Carraud Zulma - Contes Et Historiettes
Carraud Zulma - Contes Et Historiettes
CONTES ET
HISTORIETTES
ZULMA CARRAUD
CONTES ET
HISTORIETTES
1887
ISBN—978-2-8247-1291-8
BIBEBOOK
www.bibebook.com
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Credits
Sources :
— Librairie Hachette et Cⁱᵉ, 1887
— Bibliothèque Électronique du Québec
Fontes :
— Philipp H. Poll
— Christian Spremberg
— Manfred Klein
Licence
Le texte suivant est une œuvre du domaine public édité
sous la licence Creatives Commons BY-SA
Lire la licence
L’imprudence
O
des peupliers au bord d’un ruisseau profond, et ils
étaient tombés les uns dans l’eau, les autres en travers du ruis-
seau. Le petit Théodore, en passant par là, quitta sa mère pour
courir sur les troncs d’arbres et passer sur l’autre rive, où il voyait des
fleurs charmantes ; et pourtant sa mère le lui défendait ! Le petit déso-
béissant fit un faux pas et tomba dans l’eau.
La pauvre mère poussa un cri ; le grand frère de Théodore se jeta dans
le ruisseau et le retira tout transi de peur et de froid.
Quand Théodore vit sa mère pâle et tout en larmes, il lui promit de ne
plus faire d’imprudence et de toujours l’écouter.
1
CHAPITRE II
La rougeole
R
rougeole très forte, et le médecin recommanda
par-dessus tout qu’on ne lui laissât pas prendre l’air ; et comme
on le connaissait fort peu obéissant, on l’enfermait dans sa
chambre chaque fois qu’on était obligé de le laisser seul. Alors il s’avisa
d’ouvrir une fenêtre et de regarder dans la rue.
Le lendemain, le médecin le trouva avec un grand mal d’yeux, et dit
qu’il pourrait bien rester aveugle : le pauvre Robert fut au désespoir et se
repentit de sa désobéissance ; mais il était trop tard ! Le docteur avait dit
vrai ; et quoique le pauvre enfant ne fût pas aveugle tout à fait, il ne vit
jamais assez clair pour lire ni pour écrire.
2
CHAPITRE III
Le bon frère
O
garçon fort doux ; il supportait sans se plaindre
les mauvais tours de ses camarades, qui abusaient souvent de
sa patience. Un jour qu’il se promenait avec son petit frère, ils
s’amusèrent à tourmenter l’enfant ; l’un d’eux alla même jusqu’à le frap-
per. Olivier, sortant de son caractère pacifique, se plaça résolument entre
l’agresseur et son frère, et, montrant ses poings fermés, il dit : « Le pre-
mier qui touchera cet enfant aura affaire à moi ! »
Les camarades furent très étonnés de trouver autant de courage chez
Olivier qu’ils avaient cru poltron parce qu’il était patient, et ils ne son-
gèrent plus à tourmenter l’enfant.
3
CHAPITRE IV
M
F se promenaient à la campagne ; elles ren-
contrèrent une femme qui lavait son linge et qui ensuite le
faisait sécher sur un buisson ; mais elle était bien faible et elle
n’avait pas la force de placer les draps sur son épaule. Madeleine quitta sa
compagne pour aider à cette pauvre femme, elle se chargea même d’une
partie du linge, et le lui porta jusque chez elle.
Félicité la suivait de loin et la regardait d’un air étonné.
La pauvre femme, en quittant Madeleine, lui dit :
« Dieu vous bénira, ma jolie demoiselle, parce que vous êtes bonne et
secourable. »
4
CHAPITRE V
La mouche
5
CHAPITRE VI
La complaisance
S
dans les champs ; elle suivait un joli sentier,
lorsqu’elle remarqua qu’il était tout parsemé de haricots blancs.
La petite fille se mit à les ramasser, et en eut bientôt rempli son ta-
blier. Elle rejoignit, en les ramassant toujours, un petit garçon qui condui-
sait un âne chargé d’un sac. L’enfant venait seulement de s’apercevoir
que ce sac était troué ; il pleurait ses haricots perdus. Solange lui mon-
tra qu’elle les avait ramassés et les remit dans le sac, qu’ils lièrent à eux
deux à l’endroit de la déchirure. Le petit garçon remercia bien Solange, et
continua sa route.
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CHAPITRE VII
La grand-mère aveugle
7
CHAPITRE VIII
La paresse
F
bon garçon, mais extrêmement paresseux. Il
fallait le tourmenter sans cesse pour qu’il fît son devoir et pour
qu’il apprît ses leçons.
« Si tu continues ainsi, lui dit son père un jour que l’enfant était encore
plus mal disposé que de coutume, tu ne seras propre à rien.
— Mais, papa, croyez-vous donc que les livres me donneront de l’in-
telligence si je n’en ai pas naturellement ?
— Non, mon ami : mais les enfants en ont tous, plus ou moins ; si par
l’étude tu nourris et fortifies celle que tu as reçue en partage, tu pour-
ras alors l’appliquer à toutes choses ; au contraire, si tu la laisses souffrir
d’inanition, elle ne saurait te rendre aucun service. »
Le soir, en revenant de la promenade, Fernand et son père passèrent
devant la forge d’un maréchal.
« Arrêtons-nous un moment, dit le père, et observe bien ce que fait
cet ouvrier.
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Contes et historiettes Chapitre VIII
9
CHAPITRE IX
Le loup
M
M fort occupée à écrire, quand sa petite fille
Jenny entra tout à coup et se précipita dans ses bras.
« Maman, dit-elle d’une voix si émue qu’on l’entendait à
peine, ne couchez pas dans votre chambre ce soir !
— Eh ! pourquoi cela, mon cher ange ?
— Parce qu’il y a un loup dans le fond de votre alcôve.
— Que me dis-tu là, petite folle ?
— Mais, maman, c’est bien vrai », dit la petite en tremblant.
Mᵐᵉ Moreau prit sa fille sur ses genoux ; elle l’embrassa et lui dit dou-
cement :
« Est-ce que tu l’as vu, mon enfant ?
— Non, mère ; mais je l’ai entendu.
— Songe donc, ma chérie, qu’il n’y a pas de loups dans les villes et
encore moins dans les chambres ; ils restent dans les grands bois, bien
loin, bien loin.
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Contes et historiettes Chapitre IX
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CHAPITRE X
Contente de peu
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CHAPITRE XI
Le conseil
S
être aimé de tout le monde, mon fils, ne répète jamais
rien de ce que tu entends dire, et ne parle pas de ce que tu vois
faire à chacun. On fuit l’enfant qui rapporte les choses qu’il a
entendues, et l’on se tait aussitôt qu’on le voit paraître ; ses parents même
s’en méfient, et il est délaissé par tous.
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CHAPITRE XII
L’obéissance
L
’A lui avait promis de l’emmener manger du
raisin à sa vigne ; mais la mère dit qu’il n’était pas raisonnable
de sortir par la grande chaleur. Aline avait si grande envie d’al-
ler avec sa nourrice, qu’elle se mit plusieurs fois en route pour la vigne ;
mais elle s’arrêta toujours au détour du chemin, et revint sur ses pas.
À dîner, sa mère lui dit :
« Ma fille, tu as l’air bien satisfait : que t’est-il donc arrivé d’heureux ?
— Maman, je vous ai obéi, quoiqu’il m’en ait coûté beaucoup, et je suis
bien plus satisfaite que si j’étais allée à la vigne de ma nourrice.
— C’est que, mon enfant, la satisfaction de la conscience est la pre-
mière de toutes les satisfactions. »
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CHAPITRE XIII
Le serin
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CHAPITRE XIV
Le feu
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Contes et historiettes Chapitre XIV
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CHAPITRE XV
La prière
P
, mes petits amis. Remerciez Dieu qui vous
a donné une mère pour le remplacer auprès de vous, qui avez si
grand besoin d’être protégés. Il vous a aussi donné un père pour
vous procurer tout ce qui est nécessaire à la vie ; puis des belles fleurs pour
vous réjouir les yeux et un beau soleil qui leur donne le parfum. N’oubliez
jamais que Dieu bénit le petit enfant qui fait bien sa prière.
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CHAPITRE XVI
La petite maman
L
’ pauvre jardinier nourrissait deux enfants jumeaux
et se désolait de ne pouvoir plus aider à son mari dans ses tra-
vaux de jardinage ; car leur famille était nombreuse et ils avaient
bien de la peine à la nourrir. La petite Manette, sa fille aînée, qui n’avait
que dix ans, lui dit un jour :
« Maman, allez donc travailler avec mon père ; laissez-moi les petits ;
j’en aurai grand soin, et je vous les porterai quand ils auront faim. »
En effet, Manette ne quitta plus ses petits frères ; elle les berçait pour
les endormir, ou bien elle les promenait l’un après l’autre, enfin, elle leur
faisait boire du lait sucré pour ne pas déranger sa mère trop souvent. La
pauvre femme, en voyant ses jumeaux si bien soignés, dit à sa fille :
« Manette, mon enfant, le bon Dieu te bénira, parce que tu es une
bonne petite maman pour tes petits frères. »
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Contes et historiettes Chapitre XVI
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CHAPITRE XVII
Le secours mutuel
E
classe, un grand écolier brutal donna à un écolier
petit et faible, nommé Jeannot, un vigoureux coup de poing dans
le dos, et l’envoya tomber à quelques pas. Un autre écolier tout
aussi fort que le premier battit l’agresseur à son tour, tant il était révolté
de sa brutalité. Il s’en alla relever Jeannot, qui étanchait le sang coulant
d’une blessure qu’il s’était faite au front en tombant, et il le reconduisit
chez son père.
Jeannot conçut une grande amitié pour son camarade Louiset qui
avait pris sa défense. Louiset ne savait jamais bien ses leçons, et il était
souvent puni. Jeannot, doué d’une heureuse mémoire, et qui apprenait
promptement tout ce qu’il voulait, imagina de faire réciter tout haut,
phrase par phrase, les leçons à Louiset, jusqu’à ce qu’il les sût ; et il ne
se lassa jamais de rendre ce service à son camarade.
Les deux enfants se promirent une amitié éternelle.
Louiset, n’étant plus puni, prit goût à l’étude, et ne tarda pas à devenir
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Contes et historiettes Chapitre XVII
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CHAPITRE XVIII
Le petit malade
A
malade, et sa mère veillait auprès de son petit
lit. À quelque heure du jour et de la nuit que l’enfant se réveillât,
il la trouvait toujours prête à lui donner ce qu’il demandait.
Quand il fut remis un peu de sa maladie, il s’étonna que sa mère eût
pu résister à tant de fatigues.
« Mon ami, lui dit-elle, Dieu soutient la mère qui soigne son enfant. »
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CHAPITRE XIX
Le colin-maillard
L
M. Raynouard invitèrent un de leurs camarades à
venir passer la journée avec eux. Après avoir essayé de tous les
jeux, on se mit à jouer au colin-maillard. Quand ce fut le tour du
camarade d’avoir les yeux bandés, les enfants s’entendirent pour quitter
l’endroit où il était, et le laissèrent tout seul, cherchant dans tous les coins
sans trouver personne.
M. Raynouard, étant entré, vit le pauvre garçon délaissé ; il lui ôta son
bandeau, et l’emmena voir une ménagerie fort belle qui venait d’arriver
dans la ville. Les enfants se trouvèrent bien punis de leur malice quand
ils revinrent pour se moquer de leur camarade.
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CHAPITRE XX
La liberté
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CHAPITRE XXI
Le petit agneau
J
petite fille très pauvre qui demandait l’aumône
avec sa grand-mère aveugle ; elles demeuraient toutes les deux
dans une vieille étable qu’on leur louait dix francs par an.
Un jour que Julie était allée au bois ramasser des branches mortes, pour
faire un peu de feu à sa pauvre grand-mère, elle trouva un joli petit agneau
abandonné qui la suivit jusque chez elle. Quand elle eut déposé son bois
dans un coin de leur chambre, elle mena l’agneau de porte en porte pour
que ceux qui l’avaient perdu pussent le reconnaître : mais, comme il n’ap-
partenait à personne dans le village et qu’on ne savait pas d’où il venait,
Julie le garda.
Dès le matin, elle allait lui cueillir un peu d’herbe le long des buis-
sons, avant que sa grand-mère fût levée. Puis elle menait l’agneau par les
chemins, en allant chercher son pain dans la campagne, et le soir elle lui
en donnait toujours un peu. Et pourtant la pauvre petite en avait souvent
bien juste pour son souper ; mais, quand elle avait partagé avec son cher
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Contes et historiettes Chapitre XXI
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Contes et historiettes Chapitre XXI
trée soigneuse et attentive pour ses agneaux, pensa que cette petite ferait
une bonne bergère : elle lui offrit dix écus de gages, si elle voulait venir
en service chez elle. Julie accepta bien vite, et le soir, en faisant sa prière,
elle remercia le bon Dieu d’avoir eu pitié d’elle.
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CHAPITRE XXII
Le petit taquin
F
enfant taquin qui était devenu insupportable à
tout le monde, et que personne ne pouvait plus souffrir. Il tour-
mentait continuellement ses frères et ses sœurs, et leur jouait
toujours quelque mauvais tour. Tantôt il faisait prendre un bain à une
des poupées de ses sœurs, ce qui la ramollissait si bien qu’on ne pouvait
plus s’en servir ; une autre fois il mettait un pétard dans le corps d’un
cheval de carton appartenant à ses frères, et le faisait sauter en l’air en y
mettant le feu.
Si ses sœurs étaient au piano, Francis prenait son tambour et faisait
un tapage assourdissant. Ses frères s’occupaient-ils à faire leur devoir, il
venait tout doucement prendre le livre dont ils se servaient, et il fallait
courir une heure après lui pour le forcer à le rendre.
Quand Francis était à la campagne, il aimait aussi à taquiner les bes-
tiaux et à leur tirer la queue. Un jour qu’il se laissait traîner par une gé-
nisse, ce qui l’amusait beaucoup, la bête perdit patience, et, se retournant
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Contes et historiettes Chapitre XXII
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CHAPITRE XXIII
La petite gourmande
M
gourmande qu’elle se donnait souvent des in-
digestions qui la rendaient bien malade. Quand sa mère, qui
n’était pas riche, allait à la ville vendre ses fromages, elle avait
la faiblesse d’en rapporter quelque friandise à sa petite fille, ce qui l’entre-
tenait dans son vilain défaut. Si on la laissait seule pour veiller au souper
qui était sur le feu, elle en mangeait la moitié avant qu’il fût entièrement
cuit.
Son père savait que la gourmandise est un défaut qui entraîne souvent
les enfants au mensonge et au vol. Il l’avait corrigée plus d’une fois ; mais
la mère était très faible : elle demandait grâce en pleurant ; et cet homme,
qui aimait beaucoup sa femme, n’avait pas le courage de lui faire de la
peine. Il ne savait pas que Marianne avait déjà pris plus d’une fois des
fruits dans les jardins du voisinage. On le lui avait caché pour ne pas le
désoler, car on le connaissait pour un très honnête homme.
Un jour, une des voisines appela Marianne pour garder sa petite fille,
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Contes et historiettes Chapitre XXIII
qui n’avait que huit mois, pendant qu’elle irait laver son linge à la rivière.
Marianne était très obligeante et y alla tout de suite ; elle prit l’enfant sur
ses genoux et lui chanta une jolie chanson pour l’amuser.
Marianne, voyant un pot devant le feu de la voisine, voulut savoir ce
qui était dedans. Elle le découvrit et sentit une bonne odeur de pruneaux.
Comme elle aimait beaucoup les pruneaux cuits, elle eut grande envie
d’y goûter ; cependant elle se dit qu’elle ne devait pas toucher au repas de
cette femme en son absence ; mais, poussée par sa gourmandise, elle pensa
qu’en mangeant deux ou trois pruneaux, elle ne ferait pas grand tort au
souper de la voisine. Elle prit la cuiller qui était auprès du pot ; au moment
de la plonger dedans, elle entendit en elle-même une voix qui lui disait
qu’elle allait faire un grand péché, et qu’il y avait autant de mal à voler
peu de chose qu’à en voler beaucoup. Alors elle se mit à chanter encore
et à faire sauter la petite fille ; pourtant ses yeux ne quittaient pas le pot,
qui était resté découvert. Enfin l’odeur la tenta si bien qu’elle ne résista
plus ! Ayant pris la cuiller, elle la remplit de pruneaux bien appétissants
et souffla dessus pour les faire refroidir. Au même moment, elle entendit
la voisine qui revenait de la rivière ; au lieu de remettre les pruneaux dans
le pot, la gourmande les mit dans sa bouche et posa bien vite la cuiller à
sa place, après avoir recouvert le pot. Marianne rendit l’enfant à la mère
et courut chez elle, sans répondre à cette femme qui lui criait : « Ne t’en
vas donc pas si vite ! petite, tu vas souper avec nous ; j’ai un plat de ces
bons pruneaux que tu aimes tant ; reste donc ! »
Mais Marianne ne tourna même pas la tête, car les pruneaux qu’elle
avait dans la bouche la brûlaient si fort qu’elle en pleurait. Elle rentra chez
elle rouge comme la crête d’un coq, et cracha bien vite les pruneaux dans
les cendres du foyer ; puis elle courut s’emplir la bouche d’eau fraîche
pour apaiser le grand mal qu’elle ressentait, car elle s’était brûlée jusqu’à
la chair vive.
Sa mère, après l’avoir bien grondée, la mit au lit et dit à tout le monde
que Marianne avait la fièvre : ce qui, du reste, était vrai ; pour rien au
monde, elle n’aurait voulu qu’on sût que sa fille avait volé des pruneaux.
La petite gourmande resta quatre jours sans pouvoir ni manger ni parler,
et pendant plus d’une semaine elle ne vécut que de bouillie.
Marianne supplia sa mère de ne jamais dire à son père ni à personne
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Contes et historiettes Chapitre XXIII
la cause de sa maladie.
Cette aventure lui causa tant de honte, qu’elle se corrigea entière-
ment ; et, quoiqu’elle souffrît beaucoup, son mal la tourmentait moins
encore que la crainte qu’on ne vînt à en connaître la cause.
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CHAPITRE XXIV
Le petit glorieux
J
fils d’un gros fermier qui passait pour être un des
plus riches du village. Il était orgueilleux et croyait que tous les
autres enfants devaient lui être soumis. Il leur reprochait leur pau-
vreté, et se moquait fort de leurs habits rapiécés, disant qu’il aimerait
mieux aller tout nu que de porter de pareilles guenilles. Il vantait sans
cesse les belles juments de son père et ses bonnes vaches, faisant grand
mépris des ânes et des chevaux des petits cultivateurs ses voisins. Quand
toutes les vaches se trouvaient à l’abreuvoir, à la fin de la journée, il com-
parait les siennes à celles de ses camarades, et se plaisait à leur faire re-
marquer combien ses bêtes étaient plus belles que les leurs.
Les enfants du village ne l’aimaient guère ; et, comme il était trop in-
solent et qu’il les humiliait plus que de coutume, ils le renvoyaient et ne
voulaient pas jouer avec lui. Alors Jacques leur disait :
« Je veux m’amuser avec vous, moi ! si vous me renvoyez de votre jeu,
je dirai à mon papa, qui fait tout ce que je veux, de ne plus faire travailler
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Contes et historiettes Chapitre XXIV
vos pères. »
Comme les pauvres petits le connaissaient capable de leur faire cette
méchanceté, et qu’ils savaient d’ailleurs combien leurs pères avaient be-
soin de gagner de l’argent, ils se soumettaient à tous ses caprices.
Une année, il survint un terrible orage au temps de la moisson. Le ton-
nerre tomba deux fois sur la ferme du père de Jacques pendant la nuit, et
y mit le feu. On s’en aperçut trop tard pour sauver le bétail qu’on ne put
jamais faire sortir des étables. Les moutons, les vaches et deux des belles
juments du fermier y périrent. Le pauvre homme se donna beaucoup de
mal pendant cet incendie ; il s’agita autour d’une grosse meule de blé qui
n’était pas encore achevée et qui brûla presque tout entière. Il eut chaud
et froid et gagna une pleurésie dont il mourut au bout de quinze jours,
entièrement ruiné, et ne laissant rien à ses enfants. Sa femme, ne pou-
vant plus les nourrir, dut les mettre en condition ; et Jacques, à douze ans,
n’ayant encore jamais rien fait, fut placé comme vacher dans la famille
du petit garçon qu’il avait le plus souvent mortifié à cause de ses habits
rapiécés.
Cet enfant avec qui Jacques avait fait tant le glorieux s’appelait Pierre.
Il avait un bon cœur, et voyant combien Jacques avait de chagrin de porter
de vilaines blouses, il ne lui parlait jamais de son ancienne vanité. Il se
battait même avec les camarades qui, bien souvent, en voyant Jacques
passer menant ses vaches à l’abreuvoir, criaient après lui :
« Hé ! le glorieux qui est à la queue des vaches !
« Hé ! le glorieux qui a des sabots percés !
« Hé ! dis donc, glorieux ! qu’as-tu fait de tes belles juments ? »
Jacques ne leur répondait pas, sentant bien qu’il avait mérité qu’on le
raillât ainsi ; mais il fut touché de la grande bonté de Pierre qui prenait sa
défense, et pourtant Jacques l’avait souvent humilié ! Ce qui n’empêchait
pas l’autre de le traiter plutôt en frère qu’en domestique. Le malheur le
rendit doux et humble. Il pensa beaucoup à tout ce qui lui était arrivé,
et finit par se trouver heureux dans sa pauvreté, parce qu’il se sentait
débarrassé de toute la vanité qui emplissait son cœur auparavant ; et aussi
parce qu’on commençait à l’aimer dans le village.
35
Contes et historiettes Chapitre XXIV
36
CHAPITRE XXV
Les tartelettes
P
marraine qu’elle aimait beaucoup. Elle allait
la voir de temps en temps, et il fallait une heure pour aller jusque
chez elle, et une heure pour en revenir ; mais Pierrette avait tant
de plaisir à voir sa marraine qu’elle ne se plaignait jamais de la longueur
du chemin.
Le père de Pierrette avait des pigeons qui eurent de si jolis petits, que
l’enfant voulut en élever elle-même une paire, afin de les offrir à sa mar-
raine le jour de sa fête. Quand ils mangèrent seuls, elle les plaça dans le
cabinet où elle couchait. Elle en eut tant de soin qu’en peu de temps ils
furent apprivoisés. Ils venaient manger dans la main de leur petite maî-
tresse, et la suivaient quand elle allait dans son jardin. S’ils volaient sur
le toit de la maison, ils venaient se poser sur son épaule ou sur son bras
aussitôt qu’elle les appelait.
Vers la Saint-Pierre, les petits pigeons étaient dans toute leur beauté ;
leur cou changeait de couleur au moindre mouvement qu’ils faisaient ;
37
Contes et historiettes Chapitre XXV
celui du mâle était tantôt bleu, tantôt rouge et puis violet ; la petite femelle
avait des couleurs moins foncées : elle était rose et verte, puis lilas ; enfin,
rien n’était plus joli à voir que ces deux petits animaux.
La veille de la fête de sa marraine, Pierrette mit ses plus beaux habits
et fit un gros bouquet des plus belles fleurs de son jardin ; puis elle partit
toute seule, pour aller lui porter les pigeons.
Elle trouva grande compagnie chez sa marraine, à qui l’on avait donné
beaucoup de biscuits et de gâteaux pour sa fête. Toute la famille était à
table, et Pierrette fut comme honteuse de se trouver au milieu de tant de
monde.
La marraine trouva les pigeons charmants ; elle embrassa Pierrette et
la fit placer auprès d’elle, afin qu’elle goûtât de toutes les bonnes choses
qui étaient sur la table.
Quand la petite voulut s’en retourner chez sa mère, on lui donna trois
tartelettes : une pour elle, et les deux autres pour ses petits frères. On les
enveloppa dans un papier très propre, et Pierrette les porta à la main.
En passant le long du ruisseau, Pierrette trouva quatre petits garçons
qui pêchaient des écrevisses. Elle ne s’arrêta pas pour les regarder, parce
que sa maman lui avait défendu de parler aux petits garçons et de jouer
avec eux. Le plus grand des quatre, qui avait bien douze ans, lui dit :
« Tu es bien fière, toi ? Pourquoi ne nous dis-tu rien en passant ? »
Pierrette ne répondit pas et continua son chemin.
« Vois-tu bien cette demoiselle qui ne nous répond seulement pas ?
dit un autre en la suivant. Qu’est-ce qu’elle porte donc dans sa main ? »
Et comme Pierrette marchait toujours sans rien dire :
« Je la ferai bien parler, moi », dit un tout petit.
Alors Pierrette, qui commençait à avoir peur, se mit à courir de toutes
ses forces. Les gamins la poursuivirent en lui jetant de la boue d’abord,
puis des pierres ; et comme elle ne s’arrêtait pas, le plus grand, courut plus
fort qu’elle et se mit en travers de son chemin.
« Tu vas me donner ce que tu tiens là, dit-il, et tout de suite ! »
Pierrette se mit à pleurer.
Le plus petit de la bande, qui en était aussi le plus mauvais, lui arracha
le papier et l’ouvrit.
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Contes et historiettes Chapitre XXV
39
CHAPITRE XXVI
La petite curieuse
M
bonne petite fille. Elle aimait bien sa maman,
pauvre veuve qui n’avait qu’elle pour consolation. Elle était
charitable et travailleuse, et eût été parfaite sans un vilain dé-
faut qui la faisait détester de tout le voisinage : elle était si curieuse, qu’elle
s’arrangeait toujours de façon à savoir tout ce qui se faisait ou se disait
autour d’elle.
Sa mère, étant couturière, recevait souvent chez elle des dames qui ve-
naient pour essayer leurs robes ; comme elles ne voulaient pas se désha-
biller devant l’enfant, on la renvoyait dans la chambre voisine, ce qui n’ar-
rangeait pas Marie. Aussi la petite curieuse mettait l’oreille à la porte pour
tâcher d’entendre ce que l’on disait.
La maman de Marie s’étant aperçue qu’elle écoutait aux portes, en
avait un grand chagrin ; car elle sentait que si sa fille ne se corrigeait
pas, personne ne l’aimerait quand elle serait grande. Elle essaya de lui
faire comprendre qu’il était presque aussi malhonnête de surprendre les
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Contes et historiettes Chapitre XXVI
secrets des gens malgré eux que de prendre leur bourse, parce que leurs
secrets sont à eux seuls aussi bien que leur argent.
Marie allait aussi chez les voisins pour tâcher de savoir leurs affaires,
et souvent elle y était fort mal reçue. Elle rentrait toute chagrine quand on
l’avait mise à la porte des maisons où elle venait épier ce qui s’y faisait ;
elle se promettait de n’y plus retourner, mais sa grande curiosité lui faisait
bien vite oublier les affronts qu’elle avait reçus.
Un jour, un monsieur vint chez la couturière et demanda à parler à
elle seule. Il voulait qu’elle fît une belle robe pour la fête de sa femme, et
tenait à ce qu’on ne sût rien de la surprise qu’il lui ménageait.
On renvoya Marie, à son grand regret ! Quand elle fut seule dans l’ate-
lier, car les ouvrières étaient allées goûter, elle se rapprocha tout douce-
ment de la porte qui n’était pas tout à fait fermée, afin de savoir ce qu’on
avait à dire à sa maman.
Le monsieur, qui avait déjà commencé à parler, s’aperçut, en tour-
nant la tête, que la porte était restée entrouverte, et il se leva pour l’aller
fermer. Il ne l’eut pas plutôt tirée à lui qu’un cri terrible, parti de l’autre
chambre, la lui fit rouvrir aussitôt, et il trouva l’enfant étendue par terre
et sans connaissance. C’est que Marie avait le doigt dans la fente de la
porte quand on l’avait fermée, et son doigt avait été écrasé.
On alla chercher un médecin ; Marie souffrait beaucoup, et son doigt
fut plus de trois mois à guérir.
Quand Marie sentait sa curiosité revenir, elle regardait son doigt qui
était plus court que les autres et n’avait plus d’ongle ; elle perdait bien
vite alors l’envie de la satisfaire. Comme cette enfant ne s’inquiétait plus
des affaires du voisinage et qu’elle restait chez elle à travailler, on ne tarda
pas à l’aimer autant qu’on la haïssait auparavant ; car elle était très bonne
fille. Marie se trouva si heureuse qu’elle remercia Dieu de l’avoir corrigée,
quoique la punition eût été un peu rude et qu’elle dût s’en ressentir toute
sa vie.
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CHAPITRE XXVII
L’enfant trouvé
L
N, demeurant à Issoudun, dans le faubourg des
Minimes, était infirme de la main gauche et ne pouvait travailler
pour gagner sa vie. Mais comme elle avait du cœur, au lieu d’al-
ler demander l’aumône, elle prenait des enfants de l’hôpital en sevrage
quand on les retirait de nourrice. Elle en avait toujours trois ou quatre, et
elle les soignait comme si elle eût été leur propre mère. Quand ils avaient
sept ans, elle les reconduisait au grand hôpital de Châteauroux, parce
qu’on ne voulait plus payer pour eux à cet âge. Chaque fois qu’il fallait
rendre un de ces petits orphelins, la pauvre Nannon avait un grand cha-
grin. Elle les embrassait en pleurant et s’en retournait le cœur bien gros.
Un jour, on lui apporta un petit garçon de sept mois dont la nour-
rice venait de mourir. Il était si maigre, si chétif, que l’on pouvait croire
qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre. La grande Nannon le soigna
nuit et jour avec tant d’attention, elle lui fit de si bonnes soupes et de si
bonnes bouillies, que la pauvre petite créature se remit et devint un beau
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Contes et historiettes Chapitre XXVII
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Contes et historiettes Chapitre XXVII
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CHAPITRE XXVIII
La petite Louise
L
L se levait tous les jours, l’été, avant le soleil ; elle
menait sa vache au communal des Brosses avec les autres pe-
tites filles du bourg de Nohan, et avec les petits pâtres. Elle y
rencontrait les enfants des hameaux de la commune.
Tantôt tous ces enfants jouaient ensemble, tantôt ils se disputaient et
criaient de toutes leurs forces. Louise ne criait ni ne se disputait jamais.
C’était une petite fille fort douce, aimant bien ses parents, à qui elle obéis-
sait en toutes choses et sans jamais murmurer. Elle avait entendu dire au
curé qui desservait Nohan que le bon Dieu aime les enfants qui honorent
leurs parents, et que ceux qui se conduisent bien envers eux sur cette terre
en sont récompensés dans le ciel.
Louise passait pour la meilleure petite fille de Nohan, et toutes les
mères la donnaient pour exemple à leurs enfants.
Un jour qu’elle faisait paître sa vache avec les autres sur le communal,
un petit garçon du village de Villiers se mit à pleurer parce qu’un chien
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Contes et historiettes Chapitre XXVIII
avait emporté son déjeuner, ce qui fit rire tous les autres pâtres, qui se
moquèrent du pauvre enfant. La petite Louise lui fit signe de venir auprès
d’elle. Elle l’emmena du côté du bois, et elle lui donna la moitié de son pain
et de son fromage, afin qu’il ne souffrît pas trop de la faim en attendant
qu’il ramenât sa vache à l’heure de midi. Louise était toujours si bonne,
que tous les petits garçons et les petites filles qui allaient aux champs avec
elle l’aimaient de tout leur cœur.
Louise, au lieu de battre sa vache pour la faire marcher, ou bien de la
tirer à la corde, la traitait avec beaucoup de douceur et s’en faisait obéir
rien qu’en lui parlant ; aussi la pauvre bête s’était si bien accoutumée à la
voix de l’enfant, qu’elle la reconnaissait du plus loin qu’elle l’entendait.
Quand Louise avait besoin de son chien, elle ne criait point après lui
comme faisaient ses petits camarades pour se faire obéir des leurs, et elle
ne lui jetait jamais de pierres ; mais elle le tenait toujours auprès d’elle, et
surtout elle ne le laissait pas aboyer après les passants.
Tout en gardant sa vache, la petite Louise était toujours occupée ; tan-
tôt elle filait, tantôt elle tricotait, et quelquefois elle teillait du chanvre.
Cela ne l’empêchait pas d’observer quelles étaient les herbes que sa vache
mangeait avec le plus de plaisir. Elle s’aperçut que quand elle avait brouté
beaucoup de pissenlits et de chicorée sauvage, son lait était meilleur,
qu’elle en donnait une plus grande quantité, que la crème était plus
épaisse, et, enfin, que le beurre avait un très bon goût.
Quelquefois sa mère l’emmenait au marché de Graçay, où elle allait
vendre ses denrées. Louise écoutait avec attention tout ce qui se disait
autour d’elle. C’est ainsi qu’elle apprit que le beurre fait avec de la crème
fraîche est préférable à tout autre, et se conserve bien plus longtemps sans
rancir, surtout s’il est bien lavé. Elle retint le nom des femmes qui avaient
la réputation de vendre le beurre de première qualité et les meilleurs fro-
mages, et elle se promettait bien d’être citée à son tour quand elle serait
grande ; car elle avait remarqué que les personnes qui sont connues pour
bien soigner leurs denrées les vendent promptement, et peuvent retour-
ner à leur maison dans la matinée ; tandis que les autres attendent jusqu’à
la fin du marché, et ne rentrent chez elles que le soir, souvent même sans
avoir rien vendu.
Louise était très propre et très rangée, ce qui est une grande qua-
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Contes et historiettes Chapitre XXVIII
lité pour une femme. Elle raccommodait ses habits elle-même et n’y lais-
sait jamais la moindre déchirure ; elle les entretenait également dans une
grande propreté ; aussi paraissait-elle mieux habillée que les autres petites
filles du bourg, quoiqu’elle eût des robes neuves moins souvent qu’elles.
Malheureusement, il n’y a pas d’école à Nohan, et Louise ne put ap-
prendre ni à lire ni à écrire, quoiqu’elle en eût grande envie ; mais elle s’ap-
prit à compter toute seule avec des petits cailloux, et elle s’amusait sou-
vent, ainsi qu’une autre petite fille, à voir qui compterait le mieux de l’une
ou de l’autre. Elle avait écouté avec attention les gens qui comptaient les
gerbes ou les fagots. Quand elle put aller jusqu’à cent, elle compta par
deux, par trois, par quatre, et si bien qu’elle se mit en état de comprendre
tous les comptes que l’on faisait devant elle.
Enfin, M. le curé ayant entendu parler des bonnes dispositions de
Louise et de son bon caractère, la fit venir chez lui chaque jour, à l’heure
où elle ramenait sa vache à l’étable, et lui apprit à lire et à écrire. Il lui fit
faire ensuite sa première communion et en fut toujours très satisfait.
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CHAPITRE XXIX
Le petit berger
L
S gardait son troupeau sur un communal qui était
tout entouré de bois. Il menait paître ses brebis avec leurs
agneaux, ainsi qu’une chèvre et sa biquette. Il y avait des loups
dans les grands bois qui entourent le pâturage, et ces mauvaises bêtes em-
portaient souvent quelques-uns des bestiaux qui paissaient sur le com-
munal ; aussi les petits pâtres s’exerçaient-ils à lancer des pierres pour
atteindre le loup quand il viendrait prendre un de leurs moutons.
Un soir que Sylvain était resté aux champs après les autres, parce qu’il
ne pouvait rattraper sa biquette qui courait comme une folle, un jeune
loup sortit tout doucement du bois, s’approcha du petit troupeau et prit
un bel agneau qui s’était un peu éloigné des autres. Sylvain, tout en criant
au loup ! de toute sa force, ramassa des pierres et les lança si bien qu’il fit
grand mal à cette méchante bête, sans pourtant pouvoir lui faire lâcher
l’agneau qui bêlait après sa mère ; la pauvre brebis courait de ci, de là,
sans oser approcher. Sylvain ne perdit pas courage ; il excita son chien à
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Contes et historiettes Chapitre XXIX
courir sus au loup, pendant qu’il cherchait une grosse pierre pour la lui
lancer ; ce coup-là fut visé si juste, que la bête se mit à hurler de douleur ;
et, comme elle ouvrit la gueule, l’agneau tomba par terre. Sylvain courut
ramasser le pauvre petit, pendant que le loup rentrait dans le bois sans se
presser.
Le berger rapporta l’agneau sur son dos, et il raconta à son maître
comment le loup avait bien manqué de le lui emporter.
Son maître lui dit qu’il était un brave enfant, n’ayant peur de rien ; et
que, puisqu’il défendait si bien son troupeau, il augmenterait ses gages à
la Saint-Jean prochaine.
Une autre fois, comme Sylvain traversait le village pour mener ses
bêtes à l’abreuvoir, sa biquette eut peur d’un chien ; elle fit un bond de
côté, mais si haut, qu’elle tomba dans un puits qui était au bord du chemin.
Sylvain appela sa cousine Marie qui demeurait tout proche, et la pria de
garder ses bestiaux un moment. Puis il alla chez son parrain chercher une
corde, et il lui demanda s’il voulait bien venir l’aider à repêcher son cabri.
En regardant au fond du puits, ils y aperçurent la pauvre petite bête
qui essayait de grimper le long de la muraille et qui criait comme un petit
enfant.
Sylvain passa autour de son corps la corde qu’il avait prise chez son
parrain ; ensuite il l’attacha au puits, et il pria son parrain de le descendre
comme il ferait pour un seau.
« Mais, mon garçon, dit le parrain, si la corde venait à se casser, tu te
ferais grand mal.
— N’ayez pas peur, parrain ; d’ailleurs, ne faut-il pas qu’un berger
risque quelque chose quand il s’agit de sauver une de ses bêtes ? Un bon
berger ne doit pas souffrir qu’il se perde une seule tête de son troupeau. »
Le parrain descendit l’enfant dans le puits ; quand Sylvain voulut
prendre la biquette, elle se débattit, et il eut beaucoup de mal à la mettre
sur son dos ; enfin, il y réussit et cria de le retirer. Le parrain amena sur
le bord du puits le berger et sa chèvre.
La maîtresse de Sylvain fut très contente de ce qu’il avait sauvé sa
biquette qu’elle aimait beaucoup. Elle lui dit que, puisqu’il avait si grand
soin de son troupeau, elle allait lui faire elle-même deux chemises de la
toile que le tisserand venait de lui rapporter, ce qui rendit le petit berger
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Contes et historiettes Chapitre XXIX
fort content.
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CHAPITRE XXX
La petite Fanchette
L
F allait souvent chez la mère Desloges, sa voi-
sine, qui vivait toute seule dans une petite maison. La pauvre
vieille avait deux poulettes qui couchaient dans une corbeille
sous son lit, et qui pondaient presque tous les jours. Quand elle avait une
douzaine d’œufs, elle allait les vendre à la ville ; et de l’argent qu’elle en re-
tirait elle achetait du sel, de la chandelle et un peu de graisse pour mettre
dans sa soupe. Aussi était-il bien rare que la mère Desloges mangeât de
ses œufs ; il fallait pour cela qu’elle n’eût rien du tout dans sa maison.
Un jour, Fanchette entra chez cette vieille femme, justement à l’ins-
tant où sa poule blanche venait de pondre un bel œuf : elle le regarda
bien longtemps, car il lui faisait grande envie ; enfin, elle le prit, après
avoir tourné les yeux de tous côtés, pour voir si elle était bien seule dans
la chambre. Elle avait à peine eu le temps de mettre cet œuf dans sa poche,
que la mère Desloges rentra. La bonne femme alla chercher dans la cor-
beille où ses poules pondaient, car elle avait entendu chanter la blanche ;
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Contes et historiettes Chapitre XXX
et elle fut bien étonnée de ne pas y trouver son œuf. La pauvre vieille
appela Fanchette qui se hâtait de sortir, et lui demanda si elle savait où
sa poule avait pondu. Fanchette répondit qu’elle n’en savait rien ; mais,
en faisant ce mensonge, elle était toute rouge. La mère Desloges ne le vit
pas, parce qu’elle était occupée à chercher l’œuf de sa poule dans tous les
coins de la maison.
Fanchette, qui avait grande envie de manger l’œuf qu’elle avait pris,
retourna chez elle pour le faire cuire ; mais ce lui fut impossible, parce
que sa mère ne quitta pas la maison, et qu’elle lui aurait demandé où elle
avait pris cet œuf. Elle commençait à en être bien embarrassée, quand ses
petites cousines vinrent pour s’amuser avec elle. En jouant, elles la pous-
saient, la secouaient, comme font les enfants quand ils sont ensemble ;
mais Fanchette, au lieu de rire comme à l’ordinaire et de courir avec ses
cousines, ne voulait pas qu’on la touchât, tant elle avait peur de casser
l’œuf qui était dans sa poche. Elle se fâchait aussitôt que l’on approchait
d’elle, et repoussait ses cousines, qui lui demandèrent pourquoi elle était
de si mauvaise humeur.
Fanchette ne tarda pas à se repentir d’avoir volé cet œuf, car elle avait
eu le temps de penser à la mauvaise action qu’elle venait de faire. Elle
résolut de le remettre dans la corbeille où elle l’avait pris ; mais la mère
Desloges ne sortit point de chez elle ; et, pour rien au monde, Fanchette
n’eût voulu qu’elle lui vît cet œuf entre les mains. Elle attendit, pensant
qu’elle pourrait profiter d’un instant où la vieille femme serait hors de sa
maison, pour y entrer sans en être vue. La mère Desloges sortit en effet,
mais elle ferma sa porte et emporta la clef.
Elle s’en vint chez la mère de Fanchette, qu’on appelait la Nanne, et
lui raconta ce qu’on lui avait fait. « Et justement, dit-elle, j’avais compté
sur cet œuf pour faire mon souper, car je n’ai rien à manger avec mon
pain.
— Un œuf n’est pas grand-chose, dit la Nanne ; mais il faut être bien
méchant pour le prendre à une pauvre femme comme vous. Ce n’est pas
ma Fanchette qui ferait une chose pareille.
— Je le crois bien, répondit la mère Desloges. Ce n’est pas chez de
braves gens comme vous qu’il se trouve des voleurs. »
Fanchette, qui entendait cela, ne savait où se mettre, tant elle avait de
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Contes et historiettes Chapitre XXX
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Contes et historiettes Chapitre XXX
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Contes et historiettes Chapitre XXX
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CHAPITRE XXXI
L’enfant avisé
D
, Vincent Vermont avait quitté sa cabane, bâtie
sous un rocher qui lui servait d’abri. Il guidait les voyageurs qui
voulaient gravir une haute montagne, et sa femme, Thérèse, était
restée seule avec Léonard, leur fils unique, qui avait dix ans.
Le matin, Thérèse se leva de bonne heure ; après avoir trait ses vaches
et les avoir conduites au pâturage sur la montagne, elle porta son lait à la
fromagerie communale.
Léonard, qui était resté au lit, fut éveillé par un bruit épouvantable ;
il eut grand-peur et crut que la maison s’écroulait. Il poussa de grands
cris. Personne ne lui répondant, il se leva, alluma la chandelle et ouvrit la
porte pour aller chercher sa mère ; mais il fut arrêté par un mur de neige
qui enveloppait toute la maison. L’enfant comprit alors qu’une avalanche
était tombée, et que le rocher seul avait empêché la maison d’être écrasée.
Il eut un grand désespoir, car il crut qu’il allait mourir de faim. D’abord il
pleura beaucoup ; puis il se rappela que sa mère lui avait dit que, quand on
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Contes et historiettes Chapitre XXXI
avait du chagrin, il fallait prier le bon Dieu, et qu’on était bientôt consolé ;
il se mit à genoux, et en effet il se trouva plus tranquille après sa prière.
Il s’habilla, fit du feu, et chercha ce qu’il pourrait manger à son déjeuner.
Il entendit bêler sa chèvre qui était dans une petite étable dont la porte
donnait dans la chambre ; il ouvrit cette porte, vit que le pis de la chèvre
était encore tout plein, et il en tira une pleine écuelle de lait qui lui fit
grand plaisir. Il trouva un reste de pain ; alors il pensa qu’il ne mourrait
pas de faim ce jour-là, et que peut-être son père, qui devait être de retour
le soir, viendrait le délivrer. La journée lui parut un peu longue, et il se
coucha quand il eut envie de dormir.
Le lendemain, après avoir fait sa prière, il alla traire sa chèvre et lui
donner à manger. Comme il ne lui restait guère de pain, il prit des pommes
de terre qui étaient dans un coin de l’étable et les fit cuire. Il alluma sa der-
nière chandelle et il eut peur à l’idée de se trouver dans l’obscurité. Il pria
Dieu de ne pas l’abandonner, et aussitôt il se sentit un nouveau courage.
L’enfant se souvint d’avoir monté dans le grenier une quantité de résine
que son père avait recueillie sur les sapins de la montagne. Il en alla cher-
cher et la fit fondre dans une petite chaudière ; il prit le chanvre qui était
à la quenouille de sa mère, le tordit en cordes grosses comme le doigt,
et de la longueur d’une chandelle. Il plongea ces cordes à plusieurs re-
prises dans la résine bouillante, et se procura ainsi le moyen de s’éclairer.
Comme il y avait un peu de blé dans le grenier, Léonard en écrasa avec
un marteau dans la pierre creusée qui servait à mettre l’eau que buvait la
chèvre. Il fit une galette avec cette farine grossière, et la mit cuire sous la
cendre ; elle lui parut excellente, car il avait grand appétit. Le troisième
jour, il écrasa encore du blé et fit de la bouillie avec le lait de la chèvre.
L’eau lui ayant manqué, il ouvrit la porte, prit un peu de neige et la fit
fondre.
Pendant cinq jours, il vécut ainsi ; mais s’il ne souffrait pas de la faim,
il commençait à trouver l’air bien lourd, bien étouffant. Aussi, malgré tout
son courage, le malheureux enfant finit par craindre de n’être jamais tiré
de là, et de ne plus voir son père ni sa mère. Il pleurait et se désespérait
quand il entendit un bruit sourd : puis il distingua la voix de son père ;
enfin le jour entra dans la chambre, et Léonard vit son père qui l’appelait
sans oser avancer. L’enfant courut à lui, et Vincent, en le serrant dans ses
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Contes et historiettes Chapitre XXXI
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CHAPITRE XXXII
La tentation
L
B avait dans son jardin un gros abricotier qui don-
nait de beaux fruits, quand les fleurs ne gelaient pas au prin-
temps. La bonne femme avait aussi une petite fille qui aimait
beaucoup les abricots, et qui mangeait toujours ceux qui mûrissaient les
premiers.
Une année où le printemps avait été bien rude, il ne resta sur l’arbre
que six abricots ; mais ils étaient si beaux qu’on n’en avait jamais vu de
semblables. Victorine, âgée seulement de neuf ans, allait voir tous les
jours si les abricots jaunissaient. Un matin, elle en aperçut un qui était
jaune et rouge, et elle courut chercher un grand bâton pour l’abattre. Sa
mère, qui filait à l’ombre, lui cria :
« Ma fille ! ne touche pas aux abricots ; je les garde pour ta marraine
que tu aimes tant, et nous les lui porterons aussitôt qu’ils seront tous
mûrs.
Victorine n’abattit pas l’abricot. Elle venait le voir chaque jour, et elle
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Contes et historiettes Chapitre XXXII
avait grande envie de le manger, car c’était le plus beau des six ; mais elle
pensait à sa bonne marraine, et elle n’y touchait pas.
Quand les abricots furent tous mûrs, la mère Brunet prit une échelle
et les cueillit avec le plus grand soin. Elle les posa sur un linge bien blanc
dans un petit panier découvert. Ils avaient si bonne mine que, rien qu’à
les voir, on avait envie d’y goûter. Le panier resta sur la table, pendant que
la mère Brunet allait préparer un fromage à la crème, qu’elle voulait aussi
porter à la marraine de sa fille. Victorine resta seule dans la chambre, où
l’odeur des abricots lui faisait venir l’eau à la bouche.
Elle s’approcha de la table pour les mieux voir, puis elle prit le panier
pour les sentir de plus près ; ensuite elle les toucha l’un après l’autre ;
enfin elle en prit un, justement le gros qui lui faisait envie depuis si long-
temps.
Quand Victorine eut gardé l’abricot un instant dans sa main, elle l’ap-
procha de ses lèvres et allait le manger, lorsqu’elle sentit son cœur battre
bien fort ; alors elle comprit qu’elle allait faire une vilaine chose.
Elle remit bien vite l’abricot dans le panier, à côté des autres ; mais
comme elle ne pouvait en détacher les yeux, elle se mit à genoux et pria
le bon Dieu de lui donner la force de résister à la tentation. La petite fille
n’eut pas plutôt achevé sa prière qu’elle ne sentit plus cette grande gour-
mandise qui la tourmentait, et elle regarda les fruits sans avoir seulement
envie d’y toucher.
Sa mère rentra et tira de l’armoire leurs beaux habits ; quand elles
furent habillées toutes les deux, elles se mirent en route pour aller chez
la marraine, qui demeurait à un quart de lieue du village. La mère Brunet
portait le panier au fromage, et Victorine celui où étaient les abricots. Elle
les regardait sans danger, maintenant qu’elle avait prié Dieu et qu’elle
avait écouté la voix de sa conscience.
Quand la marraine aperçut ces fruits, elle dit qu’elle n’en avait jamais
vu d’aussi beaux.
« En as-tu beaucoup de semblables, mon enfant ? dit-elle à Victorine.
— Non, marraine, répondit l’enfant ; notre abricotier n’a donné que
ces six-là.
— Cela ne m’étonne pas, car tous les arbres ont gelé en fleur cette
année. Mais tu n’en as donc pas goûté, toi qui les aimes tant ?
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Contes et historiettes Chapitre XXXII
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CHAPITRE XXXIII
C
, l’hospice, avait été placé par les sœurs dans
un domaine où il gardait trois vaches et un taureau d’un an.
Quoiqu’il n’eût que dix ans, il soignait si bien ses bêtes, que l’on
n’avait pas besoin de lui dire de leur faire la litière et de nettoyer l’étable.
Tous les matins, avant de les faire sortir, il les étrillait ; et, après les avoir
ramenées des champs, il allait de lui-même leur chercher de l’herbe et en
rapportait des paquets plus gros que lui. Aussi ses vaches étaient-elles les
plus belles et les plus propres du village ; leur poil était doux et luisant, et
leur lait donnait le meilleur beurre de la contrée.
Un jour qu’il menait boire son bétail, il vit dans la rivière un tout
petit chien caniche qu’on avait jeté à l’eau pour le noyer. La pauvre bête
faisait de grands efforts pour nager, mais elle n’était pas assez forte pour
se soutenir sur l’eau. L’orphelin en eut pitié ; il descendit dans la rivière,
et, avec son bâton, il tâcha d’attirer à lui ce petit chien. Il y réussit avec
bien de la peine. Quand il l’eut tiré de l’eau, il l’essuya avec son mouchoir,
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Contes et historiettes Chapitre XXXIII
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Contes et historiettes Chapitre XXXIII
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CHAPITRE XXXIV
La petite ménagère
R
’ douze ans quand elle perdit sa mère, qui laissait
cinq pauvres petits enfants dont Rose était l’aînée.
Le soir, après l’enterrement, le père l’aida à coucher tous les
petits ; et, quand ils furent endormis, il prit Rose sur ses genoux et lui dit :
« Mon enfant, nous sommes bien malheureux d’avoir perdu ta mère
qui nous soignait si bien. Tu es trop jeune encore pour faire l’ouvrage de
la maison, et moi, je suis trop pauvre pour payer une femme qui viendrait
t’aider. Comment donc faire ? »
Rose pleurait en entendant parler son père ; car la mort de sa mère lui
causait un grand chagrin. Elle s’apaisa pourtant et répondit à son père :
« J’ai souvent aidé à maman, et j’ai bien vu comment elle s’y prenait.
Soyez tranquille, papa, le bon Dieu ne nous abandonnera pas, puisque
nous avons bonne intention de nous soutenir.
— Mais, ma pauvre petite, tu n’auras jamais la force de faire un lit ?
— Ne vous en inquiétez pas, mon père, j’en viendrai bien à bout ; et
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Contes et historiettes Chapitre XXXIV
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Contes et historiettes Chapitre XXXIV
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CHAPITRE XXXV
Le petit colporteur
L
M était une pauvre veuve qui avait perdu tous
ses enfants. La plus jeune de ses filles, veuve aussi, lui avait
laissé en mourant un petit garçon qu’elle élevait de son mieux.
Comme elle était au pain de charité, et que le peu d’argent qu’elle ga-
gnait en filant n’eût pas suffi pour nourrir son petit Toine, elle aurait été
obligée de l’envoyer mendier, en attendant qu’il fût en âge de servir dans
quelque ferme, si des personnes charitables n’eussent habillé l’enfant et
payé le loyer de la grand-mère. Au lieu de laisser vagabonder le petit
Toine, la bonne vieille l’envoya à l’école, où il apprit à bien lire, à écrire
et à compter. Il fit sa première communion à douze ans, et ensuite il dit à
sa grand-mère :
« Maintenant que je suis grand, je puis gagner ma vie comme vous ;
mais je ne me sens pas de goût pour garder les bestiaux, parce qu’il me
semble que je ne pourrais pas rester toute une journée les bras croisés à
regarder paître mes bêtes. J’ai dans l’idée que si je pouvais faire un petit
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Contes et historiettes Chapitre XXXV
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Contes et historiettes Chapitre XXXV
chand ce que celui-ci lui avait avancé. Mais, en voyant combien Toine
s’était donné de peine, le marchand fit un nouveau crédit de cinq francs,
et cette fois Toine emporta pour quinze francs d’objets différents, parmi
lesquels se trouvait une pièce de dentelle à trois sous le mètre.
Toine partit du village en laissant quelques sous à sa grand-mère, et lui
dit qu’il ne reviendrait pas de la semaine, parce qu’il voulait aller au loin
pour se faire de nouvelles pratiques. En effet, il ne rentra que le dimanche
au matin, après avoir vendu presque tout le contenu de sa boîte. Après la
messe, il alla trouver M. le curé à qui il rendit les cinq francs qu’il avait eu
la bonté de lui prêter, et il le remercia beaucoup. Il lui devait le bonheur
de gagner la vie de sa vieille grand-mère ; car, sans cet argent, il n’eût pu
commencer son petit commerce et on ne lui aurait pas fait crédit.
Quand il revit le marchand, il lui conta comment il s’était défait de
toute sa marchandise en une semaine, et comment il s’était fait trente
francs. Le digne homme, reconnaissant chez Toine les qualités nécessaires
pour réussir dans le commerce, lui confia pour cinquante francs de mar-
chandise, ce qui, avec vingt francs que lui paya l’enfant, fit un fonds de
soixante-dix francs. Cette fois, Toine emporta des mouchoirs, des bas à
bon marché et des bonnets de coton, sans oublier la mercerie.
Toine revenait tous les mois faire sa pacotille chez le bon marchand, et
lui rapportait l’argent qu’il avait gagné, après avoir pris ce qui était néces-
saire pour faire vivre sa grand-mère ; et toujours le marchand augmentait
son crédit.
Au bout d’un an, Toine, ayant mis de côté quelque argent, acheta des
habits neufs à sa grand-mère, et lui donna pour son hiver une bonne cou-
verture bien chaude.
L’année suivante, son commerce s’augmentant avec ses pratiques, il
acheta un mulet pour porter ses marchandises ; et, comme il vendait tou-
jours au plus juste prix, qu’il donnait bonne mesure, et qu’il ne faisait
jamais aucune dépense inutile pour lui, il vit sa petite fortune s’augmen-
ter peu à peu, et, à vingt ans, il acheta dans son village une jolie maison
entre un jardin et une chènevière. Il y établit sa pauvre grand-mère qui
n’avait jamais été si heureuse. Plus tard, il acheta une voiture, et confia
le reste de son argent au marchand qui l’avait aidé si généreusement, en
le priant d’envoyer chaque mois à sa grand-mère, quand il serait absent,
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Contes et historiettes Chapitre XXXV
ce qui lui serait nécessaire pour subsister ; car, depuis qu’il avait un peu
d’aisance, il ne voulait plus qu’elle fût au pain de charité. Mais il ne restait
jamais plus de trois mois sans venir embrasser la bonne femme, qui disait
à tout le monde :
« Vous voyez bien mon Toine ! il n’y a pas de garçon au monde qui
vaille mieux que lui ; aussi il a l’estime de tous les honnêtes gens. »
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CHAPITRE XXXVI
L
D demeurait dans une petite maison au bord du
ruisseau. Elle avait un jardin qu’elle cultivait elle-même. Comme
il lui fournissait plus de fruits et de légumes qu’elle n’en pou-
vait consommer, elle en donnait à tous ses voisins, car elle avait un bon
cœur ; aussi tout le monde l’aimait à cause de son obligeance.
La petite Nanne allait souvent filer au coin du feu de la vieille femme
qui lui racontait des histoires du temps passé, et lui apprenait de belles
prières. Elle lui parlait aussi du grand chagrin qu’elle avait eu en perdant
son mari et ses quatre enfants, tous morts dans le même mois d’une ter-
rible maladie qui avait tué bien du monde, et qu’on appelle le choléra.
Toujours elle pleurait au souvenir de ses chers défunts.
Un hiver, la mère Douce prit une fraîcheur sur les yeux ; et, quand ils
furent désenflés, il se trouva qu’elle n’y voyait plus guère. Elle pouvait à
peine se conduire en plein jour ; le soir, une heure avant le coucher du
soleil, elle n’y voyait goutte ; et cette bonne vieille n’osait pas sortir de sa
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Contes et historiettes Chapitre XXXVI
maison, tant elle avait peur de tomber. Quand elle voulait prendre quelque
chose dans son armoire, elle avait toutes les peines du monde à mettre la
clef dans la serrure.
La pauvre femme était désolée d’être aveugle, et ses plaintes faisaient
pleurer la petite Nanne, qui, pour diminuer le grand ennui de sa bonne
voisine, lui rendait toutes sortes de services. Dès le matin, elle l’aidait à
faire son lit, mettait son pot devant le feu et taillait sa soupe. Si la mère
Douce voulait manger un peu de salade, Nanne allait la lui cueillir, l’éplu-
chait bien proprement, et ensuite l’assaisonnait. S’il y avait un point à
faire aux vêtements de la vieille femme, ou s’ils avaient besoin d’être net-
toyés, Nanne s’en occupait, parce que la mère Douce était fort soigneuse
et tenait beaucoup à la propreté. Elle la menait promener au lieu d’aller
courir avec les autres petites filles du village ; et M. le curé l’encourageait à
continuer son œuvre charitable, en lui disant qu’elle obéissait à la volonté
de Dieu qui veut qu’on s’aide les uns les autres.
La mère Douce avait vendu sa vache et sa chèvre depuis qu’elle ne
voyait plus assez clair pour les soigner. Mais, comme il lui fallait bien un
peu d’argent pour acheter du sel, de la chandelle et d’autres petites choses,
Nanne allait vendre à la ville les beaux fruits de sa voisine et en rappor-
tait tout ce qui lui était nécessaire. Tout cela n’empêchait pas Nanne de
travailler à l’ouvrage que sa mère lui donnait à faire.
La mère Douce eut tant de chagrin d’avoir perdu la vue, qu’elle tomba
en langueur et mourut au bout de deux ans. Quand elle sentit sa fin, elle
pria M. le curé d’envoyer chercher un notaire, parce qu’elle voulait donner
tout son bien à la petite Nanne qui, ayant eu pitié de son infirmité, l’avait
aussi bien soignée que l’eût pu faire sa propre fille, et cela sans jamais se
rebuter.
Nanne n’avait point soigné la pauvre femme aveugle par intérêt. Aussi
fut-elle bien étonnée de se trouver presque riche. Son père cultiva le
champ, le jardin et la chènevière ; mais elle ne voulut pas louer la maison,
et y logea un pauvre vieux mendiant qui, depuis quatre mois, couchait
dans les étables ou les fenils, parce que personne ne voulait le loger à
cause de sa grande pauvreté.
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Contes et historiettes Chapitre XXXVI
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CHAPITRE XXXVII
L
M avait deux jumeaux de neuf ans qui étaient
assurément les plus charmants enfants que l’on pût voir. Pierre
et Paul ne se quittaient jamais ; on les voyait toujours ensemble,
et si l’on donnait quelque chose à l’un des deux, il s’empressait de le par-
tager avec son frère. Paul, qui était plus fort que Pierre, voulait toujours
faire à lui seul l’ouvrage qu’on leur commandait ; et Pierre, qui était le plus
avisé des deux, disait à son jumeau comment il fallait s’y prendre pour
mieux faire et avec moins de fatigue. Si l’un perdait ou cassait quelque
chose, l’autre venait l’excuser ; enfin, l’on n’avait jamais vu une si grande
affection et un si bon accord.
Pierre et Paul avaient une petite sœur de quatre ans qui s’appelait
Marie. Ils l’aimaient de tout leur cœur et faisaient tout ce qui lui plai-
sait. Quand la meunière allait au marché, elle leur confiait Marie, qu’ils
soignaient aussi bien qu’eût pu le faire leur mère elle-même, et ils ne la
quittaient pas d’un instant.
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Contes et historiettes Chapitre XXXVII
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Contes et historiettes Chapitre XXXVII
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CHAPITRE XXXVIII
M
R, cordonnier, avait perdu sa femme après
quatre ans de mariage. Elle lui laissa deux enfants : une fille
de trois ans et un petit garçon de dix mois. Sa vieille mère,
qui demeurait avec lui, les éleva très bien. Elle les tenait fort propres, leur
apprenait à aimer Dieu et à obéir à ses commandements. Émilie allait à
l’école ainsi que son frère, et tous les deux apprenaient bien ce qu’on leur
y enseignait ; mais autant Émilie était douce et obéissante, autant Daniel
était turbulent. Il avait le cœur dur et parlait souvent fort mal à sa grand-
mère.
Un jour la grand-mère, se sentant bien malade, appela Émilie auprès
de son lit :
« Ma petite fille, lui dit-elle, je sens la mort qui approche. J’ai bien
prié Dieu de me laisser sur la terre jusqu’à ce que tu fusses en état de
te conduire toute seule ; mais ce n’est pas sa volonté. Il va me rappeler
à lui, je le sens bien ; tu n’as que quatorze ans, et tu es bien jeune pour
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Contes et historiettes Chapitre XXXVIII
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Contes et historiettes Chapitre XXXVIII
qu’il gagnait, ne gardant pour lui que le produit des ressemelages qu’il
faisait à la veillée.
Aussitôt qu’elle avait reçu la semaine de son père, Émilie mettait dans
un petit sac 1 fr. 40 c. pour son loyer, qui était de 70 fr. par an ; dans un
autre, 4 fr. 20 c. pour le pain, car ils en mangeaient pour 0 fr. 60 c. par
jour à eux trois ; dans un troisième, 3 fr. 30 c. pour la pitance et le vin ; il
ne lui restait donc que 2 fr. 80 c., qu’elle mettait dans un sac de réserve
auquel elle ne touchait jamais. Elle le gardait pour les cas de maladie. De
cette façon, elle trouvait toujours son compte et pouvait payer comptant
tout ce qu’elle prenait. Cette grande économie amena bientôt une certaine
aisance dans le ménage, car l’argent que gagnait Émilie en festonnant
suffisait pour l’habiller ainsi que son frère.
Daniel avait déjà quatorze ans et finissait sa dernière année d’école
quand il se cassa la jambe, en se battant avec un autre enfant. On le rap-
porta chez son père. Il criait si fort, qu’Émilie l’entendit longtemps avant
qu’il entrât dans la maison. On courut chercher un médecin qui remit la
jambe de Daniel ; mais il lui fallut rester au lit pendant six semaines.
Il fut assez sage durant les premiers jours. Il lisait, ou bien il causait
avec sa sœur. Bientôt, s’ennuyant de rester toujours sur le dos, il tour-
menta Émilie, qui faisait pourtant tout ce qu’il désirait : elle jouait aux
cartes avec lui pour l’amuser ; elle lui racontait, en travaillant, l’histoire
des rois de France que la vieille dame lui avait apprise. Daniel se lassait de
tout. Comme il était un peu gourmand, il voulait manger à tout moment,
plutôt par ennui que par besoin. Il avait mille fantaisies que sa sœur ne
pouvait satisfaire : alors il lui reprochait son peu de complaisance.
« Mon pauvre Daniel, lui disait-elle, tu sais bien que je n’ai pas d’ar-
gent pour t’acheter toutes les friandises que tu me demandes.
— Mais si, tu as de l’argent ! le petit sac de la réserve est tout plein ;
et, si tu le voulais bien, tu me donnerais tout ce que je désire.
— Et le médecin ! et le pharmacien ! avec quoi les payerons-nous donc,
si je touche à cet argent-là ? D’ailleurs, il appartient à mon père qui a eu
bien du mal à le gagner. Et puis, je te le demande, est-il une plus sotte
dépense que celle qu’on fait pour satisfaire sa gourmandise ?
— Bah ! disait Daniel, tu as un mauvais cœur ! »
Émilie pleurait quand son frère lui parlait ainsi. Elle imagina de veiller
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Contes et historiettes Chapitre XXXVIII
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CHAPITRE XXXIX
Le ramoneur
L
M n’avait pas cinq ans lorsqu’il perdit son père
et sa mère. Il ne lui resta que sa grand-mère, qui était bien
pauvre ; mais tant que l’enfant fut tout petit, il ne s’aperçut pas
de cette grande pauvreté ; car s’il n’y avait de pitance que pour un dans
la maison, la grand-mère mangeait son pain sec pendant que Matthieu
s’amusait avec les autres enfants du village ; de sorte qu’il ne se doutait
pas des privations que la bonne vieille s’imposait ; et lorsqu’il n’y avait
pas assez de pain pour deux, la pauvre femme faisait semblant d’être ma-
lade pour ne pas manger, et pour laisser à l’enfant le peu qui restait.
Mais quand Matthieu eut sept ans, il s’aperçut que sa bonne grand-
mère le trompait ; alors il résolut de s’engager comme ramoneur, afin de
ne plus être à sa charge. Il alla trouver le père Martial, ramoneur juré qui,
chaque année, emmenait deux ou trois petits garçons avec lui.
« Père Martial, lui dit-il, avez-vous un petit ramoneur cette année ?
— Non, mon garçon ; pourquoi demandes-tu cela ?
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Contes et historiettes Chapitre XXXIX
— Parce que j’ai bien envie d’aller avec vous. Voulez-vous me prendre ?
— Tu me parais bien jeune. Quel âge as-tu donc ?
— J’aurai sept ans à la Toussaint, et j’ai bon courage ; voyez-vous,
père Martial, nous sommes bien pauvres, et je vois que ma grand-mère
ne mange pas à sa faim pour que j’aie une meilleure part ; moi, je ne veux
plus qu’il en soit comme ça ; je veux gagner de l’argent, au contraire, pour
soulager la pauvre femme.
— C’est bien, cela, mon Matthieu ! aux enfants de ton âge je donne dix
francs pour la saison ; je les nourris, je les loge, et je leur laisse leurs petits
profits ; car il y a de bonnes âmes qui, après m’avoir payé, donnent encore
quelques sous au petit ramoneur. Mais pourras-tu supporter la fatigue ?
— Oh ! que oui, père Martial ! comme vous ne partirez pas avant un
mois, je vais m’accoutumer à monter dans les cheminées et à les ramoner
le mieux que je le pourrai, afin de savoir un peu le métier quand vous me
prendrez.
— C’est que, petit, dans les maisons des villes les cheminées sont trois
fois plus hautes que celles de notre village ; tu auras peut-être peur d’y
monter ?
— Si la peur me prend, père Martial, je penserai que je travaille pour
ma chère grand-mère, et ça me donnera du cœur.
— Tu es un brave enfant, Matthieu ; je te prendrai avec moi, et je don-
nerai vingt francs à ta grand-mère en partant.
— Merci, mon père Martial ; avec cela, elle pourra s’acheter une bonne
couverture pour son hiver. »
La bonne grand-mère eut bien de la peine à laisser partir son petit
enfant ; mais comme il était nécessaire qu’il s’accoutumât de bonne heure
au travail, elle le recommanda au père Martial, l’embrassa bien fort, et fit
dire une messe pour lui.
Matthieu resta quatre ans avec le père Martial, et finit par gagner
quarante-huit francs pour son année. Mais dans l’hiver de la cinquième
année, comme ils étaient à Paris, le père Martial fut renversé par une
grosse voiture ; on le porta à l’hôpital, et il y mourut.
Le pauvre Matthieu, resté seul, eut bien de la peine à gagner sa vie,
parce que l’on n’emploie guère que des maîtres ramoneurs. Il ne put rester
chez le logeur où il couchait avec le père Martial, car il en coûtait vingt-
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Contes et historiettes Chapitre XXXIX
cinq centimes par nuit, et c’était trop pour lui. Souvent le pauvre enfant,
ne trouvant rien à gagner, demandait son pain ; et bien souvent aussi on
ne lui donnait pas de quoi apaiser sa faim.
Le chagrin le prit, et il eut envie de retourner au pays retrouver sa
grand-mère ; mais l’idée de retomber encore à sa charge le retenait tou-
jours. Tout cela le rendait un peu malade.
Un jour qu’il neigeait bien fort, Matthieu s’arrêta devant la boutique
d’un maréchal, où flambait un bon feu. Cet homme s’étant aperçu que
l’enfant grelottait et pleurait de froid, le fit entrer pour qu’il se séchât.
Comme Matthieu pleurait encore après s’être réchauffé, on lui demanda
s’il avait du chagrin ; le pauvre petit avoua qu’il n’avait pas mangé depuis
la veille. Alors la femme du maréchal lui apporta du pain, de la viande
et un verre de vin ; il eut à peine dévoré ce qu’on lui avait donné, qu’il
s’endormit sur le tas de charbon où il s’était assis pour manger.
Il y resta quatre bonnes heures sans bouger, malgré le grand bruit que
faisaient les marteaux des ouvriers ; quand il s’éveilla, le maréchal lui dit :
« Tu as donc bien mal dormi cette nuit, petit ?
— Oh ! oui, monsieur ; j’ai tant de chagrin que je pleure au lieu de
dormir.
— Et pourquoi donc, petit ? conte-nous ça. »
Alors Matthieu raconta comment il avait perdu son maître, et combien
il avait de peine à vivre, malgré sa bonne volonté de gagner quelque chose
pour sa grand-mère.
« Eh bien ! petit, dit la femme du maréchal, si tu veux rester avec
moi, je te nourrirai et te coucherai. Tu feras mes commissions le matin ;
puis, après le déjeuner, tu iras décrotter les souliers des passants sur les
boulevards. »
Matthieu accepta de grand cœur. On lui acheta une boîte de décrotteur
avec du cirage et des brosses, et quand il avait fait ce qu’on lui commandait
à la maison, il allait en ville.
« Le premier jour, il rapporta cinquante centimes, qu’il remit à sa
maîtresse pour qu’elle les lui gardât.
« Allons, petit, lui dit-elle, c’est un bon commencement ; continue à
travailler ! avec du courage et de l’économie, l’on amasse toujours quelque
chose. »
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Contes et historiettes Chapitre XXXIX
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Contes et historiettes Chapitre XXXIX
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Contes et historiettes Chapitre XXXIX
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CHAPITRE XL
La désobéissance
T
déjeunaient ensemble sur la terrasse d’une
belle maison de campagne ; au bas de cette terrasse coule une
rivière qu’on appelle la Loue. Elle est très large en cet endroit,
et fait tourner les roues d’une forge qui étire le fer en fils fins comme du
coton à broder. De l’autre côté de la Loue, et en face de la maison, il y a
une belle montagne à moitié couverte de vignes, et dont le haut est plein
de rochers gros comme des églises.
La maison des petits enfants était dans l’ombre et le soleil éclairait la
montagne.
Hélène, l’aînée des trois, et qui avait sept ans, se trouvait sur le haut
du perron de la maison ; elle dit à sa petite sœur Suzanne :
« Mon Dieu ! que cette montagne est belle, et que je voudrais bien la
voir de près !
— Allons-y, ma sœur, dit résolument le petit Raymond, âgé de six ans :
je te conduirai bien, moi !
88
Contes et historiettes Chapitre XL
Hélène
Et Suzanne ? elle a de trop petites jambes pour nous suivre.
Hélène
« Je l’avais bien dit qu’elle ne pourrait pas nous suivre !
— Viens, ma petite, dit Raymond en la prenant par la main ; je trou-
verai bien une source, et nous boirons tous les trois. »
Ils arrivèrent à un passage, entre deux rochers hauts comme le clocher
du village. Comme le soleil commençait à leur faire mal, ils entrèrent dans
ce passage qui était tout plein d’ombre, et ils se trouvèrent bientôt dans un
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Contes et historiettes Chapitre XL
espace grand comme leur jardin et entouré de rochers droits comme des
murailles ; mais, au lieu d’être tout unis, ils étaient pleins de crevasses
d’où pendaient de belles guirlandes d’églantiers dont les fleurs embau-
maient l’air. Il y avait aussi des clématites et des vignes sauvages ; puis
encore de grosses touffes de spirées aux grandes feuilles plissées, dont les
fleurs ressemblent à des bouquets de plumes blanches. Les enfants ou-
blièrent leur soif en voyant toutes ces belles fleurs qu’ils auraient bien
voulu cueillir ; mais elles étaient placées trop haut pour que leurs petites
mains pussent y atteindre. Au bout de cette espèce de jardin sauvage, un
filet d’eau tombait des rochers et bouillonnait dans un petit bassin ; puis
cette eau allait se perdre dans les pierres.
Les trois enfants se désaltérèrent avec l’eau du bassin ; ensuite ils
s’amusèrent beaucoup à passer et repasser sous l’arcade que formait le
filet d’eau en tombant du haut de cette espèce de muraille. Ils firent aussi
des bouquets de belle bruyère rose. Sur une de ces bruyères Hélène trouva
une petite bête faite comme un grain de café. Son dos tout arrondi était
rayé de rouge et de noir, puis doré. Elle la posa sur sa main ; et la petite
bête était si légère, elle avait les pattes si fines, que l’enfant ne la sentait
pas marcher.
Hélène
« Voyez, petits ! voyez comme ma bête est belle !
Raymond
Donne-la-moi ! papa la piquera avec une grande épingle fine dans sa
boîte à fond de liège ; il n’en a pas de semblable.
Hélène
Mais je la donnerai bien moi-même à papa !
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Contes et historiettes Chapitre XL
Raymond
C’est à moi de la donner, puisque c’est moi qui y ai pensé.
Hélène
Non, monsieur, vous ne la donnerez pas ; d’ailleurs, la bête est bien à
moi. »
Comme Hélène disait cela d’un vilain ton rude, la petite bête souleva
la couverture rayée de son dos : deux ailes plus fines que la gaze sortirent
de dessous cette couverture, et elle prit son vol.
Raymond
« C’est bien fait !
Suzanne
Non, mon frère, ce n’est pas bien fait, puisque Hélène pleure ! »
Le petit garçon, honteux d’avoir fait pleurer sa sœur qu’il aimait beau-
coup, s’éloigna. Au bout d’un instant, il revint avec un bouquet de fraises
qu’il apportait à Hélène. Elle l’embrassa, et les trois enfants mangèrent les
fraises ; puis ils coururent vers l’endroit où Raymond les avait trouvées,
pour en cueillir d’autres. Suzanne jeta un reste de mie de pain qu’elle avait
conservé de son déjeuner afin d’avoir les mains libres, et elle fit aussi un
bouquet de fraises, où il y en avait de bien rouges, de roses, de vertes, et
d’autres enfin qui n’étaient qu’en fleur. Ils s’assirent sur le gazon, car ils
étaient bien fatigués.
Hélène
« Petits ! regardez donc cette fourmi qui emporte une mie de pain dix
fois grosse comme elle ! elle peut à peine la traîner. Pauvre petite bête !
la voilà qui rencontre en son chemin un morceau de bois, et elle ne peut
pas enlever sa mie pour la passer par-dessus.
91
Contes et historiettes Chapitre XL
Suzanne
Tiens ! elle la laisse.
Raymond
Voilà ses sœurs qui viennent pour l’aider. Regardez donc cette grande
route de fourmis ; comme elles vont et viennent ! c’est comme les paysans
sur la route de Pontarlier un jour de foire.
Hélène
Voilà ma fourmi ; je la reconnais bien. Elle arrête toutes celles qu’elle
rencontre. Voyez donc, elle les frappe avec ses deux petites cornes qu’elle
remue comme elle veut, et les fourmis qu’elle a frappées ainsi vont toutes
du côté de la mie de pain.
Raymond
Est-ce que tu crois qu’elle leur parle ?
Hélène
Il le faut bien, puisqu’elles vont chercher la mie de pain.
Suzanne
Oh ! que je voudrais donc savoir ce qu’elle leur dit ! ce doit être drôle
une fourmi qui parle ! »
Toutes les fourmis que la première avait frappées s’étant dirigées du
côté de la mie l’émiettèrent pour l’emporter.
Hélène
« En voilà une qui est bien complaisante ! voyez donc quelle peine elle
se donne pour aider à l’autre !
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Contes et historiettes Chapitre XL
Raymond
J’aime bien mieux celle qui vient de se laisser tomber du haut de cette
pierre, sans quitter la mie qu’elle tient entre ses pattes ; car, moi, j’aime le
courage ! ajouta le petit garçon en se grandissant.
Hélène
Moi, je préère la bonté.
Suzanne
Moi, j’aime mieux maman. »
Les trois enfants se levèrent enfin pour retourner chez eux ; mais ils
sortirent, sans s’en apercevoir, du côté opposé à celui par lequel ils étaient
entrés. Ils trouvèrent des fleurs nouvelles et les cueillirent.
Hélène
« Oh ! quel beau pied d’œillets sur la pente de ce rocher !
Suzanne
Je les veux pour maman qui les aime tant !
Raymond
Tu les auras, Suzanne. Mesdemoiselles, je vais m’étendre sur la roche,
et vous me tiendrez chacune par une jambe.
Hélène
Monsieur, je n’entends pas cela ; je ne souffrirai pas que vous alliez
jusqu’à cette touffe d’œillets qui est sur le bord du précipice, parce que
vous tomberiez. Que dirait maman ! et c’est si creux de l’autre côté, que
93
Contes et historiettes Chapitre XL
les vaches qui sont dans le bas ne paraissent pas plus grandes que ma
chatte.
Suzanne
Ils sentent si bon les œillets, et maman les aime tant.
Raymond
Hélène, papa dit qu’un homme qui a peur, ce n’est rien du tout ; et
moi, je veux être quelque chose. »
Alors l’intrépide petit garçon s’étendit sur le rocher qui était à la hau-
teur d’appui, allongeant son petit corps, puis son petit bras pour atteindre
les fleurs qui s’épanouissaient dans un creux où le vent avait apporté un
peu de terre. Les petites filles, à genoux, tenaient chacune un de ses pieds.
Raymond
« Tirez à vous, mesdemoiselles, j’ai les fleurs ! »
Et les petites tirèrent leur frère à elles jusqu’à ce qu’il pût se redresser.
Et suivant le rocher qui n’était pas plus élevé que le parapet du pont de
la Loue, ils arrivèrent auprès d’un gros pied de boule de neige sauvage. Un
oiseau en sortit effrayé. Hélène écarta le feuillage, et vit un nid où étaient
cinq petits.
Hélène
« Approchez tout doucement, petits, pour voir ces pauvres oisillons
qui n’ont pas encore de plumes et crient après leur mère.
Raymond
Ils ont l’air de souffrir, les pauvres petits !
94
Contes et historiettes Chapitre XL
Hélène
Certainement ils souffrent, et c’est nous qui en sommes cause, parce
que nous avons effrayé la petite mère qui les réchauffait. Allons-nous-
en. »
Ils tournèrent l’angle du rocher, et se trouvèrent dans une prairie qui
allait en pente sur le flanc de la montagne ; elle était plantée de ceri-
siers tout couverts de fruits. Une vieille femme, montée sur une échelle,
cueillait des cerises.
Raymond
« Oh ! les jolies cerises ! comme je vais en manger ! »
Et il voulut en prendre quelques-unes que la vieille avait laissées tom-
ber sur le gazon.
Hélène
« Raymond, je vous défends d’y toucher : ces cerises ne sont pas à
nous, et les enfants bien élevés ne touchent jamais à ce qui ne leur appar-
tient pas. »
Puis allant vers la vieille femme qui était toujours sur le haut de
l’échelle, elle lui dit en faisant la révérence :
« Madame, voulez-vous bien nous permettre de manger un peu de
ces cerises qui tombent sur l’herbe ; nous sommes bien fatigués, et nous
avons grand-soif.
La vieille
Oui, ma petite demoiselle ; mangez-en tant qu’il vous plaira, puisque
vous êtes si polie. »
Pendant que les enfants mangeaient les cerises, la vieille, ayant achevé
de remplir son panier, descendit de l’échelle ; puis elle la prit et la cacha
dans les broussailles au long du rocher ; ensuite elle s’approcha des en-
fants et leur dit :
« Mes petits amis, voulez-vous venir dans ma maison ?
95
Contes et historiettes Chapitre XL
Raymond
Nous le voulons bien, car le soleil nous grille. »
Ils la suivirent sur le haut de la montagne, et, ayant encore tourné
au coin d’un gros rocher, ils virent une vieille maison dont le toit était
couvert de pierres plates toutes cassées. Au lieu de vitres à la croisée, il
n’y avait que du papier huilé qui ne laissait presque pas entrer de jour, et
il faisait bien sombre dans l’intérieur.
La vieille voyant les enfants très fatigués, les mena dans un des coins
de la chambre où se trouvait un gros tas de paille de maïs : ils s’y éten-
dirent tous les trois en riant et furent bientôt endormis.
Au bout de deux heures, Suzanne se réveilla la première, et dit : « J’ai
faim ! » ce qui réveilla son frère et sa sœur.
La vieille qui faisait cuire une pleine marmite de gaudes, leur en donna
un peu. Les pauvres petits ne les trouvèrent pas aussi bonnes que celles
qu’on leur servait chez leur mère ; mais ils n’osèrent pas le dire.
Quand ils eurent fini de manger et qu’on leur eut donné à chacun un
verre d’eau à boire, Hélène, se tournant vers la vieille femme, lui dit :
« Madame, nous vous remercions bien d’avoir été si bonne pour nous ;
à présent nous allons nous en aller.
La vieille
Vous en aller, mes petits ! mais je n’entends pas cela ! je ne vous ai
pas donné mes cerises et mes gaudes pour rien : vous allez travailler pour
moi, car je ne veux pas nourrir de petits fainéants.
Hélène
Mais, madame, papa vous payera bien si vous voulez nous reconduire.
La vieille
Votre papa ! est-ce que vous avez seulement un papa ?
96
Contes et historiettes Chapitre XL
Raymond, en colère.
Oui, j’ai un papa, et un fameux papa, encore ! entendez-vous, la
vieille !
La vieille
Des enfants qui ont un papa ne courent pas les montagnes tout seuls ;
ils restent dans leur maison, ou bien ils se promènent avec leur bonne.
Hélène, en pleurant.
Mais, madame ? notre maman doit être bien inquiète. »
Suzanne, voyant pleurer sa sœur, pleura aussi.
La vieille
Qu’est-ce qu’il dit là ce petit vagabond, avec son armée noire ?
97
Contes et historiettes Chapitre XL
garder les vaches sur la haute-pierre ; et si vous ne travaillez pas bien tous,
vous n’aurez point de gaudes ce soir pour votre souper.
Raymond
Elles ne sont pas déjà si bonnes, tes gaudes ! on s’en passera bien.
La vieille
C’est ce qu’on verra quand tu auras bien faim, petit mutin ! »
Les pauvres petits se mirent à l’ouvrage, et la vieille leur donna le soir
une pleine assiette de gaudes pour eux trois.
Raymond
« Où vais-je donc coucher, la vieille, moi qui ne suis pas content de
ton souper ?
Suzanne
Et moi qui n’ai ni bonnet ni robe de nuit !
La vieille
Vous coucherez sur le tas de paille, dans ce coin là-bas. Les petits va-
gabonds n’ont pas besoin de lit ni de robe de nuit.
Les pauvres enfants qui s’étaient avancés pour parler à la vieille
femme, s’en retournèrent tristement dans leur coin, en se tenant par la
main.
Hélène
« Petits, il faut prier le bon Dieu. »
Et ils se mirent à genoux.
98
Contes et historiettes Chapitre XL
Hélène
« Il faut lui demander pardon.
Raymond
Pardon ! pourquoi donc ?
Hélène
Il faut demander pardon à Dieu, parce que nous avons été désobéis-
sants. Vous savez bien que maman nous avait défendu de sortir de la cour
tout seuls ; nous lui avons désobéi, et nous voilà bien punis.
Suzanne
Mais c’était pour cueillir des fleurs à maman.
Hélène
C’est égal, il ne fallait pas passer le pont sans sa permission. »
Après avoir demandé pardon à Dieu, en joignant leurs petites mains,
Raymond et Suzanne s’endormirent ; mais Hélène, qui était une vaillante
petite fille, chercha comment elle ferait le lendemain pour se sauver avec
les petits. Elle se souvint que quand elle était à l’ombre de sa maison,
regardant la montagne que le soleil éclairait à midi, elle l’avait le matin à
sa droite, et qu’il se couchait à sa gauche le soir. Elle se promit de chercher
le chemin de sa maison, et elle finit par s’endormir après avoir beaucoup
pleuré.
Hélène rêva qu’elle voyait sa mère sur le perron de la maison. Elle
était pâle et tout en larmes. Sa bonne et la cuisinière couraient de tous
côtés. Puis Jean le cocher galopait à cheval sur la route d’Ornans, pendant
que le valet de chambre allait sur celle de Pontarlier. Son père était dans
le bateau avec plusieurs forgerons, cherchant dans la rivière le corps des
petits enfants ; et sa figure était si bouleversée qu’on avait bien de la peine
à le reconnaître.
99
Contes et historiettes Chapitre XL
La vieille
« Alerte ! petits paresseux ! vite à l’ouvrage ! » Et elle les secoua pour
leur faire ouvrir les yeux. Les pauvres enfants s’éveillèrent enfin, tout
brisés d’avoir couché sur un lit si dur.
Raymond
Qui donc va nous laver ?
Suzanne
Et qui fera mes bandeaux et mes nattes ?
La vieille
On n’en cherche pas si long quand il faut gagner sa vie ; voici un reste
de gaudes que vous allez manger ; puis vous vous remettrez à égrener le
maïs. Toi, la grande, tu vas mener la vache aux champs ; pendant qu’elle
broutera, tu ramasseras toute l’herbe que tu pourras arracher entre les
rochers, et tu l’apporteras ici pour son repas de midi.
Hélène mouilla ses mains avec un peu d’eau et lissa les bandeaux de
sa sœur sans défaire les nattes. Elle secoua les cheveux frisés de Raymond
pour en faire tomber la paille dont ils étaient remplis ; puis elle sortit avec
la vieille.
Quand elle fut sur la haute-pierre, c’est ainsi qu’on appelle le sommet
de la montagne, elle chercha de quel côté était le soleil ; puis la vieille étant
allée cueillir des cerises, Hélène tourna autour du rocher en se plaçant de
façon à avoir le soleil levant à sa gauche pour être en face de sa maison
qui était toujours à l’ombre à midi. Elle fut bien étonnée d’apercevoir la
forge à ses pieds, car elle ne s’en croyait pas aussi proche.
100
Contes et historiettes Chapitre XL
Sa mère était sur le perron comme elle l’avait vue en rêve ; son père
conduisait le bateau avec des forgerons ; mais tout ce monde ne lui pa-
raissait pas être plus grand que sa poupée. Elle cria de toutes ses forces :
« Maman ! Papa ! nous ne sommes pas perdus ! venez nous chercher tout
de suite ! » Mais sa voix se perdait dans l’air ; elle se trouvait trop élevée
au-dessus de sa maison pour qu’on pût l’y entendre.
Alors elle acheva de cueillir de l’herbe pour le dîner de la vache, ainsi
que la vieille le lui avait recommandé. Elle en fit un gros paquet, le mit sur
sa tête quand elle vit revenir la vieille apportant les cerises qu’elle avait
cueillies.
En rentrant dans la vilaine maison, Hélène trouva les pauvres petits
tout tremblants ; ils avaient eu peur en se voyant tout seuls pendant aussi
longtemps, et leurs yeux étaient gonflés à force d’avoir pleuré.
La vieille étant satisfaite de l’ouvrage qu’ils avaient fait, leur donna
des gaudes pour déjeuner avec quelques cerises.
La vieille
J’ai besoin d’aller vendre mon beurre à Haute-Pierre-le-Mouthier. Je
vais vous donner votre tâche, et si je ne suis pas contente de vous, vous
n’aurez pas à souper.
Raymond regarda Suzanne et se mit à pleurer.
Hélène accompagna la vieille jusqu’à l’endroit où elle avait laissé la
vache. Elle remarqua bien le sentier que suivait cette femme, et quand elle
la vit au bas de la montagne, sur la grande route qui allait à Haute-Pierre-
le-Mouthier et qui passait devant la forge, elle rentra dans la cabane et
courut embrasser les petits.
Hélène
Vite ! vite ! mes chéris ! sauvons-nous !
Et les prenant par la main, elle les entraîna vers le sentier. Ils descen-
dirent le plus promptement qu’ils purent. Quand ils furent arrivés au bas
de la montagne, ils se sentaient bien las ; mais cela ne les empêcha pas de
traverser la route et de passer le pont en courant de toutes leurs forces ; ils
101
Contes et historiettes Chapitre XL
ne s’arrêtèrent que quand ils se virent dans leur cour. Alors ils fermèrent
la grille, tant ils avaient peur que la vieille ne vînt les reprendre.
Ne rencontrant personne ni dans la cour, ni sur la terrasse qui était
fort grande, ils entrèrent dans la maison dont toutes les portes étaient
ouvertes ; mais personne dans le salon, personne dans le billard, ni dans
la bibliothèque, ni même dans la cuisine. Ils montèrent le grand escalier
et allèrent droit au parloir de leur mère dont la porte était ouverte aussi.
Elle était à genoux et disait : « Mon Dieu ! rendez-moi mes petits !
— Nous voilà ! maman, nous voilà ! » crièrent-ils tous ensemble. Et ils
sautèrent sur ses épaules, l’une embrassant ses cheveux, l’autre son cou,
Raymond lui tirant le bras pour lui baiser la main.
En entendant ces petites voix chéries, la pauvre mère se leva vivement,
les prit tous les trois dans ses bras et les serra sur son cœur ; puis elle
devint bien pâle et tomba sur le divan.
Raymond et Suzanne montèrent auprès de leur mère, et pressant leurs
petites mains sur ses joues froides, ils baisaient ses paupières fermées.
Raymond et Suzanne
Maman ! maman ! parle-nous ! Ne sois plus fâchée, ma petite maman,
nous avons été bien malheureux, va !
Pendant ce temps-là Hélène était sur le balcon, criant : « Au secours !
au secours ! »
Le père des petits enfants passait pour la quatrième fois avec son ba-
teau devant la maison. Il entendit les cris d’Hélène, et, levant la tête, il
l’aperçut. Sauter hors du bateau, monter quatre à quatre les degrés de
l’escalier et arriver auprès des enfants, ce fut l’affaire d’un instant. La
mère ouvrit bientôt les yeux et ils furent tous bien heureux de se revoir.
Après s’être embrassés, avoir ri et pleuré tout à la fois, les enfants
racontèrent ce qui leur était arrivé sur la montagne ; et ils parlaient tous
ensemble.
102
Contes et historiettes Chapitre XL
Raymond
Papa, il faut envoyer l’armée noire prendre cette voleuse d’enfants et
la mettre en prison !
Le père
Non, vraiment ! mon enfant ; bien loin de lui faire de la peine, je
veux au contraire lui donner une récompense ; car si elle ne vous eût pas
fait manger quand vous vous êtes perdus, que seriez-vous devenus, mes
pauvres petits ?
Suzanne
Mais, savez-vous bien, papa, qu’elle nous a fait travailler comme de
petits malheureux !
Hélène
Mais, papa, elle nous a appelés vagabonds !
Et la pauvre petite ne put retenir ses larmes à ce souvenir.
Le père
N’avait-elle pas un peu raison, mes petits amis ? cette femme pouvait-
elle croire que des enfants bien élevés, qui aiment le bon Dieu, leur papa
et leur maman, courussent tout seuls sur la montagne ?
Raymond
Papa, vous viendrez avec nous la voir, cette montagne ; elle est bien
belle, allez !
Le père
Je la connais depuis longtemps mon enfant !
103
Contes et historiettes Chapitre XL
La mère
Mais moi, je veux y aller chercher les beaux bouquets que mes enfants
ont faits pour moi.
Suzanne
Maman, il faudra emporter du sucre pour manger les bonnes fraises
du rocher.
Hélène
Quoique la montagne soit bien belle, ne craignez pas, maman, que
nous allions maintenant la voir tout seuls ! Nous avons bien senti que de
pauvres petits enfants sans leur mère ne sont rien du tout ! Nous sommes
si fâchés d’avoir été désobéissants et de vous avoir fait un si grand cha-
grin, que nous ne recommencerons plus jamais.
104
CHAPITRE XLI
L’ange gardien
M
A une petite fille de six ans, très pieuse et
très soumise. Elle écoutait avec attention tout ce que lui di-
sait sa bonne mère, et ne connaissait d’autre plaisir que de
la contenter en toutes choses. Aussi sa maman l’aimait-elle beaucoup et
lui donnait-elle tout ce qui pouvait lui faire plaisir. Elle lui apprenait de
belles prières que l’enfant répétait de tout son cœur. Il en était une, entre
autres, qu’elle ne manquait jamais de faire tous les soirs avant de s’endor-
mir, pour invoquer son ange gardien, afin qu’il étendît ses blanches ailes
sur son petit lit pour la protéger contre toute espèce de malheurs.
Marthe était très propre et très rangée. Dans un coin de l’antichambre
se trouvait la porte d’un cabinet où MᵐᵉAuclert serrait les confitures, les
biscuits, la provision de sucre, de café et de chocolat, enfin toute espèce
de friandises. Elle avait cédé la moitié de ce cabinet à sa petite fille pour
mettre ses joujoux, et Marthe y passait une bonne partie du temps où elle
ne travaillait pas. Alors elle rangeait le trousseau de sa poupée, mettait en
105
Contes et historiettes Chapitre XLI
ordre ses petits ménages, et jouait avec tous ses joujoux qu’elle soignait
beaucoup. C’était là aussi qu’elle s’amusait avec ses amies quand elles
venaient la voir.
Comme Marthe était une petite fille bien élevée, sa mère, pleine de
confiance en elle, n’ôtait jamais la clef de son armoire aux provisions ; et
même, quand les domestiques avaient besoin de sucre, de chocolat ou de
quelque plat de dessert, c’était fort souvent Marthe qui était chargée de les
leur donner. Il arrivait bien que ses petites amies l’engageaient à prendre
quelque chose dans cette armoire pour faire la dînee ; mais Marthe ne
permit jamais qu’on l’ouvrît ; elle en ôtait même la clef pour la porter à sa
mère, afin qu’elle donnât elle-même ce qu’elle jugerait convenable pour
son goûter et celui de ses amies.
MᵐᵉAuclert était si heureuse d’avoir une petite fille aussi sage, qu’elle
l’emmenait presque toujours avec elle partout où elle allait, bien sûre que
Marthe ne serait ni gourmande, ni importune.
Un dimanche, Marthe passa une partie de la matinée à épousseter ses
joujoux et à les ranger. L’heure de la promenade approchant, elle mit toute
seule son chapeau et son mantelet ; puis, prenant son ombrelle, elle alla
dans la chambre de sa bonne voir si elle était prête à sortir ; mais cette fille
n’étant pas encore habillée, Marthe, qui n’avait pas fini ses rangements,
retourna dans le cabinet. Pendant ce temps-là, une amie de MᵐᵉAuclert
vint lui demander si elle voulait venir faire une visite à la campagne avec
elle, ce qui fut accepté sur-le-champ ; et comme la voiture était à la porte,
MᵐᵉAuclert s’empressa de descendre. En passant par l’antichambre elle
vit la porte du cabinet ouverte ; et, croyant sa fille à la promenade, elle
ferma cette porte, ôta la clef, qu’elle plaça sur une étagère, et partit.
Quand la bonne eut terminé sa toilette, elle entra au salon, pensant
y trouver Marthe ; mais ne l’y voyant pas, elle s’imagina que sa mère
l’avait emmenée comme il arrivait souvent, et elle alla se promener avec
ses camarades.
Marthe était si occupée de mettre une belle robe de bal à sa grande
poupée, qu’elle n’entendit pas fermer la porte du cabinet où elle était ; et
une heure se passa avant qu’elle songeât à la promenade. Quand elle eut
assez joué, elle voulut aller retrouver sa bonne, mais il lui fut impossible
d’ouvrir la porte ; elle appela de toutes ses forces : personne ne répondit.
106
Contes et historiettes Chapitre XLI
Alors elle se mit à pleurer. Puis vint l’heure de son goûter, et la faim se fit
sentir ; elle attendit encore un peu, et essaya de s’amuser avec son beau
ménage de porcelaine dorée ; mais ses joujoux ne l’intéressaient plus. Sa
faim augmentant, elle ouvrit l’armoire aux provisions, et prit une boîte
de biscuits ; puis, au moment de l’ouvrir, elle se dit qu’elle n’avait pas la
permission d’en prendre ; alors elle essaya de voir dehors s’il ne passait
pas quelqu’un de sa connaissance ; mais l’œil-de-bœuf qui éclairait le ca-
binet était placé si haut, qu’elle ne put y atteindre, quoiqu’elle eût mis sa
petite chaise sur la table où étaient ses joujoux.
Les heures et les demi-heures sonnaient à l’horloge de la ville, et
Marthe les trouvait bien longues à passer. Elle se demandait en pleurant
ce qu’était devenue sa bonne. Elle ne comprenait pas qu’une maman ou-
bliât ainsi la petite fille qu’elle aimait tant. Elle se mit à genoux et récita
toutes ses prières, surtout celle à son ange gardien ; puis ayant trouvé un
de ses petits livres parmi ses joujoux, elle se mit à lire ; mais les larmes lui
troublaient la vue, et elle ne trouvait plus aucun charme au conte de la
Chae blanche, ni à celui de Peau d’Âne, qui l’amusaient tant d’ordinaire.
La faim se fit sentir de nouveau et si fort que, n’y pouvant plus résister,
Marthe ouvrit encore l’armoire et prit du chocolat. « Maman, pensa-t-elle,
en donnerait bien à un pauvre qui aurait grand-faim ; elle n’en refuserait
certainement pas à sa petite fille. » Ensuite elle mangea quatre biscuits,
puis elle eut soif. Comment faire pour boire ? il n’y avait dans l’armoire
que des liqueurs et des sirops. Heureusement elle se rappela que sa mère
avait fait de l’eau de groseille sans sucre ; elle en prit une petite bouteille ;
mais elle n’avait pas de tire-bouchon pour l’ouvrir. Alors elle pria son
ange gardien de venir à son secours. Après un moment de réflexion, elle
cassa le cou de la bouteille et fit jaillir de l’eau de groseille partout sur sa
jolie robe de coutil de laine gris. À l’instant de boire, elle se rappela que
son père défendait qu’on servît ce qui restait dans les bouteilles qui se
cassaient par accident, parce qu’il craignait qu’il n’y eût quelques petits
morceaux de verre, et qu’il était très dangereux d’en avaler. Marthe se
trouva donc encore bien embarrassée ; pourtant elle s’avisa d’appliquer
son mouchoir sur le goulot cassé de la bouteille, et elle but tranquille-
ment. Se sentant un peu soulagée, elle se remit à lire. Le jour baissa, et
l’obscurité se fit dans le cabinet. Marthe se remit à genoux et pria encore.
107
Contes et historiettes Chapitre XLI
Elle eut peur de se trouver ainsi toute seule : ses pleurs recommencèrent ;
puis elle écouta les bruits de la rue. Si quelqu’un passait auprès de la porte,
elle espérait que peut-être c’était la bonne qui rentrait ; mais on allait plus
loin, et l’enfant pleurait encore. Quand une voiture roulait dans le voisi-
nage, elle pensait que c’était celle qui ramenait sa mère, car elle avait bien
entendu qu’on était venu la prendre pour aller à la campagne ; mais la voi-
ture s’éloignait, et le cœur de la petite fille se gonflait encore davantage.
Alors Marthe, s’imaginant qu’elle était abandonnée du monde entier, san-
glota bien plus fort ; puis elle se mit à genoux auprès de sa petite chaise
et pria son ange gardien :
« Ô mon bon ange ! s’écria-t-elle en pleurant à chaudes larmes, éten-
dez vos belles ailes blanches sur une pauvre petite fille abandonnée !
regardez-moi toujours ! ne me quittez pas des yeux, car j’ai peur ! La nuit
vient et je n’ai pas de lumière. Mon ange gardien, approchez-vous bien
près : j’ai peur ! j’ai peur ! »
Elle répéta si souvent sa prière qu’elle s’endormit de fatigue, mais en
pleurant toujours.
La bonne rentra : elle prépara le coucher de sa maîtresse et celui de
Marthe, puis elle fit ses prières en attendant leur retour.
À dix heures, la voiture qui avait emmené MᵐᵉAuclert la ramena. En
quittant son amie, elle la remercia de la bonne journée qu’elle lui avait
procurée ; car MᵐᵉAuclert avait eu beaucoup de plaisir au château d’où
elle revenait.
Comme la bonne ne fermait pas la porte après le départ de la voiture,
MᵐᵉAuclert lui demanda ce qu’elle attendait.
« Mais, j’attends Mˡˡᵉ Marthe !
— Comment ! Marthe n’est pas couchée ?
— Madame l’a bien emmenée avec elle ?
— Mais non. Quoi ! ma fille n’est pas ici ? Ma fille ! ma fille ! cria la
pauvre mère en s’élançant dans l’escalier, comme si elle eût perdu la rai-
son ; ma fille, où es-tu ? »
On fouilla toute la maison sans trouver l’enfant. Après avoir cherché
partout, la bonne se ravisant, dit que Marthe pourrait bien être dans le
cabinet aux joujoux.
« C’est impossible, j’en ai ôté la clef moi-même. »
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Contes et historiettes Chapitre XLI
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CHAPITRE XLII
La boudeuse
E
charmante petite fille, mais elle ne pouvait sup-
porter la moindre contrariété ; si quelque chose n’allait pas à sa
guise, elle se mettait dans un coin, ne parlait plus, ne répondait
à personne, et enfin boudait pendant des journées entières.
Quand elle jouait avec sa sœur et leurs petites amies, il fallait que
tout allât à sa fantaisie ; autrement elle boudait et gâtait tout le plaisir
des autres. Comme Estelle était fort aimable quand elle le voulait bien, on
l’aimait malgré son vilain défaut ; mais pourtant, si elle exigeait des choses
qui déplaisaient trop à ses compagnes, celles-ci la laissaient bouder à son
aise. Mᵐᵉ Savigny, la mère d’Estelle, avait tout employé pour corriger sa
fille ; mais caresses et punitions, tout avait été inutile.
Un jour, le parrain de la sœur d’Estelle apporta un charmant petit né-
cessaire à sa filleule, qu’il aimait beaucoup. Estelle l’admira et pria sa mère
de lui en acheter un semblable. Mᵐᵉ Savigny lui répondit qu’elle n’avait
pas d’argent pour faire cette dépense, et qu’il valait bien mieux employer
110
Contes et historiettes Chapitre XLII
ses économies à acheter des chapeaux frais à ses deux filles, pour rem-
placer les leurs qui étaient fanés. L’enfant insista ; mais sa mère, après
lui avoir répété qu’elle ne ferait pas une chose déraisonnable, alla vaquer
à ses occupations, et laissa Estelle tout en larmes. Sa sœur, la voyant si
désolée, lui dit :
« Ne t’afflige pas, ma bonne Estelle ; ce nécessaire sera à nous deux ;
nous nous en servirons chacune à notre tour.
— Non : j’en veux un tout à moi !
— Mais ce sera absolument la même chose : tu l’auras un jour et moi
l’autre.
— Ce n’est pas comme s’il était à moi toute seule.
— Pourtant, ma sœur, si c’était à toi qu’on l’eût donné, tu me l’eusses
bien prêté, je pense ?
— S’il était bien à moi, j’en disposerais à ma guise, et je le garderais
pour moi toute seule quand il me plairait de te le refuser.
— C’est bien mal ce que tu me dis là, Estelle !
— Si tu voulais me le donner, toi à qui il n’a pas l’air de faire grand
plaisir ?
— C’est impossible, puisque c’est mon parrain qui me l’a donné ! Tu
sais bien que ne pas conserver ce qu’on vous donne, c’est manquer à l’ami-
tié : mon parrain serait fâché, et il aurait raison.
— Si tu avais un bon cœur, tu ne trouverais pas toutes ces raisons de
me refuser ce que je te demande.
— Mais, Estelle, tu n’es pas raisonnable du tout ! »
Estelle, impatientée de ce que sa sœur ne voulait pas lui donner son
nécessaire, le lui arracha des mains et le jeta au loin. Heureusement que
l’autre petite fille était fort agile : elle rattrapa la jolie petite boîte avant
qu’elle fût tombée à terre, où bien certainement elle se serait brisée. Alors
Estelle quitta la chambre en disant :
« Tu t’en repentiras ! »
Ceci se passait le matin, pendant la récréation des petites filles. Peu de
temps après, le maître de piano arriva, et la sœur d’Estelle prit sa leçon.
Quand elle l’eut terminée, elle appela sa sœur pour venir prendre la sienne
à son tour ; mais Estelle ne répondit pas. Sa bonne la chercha dans toute
la maison et ne put la trouver. Comme M. Savigny venait de monter en
111
Contes et historiettes Chapitre XLII
voiture pour aller faire une petite course à la campagne, on supposa qu’il
avait emmené sa fille pour la consoler un peu, car il la gâtait beaucoup ;
et Mᵐᵉ Savigny l’excusa auprès du maître de piano.
Le père rentra juste au moment où l’on se mettait à table, et sa pre-
mière parole, en entrant dans la salle à manger, fut pour demander Estelle.
« Mais, papa, vous l’avez bien emmenée avec vous ?
— Non, vraiment ! je ne l’ai pas vue depuis le déjeuner. »
La mère survint et fut très effrayée de ne pas voir Estelle avec son
père. On ne pensa plus au dîner qui était servi. Chacun courut de son
côté, serviteurs et maîtres ; et l’on recommença à chercher dans la mai-
son avec le plus grand soin. M. Savigny alla chez tous ses parents, chez
tous ses amis, chez toutes ses connaissances : personne n’avait vu Estelle,
personne n’en avait entendu parler !
M. et Mᵐᵉ Savigny étaient au désespoir. La sœur d’Estelle ne se par-
donnait pas de lui avoir refusé son nécessaire, ne doutant pas que son
refus eût été la cause du départ de sa sœur.
« Maudit nécessaire ! s’écria-t-elle en pleurant, je voudrais ne t’avoir
jamais vu ! C’est une bien malheureuse idée qu’a eue là mon parrain, de
m’apporter ce joli bijou qui m’a privée de ma sœur chérie ! »
Pendant tout ce temps-là, Estelle était derrière le lit de sa mère, cachée
par les rideaux qu’on ne fermait jamais. Elle s’était mise là pour bouder
plus à son aise, et personne ne s’avisa de l’y aller chercher. Elle entendit
bien qu’on l’appelait pour prendre sa leçon de piano ; mais comme elle
était de mauvaise humeur, elle ne répondit pas et laissa partir le maître.
Plus tard, quand elle vit l’agitation que causait son absence, elle ne dit
rien non plus, voulant punir sa mère et sa sœur de lui avoir refusé un
nécessaire.
Quand M. Savigny revint à l’heure du dîner, Estelle, qui n’avait pas fait
son petit goûter comme à l’ordinaire et qui avait grand-faim, fut tentée
d’aller se mettre à table avec les autres : mais la mauvaise honte la retint.
Elle ne savait comment paraître dans la salle à manger, ni comment s’ex-
cuser de s’être fait chercher si longtemps. Elle préféra supporter la faim
qui lui tiraillait l’estomac, et la soif qui desséchait son gosier. Alors elle
commença à réfléchir sur son vilain défaut ; elle comprit qu’elle était de-
venue insupportable à tout le monde, et que, si elle continuait à bouder
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Contes et historiettes Chapitre XLII
à propos de tout, personne ne voudrait plus vivre avec elle. Cette idée
d’être délaissée par tout le monde la fit pleurer. Il était nuit : affaiblie par
la faim, elle glissa à terre et s’endormit.
Elle fut réveillée par la voix de sa mère, qui criait dans le délire de sa
fièvre :
« Estelle ! ma fille ! mon enfant chérie ! où es-tu ? Reviens, ma fille ! Je
veux te voir ! Si tu ne reviens pas, je mourrai ! »
Comme Estelle aimait beaucoup sa mère, elle eut un grand chagrin
de la voir dans un semblable état, et son premier mouvement fut de cou-
rir l’embrasser. Ce baiser réveilla Mᵐᵉ Savigny en sursaut ; elle crut rêver
en voyant sa fille devant elle ; et, la saisissant avec vivacité, elle poussa
des cris comme si elle fût devenue folle. Estelle eut peur ; et comme sa
mère la serrait au point de lui faire mal, elle cria aussi ; M. Savigny et sa
fille accoururent, suivis des domestiques ; chacun fut bien heureux de re-
voir Estelle qu’on avait crue perdue. Le premier moment de joie passé, on
s’occupa de Mᵐᵉ Savigny dont l’état était alarmant. Estelle, au désespoir
d’être cause des grandes souffrances de sa mère, se mit à genoux dans un
coin de la chambre, demandant pardon à Dieu, la tête baissée et tout en
larmes.
Enfin cette crise se calma. Quand Mᵐᵉ Savigny fut revenue à elle, sa
première pensée fut pour Estelle qui était déjà auprès de son lit ; et elles
ne se lassaient point de s’embrasser l’une et l’autre.
« Ô maman ! dit Estelle en l’embrassant encore, que tout soit oublié, je
vous en prie ! Vous pouvez être certaine que je ne bouderai plus jamais ;
je vous le promets ! j’ai bien eu trop de chagrin de vous voir si inquiète et
si malade ! Cela m’a fait comprendre combien j’étais coupable de ne pas
vouloir me corriger. »
La sœur d’Estelle l’emmena dans la chambre qui leur était commune,
et lui présentant son nécessaire, elle lui dit :
« Prends-le, ma chère Estelle, prends-le puisqu’il te fait tant de plaisir !
Mon parrain en dira ce qu’il voudra ; mais je ne veux plus que tu aies un
si grand chagrin.
— Non, ma sœur ! garde ton nécessaire. Tu avais raison de dire que tu
manquerais à ton parrain en me donnant le cadeau qu’il t’a fait. J’ai pensé
à bien des choses, va ! pendant que j’étais cachée derrière les rideaux de
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Contes et historiettes Chapitre XLII
maman qui souffrait tant à cause de moi ! et je vous trouve tous bien bons
de m’aimer encore. Chaque fois que je verrai cette jolie petite boîte, je
songerai à ce qui est arrivé hier, et cela me fera passer l’envie de bouder
si elle me reprenait encore. »
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CHAPITRE XLIII
Le petit voleur
L
petit épicier que tout le monde estimait à cause
de sa probité. On savait qu’il n’avait jamais trompé personne ;
et quand les pauvres ouvrières qui n’ont pas le temps de faire
leurs commissions elles-mêmes envoyaient leurs petits enfants chez Lon-
guet, il leur faisait toujours bon poids, et leur donnait quelque amande ou
quelque pruneau pour leur faire plaisir.
Jules, fils unique de cet honnête homme, était un enfant très intelli-
gent et surtout très rusé ; mais il annonça dès son enfance un penchant
pour le vol. Il avait à peine cinq ans que, tout en montant sur les genoux
de son père pour l’embrasser, il mettait adroitement sa petite main dans la
poche du gilet et y prenait quelques menues monnaies. L’épicier s’aper-
cevait bien de ce petit larcin ; mais il en riait avec sa femme : et l’enfant,
heureux du succès de sa ruse, allait chez le confiseur acheter des bonbons.
Mᵐᵉ Longuet avait avec elle une de ses sœurs, pauvre fille contrefaite
et de mauvaise santé qu’on appelait tante Monique, et que tout le monde
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Contes et historiettes Chapitre XLIII
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Contes et historiettes Chapitre XLIII
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Contes et historiettes Chapitre XLIII
ligent, s’y distingua bien vite, et le notaire était fort content de lui.
Il y avait à peine trois mois que Jules était dans cette étude, quand
on vola la montre d’argent du premier clerc. Cela fît grand bruit dans la
petite ville. On en parlait au café un jour de marché ; un voisin de M.
Longuet, se trouvant là par hasard, dit qu’il n’était pas étonnant que le
maître clerc eût perdu sa montre puisque Jules Longuet demeurait avec
lui. Alors il raconta l’histoire du malheureux garçon, augmentée de toutes
les exagérations de la médisance. Tous ces propos étant parvenus aux
oreilles du notaire, il remercia Jules, qui revint désespéré chez son père.
« Mon enfant, lui dit celui-ci, jure-moi que tu n’as pas pris cette
montre !
— Mon père, je ne l’ai pas prise, je vous le jure ! »
Et Jules disait la vérité : car, quelques jours après, M. Longuet reçut
une lettre d’excuse du notaire, racontant que la montre avait été trouvée
dans les hardes de la servante.
« Que faire maintenant ? dit la mère tout en larmes.
— Il faut garder Jules avec nous, répondit tante Monique ; nous l’ai-
derons à supporter sa punition, car nous sommes bien un peu coupables
de ses fautes. »
Jules renonça à la carrière qu’il avait en perspective pour travailler
avec son père. Longtemps on le regarda avec prévention ; et ce ne fut
qu’après plusieurs années de travail assidu et de conduite exemplaire qu’il
parvint à faire oublier les fautes de sa première jeunesse.
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CHAPITRE XLIV
La petite paresseuse
M
. P, cordonnier qui avait une boutique bien
achalandée, était père de quatre enfants.
Eugénie, l’aînée, âgée de douze ans, était extrêmement pares-
seuse. Sa mère lui confiait souvent la garde de ses petits frères, pendant
qu’elle-même surveillait les ouvrières qui bordaient les souliers et pi-
quaient les bottines ; mais Eugénie, au lieu de s’occuper des enfants, se
mettait à la fenêtre ou bien s’asseyait sur sa petite chaise ; et comme il
était fort ennuyeux de ne rien faire, la petite fille s’assoupissait ordinaire-
ment. Pourtant elle dormait bien toutes les nuits, et le matin sa mère avait
mille peines à l’éveiller. Si on la chargeait de surveiller le pot-au-feu ou
bien la casserole où cuisait le dîner de sa famille, elle n’y faisait aucune
attention. Le pot bouillait trop fort et le bouillon se perdait, ou bien le
ragoût brûlait.
Le père de cette petite fille la grondait souvent à cause de sa paresse, et
même il la battait quelquefois ; mais rien n’y faisait. Cette enfant était tou-
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Contes et historiettes Chapitre XLIV
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CHAPITRE XLV
L’enfant gâté
L
C était un enfant très gâté par sa belle-mère, qui
ne souffrait pas qu’on le contrariât en rien, et sa bonne faisait
tout ce qu’il voulait. M. Nizerolles, son père, avait beau dire
qu’en l’élevant ainsi l’on en ferait un enfant insupportable, on ne l’écou-
tait pas et l’on continuait à faire toutes les volontés de Charles.
Quand il jouait dans la chambre où sa bonne et sa belle-mère tra-
vaillaient, Charles disait en pleurant :
« Maman, Solange me regarde !
— Mon enfant, c’est qu’elle a du plaisir à te voir.
— Je ne veux pas qu’elle me regarde, moi !
— Solange ! je vous défends de regarder cet enfant, puisque cela l’en-
nuie. »
Alors la bonne continuait à travailler sans lever les yeux.
Charles criait de nouveau :
« Maman ! Solange ne me regarde pas !
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Contes et historiettes Chapitre XLV
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Et en parlant ainsi il avait pris sa petite sœur dans ses bras et faisait
mille enfantillages pour la faire rire. « Maman, je vous aiderai à bien aimer
ma sœur ; il faut même l’aimer plus que moi, car elle en a besoin ; elle est
si petite ! »
Charles s’informa du garçon couvreur qui s’était autrefois démis
l’épaule, et voulut lui faire un petit cadeau sur ses économies. Sa tante
vint dîner, amenant ses deux fils pour jouer avec Charles. Elle dit qu’ils
iraient au lycée avec lui puisqu’on y élevait si bien les enfants, et qu’elle
était charmée que ses fils apprissent qu’on peut toujours se corriger quand
on a bonne envie.
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CHAPITRE XLVI
L’enfant perdu
M
. D, officier, allait en semestre avec sa femme et
son enfant, un gentil petit garçon de trois ans. Ils avaient à
faire une longue route, et devaient passer trois jours et deux
nuits en diligence. M. Desnues s’assit en face de sa femme, et chacun
d’eux, à son tour, tenait sur ses genoux le petit René, qui voulait toujours
regarder par la portière. Cet enfant remuait sans cesse et fatiguait extrê-
mement la personne qui s’occupait de lui ; mais il était si heureux de voir
la campagne et tout ce qui se rencontrait sur la route, que sa mère ne se
plaignait pas de la fatigue qu’il lui donnait, bien qu’elle fût excessive. La
nuit, elle tenait René endormi sur ses bras, et ne le donnait à son mari
qu’alors qu’elle ne pouvait plus le soutenir.
La seconde nuit, M. Desnues lui dit :
« Ma chère amie, René dort mal sur nos bras ; je vais plier mon man-
teau de façon à en former une espèce de couchette dont chaque extrémité
posera sur nos genoux, et l’enfant s’y étendra à son aise. »
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Contes et historiettes Chapitre XLVI
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Contes et historiettes Chapitre XLVI
bientôt. »
Après le déjeuner où l’enfant, pensant toujours à sa mère, ne mangea
pas beaucoup, Sylvine, le prenant dans ses bras, s’en alla porter le reste
du pain blanc à son père, qui demeurait dans le village, chez son fils aîné.
Le vieillard était assis à la porte, sur un banc ombragé d’une treille. Du
plus loin qu’il vit venir sa fille, il lui dit :
« Sylvine, où as-tu donc pris cet enfant ?
— Sur la grande route, mon cher père. »
Et elle lui raconta l’aventure de la nuit précédente.
« Ma fille, ses parents doivent être dans une inquiétude mortelle ; il
faut le leur reconduire sans retard.
— Mais où les trouver, mon père ?
— Où demeures-tu, petit ?
— Moi ! je demeure à Metz.
— Ah ! mon Dieu, s’écria le vieillard ; c’est très loin d’ici. Mais où
allais-tu donc, mon enfant ?
— J’allais chez grand-père.
— Où demeure-t-il donc, ton grand-père ?
— Il demeure dans une belle maison au milieu d’un jardin, bien loin
de la ville. »
René n’en sut pas dire davantage.
« Comment faire ? » dit le vieillard, en appuyant son front chauve sur
sa main.
Alors Sylvine, toute bonne qu’elle était, eut une mauvaise pensée.
« Mon père, dit-elle, je le garderai ; le bon Dieu n’a-t-il pas eu pitié de
ma peine en le mettant sur mon chemin ?
— Ma fille, éloigne cette tentation-là ; car le garder serait un véritable
crime.
— Oh ! mon père, si vous saviez comme je l’aime déjà ! »
Il fut convenu, malgré elle, que Jacques irait dans la journée à cette
même ville où M. Desnues avait inutilement demandé des nouvelles de
son enfant, et qu’il s’informerait des parents de René. Les démarches
furent sans résultat. Il rentra tout décontenancé, et Sylvine se réjouit dans
son cœur de ce qu’on ne retrouvait pas les parents du petit.
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Contes et historiettes Chapitre XLVI
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Contes et historiettes Chapitre XLVI
Pendant qu’on la faisait revenir à elle, l’officier acheta tous les légumes
de Jacques, qui les porta dans la cuisine, tandis que M. Desnues faisait
atteler une mauvaise carriole qui se trouvait dans la cour. Il dit à Jacques
d’y monter avec lui et de le mener où était son fils.
La pauvre mère, entendant cela, voulut aller aussi retrouver son en-
fant, quelque prière qu’on lui fît pour qu’elle attendît au lit le retour de
René. Elle monta en voiture, et Jacques les eut bientôt conduits à sa ca-
bane.
MᵐᵉDesnues aperçut la première son enfant, assis dans la cour et pa-
raissant assez triste. Sylvine, à genoux près de lui, lui faisait manger une
appétissante soupe au lait. Le bruit de la voiture ayant attiré l’attention
de René, il laissa la soupe et s’élança en criant :
« Papa ! maman ! ah ! vous voilà donc ! »
MᵐᵉDesnues, en l’embrassant avec transport, s’aperçut alors que la
paysanne pleurait.
« Ma pauvre femme, lui dit-elle en lui tendant la main, je ne puis assez
vous dire combien je suis reconnaissante des soins que vous avez prodi-
gués à mon enfant. C’est vous et votre mari qui l’avez sauvé ; sans vous,
quelque voiture l’aurait écrasé peut-être. Demandez-moi ce que vous vou-
drez et je vous le donnerai. »
Mais Sylvine, toute chagrine de ce qu’on lui reprenait le petit René,
pleurait toujours et ne répondait rien.
« Qu’avez-vous, ma bonne femme ? lui dit l’officier ; dites-moi ce qui
vous afflige, et s’il est possible d’y remédier, je m’y emploierai de tout
mon pouvoir.
— Ah ! mon officier, dit Jacques les yeux baissés et tournant avec em-
barras son chapeau entre ses doigts, c’est que, voyez-vous, ma femme
s’est affolée du petit, et elle dit que si on le lui ôte, elle en mourra ; parce
que, voyez-vous, madame, nous n’avons jamais eu d’enfant ; et elle s’était
mis dans la tête que le bon Dieu avait placé le petit chérubin exprès, tout
endormi sur notre chemin, pour le lui donner.
— Venez avec nous, dit M. Desnues, je vous donnerai une petite mai-
son ; vous cultiverez mon jardin et votre femme soignera la basse-cour.
Ainsi vous ne quitterez pas René. »
Sylvine fut si heureuse en entendant ces bonnes paroles, qu’elle ne
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Contes et historiettes Chapitre XLVI
savait plus ce qu’elle faisait. Elle saisit les mains de MᵐᵉDesnues et les lui
baisa ; puis elle baisa aussi le bas de sa robe ; et, ayant pris René dans ses
bras, elle se mit à chanter en dansant.
Jacques afferma sa cabane, son jardin et son champ ; puis sa femme et
lui suivirent les parents de l’enfant.
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Table des matières
I L’imprudence 1
II La rougeole 2
V La mouche 5
VI La complaisance 6
VIII La paresse 8
IX Le loup 10
X Contente de peu 12
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Contes et historiettes Chapitre XLVI
XI Le conseil 13
XII L’obéissance 14
XIII Le serin 15
XIV Le feu 16
XV La prière 18
XIX Le colin-maillard 24
XX La liberté 25
143
Contes et historiettes Chapitre XLVI
XXXII La tentation 59
XXXIX Le ramoneur 82
XL La désobéissance 88
144
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