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QUELLE CULTURE

POUR LE FRANÇAIS
EN ALGÉRIE ?*
Redha BENMESSAOUD 1

RESUMÉ : Nous abordons, à travers cet article, qui s’inscrit dans une pers-
pective ethnolinguistique, le rapport langue/culture. Nous l’abordons en nous in-
téressant à la culture qu’une langue étrangère pourrait véhiculer dans notre pays.
Pour ce faire, nous nous sommes efforcé de rendre compte de la culture véhiculée
par le français en Algérie en analysant un corpus journalistique, celui de la chro-
nique « Lettre de Province » qui paraît dans le journal Le Soir d’Algérie.

MOTS-CLÉS : langue, culture, journal, analyse de contenu.

WHAT CULTURE POSSESSES THE FRENCH LANGUAGE IN


ALGERIA?

*
Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un magistère soutenu en 2010 sous le titre suivant :
« Dimension culturelle de la langue française dans le quotidien Le Soir d’Algérie. Cas de la
chronique « Lettre de Province ».
1
Maître assistant à l’Université des Frères Mentouri – mail : [email protected]

nº 12 216
RÉSUMO: Through the present article carried out under an ethno-linguistic
perspective, we deal with the relationship between language and culture. We ad-
dress this relationship by regarding the culture that a foreign language may convey
in our country. To do so, we have tried to account for the culture communicated in
French in Algeria by analyzing a newspaper section that is the chronicle “Lettre de
Province” published in the daily newspaper Le Soir d’Algérie.

PALAVRAS-CHAVE: language, culture, newspaper, content analysis.

La culture constitue aujourd’hui un important sujet d’actualité tant par


l’émergence, sur le plan mondial, de nouvelles notions comme l’interculturalité et
la transculturalité que par le spectre de la mondialisation derrière lequel se cache,
insidieusement, la volonté d’imposer un seul modèle culturel au monde, celui des
Etats-Unis d’Amérique. Cette culture américaine ne fonctionne pas, par ailleurs,
indépendamment de son corollaire «l’anglais ». Le statut conféré à ce dernier de
par le monde relèverait du statut même accordé à ladite culture. En d’autres ter-
mes, langue et culture vont de pair. L’une et l’autre s’épaulent et servent
d’instrument d’accès de l’une à l’autre : « La connaissance des langues vivantes a
été, depuis l’origine, valorisée non comme une fin en soi mais en tant que moyen
d’accès, privilégié sinon irremplaçable, à d’autres cultures. » (Beacco, 2000 : 15)
Ce double problème, à la fois culturel et linguistique, mérite que nous nous at-
tardions à son niveau et nous conduit automatiquement à inscrire ce travail de
recherche dans une perspective ethnolinguistique, bien que cette perspective ait
été contestée par Marcellesi et Gardin (1974, p. 16) pour qui, les recherches, por-
tant sur la langue et la culture, devraient être classées dans la sociologie du lan-
gage. Nous, nous retiendrons, cependant, la première perspective.
Ce travail d’ethnolinguistique sera focalisé sur la recherche de l’origine de la
culture qu’une langue étrangère pourrait véhiculer en dehors de son pays originel.
Pour réaliser un tel travail, nous nous intéresserons à la dimension culturelle
de la langue française dans l’un des quotidiens francophones algériens, en
l’occurrence, Le Soir d’Algérie. La question principale tournera donc autour de ce
qui suit : quelle est la culture véhiculée par la langue française dans Le Soir
d’Algérie ?
Intéressante et intrigante à la fois, cette question nous met dans une situation
embarrassante vu le nombre d’hypothèses qu’il serait possible de formuler en gui-
se de réponses. Il faut dire qu’à ce niveau, deux principales idées s’opposent, à sa-
voir : 1) une langue étrangère en usage dans une société donnée reflète l’univers
culturel de cette société ; 2) une langue étrangère parlée par une société véhicule
sa culture d’origine.

nº 12 217
Nous, nous souscrivons volontiers à la deuxième idée et cela pour différentes
raisons. D’abord, nombre de didacticiens, spécialisés dans
l’enseignement/apprentissage des langues étrangères, à l’instar de Sophie Moi-
rand (1990, p. 20), affirment que la compétence de communication chez
l’apprenant d’une langue étrangère doit comprendre une composante sociocultu-
relle. Nous pensons, à cet effet, que cette composante, une fois acquise par ledit
apprenant, marquera le discours de ce dernier et laissera apparaître des marques
culturelles appartenant à cette langue étrangère. Ensuite, le linguiste Henri Besse
dit que : « apprendre une langue, ce n’est pas seulement apprendre à nommer au-
trement ce que l’on connaît déjà, mais c’est aussi apprendre à penser autrement
dans un système différent de celui auquel on est habitué. » et dans une culture
différente de celle à laquelle on est habitué, sommes-nous tenu d’ajouter. De plus,
de notre côté, nous avons établi un constat relatif à l’image qu’on a de la langue
française en Algérie. En fait, on y associe souvent au français la culture qu’il véhi-
cule2. On est même arrivé à créer une sorte de clivage au sein de la société algéri-
enne entre arabophones, représentant un monde dépassé et francophones, adep-
tes de la modernité et de l’ouverture sur le monde.
Voilà donc grosso modo les raisons qui nous avaient poussé à adopter la deu-
xième idée. Cette prise de position nous permet par ailleurs de répondre à la ques-
tion principale qui consiste en l’origine de la culture véhiculée par le français dans
Le Soir d’Algérie.
Ainsi, nous avons la possibilité de formuler les deux hypothèses suivantes en
guise de réponses à ladite question : 1) La langue française, dans Le Soir d’Algérie,
véhicule une culture française ; 2) Cette culture se manifeste à travers un vocabu-
laire qui renvoie à la France.
Pour confirmer ces deux hypothèses, nous nous pencherons sur l’étude d’un
corpus extrait du quotidien Le Soir d’Algérie. Il s’agit de la chronique « Lettre de
Province ». Ce corpus s’étale sur une durée de quatre mois : de septembre à dé-
cembre 2008. Nous avons ainsi rassemblé dix-sept chroniques à raison, à peu
près, de quatre par mois.
Le choix d’un tel nombre s’explique par deux rasions : l’une est relative au fait
qu’une période de quatre mois comporte toujours divers événements, diverses si-
tuations de la vie ; l’autre relève de la méthodologie : travailler sur quatre ou huit
chroniques aurait été, à nos yeux, pas du tout représentatif.

2 En témoignent les propos tenus par, d’un côté, le Président de la République algérienne, Ab-
delaziz Bouteflika : «La langue française et la haute culture qu’elle véhicule restent, pour
l’Algérie, des acquis importants et précieux que la réhabilitation de l’arabe, notre langue natio-
nale et officielle, ne saurait frapper d’ostracisme » (Phrase extraite du discours de Bouteflika
devant l’assemblée nationale française le 14 juin 2000, www.assemblee-nat.fr/6/6q6/.htm (con-
sulté le 20/05/2008)) et, de l’autre, par le chercheur universitaire Rabah Sebaa « De façon gé-
nérale, le rapport des locuteurs algériens à la langue française repose constamment et parfois
bruyamment, la question de la place et de la prégnance de la culture française dans la société
algérienne. » (Culture et plurilinguisme en Algérie, http://www.inst.at/trans/13Nr/sebaa13.htm
(consulté le 25/03/2009)).

nº 12 218
Il faut signaler également que nous avons téléchargé les dix-sept chroniques en
question sur Internet, à partir du site du journal (www.lesoirdalgerie.com) et que
nous les avons modifiées de sorte que la page n° 24 ne contienne que la chronique
« Lettre de Province ». Nous avons ainsi débarrassé les pages en question de tous
les articles accompagnant notre corpus. Pour ce faire, nous nous sommes servi
d’un logiciel (Adobe Acrobat 6.0 Professionnel, version 6.0.0 19/05/2003) conçu
spécialement à ces fins.
Par ailleurs, le choix du journal s’explique par son poids sur la scène journalis-
tique. Premier journal « indépendant », né des réformes de 1990, Le Soir
d’Algérie a fait les beaux jours de la presse dite libre en Algérie. De nos jours, avec
un tirage de 70800 exemplaires3, il continue encore à être apprécié des lecteurs.

MÉTHODE D’ANALYSE

La méthode choisie est l’analyse de contenu4. Elle est basée sur deux procédés :
la quantification qui s’opère à travers le comptage des mots récurrents dans le
corpus et l’inférence qui se réalise à partir de cette quantification. Ainsi, l’une
comme l’autre nous permettront de rendre compte de la culture véhiculée par le
français dans ladite chronique.
Par ailleurs, ce travail nous a permis d’appréhender la culture sous un angle
nouveau, celui des items. Ainsi, la culture serait la somme des items suivants : po-
litique, religion, modes de vie (culinaire, vestimentaire, mondain), philosophie,
littérature, art, musique, monuments, fêtes, Histoire, cinéma, personnages
célèbres et expressions idiomatiques.
Toutefois, pour définir la culture française ou plutôt dire de quoi elle est consti-
tuée, nous avons jugé nécessaire de suivre les deux étapes suivantes :
Etape 1 :
Nous sommes allés sur le site de Canal académie (une webradio proposant des
émissions variées disponible sur www.canalacademie.com) et sur plusieurs sites.
Nous avons téléchargé des émissions et des articles traitant de divers thèmes rela-
tifs à la France : religion, politique, philosophie, littérature, société, langue fran-
çaise et identité.
Etape 2 :
Nous avons écouté les émissions en question et lu les articles téléchargés et,
pour chaque thème, nous avons relevé les mots récurrents qui constitueront plus
tard ce que nous avons nommé les mots-clés de la culture française et que nous
avons utilisés comme indicateurs dans notre grille d’analyse.

3 Chiffre publié par le ministère de la communication en mai 2006 (www.medias-algerie.com


(consulté le 28/11/2008))
4 Nous nous sommes inspiré de l’approche présentée par Laurence Bardin dans son livre :

L’analyse de contenu (1977).

nº 12 219
Une fois ce travail de collecte terminé, nous avons classé ces mots selon les
items cités plus haut. Ainsi, à titre illustratif, pour l’item « politique », nous avons
les mots suivants : République, système républicain, laïcité, démocratie… ; pour
l’item « musique » : troubadours, trouvères, jongleurs, Léo Ferré, Edith Piaf… et
pour l’item « philosophie » : cartésianisme, idéalisme, rationalisme, évolution-
nisme, positivisme…
Enfin, au terme de cette opération, il nous a été possible d’établir une définition
de la culture française sous forme d’items et de voir que le vocabulaire d’une lan-
gue porte en lui toutes les marques d’une culture donnée.
En revanche, pour soumettre le corpus à l’analyse de contenu, nous avons pro-
cédé comme suit :
1. La pré-analyse :
Elle consiste en la préparation du matériel, en l’occurrence, le corpus de ce
mémoire (les dix-sept chroniques du Soir d’Algérie) et en l’élaboration des pa-
ramètres d’analyse qui sont les items de la culture française et leurs mots clés con-
tenus dans la grille d’analyse que nous avons conçue.
2. L’exploitation du matériel :
C’est l’étape du travail proprement dit sur le corpus. Elle comprend trois sous-
étapes qui sont :

a. La lecture / repérage :
À ce niveau, nous avons réalisé une lecture approfondie des dix-sept chroni-
ques à la recherche des mots-clés et de leurs isotopies appartenant à la culture
française. Sachons que par isotopies nous entendons « la récurrence d’une même
catégorie de sens » (CHARAUDEAU, MAINGUENEAU, 2002) ou la redondance
de certains mots faisant partie prioritairement du même champ lexical et, secon-
dairement, appartenant à la même famille. Par exemple, le mot « démocratie »
peut avoir les isotopies suivantes : liberté d’expression, démocratique, etc.
Il s’agit donc de déceler la répétition d’un mot, d’une expression ou d’une phra-
se qui vont dans le même sens.

b. La catégorisation :
Une fois que les mots-clés de la culture française ont été repérés, nous avons ef-
fectué leur catégorisation en les introduisant dans un item particulier. A titre
d’exemple, nous avons classé le mot « démocratie » dans la catégorie « item poli-
tique ».

c. Le comptage et le classement dans un tableau :


Les mots, auxquels nous avons conféré une catégorie, un item, ont subi une
opération de comptage et ont été classés, avec le nombre de leurs occurrences,
dans la grille d’analyse suivante :

nº 12 220
Mots ou expressions Fréquence d’apparition ou
Items culturels français
repérés nombre d’occurrences
Modes de vie : culinaire, ves-
timentaire, mondain.
Histoire
Politique
Philosophie
Religion
Cinéma
Littérature
Art
Personnages célèbres
Lieux, monuments
Expressions idiomatiques
Musique
Fêtes

Ce ne sont pas tous les mots qui ont été classés mais ceux que nous avons déjà
nommés « mots-clés » et leurs isotopies.

3. Traitement des résultats et interprétation :


Les mots classés dans la deuxième colonne « Mots ou expressions repérés » ont
subi un traitement à l’aide du logiciel « Office Excel » (version 2003) et ont été
schématisés au moyen du graphique suivant :
250

200

150

100

50

Items de la culture française et nombre d’occurrences de leurs mots-clés

nº 12 221
C’est donc grâce à ce traitement automatique des données que nous avons pro-
cédé à l’analyse de la manière suivante :
D’abord, nous avons commenté ce graphique. Ensuite, en nous servant du pro-
cédé de l’inférence, qui est une étape cruciale dans l’analyse de contenu, nous nous
sommes attelé à déterminer si les chroniques étudiées étaient porteuses ou non de
marques de la culture française.

RÉSULTATS OBTENUS :

À l’issue de cette analyse, nous sommes parvenu à la conclusion suivante : la


culture française, par le biais de l’item « politique », est dominante dans les chro-
niques étudiées avec pas moins de 219 mots-clés relevés. République, démocratie,
suffrage universel, parlement, débat contradictoire, opinion renvoient à un uni-
vers culturel français. En effet, lors de l’écoute des émissions politiques de Canal
académie, nous avons rencontré les mêmes mots que ceux relevés dans lesdites
chroniques. Il y a aussi le mot aristocratie qui n’a pas sa raison d’être dans le
paysage politique algérien à partir du moment où il désigne « une forme de gou-
vernement où le pouvoir souverain appartient à un petit nombre de personnes, et
particulièrement, à une classe héréditaire » (LE PETIT ROBERT, 2009). Il faut
dire que ce mot est souvent associé à la noblesse. Donc, cette « aristocratie » algé-
rienne est équivoque à plus d’un titre. Viennent ensuite des expressions comme
« le cabinet noir » qui renvoie, selon l’encyclopédie Wikipédia5, à un service de
renseignement européen qui contrôle le courrier pour le compte d’un gouverne-
ment et la phrase suivante : «…la tradition de la caserne conseille vivement le mu-
tisme et le secret… »6 qui se rapporte à la locution « la grande muette ». Par cette
phrase, le journaliste Boubakeur Hamidechi voulait dire que l’armée algérienne
gardait normalement le silence vis-à-vis de ce qui se passait en politique. Il fait
ainsi référence à la « grande muette » française, au « produit d’une évolution qui,
avec l’avènement du régime républicain et de la troisième république en France,
vise à cantonner l’armée dans un rôle de simple exécution des décisions apparte-
nant à un pouvoir politique issu de l’élection. » (CHALABI, 1999 : 24) Donc, dé-
signer l’armée algérienne par une expression qui s’adapte à l’armée française est,
historiquement ou politiquement parlant, incorrect. Incorrect car, rien ne permet,
en effet, d’établir un tel parallèle entre les deux armées.
Le fait d’user de telles expressions et d’abuser de l’utilisation des mots « répu-
blique » ou « démocratie » ne signifie pas que le chroniqueur Boubakeur Hamide-
chi pense ou dit que ces choses-là fonctionnent bien dans notre pays. Il en parle,
certes de manière abondante, mais c’est pour en souligner l’insuffisance ; pour en

5Le cabinet noir, http://fr.wikipedia.org/wiki/Cabinet_noir (consulté le 10/02/2009)


6 Boubakeur Hamidechi, Linge sale du passé et omerta sur le présent, in « Le Soir d’Algérie »,
n° 5487, page24, 06 décembre 2008.

nº 12 222
dénoncer, parfois, l’absence (2008, p. 24)7. Le seul problème qui se pose toutefois
c’est l’utilisation de mots qui relèvent de la culture française. Il transparaît, à tra-
vers ce renvoi à cette culture, que le chroniqueur est un adepte des valeurs françai-
ses. En résumé, nous pouvons en inférer que la chronique « Lettre de Province »
véhicule, sur le plan politique, une culture française.
Le deuxième point dont nous voudrions parler est celui relatif aux expressions
idiomatiques qui relèvent purement de la langue française et donc de la culture
française. Nous avons, à titre d’exemple : faire amende honorable, tomber de
Charybde en Scylla, passer sous les fourches caudines, sonner le glas, etc.
En effet, ces expressions ne sont pas transposables dans une réalité autre que
celle de leur pays d’origine, en l’occurrence, la France. Leur compréhension sup-
pose une compétence culturelle de la part du lecteur algérien pour qui la langue
française n’est pas maternelle. Extraites de leur lieu d’origine, elles perdent de leur
sens et risquent même de ne pas être comprises du tout.
Le troisième point que nous devrions aborder est la philosophie. Celle-ci se
manifeste notamment, dans les chroniques étudiées, par la redondance du mot
« libre ». Cela nous conduit à affirmer de nouveau que la philosophie exprimée par
le journaliste est celle-là même que nous avons relevée lors de la recherche des
mots- clés de l’item « philosophie » de la culture française8.
Le point suivant est celui de la religion. Aussi étrange que cela puisse paraître,
celle-ci évoque, en filigrane, pour les lecteurs algériens, le christianisme. En effet,
les mots : chapelle, messe, trinité, bien qu’ils soient employés dans un sens autre
que religieux, ne signifient pas grand-chose pour ces lecteurs, dont la majorité est
musulmane. Nous devons signaler, dans le même ordre d’idées, que ce renvoi au
christianisme à l’aide des mots sus-cités ne saurait relever de l’apologie de cette
religion.
Concernant les modes de vie quotidien et mondain, nombre de mots ou expres-
sions ont attiré notre attention parce qu’ils s’inscrivaient tous dans un champ cul-
turel français. A titre d’exemple, nous avons « SDF » (sans domicile fixe). Cette
expression a vu le jour dans des conditions bien propres à la France. « Ces condi-
tions traduisent un contour social, politique, non dénué de paternalisme.
L’exploitation de ce climat paternaliste a poussé jusqu’à la nomination d’un mi-
nistre, André Emmanuelli, dans le gouvernement Jupé, en 1995. » (CHALABI,
1999 : 23) Donc, l’emploi de l’expression « SDF » en Algérie est injustifié à partir
du moment où aucune analogie ne peut être faite entre ce qui s’est passé en France
et ce qui s’est produit ici. Nous pouvons dire que la locution « sans-abri » convi-
endrait mieux aux Algériens qui n’ont pas de domicile.
Un autre exemple aussi intrigant que le précédent est celui des « restos du
cœur » qui fonctionnent, selon le Petit Robert (2009), l’hiver uniquement et où

7 Pour décrire cette insuffisance ou cette absence, ce chroniqueur emploie, entre autres,

« outrance antidémocratique », « fausse démocratie », « praxis antidémocratique ».


8 À titre illustratif, nous pouvons citer les mots suivants : existentialisme, structuralisme, liberté,

anticonformisme… (Cela complète partiellement la liste d’exemples déjà donnée plus haut).

nº 12 223
sont accueillies des personnes sans revenu. Comment pourrait-on, en fait, trans-
poser cette réalité typiquement française sur celle des Algériens, d’autant plus que
l’expression en question a été utilisée pour parler du mois de ramadan9.
À signaler également l’utilisation de l’abréviation VRP (voyageur, représentant,
placier) (LE PETIT ROBERT, 2009) qui s’applique généralement à un représen-
tant commercial chargé de démarcher des clients10. Chez nous, on parle plutôt de
délégué commercial mais jamais de VRP. Ce qui suppose que seuls, les initiés à la
culture française, pourraient déchiffrer cette expression dont le sens en Algérie
n’est pas à la portée de tout le monde. Encore faut-il préciser que même en France,
« VRP » semble être, aujourd’hui, une expression dépassée11. Nous pouvons ajou-
ter à cela, RIS (Revenu d’insertion sociale) et le mot smicard qui relèvent du quo-
tidien français. L’apparition de tous ces mots/expressions s’est faite dans un con-
texte politique précis, un contexte purement français.
Par ailleurs, Boubakeur Hamidechi fait souvent référence, dans ses chroniques,
à des personnages français célèbres. Ainsi, nous avons le général Georges Boulan-
ger qui, historiquement, a fait preuve de bravoure, en particulier quand il était
ministre de la guerre (1886-1887), en prenant des mesures en faveur des soldats et
des mineurs grévistes12. La question qui se pose, c’est : quelle place ce Général au-
rait-il dans le champ politique algérien ? Ou que représenterait Georges Boulanger
pour un Algérien qui connaît peu ou pas du tout l’Histoire française ?
Nous devons mentionner aussi la présence d’une autre référence moins énig-
matique que la précédente, celle relative à l’écrivain Milan Kundera (1929) qui,
d’origine tchèque, a écrit dans la langue de son pays et dans celle de France où il a
obtenu la nationalité française. C’est là également qu’il a eu du succès en gagnant
plusieurs prix13. Il faut dire enfin que Kundera est célèbre surtout par le biais de
ses publications en français.
De ces personnages célèbres, nous passons à l’item « Histoire française » pour
analyser les trois éléments suivants : vassalité, embastillement et le 18 brumaire.
Si pour le premier et le deuxième mot, l’usage en a consacré l’emploi au sens figu-
ré pour qu’ils désignent respectivement : un « état de soumission » et le fait
d’ « emprisonner » (LE PETIT ROBERT, 2009), ce n’est pas le cas pour
l’expression : le 18 brumaire (1799) qui, elle, est synonyme de coup d’état, celui de
Napoléon Bonaparte. Cette date « marque la fin du Directoire et de la Révolution

9 Boubakeur Hamidechi, Tartuffes de la charité et démission de l’Etat, in « Le Soir d’Algérie »,


n° 5411, page 24, 06 septembre 2008.
10 Voyageur représentant placier,
http://fr.wikipedia.org/wiki/Voyageur_repr%C3%A9sentant_placier (consulté le 29/01/2009)
11 Voyageur représentant placier, http://www.studyrama.com/article.php3?id_article=1515 (con-

sulté le 29/01/2009)
12 Le Général Boulanger,
http://profshistoirelcl.canalblog.com/archives/2008/01/12/7583647.html (consulté le 20/01/2009)
13 Milan Kundera, http://fr.wikipedia.org/wiki/Milan_Kundera (consulté le 25/01/2009)

nº 12 224
française, et le début du Consulat »14. Quel sens le lecteur algérien donnerait-il à
cette date ? Nous pourrions y répondre par « aucun sens ». En effet, il est impos-
sible de chercher un 18 brumaire bis en Algérie étant donné que ce n’est ni la mê-
me époque, ni le même pays, ni, non plus, les mêmes acteurs. De plus, évoquer un
fait fortement ancré dans l’Histoire française pour parler d’une réalité algérienne
exprime une volonté de se référer à la culture française.
Quant à l’item « monuments français », nous n’avons pas rencontré
d’expressions ou de noms qui méritent d’être signalés ici, mise à part le terme
« Province » qui fait partie du titre générique de la chronique « Lettre de Provin-
ce ».
Nous ne pourrions clore cette interprétation sans nous attarder sur le cas des
mots relevés appartenant à d’autres langues: l’anglais en premier lieu, l’arabe,
l’italien et l’espagnol. L’emploi des mots en question s’explique, pour le cas de
l’anglais, par l’hégémonie de cette langue sur le plan mondial. Sa présence dans
toutes les langues du monde s’est rendue possible grâce à l’avancée technologique
et scientifique des Etats-Unis.
Cependant, pour ce qui est de l’arabe, nous dirons que, dans la mesure où le
journaliste Boubakeur Hamidechi écrit dans un journal algérien et s’adresse à des
lecteurs d’Algérie, il est tout à fait logique qu’il fasse usage de cette langue pour
décrire une réalité que la langue française, seule, serait incapable d’exprimer. Il
pourrait s’agir aussi d’une manière comme d’une autre de se rapprocher du lecteur
en faisant appel, de temps à autre, à sa langue maternelle.
En revanche, la référence à certaines langues comme l’espagnol, le grec, le latin
ou l’allemand s’inscrit, à notre avis, dans une perspective universelle. Il faut dire
que les langues du monde s’empruntent des mots et que ceux-ci, du moins ceux
qu’on rencontre dans toutes les langues, constituent ce qui est couramment appelé
la culture universelle. Ce sont des mots qui renvoient généralement à des inven-
tions, à des chefs-d’œuvre littéraires ou à des personnages célèbres.

CONSIDÉRATIONS FINALES :

À la lumière de ce qui vient d’être dit, nous pouvons affirmer que la chronique
« Lettre de Province » véhicule une culture française, et cela pour deux principales
raisons. D’abord, les dix-sept chroniques analysées s’inscrivent toutes dans une
perspective politique et les mots/expressions relevés au niveau de l’item politique,
dont le nombre est supérieur à celui des autres items, font partie de la politique
française. Ensuite, la deuxième raison relève du fait que certains mots, coupés de
leur racine, en l’occurrence la France, ne sont pas fonctionnels dans la réalité algé-
rienne.

14Coup d’Etat du 18 brumaire, http://fr.wikipedia.org/wiki/Coup_d'%C3%89tat_du_18_brumaire


(05/01/2009)

nº 12 225
En résumé, appréhendée sous un angle politique, la chronique en question
véhicule une culture française.
Par ailleurs, nourrie de culture française, cette chronique n’en reprend que
quelques aspects car des items comme les fêtes, la musique, le cinéma et l’art sont
absents. Une absence qui s’explique peut-être par le caractère politique de la
chronique.
En revanche, au terme de ce travail de recherche, nous pouvons dire qu’il exis-
te un rapport étroit entre les trois éléments suivants : langue, culture et presse
écrite. En effet, la culture se manifeste au moyen du vocabulaire de la langue et au
moyen des rubriques assurées par la presse écrite. Il existe donc une corrélation
dans cette trilogie dont les éléments ne peuvent fonctionner indépendamment.
Quoique nous disions à propos de cette trilogie, nous ne pourrions en établir
une description exhaustive. L’important pour nous, c’est d’avoir étudié le rapport
langue /culture en nous servant d’un corpus journalistique et d’avoir confirmé nos
hypothèses de recherche.
Cependant, cette confirmation n’est pas suffisante dans la mesure où le corpus
choisi n’était pas assez représentatif pour ce qui est de nos objectifs de recherche.
Nous aurions dû en effet prendre un corpus constitué de plusieurs rubriques ou
encore prendre un journal algérien et un journal français, voir les mots- clés qui y
reviennent et établir des comparaisons. Nous souhaiterions enfin que cette questi-
on de la culture et de la langue soit éclaircie davantage dans des travaux de recher-
che ultérieurs.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

BARDIN, L. L’analyse de contenu, Paris : PUF, 1977.

BEACCO, J.C. Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris :


Hachette Livre, 2000.

CHALABI, E.H. La presse algérienne au-dessus de tout soupçon, Alger/Paris : Ed.


INA / YAS, 1999.

MARCELLESI, JB et GARDIN, B. Introduction à la sociolinguistique. La linguis-


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MOIRAND, S. Enseigner à communiquer en langue étrangère, Paris : Ed. Ha-


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nº 12 226
Sitographie :

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