0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
359 vues58 pages

Introduction À La Victimologie - Notes

Ce document introduit la victimologie en définissant les termes clés comme victime, victimisation primaire et secondaire. Il explique la différence entre la victime singulière et invoquée et fournit des définitions de la victime. Le document décrit également les objectifs et modalités d'évaluation du cours.

Transféré par

Cléa Swennen
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats DOCX, PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
359 vues58 pages

Introduction À La Victimologie - Notes

Ce document introduit la victimologie en définissant les termes clés comme victime, victimisation primaire et secondaire. Il explique la différence entre la victime singulière et invoquée et fournit des définitions de la victime. Le document décrit également les objectifs et modalités d'évaluation du cours.

Transféré par

Cléa Swennen
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats DOCX, PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 58

Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Introduction à la victimologie

Informations pratiques
Objectifs de l’enseignement :
Il faut être capable d’associer et de réorganiser les connaissances dans un lecture transversale et
interdisciplinaire et les restituer dans une approche synthétique et intégrative.
Il faut être capable de situer la question victimologique dans une perspective historique,
philosophique, idéologique et sociologique.
A l’examen, il faut être capable de questionner la construction des savoirs scientifiques en
victimologie dans une perspective épistémologique.
Modalités d’évaluation :
L’’évaluation est constituée en janvier d’un examen écrit sous la forme de questions à choix
multiples sur la matière dispensée en présentiel ou à distance sur e-campus selon l’évolution de la
situation sanitaire.
L’évaluation de septembre est un examen écrit sous la forme de questions à choix multiples sur la
matière dispensée en présentiel ou à distance sur e-campus selon l’évolution de la situation
sanitaire.

Partie 1 – Considérations actuelles autour des enjeux sociaux


associés à la victime

1. La place de la victime dans la société : de l’émergence de la


victimologie à la tentation victimaire
La victimologie a longtemps été considérée hors de la criminologie.
L’étude de la victime est relativement récente puisqu’elle est née après la deuxième guerre
mondiale.

Définition de la victime
La victime est une valeur fondatrice de nos sociétés.
Il faut faire la différence entre la victime singulière (c’est-à-dire la personne traumatisée, qui
souffre) et la victime invoquée. (l’image véhiculée par la société, le symbole, la construction
sociale).

La définition peut varier. Tous les auteurs ont proposé leur propre définition. Nous retrouvons dans
la construction des ces définitions le recours aux notions suivantes :
• La Loi et le caractère infractionnel de l’acte qui engendre la victimisation.

1
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
• Le regard social sur la souffrance ou la compassion que l’on éprouve vis-à-vis des victimes.
• La nature de la victimisation, criminelle, naturelle, individuelle, collective. Il y a des
victimes d’actes criminels mais également des victimes de tremblement de terre, de tsunami,
… Ici, le cours se penchera sur la victimisation suite à un acte criminel.
• La perception subjective de l’injustice et de la victimisation : le développement d’une
posture victimaire.
Définition générale :
« Toute personne, qui, du fait de l’action (intentionnelle ou non) d’une autre personne, ou d’un
groupe de personnes, ou du fait d’un évènement non causé par une personne (catastrophe
naturelle ou accident sans auteur), a subi une atteinte à son intégrité physique ou mentale, ou à
ses droits fondamentaux, ou une perte matérielle, ou tout autre préjudice (scolaire,
professionnel, d’agrément, moral, etc.). »
Dans le cadre du cours, nous limiterons nos réflexions aux victime définies comme « Toute
personne et ses proches ayant subi un dommage matériel, corporel et/ou moral d’un acte puni
par la législation pénale. ».
La définition de la victime adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies définit le concept
de victimes de la criminalité et d’abus de pouvoir : « On entend par « victimes » des personnes qui,
individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité
physique ou morale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs
droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur
das un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir.
Un personne peut être considérée comme « victime », dans le cadre de la présente Déclaration, que
l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de
parenté avec la victime.
Le terme « victime » inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à la charge de
la victime directe et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux
victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation. »

Types de victimisations : primaire et secondaire


La victimisation est un processus.
Le fait de subir une victimisation entraîne un ensemble de conséquences pour la personne.
Il y a d’abord l’acte lui-même (l’agression, le vol, l’accident,…) qui peut occasionner des
conséquences immédiates telles que des lésions, un traumatisme psychique ou une perte matérielle.
La victimisation est subjective. Ce qui peut nous paraître banal va parfois en ébranler un autre. Pour
certains, la mort d’un chien peut être sans réel impact mais tout dépend du symbole qu’il y a peut-
être derrière (dernier souvenir d’un être perdu,…).

2
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Dans le cadre du cours, nous ne verrons que la victimologie pénale.
Victimisation primaire :
On parle de victimisation primaire lorsqu’on envisage les conséquences directes immédiates ou
différées de l’évènement à la source de la victimisation.
Une personne qui se fait agresser une fois par un agent de police par exemple, est de nouveau
agressé par après. On se demande quelle est la part imputable de la première agression et la part
imputable de la deuxième agression. C’est le travail notamment des experts en assurance.
La personne qui subit directement dans son corps et son psychisme le traumatisme est appelée
victime directe.
Les badauds peuvent aussi subir une victimisation primaire étant directement impliqués dans la
situation à l’origine de la victimisation même s’ils n’en sont que les témoins. Ils peuvent être sujets
à une victimisation parce qu’ils ont été témoins de la victimisation de la victime directe. On parle
d’impliqués directs, car ils sont sur l’évènement en tant que tel.
Plus largement, les proches que sont la famille, les amis, les collègues, les sauveteurs mais aussi les
professionnels de deuxième ligne auront également à faire face aux conséquences de la
victimisation et pourront être par ricochets affectés à leur tour. Les sauveteurs peuvent aussi être
très affectés, comme les urgentistes, ils sont confrontés à des choses horribles. Ils vont évidemment
être aussi impactés par ces évènements pourtant ils ne l’ont pas vécu en direct, ils sont arrivés dans
les minutes qui ont suivies.
Pour rendre compte de ces impliqués indirects, on parle de victimes secondaires (famille, amis
proches, collègues, sauveteurs) qui subissent un traumatisme indirect.
Il ne faut pas négliger ces personnes-là, on considère que l’état de stress post-traumatique peut être
présent chez les professionnels.
On parle de victimes tertiaires pour les professionnels de deuxième ligne qui subissent un
traumatisme vicariant qui désigne la transformation de la vision du monde (cognitions) par les
professionnels au contact régulier avec des personnes ayant vécu un événement traumatique, qui a
menacé leur vie ou leur intégrité physique ou psychique.
La victime primaire est une personne singulière qui fait l’objet d’une victimisation tandis que la
victimisation est un processus.

3
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Victimisation secondaire :
D’autres conséquences négatives peuvent prendre naissance dans le manque de soutien et
d’accompagnement auxquels s’attend la victime de la part de son entourage ou de la société dans
son ensemble suite à sa victimisation.
Il y a ensuite les conséquences qui découlent directement de l’acte qui peuvent aussi être
différées dans le temps comme la perte de revenus suite à l’incapacité de travailler, stress post-
traumatique,...
La famille, les proches, les amis et les professionnels au contact de la souffrance de la victime
seront aussi concernés par ces conséquences de la victimisation en raison de leur proximité avec les
victimes. Au départ, les proches sont empathiques mais avec le temps cette empathie est remplacée
parfois par l’impatience, l’indifférence,… C’est la nouvelle victime, s’il y en a une, qui intéresse.
Exemple : il y a beaucoup de divorces quand une des deux personnes du couple est atteinte de stress
post-traumatique. Ensuite, on peut tomber en dépression, devenir alcoolique, perdre son emploi,…
Nous parlons de victimisation secondaire lorsque nous envisageons les conséquences négatives sur
la victime du traitement inapproprié et non respectueux de son état dont elle fait l’objet par les
autorités et les institutions judiciaires, policières, médiatiques ( on perd un proche et on voit notre
nom ou le nom de l’autre sur les réseaux sociaux ou à la télévision), médicales, éducatives, mais
aussi par les proches et les intervenants des réseaux d’aide et de soins. (cf. Loi Franchimont).
Les personnes peuvent rester avec une victimisation secondaire pendant des années, le temps de
voir des experts, de voir le procès se finir bien après les faits,…

Un problème majeur des victimes est qu’elles ne se sentent pas reconnues par l’institution
judiciaire. La justice n’est pas là pour prendre en compte la victime, le procès se tient entre la
société et l’auteur dans les juridictions pénales. Il y a des victimes des attentats de Zaventem qui
n’ont toujours pas touché d’indemnisations alors qu’ils ont dû payer beaucoup en frais hospitaliers.
La victimisation secondaire est toujours une sur-victimisation qui ajoute aux conséquences directes
de la victimisation primaire.
La victimisation secondaire est très présente et on a souvent du mal à l’envisager.
Ce sont des blessures secondaires essentiellement psychologiques et morales suite à la prise en
compte inadéquate des attentes et des demandes de la victime.
Les victimes ont parfois des attentes irréalistes et il faut parfois raboter les demandes des victimes
pour leur faire comprendre que leur souffrance ne leur demande pas la totalité des droits. C’est
difficile de leur dire car faire du mal à une victime n’est jamais facile.
Il peut s’agir d’attitudes conscientes de la part du tiers ou de simples maladresses dues à la
méconnaissance de ce que vivent les victimes.

Exemple : Les blagues peuvent parfois être tout à fait déplacées mais parfois ça peut être un
exutoire (pour les victimes, pour les professionnels,…).

4
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La minimisation des faits peut aussi être très douloureuse pour la victime. L’impact qu’un
évènement peut avoir pour nous est surtout basé sur notre histoire passée.

Citons à titre d’exemples, un accueil peu empathique, des blagues ou des commentaires de mauvais
goût, une banalisation ou une minimisation des souffrances, un manque de respect de l’intimité, etc.
Pour éviter d’ajouter de nouvelles souffrances à la victime, il est indispensable de comprendre que
la souffrance psychique est subjective, individuelle et dépend de l’histoire propre de chaque
personne.
Il est impossible de comprendre réellement la portée d’un événement traumatique sur autrui.
Certaines ne vont presque pas être impactées et d’autres très impactées pour le même fait. Il ne faut
pas penser que ce sont les personnes les plus fragiles uniquement qui s’écroulent.
La façon de réagir face à la victimisation est donc variable et doit s’adapter. La réaction présentée
par la victime ne nous dit rien sur la force de caractère de la personne par exemple.

La victimologie

La victimologie est une invention très récente à l’échelle de la science.


La notion de la victime va prendre une place de plus en plus importante après la deuxième guerre
mondiale, dans le contexte après l’Holocauste.
On donne une place sociale à la victime, le transfert se fait car on voit les grandes idéologies
s’effondrer et les images traditionnelles vont s’effondrer également.
A partir des années 80, l’individualisme devient de plus en plus fort, ce qui laisse une belle place à
la victime. On en arrive à une société victimaire, ce statut donne une sorte de sagesse tout azimut,
on prend au sérieux toutes les paroles des victimes.
La victime est partout, tout le monde veut être victime.
C’est sur les ruines de la seconde guerre mondiale, face à la réalité de l’Holocauste et de la barbarie
qui frappa d’innombrables victimes qu’est apparue la victimologie, branche récente de la
criminologie.
La pérennité du terme « victimologie » reste floue.
Le 29 mars 1947 dans le cadre d’un congrès de la Société Roumaine de Psychiatrie
MENDELSOHN aurait parlé le premier de « la science de la victime » qu’il aurait appelé «
victimologie ».

Ce terme de « victimologie » serait ensuite apparu en français en 1956 dans une publication de
Mendelsohn : « Une nouvelle branche de la science biopsychosociale: la victimologie » – Revue
Internationale de criminologie et police technique, traduction du même article publié dans
l’American Law Review .

5
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Cependant, selon FATTAH (2010), le terme de victimologie aurait été utilisé pour la première fois
en 1949 par un psychiatre américain, Frederick WERTHAM, dans son livre « The Show of
Violence », dans lequel il insistait sur la nécessité d’ériger la victimologie en science.

Ezzat Fattah, lui-même pionnier de la victimologie publia sa thèse de doctorat: « Les facteurs qui
contribuent au choix de la victime dans les cas de meurtre en vue de vol » sous le titre : « La
victime est-elle coupable » (1971)
Néanmoins, il est habituel d’envisager la naissance de la victimologie comme discipline scientifique
à la publication en 1948 par Hans VON HENTIG du « criminel et sa victime » dans lequel il
consacra la dernière partie à la contribution de la victime à la genèse du crime, avec la notion de
couple pénal.
Est-ce qu’il faut considérer la victimologie comme une branche de la criminologie ou une discipline
en tant que telle (agressologie et victimologie)? C’était une façon de positionner le rapport entre
l’auteur et la victime.
Il serait bizarre de dissocier la notion de victime et d’auteur alors qu’il n’y a souvent pas l’une sans
l’autre.
Elle pose un regard neuf sur la dynamique criminelle. A partir du moment où on rentre dans la
question de la victimologie, on se pose la question de la part imputable à la victime dans sa propre
victimisation.
Elle partage avec la criminologie dont elle est une facette, l’approche multidisciplinaire au carrefour
des approches juridiques, psychologiques, médicales, sociologiques, etc.
La criminologie s’est développée dans le cadre de l’étude de la personne traumatisée et ensuite on
élargit au rôle de la victime dans le crime.
Au niveau scientifique, on retrouve deux conceptions opposées que sont la victimologie
criminologique, empirique ou « scientifique » et la victimologie humanitaire ou « humaniste »
construite sur des jugements de valeurs qui touchent aux normes, à la morale et à l’action sociale.
(Lopez,09 ; Cressey, 87).

Première victimologie (TUYAU) : approche, étiologique, centrée sur la compréhension du rôle


de la victime dans l’agression. Il s’agissait d’une victimologie centrée sur l’acte criminel et sur
la relation auteur-victime.
Elle naît directement après la deuxième guerre mondiale. On l’appelle aussi « criminologie
empirique ».
Elle correspond à cette approche scientifique, empirique. Il faut la remettre dans le contexte de
l’époque. Elle est scientifiques car elle essaie de s’appuyer sur des recherches, ils vont chercher le
rôle de la victime dans sa propre victimisation.
Les premiers victimologues de ce courant vont chercher à voir comment la victime peut porter une
part de responsabilité dans l’acte. Beaucoup d’entre eux avaient une formation juridique et cette
réflexion permettait aux juristes de commencer à atténuer l’impact sur l’auteur, sans nécessairement
chercher à le disculper. On cherche les circonstances atténuantes. On instrumentalise la victime.

6
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La victime a un impact mais cela ne la rend pas moralement responsable de quoi que ce soit. Il y a
des caractéristiques de la victime qui fait que c’est elle qui sera choisie et pas une autre. Pour les
tueurs en série, ils y a des caractéristiques qui font que la victime sera choisie (grande, blonde,
asiatique,…). On ne peut faire fi des caractéristiques de la victime.
Dès les années 70 cette approche scientifique, parfois excessive et maladroite dans sa définition de
la victime a été contestée car considérée comme disqualifiante pour la victime et considérée à tort
comme « l’art de blâmer la victime ». Il y a eu un mouvement d’émancipation qui a amené à
prendre en question les femmes dans la société avec l’émergence du mouvement féministe.
La victime était traitée de façon inappropriée, considérée comme responsable notamment avec les
religions.
Cette critique initiée dans les années 1970 fut essentiellement portée par le courant féministe autour
de la problématique du viol et des violences sexuelles en général. On s’était retrouvé dans un
système où la plupart des études (étude AMIR) visaient à étudier les caractéristiques des victimes
de viol pour voir les ressemblances comme si c’était elles qui amenaient à la victimisation
( beaucoup de partenaires, abus d’alcool, sorties,…).
On remet en question cette première victimologie et on évolue vers une nouvelle approche qui va se
centrer sur la victime en tant que tel et plus simplement son lien avec l’auteur.
Seconde victimologie : A partir des années 80, cette nouvelle approche s’est dégagée presque
entièrement de la compréhension du fait criminel et de l’interaction entre auteurs et victimes pour
se centrer sur la satisfaction même des victimes et l’action en faveur des victimes.

On va voir toute une dynamique familiale. Après la victimisation de la femme, on retrouve celle de
l’enfant. Ils sont des victimes par excellence car on les voit comme passifs. IL y a aussi la religion
qui ramène ce lien de femme à celui de mère et son enfant (Marie et Jésus).
Il y a eu un développement d’enquête de victimisation qui vont amener à prendre connaissance de la
victimisation et on s’est rendus compte que les chiffres de la victimisation étaient bien plus élevés
que ce que l’on pensait. Il y avait notamment un grand nombre de victimisations au sein de la
cellule familiale. Ces enquêtes de victimisation vont transformer la réflexion victimologique et
amener une certaine reconnaissance des victimes.
On s’intéresse plus à la victime en tant que personne plutôt que son lien avec sa propre
victimisation.
On voit émerger toute une symbolique autour de la victime et de son rôle dans la société, la victime
invoquée.
Cette seconde victimisation va amener une dérive, la société des victimes. Maintenant, la victime
est celle qu’on ne peut pas critiquer, on ne peut même plus l’interroger, on se tait face à elle.
Moralement c’est mal vu.
Il n’y a pas de service d’aide aux victimes avant les années 80.
En Belgique, ce qui a amené les services d’aide aux victimes est la fusillade à Hannut lors de la
CrossCup de 1979.

7
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Les années 1980 à 2000 ont ainsi vu se développer cette deuxième victimologie sous la forme d’un
large mouvement social en faveur des victimes, de leur droit à l’indemnisation et à l’aide
psychologique ou sociale. C’est la période de l’appel Dutroux ou l’affaire d’Outreau (amène
l’interdiction de crédibilité de la part des enfants) en France. On voit un mouvement d’identification
aux victimes créé par un ras-le-bol de la population face aux mesures prises pour ces affaires.
Cette emphase autour de la victime, notamment la victime enfant, amène à confondre la crédibilité
et la vérité.
Cette montée en puissance du mouvement en faveur des victimes a imprégné dans de
nombreux pays les politiques sociales et criminelles.
Mais aussi le droit par une rationalisation progressive du droit subjectif des victimes au point que
l’on en est venu à parler de « société des victimes ».

Une société des victimes


Qui se construit autour :
• D’un refus de la souffrance sacralisée. Pour la société, la société est intolérable, au même
titre que la mort. La personne qui a souffert a un statut intouchable, on la respecte pour
tout et pour rien. On boit ses paroles sans les remettre en question. Il y a aussi un certain
type de voyeurisme qui s’installe.
Exemple : tous les parents de l’affaire Dutroux ont été approchés par les partis politiques après
l’affaire.
Exemple : Sur TMC, on présente en prime time dans l’émission « Quotidien » un enfant transgenre
de 10 ans, victime de la société qui n’accepte pas son statut. On expose son intimité à tous.
Cela amène à une exagération de l’interdiction de souffrance (enfants rois,…)
• D’un sentiment de compassion à l’égard du semblable, égalité imaginaire supposée
restaurer l’humanité. On a progressivement glissé vers une société individualiste, l’idée
d’empathie permet de lier les gens entre eux.
Cette compassion va aussi s’étendre aux animaux autres que les humains. On pense également au
sort des animaux sacrifiés pour l’industrie alimentaire.
Qui organise :
• Une nouvelle transaction entre l’État et les nouvelles victimes;
• « Un nouveau rapport entre les êtres ».

Une conscience victimaire dans laquelle être victime n’est plus un état propre à la victime
singulière mais un statut, la victime invoquée, existant socialement au travers de sa victimisation.
Les nouveaux héros de la société sont ceux qui souffrent, on les met en évidence.
Être victime n’est plus un état, c’est devenu un statut qui ouvre des droits. Il faut être victime et on
existe socialement qu’en acceptant être cette victime invoquée.

8
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Cela n’est pas uniquement propre à la société d’aujourd’hui, il y a des contenus sous-jacents à la
victime. On retrouve des images de la victime passive, féminine, enfant dans d’autres contextes,
notamment religieux, et en d’autres temps.
Ce qui est intéressant c’est qu’aujourd’hui toutes ces images sont mobilisées dans la vision
victimaire actuelle.
Exemple : les femmes, surtout les mères, sont moins condamnées que les hommes pour les mêmes
faits.
Les victimes aujourd’hui ne sont plus passives mais elles utilisent cette vision de passivité pour
attirer la compassion.

« L’approche scientifique s’ancre dans les idées du temps. »

Au niveau de la société, deux positions s’affrontent :

• La première portée par le courant humanitaire milite pour la reconnaissance sociale de la


victime. On est pour ou contre la victime. Si on est pour, c’est qu’on est une bonne
personne.

• La seconde parfois qualifiée d’idéologie anti-victimaire se montre critique par rapport à ce


« sacre de la victime ». On ne peut pas remettre en cause le statut de victime et la
souffrance de celle-ci.

Le débat se crispe aujourd’hui autour de la réification de la souffrance singulière au profit de la


victime invoquée.

La victime singulière n’a d’autre choix pour être reconnue et écoutée que de se conformer à la
victime invoquée. Elle doit adopter l’apparence de cette victime invoquée pour être considérée
comme une victime.

« Avec force de pertinents arguments, si tous les observateurs semblent se féliciter de l’évolution
des droits des victimes, ils paraissent également unanimes pour en dénoncer les « excès », les «
dérives », les « effets pervers » (Cario).

Toute personne qui se considère comme victime l’est. Il n’y a plus besoin d’avoir souffert
effectivement ou d’avoir connu un évènement traumatique. On se revendique victime pour tout et
pour rien.

Exemple : Les personnes sont victimes de l’annulation de la Foire d’Octobre car ils ne pourront pas
avoir les lacquemants qu’ils ont d’habitude.

Il existe « une inflation, particulièrement forte, tant sémantique que sociale, du mot « victime »,
qu’il devient « parfois facteur de confusion » ( Bouchard,2011).

9
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
« Ces vingt dernières années, le concept de victime a fait recette. De plus en plus banalisé et
galvaudé, il fait aussi maintenant les frais de sa popularité. En caricaturant à peine, on peut dire
qu’aujourd’hui, est victime toute personne qui se considère comme telle» y compris les animaux
associés dans un large élan compassionnel.

Être victime n’est plus un état mais devient un statut, la victime existant socialement au travers de
sa victimisation ». (Josse, 2006).

Il s’agit d’une nouvelle catégorie sociale, une nouvelle identité qui a progressivement pris la place
d’autres, qui rendaient compte des rapports de classes au sein de la société, et qui sont tombées en
désuétudes.

On ne peut dissocier l’idée de la victime et l’idée de sexualité puisque les violences sexuelles sont
au cœur de l’histoire.

Il importe de comprendre comment cette société des victimes reconfigure notre conscience sociale,
la pratique du droit et le fonctionnement de nos institutions.

La victime va aller d’un état de la personne traumatisée à la nouvelle catégorie sociale. Elle prend
une place de plus en plus importante dans la société.

Il est nécessaire de se questionner sur cette appropriation de la souffrance de l’intime dans ses
dimensions archaïques/régressives et fondamentales de mort, de vie et de sexualité (Éros et
Thanatos) comme nouveau modèle social de revendication.

Selon Castel, c’est dans un vaste phénomène de « déstabilisation des stables », véritable processus
de vulnérabilité sociale, de déliquescence et de déliaison sociale qui conduit à l’exclusion sociale
que s’inscrit l’adhésion au processus victimaire.

Depuis la fin du second conflit mondial nous avons vécu sous la protection de l’état social, de l’état-
providence des trente glorieuses garantes d’une société désinvolte construite sur sa propre
croissance où « l’idéologie du progrès, tenait lieu de récit et le héros responsable tenait lieu de
figure symbolique » (Brukner).

C’est donc pendant les 30 glorieuses qu’on voit la société se reconstruire et se développer,
notamment économiquement parlant. On avait l’impression que plus rien de négatif ne pouvait
arriver.

L’État Providence protégeait de tout, on ne se posait pas de questions, il n’y avait presque pas de
chômage. Celui qui est porteur est le héros, celui qui construit et va de l’avant (pilotes de chasse,
astronautes,…).Le héros est sans reproche et est capable de tout faire et de tout surmonter. On ne
souffre pas.

Le contexte de prospérité nous avait permis d’identifier clairement l’ennemi ou la menace.


Jusqu’à la chute du mur, la menace était clairement identifiée, c’était les soviétiques.

10
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Vision réductrice du monde construite sur les grandes idéologies, l’impérialisme et le
capitalisme, la division Est-Ouest, étaient autant de raisons externes susceptibles de justifier notre
misère éventuelle.

Exemple : la baie des cochons, tentative d’invasion militaire de Cuba en 1961

Dans le même temps, nous garantissions notre tranquillité par « la conjonction de la prospérité
matérielle, de la redistribution sociale, des progrès de la médecine (maladies mentales comprises)
et de la paix assurée par la dissuasion nucléaire » (Brukner).

On pensait que l’État allait nous protéger de tous les problèmes possibles qui auraient pu arriver
(guerre froide qui aurait pu devenir une guerre militaire,…). (voir the Americans)
Dès la fin des années septante, on observe :

• Disparition du rôle messianique et rédempteur de la classe ouvrière qui représentait


habituellement les opprimés. Il y avait toute une série de personnes qui pensaient que les
classes laborieuses étaient une énorme force mais qu’elle était petite par rapport aux grands.
Cette classe a perdu de son poids notamment avec une perte de prise des syndicats qui ont
perdu de leur force.

• Affaiblissement des appareils médiateurs traditionnels qu’étaient les syndicats, les


églises et les partis politiques. On voit apparaître un catholicisme de tradition plutôt qu’on
catholicisme de conviction.

• Indistinction gauche-droite qui sape l’image des élites dans une indifférenciation du « tous
pourris » et du consensus mou. C’était auparavant très clair, la pensée était fort binaire. On
parle de sociale-démocratie, les gouvernements tentent d’être centristes. On voit une perte
de poids de l’autorité politique, elle ne veut plus dire grand-chose. Il y a cette idée que
derrière nos votes, ce ne sont que des parvenus, des fils de, qu’ils vont magouiller entre eux
et qu’ils sont au final tous incompétents.

• Augmentation de l’angoisse existentielle des classes sociales et particulièrement de la


classe moyenne tout en démontrant l’incapacité de l’État social (état providence) à
pérenniser son rôle de « réducteur d’incertitudes ».
La classe moyenne est celle qui a pu s’extraire des conditions très modestes grâce au
développement économique d’après-guerre. Ils ont eu accès aux études, ils pensaient que chaque
génération allait avoir plus de moyens que la précédente mais au final ce n’était que des
désillusions. On a perdu cette vision fondamentale de l’État social capable de protéger sa population
du malheur et de l’horreur. Selon l’idéologie, l’État allait garantir le bonheur.

• La perte des repères traditionnels, notamment au niveau du clivage habituel par rapport
au bien et au mal a bouleversé notre rapport au monde. Tout ce qui était limpide à l’époque
est perdu. On a perdu confiance en l’État, en le collectif. On va vers un replis bien plus
individualiste.

11
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
• Le développement des médias avec la multiplication, la simultanéité des images du
malheur a augmenté le sentiment d’insécurité. Les médias télévisuels se développent dans
les années 1970-1980. Avant on avait accès à l’information au travers des journaux papiers.
Les médias ont projeté l’idée que le malheur était partout. On a le malheur en direct,
24h/24h, 7 jours sur 7. Il y a une proximité au malheur car on le vit sur le moment, on a
alors l’impression qu’il se passe bien plus de choses terribles qu’avant. Il y a une insécurité
qui se développe, l’angoisse est différente de celle d’une nouvelle guerre, elle est celle de la
peur d’être victime d’un fait divers.

Exemple : 11 septembre 2001, Match Liverpool – Juventus, Guerre du Vietnam, Lycée de Waha, …

• La perception de la mondialisation nous a placé dans une situation passive et donc proche
de la victimisation (ex. impuissance face aux crises alimentaires successives ou
actuellement dans le cadre de la crise sanitaire de la COVID-19). On a plus de prises par
rapport aux choses et les politiques non plus. Nous n’avons donc plus confiance en eux car
les mesures prises ne sont pas satisfaisantes.

L’État social va progressivement être obligé de se transformer, avec la crise qui s’amplifie on se
rend compte que l’État n’a plus les moyens d’assumer ses rôles notamment économiques. On passe
dans l’État social actif, il faut donc que l’individu lu-même soit impliqué dans sa réinsertion.
L’État demande une contrepartie qu’elle ne demandait pas auparavant.

On a donc commencé à voir le pauvre, le misérable comme modèle (× héros). Il faut construire de
nouvelles identités sociales qui vont nous ouvrir les droits à l’aide.

La société qu’on pensait en expansion pour l’éternité s’effondre d’un coup, avec la guerre du
Kippour et la crise pétrolière.

Nous étions persuadés que l’État social allait nous protéger de la menace et cette illusion d’une
croissance sans fin disparaît. Tout cela s’effondre.

Avec la transformation de l’état providence en état social actif, le parti pris des misérables, le
recours au « marché de l’affliction », la victimisation sont apparus comme des valeurs refuges
régressives face à cet éclatement de la menace symbolique mais aussi rassurante dans sa capacité à
nous construire une identité sociale tout en renforçant « notre complaisance à pleurer sur nous
même » (Bruckner).

Nous ne sommes plus dans une optique d’expansion mais dans une logique d’enfermement sur soi,
de précaution. C’est une approche plutôt négative. On va décider qu’on a le droit de ne pas souffrir
alors qu’avant on avait un droit à se développer.

On aime bien se plaindre et on aime bien la douleur des autres.

La reconfiguration de l’espace social d’un état social à un état social actif s’est faite par la
redéfinition des politiques publiques notamment en transformant l’indemnisation (dépenses
largement perçues comme passives) à l’octroi de droits sociaux basés sur la conditionnalité de l’aide
qui exige une contrepartie sociale ( des devoirs) aux droits accordé à la personne.

12
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Le droit d’indemnisation n’est plus un droit acquis, c’est un droit conditionnel. Il faut faire parvenir
des preuves.

Dans cette logique d’un principe de conditionnalité, les identités sociales prennent tout leur sens
puisqu’elles contribuent à la reconnaissance sociale et éventuellement ouvrent le droit à l’aide ou
l’assistance.

Des services ne vont nous accepter qu’à partir du moment où on a un certain statut. Ces identités
déterminent l’accès à l’aide.

Exemple : Pour accéder au chômage, il faut des preuves de CV envoyés à des employeurs sinon on
perd ce droit.

La figure de la victime constitue assurément une image porteuse d’une importante valence
positive en comparaison de statuts davantage connotés vers l’exclusion telle que le statut du
chômeur par exemple. La victime est aimée, on préfère la victime aux SDF, toxicomanes,…

Si on a une maladie mentale, on sera pris en charge par un psychologue et l’image collée à notre dos
sera plus positive si on a un statut de victime plutôt que de malade mental.

Par son statut de désaffilié, la nouvelle figure de l’exclu, ne serait qu’« une victime sans phrase
pour exprimer une souffrance brute » (Vrancken). De par sa symbolique, la victime ne a pas créer la
polémique. Suite à un événement dramatique, si on met une victime au centre d’un débat, aucune
des personnes autour n’oserait dire quoi que ce soit devant elle. La victime fait lien.

A l’Inverse, la victime qui « attend la compassion, la convergence des cœurs et interdit toute
polémique, toute adversité politique apparaît comme une figure idéale pour tenter de refaire
communauté là où précisément le lien social semble faire défaut ».

Le phénomène d’appropriation victimaire serait ainsi une tentative pour faire « retour à cette
humanité perdue, niée par la violence ou la maltraitance » (Vrancken).

La victime ressoude, on fait des marches blanches pour les personnes mortes dans des conditions
«anormales» car ça donne un aspect communautaire qui rassure. La victime met d’accord.

Après les attentats de Paris, on a vu tous les politiciens marcher côte à côte alors qu’en réalité ils ne
veulent pas l’être du tout.

La compassion à l’égard des victimes apparaît comme l’une des ultimes possibilités d’exprimer ce
lien de solidarité.

La compassion à l’égard des victimes apparaît également comme une solution médiatique ou
politique dans laquelle la souffrance de la victime permet le consensus :Tout le monde se tait face à
la victime et sa souffrance.

13
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

L’identification victimaire et la compassion repose sur une nouvelle perception de la relation à


l’autre (Erner) : Dans une société laïque et démocratique comme la nôtre, où chaque homme voit en
l’autre homme un semblable, la pitié, concept judéo-chrétien, n’a plus sa place. La pitié a cédé la
place à la compassion, une émotion provoquée par la douleur du semblable. Ce qui se construit,
c’est une conception victimaire et donc binaire du monde. D’un côté, les individus innocents unis
dans la souffrance et, de l’autre, un pouvoir qui les opprime.

On fait écho à la douleur de l’autre, on a pitié de l’autre. Cette pitié fait preuve d’une certaine
condescendance car on l’aide pour éliminer notre culpabilité et pour «avoir notre place au paradis».

La compassion est bien plus solidaire, on se met réellement à la place de l’autre car on se dit que ça
pourrait être nous.

La transformation de l’idée de la souffrance (celui qui souffre et celui qui fait souffrir) va permettre
de rencontrer d’autres clivages qui existaient dans notre société, notamment le prolétariat et le
patronat.

Au delà de la notion de compassion, Erner dit que si la place des victimes a pris une telle
importance c’est parce qu’il y a cette transformation du rapport à la souffrance. On ne peut plus
supporter cette idée de la souffrance, elle est impossible. Dans l’État social, on avait garanti que
personne ne souffrirait. Nous ne l’acceptons parce que nous avons positionné le concept de
souffrance dans une logique mystique. C’est une vertu absolue que l’on ne peut pas questionner, il y
a un rapport presque religieux à cette idée de souffrance.

Notre société a adopté la « religion des victimes » parce qu’elle prête à la souffrance la faculté de
sacraliser. Notre rapport à la souffrance est de l’ordre de la mystique, version laïcisée des vertus
prêtées naguère aux martyrs et aux saints (Erner). Cette mystique est naturellement la conséquence
du poids moral véhiculé par ce concept de victime comme nous l’envisagerons plus loin.

Derrière la compassion s’observe la pitié agressive et la haine à l’égard du coupable ou du


responsable qui définit plus encore que la victime la représentation du monde. (Erner)

Il faut des coupables, et plus il est haut placé mieux c’est. On grandit au travers de notre agresseur
mais on aime bien aussi qu’il soit grand et puissant (DSK) car cela renforce le stéréotype des
puissants qui abusent les petits, les faibles, la population «normale».

Du point de vue individuel, l’identification victimaire n’est pas altruiste.

Si nous avons de la compassion pour l’autre, ce n’est pas parce que nous avons un grand cœur.
C’est avant tout pour nous. Le fait de s’identifier dans une communauté qui soutient la victime c’est
aller chercher une part de son aura. C’est opportuniste.

Il y a un calcul par rapport à la victime. Nous sommes possiblement amenés à être cette victime et si
un jour j’étais victime, j’aurais peut-être besoin d’exister au travers de ce statut de victime. Mais si
je ne réagis jamais, personne ne m’aidera ou ne m’écoutera donc je vais réagir «au cas où».

14
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Il s’agit d’une reconnaissance de substitution (Todorov, 1995) où l’identification à une victime


injustement persécutée ouvre « un crédit inépuisable auprès des autres ». Les compensations
intérieures procurent plus d’avantages que d’inconvénients.

Puisque, dans notre société la probabilité d’être victime est grande, d’autant plus que l’acception du
terme de « victime » est toujours de plus en plus vaste et englobe chaque jour plus de forme de
victimisation, ne pas permettre à la victime de faire entendre sa voix c’est un jour prendre le risque
que la société ne s’occupe pas de moi si je le deviens à mon tour.

Emphase croissante sur la sphère privée voire la sphère de l’intime.

L’image de la victime apparaît comme un recours dans une société qui s’oriente vers une réparation
généralisée assise non plus sur la reconnaissance des droits sociaux mais sur la radicalisation des
droits civils et individuels.

Après la première victimologie, il y a eu le courant féministe qui a amené un retour vers l’espace
privé, familial et intime. Cette exposition est venue avec le contexte et parce qu’avec la
transformation de l’État Providence en État social actif, on a eu des attentes généralisées. En réalité,
on a des attentes personnelles, individuelles. Ce qui importe c’est ce qui m’arrive, pas ce qui arrive
à mon voisin. On a une transformation progressive de cette vision de groupe vers une radicalisation
de l’individualisme.

Il y a également une transformation dans la logique du droit, alors qu’avant il y avait un partage des
risques, nous sommes maintenant dans une logique à l’américaine. On doit trouver le coupable,
celui auquel je peux imputer ma souffrance. Le risque me concerne et je dois donc trouver celui qui
va payer pour ça. Il faut éviter d’être celui à qui on impute la faute, d’où la précaution de tous. On
prend plus d’énergie à essayer de ne pas être pris en défaut plutôt qu’à régler les choses.

« L’écart qui existe entre une socialisation des risques partagés propre au modèle de l’État social
et une logique de l’imputation de la faute » traduit la progressive désillusion de l’état social et
l’affaiblissement des autres formes de régulation sociale.

Un exemple nous est donné par la surcharge du droit, particulièrement visible dans des pays comme
les États-Unis mais aussi de plus en plus sensible en Europe comme en atteste la place et l’influence
croissante de la figure de l’avocat, « le tiers adultérin qui s’introduit entre l’individu et son malaise
» (Brukner). On le voit notamment dans le nombre d’avocats que l’on appelle tant d’avocats. Ce qui
est important pour l’avocat est de trouver la faute dans le rapport d’expertise pour le rendre
inutilisable.

Bientôt, on fera comme aux États-Unis, les experts ne seront plus payés directement par le système
judiciaire mais par les parties ce qui amènera forcément des avis professionnels biaisés puisque les
experts seront « engagés » par les parties, ils n’auront donc pas intérêt à aller à l’encontre de ce
qu’ils plaident.

L’identification victimaire a besoin d’expressions sociales du malheur pour atteindre son rôle
fédérateur. Le marché des victimes s’appuie sur une politique-spectacle dont la dramaturgie se

15
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
structure autour d’images dont la portée de menace potentielle crée un sentiment diffus d’insécurité
et de peur (Salas).
Maintenant le risque est partout. Il y a une radicalisation des droits individuels suite à la chute de la
mutualisation et du socialisme qui étaient présents dans l’État social.
Ce sentiment conduit à une « individualisme négatif travaillé par un imaginaire de la
catastrophe » selon l’expression de Cartuyvels.

Dans ce contexte, la victime constitue la figure par excellence de l’incertitude (de Singly, 2004).

Les politiques sociales en Belgique se sont traditionnellement développées dans trois directions
(Vrancken).

La première direction s’est construite dans le cadre d’un combat pour une série de droits sociaux
attenants à l’État (protection sociale, solidarité). L’État social donne des droits et met la population
à l’abri.

La deuxième direction est orientée vers les démunis. On prend en compte les personnes fragilisées
grâce à l’État social.

La troisième direction s’est concentrée dans la sphère de la justice notamment selon cet auteur au
travers de la protection de la jeunesse et la défense sociale. Des personnes considérées comme
irresponsables (ont commis des faits dans un contexte de maladie mentale) vont tomber dans ce
système de défense sociale qui allie la protection de la société de ces individus mais également un
système de soins à prodiguer aux malades mentaux.

La remise en question du modèle de l’Etat social aurait entraîné une contraction de la première
dimension (droits sociaux) au profit de deux autres sous la forme de:

Pour la première dimension d’aide sociale orientée vers les plus démunis : des politiques
d’insertions (socio-professionnelle). On voit le développement d’une série d’offres de formations à
certains publics assez éloignés du marché du travail. Une insertion pour les personnes
marginalisées. Il y a une contraction des dispositions de l’aide sociale avec une émergence de
nouveaux secteurs conditionnés par l’identité.

Pour la dimension judiciaire : des politiques sécuritaires dès la seconde moitié des années 80 puis
durant les années 90. On met en place des plans de sécurité.

De sorte que la société tend de moins en moins vers l’idée d’un bien commun mais plutôt vers
l’évitement du malheur (principe de précaution) en mettant l’emphase sur les figures du malheur.

Ce glissement vers le sécuritaire aurait été facilité par un climat général d’« affaires » dans
différentes sphères de la société au niveau de :

• L’autorité : corruption au niveau du bureau de drogue de la gendarmerie « affaire François ».

16
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

• Le terrorisme : cellules communistes combattantes (CCC) dans la suite des mouvements


européens des deux décennies précédentes Brigades rouges italiennes, de la Fraction Armée
Rouge allemande (RAF), bande à Baader…

• Grand banditisme : les tueurs du Brabant, l’enlèvement de VDB vécus dans un climat
général de grand complot alimenté par la montée de l’extrême droite et du militantisme
flamingant WNP, TAC et VMO.

• Faits divers : des drames alimenteront l’imaginaire collectif au travers des images du drame
du cross de Hannut, du Heysel puis par l’« affaire Dutroux » et en France de l’« affaire
d’Outreau ».

Les politiques sécuritaires s’orienteront vers l’amélioration du système répressif et vers la


sécurisation du territoire en associant sécurité et prévention.

Juin 1992 : note sur la sécurité du citoyen et sur les actions de prévention contre la petite criminalité
et mise en place d'un nouveau dispositif appelé « contrat de sécurité » visant à :

augmenter la sécurité du citoyen, Rétablir la confiance du citoyen vis-à-vis de la police;


Modifier l'organisation policière;
Augmenter la qualité du service offert par la police et S'attaquer aux causes sociales de l'insécurité.

L’affaiblissement de l’état social, des formes de sociabilités de proximité d’une part et l’inflation
sécuritaire, la progressive pénalisation de la société d’autre part expriment notre incapacité à
penser les rapports politiques autrement que comme des rapports privés de personnes en dehors de
toute possibilité d’intégration normative et conflictuelle. On va ss concentrer sur cette logique du
rapport privé, cette radicalisation des rapports privés qui renforce l’inflation sécuritaire et renforce
cette volonté de punir.

La population s’est tournée vers le système pénal et sécuritaire pour exprimer l’angoisse
associée au repli individuel.

C’est donc dans une « société, désemparée par l’affaiblissement des grandes idéologies, la perte de
sens global conduisant à brouiller les grandes références normatives » Cario (2004) que s’est
développé l’individualisme démocratique qui participe à la fabrication des « victimes »

Ce replis identitaire ne peut être compris qu’en prenant en compte ce que nous avons perdu à partir
des années 1970.

Ceci démontre que l’adhésion victimaire comporte toujours une revendication qui renvoie à la
dynamique d’un état-providence perçu comme un « collectif qui doit quelque chose » (Vigarello,
2004).

17
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La victime va se transformer complètement par rapport au paradigme classique (victime passive qui
subit, victime innocente). A côté de cette idée donnée par le paradigme classique, la victime va
maintenant demander des comptes car elle veut connaître le coupable. Il y a une volonté
d’imputabilité. Nous avons en tête la perte de l’insouciance de l’État providence.

L’état providence qui avait porté notre société dans les décennies qui avaient précédés avait, en
effet, accrédité l’idée d’un « droit au bonheur » pour chaque citoyen. A ce titre, souffrir apparaît
comme une injustice, et ne pas souffrir un droit dont L’État est le débiteur naturel (Mouly, 2008).

On met un manteau victimaire pour avoir la compassion d’autrui qui nous permettra de nous faire
entendre sur l’espace public.

Exemple : Nous sommes nombreux à crier sur l’État pour la façon dont elle gère la crise du Covid-
19 car nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement « laisse » la population souffrir et
mourir. Nous qui sommes victimes de la situation, nous prenons cette forme de victime invoquée
pour nous faire entendre et revendiquer des droits.

Ce n’est plus le super-héros qui sauve la population, c’est la victime qui se met en héros pour
revendiquer des droits.

Aujourd’hui être victime (invoquée), c’est d’abord accepter l’idée qu’on va revendiquer une figure
publique. On dit uniquement être victime car on attend quelque chose de la société (reconnaissance,
compassion, un droit en particulier,…). On le fait notamment à travers les médias.

L’absence d’ouverture du « droit à » de la personne la place dans une position victimaire qui
suscitera la compassion et à défaut le droit à l’expression sur la place publique.

Depuis les années 80, avec notamment l'affaire Dutroux, les victimes se vivent dans un registre
d'action. Eliacheff (2007), « alors que notre société prône le culte du gagnant, la victime en est
arrivée à occuper celle du héros ».

Être victime, c'est à la fois revendiquer une figure publique, en existant au travers des médias, et
chercher un responsable à son malheur.

Plus le responsable est élevé dans la hiérarchie, plus la grandeur de la victime, elle aussi, s'élève : il
y a une espèce d'escalade dans la recherche des responsabilités et en même temps un refus des
modes classiques de dédommagement, basés sur l'argent. A travers le pénal, est désormais
recherchée la punition personnelle de l’auteur et la reconnaissance. (Karpik, 2004).

C’est dans cette perspective que nous pourrions envisager les théories du complot notamment dans
l’affaire Dutroux ou en France, d’Outreau.

Affaire d’Outreau :

L'affaire d'Outreau est une affaire pénale d'abus sexuels sur mineurs concernant des faits qui se
sont déroulés entre 1997 et 2000. Elle a donné lieu à un procès devant la cour d'assises de Saint-
Omer (Pas-de-Calais), du 4 mai 2004 au 2 juillet 2004, puis à un procès en appel auprès de la cour
18
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
d'appel de Paris en novembre 2005, enfin à un procès à Rennes en 2015 devant la cour d'assises
pour mineurs de Rennes.

L'affaire a débouché sur l'acquittement de la majorité des accusés, avec treize innocentés - dont
plusieurs seront maintenus en prison pendant plusieurs années, en détention préventive - et quatre
jugés coupables. Douze enfants sont reconnus par la justice victimes de viols, d'agressions
sexuelles, de corruption de mineurs et de proxénétisme. Un accusé est décédé en prison en détention
préventive avant le premier procès.

Elle a suscité une forte émotion dans l'opinion publique et mis en évidence des dysfonctionnements
de l'institution judiciaire et des médias. La lutte contre la pédophilie est annoncée comme prioritaire
depuis 1996 au plus haut niveau de l'État. Une commission d'enquête parlementaire a été mandatée
en décembre 2005 pour analyser les causes des dysfonctionnements de la justice dans le
déroulement de cette affaire et proposer d'éventuelles réformes sur le fonctionnement de la justice
en France.

L’ « affaire Dutroux » :

Août 1996 : libération par la police de deux petites filles - Sabine et Lætitia - enfermées dans une
cave chez Marc Dutroux.
Le lendemain: découverte des corps de Julie et Melissa, disparues un an plus tôt, enlevées, abusées
et décédées dans des circonstances horribles.
Plus tard, découverte des corps de deux adolescentes: An et Eefje.
En mars 1997: découverte du corps de Loubna Benaïssa, assassinée par Patrick Derochette.

Mise en cause de la police, de la justice, du monde politique belges: dysfonctionnements.


Mouvement blanc: mouvement citoyen apolitique.
20 octobre 1996 : marche blanche. Plus de 300 000 personnes défilent vêtues de blanc dans les
rues de Bruxelles.

Forte implication personnelle qui se manifeste notamment par des contenus affectivement chargés -
sentiment d’horreur - et souvent dysphoriques -détails sordides.
L’identité nationale est également impliquée et liée à des émotions - désarroi, honte.

L’affaire Dutroux va devenir un évènement fondateur qui va symboliser la détresse d’une société, la
détresse des citoyens.

Étude de Licata et Klein (2000) autour des représentations des participants de la marche
blanche et des comités blancs.

Représentation de la société dichotomique : d’un côté les “ bons citoyens ”, les “ petites gens ” aux
côtés des parents des victimes, le « nous auquel on s’identifie, et de l’autre côté le groupe
extérieur (exogroupe) qui réunit la classe politique, la justice, les polices et les milieux financiers
sous l’appellation de « haut-placés » qui portent la responsabilité.

19
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Il y a eu une mise en cause des instances de police et des gardiens de prison. C’est un garde-chasse
qui retrouve Dutroux après son évasion. Il y a une incompréhension de la population par rapport à la
manière dont la justice traite le dossier et traite les parents des victimes.

La « théorie du prédateur solitaire » et la théorie du « dysfonctionnements de l’appareil d’État


» ne sont guère mobilisées contrairement à la « théorie du réseau » qui se révèle consensuelle (93 %
des personnes interrogées y adhèrent).

Par ailleurs, outre les processus de catégorisation sociale et d’attribution des causes de la crise à
l’exogroupe, ils constatent une récurrence des caractéristiques de la « mentalité de la conspiration »
(théorie du complot).

Entre la commémoration et la critique sociale – Les prismes d’une mosaïque blanche.


Perilleux et Marquet, 2004.

Premier type : Manifestation ponctuelle dont la nature importe peu, possibilité de se joindre à la
foule. Évènement social, on y va pour faire partie de l’évènement sans plus.

Deuxième type : commémorer collectivement le deuil des enfants victimes : Communion


(religieux) et solidarité (laïque).

Parents empathiques et compassion envers d’autres parents. Horreur, tristesse, honte, culpabilité.

Responsabilité collective assumée autour non pas de Marc Dutroux mais autour des enfants
(innocence, pureté et identification à notre propre enfance brisée).

Troisième type : Manifestation d’exaspération et remise en cause d’un système dichotomique-


fracture entre le peuple et les dirigeants.

Quatrième type : Mobilisation citoyenne.

Cinquième type : mobilisation militante.

Thèmes : inefficacité des institutions, mépris et non reconnaissance, atteinte à des valeurs
morales et rétablissement de « vraies valeurs », marchandisation d’une société néo-libérale.

20
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Il y a un moins grand engouement pour l’affaire Fourniret car il y avait moins le caractère « théories
du complot » que dans l’affaire Dutroux, on avait déjà démontré la véracité de cet aspect. Il ne
semblait pas y avoir le moindre lien avec l’affaire Dutroux.

Fourniret a un mode opératoire différent, il y a déjà eu un certain nombres d’éléments qu’on a pu


observer dans l’affaire Dutroux donc c’est moins nouveau et « attrayant ».

Moscovici, (1987): les théories de la conspiration opèrent une catégorisation entre deux classes: le
pur et l’impur.

La construction de l’« impur » s’appuierait selon Joffe (1996) sur la formation/construction d’un «
cocktail de péchés » (sin cocktail) qui consiste à :

• Identifier une combinaison de pratiques jugées perverses. Il y a des comportements qui


vont être considérés tout à fait inacceptables par rapport à une norme (religieuse, juridique,
…). Dans certaines religions, la sodomie par exemple est interdite, elle est considérée sale et
impure. En psychiatrie, jusqu’il y a peu, l’homosexualité était considérée comme une
maladie.

• Surévaluer le degré auquel elles sont pratiquées. On donne une ampleur qui ne
correspond pas à la réalité.

• Les relier à des exogroupes spécifiques au sein d’une société ou à des groupes étrangers
permettant par ces attributions externes de marquer l’ opposition entre le nous-pur (associé
ici aux enfants victimes) et le eux-impur (associé aux “ nantis ”).

Exemple : Strauss-Kahn, une même histoire commise par un « monsieur tout le monde » n’aurait
pas du tout eu le même impact.

21
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Ces aspects sont naturellement fort proche des implicites associés à la notion de victime
sacrificielle.

Selon les principes définis par Girard (voir plus loin), une union sacrée se forge sur la victime
expiatoire (en l’occurrence les enfants abusés) symboliquement sacrifiée au nom de la
déliquescence supposée notamment morale de la société.

La solidarité et la reconstruction du lien au sein de l’endogroupe au travers du processus


d’identification aux victimes et aux parents permet de rejeter la violence endémique à
l’extérieur de la communauté tout en rachetant la paix par un surcroît de Bien (nous pur) par rapport
au surcroît de Mal (eux-impur) qui prévalait avant le sacrifice des victimes. La violence c’est les
autres, c’est ce qui est à l’extérieur de nous et c’est donc à l’extérieur qu’on va mettre l’impur. On
va éjecter le mal de la société à l’extérieur.

2. Victime, espaces symboliques et implicites d’un concept


Pourquoi la victime est-elle si importante? Elle véhicule une série d’implicites. Quand on dit d’une
personnes qu’elle est victime, on se fait une idée symbolique de la chose, on a une image en tête de
passivité, de souffrance,…
Il y a différents niveaux de victime. Un enfant victime ou un homme victime n’amène pas la même
réaction, la même émotivité. La femme aussi a un poids plus lourd de victime de l’homme, elle est
souvent perçue comme passive, plus faible par rapport à l’homme, on sera plus empathique envers
la femme victime que l’homme victime.

Histoire d’un concept :

On ne regarde pas souvent la définition de victime car on a tous une idée pré-construite de ce
qu’elle représente. On parle d’inconscient collectif.

Le Dictionnaire du moyen français ne fait pas apparaître le terme de victime dans son volume
consacré au Moyen-âge contrairement au volume sur la renaissance où il est fait mention d’une
citation datant de 1495.

En grec, il n’y a pas de mot qui désigne la victime.

La notion de victime est étroitement liée à l’a dimension religieuse, notamment par son rapport
sacrificielle.

Le dictionnaire de la langue française du 16 e siècle n’est pas plus éclairant car s’il présente
différents termes en rapport avec le sacrifice, le terme de victime n’apparaît qu’en tant que
participe passé du verbe victimer (Lamarre, 2000).

Selon une étude de C. Lamarre, l’occurrence des mots de victime et victimes dans les titres de
livres de la bibliothèque nationale de France serait pour les deux formes singulière et plurielle de:

• 0 pour le 16e siècle ;


22
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
• 7 et 3 pour le 17e siècle ;
• 10 et 23 pour le 18e siècle (époque de Diderot, encyclopédies,…) ;
• 147 et 498 pour le 19e siècle
• 366 et 951 pour le 20e siècle (avant 1970).

L’usage du terme victime est donc rare avant le 15e siècle. C’est carrément anecdotique à cette
époque.

Avant le 18e siècle l’acception propitiatoire (× expiatoire) du terme reste la plus fréquente.
Propitiatoire signifie qu’on utilise la victime dans son sens de facilité, de se mettre bien avec les
dieux. On va sacrifier la victime (victime humaine ou animal non humain immolé) pour rendre les
dieux favorables à nos destins.

Il n’a pas encore le sens actuel du terme et fait référence à la traduction littérale du latin victima : «
créature vivante offerte en sacrifice aux dieux », victime propitiatoire sacrifiée en remerciement
des faveurs reçues ou pour rendre propices les puissances surnaturelles.

Par opposition, « l’hostia », l’hostie, synonyme médiéval, qui donnera l’hostie chrétienne, renvoie
à la victime expiatoire immolée (mola) pour apaiser leurs colères. Elle survient souvent après
avoir péché, il faut se racheter pour ses fautes alors on sacrifie pour apaiser les dieux.

Dans cette époque médiévale, on a deux mots pour désigner la personne sacrifiée : victima et hostia.

Selon Pliant (2000), l’avènement du terme de victima à partir du 15 e siècle dans le langage
courant a progressivement fait oublier son prédécesseur médiéval « hostie ».

L’hostie, du latin « hostia », synonyme de victima peut aussi être rattaché à celui d’hostis signifiant
l’ennemi, l’adversaire et de façon dérivée hostilité et au verbe hostio voulant dire mettre à niveau,
égaliser (Gaffiot, cité par Pliant, 00).

Comme cet auteur le fait remarquer, ce glissement n’est pas anodin et induit un changement de
sens, la substitution entraînant dans le concept de victime une charge implicite d’innocence et de
souffrance.

Derrière ce rapprochement sémantique, nous pouvons aussi envisager l’évolution de la dimension


sacrificielle consubstantielle à la victime.

Nous pouvons, en effet, définir deux temps dans la définition, l’un antique, l’autre christique.

C’est largement dans l’évolution du concept de sacrifice dans la religion catholique en la


personne de Jésus-Christ, à la fois victime propitiatoire et expiatoire que l’on peut envisager
les fondements du rapprochement sémantique et l’estompage des nuances entre les termes de
victima et hostia avant la fin du 15e siècle.

23
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
1. Derrière la conception antique, nous constatons la notion thymatologique (relative aux
sacrifices) de la faute assimilée à une maladie, une souillure de l’âme qu’il convient de
racheter ou face à laquelle il est nécessaire de se repentir.

L’image symbolique de la victime expiatoire est le bouc-émissaire. ♥♥♥♥♥♥ Le bouc-émissaire est


celui qui va payer pour tout et pour tout le monde sans avoir de charge en tant que tel. C’est la
raison pour laquelle il est « émissaire ».
2. Selon la Bible (livre de l’Exode), durant l’épisode de l’Exode du peuple hébreu de l’Égypte
vers la « terre promise », Moïse entrepris l’ascension du Mont Sinaï afin de recevoir les
tables de la Loi et reçu de Dieu les instructions divines afin d’édifier le sanctuaire.

Las d’attendre le retour de Moïse, les hébreux avaient demandé à Aaron, souverain sacrificateur de
la tribu des Lévi de leur proposer un Dieu qu’ils pourraient suivre. C’est ainsi que de l’or des bijoux
des femmes fut fondu le veau d’or à l’image du Dieu égyptien Apis, dieu de la fécondité, de
puissance sexuelle et de force physique.

Redescendu du Mont Sinaï, Moïse furieux de voir ainsi son peuple idolâtrer un veau d’or, brisa les
tables sur un rocher et demanda à Dieu de tuer les hérétiques. Derrière cette demande, il y a une
dimension expiatoire que l’on retrouve. Ce que demande, Moïse, c’est que les hérétiques soient
sacrifiés pour payer le tribut du fait qu’ils se soient détournés de Dieu et donc laver le péché des
hébreux.

Le caractère premier du rite sacrificiel et de l’offrande à Dieu d’une victime à sacrifier sur l’autel au
retour de Moïse avec les secondes Tables de la Loi peut être vu comme une procédure expiatoire
dans la mesure où elle vise à laver les péchés des hébreux après s’être ainsi fourvoyé.

Mais le rite est également un rite propitiatoire puisqu’il concrétise le souhait du peuple juif de bien
disposer l’éternel à leur égard.

Dans le Lévitique, suite à la disparition des fils aînés d’Aaron, morts d’avoir transgressé les
instructions divines lors de l’inauguration du Tabernacle, Dieu prescrivit un nouveau rituel
propitiatoire permettant de purifier non seulement le sanctuaire (caractère propitiatoire) mais
aussi le peuple en attirant le pardon divin sur le peuple juif (expiatoire).

Un jour par an, « éminemment saint devant Dieu », le dixième jour du septième mois religieux que
nous connaissons dans la tradition juive comme le jour du Yom Kippour était retenu afin de
permettre la purification de l’autel de l’encens situé derrière le voile dans le saint des saints. Afin
de réaliser cette opération de purification, Aaron, le souverain sacrificateur de la tribu de Lévi, dont
les descendants officièrent jusqu’à la naissance de Jésus, devait recouvrir les cornes de cet autel
avec le sang des offrandes expiatoires.

Ce jour, deux boucs étaient amenés au temple :

L’un était sacrifié à Dieu. La propitiation s’effectuant sur le couvercle de l’arche d’alliance, plaque
d’or ornée chérubins se faisant face qui symbolisait le siège de la présence et du pardon de Yahvé
(Guyon, 2008). Seul le souverain sacrificateur pouvait pénétrer dans la salle du tabernacle, le saint

24
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
des saints, où se trouvait l’arche d’alliance car personne ne pouvait approcher dieu en dehors de
l’intermédiaire entre les hommes et Dieu.

Quant à l’autre bouc, chargé symboliquement de tous les péchés de la communauté, le bouc-
émissaire (en latin « caper emissarius »), et selon La Septante, version en langue grecque de la
bible hébraïque, le bouc envoyé ez ozel, était chassé dans la vallée désertique et hostile vers le
démon Azazel.

Lévitique 16,7-10 : « Aaron prendra ces deux boucs et les placera devant
Yahvé à l’entrée de la tente de réunion. Il tirera les sorts pour les deux
boucs, attribuant un sort à Yahvé et l’autre à Azazel. Aaron offrira le bouc
sur lequel est tombé le sort « A Yahvé » et en fera un sacrifice pour le
péché. Quant au bouc sur lequel est tombé le sort « A Azazel » on le placera
vivant devant Yahvé pour faire sur lui le rite d’expiation, pour l’envoyer à
Azazel dans le désert. ».

Lévitique 16,21-22 : « Aaron lui posera les deux mains sur la tête et
confessera à sa charge toutes les fautes des enfants d’Israël, toutes leurs
transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du
bouc, il l’enverra au désert sous la conduite d’un homme qui se tiendra
prêt, et le bouc emportera sur lui toutes les fautes en un lieu aride. ».

Nous observons derrière cette action propitiatoire, l’existence de deux axes, l’un vertical, l’autre
horizontal. L’immolation d’un des deux boucs, la victime propitiatoire relie l’humanité au divin
dans un axe vertical et transcendantal. A partir du moment de l’éjection de ce deuxième bouc, on
rétablit la paix et l’équilibre qui prévalait avant l’apparition des péchés.

La victime émissaire, expiatoire quant à elle, unit les hommes entre eux dans un plan
horizontal en garantissant la paix et l’ordre social.

Selon les principes définis par Girard, une union sacrée se forge sur cette victime expiatoire et
permet de rejeter la violence endémique à l’extérieur de la communauté tout en rachetant la paix par
un surcroît de Bien par rapport au surcroît de Mal qui prévalait avant le rétablissement par le
sacrifice.

Après l’ancien Testament, l’approche Judéo-chrétienne ne rompra pas immédiatement avec la


tradition Lévitique mais introduits une dimension nouvelle au travers de la personne de Jésus-
Christ.

Selon L’Épître aux hébreux, le Christ apparaît lui-même comme un souverain sacrificateur et
dans le même temps celui qui s’offre lui-même à Dieu comme victime. Il représente une victime
parfaite car il remplit les deux dimensions de la victime (propitiatoire et expiatoire).

A l’inverse du prêtre d’Israël qui rentrait dans le saint des saint avec le sang de l’animal sacrifié
dans une dimension temporelle limitée à la portée de l’acte religieux, la charge étant transmise à
son successeur, le passage au christ permet d’augmenter profondément la portée, puisqu’il «

25
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
demeure éternellement sacrificateur et victime. Il achève aussi l’œuvre de propitiation en
réconciliant une fois pour toutes, le pécheur avec Dieu » (Guyon, 08).

L’extension de son sens à l’homme serait selon H. Pliant plus tardif aux environ du 17 e siècle mais
son usage à cette époque tout comme durant le 18 e siècle n’est toujours pas fréquent. Il note par
exemple que Beccaria l’utilise parfois mais que Voltaire ne l’aurait employé dans aucun de ses
écrits.

Bien qu’étendue à l’homme le terme de victime dans cette première acception antique renvoie à la
notion thymatologique héritée des pratiques religieuses gréco-romaines (Wenzel, 2000).

La victime est l’animal ou la personne sacrifiée pour le bien de la cité.

Mais si à partir du 17e siècle (1642), le terme de « victime » a pu être employé en théologie pour
désigner Jésus en tant que tel, l’usage du terme victime n’est guère usité dans les ouvrages
traitants des conflits religieux du temps. Il faut y voir l’impact de l’image de passivité qui reste
attachée à la victime par opposition à l’image du martyr, « témoin volontaire qui accepte
souffrance et mort de façon positive ».

La victime a toujours une image de passivité, elle est mise à mort et accepte son sort avec une sorte
de résignation. Cette image ne plaît pas aux autorités religieuses car ça admet une forme
d’impuissance qui n’est pas acceptable dans les temps de guerre de religieux. On préfère parler de
martyr. Il est actif, il cherche à se rapprocher de Dieu par l’acte qu’il pose. Il cherche la mort pour
se rapprocher de Dieu.

La nuance entre ces concepts de victimes et de martyrs durant les guerres de religions où le
dolorisme chrétien voyait dans une quête du martyr la recherche de l’exemple christique
visant à accroître la crédibilité de la réforme ecclésiastique par le rappel de l’imagerie
martyrologique de la première église.

Cette attitude de l’église favorable aux martyrs plutôt qu’à la victime dans la théologie chrétienne
tient à la dimension péjorative qui peut être associée à la passivité supposée de la victime. Par
exemple les martyrs paléochrétiens ne sont pas vu en tant que victimes. Il en est de même pour
Jésus à qui l’on prête un rôle aux antipodes de la passivité puisqu’il accepte son sort en pleine
conscience.

A l’inverse, Isaac, fils d’Abraham, est présenté comme la victime innocente et passive. Il en est de
même pour d’autres images victimaire comme Iphigénie par exemple.

La dimension prototypique de la victime, la « victime parfaite », celle qui est la plus digne de
commisération est celle placée dans cette posture de passivité telles que les personnes décédées sous
les coups de l’auteur ou encore les enfants pour lesquels la passivité se double des images de
l’innocence.

Selon Crocq, Les mythes présentent la figure originelle de la victime, sa place et son rôle dans la
société, et la signification de son existence.
Il existe également d’autres images de la victime dans la mythologie et la Bible.

26
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

• ISAAC (Genèse, XXII, 1-19)

Sur ordre de Dieu, Abraham part sur le Mont Moriah pour y sacrifier son fils unique Isaac en
holocauste. Abraham ne discute pas l’ordre de l’Éternel et s'en remet à Dieu.

Convaincu par l’obéissance d’Abraham, de la crainte que Dieu lui inspire, l’Éternel envoie un ange
qui lui dit d’épargner Isaac. Un bélier est sacrifié en tant qu’offrande de substitution.

Remarques :
Isaac est une jeune victime innocente, passive qui ne comprend pas la raison du sacrifice, et
soumise à l’autorité paternelle.

Le sacrifice humain est contestable, et l’animal est utilisé en substitution.

• IPHIGÉNIE - Eschyle : Orestie Agamemnon (-458)

La flotte grecque partie pour Troie subit des vents défavorables à Aulis. L’oracle Calchas, révèle
que la déesse Artémis irritée n’accordera des vents favorables que si Agamemnon sacrifie sa propre
fille Iphigénie.

Iphigénie est une victime innocente immolée contre son gré à l’ambition d’un père et aux passions
(gloire, orgueil jalousie) et à la folie des hommes. Elle acceptera son destin et sera sauvée par
Artémis qui la remplacera par une biche.

Le crime de la victime innocente appelle un châtiment (Agamemnon sera assassiné par sa femme
Clytemnestre).

Isaac est enfant et Iphigénie est femme, ils sont tous les deux très symboliques en tant que
victimes.
D’hier à aujourd’hui
Cette connotation du sacrifice est liée à la notion de divinité..
27
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Depuis le 17e siècle émerge parallèlement à cette connotation propitiatoire liée au sacrifice antique
puis chrétien, une nouvelle orientation du terme « victime » plus proche de nos conceptions
actuelles.

Le Dictionnaire universel de 1690 de Furetière y fait référence toujours explicitement en reprenant


l’exemple des « mexicains qui ont sacrifiés un nombre horrible de « victimes » humaines à leurs
fausses divinités ».

Mais, Furetière propose également une lecture où la victime est sacrifiée dans une autre logique que
celles des augures.

C’est Corneille en 1617 qui aurait donné naissance à une acception « où « la locution renvoie à
l’idée de « victime de quelqu’un ou de quelque chose ». On peut être victime de quelqu’un ou de
quelque chose.

Le terme victime est plus souvent suivi de la préposition de, on est victime de désignant aussi la
victime de la guerre, de la tyrannie politique où encore, époque oblige, de l’ambition familiale et
de la contrainte d’endosser l’habit religieux :

« Les Saints innocents furent des victimes qu’Hérode immola à son ambition. Les habitants d’une
ville prise d’assaut sont les victimes de la colère du vainqueur. Une fille qu’on met de force en
religion est une innocente victime que l’on sacrifie à l’ambition de la famille ».

Le terme est bien loin de la mise à mort de cette jeune fille, mais à travers cette innocente victime,
on retrouve le sacrifice.

Le 17e siècle voit aussi l’usage du terme victime employé dans des textes de médecine sur les
enterrements prématurés ou l’opération de la césarienne.

En 1735, selon le Grand Robert, le romancier Lesage fait encore évoluer le terme en précisant une
nouvelle acception selon laquelle la victime est synonyme d’une personne tuée ou blessée. Cette
acception est toujours très présente aujourd’hui. Quand on pense à une victime, on pense à une
victime d’agression, d’attentat mais en tout cas une personne touchée dans son esprit ou dans sa
chair.

Le terme commence ainsi à prendre dès cette époque son sens actuel, social et infractionnel, et non
plus limité dans sa définition à un rapport au sacré.

Les différentes références anciennes antiques ou religieuses du mot « victime » s’estompent donc
où lorsqu’elles sont abordées, sont l’objet de critiques comme en témoigne l’Encyclopédie de
Diderot. Il va dénoncer la violence des sacrifices liés au religieux.

A la même époque, les éditions du dictionnaire de l’Académie du 18 e siècle ne comportent même


plus ces références théologiques mais par contre soulignent la dimension métaphorique croissante
du terme.

28
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Durant la révolution française l’emploi du terme de victime devient plus courant. Les écrivains
parlent des victimes de l’aristocratie, du despotisme, de la tyrannie alors que dans le même temps
les jeunes gens lancent la mode des « coiffures à la victime », coupe de cheveux courts à l’instar
des condamnés préparés pour la guillotine, éventuellement garni d’un ruban rouge autour du cou.

Dans le même registre, apparaissent des « bals des victimes » accessibles aux seuls parents de
personnes guillotinées ou encore le « salut à la victime » où le mouvement de tête évoque la chute
de la tête du condamné.

Le développement technologique donne aussi un sens nouveau au terme de victime durant le


19e siècle. Des catastrophes accidents de trains, aux incendies et ruptures de ponts, les victimes de
ces drames humains sont racontés et mis en scènes avant que risques professionnels ne soient aussi
à l’origine de victimisation.

Les accidents de train vont être au cœur des découvertes des traumatismes psychologiques sévères
suite à certains accidents. Tout était en bois sauf la locomotive, les alliages métalliques étaient de
mauvaise qualité donc il arrivait que la locomotive explose.

Les pompiers seront reconnus comme victimes en 1850, les mineurs en 1883 ou encore les marins
en 1892.

Il en est de même des victimes de catastrophes naturelles qui donnent au concept de victime un sens
beaucoup plus large, dont l’emploi fréquent finira par estomper le sens premier.

Les références au terme de victime ainsi que les acceptions ne vont guère évoluer jusqu’au dernier
tiers du 19e siècle où le recours à la victime de guerre se fait de plus en plus courant.

Prenons encore le temps de nous attarder sur une association intéressante pour comprendre les
contenus implicites du concept et dont l’usage est encore fort présent dans la littérature
victimologique. Il s’agit de la référence à la guerre.

L’introduction des nouveaux moyens technologiques mis au service de l’industrie de la guerre va


profondément modifier le rapport à la souffrance.

De la guerre de sécession américaine au premier conflit mondial, la littérature, les périodiques


s’emparent avec succès de cette nouvelle image de l’ancien combattant, victime de guerre : « le
survivant ».

La prise en compte de la victime de guerre va se faire à partir du deuil qui lui est dû. Ce ne sont
plus les vainqueurs que l’on acclame, c’est le deuil des disparus que l’on commémore.

Le déclin de l’exaltation patriotique laisse peu à peu la place au traumatisme des vaincus, des
victimes de la guerre.

A l’instar d’Orphée revenu des enfers, ils restent condamnés à revivre éternellement le traumatisme.
Ce statut particulier les a placé dans un rôle de gardien de la mémoire et dans le même temps les a
amené à réclamé justice.
29
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Parallèlement à cette évolution du rapport à la souffrance, depuis le début du 19e siècle, apparaissent
les premières théories sur le psychotraumatisme qui seront dès ce moment associé à la
représentation de la victime en augmentant la part d’horreur.

Pinel (1808, l’Aliénation mentale) : guerres de l’Empire : idiotisme stuporeux ou névrose de la


circulation et de la respiration.

Larrey, Percy et Desgenettes: « syndrome du vent du boulet » , symptômes traumatiques déterminés


par l’explosion des obus ou le souffle des boulets.

« Alors que je me penchais, un boulet m’arracha ma coiffe. Je fus comme anéanti, mais je ne
tombais pas de cheval…J’entendais, je voyais, je comprenais, bien que mes membres fussent
paralysés au point qu’il m’était impossible de remuer un seul doigt ». Mémoires du Baron Marbot,
cité par Crocq.

Durant la guerre de sécession américaine (1861-1865), deux médecins de l’armée nordiste, Mendez
Da Costa et Silas Weir Mitchell décrivent une anxiété cardio-vasculaire et une hystérie post-
commotionnelle.

Jacob Mendez Da Costa évoque le « cœur du soldat » : anxiété cardio-vasculaire due à l’épuisement
et à la frayeur qu’il propose de soigner par la digitaline et le repos.

Silas Weir Mitchell recense 3500 cas de « nostalgie » chez les combattants nordistes et observe de
nombreux cas d’hystérie masculine.

A la même époque, Henry Dunant, secouriste bénévole à la bataille de Solferino décrit dans « un
souvenir de Solferino » (1862), l’état d’agitation, de prostration ainsi que différentes manifestations
post-traumatiques.

« Les malheureux blessés qu’on relève pendant toute la journée sont pâles, livides, anéantis ; les
uns, profondément mutilés, ont le regard hébété et paraissent ne pas comprendre de qu’on leur
dit… les autres sont inquiets et agités par un ébranlement nerveux et un tremblement convulsif… »

Rôle symbolique de la victime en tant que « Victime émissaire »

La victime émissaire comme témoin qui endosse les échecs de moralisation de l’humanité
(Baruk, 1950 ; Audet, 1999):

L’espèce humaine tend à élaborer un système de connaissance pour se protéger des dangers.

Elle recherche à comprendre les forces perçues (divinités) comme négatives et comment les
contrecarrer.

En général les systèmes d’explications s’appuient sur des raisonnements pré-scientifiques (sociétés
primitives) mais dont on retrouve encore des traces chez l’homme moderne au travers d’une forme

30
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
de pensée magique, émotionnelle, irrationnelle. Un des premier sentiment de l’humanité consiste à
penser que certaines fautes engendrent des catastrophes.

La victime émissaire comme témoin qui endosse les échecs de moralisation de l’humanité
(Baruk, 1950 ; Audet, 1999):

Pour conjurer le risque, deux solutions aux coûts variables…

Soigner sa conduite et éviter la faute cause de la catastrophe

Expulser la faute par un geste symbolique (absolution, p. ex.) ou la dériver sur un objet
transitionnel (objet, animal ou être humain).

Ce transfert constitue l’origine de la notion de bouc émissaire.

« Émissaire » signifie « qui écarte les fléaux »

Le « Bouc émissaire » :

Connu pour sa puanteur /emporte avec lui le mal, les péchés

Connotation négative

Animal du sacrifice : Yom Kippour, Aīd al-Kabīr, sacrifice d’Abraham/ Ibrahim

Chargé des péchés, sur qui la société fait retomber les torts du groupe

Le groupe peut se structurer autour d’un pôle porté par un leader qui va définir l’appartenance au «
nous » au détriment d’un autre pôle constitué par une ou plusieurs victimes qui définiront ce qui est
« extérieur ».

Face à une victime émissaire, un groupe se déchaîne. Il s’unit dans une commune condamnation,
dans une commune assurance au sujet de sa propre rectitude. Il s’identifie au bien, il identifie la
victime au mal et l’expulse de son sein, il refuse les nuances. Malheur à qui rappelle au groupe que
le mal n’est pas seulement à l’extérieur. Il risque de devenir victime émissaire à son tour. C’est le
groupe qui est avide de la bonne conscience et de l’unanimité que lui procure le rejet passionné
d’un symbole du mal. Pestiau (1992).

Le groupe se structure autour de la victime dans un élan d’identification et de rejet porté par la
culpabilité.

La culpabilité vient du fait que la société se délivre bien de sa propre violence intérieure en la
transférant sur une personne (voir Girard).

Le sacrifice de la victime émissaire amène à une exacerbation, une exaltation de la pulsion de


mort, génératrice de jouissance qui contribue également à cette culpabilité.

La culpabilité se retrouve dans l’ambiguïté et l’ambivalence à l’égard de la victime : mépris et


vénération qui se retrouvent également dans les deux images des victimes sacrificielles du bouc et
de l’agneau qui se chargent dans le sacrifice des impuretés de la collectivité.
31
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Le bouc émissaire divinisé et sacrifié parce qu’il emporte la violence de la communauté.

L’agneau innocent, pur de toute charge propre, divinisé qui est supérieur au bouc puisqu’il porte
l’innocence et se sacrifie (héroïsme et martyr des victimes).

Le bouc et l’agneau ne vont pas avoir la même portée. L’agneau est utilisé d’une façon plus
positive, il est martyre car il est jeune et innocent. Avec le bouc, il y a un aspect bien plus violent.

Avec Iphigénie et le sacrifice de la biche, c’est la même chose. La biche inspire la jeunesse, la
douceur, la charge propre à l’animal est plus heurtant. L’animal montre la beauté du sacrifice, la
biche donne une image jolie, pure.

Plus la victime émissaire est innocente, plus elle se charge de la culpabilité du groupe,
culpabilité qui n’est pas la sienne et elle assume ce que nous refusons de nous-mêmes. Elle porte la
culpabilité que nous refusons nous-même.

L’exemple de la théorie de la victime émissaire de Girard

Premier stéréotype : Un état de crise qui déstabilise (indifférencie) les rapports sociaux.

Deuxième stéréotype : désignation d’une victime accusée d’un crime « indifférenciateur »


considérée par la « foule »comme responsable par un lien de causalité magique ou symbolique.

Troisième stéréotype : présence de signes victimaires contretypiques (le bouc émissaire:


monstruosité physique ou morale, réelle ou supposée.

Questions au départ de la réflexion de GIRARD :

Comment l’espèce humaine a-t-elle pu survivre à sa propre violence sachant que depuis toujours
les hommes se battent pour le territoire, les femmes, la nourriture et que les luttes ne se terminent
qu’avec la mort contrairement aux animaux ?

Au niveau des animaux, les luttes de pouvoirs et de possession sont habituellement régulées par des
attitudes acquises de structures de comportements de dominance / soumission.

Exemple : les cerfs ne vont pas jusqu’à la mort. Il faut préserver l’intégrité du groupe. Il arrive que
les cerfs se tuent mais ce sont souvent des accidents.L’objectif n’est pas de mettre à mort l’autre.

32
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La génétique gouverne et ritualise les conflits de manière à éviter que l’escalade de la violence
conduise à la mort.

Chez l’homme, nous ne posséderions pas ce type de programme. Nous n’avons pas de limites par
rapport aux autres animaux.

La mort, immédiate ou différée en raison des blessures et le sentiment de vengeance et


l’intervention des pairs entraînerait une augmentation de la violence jusqu’à l’anéantissement du
groupe si nous ne mettions pas en place des mécanismes de régulation culturels et psycho-sociaux.

Il y aurait un plus grand sentiment de vengeance entre les groupes et au sein du groupe-même, ce
qui pourrait conduire à un anéantissement du groupe. Mais ce n’est pas le cas car chez les hommes
il y aurait des régulations culturelles et psycho-sociales.

Les animaux ont un système de régulation biologique et les hommes ont un système de régulation
culturelle et psycho-social.

Hypothèse : La genèse du conflit est mimétique :

Les conduites imitatives sont universelles et assurent l’acquisition de la parole et du geste.


L’imitation d’une conduite acquisitive est la source de tous les conflits.

Mimesis d’appropriation :

La mimésis d’appropriation concerne l’ensemble des objets (nourriture, objets, femmes,…).


La mise en œuvre de cette mimésis entraîne le conflit et la violence.

L’attraction mimétique du conflit violent gagne progressivement tout le groupe, les membres de la
communauté prenant faits et causes pour les différents protagonistes.

Cette violence qui gagne le groupe dans l’ensemble est appelée par Girard la violence
indifférenciée et conduit à une crise sacrificielle qui rassemble et réunifie la communauté.

Comment arrive-t-on au sacrifice ?

Hypothèse :

Durant le conflit, le hasard fait que deux belligérants portent leurs coups sur un troisième. C’est une
orientation en terme d’énergie qui va se passer à ce moment-là. Il y a une personne ou un groupe de
personnes qui va être pris à parti, par imitation, un quatrième va aussi porter ses coups sur ce
groupe. Il y a une logique qui va émerger de cela.

Par mimétisme, en voyant cette orientation de la violence sur une troisième personne le reste du
groupe frappe à son tour celui qui devient la victime (Mimésis de l’antagoniste).

33
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La victime concentre sur sa personne la violence du groupe jusqu’à la mise à mort. Privé
d’adversaire, la communauté retrouve le calme autour de celui qui a absorbé la violence et l’a
emporté vers un « ailleurs », un espace sacré en dehors de l’espace profane de la communauté
(l’espace du « nous ».

Création d’une divinité (victime émissaire) venue exprès pour sauver la communauté par le
meurtre fondateur qui établit et protège la société au travers des :

• Mythes : toujours un lynchage d’une personne divinisée par la communauté mais sublimé
par les lyncheurs qui le raconte.

• Rites : prescrivent ce qui est interdit en temps normal et rejouent symboliquement la crise
sacrificielle dans l’espace du sacré. Le rite permet de revivre le crime originel de façon
symbolique sans que cela coûte en terme de violence.

• Interdits ou tabous : qui portent sur les objets à l’origine du conflit dans la communauté :
femmes, enfants, nourriture, objets,…

Partie 2 – La victime dans le procès pénal


De la vengeance à l’oubli : approche de la victime dans le procès pénal

La victime était vue comme la personne qui portait l’accusation.


Exemple : Affaire Dutroux, les parents des victimes veulent avoir leur mot à dire pour les modalités
de la peine de Marc Dutroux alors que le procès est terminé donc ce n’est plus à eux de revendiquer
ou demander quoi que ce soit.
La victime s’est longtemps trouvée sur la touche, on peut le voir dans sa place dans le procès en
Assises.
Depuis quelques dizaines d’année, on retrouve plutôt une image interactive, qui agit sur la place
publique alors qu’avant elle était plutôt résignée, acceptait son sort.

La procédure accusatoire

Lorsque l’on s’attache à étudier la victime d’un point de vue diachronique, il est habituel de
distinguer la période de la vengeance privée (procédure accusatoire), du stade rationnel de la
poursuite publique (Allinne) (procédure inquisitoire).

On voit apparaître symboliquement la vengeance accusatoire dans la victime moderne qui essaie
d’être un peu plus partie prenante dans le procès pénal.

La première époque de la vengeance privée aurait caractérisé la période du début de la république


romaine au haut moyen-âge jusqu’au 14e siècle.

34
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Le règlement des litiges se faisait selon une conception objective du dommage. Dans cette
perspective de la vengeance privée, la victime doit être vengée et dédommagée dans le même
temps. Réparation et rétribution se confondent.

Il existe à ce niveau de la vengeance privée, mode normal de résolution des conflits (Carbasse, 90)
une étroite intrication entre droit pénal et droit civil.

La victime de l’époque n’est pas du tout celle de la victime d’aujourd’hui. La justice n’était
accessible essentiellement qu’aux nobles et aux patriciens, les personnes qui ont un certain poids
dans la société.

Mais cette époque de la vengeance privée positionne aussi la victime en tant que victime agissante,
ne serait-ce que par la dimension accusatoire des procédures.

La plupart des auteurs s’accorde pour voir dans la pratique vindicative un caractère obligatoire.
Par l’offense, l’auteur crée l’offensé, « en lui attribuant un statut, c’est-à-dire un ensemble de
prérogatives et de devoirs qui ne doivent rien à sa volonté mais qui concourent à son identification
au sein du groupe » au travers d’une « personnalité sociale ».

On ne pouvait pas ne pas répondre, en ne répondant pas à l’offense faite, on met à mal sa personne
et l’honneur et intégrité de la famille, clan,… La victime de l’époque est une personne engluée dans
un maillage de relations qui fait qu’elle n’a d’autre choix d’être vue uniquement comme maillon. La
victime n’est pas un individu qui se bat contre quelqu’un, elle n’est qu’un maillon qui doit protéger
l’entier té de la chaîne et assurer la dignité et l’intégrité de celle-ci.

C’est le statut victimaire qui génère le devoir de vengeance. Durant le moyen-âge, la référence aux
statuts et la complexité sociale qui y est liée par la stratification sociale qu’elle génère au travers
d’un corps de règles fixant les devoirs et les prérogatives fourni autant le cadre normatif que
l’identité de la personne et son appartenance. Par la suite, il semble que la force de l’obligation de
la vengeance se soit progressivement estompée au fur et à mesure que sont apparu le pouvoir et
l’autorité publique.

Ce stade de la vengeance privée s’appuie sur des rites compensatoires : les conflits se solutionnent
par une relation d’échange entre groupes rivaux mais égaux contrairement à l’asymétrie du rapport
entre l’auteur et la victime.

La juste vengeance au sens d’un échange réglé de compensations, met au premier plan le couple
offensé/offenseur.

Au fil du temps, les systèmes traditionnels de vengeance privée ont introduit cette dimension
compensatoire qui permit de tempérer la vengeance par une contrepartie, le plus souvent
économique (matérielle ou financière).

La Loi des douze tables (500 av.), version romaine de la Loi du talion, limitera par exemple la
vengeance à une juste proportionnalité.

35
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Au Talion, à la faida des droits mérovingiens et carolingiens succèdent, les premières codifications
qui seront avant tout des tarifications organisant le dédommagement des blessures tels la poena
romaine dans laquelle la réparation pour le dommage se double d’une amende pénale.

La réparation va être associée à une amende pénale. Réparation et rétribution étaient confondues.

Charlemagne introduira également l’évaluation du « prix de l’homme » (Wergeld) dans la faida


laissant moins de place pour la négociation du prix du sang. On va progressivement circonscrire les
possibilités de négociation par rapport à la mort causée dans un groupe opposé. On tente de
tempérer cette notion de vengeance dans un cadre normatif.

L’appréciation du prix de la réparation, qui est envisagée selon sa gravité et non selon
l’intentionnalité, sera ainsi progressivement codifiée et prendra une importance croissante comme
le démontre le fait que 50 articles sur 65 articles de la Loi salique concernent la composition
pécuniaire prédéterminée de la réparation.

La personne lésée perd une part importante de ce qui lui permettait d’exister et de fonctionner dans
le groupe, c’est ça qui va devoir être réparé. Exemple : une personne a la main coupée, ne peut plus
faire beaucoup de travaux manuels,…

Dans ce contexte où ça devient vite une affaire d’échanges économiques, la victime isolée n’existe
pas. Ce sont des régulations entre collectifs dans laquelle la puissance de chacun des groupes est
importante.

Dans un tel système, la puissance économique et familiale des victimes est fondamentale pour
exiger et rendre crédible la demande de réparation.

« La victime isolée n’existe tout simplement pas et n’intéresse personne ».

Pour ceux disposant de moyens de demander réparation de l’offense ou de l’agression, il était


possible de faire appel à la dimension arbitrale de la puissance judiciaire.

Dans les coutumes Franques, l’échange est mis en scène dans le cadre du procès qui joue le rôle
d’un forum de la douleur et de la colère qui en régulant les échanges entre l’offenseur et l’offensé
sert de catharsis pour la communauté toute entière.

La finalité du procès est autant de régler le conflit entre des personnes que de garantir l’équilibre et
la paix entre les différents groupes sociaux, clans ou ordres (cfr. Girard).

La réparation proposée (réparatio) est avant tout conçue comme une restauration de l’état antérieur
à l’offense afin de garantir l’équilibre cosmique entre les éléments, état d’équilibre supposé avoir
été rompu par l’agression subie par la victime.

A l’époque, on pensait qu’il y avait deux groupes égaux et qu’un acte avait mis à mal cette égalité.

36
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Dans ce sens, la Loi du Talion (œil pour œil) du droit hébraïque est selon Salas souvent erronément
interprétée comme une équivalence rétributive. Il faut davantage y voir le moyen d’obtenir la paix
par une compensation qui préserve l’équilibre en égalisant les pertes « œil pour œil » veut dire «
œil en dédommagement d’un œil ». Une fois payé le prix de l’offense par une contre-offense chaque
groupe retrouve sa dignité et la paix. La compensation permet de rétablir l’égalité entre l’offensé et
l’offenseur.

Il faut que si offense il y a, une juste compensation doit être rendue. On se venge de façon à ce que
ce soit équilibré et proportionnel.

Nous pouvons retrouver dans la procédure vindicative ou accusatoire du moyen-âge différentes


caractéristiques à savoir :

• Une accusation portée par la victime ou son lignage et non par un juge.

• La mise sur un pied d’égalité absolue des parties, (accusation en partie formée) les deux
parties, l’accusateur et l’accusé étant mis en geôles durant le procès et l’accusateur débouté
se voyant infliger les mêmes peines que celles qu’aurait encouru l’accusé. Ces procédures
devaient décourager des accusations trop à la légère. Ça permet encore d’éviter à une
vengeance trop rapide.

• Une absence d’instruction préalable, celle-ci se faisant durant le procès de manière orale et
publique.

Nous pouvons retrouver dans la procédure vindicative ou accusatoire du moyen-âge différentes


caractéristiques à savoir :

Le jugement est rendu par les pairs afin de garantir l’aspect privatif de l’instance ainsi que la prise
à partie de la communauté de l’accusateur. Il faut aussi garder à l’esprit la dimension cathartique du
procès. Le vote sanctionnant le jugement par acclamation serait le gage de l’unanimité de la
communauté qui s’en trouve unifiée, et ressoudée après le déséquilibre créé par l’agression.

Sauf quelques exceptions, cette conception communautaire du jugement ne survivra pas au-delà du
13e / 14e siècle.

Ce serait le substrat chrétien sous-jacent à la société médiévale qui serait à l’origine d’un
bouleversement dans le système pénal (Allinne). La place de la notion de faute personnelle,
inhérente à l’idée de culpabilité consubstantielle à la condition humaine aurait entraîné une emphase
sur la réparation et introduit un élément moral.

Nous pouvons mettre cette évolution en rapport avec la transformation des représentations de la
victime telles que nous l’évoquons par ailleurs.

37
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La procédure inquisitoire

Dès le 14e siècle, une forme supérieure de pouvoir, l’Etat apparaît suite au renforcement du
pouvoir royal. Avec la naissance de l’Etat les individus, les groupes acceptèrent la perte d’une part
de leurs prérogatives, d’êtres désarmés, selon Salas, en échange d’une protection par une entité plus
puissante qu’eux.

Dès ce moment, l’Etat se substitue au plaignant en se positionnant comme accusateur et


comme Juge. Le stade de la poursuite publique voit le jour dans lequel le prima de l’Etat apparaît.
On observe un changement dans la procédure puisque la procédure accusatoire où la victime avait
une place importante du déclenchement de la procédure à sa conclusion laisse progressivement la
place à une procédure inquisitoire où la victime n’est plus indispensable à la procédure.

Un autre aspect de la procédure inquisitoire concerne la prévalence des intérêts de la société et de


l’Etat sur les intérêts des particuliers dans la mesure où le châtiment du coupable constitue la
réparation publique avant le dédommagement moral de la victime.

Selon Allinne, ce stade correspond à celui d’une séparation entre rétribution devenue monopole
public et réparation accordée à la victime, devenue secondaire.

D’une conception objective du dommage et de la prégnance précoce de la notion de faute


personnelle et donc de l’obligation morale et chrétienne de réparer, on passe à la notion de
rétribution publique axée quant à elle sur la notion de faute envers la société et l’Etat.

L’intérêt de l’Etat devient un primat qui dépasse la priorité accordée à l’équilibre des groupes
sociaux : la victime n’est plus qu’un symptôme du désordre subi par l’Etat et s’efface devant un
ordre supérieur. La rétribution prime sur la réparation.

On pourrait croire que la modification des rapports entre l’offenseur et l’offensé ne solutionne pas la
question de la réparation de l’offense puisque la justice se limiterait à « épuiser la dette publique ».

En effet, les textes normatifs des ordonnances royales mettent en avant le dédommagement
matériel alors que le dommage moral, l’offense n’est que peu pris en compte.

Dans la pratique, paradoxalement, c’est avant tout le dommage moral qui fait l’objet de
dédommagement et est pris en compte (injures, atteintes à l’honneur et à la réputation, calomnies).

La différence tiendrait aux niveaux de proximité des systèmes rendant la justice. Les juridictions
traitant le quotidien, les juridictions subalternes auraient été plus enclines à réguler les atteintes
morales par une compensation en faveur des victimes alors que le parlement sensé traiter des
dossier touchant à la grande criminalité serait moins disposé à traiter les intérêts particuliers, de part
son attention pour les intérêts de l’Etat et du collectif.

A la personne offensée, la victime, se substitue l’Etat et le pouvoir qui punira l’infracteur qui devra
demander pardon « à Dieu, au seigneur et à la justice ».

38
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Tout au plus, la victime pourra-t-elle espérer à son tour, c’est-à-dire après les autorités l’église et le
Roi recevoir la demande de pardon par la pratique de « l’amende honorable ».

L’État s’érige ainsi en gardien de la souveraineté, de l’ordre et des lois qu’il a lui-même
promulgué.
La mise en scène judiciaire contribue à affirmer cette relation inégalitaire entre l’auteur d’infraction
et l’Etat. Désormais quand un individu fait un tort à un autre, il y a toujours a fortiori un tort fait à la
souveraineté, à la Loi, au pouvoir.

Mais la dimension inégalitaire gagne aussi la victime qui de victime agissante devient victime
passive, le point d’équilibre se déplaçant de la victime vers l’accusé qui devient le centre d’intérêt
des procédures

En même temps le développement progressif du Ministère public renforcé par sa capacité à mener
la conduite du procès repositionne l’administration de la justice dans un rapport inégalitaire ou la
puissance royale domine le débat.

Cette évolution d’une situation où dans le couple offenseur/offensé, l’offensé était au centre du
processus compensatoire qui devait ramener la paix à un système qui s’appuie dorénavant sur
l’infraction, la transgression et le crime qu’il faut punir n’a pas été de soi. Allinne évoque différents
stades dans cette évolution qui a progressivement contribué à déposséder la victime.

Le premier stade concerne la progressive apparition entre le 11 e siècle et le 13e siècle de l’initiative
de la poursuite par le juge seigneurial puis par la justice royale dans trois cas de figure : Le flagrant
délit, l’aprise et l’enquête de pays.

Le flagrant délit concernait surtout les infractions les plus graves touchant à l’ordre public.

L’aprise consiste pour l’autorité qu’est le juge à déclencher l’action en l’absence d’un accusateur
que ce soit par manque de famille pour porter la procédure accusatoire ou en raison du risque
associé à la mise en accusation. L’aprise permettait avant tout de ne pas laisser un crime impuni en
permettant de bannir ou d’emprisonner un suspect le temps qu’apparaisse un accusateur privé, que
le suspect avoue ou accepte de se soumettre au troisième cas de figure qu’est l’enquête de pays.

L’enquête de pays consistait à baser le jugement sur l’impression subjective qu’inspire le suspect
dans son voisinage. Les prévôts du seigneur justicier puis les gens du Roi dès le début du 14 e siècle
étaient chargés de collecter les témoignages à trois sources géographiques, la contrée d’origine, son
lieu de résidence ou le lieu de l’infraction.

Le second stade porte sur l’apparition du ministère public entre le 14 e siècle et le 16e siècle.
D’abord, discrets au côté de la victime, les procureurs apportent une information publique
(instruction). Cependant dès que l’accusateur a initié la poursuite, le parquet reste en retrait, se
contentant de contrôler les actes de l’accusateur et de requérir les peines. Seul le juge reste
durant tout l’ancien régime le seul à pouvoir poursuivre d’office. Progressivement investi, le
parquet aura finalement le monopole de la réquisition fin du 16e siècle.

39
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
La constitution de partie civile, proche de notre conception actuelle s’ébauche également dès ce
moment.

Enfin, il est aussi intéressant d’envisager parmi les éléments qui ont contribué à déposséder la
victime de son rôle, la hiérarchie des délits qui laisse peu de place à la victime individuelle.

Sept strates décroissantes : le crime de lèse-majesté divine puis humaine ; la luxure (adultère,
polygamie, stupre, fornication, bestialité); les homicides (en ce compris les incendies volontaires,
les duels) ; le vol ; le crime de faux ; les injures ; les délits contre la police (braconnage,
contrebande, vagabondage).

On voit que les crimes publics priment sur les privés, que les atteintes contre la religion et l’Etat
sont d’abord contraires aux lois divines et humaines bien plus que comme une atteinte première aux
victimes qui le subissent.

Le système, qui voit se redessiner les rapports entre l’offenseur et l’offensé par l’introduction d’une
entité supérieure qu’est l’Etat, ne va pas complètement neutraliser la victime « influente ».

En pratique, la victime reste reconnue dans les systèmes infra judiciaires et les procédures para
judiciaires.

Le recours à ces pratiques était fréquent parce qu’elles permettaient à ceux qui y avaient recours de
bénéficier de procédures plus souples et moins coûteuses. Elles permettaient également d’éviter
d’introduire un tiers étranger (en l’occurrence le juge) dans des conflits privés dont la dimension de
castes ou de corporations n’étaient pas non plus absente.

Les procédures infra judiciaires supposent des procédures publiques d’accommodement, en


dehors de la justice mais avec l’appui d’un tiers supposé entériner l’accord intervenu entre les
parties après avoir éventuellement médié entre les parties.

Les procédures para judiciaires sont quant à elles des procédures privées en dehors de la justice.
Contrairement aux précédentes, elles n’impliquent pas le recours à un tiers, les parties cherchant un
accommodement satisfaisant pour chacune des parties.

Ce rapide parcours historique sous l’Ancien régime des rapports entre auteurs et victimes selon
notre terminologie actuelle montre combien la notion de victime telle que nous la connaissons ne va
prendre sens qu’à partir du moment où « le pouvoir royal s’engageait dans une politique visant à
lui assurer le contrôle sinon le monopole de l’activité judiciaire » suite au recul de la vengeance
privée face à la vindicte publique et comme le triomphe de la procédure inquisitoire sur la
procédure accusatoire.

40
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Les apports

La victimisation de l’individu plaideur a été profitable pour l’état désireux d’étendre son
hégémonie sur les prétoires. L’affaiblissement et la déresponsabilisation de la victime a permis
d’étouffer toute contestation de la dominance même de l’Etat dans le domaine de l’administration
criminelle.

Elle a également entraîné, par l’éviction de l’accusateur privé au profit du parquet, un déplacement
du point de confrontation de l’offensé /offenseur, accusateur/accusé vers un nouvel espace de
confrontation ou s’affrontent l’Etat et l’accusé.

Enfin, la victime, conception essentiellement morale véhiculant son « indicible et gênante douleur »
s’est progressivement vue dépouiller de l’espace public où la souffrance pouvait faire récit et, par sa
reconnaissance, réaffirmer l’affiliation de celui qui a souffert à la communauté des vivants au
profit « d’une revendication financière rassurante ».

L’ancien accusateur privé s’est, selon Pliant, transformé en « victime dominée par la tutelle de
l’appareil étatique d’accusation et de jugement, qu’on laisse éventuellement revendiquer un intérêt
matériel, en prenant le statut privé d’autonomie et sévèrement contrôlé de la partie civile ».

Il s’agirait là pour la victime d’un succédané permettant, « au prix d’ambiguïtés, de se draper dans
la posture moralement inattaquable de l’innocent et de revendiquer en tant que partie civile, une
compensation matérielle à son préjudice; en clair, elle le protège et le déresponsabilise ».

Mais durant le 19e siècle et le début 20e siècle les victimes eurent à faire face à de nombreuses
difficultés juridiques et pratiques dans leurs souhaits de se porter partie civile, les mentalités de
l’époque n’étant pas toujours favorables à cette revendication des victimes.

Ténékidès, auteur d’une thèse de droit en 1897 sur la défense criminelle est sans équivoque : «
nous pensons fermement que la partie civile devrait être bannie à jamais de l’enceinte criminelle ».

Les magistrats également se montre frileux à l’égard « des victimes dont il faut se garder des
poursuites passionnées et injustes » (Mangin, 1837) afin « d’éviter que la vengeance privée
s’introduise dans la justice même qui a pour objet de la prévenir » (Le Sellyer, 1870).

Le 19e siècle, verra aussi se développer le rôle des avocats qui considéreront les parties civiles
comme « les sentinelles de la justice, elles l’avertissent en jetant un cri d’alarme ».

Ils contribueront à une prise de conscience des droits des victimes même si dans un premier temps,
l’assistance de l’avocat était réservée à une élite ayant les moyens de les rétribuer.

Au côté du droit, l’analyse des plaidoyers de l’époque mettent en lumière l’émergence de stratégies
de plaidoiries utilisant la dimension morale et affective de la victime.

41
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Apparaissent les images des veuves éplorées, des enfants violés, de l’honneur bafoué, tableau
pathétique du crime où « le faible c’est l’homme paisible qui sort désarmé, c’est vous, c’est nous,
c’est en un mot la société tout entière » (Barboux, 1889).

Partie 3 – Théories en victimologie – Analyse des principaux


courants de pensée en victimologie
1. La première victimologie scientifique

Elle s’intéresse à une victimologie plus clinique mais également tendancieuse car on voulait voir la
contribution de la victime à son agression ( couple auteur/victime). La victime n’a-t-elle pas
quelque chose également à se reprocher? D’un point de vue clinique, la victime a évidemment un
rôle dans le processus de victimisation mais cela ne signifie pas qu’elle a une responsabilité morale
ou légale.
C’est là le problème de la première victimologie, elle a mélangé la responsabilité morale avec les
faits qui ont conduit à l’agression.
L’histoire de la victimologie peut se découper en deux grands temps. La première victimologie
intervient de la Première Guerre Mondiale jusqu’aux années 70.

La première
victimologie se voulait scientifique mais en fait on l’accusait de scientifiser des préjugés moraux à
l’égard des femmes.
T. de Quincey (19e siècle) :

42
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
« Certains individus sont prédisposés à devenir victimes de l’assassinat et peuvent même inspirer
l’idée du crime à l’assassin ».
C’est une approche empirique, basée sur des données scientifiques.
Vient en réaction aux excès de « l’école classique » (droit pénal) et de « l’école positiviste » centrée
sur le criminel.
Etudes individuelles (micro) >< enquêtes de victimisation
Centrée sur une approche dynamique et dyadique (couple pénal) de l’acte où le délinquant, l’acte
et la victime sont des éléments inséparables d’une situation totale qui conditionne la dialectique de
la conduite antisociale (Hijazi, 66 cité par Fattah, 1980).
Le comportement d’un auteur ne peut être compris que dans le comportement global des
interactions entre l’auteur et la victime.
On va centrer l’attention sur la victime car on essaie de faire ce pendant par rapport à l’auteur.
Au travers de cette interaction, on met l’accent sur la dimension catalytique, la victime va précipiter
l’action dont elle va être victime. Elle est en partie le déclencheur de sa propre victimisation.
On ne peut pas comprendre les faits sans prendre en compte les interactions entre le criminel et la
victime. Ce déterminisme réciproque est fondamental.
Ce qui pose problème dans la première victimologie est le positionnement moral par rapport à la
victime. On pose un jugement moral.
Exemple : jeune fille qui fait son jogging tous les jours au même endroit et donc un auteur peut la
viser plus facilement, il la connaît, il la voit souvent et la cible à l’avance. En aucun cas cependant
le fait que la fille mette un leggings ne peut être considéré comme la cause de son agression.
Exemple : dans les violences conjugales, ce n’est pas parce qu’un comportement n’est pas bien vu
par un des conjoints (ou même par la société en générale) qu’il justifie de recevoir des coups.
C’est ce que les adeptes de la première victimologie pensaient, ils pensaient la victime coupable.
Modèles centrés sur la personne de la victime.
Interaction auteur -victime, pouvoir catalytique et responsabilité de la victime.
Beaucoup de gens pensent encore aujourd’hui que si une fille a bu, il ne faudra pas en vouloir à un
homme qu’il la tripote. Si elle accepte d’embrasser un garçon, elle ne pourra pas se plaindre qu’il
ait profité de son état pour aller plus loin.
De la même façon que Lombroso parlait de criminel né, Von Hentig parle lui de victime née (sorte
de concept scientifisé de tête à claque. Ce sont des données scientifiques, le caractère victimaire est
empirique.
Dans la première victimologie, notamment, la femme porte le péché originel, elle est tentatrice et
est profondément mauvaise. On ne peut donc pas en vouloir à l’homme de ne pas se retenir alors
que la femme est lubrique.
Exemple : Émission sur Bernard Wesphael : acquitté au bénéfice du doute. Il y a tout un travail de
disqualification de la victime sans que celle-ci puisse se défendre (puisqu’elle est morte donc
compliqué on va pas se mentir).
43
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Ces convictions se retrouvent aussi bien chez les garçons que chez les filles.

Le rôle de la victime dans le fait criminel a été abordé par :


• Étienne de Greeff (Psychologie de l’assassinat, 1935).
• Le criminologue suédois Olof Kinberg (Les problèmes fondamentaux de la criminologie,
1930).
• Les études sur les victimes d’accidents (Gemelli, Ponzo, 1933).
• Les « bourreaux domestiques » (Dublineau, Follin, 1944).
Mais on considère que la première approche scientifique exhaustive de la victime est due à Von
Hentig.
Mécanismes de désengagements moraux : moyens pour essayer d’atténuer la protée de l’acte de
l’auteur (je suis victime de la victime, elle m’a cherché ou attributions externes du genre j’avais bu
je n’étais pas vraiment moi).

Les typologies de Von Hentig et Ellenberger

A. Hans Von Hentig (1887-1974) - Criminologue américain d’origine allemande, Professeur à Yale
University.
« Aucune constatation théorique n’est plus importante pour la lutte contre le crime que la
connaissance exacte de la victime » (1934).
« The criminal and his victim – Studies in the sociobiology of crime » (1948).

Par sa condition vulnérable, son comportement et sa relation à l’agresseur, la victime endosse une
part de la responsabilité de l’acte et participe à la genèse du crime en façonnant le criminel et son
crime.
Il développe une typologie de victimes d’actes criminels selon des caractéristiques psychologiques,
sociales et biologiques.

Le « potentiel de victimité » est en rapport avec la nature des relations existantes entre criminel et
victime. C’est aussi un terme assez stigmatisant de dire qu’il y a des victimes prédisposées.

Il propose dans ce cadre une première classification autour de :


• Cinq classes générales : le jeune, la femme, l’handicapé mental, l’immigrant ou la personne
appartenant à une minorité.
• Huit classes psychologiques : le déprimé, l’ambitieux, le lascif impudique, le solitaire ou le
cœur brisé, le persécuteur, la victime bloquée, l’exclu et l’agressif.

44
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
« Ce type d’information pourrait être également crucial dans le domaine de la prévention du crime
et permettrait de reconnaître les victimes potentielles, les situations à risques, bref, tout ces facteurs
qui font que la dangereuse relation entre l’auteur d’un crime et sa victime puisse se produire » (Von
Hentig, 48).
Derrière ce potentiel de victimisation, identifier les victimes potentielles permettaient de mettre en
place une profilaxie, permettait de mettre en garde ces personnes et de les catégoriser directement
comme des victimes.
Avec Henry Ellenberger, il développe une première double classification des victimes et analyse les
relations spécifiques entre criminels et victimes :
• Le criminel victime (the doer-sufferer relation)
• La victime latente (potential victim)

Le criminel-victime (the doer-sufferer relation) :


La personne peut être criminel ou victime selon les circonstances.
Cette idée revient à dire que finalement l’auteur et la victime sont souvent très proches. En fonction
des circonstances, une personne peut devenir criminel ou victime. Il existe différents contextes où
on peut avoir ce passage de l’un à l’autre.
Soit successivement :
• Le criminel peut devenir victime.
Exemple : criminel victime d’un chantage.
• La victime peut devenir criminel.
Exemple : victime d’abus qui sexuel qui devient agresseur à son tour.
Exemple : Femme victime de violence qui supprime son conjoint.

Soit brusquement - Manifestations de personnalité :


• Causes occasionnelles : guerres, perturbations sociales exceptionnelles.
• Etats crépusculaires : atténuation de la conscience. C’est un moment de perte de prise par
rapport au réel, et pendant ce moment on devient auteur d’infraction.
• Actes réflexoïdes : déclenchés par des situations inattendues et qui débouchent sur des actes
inutiles, absurdes et souvent identifiés.

La victime latente :
Dispositions inconscientes, épisodiques ou permanentes. Il y a des éléments qui font qu’une
personne va plus facilement tomber dans ce lien à l’auteur car elle contient certaines
prédispositions.

45
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Prédispositions générales :
• Age : Personnes âgées, jeunes. Que ce soit les personnes âgées par leur fragilité ou les
jeunes car ils ne réfléchissent pas toujours aux conséquences, ils sont plus susceptibles
d’être des victimes latentes.
• Statut : femmes.
• Etats psychopathologiques : handicap mental, ivrognerie, dépression.
• Situation sociale : étrangers, minorités ethniques, isolés.
• Situations vitales : grandes douleurs ou bonheurs qui « exposent à tomber dans les pièges
de la compassion ou de l’envie frauduleuse ».

Prédispositions spéciales :
Victimes nées ou récidivistes qui attirent le criminel au travers de prédispositions inconscientes
permanentes:
• Masochisme.
• Désintérêt de la vie (spleen).
• Sentiment de culpabilité et réussite mal assumée (syndrome d’Abel).
Au-delà de la perception d’une époque, au niveau de la structure cognitive par rapport à la façon
dont on doit fonctionner, on a pu mettre en évidence dans certains publics que ces personnes avaient
des prédispositions inconscientes.
Exemple : les femmes battues et le plaisir de soumission lors de l’acte sexuel

Deuxième classification
Von Hentig développera encore une deuxième classification de victimes autour de :
• Situation de la victime : isolée, victime par proximité.
• Impulsion et disparition des inhibitions de la victime : victime attirée par le gain; avide
de vivre; agressive; sans valeur (= laissées pour compte, exemple : les prostituées dans les
meurtres en série).
Exemple : Ça peut être des victimes attirées par le gain et qui ont peur de se trouver dans une
arnaque quelconque,…
• Victime à résistance réduite : selon les états émotionnels, les états transitionnels de la vie;
victimes perverses, alcooliques; dépressives; volontaires.
• Victime prédisposées : sans défense; simulatrice; récidiviste; victime devenant auteur.

46
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
De son côté, Ellenberger (1954) s’attache aux relations névrotiques et psychobiologiques qui
définiraient l’attraction réciproque de deux types constitutionnels complémentaires (types
d’associations – et relation géno-biologique basée sur une hérédité similaire).
Il va initier la notion de couple pénal et il va s’attacher aux associations auteur-victime et identifie
différentes situations.
Il identifie différentes situations typiquement complémentaires :
• Bourreaux domestiques - souffre douleur
• Ménages alcooliques
• Prostituées-souteneurs : relation inégale entre deux personnes qui va souvent précéder une
situation de victimisation ou augmenter les chances de victimisation.
• Sadomasochisme

Certains ont poussé les théories de Von Hentig et Ellenberger fort loin tels :
• F. Exner (1949) : prédispositions victimogènes mais peu de cas, tendance personnelle à
devenir victime.
• M.E. Wolfgang (1958) : victime catalyseur qui précipite provoque ou facilite la commission
de l’acte infractionnel.
• A. Feuerbach: « victime odieuse », la victime est la cause de tout ce qui lui arrive. Derrière
cette idée de victime odieuse, il y a un jugement moral et une violence par rapport à la
victime assez regrettable.
On a des approches qui se disent victimologique mais on se rend compte qu’il y a peu de
compassion envers cette victime dans les théories.

Les typologies de Mendelsohn


Mendelsohn (1900-1998) Avocat pénaliste roumain qui a émigré en Israël
Il a un réflexion bien plus positive par rapport à la victime. Il va continuer de développer une
réflexion avec un positionnement où il cherche la responsabilité de la victime dans sa victimisation
mais va également faire de la prévention dans la compréhension qu’on pourrait avoir de la victime.
Il y a une meilleure prise en compte de la victime que dans les théories précédentes.
Publie ses premiers travaux sur le criminel et sa personnalité au départ d’un questionnaire de 300
questions dans la revue de droit pénal et de criminologie (1937). Il fera de même par rapport à la
victime en 1940 en publiant « Le viol dans la criminologie » en 1940 dans la revue Giustiza penale.
Il élabore la notion de couple pénal en 1956 et construit une classification des victimes selon un
continuum de responsabilité. La réflexion autour de la culpabilité du criminel entraîne la notion de
responsabilité de la victime reprise sous le terme de responsabilité fonctionnelle par Steven Schafer
(1968) pour décrire le rôle de la victime dans le développement de situations criminogènes et la
responsabilité pour elle de mettre en œuvre les moyens pour éviter l’occurrence de délits.
Il développe à ce sujet un index de victimité pour indiquer le risque de victimisation.

47
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Le but de son approche biopsychosociale est d’arriver à une prophylaxie et une thérapie criminelle.
On relève dans la première partie de ses travaux l’accent sur la culpabilité de la victime :
Prédispositions victimales, déterminisme victimel subconscient.
Il va classer les victimes en fonction de la responsabilité qu’elles ont dans leur victimisation.
Les 5 degrés de culpabilité chez la victime :
1. victime totalement innocente. (exemple : enfant)
2. victime moins coupable que le criminel.
3. victime autant coupable que le criminel.
4. victime plus coupable que le criminel.
5. victime entièrement et seule coupable. (exemple : la victime pose un acte de légitime
défense. La victime devient l’auteur, elle pose un acte dont elle est entièrement responsable).

Selon Mendelsohn, la corrélation entre victime et l’auteur est organisée autour de quatre aspects
psychosociaux :
• La cause de l’infraction (meurtre).
• Le prétexte de l’infraction (chantage).
• Le résultat d’un consensus (suicide à deux).
• La conséquence d’une coïncidence (vol de ce qui est possédé par la victime).

Les typologies de Fattah


« La victime est-elle coupable ? » (1971) thèse de doctorat sous la direction d’Ellenberger.
Ce sont en fait des auteurs qui se tiennent grâce à une filiation académique, ils étudient les mêmes
notions et sont supervisés par les théoriciens précédents.
Créé l’École de Criminologie de l’Université Simon Fraser, Vancouver.
« L’équité ne demande pas seulement une différentiation de la répression selon la nature de
l’infraction et de la personnalité du délinquant mais aussi les qualités de la victime et de ses
agissements ». (1966)
Victime totalement, également ou partiellement responsable.
Tient compte de l’aptitude consciente de la victime envers l’acte et son auteur.
« Le rôle de la victime pouvait être motivationnel (attirer, éveiller, induire, inciter, aguicher, etc.) ou
fonctionnel (provoquer, précipiter, déclencher, faciliter, participer, etc.) » (Fattah, 1991).
Exclu dans un premier temps les caractéristiques latentes (prédispositions et inclinations
inconscientes).

48
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Première typologie en trois catégories :
• La victime désireuse ou supplicative : Désireuse de l’acte infractionnel, elle pousse
l’auteur à le commettre. (exemple : mineur désireux d’avoir des relations sexuelles avec un
majeur)
• La victime consentante librement et inconsciemment : Elle ne souhaite pas prendre part à
l’acte infractionnel mais ne se désiste pas, ne résiste pas et n’essaie pas de l’empêcher.
• La victime non-consentante
On retrouve :
◦ la victime provocatrice qui participe à la maturation et qui suscite l’acte.
◦ La victime trompeuse-trompée abusée de son propre jeu.
◦ La victime précipitante qui use la première de la force par exemple.
◦ La victime du vol après l’avoir facilité.

Deuxième typologie : Cinq types de base et divers sous-types.

• La victime provocatrice : par provocation directe ou indirecte, consentante promotrice de


l’action, non-consentante promotrice de l’action.

• La victime participante : passive ou active, elle n’empêche pas l’acte.

• La fausse victime : victime d’elle-même.

• La victime non participante : Passive, inconsciente, impuissante, simultanément


inconsciente et impuissante.

• La victime latente ou prédisposée : prédispositions bio-psychologiques, socialement


prédisposées, moralement ou psychologiquement prédisposées.

La typologie de Schaffer
Typologie basée sur la responsabilité de la victime en 7 types.
• La victime sans relation avec le criminel : objective, potentielle. Elle ne connaissait pas
l’auteur, c’est l’idée de coïncidence qui règne ici.

49
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
• La victime provocatrice : encourage l’action à son encontre.
• La victime précipitante : incite ou attire le criminel.
• La victime biologiquement faible : fragilité mentale ou physique.
• La victime socialement faible : personnes vulnérables, non-reconnues, exclues de la
société.
• L’auto-victime : personne qui se victimise elle-même par son comportement à risque
(toxicomanie, conduites suicidaires).
• La victime politique

Les théories classiques – commentaires


Ces typologies sont novatrices pour l’époque parce qu’elles associent les caractéristiques de la
victime avec sa victimisation. Elles placent au premier plan le rôle de la victime dans la
compréhension de la genèse de l’acte criminel.

Cette approche rentre dans le cadre de l’approche positiviste des théories criminologiques de
l’époque, éthiopathogéniques et centrées sur les caractéristiques personnelles.

Emphase sur la culpabilité de la victime en raison de prédispositions permanentes, inconscientes


à être victime largement contestables notamment au niveau des agressions sexuelles. (Amir, 1971 /
17 % de victimes de viols y auraient contribué). C’est indéfendable de penser que la victime est née
prédisposée à être victime. Ce sont en général les animaux non-humains qui sont né prédisposés
pour être victimes (élevages,…).

Catégorisation typologiques dépassée dans l’analyse sociocognitive que l’on peut faire actuellement
des interactions.

La réalité subjective de la victime ainsi que les interactions avec l’environnement sont beaucoup
plus complexes que les premières approches typologiques ne le rapportent.

L’approche scientifique de la victime dans l’interaction du couple pénal reste à poursuivre au


travers de modèles théoriques actuels et porteurs. Outre la lecture sociale cognitive du fait criminel,
des concepts comme le lieu de contrôle (attribution), le sentiment d’auto-efficacité, l’impuissance
acquise sont intéressants pour comprendre la victime.

La prise en compte de ces médiateurs cognitifs et affectifs est essentielle en clinique traumatique.

50
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

2. La seconde victimologie
Contexte général des théories contemporaines

On a une redéfinition de la victime. Elle est définie dans son rapport à la société, qui va la
reconnaître et lui donner une place très importante.

Dans les années 70, l’approche théorique de la première victimologie qui se centrait sur le rôle de
la victime dans l’explication du fait criminel a largement été remise en question au départ de deux
mouvements :

• La contestation des mouvements féministes.


• Les enquêtes de victimisation.

Ces différentes tendance se retrouvent dans la deuxième victimologie autour de :

• La prise en compte de la victime dans sa souffrance, aspects sociaux, législatifs et


judiciaires autour de la victime.

• La redéfinition du statut de victime non plus tant dans sa relation à l’auteur que dans son
rapport à une société qui la reconnaît.

Selon Cario, les approches contemporaines s’organisent autour de deux tendances :

La première, contestataire reprend les critiques :


• Féministes contre le couple pénal. C’est le détricotage du couple pénal, du positionnement
de la victime par rapport à l’auteur et de la responsabilisation de la victime.
• Criminologique avec le produit fini de la justice
• Idéologique avec le manque de scientificité de la discipline.

La deuxième, plus constructive se centre sur la reconnaissance de la victime en tant que personne
ayant souffert d’un acte criminel et reprend des théories d’orientation :

• Sociologique
Exemple : basées sur les styles de vie, les activités routinières;

• Psychologique autour du psychotraumatisme;

• Victimologique
Exemple : basées sur l’expérience et le vécu des victimes et implication telle que justice
restauratrice.

51
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

La contestation féministe
AMIR 1971 TUYAUX
La contestation féministe va permettre de mettre en évidence un certain nombre d’écueils. C’est
vraiment l’époque de l’émancipation féminine et de la revendication de droits pour les femmes mais
également en général.
Il va y avoir une nouvelle approche avec une nouvelle capacité à dire les choses et à porter sa voix.
Il va y avoir une certain nombre de dérives dans les rapports entre les hommes et les femmes.

C’est à la faveur du développement des mouvements féministes des années 60/70 qu’une
approche différente voit le jour.

Approche polémique, dénonciatrice, militante et introduction de la notion de genres qui intervient


dans tous les rapports sociaux.

De la violence de l’homme à la violence sociale (socialisation différentielle) et extension dans un


sens plus large à l’atteinte aux droits de la personne et de l’enfant.

Nous pouvons prendre comme moment charnière la controverse entre les tenants de la première
victimologie positiviste et les féministes au travers de l’étude réalisée en 1971 par Amir sur l’effet
précipitant induit par certaines victimes d’agression sexuelle (Menachem Amir (1971) : Patterns in
forcible rape).

Il estime que les caractéristiques négatives des victimes sont significatives :


• Nombre record d’arrestations 19%
• Mauvaises réputations 20 %
• Seulement 13% d’agressions physiques
• 19% auraient précipité le viol

Les féministes considèrent la question de genre comme la variable intermédiaire qui intervient
systématiquement dans les processus sociaux.

Le crime doit être intégré dans une perspective plus large et à partir de la question des rapports de
force et des abus sexuels.

S’élabore une réflexion autour de la violence des hommes et du système avec progressivement un
élargissement du concept de victime aux questions de non-respect des droits de la personne.

Dénonciation des agissements familiaux et mise à jour d’une victimisation cachée : la violence
domestique.

Critiques du mouvement :
Ce sont les critiques que les féministes font à la société et à la criminologie/victimologie.

52
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

I. Emphase sur les agresseurs masculins


Pourquoi la criminologie et la victimologie ne prennent-elles pas en compte la réalité différentielle
en termes de genres en matière d’agression ?

La lecture qu’on fait du crime en général est masculine. On prend peu en compte la violence
féminine, les agresseuses. Comme s’il n’y avait que la violence des hommes. Il existe une
criminalité féminine qui n’est absolument pas développée de la même manière que celle des
hommes. Les types de criminalité est différente mais le traitement judiciaire également. Les femmes
sont plus souvent jugées avec des peines plus légères que les hommes, ou sont considérées comme
des complices.

Le refus de ne pas prendre en compte la question du genre dans l’analyse centre les recherches sur
la criminologie masculine.

Réduction des comportements humains au fonctionnement masculin notamment dans le cadre des
comportements violents.

II. Lorsque la femme est prise en compte, c’est fait au travers d’une lecture patriarcale et
machiste.

La lecture de la femme est dichotomique : « la Madone et la putain ».

Les femmes sont positionnées dans une thématique tout à fait binaire, la femme est soit une sainte
soit un démon.

Les stéréotypes proposent deux types d’images :

Positives : les femmes sont décrites comme passives, obéissantes, chastes aimantes et maternelles.
Négatives : agressives, méfiantes, sexuellement actives (impures) et peu matures.

Exemple - La prostitution serait expliquée par :


• Nymphomanie
• Haine des hommes et lesbianisme refoulé
• Et NON par les conditions économiques notamment dépendance financière de la femme

 Renforcement des stéréotypes de genres et de comportements sexuels

III. Disqualification et manque d’attention pour les victimes féminines : victime coupable

Dans les sciences sociales, blâmer la victime est devenu une rationalisation de plus en plus
populaire pour les comportements « déviants » et criminels. […] Ces dernières années, blâmer la
victime a été institutionnalisé dans le monde universitaire sous la forme de la victimologie. […] Le
chercheur masculin trouve son échappatoire dans la victimologie. Il cherche la cause du problème
53
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
dans le comportement de la victime et va se convaincre (et le public avec lui) qu’en changeant ce
comportement, le problème peut être sous contrôle.

En victimologie, les premières théories n’avaient pas vraiment d’autre intérêt que de critiquer la
victime.

La victimologie devient alors l’art de blâmer la victime. (Clarke et Lewis, 1977).

Exemples :
• Violence domestique : « la victime précipitante » développée par Wolfgang (1957), Amir ou
« victime catalyseuse » «Victim Precipitation » de Fattah.

• Violence sexuelle envers mineures : « lolita provocante ». Ce sont des jeunes filles qui
jouent avec les codes adultes alors qu’elles sont toujours des enfants. C’est une image qui
plaît beaucoup. Chez les jeunes prépubères, on peut comprendre l’envie d’être des adultes et
de s’intégrer dans le prochain environnement auquel on va appartenir. On a considéré
qu’elles étaient demandeuses de la sexualité, qu’elles étaient demandeuse surtout d’une
sexualité avec des adultes pubères (« c’est elle qui m’a chauffée »).

• Viol : mise en danger et comportements « à risques » (alcool, par ex.) de la victime alors que
>< à la violence sexuelle domestique.
Exemple : dans les fraternités américaines, il y a des prospectus sur comment faire pour qu’une fille
aie envie de coucher avec un mec (la faire boire,…)

• Perception sexuelle de la femme par l’homme

IV. Manque de prise en compte des rapports de genres et de pouvoir.

Domination et dépendance économique de la femme


La question de genre n’a de sens que parce qu’elle crée des rapports de force.

Le droit coutumier de Bruges au 14e siècle stipule que :


« Le mari qui bat sa femme, la blesse, la taillade de bas en haut et se chauffe les pieds de son sang,
ne commet pas d’infraction s’il la recoud et si elle survit ».

Ce n’est que si la femme décède qu’on lui dira quelque chose. Mais en dehors de cela, puisqu’elle
lui appartient, elle ne peut pas se plaindre et personne ne peut mener d’action contre lui.

Au 18e siècle, « un mari ne peut-être coupable de viol commis sur son épouse légitime en raison de
leurs consentement matrimonial et de leur contrat de mariage selon lesquels l’épouse se donne à
son époux et ne peut plus de ce fait se rétracter ».

Loi sur le viol de 04/07/1989 rend punissable le viol dans le contexte du mariage. Avant cela, ça
n’existait pas. Si le mari voulait un rapport sexuel, il le pouvait, c’était comme si avec le mariage
venait un contrat d’obligation de consentement.

54
Cléa Swennen Année 2020 - 2021

Système social masculin de domination.

Les enquêtes de victimisation

La deuxième nouveauté qui va introduire la seconde victimologie est l’enquête de victimisation.

Les enquêtes de victimisation se caractérisent par des questions sur les atteintes dont les personnes
interrogée sont pu avoir été victimes au cours du passé récent. Elles permettent de déterminer la
proportion et le nombre de personnes qui se déclarent victimes, qu’elles aient ou non déposé une
plainte par la suite.

Les atteintes, ou victimisations, qui sont abordées dans ces enquêtes peuvent être des atteintes aux
biens (vols, destructions ou dégradations) ou des atteintes aux personnes (violences physiques ou
sexuelles, menaces ou insultes).

Le National Opinion Research Center (NORC) – 1965 - réalise aux USA à l’initiative de la
Commission présidentielle sur l’application de la Loi et sur l’administration de la Justice
(Commission Katzenbach) une étude de victimisation sur 10.000 ménages de plus de 18 ans.

Constats : Les taux de victimisation sont plus élevés que ce qui est constaté par la police.
+ 50% vols avec violence
+ 100% assauts graves
+ 300% viols

Confirmés par la suite par les National Crime Victimization Survey (1972/1973) au départ de cinq
grandes villes : Chicago, Detroit, New-York, Los Angeles, Philadelphia.

 Résultats : Le double du chiffre enregistré par la police

Développement progressif d’enquêtes nationales puis internationales de victimisation.

Difficultés liées aux enquêtes de victimisation :

• Échantillon
• Coopération
• Coûts : interroger de si grands groupes est très coûteux. A l’époque, il n’était pas possible de
faire des études par internet donc des personnes devaient se déplacer pour faire les enquêtes.
• Véracité et fiabilité des données

Les caractéristiques importantes qui ressortent de ce type d’enquête sont l’exposition au risque et la
vulnérabilité de la personne dans le processus de victimisation.

55
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
Parmi les caractéristiques sociodémographiques :

• L’âge :
◦ Les jeunes sont plus « à risque »
◦ Les jeunes hommes célibataires ont le taux de risque le plus élevé d’être victime de
voies de faits et de violence criminelle
◦ Les personnes âgées ont le taux le plus bas tant pour le vol avec effraction que pour les
voies de faits et les violences.

• Le sexe et l’état civil :


◦ Les hommes sont plus victimes que les femmes.
◦ Le statut de la femme fait varier le risque :
▪ 9,1/1000 si mariée : elle est plus occupée à la maison
▪ 31/1000 si jamais mariée
▪ 51/1000 si divorcée ou séparée : elle n’a pas pris conscience des risques puisque
pendant longtemps elle était mariée ou en couple

• Situation économique :
◦ Les personnes précarisées économiquement sont plus souvent victimes.

• Style de vie :
◦ Temps passé à l’extérieur du domicile
◦ Les caractéristiques sociodémographiques influencent la victimisation au travers du «
style de vie » Hindelang.

Exemples de théories contemporaines en victimologie inspirées par les enquêtes

I. Hindelang, Gottfredson et Garofalo, 1978 : Life style theory Cohen et Felson, 79, Laub, 90:
Routine Activity Approach
Importance du style de vie de la victime, de ses occupations, ses loisirs et ses activités quotidiennes.

Dégage la victime de sa responsabilité supposée (cf. première victimologie) et met l’accent sur
les aspects démographiques et sociaux.

II. Relation agresseur / victime:

Gottfredson (1984) :
La probabilité d’une victimisation personnelle pour les personnes qui (auto)rapportaient au
moins un délit violent est de 42 %, soit sept fois plus que pour des personnes n’ayant
(auto-)rapporté aucun délit violent.

Chambers et Tombs (1984) :

56
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
40 % des répondants ayant admis un acte d’agression sont eux-mêmes victimes d’agressions
durant la même période de temps.

III. Cohen et Felson


La victimisation repose sur le contact direct entre au moins un agresseur et une personne ou un
objet que l’agresseur veut prendre ou agresser.
L’acte délinquant résulte de la convergence dans le temps et l’espace de trois éléments :
• Un agresseur motivé
• Une victime appropriée
• Une absence de cadre limitatif

Cela repose sur l’opportunité, la proximité, l’exposition et les facteurs facilitateurs.

Pour Van Dijk et Steinmetz


Trois facteurs de risques différentiels de victimisation :
• Proximité
• Attractivité
• Exposition

IV. Fattah, (1991) a regroupé les facteurs significatifs de différents modèles


Opportunities, which are closely linked to the characteristics of potential targets (persons,
households, businesses) and to the activities and behavior of these targets.
Risk factors, particularly those related to sociodemographic characteristics such as age and gender,
area of residence, absence of guardianship, presence of alcohol and so forth.
Motivated offenders. Offenders, even non-professional ones, do not choose their victim/targets at
random but select their victims/targets according to specific criteria.
Exposure. Exposure to potential offenders and to high-risk situations and environments enhances
the risk of criminal victimization.
Associations. The homogeneity of the victim and offender populations suggests that differential
association is as important to criminal victimization as it is to crime and delinquency. Thus
individuals who are in close personal, social, or professional contact with potential delinquents and
criminals run a greater risk of being victimized than those who are not.

Dangerous times and dangerous places. The risks of criminal victimization are not evenly
distributed in time or space – there are dangerous times such as evening, late night hours and
weekends. There are also dangerous places such as places of public entertainment where the risks of
becoming a victim are higher than at work or at home.

Dangerous behaviors. Certain behaviors such as provocation increase the risk of violent
victimization while other behaviors such as negligence and carelessness enhance the chances of
property victimization. There are other dangerous behaviors that place those engaging in them in
dangerous situations where their ability to defend and protect themselves against attacks is greatly
reduced. A good example of this is hitchhiking.

57
Cléa Swennen Année 2020 - 2021
High-risk activities also increase the potential for victimization. Among such activities is the
pursuit of fun, which may include deviant and illegal activities. It is also well known that certain
occupations such as prostitution carry with them a higher than average potential for criminal
victimization.
Defensive/avoidance behaviors. Since many risks of criminal victimization could be easily
avoided, people’s attitudes to these risks may influence their chances of being victimized. It goes
without saying that risk-takers are bound to be victimized more often than risk-avoiders. This also
means that fear of crime is an important factor in reducing victimization since those who are fearful,
for example the elderly, take more precautions against crime, even curtailing their day and night
time activities thus reducing their exposure and vulnerability to victimization.
Structural/cultural proneness. There is a positive correlation between powerlessness, deprivation
and the frequency of criminal victimization. Cultural stigmatization and marginalization also
enhance the risks of criminal victimization by designating certain groups as ‘fair game’ or as
culturally legitimate victims.

58

Vous aimerez peut-être aussi