3) Le pouvoir règlementaire autonome
La définition du domaine de la loi s’accompagne de la reconnaissance d’un
pouvoir réglementaire autonome (les règlements ne sont plus nécessairement des
mesures d’application d’une loi) et de dispositifs permettant d’assurer la
protection des limites ainsi définies entre ce qui relève du législateur et le reste.
a) Le domaine du règlement
On l’a dit : ce qui n’est pas du domaine de la loi (34) relève du domaine du
règlement (37). L’article 37 définit donc le domaine réglementaire, dans lequel le
Gouvernement peut prendre des décrets, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas
précisément compris dans le domaine de la loi. L’article 37 ouvre au pouvoir
réglementaire un large champ de compétences, non seulement pour l’application
de la loi, mais aussi dans des matières a priori exclues du domaine de la loi. C’est
pourquoi on distingue le pouvoir réglementaire pour l’application des lois et le
pouvoir réglementaire « autonome » défini par exclusion des éléments du
domaine de la loi énumérés à l’article 34.
b) L’irrecevabilité (article 41 de la Constitution).
L’article 41 de la Constitution permet au Gouvernement ainsi que, depuis la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008, au Président de l’Assemblée intéressée, de
déclarer irrecevables, pendant le déroulement de la procédure législative, les
propositions de lois et les amendements qui ne relèvent pas du domaine de la loi.
(Cette procédure ne sert quasiment pas, car il en existe une autre beaucoup plus
pragmatique, celle de la délégalisation que nous allons étudier ci-dessous). Mais
elle en dit long sur l’état d’esprit des constituants de 1958.
3) La procédure de la délégalisation (article 37, al. 2 de la Constitution). Quand
une loi a été adoptée dans un domaine relevant du règlement (ça peut arriver en
pratique), une procédure de délégalisation peut être mise en œuvre pour permettre
au Gouvernement d’en modifier les dispositions (la délégalisation permet de faire
perdre à la disposition concernée sa nature législative ; elle « descend d’un cran »
en quelque sorte pour redevenir réglementaire : puisqu’elle est réglementaire
désormais, elle peut à nouveau être modifiée par règlement par le gouvernement
s’il le souhaite).
Cette procédure permet d’éviter un recours systématique à la voie parlementaire
pour modifier des textes de forme législative, mais adoptés dans le domaine
réglementaire.
La procédure de délégalisation est ouverte par une saisine du Conseil
constitutionnel qui, s’il reconnaît le caractère réglementaire du texte, autorisera sa
modification par décret. Les textes de forme législative antérieurs à 1958 peuvent
également être modifiés directement par décret pris après avis du Conseil d’État
(c’est normal, puisque la délimitation du domaine de la loi n’existait pas avant
cette date).
Dans la grande majorité des décisions rendues par le Conseil constitutionnel,
celui-ci a fait droit à la demande du Premier ministre et a procédé à la
délégalisation des dispositions qui lui avaient été soumises.
B – la maîtrise de la procédure législative par le gouvernement
1) La procédure législative ordinaire
a) Généralités
À savoir : Je vous invite à regarder le schéma annexé (celui que vont vous remettre
vos chargés de TD), qui est assez explicite. L’explication ci-dessous est essentielle
pour la compréhension de tout ce qui suit. Avant de passer en revue les détails, il
convient d’avoir les idées claires sur la procédure dans son ensemble :
Le projet (ou la proposition de loi) est déposé(e) sur le bureau de l’une des deux
chambres. Il est ensuite examiné en commission (la commission peut apporter des
modifications au texte par amendements, c’est-à-dire qu’elle le fait évoluer) avant
d’être mis à l’ordre du jour de la séance : c’est essentiel ! Un texte qui n’est pas
mis à l’ordre du jour ne sera jamais voté ! or, on va voir que le gouvernement a
une position déterminante dans la fixation de l’ordre du jour. Si le texte est mis à
l’ordre du jour, donc, le texte est examiné en séance (où il peut encore être
amendé). Le texte adopté par la première chambre est transmis à l’autre, qui
l’examine à son tour. Il se met ensuite en place une navette entre les deux
chambres qui dure en principe jusqu’à ce que le texte adopté soit absolument
identique. Au bout de deux lectures successives par chaque assemblée (quand
c’est urgent, il peut le faire dès le premier examen par chaque chambre), et afin
d’éviter de « tourner en rond » indéfiniment, le gouvernement a la possibilité de
convoquer une commission mixte paritaire (CMP) chargée de trouver un accord.
Si c’est le cas, le texte peut être adopté. Sinon, le gouvernement dispose encore
d’une prérogative : il peut laisser la navette reprendre son cours indéfiniment…
mais il peut aussi donner le « dernier mot » à l’Assemblée nationale (elle impose
alors sa rédaction). Si toutefois l’Assemblée elle-même rechigne à adopter le
texte, le gouvernement peut lui « forcer la main ». Soit en utilisant le vote bloqué
(c’est-à-dire en la faisant voter sur un texte dans l’état de rédaction qui lui
convient : le texte est alors voté en une seule fois, mais le débat continue dans
l’hémicycle, à vide en quelque sorte, comme le prévoit l’article 44-3). Soit en
engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 49-3 (dans ce cas, soit
l’adoption d’une motion de censure force le gouvernement à démissionner, soit le
texte est adopté sans vote).
On va donc, voir, en examinant le détail de la procédure, que le gouvernement
maîtrise l’essentiel de l’initiative, qu’il a la main sur la durée d’examen du texte,
qu’il peut imposer la volonté de l’Assemblée nationale sur celle du Sénat dans le
vote et qu’il est en mesure, au besoin, d’infléchir la volonté de l’Assemblée
nationale (vote bloqué ou 49-3) : la limite est celle du renversement du
gouvernement : mais alors, les députés s’exposent à la dissolution. L’arme est
suffisamment dissuasive pour n’avoir jamais à être utilisée… À la fin, le texte est
promulgué par le Chef de l’État.
b) Aspects techniques
Regardons les choses plus techniquement : La procédure législative comprend
trois phases principales : le dépôt du texte, son examen par le Parlement et sa
promulgation par le Président de la République (après une éventuelle saisine du
Conseil constitutionnel pour examen de la conformité du texte à la Constitution).
*L’initiative : le dépôt du texte
L’initiative des lois appartient au Premier ministre ainsi qu’aux députés et aux
sénateurs. Les initiatives du Premier ministre sont appelées « projets de loi »,
celles des parlementaires sont dénommées « propositions de loi ». Avant son
examen, tout dépôt est subordonné à plusieurs formalités préalables :
- Pour les projets, le dépôt est précédé de la réalisation d’une étude d’impact et
de la consultation pour avis du Conseil d’État, agissant en ce cas comme
conseil du Gouvernement et non comme juridiction administrative, suivie
d’une délibération du Conseil des ministres (un débat récurrent revient souvent
sur la qualité « défaillante » des études d’impact).
- Les propositions peuvent être déposées par un ou plusieurs députés ou par un
ou plusieurs sénateurs, à la condition que leur adoption n’ait pas pour
conséquence une diminution des ressources publiques ou la création ou
l’aggravation d’une charge publique (article 40 de la Constitution) : quand on
y réfléchit, la marge de manœuvre des parlementaires est donc très étroite : ils
ne peuvent initier aucune dépense ou aucune diminution des rentrées d’argent
pour l’État, sinon leurs propositions sont irrecevables 1.
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’alinéa 5 de l’article 39 de la
Constitution permet au Président d’une assemblée, sauf opposition de l’auteur, de
soumettre au Conseil d’État une proposition de loi.
Particularité : Les projets de loi de finances et les projets de loi de financement
de la sécurité sociale doivent être déposés d’abord à l’Assemblée nationale ; à
l’inverse, les lois ayant pour principal objet l’organisation des collectivités
territoriales sont soumises en premier lieu au Sénat (article 39, alinéa 2 de la
Constitution). En dehors de ces cas, l’examen d’une loi commence
indifféremment devant l’une ou l’autre assemblée.
À la suite de son dépôt, qui fait l’objet d’une publicité officielle, le texte est
renvoyé à l’examen de la commission compétente (une commission est une
« mini-assemblée » : on y retrouve les couleurs politiques de l’assemblée dans les
mêmes proportions, mais on y travaille en nombre plus réduit sur des questions
spécialisées : c’est là que se déroule la part la plus significative du travail des
parlementaires).
Un petit détail : Les projets et les propositions comprennent deux parties :
1
Le Bureau de chaque assemblée parlementaire est chargé de vérifier la recevabilité financière des
propositions de loi (on accepte le principe des compensations pour les lois de finances et de financement de la
sécurité sociale).
- L’exposé des motifs, dans lequel sont présentés les arguments de l’auteur du
texte à l’appui des modifications ou des dispositions législatives nouvelles
envisagées (pourquoi on fait une loi ?).
- Le dispositif, rédigé en articles portant une numérotation successive ; il
constitue la partie normative qui sera seule soumise à l’examen des
assemblées. Chaque article a pour objet soit de supprimer ou de modifier une
disposition d’une loi en vigueur, soit d’édicter une disposition législative
nouvelle (c’est le contenu de la loi).
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les projets de loi doivent
répondre à certaines conditions de présentation, qui ont été définies par la loi
organique du 15 avril 2009. Au moment de leur dépôt, ils doivent ainsi être
accompagnés d’une étude d’impact. Celle-ci définit les objectifs poursuivis,
expose les motifs du recours à une nouvelle législation, l’état actuel du droit dans
le domaine visé, l’articulation du projet avec le droit européen, évalue les
conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des
dispositions du projet et les modalités d’application envisagées.
**Examen en commission, mise à l’ordre du jour et navette
Tout projet (ou proposition) de loi est examiné successivement par les deux
assemblées du Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. Un texte
adopté en termes identiques par les deux assemblées est définitif : il constitue le
texte de la loi. La procédure conduisant à l’adoption définitive d’un texte consiste
en un mouvement de va-et-vient du texte entre les deux assemblées (d’où le nom
de navette), chacune étant appelée à examiner et, éventuellement, à modifier le
texte adopté par l’autre ; à chaque étape, seuls les articles sur lesquels demeure
une divergence restent en discussion. La navette prend fin lorsqu’une assemblée
adopte sans modification, pour chacun de ses articles, le texte précédemment
adopté par l’autre. Chaque examen par une assemblée est appelé « lecture ».
L’examen en première lecture d’un texte déposé devant une assemblée comporte
plusieurs étapes : l’examen par une commission, l’inscription à l’ordre du jour et,
enfin, la discussion en séance publique, au terme de laquelle le texte sera transmis
à l’autre assemblée. La transmission du texte à l’autre assemblée ouvre la navette.
La procédure exposée ci-après est celle suivie à l’Assemblée nationale. Cette
procédure est, dans ses grandes lignes, la même au Sénat, bien que des différences,
parfois non négligeables, existent entre les deux assemblées.
L’examen en commission : une fois déposé, tout texte est renvoyé à l’examen
d’une commission. Sauf rares exceptions, l’examen est effectué par l’une des huit
commissions permanentes de l’Assemblée nationale (sept au Sénat) 2.
2
La commission saisie d’un texte (dite commission saisie au fond) désigne parmi ses membres un rapporteur
chargé de présenter, au nom de celle-ci, un rapport qui sera imprimé, distribué et mis à disposition par voie
électronique. Il revient en particulier au rapporteur d’entendre les représentants des différentes organisations
(syndicats, associations…) concernées par le texte dont il a la charge. La commission peut procéder à des
auditions avant d’engager l’examen d’un texte (elle le fait en pratique presque toujours, ce qui constitue
également une part significative du travail des parlementaires).
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la discussion en séance
porte (sauf pour les projets de loi constitutionnelle, de loi de finances et de loi de
financement de la sécurité sociale), sur le texte adopté par la commission et non
sur le texte initialement déposé ou transmis. À cet effet, la commission peut donc :
Soit, proposer un nouveau texte, intégrant les amendements des députés ou du
Gouvernement acceptés par elle ; adopter le texte dans sa rédaction initiale ; soit,
rejeter le texte (ce qui se produit presque systématiquement lorsqu’il s’agit d’une
proposition de loi de l’opposition, ce que l’on peut parfois regretter).
L’inscription à l’ordre du jour. Pour être discuté en séance publique, un projet
ou une proposition de loi doit être inscrit à l’ordre du jour de l’assemblée 3.
Depuis la révision de 2008, la Constitution institue un partage de l’ordre du jour,
qui est fixé par chaque assemblée :
Essentiel : Deux semaines sur quatre sont réservées par priorité à un ordre du jour
fixé par le Gouvernement. En vertu de cette priorité, le Gouvernement arrête la
liste des textes qu’il veut faire figurer à l’ordre du jour et fixe l’ordre dans lequel
ils seront discutés, ainsi que leur date de discussion. Pour assurer une bonne
3
Depuis la révision du 23 juillet 2008, la Constitution prévoit un délai minimal de six semaines entre le dépôt
d’un texte et sa discussion en séance (quatre semaines pour les textes transmis par l’autre assemblée). Ces
délais ne s’appliquent pas pour les projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale ou relatifs
aux états de crise. Ils ne s’appliquent pas non plus lorsque le Gouvernement a décidé d’engager la procédure
accélérée (dans ce cas, un délai minimal de quinze jours est maintenu pour les seuls projets et propositions de
loi organique) et que les Conférences des présidents ne s’y sont pas conjointement opposées.
programmation des travaux, le Gouvernement informe au préalable les
assemblées et notamment leurs commissions.
Une semaine par mois est réservée par priorité au contrôle de l’action du
Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques (donc, cette semaine-là,
on n’examine pas de loi).
Une semaine par mois (la dernière en somme) est réservée à un ordre du jour
législatif fixé par chaque assemblée (en pratique, c’est donc la majorité qui fixe
l’ordre du jour de cette semaine-là, sauf pour une séance sur laquelle on va
revenir).
On constate que le gouvernement en profite souvent pour faire passer sous forme
de propositions des textes qu’il ne peut pas faire passer en projets !
Une journée par mois, enfin, est consacrée à un ordre du jour réservé aux
initiatives des groupes d’opposition ou minoritaires (la fameuse séance) : cela
signifie qu’un jeudi par mois est consacré à l’examen de textes proposés par des
parlementaires qui ne font pas partie de la majorité : en pratique, la minorité étant
minoritaire, le gouvernement et sa majorité accordent aux textes en question le
sort qu’ils souhaitent : ils peuvent décider de donner satisfaction à une proposition
qu’ils considèrent comme constructive, mais s’opposer fermement à tout ce qui
vient des oppositions. En vérité, cette disposition permet surtout à l’opposition
d’imposer des thèmes de débat dans l’hémicycle sous l’œil des caméras : les
visions politiques s’opposent au cœur de l’assemblée…
Pour le reste, le gouvernement a la main, comme on l’a vu 4.
***L’examen en séance publique
La discussion en séance publique s’articule en deux phases : la phase d’examen
général et la phase d’examen détaillé.
Dans cette phase d’examen peut s’intercaler la discussion de motions de
procédure – motion de rejet préalable, motion de renvoi en commission – a pour
effet d’entraîner le rejet du texte (motion de rejet préalable) ou la suspension du
débat (motion de renvoi) avant même que ne s’engage l’examen détaillé du texte
(ce sont deux procédés qui, en réalité, permettent aux oppositions de dire leur
désaccord, soir en prétendant que le texte n’est pas opportun (motion de rejet),
soit en prétendant qu’il n’a pas été assez travaillé (motion de renvoi en
commission). Comme elles viennent de la minorité, elles sont de toute façon
presque toujours repoussées ; ceux qui les déposent le savent, mais profitent de
l’occasion pour contester l’action de la majorité (ce qui est normal en démocratie).
4
Précision (détail), qui confirme l’affirmation : aux termes de la Constitution, certains textes sont toujours
prioritaires, même dans les deux semaines qui échappent au gouvernement. Il peut ainsi faire inscrire les
projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale à l’ordre du jour des
semaines de l’Assemblée ou des semaines de contrôle ; il peut également obtenir l’inscription des projets
transmis par l’autre assemblée depuis plus de six semaines et des projets relatifs aux états de crise pendant les
semaines de l’Assemblée. Par ailleurs, la pratique montre que les domaines respectifs des semaines de contrôle
et de l’Assemblée ne sont pas totalement étanches : le groupe majoritaire peut demander l’inscription de
projets de loi, voire demander l’organisation d’un débat, lors de la semaine législative de l’Assemblée. En sens
inverse, les créneaux disponibles des semaines de contrôle sont parfois consacrés à un ordre du jour législatif.
Puis vient l’examen des articles du texte : les amendements peuvent être présentés
par tous les participants au débat : gouvernement, commissions saisies au fond et
pour avis, et députés à titre individuel. À l’exception des amendements du
Gouvernement, les amendements doivent satisfaire, comme les propositions de
loi, à des conditions de recevabilité financière. Ils doivent également respecter les
dispositions de l’article 41 de la Constitution, c’est-à-dire relever du domaine de
la loi et ne pas être contraires à une délégation accordée au Gouvernement en
application de l’article 38. Tout amendement est recevable en première lecture à
condition de présenter un lien, même indirect, avec le texte examiné. La
discussion porte sur chaque article et sur tous les amendements qui s’y rapportent.
Après l’examen du dernier amendement présenté sur un article, l’Assemblée vote
sur cet article, éventuellement modifié, la discussion du texte se poursuivant dans
les mêmes conditions, article par article, jusqu’au dernier d’entre eux. Le
président de séance met ensuite aux voix l’ensemble du texte, éventuellement
modifié par les amendements précédemment adoptés 5.
****Les lectures successives et l’adoption du texte
5
Précision : Les votes ont lieu normalement à main levée. En cas de doute sur le résultat d’un vote à main
levée, le président de séance procède au vote par assis et levé. Quelquefois, il est important de compter les
présents et de pouvoir savoir qui a voté quoi : on fait alors un scrutin public, au pupitre (chaque député en a un
devant lui). Pour certains textes importants, la Conférence des présidents décide elle-même le scrutin public,
en fixant sa date à un moment favorable à la participation de l’ensemble des députés (en général, le mardi
après les questions au Gouvernement). Ce type de scrutin est appelé « vote solennel » ; 2ème précision : Depuis
la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale du 27 mai 2009, la Conférence des présidents peut
également, sous certaines conditions, décider d’appliquer à un texte la procédure du « temps législatif
programmé ». Il s’agit de fixer une durée maximale pour l’examen de l’ensemble d’un texte, 60 % du temps
étant attribué aux groupes d’opposition, puis répartis entre eux à proportion de leur effectif.
Le texte adopté par la première assemblée saisie est transmis sans délai à l’autre
assemblée qui l’examine à son tour selon les mêmes modalités : examen par une
commission, inscription à l’ordre du jour, discussion en séance publique. Si la
seconde assemblée adopte tous les articles du texte qui lui a été transmis sans
modification, ce texte est définitivement adopté.
Dans le cas contraire, la navette se poursuit entre les deux assemblées. Seuls
restent en discussion les articles du texte pour lesquels les deux assemblées ne
sont pas parvenues à l’adoption d’un texte identique. La navette se poursuit en
deuxième, troisième, voire quatrième lecture et plus, tant que tous les articles
n’ont pas été adoptés dans les mêmes termes.
Toutefois, la Constitution de 1958 a institué une procédure de conciliation
permettant au Gouvernement d’accélérer le vote définitif d’un texte en
interrompant le cours normal de la navette : la commission mixte paritaire (CMP).
Cette procédure de conciliation consiste, après deux lectures du texte par chaque
assemblée – ou une seule lecture si le Gouvernement a préalablement engagé la
procédure accélérée – à provoquer la réunion d’une commission comprenant sept
députés et sept sénateurs (auxquels s’ajoutent autant de membres suppléants),
d’où l’appellation de commission mixte paritaire (CMP). Au cours de cette
réunion, ces parlementaires cherchent à trouver un texte de compromis pour tous
les articles qui restent en discussion.
À ce stade, différentes hypothèses se présentent, avec des conséquences elles-
mêmes différentes, sur la suite de la procédure d’adoption du texte :
Soit la commission mixte paritaire est parvenue à établir un texte de compromis
et le Gouvernement peut soumettre ce texte à l’approbation de l’une puis de l’autre
assemblée. La procédure de conciliation a réussi et le texte est définitif.
Soit, il y a échec de la procédure de conciliation : le dernier mot peut alors être
donné par le gouvernement à l’Assemblée nationale. Lors de la nouvelle lecture,
l’Assemblée délibère sur le dernier texte adopté avant que ne s’engage la
procédure de conciliation.
Précisions : le vote bloqué, procédure inscrite à l’article 44, alinéa 3, de la
Constitution, permet au Gouvernement de demander à l’une ou l’autre assemblée
de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne
retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui.
Le Gouvernement dispose d’une grande latitude pour mettre en œuvre cette
procédure.
Par ailleurs, la Constitution (article 49, alinéa 3) permet au Premier ministre,
après délibération en Conseil des ministres, d’engager la responsabilité du
Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de
finances ou de financement de la sécurité sociale, ou, une fois par session, sur un
autre projet ou proposition de loi (cette procédure ne peut pas être mise en œuvre
devant le Sénat, le Gouvernement n’étant pas responsable devant cette
assemblée). Comme dans le cas du vote bloqué, le Gouvernement est libre de
choisir le moment où il engage sa responsabilité et de décider du contenu du texte
sur lequel il l’engage.
À la différence du vote bloqué, l’engagement de responsabilité a pour effet de
suspendre immédiatement la discussion du texte sur lequel il porte. À compter de
l’engagement de responsabilité s’ouvre un délai de vingt-quatre heures pendant
lequel des députés peuvent déposer une motion de censure. Une motion de censure
n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de
l’Assemblée nationale (58). Si une motion de censure est déposée, il est pris acte
de son dépôt. Cette motion est ensuite discutée et mise aux voix dans des délais
et des conditions fixées par la Constitution et le Règlement de l’Assemblée (le
vote ne peut intervenir moins de 48 heures après le dépôt et la discussion doit
avoir lieu au plus tard le troisième jour de séance suivant l’expiration de ce délai).
La motion n’est adoptée que si elle recueille la majorité des voix des membres
composant l’Assemblée, seuls les députés favorables à son vote participant au
scrutin.
Si aucune motion de censure n’est déposée dans le délai de 24 heures ou si la
motion n’est pas adoptée, le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa
responsabilité est considéré comme adopté.
Si la motion de censure est adoptée, le Premier ministre doit remettre la démission
de son gouvernement et, de manière subsidiaire, le texte sur lequel portait
l’engagement de responsabilité est considéré comme rejeté. Une telle situation ne
s’est jamais produite depuis 1958.
*****La promulgation
L’adoption définitive d’un projet ou d’une proposition de loi clôt, en principe, la
phase parlementaire de la procédure législative et débouche normalement sur la
promulgation de la loi. Le texte définitif est transmis à la signature du Président
de la République auquel appartient la compétence de promulguer les lois (c’est à
dire de leur donner force exécutoire). Le Président de la République dispose d’un
délai de quinze jours pour promulguer la loi. La loi est ensuite publiée au Journal
officiel de la République française. Cependant, la promulgation d’une loi peut être
retardée ou empêchée par dans deux cas : le contrôle de la constitutionnalité des
lois et la nouvelle délibération de la loi.
Comme on le verra, le Conseil constitutionnel est notamment chargé de contrôler
la conformité des lois votées par le Parlement à la Constitution. Ce contrôle a lieu
d’office pour les lois dites organiques, à savoir les lois expressément visées
comme telles par la Constitution et qui ont pour objet d’appliquer des dispositions
constitutionnelles. Pour les autres lois, dites ordinaires, ce contrôle n’est effectué
que façon facultative. Le Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi, dispose d’un
mois pour rendre sa décision ou de huit jours en cas d’urgence si le Gouvernement
en fait la demande. Ses décisions s’imposent à tous et ne peuvent faire l’objet
d’aucun recours.
Lorsque le Conseil constitutionnel déclare la loi conforme à la Constitution, celle-
ci peut être promulguée. À l’inverse, une décision déclarant la totalité d’une loi
contraire à la Constitution fait obstacle à sa promulgation. La procédure
législative qui a conduit à l’adoption d’une telle loi se trouve annulée. Enfin, le
Conseil constitutionnel peut décider qu’une loi est en partie conforme à la
Constitution. Dans une telle hypothèse, la loi peut être promulguée, à l’exception
de ses articles ou parties d’articles déclarés contraires à la Constitution.
Dernière précision : une nouvelle délibération peut être demandée par le
Président de la République : dans le délai de quinze jours, à compter de l’adoption
de la loi, demander une nouvelle délibération. Cette procédure, qui n’a été utilisée
que trois fois depuis 1958, a donc tendance à tomber en désuétude.
1) Les lois « spéciales »
À côté de la procédure législative ordinaire, il existe des lois particulières, qui,
parce qu’elles sont d’une importance particulière, obéissent à des procédures
spécifiques : on les élabore différemment de la loi ordinaire. Je vous en dis deux
mots, juste pour mémoire (ce n’est pas l’essentiel).
En premier lieu, parce qu’elles sont encadrées par des règles constitutionnelles,
les conditions d’examen des lois de finances par l’Assemblée nationale se
distinguent nettement de celles des autres projets de loi. L’article 34 de la
Constitution dispose que « les lois de finances déterminent les ressources et les
charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi
organique ». Les règles spécifiques qui leur sont applicables ont été profondément
modifiées par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001
(LOLF). Elles se présentent selon une articulation obligatoire, sont élaborées par
le gouvernement et obéissent à des délais très stricts d’adoption (70 jours en tout).
En second lieu, les lois de financement de la sécurité sociale ont été instaurées
par la révision constitutionnelle du 22 février 1996. Encadrées par des
dispositions constitutionnelles complétées par une loi organique, les conditions
d’examen annuel des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS)
par l’Assemblée nationale se distinguent également de celles des projets de loi
ordinaires.
En troisième lieu, les lois organiques, qui sont des lois importantes dans le sens
où elles sont des prolongements de la constitution, obéissent à une procédure
d’adoption particulière : par exemple, le contrôle de leur constitutionnalité est
obligatoire alors qu’il est facultatif pour la loi ordinaire. Par ailleurs, l’approbation
du Sénat est obligatoire, si la loi le concerne (pas de dernier mot à l’assemblée).
Enfin, les lois de révision constitutionnelle, on les appelle les lois
constitutionnelles (car elles ont pour objet de modifier la constitution, obéissent à
une procédure très particulière : selon l’article 89 (que vous avez déjà étudié par
ailleurs), ces lois sont approuvées par le congrès (AN et Sénat réunis à Versailles
et votant à la majorité des 3/5èmes ou par le peuple en référendum).