, le non
respect de la réglementation définie par la SONATEL dans l’implantation des télécentres338 a
entrainé des ouvertures de télécentres de manière chaotique dans la ville. La conséquence est
une rude concurrence entre les gérants dans la pratique des prix. Cette baisse continue des
prix de l’unité téléphonique a ouvert l’accès au téléphone dans les différents quartiers de
Ziguinchor.
Depuis 2004, on note une crise dans les télécentres au niveau de la région de
Ziguinchor et particulièrement dans la ville de Ziguinchor.
335
Rapport de l’Agence nationale de la statistique sur Ziguinchor en 2004.
336
Pour le courant électrique, de nouveaux raccordements ont eu lieu dans ces quartiers depuis 2005.
337.Directeur commercial de la Sonatel.
338
Cf site de la SONATEL http://www.sonatel.sn
Page 244
I-3-2-2 La crise des télécentres, une disparition programmée ?
Page 245
avènement que les clients ont déserté les télécentres » Par le passé même en ayant un
téléphone portable, les clients allaient dans les télécentres pour appeler. Mais depuis que la
recharge électronique à bas coût est instaurée par les opérateurs, ils ont trouvé plus intéressant
de recharger leur téléphone et de passer des communications depuis leur mobile.
Les télécentres jadis points de ralliement, de rencontre et lieux de convivialité, avec
leur taux de fréquentation et de visite important, sont aujourd’hui pour la majeure partie
fermés342 ou transformés en boutiques. Il y a de nombreuses fermetures de télécentres dans les
quartiers défavorisés. Sur 127 télécentres dans la ville de Ziguinchor en Novembre 2005, 49
ont été fermés en Mai 2007 : 16 dans le quartier de l’Escale, 11 dans la zone intermédiaire et
22 dans la périphérie. Les quartiers de Lyndiane, Tilène, Soucoupapaye, ont été les plus
touchés par cette vague de fermeture avec 66% des établissements fermés.
Toutefois, en se rapportant aux travaux de Jens Guy Rens (2000), ce fort taux de
faillite dans l’exploitation des télécentres au Sénégal n’est pas à considérer comme un échec.
En réalité, leur développement a eu le mérite de contribuer à la promotion des TIC et dans
bien des cas, à inciter les populations à s’abonner au téléphone cellulaire. Ainsi, en milieu
rural casamançais, les télécentres se sont paradoxalement multipliés pour toucher l’hinterland
de la région. Malgré la crise qui sévit dans la gestion de ces structures, en milieu rural, les
télécentres sont le moyen le plus sûr pour offrir un accès au téléphone dans les villages les
plus reculés. Selon la SONATEL, en milieu rural, les télécentres sont appelés à durer et à
jouer un rôle économique plus accentué qu’en milieu urbain grâce à leur vocation sociale.
Face à la crise, se développe une logique de reconversion et de réadaptation des
télécentres. Il y a dans certains cas une association de l’activité télécentre à d’autres
prestations. D’ailleurs avec les innovations technologiques, notamment la généralisation de
l’Adsl, il n’est pas rare de trouver un télécentre muter purement et simplement en cybercentre.
Cette logique d’association de l’activité télécentre avec l’offre de connexion à Internet est la
nouvelle innovation proposée par les gérants pour perpétuer leur activité.
342.Voir la contribution de Sarry Ousmane lors du symposium Netsuds de Dakar les 26, 27, 28 Novembre 2007
sur www.africanti.org
Page 246
II - Les cybercentres, symboles de l’accès à Internet à petit
prix.
Dans son étude sur les usages d’Internet au Sénégal en 2004, Thomas Guignard
écrivait : «le phénomène Internet au Sénégal, importé par les occidentaux et la diaspora,
emprunte trop souvent les mêmes terminologies que les Etats-Unis ou l’Europe sans prendre
en compte les spécificités locales. Ainsi, la notion de« cybercafé » ne s’applique que très
rarement dans le paysage des points d’accès à Internet sénégalais. En effet, cette définition
renvoyant à la notion de café avec possibilité de commander diverses boissons, s’oppose à
une large majorité des établissements sénégalais qui ne proposent que rarement ce type de
prestations.»343
Au terme de cybercafé, nous préférons celui de cybercentre qui désigne un endroit où
en plus de la connexion Internet, le client peut s’attendre à trouver d’autres services allant du
téléphone, à la bureautique et au secrétariat. C’est un lieu public équipé d’ordinateurs offrant
l’accès aux «applications du multimédia et aux réseaux le tout animé par une équipe». Il
s’agit généralement de petites structures qui emploient peu de personnes (2 à 3 au maximum)
avec des horaires d’ouvertures très variables (8h à minuit) suivant les secteurs où ils sont
implantés. Dans un premier temps, les cybercentres se sont développés dans les zones
économiquement viables avant de s’étendre dans les quartiers populaires. Enfin, le mot
« cybercentre » est celui que l’on rencontre le plus fréquemment sur les enseignes
commerciales et la signalétique urbaine.
Le cybercentre est donc une réponse apportée par les entrepreneurs privés face aux
prix élevés de l’acquisition du matériel informatique et de la connexion344. Par l’offre de
connexion, le cybercentre donne une inscription territoriale à Internet et permet «l’accès au
réseau quelque soit le lieu et la condition du citoyen » pour reprendre Nicolas Curien345
(2001)
343
Thomas Guignard : « les accès publics à Internet au Sénégal : une émergence paradoxale. » In
Mondialisation et technologies de l’information au Sénégal. Sous la direction d’Annie Chéneau Loquay. MSH
Karthala Paris pages 209-236
344.Il faut reconnaître que l’accès privé à Internet se développe depuis la Sonatel baisse les tarifs de connexion.
La cherté des prix est à relativiser car dans la plupart des cybercentres, le coût de connexion tourne en moyenne
à 200 FCFA l’heure depuis 2006. Le matériel Informatique a aussi fortement baissé avec le marché de
l’occasion en pleine expansion. Dans le dernier chapitre de cette thèse on en parle en analyse les causes du
développement des cybercentres dans les différents quartiers de la ville de Ziguinchor.
345.C’est son approche de la question du service universel qui requiert d’abord d’assurer l’équité territoriale par
une solution technique de la couverture en réseau, et ensuite de favoriser l’accès au réseau.
Page 247
Signalons qu’à la différence du télécentre, il n’est pas besoin d’autorisation ou
d’agrément pour ouvrir un cybercentre. Il suffit uniquement, à toute personne physique ou
morale de disposer d’un local, et d’un équipement de base à savoir des ordinateurs, une ligne
téléphonique, un modem et un abonnement chez un fournisseur d’accès.
346.Potentiellement, ce département est très riche en ce qui concerne les ressources naturelles et surtout au plan
touristique. Cette pauvreté est surtout liée à l’insuffisance des infrastructures et la non exploitation de tout le
potentiel.
Page 248
Cependant, dans ce département, la station touristique du Cap Skirring se démarque.
Elle comptait moins de 2500 habitants en 2004. Mais son poids économique est bien réel avec
les divers campements touristiques et les hôtels dont le plus important est celui du « Club
Méditerranée ». Au Cap Skirring, s’y tiennent fréquemment des séminaires et réunions. En
plus, pour les touristes habitués à l’usage d’Internet dans leurs différents pays d’origine, la
connexion est devenue une obligation pour les établissements touristiques. D’ailleurs, elle est
un critère très demandé lors des réservations pendant les séminaires. Certains établissements
hôteliers se connectent grâce à l’Adsl par faisceaux hertziens (Club Méditerranée), d’autres
ont accès à Internet par la ligne RTC.
Au Cap Skirring, l’accès à Internet est plus privé que public car il n’y a aucun
cybercentre. Face à cette situation, des associations prennent des initiatives pour créer des
espaces de connexion ouverts au grand public. L’association «Kassoumaï »347 qui «œuvre
pour le développement technologique dans le département d’Oussouye» en fournissant du
matériel informatique, a inauguré le 18 Novembre 2006, le seul espace public d’accès à
Internet au Cap Skirring. Logé au sein du collège du Cap Skirring, «l’espace Kassoumaï» est
d’abord destiné au corps enseignant. Il accueille aussi les populations des villages de
Cabrousse, Cachouane et de la ville d’Oussouye.
Planche Photo 2: Vue d'ensemble de l'unique lieu public d'accès à Internet au Cap Skirring
347
Bonjour en Diola
Page 249
A Bignona, la situation n’est guère meilleure qu’à Oussouye. A l’exception du centre
communautaire multimédia (CMC) qui accueille la radio Awagna, aucune autre structure
n’existe dans la ville. Les seuls points d’accès à Internet sont les 5 cybercentres disséminés à
travers la ville.
Par contre dans la ville de Ziguinchor, les cybercentres se sont multipliés dans l’espace
communal. Même dans les quartiers périphériques, il est possible de trouver un cybercentre
ouvert et de se connecter à Internet. Cependant, l’évolution des cybercentres dans la ville de
Ziguinchor s’est faite en plusieurs phases entre 1996 et 2006.
Pour ouvrir l’accès à ceux qui n’ont pas de connexion, les cybercentres se multiplient
dans la ville et deviennent des lieux essentiels dans la pénétration d’Internet au sein de la
population locale. Dans la ville de Ziguinchor on dénombre 16 cybercentres en Octobre 2007.
Le graphique (figure 15, p 248) suivant donne la répartition des cybercentres dans la
ville de Ziguinchor.
Page 250
Il traduit de fortes disparités entre les différents quartiers de la ville : cinq cybercentres
sont situés dans le quartier de l’Escale, trois dans la périphérie, les huit autres cybercentres se
concentrent dans la zone intermédiaire et les environs immédiats de l’Escale (Santhiaba par
exemple)
Dans la périphérie, les trois cybercentres se retrouvent dans les quartiers de Lyndiane
(2) et Colobane (1). A Lyndiane, le cybercentre se situe dans un quartier proche de certains
structures et services : l’école de formation agricole de Djibélor, le camp militaire, l’aéroport
de Néma, et l’hôpital régional. Depuis quelques années, émergent des habitations à loyers
modérés comme la cité Biagui au Sud. Ces secteurs disposent de certaines infrastructures de
base comme l’électricité et le téléphone. Pour les initiateurs qui innovent et offrent des
prestations Internet, il est plus facile, dès qu’il s’agit des zones périphériques, de s’installer à
proximité des lieux qui ont accès à l’électricité, au téléphone et où vit une classe sociale
moyenne, potentielle clientèle des cybercentres. Cependant, un processus harmonisé et
uniforme n’est pas observé dans l’implantation des cybercentres dans la ville.
348
Nous fournirons l’explication dans les paragraphes suivants. Pour le moment nous nous limitons à la
description de la situation locale.
Page 251
Figure 16: Evolution sur 9 ans des cybercentres dans la ville de Ziguinchor de 1998 à 2007
La dynamique par quartier révèle des différences majeures régies par des logiques
commerciales qui privilégient le cœur de la ville par rapport à la périphérie.
Dans la ville de Ziguinchor, tout a commencé avec SUD Informatique qui a ouvert dès
1996 le premier espace d’accès public à Internet dans le même local que le télécentre en plein
quartier des affaires de l’Escale. En dehors du Métissacana349 à Dakar, le second cybercentre
du Sénégal est celui de SUD Informatique à Ziguinchor. Dans un cadre climatisé, en plein
centre ville, sur la principale rue commerçante (rue Javelier), cette structure capte la clientèle
étrangère habituée à l’usage de ces technologies et qui séjourne dans les hôtels du centre ville.
Le promoteur répète qu’en ouvrant ce cybercentre à Ziguinchor, il pouvait compter sur les
touristes pour être ses principaux clients : «je savais qu’à Ziguinchor j’avais une clientèle
potentielle car à ses débuts Internet n’était pas destinée à la population locale. Je pouvais
proposer ce service surtout aux différents organismes internationaux dans la région et aux
349
Il est le premier cybercentre de l’Afrique de l’Ouest ouvert à Dakar le 3 Juillet 1996.
Page 252
hôtels 350».
L’aventure du cybercentre a débuté avec quatre ordinateurs en 1998, connectés grâce
au réseau téléphonique commuté (RTC) avec un modem de 56 KBits par seconde. Avec des
coûts de connexion facturés au prix de l’unité téléphonique et une connexion très lente, il
fallait attendre plusieurs clients afin de se partager les coûts. Le cybercentre n’offrait à cette
période à ses abonnés que la consultation du courrier électronique et ceci à des heures
définies351. Avec les adresses courriels de ses abonnés, SUD informatique imprime les
messages et ils passaient les récupérer le lendemain. Pour ceux qui venaient consulter leurs
messages, la navigation sur les sites leur était refusée, seule la messagerie était permise. En
dehors des touristes, la clientèle était surtout composée des agents de l’administration, et des
ONG. L’heure de connexion était de 3500Fcfa l’heure.
A partir de 1998, Internet commence à bien se faire connaître dans la ville et «il fallait
donc améliorer la connexion ». SUD informatique s’est alors équipé d’un routeur à la fin de
l’année 1998 et s’est connecté au Réseau numérique à intégration de service (RNIS) qui
permet des connexions appel par appel de 64 Kbps. Ce type de connexion offre une qualité
meilleure et de bonnes conditions de navigation.
Son rôle devient dès lors déterminant dans la pénétration d’Internet dans la ville de
Ziguinchor et dans le reste de la Casamance. En effet, la diffusion d’une innovation est parfois
due à des effets d’influence qui opèrent par contagion (Von Thunen 1827, Thérèse Saint
Julien 1992). Pour le cas des cybercentres, il ne s’agit pas de transformations spatiales de
grande ampleur mais le succès inspire très souvent la concurrence. En effet, leur diffusion est
un phénomène social à travers des comportements d’imitation de différents acteurs. La réalité
récente que constitue l’émergence très active de l’informel dans le secteur n’a pas manqué
d’influer sur le cours de l’évolution des cybercentres dans la ville de Ziguinchor. L’économie
populaire urbaine est un levier d’un autre mode de développement des cybercentres.
350
.Extrait d’entretien en date du 26 Mai 2006 avec Alassane Ngom Initiateur du premier cybercentre dans la
ville.
351
A cette époque, la Sonatel baissait ses tarifs téléphoniques de moitié à partir du soir.
Page 253
III-2-1-2- Entre 2000 et 2003, des établissements mixtes démultiplient l’accès
Page 254
les premières liaisons à 256 kbps apparurent, en 1999, elles furent facturées à 2 765 000
Francs CFA352 (environ 4222 euro) jusqu’à l’avènement de l’Adsl. Le coût prohibitif de ces
liaisons spécialisées a eu raison des pionniers qui ont voulu offrir à la population des points
d’accès à Internet dans la ville. En début 2003, cinq cybercentres auront fait faillite. Le
véritable bouleversement a eu lieu à partir de Juin 2004 avec l’arrivée de l’Adsl dans la
capitale régionale du Sud.
En fin Octobre 2004, la ville de Ziguinchor est couverte totalement par l’Adsl grâce à
la mise en service du réseau de fibres optiques ZKT2 (Ziguinchor, Kolda, Tambacounda) qui
relie cet ensemble à la ville de Kaolack au centre du Sénégal. L’Adsl ouvre de nouvelles
perspectives pour les exploitants de cybercentres. Les abonnés jadis connectés par RTC ou
RNIS ont tous migré vers l’Adsl. Les premiers cybercentres, à bénéficier de cette technologie,
sont naturellement situés dans le quartier de l’Escale (SUD Informatique et SEN2TIQUES).
Une série de baisses de tarifs a rendu plus abordable cette connexion. Par exemple, une baisse
de 30% en 2006, fixe la redevance mensuelle de l’Adsl 1024 à 16000 f Cfa contre 45000 en
2004. L’Adsl est généralisée pour l’ensemble des cybercentres, pour les entreprises en
particulier (certains hôtels proposent même le système WIFI) mais aussi pour les classes
moyennes qui peuvent disposer d’un accès privé à domicile.
Des cybercentres qui avaient fait faillite (Néma cybercentre, Touba multiservices) ont
rouvert dans le quartier de Boucotte. En conséquence, il s’est produit une première vague de
fermeture suivie ensuite d’une nouvelle vague de création de cybercentres dans la ville. De
nouveaux cybercentres s’enchâssent dans les quartiers périphériques : Lyndiane, Colobane,
Néma etc.
Page 255
Carte 16 : Distribution spatiale des cybercentres en 2006 dans la ville de Ziguinchor
Page 256
Cependant, les gérants de cybercentres, surtout dans les quartiers périphériques,
déplorent sa mauvaise qualité et ses irrégularités. Il arrive qu’il soit impossible de se
connecter à Internet pendant dix jours d’affilé353. En plus l’état des réseaux téléphonique et
électrique existants diffère beaucoup d’un quartier à l’autre. La distribution de l’électricité est
irrégulière avec des coupures incessantes. Cette irrégularité de l’électricité fragilise la gestion
des cybercentres. Les aléas et les risques de délestages perturbent le fonctionnement de la
plupart des cybercentres. Mais les quartiers du centre ville sont moins touchés. En fait depuis
que la région est secouée par les violences indépendantistes, le secteur de l’Escale est
prioritaire pour la fourniture de l’électricité. Stratégiquement, ce secteur doit être épargné des
délestages fréquents dans la distribution de l’électricité. Ainsi, les cybercentres qui sont dans
la zone, sont sûrs de bénéficier de conditions adéquates de fourniture électrique. Mais pour
pallier aux éventuels désagréments, le gérant du cybercentre de SUD Informatique s’est fait
installer un groupe électrogène. Sa capacité à s’équiper n’est pas la même que pour les autres
promoteurs qui sont dépendants de la société nationale d’électricité.
Cette dynamique de création de cybercentres montre que les mécanismes qui ont donc
fait prospérer les accès à Internet dans les autres villes du Sénégal, se reproduisent dans la
ville de Ziguinchor qui s’aligne de plus en plus sur les autres. La tendance au développement
de l’accès public s’affirme au fur et à mesure que s’améliore la connexion à Internet. Mais de
manière générale, on ne fréquente pas pour les mêmes raisons ni dans les mêmes conditions
les cybercentres des centres villes et ceux des périphéries354 dans les capitales ou dans les
villes secondaires.
353.Extrait d’entretien avec Ibrahima Badji promoteur du Cybercentre de Lyndiane en date d’Octobre 2007.
354
Claire Scopsi dans son étude «Représentation des TIC et multi territorialité : le cas des télés et cyberboutiques
de château rouge à Paris » In Mondialisation et technologies de l’information en Afrique » Karthala MSH 2004,
Elle nous rappelle que le local ne cesse de peser sur les usages, tant par les contraintes physiques et économiques
qu’il exerce sur l’équipement et les infrastructures d’où la nécessité de considérer ces lieux publics d’accès à
Internet dans leur dimension territoriale.
Page 257
II-2-2 Typologie des cybercentres dans la ville
355
.Cheikh Guèye a évoqué ces conditions similaires dans la ville de Touba, devenue la véritable plaque
tournante du marché Informel des ordinateurs d’occasion.
Page 258
machines d’occasion, crée un marché ouvert sur la réparation et la maintenance qu’occupent
des jeunes sortis des écoles de formation ou munis de leurs connaissances sur les
fonctionnements d’un ordinateur.
Les périphériques qui équipent les cybercentres sont aussi un élément de
différenciation. Il existe une prise de conscience par la population du fait qu’Internet est un
moyen efficace pour s’ouvrir sur le monde extérieur. Tous sont équipés de périphériques
« classiques » comme les imprimantes, le graveur ou le scanner. Mais ce sont les nouveaux
outils pour les usages spécifiques qui différencient les différents cybercentres. La webcam est
de ces périphériques que tous les cybercentres ont acquis afin de proposer au client de
conditions idéales pour le chat et la web rencontre.
Grâce aux cybercentres dans la ville, Ziguinchor est parvenue à accroitre l’accès
public à Internet de manière positive sur dix années.
Page 259
CONCLUSION
Grâce aux télécentres et aux cybercentres, l’accès aux TIC s’améliore dans cette partie
du Sénégal. Dans une région où les taux de chômage sont importants (64% de la population
active en 2004, selon la direction de la prévision et de la statistique) l’impact économique des
points d’accès public aux TIC en termes de création d’emploi est significatif. A Ziguinchor,
comme partout ailleurs au Sénégal, la gestion d’un télécentre ou d’un cybercentre requiert au
moins deux employés qui se relayent. Ouvert généralement de 8 h à minuit, et parfois au-delà,
ces postes de travail sont réservés à une clientèle jeune.
Se pose un vrai tabou en ce qui concerne la rentabilité financière de ces petites
structures spécialisées dans l’accès aux technologies de l’information et de la communication.
Si dans la majorité des cas il y a un refus à donner les chiffres d’affaires autant pour les
télécentres que pour les cybercentres, le profil des propriétaires montre une grande diversité
sociale qui va du fonctionnaire au diplômé chômeur.
Dans cet environnement effervescent et concurrentiel, les télécentres n’ont pu résister
à la poussée fulgurante du téléphone mobile. Pour Internet, l’accès évolue mais pas aussi
rapidement que celui des télécentres à leur début. Cependant, les exemples de ces structures
d’accès dans une région aussi enclavée et défavorisée permettent de voir l’avenir des TIC à
Ziguinchor, suivant des perspectives nouvelles. Comment utilise-t-on le téléphone ? Comment
utilise-t-on Internet ? Qui sont les acteurs du marché de l’accès aux TIC dans la région ?
Tant de question auxquelles les deux chapitres (9 et 10) sur les usages du téléphone et
d’Internet vont tenter de répondre.
Page 260
Chapitre 9 : Logiques d’appropriation du
téléphone, des usages innovants
356
Paru dans la revue Netcom vol 22, numéro 1-2 et Netsuds, Vol 3, 2008
357.A. Chéneau Loquay : «Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique» In revue Netcom, Vol 15 N° 1-2,
Septembre 2001
Page 261
I Le téléphone, un formidable outil de désenclavement
358. « Enjeux et rôle des technologies de l’information et de la communication dans les mutations urbaines :le
cas de Touba » Autant pour la durée en minutes que pour le nombre de communication, Diourbel venait juste
après Thiès et Dakar mais dépasse sensiblement les autres régions du Sénégal.
359.http://www.ulb.ac.be/students/bep/files/swi3.3.pdf
Page 262
Tableau 23: Tableau des communications téléphoniques par centrale au Sénégal
Trafic Interne par Central Trafic départ par central Trafic Arrivée Par central
Années 2004 2005 2006 2004 2005 2006 2004 2005 2006
DAKAR 2773 4694 2453 8642 18253 9162 5165 9795 5968
KAOLAC 525 1109 989 1668 3935 4342 1637 3226 2731
LOUGA 324 625 399 933 2091 1179 1286 2595 2035
DAKAR-
MEDINA 3273 5704 3282 8037 16116 11468 4650 9116 6047
ST-LOUIS 760 1508 2808 1960 4482 3357 1783 3508 2301
TAMBA 404 958 610 1152 2791 2159 1207 2541 1649
TECHNO-POLE 3899 6874 1872 9674 20694 12345 6923 12604 6268
THIES 1266 2548 1502 3385 7558 7542 2337 4492 3330
ZIGUINCHOR 493 843 1306 1457 3415 3530 1249 2492 1744
Les informations contenues dans ce tableau (n° 23, p260) concernent les
communications passées entre Septembre 2006 et Août 2007.
La région de Ziguinchor est classée en 5ème position, pour les communications locales.
Cependant, c’est le volume du trafic téléphonique émis depuis le territoire régional qui est
important. Ziguinchor se classe juste derrière Dakar, Thiès, Kaolack, et Saint- Louis.
D’ailleurs, entre 2004 et 2006, les écarts qui la séparaient des autres régions (Kaolack, et
Saint-Louis), se sont considérablement réduits. Sur deux ans, le volume a doublé passant de
1457 à 3415 Erlang. Sur trois années d’observation, le cumul est à 8402 Erlang. Ce volume
représente 46% du trafic total en 2004. Entre 2005 et 2006, il passe de 51% à 53%. En trois
ans, la tendance est à une évolution constante des appels. Par contre, pour les appels arrivant
dans la région, Ziguinchor est très mal classée. Les communications internes à la région sont
aussi insignifiantes.
L’importance relative des communications départ, démontre que le téléphone est un
élément essentiel dans la vie de relation de la région de Ziguinchor. En analysant, ce tableau
(n°23, p260), Ziguinchor est une région où on émet plus d’appels qu’on en reçoit. Cela
s’explique, sans doute, par l’importance prise par le téléphone dans les relations de la région
avec le Sénégal et les pays limitrophes. Le second facteur est le boom constaté dans
l’acquisition, avec une certaine facilité, de nouveaux outils de communication comme le
téléphone portable.
La société de télécommunications a beaucoup misé sur une rentabilisation des
Page 263
infrastructures de téléphone dans la région de Ziguinchor. Il devient un élément fondamental
dans les relations de la région sud du Sénégal. Au-delà du simple fait d’appeler, le téléphone
est un outil de consolidation et de formation de relations d’un autre type où l’isolement
physique et la situation de conflit ne sont pas une entrave. Quelque soit la situation
géographique, grâce au téléphone360, on peut s’informer mutuellement jusque dans les
moindres détails.
360.Cette remarque concerne surtout le téléphone mobile que l’on trouve partout au Sénégal.
361.Extrait du plan de développement de la téléphonie dans la boucle ZKT2 sur la décennie 2000-2010
362.Jean Claude Bruneau (1979)
Page 264
Tableau 24: Destinations des appels sortants de Ziguinchor entre Janvier 2004 et Décembre 2006
Destinations des appels Dakar Autres régions du Pays Limitrophes Autres pays
Sénégal
Fréquences 44,3% 31,7% 17,6% 6,4%
Figure 17: Destination des appels sortants de Ziguinchor entre Janvier 2004 et Décembre 2006
Dakar
Autres régions
du Sénégal
Appels émis
depuis la Région
de Ziguinchor
Etranger
Pays
Limitrophes
363.Les liens sont proportionnels aux chiffres contenus dans le tableau précédent.
Page 265
Pour les commerçants et les acteurs de l’informel, le téléphone est un des outils de
communication privilégiés dans les transactions économiques. Ils sont de gros utilisateurs de
téléphone et de fax. Par souci d’efficacité, ils mettent au cœur du dispositif des transactions, le
téléphone. Il est un outil de coordination de l’activité commerciale. Contrairement aux petits
commerçants détaillants qui n’ont pas besoin de téléphone, tous les grossistes et demi
grossistes de la région en sont équipés pour traiter directement avec leurs fournisseurs
habituels basés à Dakar sans éprouver le besoin de se déplacer. Pour eux, l’usage du téléphone
et du fax reste un moyen efficace pour facilité leur approvisionnement en denrées. Par
exemple, le téléphone sert de moyen d’information sur les évolutions des cours des produits
de consommation courante dont ils disposent. Ils doivent s’informer surtout sur les conditions
de livraison de la marchandise pour éviter que leur activité se bloque.
En effet, malgré la récurrente question de l’insécurité, de l’enclavement chronique de
la région naturelle de la Casamance exacerbée par les aléas de la traversée de la
«transgambienne», les commerçants transportent toujours leur marchandise par voie terrestre
même si certains produits arrivent dans la région par bateau (Chapitre 5). Dans ce contexte, et
selon le gérant de la société « Ndoucoumane Import-export », basée dans la ville de
Ziguinchor, la mauvaise qualité des conditions de transport par la route et les rotations
aléatoires des navires vers Ziguinchor, imposent d’être toujours au fait de l’information. Pour
ce même gérant, il faut impérativement que son chauffeur livreur soit équipé d’un mobile
pour un suivi quotidien de l’acheminement des produits surtout quand il s’agit de denrées
périssables. Par ailleurs, dans leur majorité, tous les commerçants grossistes sont équipés d’un
téléphone fixe et d’un portable. Ils jouent aussi un rôle important dans l’accès au téléphone.
Dans les systèmes de communications développés dans les zones transfrontalières des
autres pays africains (à Sikasso, étude de Camille Lancry en 2002, où à Kayes avec Caroline
Dulau364), le téléphone est très largement utilisé pour les divers échanges entre les différents
acteurs du commerce sous régional. Avec la possibilité de transgresser les règles, d’avoir ou
de faire passer des produits à moindres coûts, toute une économie se crée autour de la
circulation des marchandises à bas prix365. Sous ce rapport, la proximité de la Gambie et de la
Guinée Bissau, est vécue par les populations comme une opportunité pour fructifier les
échanges avec ces pays malgré le climat d’insécurité qui entrave dans certaines parties de la
364
Caroline Dulau : « Systèmes de communications, acteurs et réseaux du grand commerce au Mali » Mémoire
de DEA Université de Pau. 2001.
365
M Abdoul, K Dahou, T Dahou, E Hazard, C Guèye « Espaces frontières et intégration régionale : Le cas de la
Sénégambie Méridionale » In « Les dynamiques transfrontalières en Afrique de l’Ouest » CRDI- Enda Diappol,
Edition Karthala. 2006
Page 266
région l’activité économique. Les poches de rébellion366, les villages vidés367 ou encore les
conditions de circulation vers la Guinée Bissau à partir de certaines heures368, avantagent la
contrebande au détriment du commerce régulier.
Pour les relations sous régionales et internationales, les commerçants, utilisent le
téléphone, ou le fax. Ils sont quotidiennement en contact avec les fournisseurs, les convoyeurs
de marchandises, leurs contacts éparpillés dans le monde. Sur 25 commerçants que nous
avons interrogés, 13 sont basés dans la ville de Ziguinchor, 5 à Bignona, 2 à Oussouye, 1 à
Kafountine et 2 à Thionck Essyl. Aucun commerçant grossiste n’est installé dans les zones
rurales. A cause de l’insécurité, ils ont opéré le transfert de leurs activités en milieu urbain,
occasionnant ainsi l’absence de circuit de distribution.
366
A la frontière sud de la région et depuis 2006 à la frontière Gambienne dans les arrondissements de
Diouloulou et de Sindian.
367
Dans les arrondissements de Nyassia et de Niaguis au Sud.
368
Même si on note une certaine accalmie dans les opérations militaires, il n’est pas sûr de circuler dans certaines
routes de la région à la tomber de la nuit. Seuls les grands axes routiers où l’armée est présente sont pratiqués.
Page 267
Cependant, l’ouverture du marché local aux produits asiatiques est surtout le fait des gros
commerçants implantés dans la ville. Après les libano syriens, et les Baol Baol, la première
boutique de vente de produits asiatiques, gérée par un commerçant chinois s’est installée dans
la ville de Ziguinchor en 2007. En plus de proposer des produits « made in china », il
concurrence les indiens dans la filière de l’anacarde. Dans cet espace concurrentiel, le
téléphone est devenu un allié de taille pour les commerçants dans leurs différentes démarches
commerciales. Ces commerçants, spécialisés dans l’import-export, se sont appropriés le
téléphone du fait des difficultés de déplacements.
En dehors des relations économiques que la région peut entretenir avec la capitale,
Dakar abrite une forte population d’origine Casamançaise. Cette ville est un pôle migratoire
drainant la migration rurale de la région de Ziguinchor surtout en saison sèche. Sur les 187
répondants (l’enquête a porté sur 215 échantillons), 41,6%369 reconnaissent appeler très
souvent leurs parents ou une connaissance établie à Dakar. Sur les figures (18, 19, 20, p270)
qui retracent les évolutions mensuelles des appels émis depuis Ziguinchor, les pics sont
enregistrés à partir de fin Octobre jusqu’en fin Mai. Cette période correspond à la fin des
travaux champêtres où certaines populations quittent les campagnes pour un hypothétique
travail à Dakar ou à Ziguinchor. En fait, la région est dans un cercle vicieux de migration lié
au départ des jeunes et des femmes370.
Le flux de trafic sortant confirme aussi l’importance des communications vers
l’étranger. Elles couvrent 24% du total des appels émis. Cependant l’essentiel de ces appels
est destiné aux pays frontaliers. La fréquence des appels y est de 17% sur l’ensemble des
appels sortants de la région de Ziguinchor. Ce dernier chiffre s’explique pour l’essentiel par
les liens qui unissent les populations de la Casamance et celles de la sous région. Dans cet
espace frontalier de la Sénégambie méridionale, il est fréquent que des résidents d’un pays
aient des membres de leur famille qui détiennent la nationalité d’un pays voisin. En dehors du
multilinguisme autour de trois langues majoritairement utilisées : Diola, Wolof, Manding, et
d’une diversité d’autres langues locales (Peul, Mancagne, Mandjack, Créole portugais,
Balant), les migrations au sein de cet espace se sont toujours renforcées (Chapitre 4).
Enfin le dernier facteur explicatif de l’importance des appels vers l’étranger est
étroitement lié au dynamisme du tourisme dans la région. Selon les services régionaux du
tourisme, la crise sociale qu’a traversée la région semble être un mauvais souvenir avec le
369.
Ce chiffre est extrait de nos enquêtes au niveau des usages du téléphone dans les divers télécentres de la ville.
370
A. Chéneau-Loquay « Demain, Encore le Riz » Sous la direction de Barbier Wiesser, In « comprendre la
Casamance ». Editions Karthala. Paris 1994
Page 268
retour de la paix. En 2004, les hôtels ont reçu 21801 touristes contre 13452 touristes en 1999.
Cette augmentation du nombre de touristes n’est pas sans conséquence dans la vie
économique avec l’amélioration des services offerts et, parmi eux le téléphone. Comme pour
l’électricité, les zones touristiques (Cap Skirring, Kafountine et Ziguinchor) sont de gros
consommateurs de téléphone. Les figure (21, 22, 23 p 271), qui représentent le trafic départ
mensuel depuis la centrale de Ziguinchor, montrent d’ailleurs que les pics de communication
correspondent à la haute saison touristique.
Mais vouloir expliquer uniquement par ces divers facteurs, l’extraversion des usages
du téléphone, revient à biaiser une réalité beaucoup plus complexe. En effet, le téléphone est
un outil de désenclavement et d’intégration mais surtout de rapprochement pour la majorité
des fonctionnaires en service dans la région. Le rôle de l’administration, est déterminant. La
plupart des fonctionnaires sont originaires des autres régions sénégalaises. Cette politique
menée par le colonisateur ne s’est pas inversée après les indépendances. Avec la crise
politique, la tendance est à son renforcement. L’Etat sénégalais, pour éviter que la rébellion
finisse par enrôler, par le chantage, les cadres originaires de la Casamance, préfère les affecter
dans les autres régions du pays371. D’ailleurs ces agents de l’Etat, en service dans la région,
ont payé un lourd tribut à cause des exactions menées par la rébellion contre l’autorité
étatique. Les fonctionnaires civils ont été la cible du mouvement indépendantiste. Le sous
préfet de l’arrondissement de Diouloulou, au Nord Ouest du département de Bignona, est
tombé sous les balles des rebelles en décembre 2006372. Dans les zones de Nyassia et
Niaguis373, au plus fort de la crise, les enseignants ont déserté les salles de classes.
Les exemples peuvent être multipliés. Et, malgré le retour progressif de la paix, tous
les fonctionnaires affectés, pour la première fois à Ziguinchor, sont psychologiquement
atteints par ce sentiment de méfiance, vis-à-vis des populations du Sud, dont parlait Jean
Claude Marut (1994). Dans ce contexte, et par simple mesure de précaution, beaucoup de
fonctionnaires ont préféré rejoindre la région sans leur famille respective. Selon Mr Sarr, un
cadre de la SONATEL, originaire de Saint-Louis au Nord du Sénégal « Ziguinchor est une
région où on a tendance à venir seul des qu’on y est affecté. Le trajet est long et usant. Il est
difficile dans ces conditions de déplacer toute sa famille. Dans ce cadre nous préférons
laisser nos familles dans nos terroirs d’origine et aller leur rendre visite toutes les fins du
371.Les autorités sénégalaises refuseront toujours d’admettre cet état de fait. Mais il suffit juste de faire un tour
dans les divers services administratifs pour mesurer le poids des fonctionnaires originaires des autres régions du
Sénégal.
372.Il a été abattu au cours d’un guet apens tendu par la rébellion.
373.Arrondissements au sud de la région, à jamais marqués par les violences militaires.
Page 269
mois. Je ne suis pas le seul dans cette situation. Beaucoup de mes collègues vivent comme
moi.»
Pour eux, le téléphone constitue un lien solide afin de lutter contre l’obstacle de
l’éloignement et surtout de raffermir le lien social qui n’est plus basé sur la proximité spatiale.
« Il est normal donc que l’on téléphone tous les jours depuis les bureaux, le plus souvent pour
prendre des nouvelles de la famille et gérer les problèmes ponctuels » poursuit notre
interlocuteur.374 Il est intéressant de constater que l’usage du téléphone n’est pas toujours
dicté par la nécessité absolue. Il découle de sa gratuité. En lieu et place du télécentre ou du
mobile, les lignes officielles servent, non pas à des usages purement administratifs mais à des
fins personnelles. Les divers services de l’Etat, équipés pour la plupart du téléphone (4977
lignes officielles en 2004 dans toute la région), constituent le principal lieu d’usage du
téléphone. D’ailleurs, cet usage excessif alourdit le budget téléphonique de l’administration.
Selon, le directeur régional de la SONATEL, «Ziguinchor est parmi l’une des régions du
Sénégal, où l’on constate à la fin de chaque mois que les crédits alloués au budget
téléphonique des services administratifs sont dépassés. Il nous faut recourir à des
arrangements afin d’éviter de suspendre les communications téléphoniques dans certains
services étatiques ».
Au-delà du corps des fonctionnaires et des commerçants, téléphoner est devenu banal
pour la population avec la multiplication des télécentres et l’extension du nombre de
propriétaires de cellulaire. Sans les télécentres, les populations auraient d’énormes difficultés
dans leurs communications nationales ou internationales. Avec leur multiplication, il suffit de
faire quelques pas et de pouvoir passer un coup de téléphone. Cependant, comme le souligne
Cheikh Guèye (2002) : «si le téléphone est la nouvelle technologie qui a connu le
développement le plus spectaculaire, c’est sa composante mobile qui porte l’essentiel de sa
croissance. Le remplacement du fixe par le mobile semble inéluctable. »
Page 270
II-2 Le mobile principal support de la relation
Page 271
Figure 18: Evolution du trafic total en Erlang à la centrale de Ziguinchor en 2004
trafic 2004
15%
Traf ic Interne par
39% Central
Traf ic départ par
central
Traf ic Arrivée Par
central
46%
Trafic 2005
12%
20%
27%
Trafic Interne par
Central
Trafic départ par central
53%
Page 272
Figure 21: Evolution mensuelle du trafic téléphonique en Erlang de la région en 2004
Page 273
En 2006, le volume de communications émises entre les différentes localités de la
région s’est accru passant de 12% en 2005 à 20%. Selon la direction de la statistique et de la
prospective de la SONATEL, cette augmentation est la conséquence de l’amélioration de la
couverture du mobile dans la région Ensuite de l’installation de nouvelles infrastructures en
milieu rural, encourage l’acquisition du mobile. Il n’est plus nécessaire maintenant d’aller au
télécentre pour passer des coups de fil.
Ces trois graphiques (21, 22, 23, p271) permettent de comparer les évolutions
mensuelles du trafic téléphonique régional. Elles montrent des périodes de pic dans la
consommation du téléphone de la fin du mois d’octobre au mois de mai de chaque année. Il
correspond à l’hiver en Europe et à la réouverture des réservations hôtelières au Cap Skirring.
Pendant toute cette saison, le Club Méditerranée organise des vols directs au départ de Paris
vers le Cap Skirring. La durée moyenne d’un appel téléphonique est de 2 mn05. En outre, le
trafic échangé entre réseaux mobiles est très important et se développe de plus en plus au
détriment du trafic entre réseau fixe et mobile. Le trafic entrant sur les réseaux mobiles et
venant du réseau fixe représente plus de 5 fois le trafic sortant des réseaux mobiles vers le
réseau fixe. Au Sénégal, en dépit des politiques tarifaires à la baisse, téléphoner d’un mobile
vers un fixe reste toujours cher375.
375
Même dans les pays développés comme la France, les appels d’un fixe vers les mobiles étaient excessivement
chers. Sous la pression exercée des associations consuméristes et de l’autorité de régulation des marchés les
opérateurs ont opéré des baisses importantes sur les prix. http://wwwjournaldunet.com/0411/041103fixes-
mobiles.shtml consulté le 18 0ctobre 2008
Page 274
III- Le mobile, des usages innovants.
376.A.C. Loquay : «Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique » Netcom, numéro 6 Sept 2001.
Page 275
rôle de challenger agressif dans l’espace sous régional. Dans la ville de Ziguinchor, des
locaux flambants neufs abritent les services de la téléphonie mobile ORANGE alors que
TIGO, a augmenté son nombre de distributeurs et de revendeurs (Voir tableau).
Le tableau ci-dessus (n° 26, p275) récapitule les distributeurs des offres SENTEL dans
la région de Ziguinchor en 2007. Ils sont pratiquement tous localisés dans la capitale de
région. Cependant, les offres de l’opérateur sont disponibles dans les autres parties de la
région grâce aux commerçants qui achètent en grand nombre de crédit de recharge auprès des
distributeurs agréés afin de les proposer dans les marchés hebdomadaires ou dans les villages.
Partout dans la région on trouve le moyen d’assurer le rechargement de son téléphone.
La mise sur le marché national du forfait « IZI » de SENTEL, très avantageux pour les
appels ou les envois de sms vers des abonnés du même réseau a dopé la vente de puces
téléphoniques SENTEL dans la région. La concurrence de TIGO s’intensifie de plus en plus
sur ce marché.
Page 276
Tableau 26: Les Points de vente TIGO dans la région de Ziguinchor en octobre 2007
AVENUE AMENA
MARCEL MENDY ZIGUINCHOR ZIGUINCHOR TLC AMADOU SANE GUEYE ZIGUINCHOR
RUE 122,
TELECENTRE QUARTIER
CHERIF AIDARA SANTHIABA ZIGUINCHOR TLC VOILIER BAIE DE BOUDODY ZIGUINCHOR
RUE
TELECENTRE JAVELIER, SALLE D'ATTENTE
KHOUMA DIAGNE ESCALE ZIGUINCHOR GERARD MAHER AEROPORT ZIGUINCHOR
TELECENTRE MOR
ANTA SYLLA ZIGUINCHOR ZIGUINCHOR KEUR KHADIM BELFOR ZIGUINCHOR
TLC LE
KASSUMAY BELFOR ZIGUINCHOR TLC BAMBA AVENUE DES 54 M ZIGUINCHOR
TLC AISSATOU
TLC OMAR DIALLO HLM NEMA ZIGUINCHOR WONE AV IBOU DIALLO ZIGUINCHOR
DAROU ESCALE RUE
KHOUDOSS RUE JAVELIER ZIGUINCHOR TOUBA GSM PLUS JAVELIER ZIGUINCHOR
TOUBA ELECTRO RUE JAVELIER ZIGUINCHOR TLC TOUBA GARE ROUTIERE ZIGUINCHOR
ROND POINT ESCALE RUE
TLC ABDOU AZIZ JEAN PAUL II ZIGUINCHOR SUPERETTE SARA LEMOINE ZIGUINCHOR
AIRE
DISTRIBUTION ROND POINT TLC DOUBLE
SERVICE BELARY ZIGUINCHOR HORIZON GRAND DAKAR ZIGUINCHOR
AVENUE
TOUBA MULTI EMILE
SERVICE BADIANE ZIGUINCHOR TLC MME NIANG SANTHIABA ZIGUINCHOR
RUE G DE AUTO ECOLE
CASA MATERIEL GAULE ZIGUINCHOR ADIEME SANTHIABA ZIGUINCHOR
Page 277
Par souci de se préserver de la concurrence, aucun des deux opérateurs n’a voulu
communiquer sur ses abonnés. Il est difficile d’avoir des données chiffrées sur le nombre
d’utilisateurs du téléphone mobile dans la région. Ce dont on est sûr, est que le cercle des
utilisateurs s’élargit. Les faits divers tragiques que vit quotidiennement la région de
Ziguinchor montrent que même « les rebelles du maquis casamançais»377 utilisent les
infrastructures mobiles pour leur communication. Adeptes du téléphone mobile, «les rebelles
378
ont longtemps échappé à l’armée sénégalaise lors des différents ratissages» . En Mars
2008, la presse sénégalaise s’est fait l’écho des conditions d’arrestation des complices des
meurtriers du « principal facilitateur de la crise casamançaise en Décembre 2007379». Grâce
au téléphone portable de la victime mis sur écoute, les gendarmes ont pu remonter la piste des
meurtriers qui, depuis le maquis, passaient des instructions aux membres de leurs familles.
Ce rappel des faits montre que toutes les catégories de population, toutes les couches sociales
ont compris l’utilité du téléphone et ceci, pour tous les usages à quelque niveau spatial
qu’elles se situent.
Le cellulaire est reconnu par tous comme très utile malgré son coût. Même si on prête
plus attention à Internet qu’à la téléphonie mobile, «cet outil est beaucoup mieux adapté aux
espaces africains »Les usages du téléphone sont globalement les mêmes que ce que l’on
observe ailleurs au Sénégal et en Afrique : l’abondance des formules prépayées et l’adoption
du système des messages courts. Il existe un certain engouement des populations pour cette
forme d’expression toute particulière qui fait appel à l’écriture. Du petit artisan au
commerçant, du collégien au cadre de l’administration, de la ménagère au paysan, tous ont
adopté le mobile. Même au cœur des campagnes les plus pauvres, il y a un processus
d’adoption, voire d’appropriation du téléphone portable. Il est aussi fréquent de voir une
personne disposer de deux puces téléphoniques et de les inter-changer en fonction de la
disponibilité du réseau d’un des opérateurs. Ce phénomène se renforce depuis que les
revendeurs proposent sur le marché des appareils à «doubles puces». Ce qui a pour
conséquence de doper les usages du mobile au détriment du téléphone fixe.
377.Par mesure de précaution, je rappelle que des bandits se parent des habits de rebelles pour commettre leurs
forfaits. L’anarchie qui règne au sein du maquis ouvre la porte à tous les abus.
378.http://www.seneweb.com/news/article/1360.php
379.Chérif Samsedine Aidara, nommé par le président de la république en tant que facilitateur de la crise
casamançaise a été assassiné dans la nuit du 31 décembre 2007 dans son village de Mahmoudia à la frontière
avec la Gambie. Les assaillants ont emporté avec eux de l’argent et son téléphone portable qui par la suite était
utilisé dans le maquis.
Page 278
II--1- une prime aux cartes prépayées
380.Depuis plusieurs années maintenant, la puce téléphonique n’est plus payante à l’ouverture d’une ligne. C’est
seulement la recharge que le client est tenu de régler.
Page 279
Autre exemple caractéristique de ces usages populaires du mobile, très souvent un
abonné garde un peu d’unité afin de pouvoir « biper381 » son interlocuteur. Il s’agit de faire
sonner son numéro et de raccrocher immédiatement avant que le correspondant ne décroche
son téléphone. Il comprendra que vous n’avez pas le crédit nécessaire et vous rappellera
aussitôt s’il en a les moyens. Cependant, malgré les baisses pratiquées par les opérateurs, la
cherté des cartes prépayées pour la durée d’appel permis, est un frein aux « discussions
longues et libres».
D’ailleurs, ces cartes prépayées sont au banc des accusés pour expliquer la disparition
des télécentres dans les villes de la région. De la frontière gambienne à la ville de Ziguinchor
les revendeurs de rechargement électroniques prennent d’assaut les bus de transport en
commun. Dans les villes à chaque coin de rue, les vendeurs de bananes, tailleurs, boutiquiers,
réparateurs de téléphones.., proposent tous des rechargements de carte. Sur ce point précis,
dispersés, éparpillés dans la ville, entassés devant les hôtels au Cap Skirring ou à Ziguinchor,
à la descente du bac de Faraféni ou au rebord de la route, ils tendent leurs rouleaux de cartes à
qui mieux mieux. Ces images que l’on croyait retrouver uniquement à Dakar, se présentent à
chaque occasion dans la capitale du Sud. Ces revendeurs, parfois anciens gérants de
télécentres, végètent dans un sous emploi urbain qui ne permet pas de résoudre la crise du
chômage. Très souvent ils sont à la solde de patrons propriétaires de boutiques ou de
magasins accrédités par la SONATEL ou la SENTEL.
381.Il s’agit de faire sonner son numéro et de raccrocher immédiatement avant que le correspondant ne décroche
son téléphonique. Il comprendra que vous n’avez pas le crédit nécessaire pour l’appeler et vous rappelle aussitôt
s’il en a les moyens.
Page 280
II - 3 - Des systèmes pour décourager la concurrence.
Autre caractéristique des usages du mobile, les efforts et les stratégies commerciales
des opérateurs pour favoriser l’adaptation des crédits de communication au pouvoir d’achat
faible des populations.
Page 281
II – 3 – 2 Des appels vers le concurrent, chèrement payés
Dans la région de Ziguinchor, les évolutions des volumes échangés entre les
opérateurs mobiles montrent une faible interconnexion entre les usagers des deux réseaux
mobiles. Selon une étude réalisée en 2007 par la Sonatel, appeler sur un mobile du même
opérateur est une préférence que justifient les coûts de communication.
Chez Orange (tableau n° 27), trois tranches tarifaires sont identifiées, alors que TIGO
en propose deux. L’autre différence réside dans les modes de facturation. Chez Orange, la
base de tarification est l’unité téléphonique alors que pour TIGO (tableau n°26), la facturation
est à la seconde suivant les heures pleines (8h à 18h) ou les heures creuses (18h à 8h). En
décembre 2007, la SONATEL annonce une baisse de 40% valable sur le fixe et chez
l’opérateur TIGO de ses prix. En même temps, l'opérateur TIGO, a opéré une vaste campagne
de réduction de ses tarifs. Une baisse qui concerne les tarifs locaux, internationaux et services
à valeur ajoutée. Entré en vigueur depuis Janvier 2008, le tarif entre 18 h et 00 h est de 1 franc
la seconde soit une baisse de 50 %. Vers les mobiles Orange entre 8 h et 18 h, c'est 1,5 franc
au lieu de 2 francs, équivalant à une baisse de 25 %.
Le graphique (n°24, p 281) suivant retrace la répartition des appels passés par les
utilisateurs du réseau Orange depuis la région de Ziguinchor. Les flux du trafic sont
caractérisés par de forts déséquilibres. 78% des appels passés par les abonnés de l’opérateur
sont destinés aux abonnés Orange, 8% au fixe national, 11% aux abonnés TIGO, et enfin 3%
Page 282
au réseau international. En additionnant, les appels destinés au fixe et à l’international, on
obtient un chiffre égal à celui des appels sur le réseau TIGO. Ces chiffres cachent aussi une
réalité nationale qu’explique l’ancienneté de la SONATEL dans l’exploitation du réseau
mobile. Au plan national, sur 2982623 abonnés au mobile en 2006, le réseau Orange en
compte près de 2100000 soit 71% des abonnés. Dans sa pratique tarifaire, Orange privilégie,
les abonnés qui appellent sur son réseau. Les appels émis à destination des abonnés de la
concurrence sont chèrement taxés. Les tarifs ont pour principal objectif de décourager tout
appel vers la concurrence.
Figure 24: Destination principale des appels des abonnés mobiles Orange en 2006 dans la région
Ce graphique (n°24, p281) illustre aussi la tendance à éviter de passer des appels
internationaux depuis le réseau mobile ORANGE. Ces appels ne représentent que 3% des
communications émises. Cette tendance est la même qu’à l’échelle nationale. En fait, dans
tout le Sénégal, les usagers du mobile jugent que les appels internationaux sont de meilleurs
prix chez l’opérateur TIGO. Outre le fait de bénéficier de prix à bon marché, le réseau TIGO
est jugé de meilleure qualité dès que la zone est couverte.
Page 283
II – 4 - Deux puces sur de vieux portables
II-5 Les sms (short messages services) une aubaine pour les jeunes
Les cartes prépayées sont le véritable catalyseur des usages du mobile mais l’arrivée
du sms (short message services ou short messaging system) a bouleversé les modes
d’adoption et d’intégration du téléphone. Facturée à 20 FCFA par les opérateurs, le sms
constitue une aubaine pour les différents utilisateurs du téléphone mobile. Avec son coût
abordable et sa relative discrétion, le sms a été très vite intégré dans les usages du mobile
aussi bien en ville que dans la campagne. Selon Ludovic O. Kibora (2006)382, «le sms c’est le
règne du pragmatisme en matière de communication. Il a démontré son efficacité en matière
de mobilisation dans de nombreuses circonstances.» Il est souvent fréquent d’entendre «As-tu
des sms pour que je puisse envoyer juste un message».
Page 284
Ces usages populaires des sms bouleversent les modes traditionnels de diffusion de
l’information ou de circulation de la parole dans l’espace régional Ziguinchorois. La
messagerie sms est appropriée par cette société longtemps ancrée dans l’oralité. On pouvait
penser que l’analphabétisme pouvait être un frein à l’adoption de la messagerie écrite.
Cependant, il est fréquent de voir une personne ne maitrisant pas les rouages de l’écriture
vous aborder en ces termes « dis lui par sms de me rappeler ». Ainsi, comme dans les autres
villes ou campagnes du Sénégal, une invitation quelconque, une information pour un décès ou
de simples salutations sont effectuées par sms. Autant d’évènements qui dans la culture locale
exigeaient de répercuter l’information par voie orale avec souvent une présence physique.
Désormais l’information passe par sms. Depuis que cette forme de communication est très
répandue chez les usagers du téléphone, il n’existe plus d’excuses valables pour ne plus
ventiler une information.
Le variable âge joue beaucoup dans l’appropriation du sms. Il est un mode de
communication plus adoptée par les jeunes que par les adultes. A l’image de ce qui se passe à
Dakar, et ailleurs au Sénégal, ou simplement dans les pays du Nord383, les jeunes (moins de
25ans) de la région de la région de Ziguinchor privilégient le sms dans leur mode de
communication. Les opérateurs de téléphonie, ne s’y sont pas trompés. Les crédits de
communication sont maintenant vendus avec un nombre de sms gratuits qu’il est possible
d’accumuler après chaque achat. On peut ne pas avoir de crédit pour appeler mais il est
toujours possible d’envoyer des sms. Les formules «SEDDO» et « IZI » connaissent un franc
succès surtout chez les jeunes (15-25ans). Contrairement à certains adultes, leur niveau de
scolarisation, les rend plus proches, que leurs ainés, de la culture de l’écrit. L’option
«SEDDO» leur permet de s’acheter un petit crédit pour au moins envoyer des sms. Selon le
gérant du télécentre le «KASSUMAY», revendeur agréé de crédits TIGO, situé à quelques
encablures du lycée Djignabo : «mes plus gros clients pour le IZI, sont des élèves. Comme il
leur est difficile de se payer le crédit, ils se cotisent et laissent à un abonné le soin de
recharger son téléphone afin de pouvoir envoyer à chacun, l’équivalent de la somme donnée,
en crédit de communication. »
Pratique pour son coût, « discret pour les rendez-vous amoureux », le sms continue de
séduire une frange importante de la population. Dans le système d’échanges économiques,
l’usage du sms traduit une certaine évolution et une adaptation nouvelle dans les façons de
383.Voir la comparaison faite par Moustapha Ndiaye (2008) dans sa thèse intitulée : « Approche Comparative
de l’Appropriation de la téléphonie mobile et de l’Internet dans les lieux d’accès publics des villes de Rennes et
de Thiès » Thèse de Doctorat, Université de Rennes II- Haute Bretagne, 435 pages.
Page 285
communiquer. C’est le cas d’Issa Ndiaye revendeur d’huile de palme et de miel au grand
marché de Dakar, rencontré à Kafountine384. Son cas illustre bien la propension à s’informer
sur la disponibilité des produits sur le marché. «Après le baccalauréat, je n’ai pas été à
l’université385. J’ai décidé de monter ma propre affaire en achetant des produits de la
Casamance pour les revendre à Dakar » raconte-t-il. « Au début je me déplaçais pour
chercher le produit. Maintenant que je connais les producteurs locaux et les responsables des
coopératives, soit je les appelle soit j’envoie des sms pour m’informer avant de venir
inutilement».
Son cas n’est pas isolé. Pour des commerçants mourides du marché Saint Maur Des
Fosses de Ziguinchor, qu’importent les fautes qu’on peut faire dans l’écriture d’un message.
Le message écrit est très pratique car il y aura toujours quelqu’un pour te le lire ou te l’écrire.
Selon F. G Diop, spécialisé dans la droguerie, «je n’ai jamais été à l’école » dit-il,
«cependant, mon fils qui m’aide dans le travail, il écrit les sms pour moi à chaque fois que
j’épuise mon crédit téléphonique et j’ai besoin de faire des choses urgentes. Le seul
inconvénient est qu’il connaît tous mes secrets». Cependant, le sms n’est pas le moyen
privilégié de communication pour cette catégorie socioprofessionnelle. Elle reste attachée à la
communication vocale. De tels cas montrent que l’adoption du sms comme forme de
communication ne se fait pas au détriment du message vocal. Au contraire il existe une
certaine complémentarité entre les différentes formes d’usages du téléphone mobile.
D’autres types d’usages du sms sont le fait des radios locales. Ils révolutionnent leurs
émissions interactives. Emergeant dans un contexte plurilingue où l’oralité prime encore sur
l’écrit, les radios en place innovent et adoptent le sms comme forme de participation aux
émissions interactives. Les sms augmentent les taux de participations aux émissions et font
gagner de l’argent aux radios. Le 17 Octobre 2005, la radio «Sud Info Ziguinchor » a été
fermée et ses émissions suspendues par les autorités nationales suite à la diffusion d’une
interview du principal chef rebelle casamançais386. Les journalistes ont été arrêtés et placés en
détention. Selon le directeur de la radio concurrente «Walf Ziguinchor », « les réactions
384.La rencontre a eu lieu le 25 Octobre 2007 à Kafountine. Il semblait intéresser par les produits de la pêche
avec le groupement des femmes de Ziguinchor qui transforme le poisson.
385
Depuis 1994, le baccalauréat n’ouvre plus les portes de l’Université à tous les admis. L’admission est définié
par certains critères.
386.Ibrahima Gassama directeur de Sud Info Ziguinchor est allé à la rencontre du « mythique » chef rebelle Salif
Sadio. Déclaré mort par les autorités nationales à plusieurs reprises, le journaliste est parvenu à donner une
preuve de vie sur le rebelle en chef. Celui-ci s’exprimant sur les conséquences de la rébellion sur la région a
réaffirmé la « non appartenance » de la Casamance au Sénégal. En représailles, l’Etat sénégalais a fait arrêter les
dirigeants de la radio, mis sous scellés tout le matériel de diffusion et inculpé les journalistes pour atteintes à la
sureté de l’Etat.
Page 286
d’indignation par sms ont fait exploser le nombre de messages des émissions interactives.»
Aujourd’hui, les émissions politiques ou sociales interactives ne sont plus les seules où sont
utilisées les sms. Les émissions interactives consacrées aux jeux radiophoniques et aux
dédicaces remportent de francs succès. Le concept a vite séduit et est devenu une source de
revenu pour les radios locales. Au lieu d’appeler sur des lignes surtaxées, les auditeurs
préfèrent envoyer des sms.
En 2000, la radio «Sud Info Ziguinchor » a noué un partenariat avec la SONATEL
pour informer les pêcheurs sur les conditions de navigation en haute mer. Le partenariat
consiste à envoyer un sms à la radio qui réagit automatiquement en donnant les informations
par sms sur la sécurité de navigation. Dans le cadre de cet accord, sur chaque sms, un
pourcentage est versé à l’opérateur GSM et le reste dans le compte de la radio. Ce partenariat
a été un nouveau vecteur de fidélisation d’une certaine catégorie d’auditeurs pour la radio.
L’intérêt pour l’utilisation du mobile dans les modes de communications modernes va
crescendo dans la région de Ziguinchor. Si au début des années 2000, son coût était le
principal frein à son usage, le développement d’un circuit local d’achat-vente de téléphone
mobile permet de proposer à la population régionale un accès à des appareils neufs ou
d’occasion de téléphonie mobile à bon marché, défiant parfois toute concurrence.
Page 287
de leurs nouvelles très fréquemment. Mais ma mère n’ayant pas les moyens de m’appeler
souvent depuis le télécentre du village, je lui ai trouvé ce téléphone pour l’appeler au moins
une fois par semaine ».
Cette forme de solidarité est pour beaucoup dans la multiplication des utilisateurs du
mobile dans les campagnes, facilité en cela par l’amélioration de la couverture mobile. Par
ailleurs, depuis le début des années 1980, des fils de la région partis faire des études
reviennent pour intégrer la direction politique des collectivités rurales. La majorité des
conseils ruraux de Ziguinchor (22 sur 25), est dirigé par un responsable ayant fréquenté le
collège387. Or, une fois élus, les présidents de conseil rural, sont très souvent absents de leur
terroir. Pour rester au courant de la gestion de leur communauté rurale, en plus d’installer le
fixe, ils se sont tous équipés de mobile. De manière indirecte, ils ouvrent la modernité à la
campagne casamançaise, après l’introduction des premiers ordinateurs, et du téléphone fixe.
Les usages du téléphone mobile dans la campagne sont très proches de ceux observés
dans les villes. Un seul téléphone dans un village sert de lien entre la localité et le monde
extérieur. Le mobile qui est à priori un outil individuel, est détourné à des fins de relais
communautaires. Les propriétaires prêtent leur téléphone aux autres membres de la
communauté pour uniquement recevoir des appels sans contrepartie financière. Les jeunes qui
sont des acteurs dans l’introduction des mobiles dans les campagnes initient parfois leurs
ainés à l’usage du sms. Il n’est pas rare de voir un illettré, solliciter une personne sachant lire
pour écrire un message pour lui afin de transmettre une information. Qu’importe si ce dernier
sait lire ou pas, il trouvera forcément quelqu’un pour le lui traduire.
Les usages du mobile autant en ville qu’en milieu rural montrent finalement que la
technologie idéale en matière de communication est celle qui s’adapte le mieux aux besoins
des populations et aux territoires. En fait, malgré la pauvreté des populations et la crise
politique, la région de Ziguinchor, adopte comme principal moyen moderne de
communication, le cellulaire.
Page 288
III Le business autour du mobile : un marché lucratif en
milieu urbain
Page 289
CONCLUSION
388
Cf les travaux de Cheikh Guèye sur Touba en (2004) ou ceux de Annie Chéneau Loquay sur le Cameroun en
2004) www.africanti.org
Page 290
Chapitre 10 : Au-delà du téléphone, les
villes s’ouvrent à Internet : jeux des acteurs
usages, et appropriations.
Page 291
I – La formation des acteurs et des usagers aux TIC.
Page 292
gouvernementales. On peut retenir aussi les expériences des sociétés de la place (la
SONACOS et les chaines hôtelières le DIOLA, les industries de la pêche comme la
SOSECHAL) qui se sont initiées à la micro informatique.
Petit à petit, ces structures de prestations ont essayé de vendre du matériel
informatique, d’initier les jeunes et les travailleurs des entreprises à l’usage des micro-
ordinateurs, participant ainsi à la prise de conscience que pouvait avoir l’informatique dans
les décisions, dans l’investissement au niveau de l’entreprise et dans la vie socio
professionnelle.
La plus grande école de formation de la région de Ziguinchor est celle de SUD
informatique. Avant son organisation actuelle sous forme de SARL, le promoteur de l’école
qui avait des connaissances solides en Informatique, donnait des cours de maintenance et de
programmation de 1981 à 1990. Ses services étaient exclusivement réservés aux divers
organismes et ONG qui travaillait dans le secteur agricole. Mais la logique de développement
des nouvelles filières techniques ont beaucoup influé sur la création de l’Institut de formation
professionnelle (IFP) en 1992.
Les filières proposées par l’ensemble des écoles tournaient jusqu’à une époque
récente, autour des métiers du secrétariat et de la bureautique qui attiraient surtout les femmes
(63% des élèves en 2002)389. Ces formations requièrent le minimum en Informatique à savoir
l’initiation à World, Excel, Windows après l’apprentissage de la compréhension de
l’utilisation d’un clavier d’ordinateur. Entre 1994 et 2006, 1528 diplômés ont été formés par
l’IFP. Mais, sur ces 10ans, on note un déclin des branches traditionnelles de la formation
professionnelle comme la comptabilité et le secrétariat. La formation par modules et le
diplôme de technicien informatique attirent le plus d’étudiants avec 89% des effectifs attestant
au passage de l’importance des métiers liés aux TIC.
389
Pour le cas de l’Institut de formation professionnelle de SUD Informatique que nous connaissons le mieux.
Page 293
Planche Photo 3: Vue du centre de formation IFP de SUD Informatique à Ziguinchor
390.Cheikh Guèye (2003) : Enjeux et rôles des NTIC dans les mutations urbaines : le cas de Touba. In Momar
Coumba DIOP (dir) «Le Sénégal à l’heure de la société de l’information : Technologies et Société». Edition
Karthala 2003
Page 294
70% 391des jeunes finissent par échouer et reviennent sur Ziguinchor : ces jeunes désœuvrés et
exclus du système universitaire veulent une formation. La demande sociale est donc forte ;
Face à l’exclusion d’une partie de la population, dans un espace de plus en plus ouvert
où la demande est forte, plusieurs structures émergent et investissent le créneau de la
formation en informatique et font la concurrence à SUD Informatique. C’est le cas par
exemple du centre pour la promotion de l’informatique en Casamance (CPIC). En plus, de
simples acteurs locaux munis de leur connaissance deviennent des formateurs pour des
particuliers. C’est surtout le cas de jeunes étudiants qui profitent de leurs vacances scolaires
pour donner de cours et qui, parfois même, se retrouvent employés dans les cybercentres.
Cependant les facteurs bloquants et les contraintes qui limitent actuellement l’accès à
la formation professionnelle sont de diverses natures. Le secteur se heurte à des contraintes
inhérentes soit aux acteurs, soit aux équipements et à l’environnement : la faiblesse du parc
informatique et surtout sa vétusté en plus de l’amateurisme constitue autant de facteurs
limitant au développement de la formation professionnelle car entre l’offre et la demande, le
marché est loin d’être saturé.
L’autre frein, et non des moindres, est lié aux coûts de formation. Ceux-ci sont
exorbitants pour les revenus des populations locales. Par exemple chez Sud Informatique,
pour une année de formation en diplôme de technicien en informatique, le coût mensuel est de
12000 francs CFA392 sachant que le SMIC sénégalais est à 40000 francs CFA en moyenne.
Cette situation explique que seule une certaine couche de la population peut accéder à ces
formations et prétendre un emploi dans le secteur des TIC.
Cependant, quelle que soit la place de la formation aux TIC au niveau des écoles et des
différentes structures de formation, on peut établir un constat : ce n’est pas elle qui constitue
le moteur principal de la diffusion des TIC et de leurs usages dans la population. Liée à des
stratégies scolaires ou d’insertion professionnelle, elle ne concerne qu’une minorité
d’individus. En fait le premier accès aux TIC se fait dans les télécentres et les cybercentres.
Dans ce chapitre, nous avons choisi de présenter les usages des TIC les plus en vue : le
téléphone fixe et le mobile et Internet. S’agissant de ce dernier élément, nous l’analysons à
travers les cybercentres des différents quartiers de la ville de Ziguinchor.
391
Ce chiffre est issu d’un sondage effectué le 09 Janvier 2006 à l’Institut de Formation Professionnelle de
Ziguinchor sur un échantillon de 60 personnes.
392.Un euro équivaut sensiblement à 655,56 francs CFA
Page 295
I-3 Une entreprise privée pionnière : SUD Informatique.
SUD Informatique est une entreprise créée en 1990. Son secteur d’activités est celui
des technologies de l’information et de la communication. Elle déploie son activité dans
différents domaines : en plus de l’institut de formation professionnelle, Sud Informatique
dispose d’un télécentre, d’un cybercentre, d’un espace bureautique et secrétariat et revend du
matériel informatique dont la maintenance est garantie par la direction.
Cette entreprise est née de la volonté d’un spécialiste du développement rural. Selon
son directeur-fondateur, l’établissement du groupe à Ziguinchor se justifie par le fait que cette
ville est le meilleur point de convergence entre le développement rural et les TIC : «J’ai
travaillé au Primoca393en tant que technicien agricole mais ma passion pour tout ce qui
touche à l’astronomie et l’informatique est sans limite. Forcément je savais que ma voie se
trouvait dans ce secteur et que le terrain de la Casamance était propice et favorable. Je me
suis perfectionné avant de démissionner et de lancer tout seul l’aventure Sud Informatique.»
Son itinéraire est très loin de celui de beaucoup de chefs d’entreprise qui ont investi le
secteur sans connaissances préalables dans les TIC. En effet, avant la création du groupe Sud
Informatique, les prémices de sa structuration étaient en place. Entre 1981 et 1992, il faisait
de la maintenance et de la programmation. Ses services étaient exclusivement réservés aux
divers organismes et ONG (organisations non gouvernementales) qui travaillent dans le
secteur agricole. Mais la logique de développement des infrastructures et la libéralisation du
secteur des télécommunications à partir de 1992, ont beaucoup influé sur la création de Sud
Informatique en 1992 sous forme de SARL.
Dès le début, cette entreprise veut s’ériger en pôle de promotion des TIC dans toute la
région méridionale et met au centre de son action sa capacité à adapter au niveau local les
innovations. Par l’IFP, veut d’abord répondre à la demande croissante de formation exprimée
autant par les populations que par les structures non gouvernementales de la région. L’objectif
comme le dira son directeur394 est de « permettre à ces jeunes de ne plus éprouver le besoin
de partir pour se former dans les nouveaux métiers. »
Un autre facteur favorable au développement d’internet est la vente d’ordinateurs
d’occasion pour laquelle un marché commence à se consolider. Cette activité de revente
Page 296
d’ordinateurs a stimulé à son tour le développement des métiers liés à l’entretien et la
maintenance des machines.
Planche Photo 4: Exemple de prix de vente de matériel informatique par SUD Informatique
Cette affiche publicitaire est collée sur le tableau d’information de l’Institut de Formation
Professionnelle de Ziguinchor. Les élèves ont été les principaux bénéficiaires de ces offres
d’équipement. Pour certains, il leur était proposé de faire des paiements en plusieurs phases.
Mais les revenus des familles ne permettaient à tous les élèves de s’équiper convenablement.
Depuis que les points de vente des ordinateurs d’occasion se sont multipliés, les prix ont
drastiquement baissé. Un ordinateur complet est proposé sur le marché entre 125000 FCFA
et 300000 FCFA.
Page 297
II - Le rôle du secteur institutionnel et organisationnel, des
efforts appréciables.
395
Entretien réalisé le 02 Mai 2006 dans les locaux de la Gouvernance de Ziguinchor.
396
L’équipement de base d’un CMC se compose de 4 à 5 ordinateurs connectés à Internet, d’une imprimante,
Page 298
« action volontariste » sous l’impulsion «d’interlocuteurs occidentaux », n’est pas suffisante
pour parler d’un réel accès à Internet dans la ville de Bignona car, à l’intérieur du territoire
communal, diverses catégories sociales ne sont pas prises en compte dans les perspectives
d’amélioration des accès.
Toutefois, les élus locaux semblent aujourd’hui bien déterminés à intégrer les TIC, et
l’Internet en particulier, dans leurs instruments de communication et de médiatisation de leurs
actions, afin de créer une administration plus disposée à sensibiliser les administrés et plus
ouverte au partage et au dialogue avec ces derniers. Des sites Web des collectivités locales,
totalement absents au début des années 2000, naissent pour impulser une dynamique dans la
gestion des pouvoirs attribués dans le cadre de la politique de décentralisation. Il s’agit surtout
«de plaquettes de présentations électroniques qui proposent de l’information à caractère
institutionnel sur la collectivité locale (textes législatifs et réglementaires, organes, fonctions,
coopération décentralisée, etc.) qui font la promotion… de leurs responsables politiques ».
(Olivier Sagna 2004).
La plupart du temps, les ONG, les associations et les organismes ont leur sièges basés
dans la ville de Ziguinchor quelque soit leur lieux d’intervention. Ils sont pratiquement les
principaux pourvoyeurs de matériels informatiques pour les nombreuses associations qui
interviennent dans l’humanitaire ou d’autres secteurs. Le niveau d’équipement et les
compétences sont élevés et laissent présager un niveau d’utilisation au dessous de la
moyenne. Selon Frank Muller397, la Mission Française de Coopération, même si elle est
incapable de résoudre l’épineuse question de l’accès en milieu rural, essaie tant bien que mal
de résoudre celui de l’équipement. Ainsi, en 2006, toutes les 25 communautés rurales de la
région de Ziguinchor sont équipées d’un ordinateur, d’un graveur et d’une clé USB. Dans les
communautés rurales où le téléphone est disponible (exemple de Kafountine), l’accès à
Internet s’est développé grâce notamment à une connexion par RTC. Au cas où la connexion
Internet est indisponible, les secrétaires communautaires ne trouvent plus le besoin d’aller
dans les villes pour faire tout le travail de bureautique grâce à la formation qu’ils ont reçu par
d’un scanner, d’un appareil photo numérique et d’une radio d’une puissance de 100 à 250 watts. Le projet a
également été mis en œuvre au Mali et au Mozambique.
397
Il est le représentant de la Mission Française de Coopération dans la région que nous avons rencontré dans le
région en Mai 2006.
Page 299
la même occasion.
Page 300
III - 1 Le centre Aden : une initiative de la coopération française
apporte l’accès à Internet en zone rurale
«L’autre jour à Ziguinchor, je demandais à un collègue son adresse émail, il s’est mis
à rire, toi le broussard qu’est ce que tu fais avec mon adresse émail ? Mais quand je lui ai
écrit un message à partir de Coubanao, maintenant, il me regarde autrement. Il ne pouvait
s’imaginer que l’Internet pouvait exister à Coubanao. Nous sommes maintenant au même
niveau d’information que les gens qui vivent à Ziguinchor ou à Dakar »
Extrait des focus réalisés au centre de Coubanao. Novembre 2006398
Dans son programme de lutte contre la fracture numérique en Afrique, par le biais de
la mission française de coopération, la France a initié dans 12399 pays un programme d’appui
au désenclavement numérique sous la dénomination Aden. Il est doté d’un fond de 6 millions
d’euros. Ce programme doit assurer la réalisation de cinquante centres par la mise en place
d’un dispositif complet de formation et d’accès à Internet dans les zones les plus enclavées.
Les centres Aden sont donc des lieux d’accès et d’initiation à Internet ouvert à tous. En effet,
la coopération française considère les accès publics à Internet comme un axe prioritaire de
lutte contre la fracture numérique. Le choix des zones d’implantation est alors dicté par
l’enclavement et l’absence d’accès à Internet qu’il soit privé ou communautaire. La plupart du
temps, on les retrouve dans les zones rurales ou périurbaines très affectées par l’absence de
connectivité ou par une connectivité inadéquate. C’est là tout le sens de l’initiative Aden :
s’implanter dans des zones où les entrepreneurs privés ne veulent pas aller afin de remplir un
rôle de service public, une mission d’intérêt général. Les objectifs visés peuvent être classés
sous trois ordres : démocratiser l’accès à Internet, former à utiliser les technologies de
l’information et de la communication, et enfin encourager la production de contenus locaux.
Compte tenu des efforts du Sénégal en matière de lutte contre la fracture numérique et
la multiplicité des initiatives dans ce secteur, Odobéré, dans la région de Matam au Nord Est
Page 301
et Coubanao, dans la région de Ziguinchor, sont les deux centres Aden fonctionnels au
Sénégal.
400
Ministère de la décentralisation et des collectivités locales du Sénégal.
Page 302
II-1-2- Etat des infrastructures à Coubanao
Le village est l’une des rares zones rurales401 de la région de Ziguinchor bénéficiant
d’un raccordement électrique et d’une adduction en eau potable. Par ailleurs, le réseau
téléphonique fixe de la SONATEL est arrivé à Coubanao de même que celui du mobile
(Orange et Tigo). Bien avant l’implantation du Centre Aden, la SONATEL a installé dans le
village une antenne téléphonique relais pour desservir l’ensemble de la zone des Kalounayes.
Pour l’accès public au téléphone, des opérateurs privés, ont crée quatre télécentres. Le
premier télécentre implanté dans le village date de 1998. Jusqu’en 2006, seules six
concessions avaient un abonnement téléphonique. L’arrivée du réseau filaire dans le village a
permis par la même occasion de relier les villages environnants de Finthiock et Hathioune,
distants de quelques kilomètres (approximativement 10 km) de part et d’autres de Coubanao).
Chacun de ces villages a un télécentre privé. On ne peut, cependant, pas évaluer le nombre
d’abonnés au téléphone mobile dans le secteur. Ce qui est sûr, c’est que l’amélioration de la
couverture téléphonique mobile avec l’implantation de l’antenne relais, a permis de doper les
abonnements au mobile.
Pour ce qui est des autres services de l’Etat, le village dispose des établissements
scolaires suivants :
Le projet Aden est donc implanté dans un secteur rural où les efforts pour assurer
l’éducation de la population sont très importants. Le centre Aden risque de répondre à un vrai
besoin avec un milieu très porteur au vu de la situation de l’école sénégalaise. Les maux dont
elle souffre sont nombreux et le plus important est celui du manque criard de matériels
didactiques et pédagogiques.
401
Tous les chefs lieux des 25 communautés rurales de la région sont électrifiés. Mais c’est généralement au
niveau des villages qui les composent où l’électricité est absente.
Page 303
III - 1 – 3 - Un contexte socio-économique local favorable à l’initiative du projet
Aden
Page 304
d’accompagnement assurée par le principal bailleur.
Les services offerts par le centre Aden sont de trois ordres : la connexion Internet, la
formation et enfin la production. Afin de remplir tous ces objectifs, le projet devait d’abord
résoudre l’épineuse question de la connexion Internet et surtout celle des nombreux délestages
dans la distribution de l’électricité.
La situation de la connectivité dans la région de Ziguinchor montre que seules les
villes de Ziguinchor et Bignona disposent d’une connexion Adsl. Celle-ci est en cours
d’extension vers le Cap Skirring et Oussouye. Dans certaines zones rurales, l’accès par RNIS
est toujours possible. Pour le reste et plus particulièrement les Kalounayes, la SONATEL
n’offre qu’un accès via la ligne téléphonique. La solution de connexion Internet haut débit
(Adsl+Wireless) qui a été retenue pour le démarrage des activités du centre Aden de
Coubanao, en Mai 2006, n’a pu être mise en place. En effet, elle nécessitait des
investissements techniques lourds si cette connexion devait bénéficier seulement au centre.
Economiquement, c’était une option peu rentable, d’où son abandon.
L’accès par RTC avec un modem de 56Kpbs très limitatif en termes de débits et lourd
en coûts récurrents, a cependant pu être mis en œuvre. Le serveur du centre est connecté au
modem et joue le rôle de partageur de connexion pour les autres postes du centre en service.
Selon Abdou Aziz Guèye, coordonnateur technique du projet Aden au Sénégal, «beaucoup de
problèmes techniques ont été rencontrés pendant la mise en œuvre de la connexion internet
par modem. Les difficultés de connexion sont dues au fait que le «PACK Aden403» est
incompatible avec la liaison RTC.» En plus, ce type de connexion est jugé obsolète vu le
faible débit des liaisons. Avec ce système, il fallait stocker en local les pages web les plus
fréquemment utilisées dans le serveur pour ne pas avoir à les télécharger à nouveau lorsque
403.Le PACK Aden destiné aux cybercentres est un système d’exploitation et une suite logicielle basée sur
GNU/Linux. Ce pack fait donc partie des logiciels libres et en comporte les caractéristiques suivantes : il est
téléchargeable gratuitement et il est possible de le modifier et de le distribué.
Page 305
des clients en font la demande. Cela permettait d’optimiser par la même occasion l’utilisation
de la ligne téléphonique ainsi que la bande passante Internet.
Cette situation s’est traduite par des factures téléphoniques très élevées. Devant cette
grande difficulté, une solution hertzienne avec raccordement à partir de Ziguinchor distant de
15km à vol d’oiseau est envisagée. Depuis le 27 Octobre 2006, la Sonatel a accepté de
devancer son plan de déploiement national de la technologie CDMA pour en équiper le centre
de Coubanao qui devient par la même occasion, l’un des premiers points d’accès Internet
communautaires au Sénégal à bénéficier de la connexion haut débit. Depuis, la liaison est
jugée stable et d’un débit satisfaisant par le coordonnateur local et les différents usagers
malgré les pertes occasionnelles de signal qui devraient disparaître avec le rehaussement de
l’antenne par la Sonatel.
Le problème de la connexion est résolu avec la liaison CDMA. Pour autant, la
distribution électrique et l’exposition du matériel informatique à des conditions
environnementales spécifiques constituent les principales menaces. Pour lutter contre les
délestages, le projet Aden, en partenariat avec la «ENERCOM AFRIQUE », a fait installer un
système d’alimentation électrique pour protéger l’ensemble du matériel du centre des
fluctuations dans la distribution de l’électricité. Ce système est constitué d’un jeu de 12
batteries rechargeables. Elles permettent d’assurer une autonomie d’au moins 6H.
Ainsi donc, la réalisation du projet Aden fait intervenir une chaîne de partenariat.
Contrairement aux expériences du passé où le bailleur amenait tout le matériel et se chargeait
de toute l’exploitation, le centre Aden a d’abord suscité un intérêt particulier des principaux
bénéficiaires, par le biais de leur association, en leur déléguant toutes les charges de
fonctionnement et n’apporte que son soutien logistique et technique pour une durée de deux
ans. Au total, sur deux années de fonctionnement, l’apport du principal bailleur se chiffre à
45000 euros soit 30 millions de Franc CFA.
Page 306
III – 1 – 5 - Equipement et dispositif de fonctionnement
Le centre de Coubanao dispose de huit postes informatiques dont deux serveurs. Les
six (6) postes clients sont reliés par une connexion Ethernet 10/100Mbits/s et les deux autres
sont délégués au partage de la connexion et de la comptabilité. Les ordinateurs sont équipés
du « Pack Aden». Cette solution est une distribution Linux avec une gamme de logiciels
libres. Sans entrer dans le débat qui veut que les logiciels libres soient l’avenir du
développement des accès en Afrique parce que moins chers, plus fiables et plus performants,
le « Pack Aden » dispose d’un outil intégré de gestion. Les autres matériels du centre sont
regroupés dans le tableau suivant (n°29, p 306).
Le centre d’accès communautaire de Coubanao doit développer des stratégies pour
devenir un prestataire de service performant. Ce rôle est dévolu à un comité de gestion
composé de cinq membres : deux techniciens, deux animatrices et enfin un gérant.
Leur niveau d’instruction varie de la troisième secondaire à la terminale. Ce qui est
généralement le cas du personnel recruté par les projets dans leur territoire d’action.
A ce comité, la mission française a assuré une formation très sommaire sur les notions
primaires d’initiation en Informatique. C’est ce personnel qui se charge, par la suite, d’assurer
une formation en bureautique comme Open office (World et Excel). Cependant, la
consultation des premiers rapports fournis par les entreprises prestataires de services404, révèle
une insuffisance de la formation du personnel à l’informatique et à l’Internet et surtout une
absence de formation en gestion financière et comptable. Dans ce même rapport, il est fait
cas de ce qui suit : «les opérations ne sont pas assez bien formalisées avec des supports
adéquats. En outre on note une absence totale des procédures comptable et financière.» Ces
déficits, dans la tenue des registres et des comptes, sont à l’image des habitudes et des modes
de faire en Afrique où les pratiques informelles prédominent dans la gestion quotidienne des
affaires. Devant cette situation, les interventions de formation et de suivi techniques sont
renforcées. D’ailleurs le suivi est complété par des relais sur place comme celui l’assistant
technique de l’ambassade de France chargé des projets de coopération pour la Casamance.
404.La société Next S.A dans son premier rapport intitulé « Diagnostic Institutionnel et Organisationnel du
centre de Coubanao » Rapport de Novembre 2006.
Page 307
Tableau 29: Tableau récapitulatif du matériel informatique et technique du Centre Aden
Il est important que le centre puisse générer ses propres bénéfices pour assurer, après
le désengagement du promoteur, son fonctionnement (factures de connexion Internet, salaire
du personnel..etc.) Ainsi, le centre Aden offre une diversité de service (bureautique,
formation, scanner …etc.) mais c’est surtout l’accès à Internet qui reste le service le plus
utilisé par les populations de Coubanao et au-delà de toute la zone des Kalounayes.
Pour rappel, la médiation qui consiste à faire l’interface entre l’outil et l’usager est un
des aspects courants de l’utilisation de l’informatique (principalement d’Internet) dans les
territoires africains. Dans cette zone rurale, où l’introduction de l’ordinateur est très récente,
le centre Aden propose des services qui vont dans le sens de la maitrise des rudiments d’usage
de l’ordinateur. Au-delà de la réduction de la fracture numérique, un des objectifs que le
projet Aden s’est fixé est d’appuyer la création et la diffusion de services d’application TIC
utiles aux populations. Ainsi le volet formation est une des priorités du projet Aden.
A Coubanao, la formation est une des bases des activités de production de ressources
du centre. Selon les demandes, les modules de formation concernent surtout Open Office
(format Microsoft world et format Microsoft Excel). La seule contrainte ne vient pas des
Page 308
difficultés à utiliser le Pack Aden du fait de l’habitude à Windows, mais plutôt à cause du fait
que les populations n’ont jamais utilisé la machine.
Depuis le démarrage des activités, en Mai 2006, quatre vingt douze personnes ont été
formées par le centre. Mais, ces formations ne bénéficient pas à toute la population rurale, la
plupart des formés étant des enseignants ou des élèves. Certes, les acteurs locaux de la zone
des Kalounayes, apprécient cette formation qui facilite la gestion des affaires courantes du
conseil rural de Coubanao. Mais le profil type est très loin de représenter la population rurale
de la zone des Kalounayes ;
Sur le plan financier, ce n’est certainement pas, cette activité qui génère le plus de
revenus pour le centre. La tarification est de 2000 FCFA405 pour les élèves et de 4000 (quatre
mille) FCFA pour toute autre personne, pour une session d’une durée de 5 heures. Les autres
activités de production de ressources tournent autour de la saisie de document, de
l’impression et du scanne document facturé 150 FCFA la photocopie et surtout la connexion
Internet qui représente, le plus, les activités du centre.
Page 309
100 FCFA (cent francs) l’heure de connexion. Depuis, «nous avons connu une affluence au
niveau du centre surtout pour la connexion » selon Mr Badji.
Ces chiffres sur la rentabilité de la connexion Internet ne sont qu’une estimation pour
avoir un aperçu succinct d’une potentielle rentabilité de la connexion406. Il nous est difficile
d’avoir des chiffres exacts au niveau du comité de gestion. Ce que nous pouvons comprendre
car, en Afrique, certains sujets qui touchent à la rentabilité financière sont tabous. Toutefois,
sans la subvention du bailleur, les fonds générés par la connexion Internet, ne peuvent assurer
une viabilité financière au centre Aden.
En ce qui concerne les connexions, la baisse des tarifs est ressentie sur la fréquentation
du centre. En 2007, le nombre de connexion à Internet a atteint 1772.
406
La gestion du centre requiert la tenue d’un registre des comptes. Je ne pouvais pas avoir accès à certaines
informations non encore validées par le bailleur principal. Mes nombreux échanges électroniques avec les
gérants non rien pu donner.
Page 310
Tableau 31: Evolution mensuelle des connexions à Internet en 2007 à Coubanao
Type de
connexion Janv Fév Mars Avri Mai Juin Juillet Aout Sept Oct Nov Déc Total
Nombre de
connexion 225 235 178 144 152 290 175 69 45 83 98 78 1772
Nombre de
connexion
à 1H 114 114 138 108 117 121 136 41 26 56 73 51 1095
Nombre de
connexion
30mn 100 100 39 29 30 57 36 23 19 23 21 24 501
Nombre de
connexion
Forfait
10H/ Mois 11 21 11 7 6 12 3 5 0 4 4 3 87
Les données publiées dans le tableau (n° 31, p 309) et celles représentées sur le
graphique (figure 26, p 310) donnent des informations sur l’évolution mensuelle et annuelle
des connexions à Internet dans le centre de Coubanao.
Ce diagramme (figure 26, p 310) montre une évolution différentielle mensuelle des
fréquentations du centre Aden en 2007. De Janvier à Juillet, la fréquentation est relativement
stable malgré les creux sur le diagramme. D’ailleurs, le mois de Juin a enregistré la plus
grande affluence. Comme on le constate, l’affluence baisse du mois d’Août au mois de
Décembre. En fait, pendant cette période, le centre perd une bonne partie de sa clientèle
constituée par les élèves et les professeurs. Pour les élèves, la plupart d’entre eux n’habitent
pas le village de Coubanao. Ils sont orientés, en fonction de leur domicile, sur les
établissements les plus proches. Pour les professeurs aussi, selon nos enquêtes sur les 35
enseignants, 17 ne sont pas originaires des terroirs de la Casamance. A la fin de l’année
scolaire, ils rentrent dans leur région d’origine.
Page 311
Figure 25: Diagramme en barre des connexions en 2007
Ces éléments ne sont pas les seuls motifs d’explications. Dans la région, malgré la
crise notée dans la paysannerie, les travaux champêtres se déroulent en respectant les
traditions. Dans la société Diola, les jeunes s’occupent toujours des exploitations familiales
pendant toute la période des semailles. Or, la zone des Kalounayes reste aussi un territoire
agricole qui occupe la majorité de ses populations.
En résumé, quoiqu’on puisse penser de l’initiative Aden, le fait d’être implanté en
milieu rural est déjà un critère d’appréciation que l’on ne peut ignorer. Le véritable impact du
projet se mesure dans la nature des usages que les bénéficiaires font et feront des équipements
du centre.
Page 312
Figure 26: Serveur du centre Figure 27: Vue d'ensemble du matériel
informatique Pack Aden
Page 313
III – 2- Intégration des TIC dans le système éducatif local : Cas du
lycée Djignabo de Ziguinchor.
407.Serigne Mbacké Seck et Cheikh Guèye (2002) : « Les nouvelles technologies de l’information et de la
communication et le système éducatif Sénégalais » Rapport UNRISD Mai 2002.
408.Le RESAFAD (Réseau Africain de formation à Distance) est une structure du Ministère de l’éducation
nationale interne à la direction de l’enseignement moyen secondaire général. La commission e-Afrique du
NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) a mis en œuvre un programme que
chapeaute le RESAFAD.
Page 314
Internet. Toujours en 2004, l’élargissement du parc Informatique et la connexion à Internet,
financés par des bailleurs différents, touchent plus de soixante dix établissements scolaires.
Parallèlement de vastes programmes dont l’objectif est d’outiller les établissements scolaires
en compétences permettant d’améliorer, d’enrichir et de faciliter les pratiques pédagogiques,
sont coordonnés par le RESAFAD.
Après la première phase d’équipement des établissements cibles en ordinateurs,
photocopieurs et tableaux blancs numériques, les enseignants ont été de plus en plus
impliqués dans la formation pour une pérennisation des usages de l’informatique dans les
établissements scolaires sénégalais. Avec la baisse successive des coûts de connexion et du
matériel informatique, les initiatives ne manquent plus. C’est dans cet ordre qu’il faut ranger
l’action développée par l’association HUMTEC (Humanitarian technopôle) au lycée Djignabo
de Ziguinchor. Quelles sont les conditions, les contraintes, les implications pédagogiques de
cette initiative?
Construit à la fin des années 1950, le lycée Djignabo de Ziguinchor est l’un des plus
grands établissements scolaires du Sénégal. Cet établissement a marqué toute l’histoire de
l’enseignement scolaire de la région naturelle de la Casamance. Aujourd’hui, certes le lycée
Djignabo n’est plus le seul de la région409, il n’en demeure pas moins qu’il occupe une place
centrale dans l’organigramme scolaire régional. Selon son proviseur Nouha Cissé410, « le
lycée continue à polariser un grand nombre de collèges, et beaucoup d’élèves continuent à
manifester le désir d’être orienté au lycée après le brevet ». Depuis plusieurs années, les
effectifs ne cessent de croître malgré l’ouverture d’un second lycée dans la ville de
Ziguinchor.
En 2007, l’établissement comptait 4989 élèves répartis en 74 classes pédagogiques
pour uniquement 66 classes physiques et six classes nomades. Un collège professoral de 127
enseignants assurait les enseignements dans des disciplines diverses. Pour l’année académique
2007/2008, 4340 suivent les enseignements scolaires. Cette baisse est due à l’ouverture d’un
second lycée dans la ville de Ziguinchor en 2007, et à de nouvelles créations de collèges en
409.La région naturelle de la Casamance (Ziguinchor et Kolda) en compte aujourd’hui une quinzaine.
410.Entretien Mai 2006.
Page 315
milieu rural pour désengorger le lycée Djignabo. Malgré tout, les effectifs sont pléthoriques
(50 à 70 élèves par classes). Ce qui fait du lycée Djignabo, l’une des structures
d’enseignement les plus engorgées du Sénégal.
Erigé sur un terrain sableux avec des bâtiments éparpillés, le lycée est victime de
l’érosion hydrique à chaque hivernage et les bâtiments prennent au fil du temps un aspect
rustique avec des murs décrépis. Les structures en état de délabrement et l’engorgement des
classes sont les principales caractéristiques de ce lycée qui accueille le centre de ressources
piloté par l’association Humanitarian Technopole.
Page 316
Par le programme Humtec, la communauté éducative de la ville de Ziguinchor s’ouvre
à de nouvelles perspectives. Le seul établissement scolaire régional qui a un accès à Internet
avec le lycée Aoune Sané de Bignona, est le lycée Djignabo de Ziguinchor. Le projet Humtec
est celui d’un couple français. De jeunes ingénieurs informaticiens qui après avoir travaillé
dans de grandes entreprises IBM, se sont sentis concernés par l’humanitaire. Leur initiative
rappelle celle des acteurs qui les ont précédés dans des œuvres humanitaires au bénéfice de la
région de Ziguinchor. Avec leurs idées et leurs moyens propres, ils reprennent un programme
d’équipements informatiques et d’accès à Internet au lycée Djignabo, commencé deux ans
auparavant. Ce premier projet initié par World Links n’a pas tenu ses promesses, et montre
une fois de plus, une situation récurrente que les pays africains connaissent dans les différents
projets dont ils bénéficient.
Historiquement, le centre de ressources du lycée Djignabo est créé en 2001. A ce
propos, le lycée a bénéficié du programme spécifique de World Links411. Il a bénéficié du
Fonds de Solidarité Prioritaire (FSP) mis en place par la France dans le cadre du projet
«Appui au Développement Local de la Casamance» dont l’objectif était de favoriser une
reprise des activités économiques et sociales des populations durement touchées par la crise
politique régionale. D’un montant de 23,6 Millions de FCFA, l’informatisation du lycée
Djignabo, au travers le programme de renforcement de l’éducation au Sénégal, a bénéficié du
concours de plusieurs partenaires, notamment la ville de Saint Maur des Fosses jumelée à
Ziguinchor depuis plus de 40 ans, le Conseil Général du Val de Marne et le Conseil Régional
d’Ile de France. En mettant l’accent sur le renforcement des capacités locales par la formation
des acteurs de l’enseignement, ce projet n’a malheureusement pas donné les résultats
escomptés. Il n’a pas survécu aux énormes charges de fonctionnement.
Dans ce contexte particulier et difficile, l’association Humtec prend le relais à partir de
2003 pour continuer les initiatives amorcées.
Les principaux objectifs de l’association sont les suivants :
Augmenter les capacités didactiques et pédagogiques du lycée par l’accès à
Internet,
Augmenter la qualité de la gestion administrative du lycée,
Enfin désenclaver le lycée et faire naitre des vocations.
411.Il s’agit d’un programme de la banque mondial dont l’objectif est d’équiper certains établissements
sénégalais en matériel informatique et par la suite une connexion Internet.
Page 317
Au-delà du lycée, l’association vise la création d’un pôle régional de compétence. Le
recours à l’Internet constitue une voie pour pallier l’insuffisance de documentation et de
manuels dont souffrent actuellement les établissements scolaires qu’il s’agisse des lycées, des
collèges d’enseignements de la région. Le centre de ressources ambitionne d’appuyer le
développement de l’accès aux élèves et aux enseignants afin de créer une synergie à l’échelle
régionale.
Page 318
Le projet a donc démarré avec deux salles informatiques pour un total de 23 postes
informatiques connectés. La priorité de HUMTEC était de former les professeurs chargés des
enseignements techniques et professionnels au lycée, pour leur laisser par la suite la gestion
technique de la salle informatique. Pendant toute cette première phase un responsable
technique du lycée s’est chargé de la maintenance des infrastructures. Au retrait des
responsables du projet HUMTEC (2007)412, la salle de ressources informatiques s’est
agrandie et sa gestion financière et technique améliorée. En Mai 2008, le centre de ressources
compte les infrastructures et les équipements suivants :
3 salles informatiques totalement réhabilitées et équipées dont deux exclusivement
réservées aux élèves,
42 ordinateurs connectés dans les salles réservées aux élèves et 17 dans celle des
professeurs,
3 imprimantes dont deux de type Laser
Un scanner
Une Webcam.
A l’image du centre Aden Coubanao, l’architecture logicielle du matériel de la salle de
ressources informatiques est celle de «l’Open Source et libre de droits». Le serveur du lycée
est équipé du logiciel Apache diffusé gratuitement. Celui-ci, sécurisé et interfacé avec des
langages, utilise un système d’exploitation Unix et ses dérivés dont Linux. La suite
bureautique est celle de l’Open/Office pour le traitement de texte et les tableurs.
Le choix de ces logiciels libres permet au lycée Djignabo de fonctionner tout en étant
en règle avec les licences d’exploitation. Il s’agit d’un choix qui s’opère de plus en plus pour
satisfaire un plus large public. L’autre avantage est que l’installation et l’exploitation de
l’infrastructure Internet font appel à des logiciels libres de source, gratuits et maintenus. Selon
Laurent Piolenti, concepteur de l’architecture, celle-ci s’appuie «sur des technologies
éprouvées et évolutives».
412
Ils se sont désengagés de la gestion mais continuent de suivre l’évolution du projet avec la publication du
rapport annuel sur leur site www.humtec.org
Page 319
Figure 31: Architecture technique de la salle des ressources (source Laurent Piolenti 2007)
La connexion Internet ne rencontre pas trop de difficulté. A ses débuts le lycée était
connecté par RTC. Mais depuis 2004, la connexion au réseau Internet se fait via
l’infrastructure de communication téléphonique de la Sonatel. La connexion Adsl 1024, est
ensuite partagée par un routeur intégrant un Switch 4 ports de 10/100Mbits/s. Pour
démultiplier chaque sortie du routeur, un HUB de 8 Switch a permis, au début, de faire
fonctionner la salle informatique avec 8 postes clients. Cette architecture réseau permet le
partage des ressources du serveur (imprimante, espace de formation dédié…) et l’accès à
Page 320
Internet entre les différents postes informatiques.
Sans ce schéma de partage, cette architecture sécurisée (pare feu) ne pouvait évoluer
facilement vers un nombre plus élevé de postes clients connectés. L’installation du nouveau
HUB de 32 ports a permis d’accroitre le nombre de postes connectés et de les porter à 42
ordinateurs. Mais la principale contrainte, demeure les délestages incessants dans la
distribution de l’électricité. Contrairement au centre Aden de Coubanao, où des batteries
électriques servent de solutions de rechange face aux coupures électriques, au lycée Djignabo,
chaque poste est couplé à un onduleur. A chaque coupure, il est possible de finir les tâches
bureautiques commencées et de sauvegarder les informations en cas de besoin.
La technologie WIFI, qui commence à se répandre dans la ville, n’est pas à l’ordre du
jour. Cependant, moyennant l’installation de la technologie nécessaire, cette architecture
réseau peut naturellement évoluer vers ce nouveau concept. Mais le concepteur de
l’architecture le déconseille vivement. Selon lui, un des freins reste lié à la sécurité : « un
réseau intégrant la technologie WIFI est exposé à plusieurs dangers. Du squattage d’accès
Internet à l’attaque d’un réseau privé, les menaces sont différentes et des progrès restent à
faire notamment au niveau du cryptage des données»
L’accès à la salle informatique est ouvert à tous les élèves et à l’ensemble du corps
professoral et administratif. Pour les élèves, issus pour la plupart de milieux défavorisés, une
participation symbolique de 500 FCFA qui représente les frais d’accès aux services du bloc
informatique, est exigée à chaque rentrée scolaire. En dehors de cette somme, l’élève doit
débourser 150 FCFA à l’heure de connexion et 25FCFA pour toute page imprimée. Il est vrai
que l’espace est financé par un partenaire mais le comité de gestion justifie le paiement de
l’accès pour non seulement supporter les dépenses de matériels et de maintenance, mais pour
mieux réglementer l’usage et que les usagers se sentent concernés par l’espace. Les prix de
connexion pratiqués sont sensiblement équivalents à ceux des cybercentres. L’objectif est de
Page 321
les impliquer davantage en créant une dynamique dans la pérennisation de cet espace
numérique.
Pour le personnel administratif, et enseignant, la contribution est de 1000FCFA.
Depuis la rentrée scolaire 2007, les autres élèves des établissements de la ville sont autorisés à
utiliser la salle informatique du lycée. Cependant, il leur faut s’acquitter de la même
contribution financière que celle demandée aux élèves du lycée. Cette ouverture permet
d’étendre le périmètre des bénéficiaires du centre informatique du lycée Djignabo. De l’avis
du proviseur, l’adhésion de la communauté éducative est aujourd’hui acquise. Celle-ci
s’ouvre à de nouvelles perspectives. Si tout au début, seuls quelques enseignants avaient
intégré le projet pour suivre une initiation à l’informatique « les professeurs qui ne sont pas
entrés dans le projet demandent à y entrer, ceux qui ont suivi des cours veulent continuer à se
familiariser avec l’outil informatique»413. Une dynamique est donc en marche pour pérenniser
cette initiative dans le sens d’une amélioration de la qualité des enseignements.
En l’état actuel de la situation, le centre de ressources informatiques du lycée
fonctionne convenablement avec les moyens mis à sa disposition par les initiateurs du projet.
Il est même prévu avant fin 2009, l’extension de son usage par les autres établissements
d’enseignement public de la ville de Ziguinchor. Cependant, il est toujours possible de
s’interroger sur la pérennité d’une telle initiative car l’efficacité d’une action se mesure
toujours dans la durée et que beaucoup d’autres projets qui l’ont précédé on connu des
fortunes diverses.
Tout au début un doute persistait sur l’efficacité d’un projet en « électron-libre » non
encadré par un programme institutionnel. Mais après deux années de formation, les premiers
impacts de la connexion du lycée Djignabo se mesurent autant par l’amélioration des résultats
du baccalauréat que par les outils de gestion administrative à la disposition de la communauté
éducative. Les données de tous les élèves ainsi que leur cursus scolaire ont été centralisées
dans une base informatisée. Ce système permet de lutter efficacement contre les fraudes à
l’inscription constatées chaque année par l’administration. En clair, avec l’informatisation du
fichier, «l’inscription d’un élève est officiellement refusée parce qu’il n’a pas le niveau, a
dépassé l’âge, a trop redoublé ou doit être dirigé vers un autre lycée… Quelques mois après,
on le retrouvait sur la liste d’une classe » nous dit le proviseur du lycée. Il n’est plus
maintenant possible de falsifier les résultats des examens car ce sont les enseignants qui se
connectent directement sur la base, qui saisissent les informations avant d’éditer les résultats
Page 322
qui sont par la suite transmis à l’administration.
Pour les élèves l’intranet est fonctionnel. Les enseignants mettent en ligne les supports
des cours qui peuvent être imprimés par les élèves. D’après Mr Mboup, responsable de la
salle informatique du lycée, à cause de la forte demande en formation, les séances de
démonstration de l’intranet se sont multipliées en 2007 passant de deux à cinq. Une
mécanique s’est mise en marche et les élèves, par leur fréquentation de la salle incitent les
professeurs à traiter d’autres sujets. Avec les grèves répétitives dans l’enseignement scolaire,
les enseignants anticipent sur le calendrier scolaire. Même en cas de suspension des cours, les
élèves de terminale ne sont pas pénalisés car ils ont l’ensemble du programme scolaire sur
l’Intranet du lycée.
Il y a maintenant du contenu dans l’intranet du lycée Djignabo. Un Webmaster est
formé parmi le corps enseignant. La gestion informatique du travail des élèves est
informatisée. Le site du lycée est constamment mis à jour. Tout le contraire de l’ensemble des
sites web informatiques de la région qui sont pour la plupart statique. Dans cette bataille de
développement des accès informatiques dans la région, Djignabo a montré qu’avec des
moyens limités, malgré des conditions difficiles, il est possible de faire évoluer la situation.
En dépit des coupures fréquentes de la connexion Adsl414, l’Intranet marche car il est possible
de consulter les travaux mis dans l’Intranet par les enseignants pourvu qu’il y a de l’électricté.
414.En Avril 2006, pendant 15 jours aucune connexion Internet n’était possible dans la ville de Ziguinchor à
cause de problèmes techniques au niveau de la Sonatel. Ils arrivaient que certains aient une connexion aléatoire.
Page 323
Planche Photo 6: Salle Humtec à Djignabo
Figure 32: Madame Sophie de HERdT co- Figure 33: Des professeurs du Lycée en pleine
initiatrice du projet séance de formation
Figure 34: Séance de consultation Internet Figure 35: Une vue de la salle Internet des
élèves
Page 324
IV - Les usages d’Internet dans la ville de Ziguinchor, une
analyse à travers les cybercentres
415.
Asymetric Digital Subscibe Line en anglais, mais la définition française est « ligne d’abonné numérique à
débit asymétrique ». la traduction officielle est : « raccordement numérique asymétrique » (RNA) ou « liaison
numérique à débit asymétrique »
416
Claire Scopsi dans son étude «Représentation des TIC et multi territorialité : le cas des télés et cyberboutiques
de château rouge à Paris » In Mondialisation et technologies de l’information en Afrique » Karthala MSH 2004,
Elle nous rappelle que le local ne cesse de peser sur les usages, tant par les contraintes physiques et économiques
qu’il exerce sur l’équipement et les infrastructures d’où la nécessité de considérer ces lieux publics d’accès à
Internet dans leur dimension territoriale.
417
En fait il y a des exploitants de télécentres qui proposent un accès à Internet avec un ordinateur connecté.
Cependant, nous ne tenons compte que des structures qui sont équipés au moins de trois ordinateurs. Suivant ce
critère, nous affirmons qu’en octobre 2007, qu’il y avait 16 cybercentres.
Page 325
IV - 1 - Le cybercentre, un lieu d’accès prioritaire pour les
Ziguinchorois.
Au cours de nos différentes enquêtes une question toute banale a été posée à nos
différents interlocuteurs : «Quels sont vos principaux lieux d’accès à Internet ? La réponse
donne plus de 91,7% pour le cybercentre (figure 37). L’accès à domicile est très marginal :
2,06% des internautes alors que pour une autre catégorie d’Internautes, le bureau (23,12%)
est, après le cybercentre, le point d’accès à Internet privilégié.
Figure 36: Les lieux d'accès privilégiés à Internet à Ziguinchor selon les internautes
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l’âge moyen des internautes rencontrés dans ces lieux d’accès (figur 38).
On peut déjà relerver que les jeunes adultes (22-29 ans) sont les principaux internautes
(46%). Ensuite, les tranches d’âges moins de 18 ans et 18-21 ans représentent plus 29% de la
population enquêtée. Il est aussi intéressant de noter que si nous faisons le cumul, 75% des
enquêtés ont entre 18 et 29ans. La tranche d’âge «plus de 35 ans » est faiblement représentée
avec 9%. Avec cette tendance, il est clair que la majorité des usagers des cybercentres sont
des jeunes. Cette tendance est d’ailleurs celle observée par d’autres études sur les usages
d’Internet dans les cybercentres du Sénégal (Guignard 2004, Sylla 2005 et M. Diallo-Dia
2008).
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IV - 2 - Les usages d’Internet, des spécificités locales très marquées
Les usages d’Internet dans la ville de Ziguinchor ne se démarquent pas de ce qui est
noté dans les autres villes africaines. Thomas Guignard (2004) montre que l’usage de la
messagerie était la plus importante dans la population des internautes sénégalais. Aghi Bahi
(2004) remarque les mêmes types d’usages dans les cybercentres abidjanais. Baba Wamé
(2005) dans sa thèse sur les usages d’Internet au Cameroun revient sur l’impact de la Web
rencontre pour les jeunes filles à la recherche du mari virtuel (80% environ des connectés).
Vidal P et Desdorbes F (2006) constatent que les cybercentres «ne sont pas des lieux de
formation aux TIC mais bien plus des lieux de rencontre où cohabitent de grandes
proportions d’usagers en quête de partenaires numériques ou de maintien du lien avec des
migrants vers les pays du Nord….etc. »
Il suffit d’aller dans n’importe quel cybercentre de Ziguinchor, et d’interroger
l’historique de navigation pour se rendre compte de l’importance de la messagerie, du chat et
des jeux. Est-ce du fait de l’isolement géographique qui pèse fortement sur la vie de relation
de la région ? Assiste-t-on à une prise de conscience très nette par la population du fait
qu’Internet est un moyen de s’ouvrir et de se substituer aux déplacements ?
Nous estimons qu’il est important de sortir les traits communs dans les usages avant de
préciser les particularités des usages qu’il est possible de déceler du centre ville à la
périphérie.
Ainsi, en analysant, les résultats de nos différentes enquêtes, on constate que tous les
publics sont touchés : ceux qui savent lire, écrire et manipuler l’ordinateur, ceux qui savent
lire, écrire mais pas manipuler l’ordinateur, ceux qui savent lire mais pas écrire et ceux qui
viennent «apprendre à manipuler l’ordinateur et faire comme tout le monde» selon un
internaute. Mais en croisant les variables «âge et niveau d’études » on constate qu’en plus
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d’être jeune le public des cybercentres est instruit. 79,5% des internautes ont fait des études
secondaires. Cette jeunesse, née avec le perfectionnement et la banalisation des moyens
modernes de communication, plus concernée par l’émigration où par la recherche de
formation dans des établissements universitaires étrangers, fréquente les cybercentres.
Cette jeunesse de la population découle de la conjonction de plusieurs facteurs. Il
s’agit notamment de la multiplication des cybercentres mais surtout de la baisse des coûts
d’accès. A titre d’exemple avant 2000, l’heure de connexion était facturée à 3500 FCFA.
Avec le passage à l’Adsl en 2004, elle est passée à 200 FCFA voir 150 FCFA dans certains
cybercentres. A ce rythme, Internet est devenu un service urbain banal qui est passé en moins
de cinq années d’un accès élitiste (O. Sagna 2008) à une ouverture plus importante vers les
autres couches sociales de la population sénégalaise.
Mais malgré les niveaux d’étude des internautes, nos entretiens avec les gérants et nos
observations, mettent en lumière un phénomène important dans les usages d’Internet : celui de
la médiation. Les gérants interviennent très souvent pour porter assistance aux internautes.
Etant donné aussi que certains gérants des cybercentres ne maîtrisent pas totalement certains
rudiments de l’informatique, ce sont parfois les usagers qui s’apportent de l’aide
mutuellement en échangeant leur savoir faire. Cette médiation est très efficace pour que les
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utilisateurs s’approprient l’outil Internet.
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accueillent entre 25 et 50% de jeunes de moins de 25 ans418. En réalité, il s’agit de public
jeune ayant grandi avec les moyens modernes de communication. Ces jeunes sont très
habitués à l’usage des nouveaux outils nomades comme le téléphone portable419 et de plus en
plus à la communication interpersonnelle (chat, messagerie). Suivant les quartiers, les usages
ludiques peuvent être plus ou moins marqués.
Au centre ville deux cybercentres ont retenus notre attention : SUD Informatique et
SEN2TIQUES. De manière générale, ces deux cybercentres sont ouverts le matin à partir de 9
heures et ferment tard le soir peu avant minuit. Le matin la clientèle que nous avons
rencontrée se compose surtout de personnes adultes. Ces internautes appartiennent à une
catégorie socio économique spécifique : opérateurs économiques, administratifs, gérants
d’hôtel etc…, mais aussi des touristes logés dans les hôtels qui ne sont pas équipés pour
l’accès à Internet. Des gens socialement favorisés et mieux éduqués vivant dans les quartiers
modernes de l’Escale, ou de passage dans la ville. Ils viennent consulter la messagerie mais
aussi lire la presse.
En 2004, Thomas Guignard avait constaté que l’information locale ne représentait que
10,4% des internautes sénégalais contre 84,4% de sites étrangers visités. A Ziguinchor, nous
avons constaté que la recherche d’informations locales constitue de plus en plus une priorité
des internautes. A la question de savoir «Que regardez-vous sur Internet lors de votre
première connexion », 85,7% ont répondu systématiquement par « consulter mon émail et lire
les informations. » Les Internautes profitent de ce « journalisme on line » (Abdou Latif
Coulibaly 2003, p 145). Pour tous ceux qui en ont les moyens, la lecture de la presse constitue
une priorité. Tous les quotidiens sénégalais à grand tirage sont sur Internet à partir de 7 heures
du matin. L’information constitue la première modalité d’usage de cette catégorie sociale.
Comme au sein de la diaspora sénégalaise, les sites web les plus visités sont
www.seneweb.com ou celui www.rewmi.com. Ces deux sites, en plus de diffuser les
informations les plus récentes sur l’actualité sénégalaise ont élaboré des forums de discussion
418.
Une étude demandée par le conseil général du lot dans le contexte d’un vaste programme de mise en réseau à
la faveur du projet européen INTERREG III et E-atlasudoe. Document consultable à l’Université de Toulouse le
Mirail. Programme GRESOC.
419.
Plusieurs études sur l’Afrique montrent l’impact que la téléphonie a eu dans le développement de l’accès au
téléphone. www.africanti.org.
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et de chat très fréquentés.
La comparaison avec la diaspora sénégalaise est très osée. Mais, dans les mêmes
conditions que celle-ci, les populations de Ziguinchor accèdent aux informations de la presse
écrite. En effet, à Ziguinchor, la presse quotidienne n’est distribuée qu’en début d’après midi.
La presse écrite suit le même itinéraire que les passagers routiers surtout les jours où il n’y a
pas de desserte aérienne. En quittant Dakar, par la route tôt le matin, on arrive généralement
dans la ville vers 15 heures et parfois au-delà à cause des tracasseries administratives lors de
la traversée de la Gambie. Dans ces conditions, le matin, ce sont les journaux de la veille qui
sont vendus dans les différents kiosques. Donc même si la messagerie reste un usage
prédominant, les informations locales où nationales gardent aussi une place importante dans
les motifs de connexion (42% des Internautes).
Une autre tendance des usages observés chez les internautes de ces deux cybercentres
est la consultation des sites web locaux d’information et la recherche documentaire. Depuis
deux ans, en plus du téléphone, la SOMAT (société maritime de l’atlantique) qui assure les
rotations maritimes entre Ziguinchor et Dakar, autorise les réservations par Internet. Malgré
les lacunes de ce système (le paiement ne se fait pas en ligne mais sur place le jour du départ),
la réservation est obligatoire pour voyager dans le bateau. Mr Sagna exploitant de son état
d’une auberge, assure « cette réservation par Internet m’apporte beaucoup. Quand j’ai des
clients qui doivent séjourner dans mon auberge, je m’arrange toujours pour leur faire une
réservation depuis le cybercentre et je pense, rien que pour ça m’équiper dans les mois à
venir »420.
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Figure 40: Interface du site de réservation de la SOMAT
Dans cette partie de la ville, le cybercentre du CPIC se singularise des autres en ce qui
concerne les usages faits d’Internet. Ils sont très proches de ceux observés dans le quartier de
l’Escale. Tout d’abord, le CPIC est un centre de formation qui en plus de vendre du matériel
informatique a aménagé un coin pour la connexion Internet. Le concept de départ du
promoteur (un ressortissant belge marié à une sénégalaise), était surtout de faire uniquement
de la formation informatique. Mais l’évolution de la situation a greffé la prestation de l’accès
à Internet aux autres services de la maison. Ainsi, en regardant de plus près les usages, on
constate que les internautes utilisent en dehors de la messagerie, la consultation web pour des
informations liées à leur formation. Internet, en dehors de la messagerie, est pratiqué pour
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rechercher des informations diverses. En réalité, surtout pour les élèves, le cadre ne se prête
pas trop à la consultation des sites de rencontre dans la mesure où ce lieu se veut d’abord un
point de formation aux TIC.
Pour d’autres, Internet est un moyen de faire connaître leurs activités. Arfang
Diédhiou, artiste peintre et sculpteur421, rencontré au cybercentre du CPIC de Corinthias nous
tient les propos suivants : « j’ai connu un ami belge, vivant à Lille, venu passer des vacances
au Cap Skirring. Séduit par mes œuvres, on a fini par sympathiser. Depuis, à chaque fois
qu’il connaît des touristes en partance pour la région, il me les recommande. D’ailleurs cet
appareil numérique que je porte au cou est de lui. Dans notre collaboration, je crée après je
lui expédie par Internet les photos des derniers tableaux et des sculptures. Quand l’objet d’art
plait à quelqu’un, il me les achète et le lui expédie son achat par la poste. » Pour lui, venir
fréquemment au cybercentre est vital afin de consulter ses messages. Son objectif est de créer
avec son ami, un site web qui à la longue lui permettra de mieux se faire connaître. Il ajoute
« j’ai d’ailleurs une carte d’abonnement dans ce cybercentre et j’envisage dès que j’aurai
mon propre foyer de m’abonner. » Cet artiste connaît les atouts d’Internet pour ses activités
professionnelles. Mais la contrainte est le manque de moyens financiers nécessaires à l’achat
d’un ordinateur et au paiement d’un abonnement individuel d’accès à Internet.
Ces exemples ne doivent pas occulter la place des usages ludiques dans les
cybercentres de la zone intermédiaire. 43% des enquêtés avouent utiliser le chat et la
messagerie instantanée.
Lyndiane est situé dans la périphérie Sud-ouest de la ville de Ziguinchor (Carte 15). Il
s’agit d’un quartier récemment peuplé, conséquence de l’explosion démographique dans la
ville. Le cybercentre est né de la volonté d’un jeune comptable au chômage (son nom est
Ibrahima Badji). Au départ son idée était de créer un groupement d’intérêt économique (GIE)
destiné au Gardiennage. Mais devant le refus des autorités de l’administration territoriale de
lui délivrer un agréement, il s’est tourné vers le cybercentre. Selon lui, « les cybercentres
421
Il fait de la peinture sur verre des beaux paysages de la Casamance et souvent exprime les durs travaux
champêtres et aussi les moments de fêtes dans les villages. En plus il sculpte des objets d’art proposés aux
touristes par ses employés.
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étaient à la mode». Il a commencé avec un simple ordinateur et une imprimante qui lui
permettait de faire accessoirement de la bureautique. Par la suite, il bénéficie d’un prêt de 1
million de FCFA de la part d’un parent immigré pour acheter trois autres ordinateurs. Après le
remboursement de la dette, un autre prêt lui fut consenti par l’ASACASE422 pour l’achat
d’autres machines. Pour atténuer les charges de fonctionnement, il a aménagé dans sa maison
un local et a ouvert une porte sur la seule route bitumée du quartier ayant un éclairage public
pour en faire un cybercentre.
La structure est très fréquentée surtout par les jeunes élèves qui viennent passer leur
après midi du mercredi, samedi ou dimanche. En effet, la particularité démographique de ce
quartier est la dominance féminine (51% en 2004) et celle importante des enfants de 4ans qui
constitue plus de 18% de la populations. D’après un des jeunes trouvés sur place, depuis
qu’ils ont découvert l’ordinateur à l’école, ils sont devenus de fidèles clients de la structure.
Selon les résultats des enquêtes, 87% des internautes sont des lycéens et collégiens
moins de 2,6% ont plus de 28ans. Parmi cette clientèle, 91,07% apprennent à utiliser Internet
sans formation préalable. Paradoxalement, malgré la prédominance des élèves parmi les
clients du cybercentre, l’usage d’Internet n’est pas à caractère pédagogique. Au lieu d’être un
appui pour les études, le cybercentre est plutôt perçu comme un lieu de loisir et «une
garderie d’enfant». Pour 63,7% des internautes qui ont répondu à la question «A quoi sert
Internet pour vous? », les utilisations de prédilection sont les jeux et le chat. Pour preuve,
pour 94,4% des répondants le chat, les jeux en réseaux et la messegerie constituent le
principal usage. Seuls 4,5% des usages concernent le téléchargement parce que la vétusté des
ordinateurs et la faiblesse de leur performance (Pentium 2 et 3) ne permettent pas certains
types d’usages.
422.
L’ASACASE est un organisme de micro crédit basé à Ziguinchor et qui finance les projets de jeunes au
chômage. Le cybercentre de Lyndiane est le second de la ville après celui de Touba Multiservices qu’il a appuyé
financièrement par l’octroi d’un crédit de 2000000F CFA.
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Figure 41: Répartition des usages d'Internet dans le quartier de Lyndiane
Les rares consommations de contenus de sites locaux sont le fait d’une certaine
population adulte et maitrisant les intérêts qu’elle peut tirer du Web. C’est surtout le cas des
enseignants qui habitent le quartier et utilisent Internet à d’autres fins. Selon le gérant
«certains ont pris un abonnement mensuel. Ils viennent chercher des informations pour leurs
cours. Alors que pour d’autres en profitent pour communiquer par l’envoi d’emails soit à
leurs parents soit à des connaissances de l’étranger.»
Mais nos enquêtes de terrain font ressortir de grandes similitudes dans les usages
quelque soit le cybercentre dans lequel on se connecte. L’importance de la messagerie et des
sites de rencontre, est très caractéristique d’une population africaine dont le rêve est de partir
pour échapper aux dures conditions d’existence. De plus en plus de récits de rencontre par
Internet sont colportés incitant au passage des clients à fréquenter régulièrement les
cybercentres. Cependant, il est regrettable de constater que les atouts de la messagerie
électroniques ne sont pas totalement exploités par les commerçants. Ils restent toujours
attacher au téléphone. Et les rares usages d’Internet, par cette catégorie socio professionnelle
accordent une primauté plus aux logiques sociales qu’à celles professionnelles.
Page 336
V - L’aspect vitrine des sites web sur la Casamance.
Les sites Web constituent à n’en pas douter un instrument incontournable pour la
production, la diffusion et la promotion des activités économiques. Ils sont aussi un outil de
promotion culturelle pour garder les cultures vivantes. Ces considérations impliquent donc
que les communautés de base ne doivent pas être uniquement de simples consommateurs mais
ils doivent développer des capacités de production de contenus423.
En 2004, Alain Kiyindou, parlant de la fracture numérique évoque la nécessité de
« mesurer la quantité de contenus africains produits en Afrique par des Africains et destinés à
des Africains »424.
Nous avons tapé sur la barre de recherche de Google les mots Casamance et
Ziguinchor. Les cinq premières pages des résultats ont été analysées dans la mesure où des
études antérieures ont montré que de manière générale, les internautes ne consultent que les
trois premières pages des résultats fournis par les moteurs de recherches (Guignard 2007)
Les sites retenus répondaient aux critères suivants : la fréquence de leur mise à jour,
les volets présentation et histoire de la région, les activités économiques, la crise politique
régionale, politique de développement, et enfin les forums de discussion. Quels sont les sites
relatifs à la Casamance et à Ziguinchor qui apparaissent en priorité sur les moteurs de
recherches ?
Tout d’abord trois types de sites web sur la région de Ziguinchor apparaissent. Les
premiers, beaucoup plus nombreux sont les sites commerciaux privés. Viennent ensuite les
sites associatifs et institutionnels (2). Le fonctionnement de ses sites présente deux catégories.
Le premier est celui de «site Web vitrine » (celui du conseil régional et de la plupart des
associations paysannes ou villageoises). Ces sites sont pauvres en contenu et rarement mis à
jour. Enfin, deuxième type est celui des sites interactif avec des forums de discussion où les
internautes peuvent donner leur avis. Ces sites sont généralement ceux qui traitent du
tourisme. On peut souligner les liens électroniques qui informent sur les évènements et
l’actualité sur la région. Ces sites souvent liés aux groupes de presse sont fréquemment mis à
jour.
423
Le CRDI avec le programme « Stratégie ACACIA au Sénégal en 1997 » avait annoncé les enjeux politiques,
économiques, sociaux, culturels et scientifiques des TIC pour le continent africain.
424
. Alain Kiyindu (2004) «la place des savoirs africains sur Internet ou penser « la fracture numérique » par le
contenu » In Annie Chéneau Loquay (dir), « Réduire la fracture numérique Nord-Sud, Quels enjeux ? » Netsuds
Numéro2, CEAN, AFRICANTI, Edition l’Harmattan, 2004, page 41.
Page 337
Ainsi en suivant la démarche d’Alain Kiyindou, on constate que les sites web
exclusivement réservés à la région, dont le nom de domaine est en «sn»425 sont insignifiants.
Sur 32 sites retenus, aucun n’a un nom de domaine en sn. La marginalisation426 des sites en
«sn» est essentiellement due au coût de création et de maintenance d’un site Web : dépôt du
nom de domaine, redevance mensuelle pour l’abonnement à Internet, coût lié à l’équipement
informatique, ressources humaines qualifiées pour la mise à jour…etc. Ces « facteurs
discriminants » expliquent, que les sites web relatifs à la région de Ziguinchor sont conçus et
hébergés en France et aux USA, comme la majorité des sites dans le monde, « à l’exception
des chinois qui ont trouvé la parade avec la langue, le poids démographique et la
réglementation»427
On retient, donc, que le tourisme apparaît de loin comme le secteur d’activités le plus
représenté. Internet est une vitrine commerciale pour les tours opérateurs qui desservent la
Casamance et les agences de voyages. Ces sites touristiques qui s’adressent aux touristes sont
constamment mis à jour. Il faut dire que les concepteurs en ont les moyens et l’expertise
nécessaires. La région de Ziguinchor est présentée sous un aspect attrayant.
Le site Web www.casamance.net est l’un des principaux portails exclusivement
réservé au tourisme en Casamance. Il est conçu par un émigrant casamançais établi en France
et qui travaille directement avec les agences de tourisme. On y trouve la géographie de la
région, l’histoire du peuplement, la diversité ethnique et culturelle de la région. Il donne
surtout les nombreux liens commerciaux et les adresses des établissements hôteliers avec les
tarifs des séjours.
Culturellement la région est riche. Le site www.casamance.net présente des pages
entières dédiées à la culture. Les rites qui accompagnent les cérémonies, le mystère autour du
425
« sn » est le nom de domaine des sites sénégalais.
426
Le chapitre 7 de la thèse de Thomas Guignard dont l’objet était l’étude « web sénégalais » en fait un exposé
plus approfondi. Cf Bibliographie
427
Cette remarque est de Gille Puel, enseignant à l’Université de Toulouse 2 et qui travaille sur la Chine.
Page 338
«bois sacré428» sont autant d’éléments que contient ce site. Les pratiques qui entourent la
riziculture Diola sont largement documentées sur ce site web. Ces types de sites présentent la
région de Ziguinchor sous une vision de carte postale. Tout le contraire des liens électroniques
qui rappellent que la région traverse encore des moments de troubles politiques.
428
Nous n’avons pas les mots exacts pour qualifier le «bois sacré ». Seuls les adultes «initiés » de la société
Diola savent ce qu’il y a dans le « bois sacré » mais ils n’en parlent pas.
Page 339
V – 2 - Les sites web au sein des associations villageoises et paysannes
Page 340
V – 3 - Les collectivités locales de Ziguinchor, les grands absents sur
le Web
Les plus «grands absents» sur la toile sont les collectivités locales. Ce sont des acteurs
du secteur privé qui sont les principaux concepteurs de sites Web relatifs à la région de
Ziguinchor. En effet, mise à part le Conseil Régional et la Mairie de la ville de Ziguinchor,
aucune collectivité locale n’est présente sur Internet avec sa propre page Web. Et pourtant,
depuis 2002, la situation à l’échelle nationale, a beaucoup évolué avec la multiplication des
sites Web des collectivités locales. Même le Conseil Régional de Tambacounda, une région
aussi périphérique que Ziguinchor, située à l’extrémité Sud Est du Sénégal, avait un portail
Web avant 2002.
Ibrahima Sylla429 constate qu’en 2007 que dans la capitale sénégalaise « plus de 26
collectivités locales se sont aménagées un espace, espèce de parloir public, dans le web et
beaucoup d’autres envisagent de le faire ». L’enjeu des sites Web est de taille car Internet est
aujourd’hui, une vitrine pour donner plus de lisibilité et de transparence à l’action des élus
longtemps préoccupés par la séduction d’un électorat sans cesse courtisé. Mais en consultant
les sites Web du Conseil Régional de Ziguinchor (www.crziguinchor.idfrance.com430), on
constate que ce portail manque cruellement de contenus. Il est pauvre en informations. Il
contient un mot de l’ancien président socialiste du conseil régional, Pascal Manga. Depuis les
élections locales de 2002, le conseil régional de Ziguinchor est dirigé par les libéraux et a
connu deux présidents. Les différentes rubriques sont vierges. Les projets en cours dans la
région et qui figure sur ce site date de l’époque socialiste. L’impression donnée est que le site
du Conseil Régional est presque délaissé.
429
Cf l’étude de Sylla Ibrahima sur les sites web Municipaux à Dakar. Université de Toulouse le Mirail, 2007
430
La dernière visite remonte à la date du 13 Octobre 2008 à 12 Heures 32.
Page 341
Figure 43: Portail web du Conseil régional de Ziguinchor
Ce site assure uniquement au conseil régional une présence sur Internet. Pourtant, pour
les autorités régionales, la création du site Web répond, écrivent–ils, à une volonté «de
donner une visibilité à leur action, de réhabiliter l’image de la région écornée par la
rébellion et de proposer aux populations des informations concernant la région et les
démarches administratives.» Cet objectif de présenter la région de Ziguinchor, sous un autre
aspect que celui d’une région meurtrie par la guerre, conforte la thèse selon laquelle les
autorités prennent progressivement conscience de l’importance des enjeux d’Internet pour
leur région.
Page 342
V – 4 - Le conflit casamançais sur la toile
Nous avons constaté également qu’en tapant sur le moteur Google, plusieurs liens
électroniques renvoient à des sites qui traitent de la rébellion. Cette question totalement
éludée par les sites touristiques sur la région de Ziguinchor, est la seconde représentation de la
région sur internet. Ces sites rappellent la situation de « ni paix ni guerre » que la région
traverse.
Les principaux sites qui parlent de cette crise sont d’abord celle des organes sénégalais
de presse. Les développements les plus récents sur la guerre sont constamment mis en ligne.
Viennent ensuite les sites des organismes internationaux. Parmi ceux-ci, celui de l’ONG
Handicap International qui milite pour l’abandon de l’utilisation des mines anti personnels en
Casamance qui ont fait beaucoup de victimes.
Un fait troublant pour être souligné. Les études sur les mouvements rebelles en
Afrique montrent que ceux-ci sont présents sur Internet avec leur propre site Web. E. Deverin
(2005)431, note à ce propos qu’au plus fort de la crise ivoirienne, aussi bien du côté du pouvoir
que du côté rebelle, des états-majors spécialisés dans la neutralisation des sites ennemis
étaient constamment à pied d’œuvre. Mais aucun site Internet propre au Mfdc (Mouvement
des forces démocratiques de Casamance) n’est porté à notre connaissance par les moteurs de
recherche.
Aujourd’hui, l’émergence du Web 2.0 est une autre étape dans l’appropriation de
432
l’outil Internet. Dans son article « Qu’est ce que le Web 2.0» Tim O’Reilly (2005) le
définit comme « une plate forme d’échanges entre les utilisateurs et les services ou
applications en ligne ».433 Les outils que propose le Web 2, cristallisent les changements
actuels dans les usages d’Internet. Les blogs, les forums de discussion, permettent à ceux qui
431
Chercheur à l’université de Toulouse Le Mirail, E Déverin s’est spécialement intéressée au traitement de la
crise ivoirienne sur Internet.
432
Tim O’Reilly « Qu’est ce que le web 2.0 : modèles de conception et d’affaire pour la prochaine génération de
logiciels » Septembre 2005 en ligne sur http://www.internetactu.net
433
Il y a une inflation de termes actuellement pour qualifier ces types de site Web. On parle de « Site 2 »,
« d’application 2 »..etc.
Page 343
veulent être sur la toile mais qui n’ont pas la capacité de création de site Web, de ne plus être
de simples consommateurs. Par l’interactivité, ils participent à la production de contenus sur
la Casamance. Ces sites privilégient le côté pratique d’Internet. Nous avons remarqué au
niveau du lycée Djignabo de Ziguinchor (www.lycée-djignabo.com) que sur un corps
professoral de 127 enseignants, 5 entretiennent quotidiennement leurs blogs. Ces outils du
web sont plus destinés à pousser les élèves à consulter leurs blogs pour des compléments
d’informations sur des questions relatives aux enseignements.
Si la mairie de Ziguinchor a un site très pauvre, ce n’est pas le cas de son maire
socialiste, ancien candidat à la présidentielle de 2007. En 2006 Robert Sagna434, a créé son
propre blog. Il lui sert de fenêtre pour fustiger la politique étatique dans la région. C’est
d’ailleurs, à travers son blog qu’il a dénoncé, pour la première fois, l’attitude de l’Etat
sénégalais qui a refusé de retenir sa proposition de doter la région d’aéroglisseurs pour son
désenclavement. Son blog est aussi un lieu pour justifier ses alliances politiques avec le
régime libéral sénégalais.
Des blogs, sur l’environnement et les ressources naturelles sont aussi conçus pour
attirer les bailleurs de fonds et rechercher des financements. Par le biais du Web, ces blogs
dénoncent le manque de réactivité de l’Etat face à la dégradation de l’environnement. Selon
le responsable d A.S.F.I435, Les blogs répondent à ce besoin «d’exister », «de faire partie du
réseau des réseaux, et montrer son existence ».
Le tabou qui entoure la rébellion dans les sites classiques est rudement mis à l’épreuve
dans les forums des sites web 2.0. A titre d’exemple, la mort du chef historique du Mfdc,
l’abbé Diamacoune est l’actualité la plus commentée de la fin de l’année 2006 par les
internautes. Des voix, des plus pessimistes à celles des plus optimistes sur l’avenir de la
434
Maire de Ziguinchor depuis plusieurs années en ligne sur http://reader.feedshow.com/show_items-
feed=af61dbb0d9ea61c533d08730871cd74e?page=2 .
435
Principal concepteur de site web dans le département d’Oussouye.
Page 344
Casamance, se sont exprimées sur le blog des principaux sites en lignes de la presse
sénégalaise notamment rewmi.com et seneweb.com. Les informations sur la Casamance ne
laissent pas donc indifférent autant à l’extérieur de la région qu’à l’intérieur.
Ces différents exemples, montrent que même si elles sont minoritaires, une partie des
populations de la région de Ziguinchor, interagissent, échangent des informations. Elles
communiquent à un niveau et une échelle globale avec une facilité et un gain de temps qu’on
ne pouvait imaginer une décennie auparavant. La prolifération des sites sur la Casamance
qu’ils soient conçus par des étrangers ou des autochtones, montre qu’avec Internet, l’obstacle
de l’enclavement physique peut être surmonté. La région s’ouvre sur le monde tout en étant
physiquement isolé.
Page 345
CONCLUSION
L’étude des exemples de la coopération internationale (à travers l’initiative Aden, et
l’association HUMTEC), a montré que des organisations ont pris en charge des demandes
exprimées par les couches populaires de la région (exemple des jeunes au lycée Djignabo).
Pour satisfaire cette demande, les acteurs de l’aide internationale ont innové en proposant une
offre de service qui n’est pas exclusive et qui s’adresse à des groupes sociaux très différents
(villageois à Coubanao, citadins à Ziguinchor). Cet effort visant à rendre accessible Internet à
ces couches sociales défavorisées, trouve un écho favorable auprès des bénéficiaires. Les
services proposés vont au-delà des barrières liées à des appartenances classiques. Selon, le
sociologue Abdou Salam Fall «dans ce contexte les TIC ont décloisonné les possibilités de
jonction entre différentes catégories de couches sociales »436.
Un autre niveau de lecture qui s’impose est celle qui consiste à analyser l’effort des
opérateurs du secteur privé. L’exemple du Groupe Sud Informatique nous montre que pour
développer l’accès à Internet et perdurer dans le domaine des TIC, une vision futuriste et de
l’audace sont plus que nécessaires.
L’usage des TIC dans la région a tendance à se généraliser même si les différences se
renouvellent. En effet, pour les acteurs économiques, Internet est un outil de marketing
touristique pour promouvoir la destination Casamance. Ces sites sont beaucoup plus
nombreux. Fait remarquable pour être souligner : alors que dans le passé la guerre était un
tabou, avec l’émergence des sites blogs, des forums de discussion, les acteurs s’expriment,
librement sur la crise politique qui a frappé la région depuis le début des années 1990.
Ces différents exemple de structures d’accès à Internet, dans un milieu aussi enclavé
et défavorisé permet de voir l’avenir des TIC dans la région de Ziguinchor suivant des
perspectives nouvelles. Dans tous les cas, avec Internet «c’est le local qui se dilate et
s’ajuste comme pour se mettre à l’heure du monde» Abdou Salam Fall (2006).
436
Abdou Salam Fall « les TIC et la mise en réseau de la société civile » Revue de l’ARTP Numéro 000,
Trimestre 2006.
Page 346
CONCLUSION GENERALE
Arrivé au terme de cette étude que pouvons-nous conclure sur les réseaux et systèmes
de télécommunications dans la région de Ziguinchor ?
L’objectif de ce travail de recherche était de montrer que l’insertion de la région de
Ziguinchor dans l’ensemble national et dans le monde, dans un système mondial où la
maitrise de l’information et de la communication est fondamentale, peut être expliquée au
regard des particularismes qui la caractérisent. Ziguinchor, région isolée et enclavée, meurtrie
par une rébellion, est une «périphérie» par rapport aux pôles économiques de la pointe
occidentale du Sénégal. Le schéma d’intégration de cette région par les réseaux de transport
ne s’est révélé ni durable, ni satisfaisant, eu égard aux nombreuses difficultés. Cette situation
traduit généralement la perception de ces particularismes de la région de Ziguinchor sous le
signe d’un déterminisme qui entrave toute possibilité d’évolution et d’insertion dans un
système mondial. A propos des particularismes de la région de Ziguinchor, J. C Marut (2002)
écrit qu’ils «naissent plus de la difficulté que du refus d’accéder à la mondialisation, et où ce
qui est en cause est moins la mondialisation que les différenciations sociales et spatiales
qu’elle génère et les possibilités d’appropriation des processus par les acteurs locaux. » Les
rapports sont donc très complexes.
En étudiant les systèmes télécommunications, j’avais en tête ces particularismes qui
caractérisent la région de Ziguinchor : enclavement et isolement, notions de centre et de
périphérie, traumatisme né d’une longue guerre séparatiste etc. Mais parler des systèmes de
télécommunications c’est évoquer les notions de réseaux, de globalisation, de mondialisation
des économies, d’insertion dans le système-monde. La mondialisation désigne les processus
d’extension, de libéralisation et d’ouverture des économies à l’échelle planétaire. Elle
modifie les rapports sociaux, la perception de l’espace et du temps mais si le processus de
mondialisation est partout, il n’est pas tout, «il faut constamment en mesurer les limites»
(Dollfus, Grataloup, Lévy 1998, p. 18)437
En reprenant cette idée des particularismes et de l’insertion des sociétés africaines au
«système-monde », plusieurs questions sont souvent soulevées. Comment la faiblesse des
réseaux techniques (électricité, téléphone) est-elle compatible à un arrimage au système-
monde de la région Ziguinchor par les flux, les réseaux de technologies de l’information et de
437
Cités par Cécile Roy, page 343, 2006.
Page 347
la communication ? L’argument classique de l’urgence et des priorités économiques ailleurs
que dans les TIC écarté, j’ai voulu comprendre la région de Ziguinchor, à travers sa rugosité
territoriale dans un contexte où les télécommunications se développent au Sénégal.
Tenant compte de ces éléments, je présente de manière synthétique les
développements de ce travail pour en discuter les principaux enseignements et ébaucher de
possibles prolongements.
Cette constatation de la Banque Mondiale, est une synthèse admirable de l’état des
infrastructures de télécommunications au sein de la région de Ziguinchor. L’Etat a profité de
la libéralisation du secteur pour laisser aux opérateurs de téléphonie le soin d’installer les
technologies les plus avancées au sein notre territoire d’étude.
La région de Ziguinchor possède des spécificités historiques, politiques, économiques,
culturelles et surtout géographiques qui la distinguent du reste du Sénégal. Deux
représentations de ce territoire s’opposent : «portion du territoire de l’Etat sénégalais et donc,
à ce titre, ouvert à l’installation et à la mise en valeur pour tous les ressortissants
sénégalais ; ou territoire à part, à la fois différent et coupé du territoire sénégalais avec un
peuple ou des peuples spécifiques »438
Une situation politique des plus graves depuis 1982, une capitale régionale qui n’a
438
J.C Marut, «Mondialisation, particularismes et lieux de pouvoir » In l’Afrique Politique, 2002, pp 269-284,
CEAN IEP Bordeaux
Page 348
cessé de se développer spatialement et démographiquement au détriment des autres villes, un
contexte de crise économique accompagné d’une dégradation des services collectifs dans la
plupart des domaines d’intervention publique, caractérisent l’état d’évolution actuelle de la
région de Ziguinchor. Ajouté à son isolement et son enclavement, toute politique de
développement des communications dans la région doit répondre à des nécessités politiques
(intégration nationale) et à des nécessités économiques (développement des terroirs,
écoulement des produits locaux).
Les différents développements autour des réseaux de communications ont montré que
l’évacuation des produits agricoles qui constituent l’essentiel des productions de la région
souffre cruellement de l’insuffisance des moyens de transports. La liaison routière avec le
Nord du Sénégal souffre également du mauvais état de la route, des tracasseries
administratives et des aléas du bac en Gambie. Les possibilités d’écoulements des productions
locales par voie maritime sont limitées alors que le trafic aérien profite uniquement au secteur
touristique.
Paradoxalement, les infrastructures de télécommunications se sont constamment
améliorées. Ziguinchor arrive au même niveau que les autres régions du Sénégal en matière
de réseau téléphonique : boucle achevée de fibres optiques, dernières innovations
technologiques installées, augmentation des infrastructures de téléphonie mobile etc. La
tendance vers une amélioration qualitative et quantitative des réseaux d’infrastructures au
niveau régional se poursuit. En matière de téléphonie rurale, plutôt que de continuer à courir
derrière «une technologie idéale» la SONATEL déploie la technologie du CDMA associé à
la technologie de transmission de données GPRS pour connecter sur la même infrastructure
des accès collectifs à Internet de type cybercentres.
Ces innovations apportées répondent autant à une stratégie commerciale des opérateurs
qu’à une volonté politique de l’Etat qui impose un cahier des charges en matière d’accès
universel. La libéralisation du secteur des télécommunications au Sénégal a introduit des
mesures incitatives à la concurrence. Après la téléphonie mobile à la fin des années 1990,
c’est au tour de la téléphonie fixe et d’Internet d’être ouverts au marché de la concurrence
avec l’arrivée de la SUDATEL en 2008439. Or, l’espace régional de Ziguinchor, représente un
potentiel de développement pour les télécommunications. Démographiquement, les zones
rurales de la Casamance sont parmi celles qui ont les densités les plus élevées du Sénégal440.
439
Dernier opérateur de téléphonie sur le marché depuis la licence qui lui est accordée en 2007.
440
Consulté le rapport sur la population sénégalaise en 2002 en ligne sur le site de l’agence nationale de la
statistique et de la démographie www.ands.sn
Page 349
En outre, de part sa position transfrontalière, la région de Ziguinchor est très dynamique dans
ses relations commerciales qui reposent sur une organisation réticulaire (Chapitre 4). La
SONATEL, bien que répondant au cahier des charges fixé par l’Etat pour réaliser l’accès
universel, ne s’est pas laissé doubler sur ce marché par les concurrents potentiels. Depuis que
SENTEL est arrivée, le réseau mobile passe partout en Casamance. A titre de comparaison,
des études faites sur la région de Fatick441 au Nord de la Gambie ont montré que le réseau
mobile est presque absent pendant une bonne partie de la journée (Faye 2007)442. Les zones
rurales de la région de Ziguinchor font partie désormais des régions ciblées par les opérateurs
de téléphonie mobile pour l’amélioration de leur réseau.
Inéluctablement la région profite de cette politique de développement des
télécommunications qui touche l’ensemble du pays. L’émergence de la concurrence dans le
secteur apparaît comme un catalyseur pour favoriser la diversification des services offerts aux
populations. Les technologies actuelles en cours dans la région se sont déployées sur les
réseaux existants.
Les réseaux, les flux, une matérialité difficilement observable mais un moyen de
désenclavement et d’arrimage au système mondial plus facile
441
.La région de Fatick, au centre Ouest du Sénégal et frontalière à la Gambie souffre de la crise de production
dans la filière arachidière. Les seules activités économiques sont le tourisme dans les îles du Saloum et la culture
de l’arachide que beaucoup de producteurs ont abandonné pour partir dans les villes. Ces exemples peuvent être
multipliés. Mais la comparaison de cette région avec la Casamance est dictée par sa position frontalière avec la
Gambie au Nord.
442
.Jocelyne Faye (2007) : «L’utilisation des TIC par les organisations paysannes au Sénégal, Etudes
comparative entre les régions de Thiès et Fatick » Mémoire de Master II Université Toulouse Le Mirail.
Page 350
colonial. Avant de devenir «les nouvelles mamelles économiques » du Sénégal indépendant,
elle fournissait à la métropole coloniale des produits comme la gomme et les oléagineux
(huile de palme, puis huile d’arachide).
C’est dans les années 1970 que la région s’est véritablement connectée sur l’économie
mondiale. Avec les séries de sécheresse qui ont frappé les régions nord du Sénégal, des
migrations de mise en valeur des terroirs du sud ont été encouragées par l’Etat du Sénégal.
Les cultures de rente comme l’arachide (Mamady Sidibé 2003), et le coton ont été privilégies
dans une région connue pour ses traditions ancestrales de cultures exclusivement réservées au
riz (P. Pélissier 1966). Cette connexion sur «l’économie mondiale prend une nouvelle
dimension provoquant de profondes différenciations sociales et territoriales »443 En effet, la
mise en valeur de ce territoire et l’extraversion économique ont abouti à la marginalisation
des populations et provoqué des résistances spontanées d’abord (sous forme de mobilisations
sociales et identitaires), et ensuite des résistances organisées (sous forme de mouvement
séparatiste).
Economiquement, la région est donc intégrée dans le système-monde par les échanges
formels et informels avec les pays de la sous région et de l’extérieur. Cette intégration
reposant sur les réseaux économiques et sociaux est aujourd’hui facilitée par les nouveaux
réseaux électroniques avec l’apparition et la diffusion du téléphone mobile, du fax même si
au sein de la région il existe des disparités sociales et spatiales. Les technologies de
l’information et de la communication s’imposent comme les moyens les plus simples pour
transcender la rugosité territoriale de la région et l’ouvrir au monde.
Par la radio, avec la libéralisation des ondes, «la région de Ziguinchor parle, et elle
444
écoute .» Presque tous les foyers possèdent un poste radio. Il est vrai que l’évaluation des
postes récepteurs reste toujours approximative car les différentes sources ne sont que
partiellement fiables en raison de l’économie informelle et les acquisitions grâce à l’aide des
parents ou des amis. Mais l’ouverture des ondes aux radios privées, communautaires,
associatives, élargit le choix des populations pour l’accès à l’information. Les stations radios
rivalisent les unes avec les autres et proposent des émissions qui assurent à la fois
divertissement et information. Particulièrement, les radios associatives et communautaires
«fournissent une information locale produite par les gens du terroir» (PANOS).
En ce qui concerne la télévision, les contraintes sont plus nombreuses à cause des
443
Idem
444
Je fais référence à un titre d’André Jean TUDESQ : «L’Afrique parle, l’Afrique écoute » Edition Karthala,
collection Homme et Société, Sciences économiques et politiques, 2002, 320 pages
Page 351
conditions d’acquisition et d’utilisation qui exigent la connexion au réseau électrique.
Lorsqu’une personne ne peut la regarder, elle se rend volontiers chez un voisin ou une
connaissance, parfois dans des lieux publics (bars restaurants) favorisant les regroupements
formels ou non. Pour autant, la chaine nationale sénégalaise (RTS) seule télévision nationale
(dans les zones frontalières au Nord et au Sud, les populations accèdent aux informations des
chaines de télévision Gambienne et Bissau guinéenne) captée dans cette partie du pays, n’est
pas en reste. Il existe des journaux dans les principales langues de la région « Diola,
Mandingue, Peul, Mandjack…) diffusées deux fois par jour. Même si les compétences
manquent, ces émissions sont une manière pour l’Etat central, de rappeler aux populations du
Sud qu’elles sont des sénégalais «à part entière445»
C’est véritablement par les nouveaux outils que les populations de la région de
Ziguinchor ont une chance d’agrandir leurs réseaux de relations sociales et économiques. Le
développement du parc mobile et des infrastructures s’accompagne naturellement d’un
développement du trafic sortant de la région. L’acquisition en 2006, par la SONATEL de la
licence d’exploitation du téléphone mobile pour 10 ans en Guinée Bissau, pays frontalier de
la région, élargit plus encore l’intérêt du réseau mobile dans cette partie du Sénégal.
De nombreux travaux mettent en avant le lien entre le développement de l’accès
individuel à Internet et le développement économique (rapport du PNUD 1999, A. Chéneau
Loquay 2004, Conte Bernard, 2005), mais peu de citadins possèdent un accès à domicile (2,
06%, figure 37, p 324), l’accès à Internet étant subordonné au niveau vie . Pourtant le
développement des réseaux d’accès à Internet témoigne d’un réel dynamisme. Le maillage
bien que parfois lacunaire et disparate dans certains secteurs, permet à des espaces en dehors
des villes, d’être reliés aux flux mondiaux d’information. Par l’accès, les populations de
Ziguinchor, ne sont plus exclues de la dynamique mondiale qui fait d’Internet ce réseau
d’information et de communication dont les bases ne cessent de s’agrandir au fur et à mesure
des nouvelles innovations techniques et technologiques.
Les usages des TIC dans l’espace régional : l’illustration d’un modèle Africain ?
L’arrivée de nouveaux acteurs dans ce secteur longtemps géré par l’Etat sénégalais a
445
L’ancien président sénégalais Abdou Diouf, à des inaugurant officielles d’infrastructures à Ziguinchor en
1992, au plus fort des tensions politiques, a lancé aux populations de la région la phrase suivante : «par ces
infrastructures, je veux dire aux populations de Casamance que vous n’êtes pas des sénégalais entièrement à part,
mais des sénégalais à part entière » Discours consultable aux archives nationales du Sénégal
Page 352
eu des effets inattendus. Les télécentres ont accru les possibilités d’accès au téléphone. Par la
suite, les cybercentres se sont développés ouvrant timidement mais surement l’accès à Internet
pour une certaine population sénégalaise. La dynamique est engagée dans la plupart des pays
africains malgré un retard en infrastructure pour certains et des coûts d’accès toujours lourds.
Aujourd’hui, la véritable révolution dans les télécommunications est le téléphone mobile.
Même dans les campagnes les plus profondes, on peut téléphoner l’essentiel est qu’il y ait un
habitant qui dispose d’un appareil mobile.
Dans la partie théorique de cette thèse, j’ai montré que les paysages des pays africains
sont fortement imprégnés de la culture de l’économie informelle446. Le business autour du
téléphone mobile touche des zones jusqu’ici inaccessible par la route. La prolifération du
marché de l’occasion, a généré de petites activités économiques allant du revendeur au
réparateur d’ordinateurs ou de déblocage des portables. On assiste à un détournement des
objets techniques importés de l’extérieur pour les rendre compatibles avec les règles, valeurs
ou représentations de « l’économie populaire »447.
L’approvisionnement en outils d’occasion ainsi que l’accès collectif sont selon Annie
Chéneau-Loquay deux caractéristiques « de ce que l’on peut appeler un modèle africain de
l’appropriation des technologies de l’information et de la communication » auxquelles
s’ajoute la médiation de jeunes « scribes modernes, qui font l’interface entre l’outil et
448
l’usager » Cette mutualisation répond aux besoins d’une population régionale à faibles
revenus. Les coûts élevés des outils et de l’accès incitent en effet à créer des accès publics au
téléphone et à Internet. L’appropriation de ces outils se fait donc à l’inverse du modèle
dominant des pays occidentaux, il est collectif et non individuel. Le cas de Ziguinchor illustre
bien l’existence d’un tel modèle africain d’appropriation des outils de communication. Les
usages de certaines TIC (exemple du téléphone) prévus originellement pour être individuelles
trouvent d’emblée une utilité collective. «Ce détournement se réalise pour ainsi dire
mécaniquement, naturellement et est le préalable à l’appropriation par les populations des
nouveaux objets techniques» (T. Petit-Pszenny 2002)
La diffusion et la promotion des TIC auprès du grand public sont ainsi devenues des
défis pour les différents acteurs du développement car la question de l’accès aux TIC « est à
446
Travaux d’Annie Chéneau-Loquay, 2004-2005-2007
447
Notion développée par ENDA Tiers Monde
448
Annie Chéneau Loquay, «Comment les NTIC sont-elles compatibles avec l’économie informelles en Afrique »
In l’Annuaire Français des Relations Internationales. 2004, Vol 5, Paris La Documentation Française et
Bruylant. P 345-375.
Page 353
la fois l’empreinte d’un changement sociétal et l’enjeu de ce changement 449» J’ai montré que
la diffusion des TIC dans l’espace régional de Ziguinchor obéit aux mêmes règles que celles
observées dans les autres villes africaines en général, et sénégalaises en particulier , elles sont
essentiellement aux mains de petits opérateurs du secteur privé qui créent ainsi un nouveau
secteur économique tandis que les quelques projets existants impulsés par des acteurs
étrangers tentent d’élargir l’accès et les usages à des zones et à des catégories de population
moins solvables .
Du point de vue géographique, l’ouverture de cette région au monde extérieur, grâce
aux TIC s’accompagne de recompositions territoriales particulières. Les exemples des
transformations spatiales observées avec les cybercentres dans la ville de Ziguinchor sont à ce
titre fort intéressants ; structures de formation, télécentres, cybercentres, boutiques de reventes
de matériels informatiques ou téléphoniques, ont essaimé et font partie du paysage des
localités urbaines.
Nos enquêtes sur les usages d’Internet, font émerger des recompositions socio-spatiales
qui transcendent les frontières régionales même si leur intensité est faible pour le moment.
«L’autre jour à Ziguinchor, je demandais à un collègue son adresse émail, il s’est mis à
rire, toi le broussard qu’est ce que tu fais avec mon adresse émail ? Mais quand je lui ai
écrit un message à partir de Coubanao, maintenant, il me regarde autrement. Il ne pouvait
s’imaginer que l’Internet pouvait exister à Coubanao. Nous sommes maintenant au même
niveau d’information que les gens qui vivent à Ziguinchor ou à Dakar » (Extrait des focus
réalisés au centre de Coubanao. Novembre 2006450) Le territoire régional se dilate. Les
populations élargissent leur base relationnelle. Les échanges de courriels, premiers usages du
web, la fréquence des communications téléphoniques ouvrent chaque jour qui passe la région
de Ziguinchor sur le reste du Sénégal et plus encore sur le monde.
Mais le véritable désenclavement de la région de Ziguinchor passera-t-il forcément par
l’accroissement de la capacité d’accès aux TIC des populations ? Dans une certaine mesure
oui sans doute, mais tant que les voies de communication matérielles ne seront pas
améliorées, et que la paix ne sera pas effective les populations garderont le sentiment d’être
isolées et oubliées. Le développement est un tout et le monde virtuel seul ne peut pas pallier le
manque de services de base pour les populations même s’il doit contribuer à mieux les gérer.
Contrairement à ce que certains organismes internationaux ont pu affirmer dans l’euphorie
des années quatre vingt dix, les TIC ne font pas le « développement », ils ne sont que des
449
Mata Diallo Dia et Ansoumané Sané 2008.
450
.Archives du Centre Aden consulté le 12 Octobre 2007
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outils pour y contribuer.
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Page 373
SITES INTERNET
Page 374
ANNEXES
Page 375
QUESTIONNAIRE D'ENQUETES
I-Identification
Page 376
…………………..
Est-ce qu'il y a un autre télécentre encore plus proche de chez vous ?
Qui appelez-vous d’habitude ? Parent Ami Autres
Vous les appelez sur un téléphone fixe ou sur un portable ?
Avez- vous des contraintes spécifiques pour l’usage du téléphone ? Oui Non
Page 377
VOLET CYBERCENTRE
Cette partie sur l’accès et les usages d’Internet s’inspire du protocole de recherches
élaboré dans le cadre du GDRI NETSUDS. Il a d’ailleurs servi à la publication d’un texte
présenté lors du Colloque de Dakar les 26-27-28 Novembre 2007.
Sa localisation
Infrastructures importantes
Résidentiel niveau
Résidentiel moyen
Quartier populaire
Activités dominantes
Page 378
Identification propriétaire du cybercentre
1 - caractéristiques
Date de sa création ?
Circonstances?
Créé par qui ?
Pourquoi ?
Combien y a t-il d’employés ?
Relations avec le propriétaire ?
Page 379
Différentes tâches ?
Formes de rémunération ?
2. Evolution
Type de serveur ?
Windows ?
Linus ?
Logiciels utilisés ?
Achetés ?
Mode de connexion et coûts
RTC (ligne téléphonique) Oui Non
Coût mensuel
Ligne spécialisée ? Oui Non
Page 380
Coût mensuel
Système radio
Cout mensuel
Autre (VSAT)
Cout mensuel
Le mode de connexion a t-il changé ?
Qualité de la connexion ?
Rapidité de l’affichage
Rapidité Du téléchargement
Coupures de la connexion? Fréquence
Qualité de l’énergie ?
Y a-t-il des coupures de courant ? Fréquence
Coût des l’électricité ?
Le fax Tarif
Une photocopieuse Tarif
Système de téléphonie sur IP ? Tarif
Visio téléphonie Tarif
Traitement de texte Tarif
Traduction Tarif
Numérisation Tarif
L’impression
Vente de cartes de téléphone
Autres Tarif
Page 381
ASPECT USAGES INTERNET
Nom ……………………………………………………………………
Sexe M( ) F( )
Age ………………………………….
Ethnie……………………………………………………………………
Profession………………………………………………………………
Niveau d’éducation et de formation ……………………………………
Depuis quand ?
Pourquoi ?
Où ?
Pourquoi ?
Page 382
Obstacles rencontrés et difficultés qui peuvent persister.
…………………………………………………………………………………………………...
2 . Utilisation d’Internet
Page 383
3 Attentes et besoins
…………………………………………………………………………………………………...
…………………………………………………………………………………………………...
Lesquelles ?
…………………………………………………………………………………………………...
Page 384
5. Changements/Impacts de l’Usage d’Internet
Oui Non
Par mois
Page 385
Sur l’année
Depuis la création du cyber centre ?
Quel est le nombre des utilisateurs, par jour, par semaine, par mois
………………………………………………………………………………………………….
Moyenne d’utilisateurs
Par jour
Par semaine
Par mois
Au cours de l’année ?
Qui sont les usagers, fréquentation sur une journée selon les heures
Compte d’exploitation
Page 386
Commentaires ?
Depuis quand ?
Si vous êtes propriétaire d’un télécentre et d’un cybercentre, répondez s’il vous plait aux
questions suivantes.
Quelles vos motivations qui vous ont amené à investir dans le télécentre ou le cybercentre ?
Si vous avez arrêtez certaines cabines pouvez vous donner les raisons ?
Si vous êtes propriétaire d’un cybercentre, quel est le coût de connexion par Heure ?
Page 387
Quel type : 126 512 1024
Si votre cybercentre date d’avant Juin 2004, quel type de connexion aviez vous ?
Page 388
Entretien avec Alassane Ngom Directeur de Sud
Informatique.
(Cet entretien fait suite à un premier que nous avons eu et qui n’est pas arrivé à termes
à cause d’un violent orage. Ainsi nous nous avons décidé de parler de la situation de l’accès
aux TIC dans la région)
Question : Pouvez vous me parler de votre structure dans le développement des TIC et
de votre compréhension de ce terme.
A Ngom : Avant l’ADSL, on avait une liaison spécialisée avec nos serveurs sur place.
Mais avec l’Adsl nous nous sommes aperçu au regard de la clientèle de Ziguinchor, il ne
sera pas également intéressant d’être aussi fournisseur d’accès en Adsl. Ensuite c’était des
surcoûts importants puisqu’en tant que FAI en Dial Up qui devient fournisseur ADSL avait
de plus en plus de ses charges initiales au moins un abonnement auprès de la SONATEL dans
l’ordre d’un Million par mois. Or le marché ADSL à Ziguinchor ne fera certainement pas en
2006/07 un Million de franc. Je le pense. Dans ces conditions nous avons préféré délocalisé
nos serveurs et nous débarrasser de la liaison spécialisée puisqu’elle posait en même temps
problème. Avec l’ADSL vous avez un débit beaucoup plus important que la ligne spécialisée
donc il y’avait pas de raison que l’on continue à gérer des serveurs et pour cette raison donc
nous nous sommes mis à l’Adsl et délocalisé nos serveurs. Nous continuons à fournir des
accès en dial up et pour ce qui concerne l’ADSL nous travaillons avec un fournisseur qui ne
soit pas toujours la SONATEL pour nous permettre de se dégager un peu du monopole de la
SONATEL.
Page 389
Question : pourquoi devrait il y avoir des problèmes ?
A. Ngom Aujourd’hui tout le monde vend des ordinateurs en Casamance mais peu de
personnes parmi ces gens là peuvent installer correctement un système, peu d’entre eux sont
à la limite capable de vous dire les caractéristiques d’un ordinateur et malheureusement
parfois il y a des gens très bien placés dans les structures gouvernementales ou les ONG qui
justement participent à cette banalisation. Nous on a toujours eu une double approche en
disant qu’il faut lever le mythe même dans la formation en saisissant l’occasion de montrer à
l’individu ce qu’il y a à l’intérieur d’un ordinateur car cela a une fonction psychologique. Il
faut comprendre que jusqu’à un certain niveau, l’informatique est à la portée de tout le monde
En Casamance tout le monde est gérant de cybercafé, tout le monde se met dans la peau d’un
formateur en informatique et je pense que dans certaines années ce sont nos populations qui
en partir.
A. Ngom Prenons l’école de formation sud informatique que nous avons crée en 1994.
Nous avons compris l’enjeu de la formation très tôt. Je vous explique. Au début nous
travaillions au niveau des projets de l’Usaid et nous occupions de la formation et la
maintenance et développement de logiciels de comptabilité uniquement. En 1994 avant même
que la SONATEL n’offre l’accès à plein à Internet on était connecté grâce au projet RIO avec
l’IRD. On avait de l’accès. Maintenant quand la Sonatel a proposé l’accès à temps plein en
1995 on l’a pris. Et dès 1996 notre cyber est ouvert avec des moyens très limités. On avait pas
beaucoup d’ordinateurs et le partage des connexions n’était pas aussi aisé. Il a fallu par la
suite d’un voyage en 1998 acquérir un routeur qui permettait de faire le partage de connexion
mais de 1996 à 97 on avait deux ordinateurs et on mettait l’accent sur la gestion centralisée du
courrier principalement.
Question : En parlant des courriers vous abordez la question des usages d’Internet
dans la région. Qui sont les véritables usagers et que font ils des connections ?
A.Ngom Pendant longtemps les usagers c’était surtout les étrangers qui étaient les plus
nombreux. L’école en formant aux TIC constitue un lieu où nous favorisons l’usage au niveau
des jeunes et des locaux. Il y a également le fait que Sud a beaucoup travaillé sur la promotion
des TICS. (Je le coupe pour lui demander de préciser si c’est de l’école qu’il veut parler. La
réponse concerne le groupe Sud Informatique et pas uniquement l’école) On fait en sorte que
les coûts répondent aux possibilités de la région qui est confronté à plus de difficultés. En
dehors du centre de formation qui est lui-même un lieu de promotion des TIC on a travaillé
avec le CRDI et d’autres organismes et groupes pour promouvoir les tics par des conférences
portes ouvertes pour amener les gens à comprendre quel était le rôle des tic dans le
développement de la formation etc….
A.Ngom : Je comprends que vous voulez parler du cyber centre. Il a une rentabilité
moyenne. Jusqu’à récemment notre statut de Fai était un challenge. Nous avons évolué d’un
Page 390
mini cyber à un cyber beaucoup plus important. Certains nous ont rejoint sur le marché à
Ziguinchor et certains jouent sur les coûts de connexion sans considération du marché et à un
moment donné, il fallait apporter certaines réponses et pour çà nous sommes devenus FAI
mais la rentabilité est qu’en étant FAI et vu la taille du marché nous avons jamais pu faire
prendre les coûts de provider par nos abonnées et pendant longtemps le cyber a été mis en
profit et à payer un lourd tribut quand à la prise en charge des frais liés à notre statut de
provider. La rentabilité était creusée par le statut de provider et avec l’ADSL nous avons
préféré nous débarrasser de cette activité et faire plus spécifiquement que du cyber. Par
ailleurs Sud fait beaucoup de chose en dehors du cyber ce qui fait qu’on se rend pas compte
réellement de la rentabilité des différentes choses. En matière de TIC nous avons été les
pionniers dans le sud et même notre cyber est le deuxième du Sénégal en date de création.
Aujourd’hui malheureusement beaucoup de gens se mettent à investir sans études préalables
et on se focalise sur l’expérience de sud qui peut constituer un piège.
Je me suis installé à Ziguinchor en 1990 car je savais que Ziguinchor est le meilleur point de
convergence entre le développement rural et les tics et beaucoup de projets ont confié des
études liées à des enquêtes et nous avons une intégration au niveau de nos ressources. Ce qui
permet à Sud de résister c’est la diversité de ses activités car le marché de Ziguinchor est fait
en sorte qu’il est difficile d s’en sortir dans la spécialisation.
A Ngom : C’est très compliqué car l’école est juste de 1994. De 1990 à 1994 on a
surtout fait de la formation modulaire et c’est en voulant répondre à la demande de notre
environnement que nous avons ouvert notre et l’avons connecté sur le système de l’éducation
nationale mais avant c’était uniquement des formations modulaires. Mais je pense que ce
n’est à priori ni l’école vu que la réalité c’est qu’au niveau de Ziguinchor vous avez
pratiquement toutes les tentatives de création de centre de formation qui ont échoué.
Aujourd’hui, Sud est les seuls à participant au système de l’éducation. Je veux parler en
termes de diplôme. On est les seuls à offrir des filières avec des diplômes d’état etc… mais
c’est pour dire simplement que ce n’est ni notre cyber ni notre rôle de FAI qui est le moteur
du développement de l’école vu qu’ils sont postérieurs. Voila, voila donc….
Question : Quel est à votre avis l’avenir des TIC dans la région.
A.Ngom L’avenir des tics est le même un peu partout. C’est un phénomène qui a ses
inconvénients mais aussi beaucoup d’avantages. Je crois que c’est une voie parmi tant d’autre
pour sortir de l’isolement de la région et l’enclavement que nous connaissons. L’avenir est
bon. Maintenant il y a le fait que les tics sont arrivés à Ziguinchor comme dans l’ensemble
des autres pays un peu partout parle haut et beaucoup se sont retrouvés dedans dans la
précipitation qu’il fallait et c’est ce qui a fait prospérer télécentres et cyber. Et toutes ces
activités liées aux tics ne se font pas dans les règles de l’art mais je suis convaincu qu’avec
l’élévation du niveau de formation des populations les choses peuvent rentrer dans l’ordre.
Il y a quelques années peu de gens pouvaient vous parler de la vitesse d’un processeur et
même d’un ordinateur. Aujourd’hui certains peuvent vous dire ce qu’ils veulent même s’il ne
maîtrise pas le langage. Ca va évoluer et c’est peut être cette évolution qui va retourner pour
mettre un peu d’ordre dans les propositions qui sont faites aux consommateurs.
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