Osp 11962
Osp 11962
49/2 | 2020
Genre, rapports sociaux de sexe et orientation
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/osp/11962
DOI : 10.4000/osp.11962
ISSN : 2104-3795
Éditeur
Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP)
Édition imprimée
Date de publication : 20 juin 2020
Pagination : 225-256
ISSN : 0249-6739
Référence électronique
Pierre Doray, Alexandre Lépine et Jaunathan Bilodeau, « L’orientation scolaire sous l’emprise des
rapports sociaux de sexe. La situation dans l’enseignement postsecondaire au Québec », L'orientation
scolaire et professionnelle [En ligne], 49/2 | 2020, mis en ligne le 20 juin 2022, consulté le 20 juin 2022.
URL : http://journals.openedition.org/osp/11962 ; DOI : https://doi.org/10.4000/osp.11962
NOTE DE L’AUTEUR
La réalisation de cet article a été rendue possible grâce à des subventions du Fonds de
recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et Conseil de recherche en sciences
humaines du Canada (CRSH). Les auteurs remercient Michel Samy Diatta, professionnel
de recherche au CIRST, qui a révisé les analyses quantitatives.
Introduction
1 L’orientation scolaire et professionnelle (OSP) est un processus qui se trouve à
l’intersection de l’action des systèmes éducatifs et des dispositions et attributs sociaux
et culturels des élèves et des étudiant·e·s. Observée depuis l’institution scolaire,
l’orientation prend la forme d’avis (quant à la poursuite des études) ou d’un tri des
demandes entre les filières, les programmes, les voies ou les ordres d’enseignement
(Masson, 1994, 1997). Examinée par le biais des élèves, l’orientation devient un
processus de choix entre des programmes et aussi entre des choix professionnels.
Parmi les facteurs de modulation de l’orientation, les rapports de sexe siègent parmi les
plus importants.
2 Au Québec, la réforme de l’éducation, réalisée dans les années 1960, a permis un accès
élargi à l’enseignement postsecondaire avec une restructuration du système éducatif et
des cheminements scolaires1. Les cheminements réservés aux filles furent abolis et ces
dernières ont eu théoriquement accès aux mêmes filières et mêmes programmes que
les garçons, en formation menant à l’université comme en formation professionnelle et
technique. Le taux de passage du secondaire au postsecondaire des filles est rapidement
devenu plus élevé que celui des garçons. Il a connu une croissance jusqu’au début des
années 1990, mais depuis, nous constatons une forte stabilité.
3 Dans les faits, cette démocratisation reste ségrégative (Merle, 2000), car le choix du
programme d’études est toujours influencé par la division sexuelle du travail et les
stéréotypes de sexe (Baudelot & Establet, 1992 ; Bouchard, 1997 ; Bouchard & Saint-
Amand, 1993, 1996 ; Duru Bellat, 2004, 2017 ; Stefanovic & Mosconi, 2007 ; Vouillot,
2007, 2010). Une forte concentration de garçons et de filles reste cantonnée dans
quelques secteurs de formation. De fait, ce sont dans des filières scolaires où les
compétences en œuvre se rapprochent davantage aux dispositions attribuées aux
femmes ou aux hommes que l’on retrouve une ségrégation marquée selon le sexe.
4 Cette distinction soutenue par des arguments naturalistes tend à normaliser la faible
représentation de l’un des deux sexes. Par exemple, les filles constituent moins de 20 %
des étudiant·e·s en génie alors qu’elles sont très largement majoritaires dans de
nombreux métiers et professions dits relationnels ou associés au travail du « care »
(Doray & Guindon, 2016 ; Landrier & Nakhili, 2010), et ce, même dans un domaine
prestigieux comme la médecine. Ainsi, l’OSP est fortement associée aux représentations
sociales des professions et des métiers qu’entretiennent les individus. De fait plusieurs
occupations portent un sexe en ce sens qu’elles sont identifiées soit aux hommes soit
aux femmes, en fonction de la division sexuelle du travail. La différenciation des filières
de formation selon le sexe induit la reproduction du marché du travail salarié. Ce
dernier, à son tour, participe à l’identification genrée des programmes et des parcours
scolaires.
5 En même temps, la distribution des programmes de formation selon la présence des
garçons et des filles n’est pas immuable comme le témoigne la forte présence des filles
dans des filières de formation autrefois en majorité de garçons, comme la médecine. En
formation technique, les programmes de techniques policières attirent davantage de
filles, à la suite de l’instauration de politiques anti-discriminatoires de la part des corps
policiers. Souvent lorsqu’elles poursuivent une formation atypique, les filles obtiennent
de meilleurs salaires en plus de s’y insérer plus aisément que leurs consœurs qui ont
suivi une orientation conventionnelle (Jaoul-Grammare, 2019). La présence de ces
transfuges (Daune-Richard & Marry, 1990 ; Marry, 2000) contribue aussi à transformer
« l’image » de ces métiers et professions et, possiblement, à modifier le recrutement des
élèves et des étudiant·e·s.
6 Le présent article se penche sur un aspect particulier des rapports de sexe en éducation
(Baudelot & Establet, 1992 ; Bouchard, 1997 ; Duru Bellat, 2004, 2017 ; Bouchard & Saint
Amand, 1993, 1996), soit le destin scolaire de filles et de femmes qui ont choisi d’étudier
dans des programmes à forte composition masculine. Notre propos porte donc sur des
transfuges (DauneRichard & Marry, 1990). En d’autres mots, nous nous demandons quel
est le sort des filles qui franchissent les barrières et les stéréotypes associés aux
domaines traditionnellement réservés aux garçons (Dugré, 2006 ; Blanchard, et al.,
2017 ; Lemarchant, 2017). Notre analyse est guidée par les questions suivantes.
• Les filles qui ont choisi de poursuivre leurs études dans des programmes où les garçons sont
fortement majoritaires ont-elles un plus grand risque de changer de programme que celles
qui se sont inscrites dans des programmes traditionnellement féminins ou des programmes
mixtes ?
• Quelles dimensions de l’expérience scolaire peuvent nous permettre de comprendre les
départs et les changements de programme ?
femmes en tant que dominées. Ce sont les diverses institutions, que ce soit la famille,
l’école ou les médias, qui viennent instituer les catégories de sexe et inscrire le
masculin et le féminin dans un cadre normatif où l’on retrouve des caractéristiques et
des propriétés différentiées selon le sexe. De là, le genre se manifeste tendanciellement
dans les manières d’être, d’agir et de penser propres aux deux catégories de sexe. C’est
cette performativité du genre que l’on retrouve dans les rapports sociaux de sexe.
Ainsi, bien que les individus négocient les normes et attentes liées aux catégories de
sexe selon leurs expériences et leur parcours de vie, les attributs et caractéristiques
propres aux deux catégories de sexe sont tout de même les produits d’une
intériorisation – loin d’être passive – des référents et signifiants culturels – souvent
soutenus par des arguments essentialistes – que l’on retrouve dans une société donnée
à un moment donné.
10 Les rapports sociaux de sexe jouent sur l’OSP par deux grands mécanismes. Le premier,
la socialisation des acteurs sociaux par l’incorporation négociée de dispositions
culturelles genrées, façonne les schèmes de jugements et d’évaluation des situations, la
structuration des goûts et les modes de représentation de soi (Lahire, 2001, 2013). Dit
autrement, les individus héritent de manières de voir, de dire, d’agir, de sentir, etc.
dans leur rapport aux autres et au monde. Les rapports sociaux de sexe sont donc
structurés par des processus de socialisation, d’inculcation – notamment par
l’apprentissage – et d’appropriation qui produisent et reproduisent les dominations
ordinaires (Martuccelli, 2001, 2004) que subissent les filles tout au long de leur parcours
scolaire dans leurs interactions quotidiennes. De nombreuses filles en situation
d’incertitude vocationnelle voguent d’une option à une autre, dont des options
atypiques, optent finalement pour un programme d’études suivi traditionnellement par
les filles. Tout se passe comme si finalement leur socialisation dictait l’orientation à
prendre (Kabore, 2014).
11 Le second mécanisme, en interrelation avec le premier, est l’imprégnation, la
production et la reproduction des rapports sociaux de sexe dans le fonctionnement des
entreprises, des organisations et des institutions. Par exemple, un indice de cette
imprégnation se trouve dans les relations différenciées selon le sexe des enseignants
avec les élèves (Duru Bellat, 2004, 2017 ; Richard, 2019) – venant ainsi influencer l’OSP
des étudiant·e·s.
12 En somme, inscrire l’analyse de l’OSP dans une analyse des rapports sociaux, permet
« de rendre compte tout à la fois d’un univers fortement ségrégué marqué par des
divisions [de genre] et des rapports de domination, tout en insistant sur la dynamique
et la diversité des expériences. Les pratiques décrites ne sont pas le fruit d’une
détermination et d’une seule, mais s’inscrivent dans des histoires de vie marquées tout
à la fois par des rapports de racialisation ou de racisation (ou plus largement entre
groupes ethnoculturels), de classe, de sexe, voire de génération » (Jarty & Kergoat,
2017, p. 36. Voir aussi Blanchard et al. 2017).
13 Ainsi, il est nécessaire de prendre en considération les représentations des métiers et
professions pour comprendre le caractère sexué de plusieurs filières de formation.
D’ailleurs, selon Dupriez, Monseur et Campenhoudt (2012), au début de l’adolescence, le
choix de l’orientation professionnelle, et donc, des filières de formation s’articule en
fonction de deux axes : « le degré de masculinité-féminité et le degré de prestige
associé aux professions » (Dupriez et al., 2012, p. 3). Si les fonctions et les tâches
associées aux diverses professions sont rarement connues des adolescent·e·s, ces
dernier·ère·s sont souvent en mesure de dire si c’est un homme ou une femme qui
accomplit lesdites professions. Au Royaume-Uni, Archer et al. (2010), ont démontré que
si plusieurs élèves disent aimer leurs cours de sciences – garçons comme filles –, peu
d’entre eux et d’entre elles désirent se diriger lors des études supérieures vers des
filières scientifiques, et ce, même s’ils et elles en savent peu sur les professions qui leur
sont associées. Dans des travaux plus récents, Archer a remarqué que pour plusieurs
filles issues de milieux populaires se définissant comme féminines, expliquent leur
désintérêt pour les disciplines jugées masculines – comme les sciences ou
l’informatique – par le fait que ces dernières ne seraient pas « faites pour elles » alors
que les jeunes filles disant s’intéresser aux sciences se disent généralement moins
féminines et tendent à se distancier des attentes genrées liées à leur catégorie de sexe
(Archer et al., 2016). De fait, tant les disciplines (Francis et al., 2017 ; Plante et al., 2013)
que les filières de formation (Chatard, 2004 ; Courtinat-Camps & Prêteur, 2010 ;
Demoulin et Daniel, 2013 ; Depoilly, 2014 ; Simon et al., 2015) ou les professions (Bosse &
Guégnard, 2007 ; Stevanovic & Mosconi, 2007 ; Vilhjàlmsdòttir & Arnkelsson, 2007 ;
Dekhtyar et al., 2018) sont genrées et ces représentations sont produites et reproduites
tant par les élèves (Bouchard, 1997 ; Bosse & Guégnard, 2007 ; Doutre, 2012 ; Archer et
al., 2017) que par leurs proches (Archer et al., 2017 ; Duru-Bellat, 2004 ; Dafflon Novelle,
2010 ; Helland & Wiborg, 2019 ; Mujtaba & Reiss, 2014) ou leurs enseignant·e·s (Carlone,
2003 ; Duru-Bellat, 2013 ; Archer et al., 2017).
14 Aussi, tel que mentionné, l’école, en agissant comme vecteur de l’insertion
professionnelle (Verhoeven, 2012), contribue à produire et reproduire les stéréotypes
hors de la sphère scolaire en validant et/ou en invalidant les compétences associées à
l’un ou l’autre sexe. Par exemple, en Angleterre, Carlone (2003) a démontré que les
professeurs expliquent les bonnes performances des jeunes filles en sciences par leur
travail acharné tandis qu’ils justifient la réussite des garçons par leur caractère
« naturellement brillant » dans cette discipline, et ce, même lorsque leurs résultats
scolaires sont en deçà de ceux de leurs consœurs. Selon leur sexe, les étudiant·e·s sont
donc assigné·e·s à des rôles sociaux et on leur attribue des dispositions où le masculin
dominera toujours le féminin.
15 En somme, l’OSP met en relation deux volets soit, d’une part, des dimensions
institutionnelles relevant de la structure scolaire comme le fait que de nombreux
programmes d’études sont genrés dans des proportions différentes, et d’autre part, les
dispositions sociales et culturelles qui modèlent les hommes et les femmes. Ainsi, les
stéréotypes de sexe participent au choix d’études en qualifiant les programmes
d’études. Cela se réalise en lien avec les représentations des emplois et des professions
et en façonnant les schèmes de représentations des garçons et des filles.
16 Le présent article se penche en fait sur cette dernière situation, en s’interrogeant sur
l’expérience scolaire et les parcours scolaires des filles québécoises dans les
programmes traditionnellement masculins, de leur entrée dans les programmes jusqu’à
leur sortie (Ferrand et al., 1999 ; Marry, 2000) La question que les autrices invitent à
poser dans ce cas de figure porte sur les conditions de passage de situation sociale
« improbable » ou peu probable à une situation possible ou effective. Cela est d’autant
plus important que Mujtaba et Reiss (2014) ont observé, en Angleterre, que les jeunes
filles reçoivent généralement moins d’appui et d’encouragements de leur famille, de
leurs professeurs et de leurs amis pour poursuivre des études en sciences
comparativement à leurs confrères. Des travaux ont déjà souligné que le choix de
Méthode
18 Notre analyse porte sur les changements de programme des filles au cours de leurs
études collégiales, en particulier des filles qui les ont amorcées dans des programmes
où elles étaient minoritaires. Nous désirons identifier les facteurs qui peuvent
influencer ces changements, afin, ultimement saisir le poids des rapports de sexe dans
ce processus. Pour ce faire, nous utilisons différents matériaux, quantitatifs et
qualitatifs, chacun contribuant à mieux comprendre l’objet d’études. Les informations
quantitatives permettent d’abord de saisir l’évolution de la situation d’ensemble de la
répartition des garçons et des filles dans les différents programmes d’études des
cégeps. Une seconde source quantitative nous permet de reconstituer des parcours
scolaires des élèves au moment de leur transition entre le secondaire et le collégial et
au cours des études collégiales. La troisième source est une enquête qualitative,
longitudinale réalisée par panel auprès d’étudiant·e·s de l’enseignement collégial qui
nous a permis de recueillir de l’information sur leur expérience éducative et leur
situation de vie. Nous avons ainsi défini différents parcours scolaires, que ceux-ci se
terminent par la diplomation ou par un départ.
les analyses longitudinales portent sur un échantillon de 26 039 élèves, avec 15 399
filles et 10 640 garçons.
20 Étant donné que nos questions cherchent à dégager des facteurs qui influencent les
changements de programmes des filles, la variable dépendante que nous avons
construite est le changement de type de programme. Il s’agit d’une variable identifiant
les étudiant·e·s dont l’inscription dans un programme d’étude au cours d’une session
donnée diffère de la session précédente ou suivante. Pour distinguer les programmes
préuniversitaires ou techniques à dominance masculine, féminine ou mixte, nous avons
utilisé le nombre d’inscriptions par programme selon les catégories de sexe en 2000,
2007 et 2009, informations provenant du service régional d’admission de Montréal
(SRAM). Une moyenne d’inscription pour les trois années a été calculée pour établir la
répartition des filles et des garçons dans chaque programme. Nous avons utilisé un
seuil de 33 %, qui est en fait une convention proposée par le gouvernement québécois
pour différencier les métiers non traditionnels de ceux qui sont traditionnels. La
première étape de l’analyse consiste à savoir si, toute chose étant égale par ailleurs, la
présence des filles dans les programmes comportant une majorité de garçons est un
facteur de départ en comparaison aux programmes comportant une majorité de filles
ou au programmes mixtes. La seconde étape consiste à saisir l’effet d’autres facteurs :
l’âge (en année), le nombre de sessions, le réseau d’enseignement (collèges privés/
cégeps publics), la cohorte d’appartenance (1994 et 2002) ainsi que la filière d’études de
diplôme (préuniversitaire et technique).
21 Considérant la structure des données (plusieurs observations pour un même individu),
et l’objectif de cette étude, un modèle de moyenne populationnelle basé sur des
équations d’estimation généralisée (Liang & Ziger, 1986) a été réalisé à partir du logiciel
STATA. Cette méthode permet d’estimer des rapports de cote entre des variables
indépendantes (les facteurs qui influencent) et la variable dépendante à partir de la
variation de la moyenne dans la population tout en neutralisant les biais possibles dus à
l’interdépendance des observations dans le temps (Ghisletta & Spini, 2004). Puisque
l’échantillon n’est pas balancé (nous n’avons pas le même nombre d’observations pour
chaque individu) et que les espacements entre les observations peuvent varier d’un
individu à l’autre, nous avons utilisé la structure de corrélation par défaut
(exchangeable) (Ghisletta & Spini, 2004). Nous avons également utilisé la méthode
d’estimation dite « robuste » qui permet d’obtenir des erreurs standards en dépit d’une
spécification erronée de la structure de corrélation. Les analyses sont donc effectuées à
partir de 90 058 observations pour les filles et 64 840 observations pour les garçons.
22 La stratification du modèle pour les filles et les garçons a permis d’obtenir des
coefficients et des erreurs standards pour les deux groupes. Pour ce faire, nous avons
utilisé la formule proposée par Clogg et al. (1995). Cette méthode procure un score
d’une distribution Z à partir des coefficients de régression et des erreurs standards des
deux groupes.
24 Ce volet visait à spécifier l’effet des différentes dimensions constatées dans l’analyse
quantitative. Nous avons d’abord analysé les parcours scolaires de 28 répondantes qui
ont opté pour des programmes techniques non traditionnels ou ont formulé, à un
moment ou un autre de leurs études collégiales, des projets de poursuite d’études dans
des programmes universitaires non traditionnels. L’analyse de leurs parcours a permis
de repérer les facteurs qui ont conduit à poursuivre des projets non traditionnels ou, au
contraire, à bifurquer vers des projets traditionnels (Szczepanik et al., 2009).
25 Une autre analyse croise le discours des filles sur leur expérience scolaire dans des
programmes non traditionnels avec celui des garçons des mêmes programmes. Nous
avons réalisé une analyse thématique en utilisant le logiciel d’annotations manuelles
d’unités textuelles NVivo11 pour faire ressortir chaque passage où la présence des filles
est faible (informatique et électronique). Ainsi, ce traitement de données a été réalisé
sur 217 entretiens réalisés auprès de 44 étudiant·e·s (41 garçons et 3 filles) inscrit·e·s en
technique électronique et de 41 étudiant·e·s (33 garçons et 8 filles) inscrit·e·s en
technique informatique. Nous avons codé chaque passage où les filles sondées
exprimaient des commentaires, positifs ou négatifs, sur leur programme, leurs cours,
leurs professeur·e·s, leurs collègues garçons ou leurs collègues filles. Nous avons aussi
codé chaque passage où les étudiant·e·s faisaient valoir la culture qui régnait dans leurs
classes par l’entremise des rapports entre les étudiant·e·s eux-mêmes, mais aussi les
rapports entre étudiant·e·s et professeur·e·s. Finalement, nous avons codé sous
différents nœuds les commentaires faisant état des stéréotypes de sexe ou ayant une
nature essentialiste.
Résultats
26 L’exposition des résultats débute par l’analyse de l’évolution de la proportion des filles
dans les différentes familles de programme de l’enseignement collégial, tant en
formation préuniversitaire qu’en formation technique. Nous poursuivons avec une
analyse multivariée visant à dégager les facteurs qui influencent les changements de
programme. Nous présenterons enfin les résultats des analyses qualitatives des
entretiens réalisés auprès d’étudiant·e·s de l’enseignement collégial.
27 La progression des filles dans l’enseignement collégial est soulignée par l’examen des
séries statistiques historiques sur leur présence relative dans les différents
programmes. Au sein de la filière préuniversitaire (figure 1), la proportion de filles a
augmenté, passant de 44 % en 1976 à 57 % en 2015, en 40 ans. Surtout, elle varie d’un
programme à l’autre. Les filles sont fort nombreuses dans le programme d’Arts et
lettres (au-dessus de 65 %) ; cette proportion s’est stabilisée autour de 70 % depuis 2000.
Le programme d’Art (arts visuels, danse et musique) a aussi connu une croissance de la
proportion de filles jusqu’au début des années 2000 et une stabilisation par la suite. À la
suite d’une réforme des programmes des cégeps en 1992, nous avons assisté à une
diversification des programmes avec la création de programmes dits multiples comme
les doubles DEC (diplôme d’études collégiales), les programmes intégrés (ex. histoire et
civilisation) et les programmes associés au baccalauréat international. Ces programmes
ont davantage recruté de filles. Dans tous ces programmes précédents, les filles
constituent les deux tiers des étudiant·e·s.
28 Dans la filière technique (Figure 2), la proportion globale de filles a peu fluctué, se
situant entre 55 % et 60 %. Toutefois, les écarts entre les familles de programmes sont
nettement plus grands qu’en formation préuniversitaire. D’un côté, la famille des
programmes en sciences biologiques, où nous retrouvons les programmes de
techniciennes de laboratoire et de techniques de soins infirmiers, et la famille des
Hommes Femmes
(n =11640) (n =15399)
1er programme
Diplôme visé
Réseau
Cohorte
30 Les changements de programme sont affectés par divers facteurs (tableau 2). La
probabilité des filles de changer de programme lorsqu’elles sont dans un programme
traditionnellement féminin, la catégorie de référence étant la présence à l’entrée au
cégep dans un programme mixte, n’est pas significative. Cela est aussi vrai pour les
garçons. Par contre, elles ont en moyenne 24 % plus de chance de changer de
programme lorsqu’elles étaient d’abord inscrites dans un programme
traditionnellement masculin. Chez les garçons, la situation est contraire : la probabilité
de quitter le programme est réduite de 20 %. Manifestement, les garçons et les filles ne
vivent pas la même expérience scolaire quand ils et elles sont dans des programmes
identifiés à l’autre sexe comme dans les programmes traditionnellement masculins.
31 L’expérience scolaire des filles et des garçons est en fait opposée.
Tableau 2 : Les facteurs de modulation du changement de programme : les rapports de cote à partir
des équations d’estimations généralisées
Table 2 : Modulation factors for program change : Odds ratio from generalized estimating equations
35 Les filles, en s’inscrivant dans ces programmes, savent d’ores et déjà qu’elles seront en
position de minorité. Elles savent d’emblée que leur intégration sera plus compliquée,
car la majorité de garçons s’apparente à un « boy’s club » 5. Un étudiant qui termine
insiste :
« C’est clair que j’vais m’ennuyer du cégep moi ! Depuis le temps que j’suis là, moi
c’est comme, ça va faire bizarre de ne plus y aller. Nous autres la « gang » (le
groupe), ce n’est pas juste les « chums » (copains) ça inclue les profs ».
36 Les garçons sont majoritaires en nombre et aussi dominants en structurant les relations
sociales quotidiennes. Cet esprit de corps est renforcé par l’organisation des cours par
cohorte, de telle sorte que les élèves sont dans les mêmes groupes durant toute la durée
de leur formation.
37 Cet esprit n’est pas sans influence sur les relations sociales des filles. Certaines
mentionnent parfois qu’elles se sentent mieux, entourées de garçons, disant apprécier
certaines de leurs qualités comme leur simplicité, les filles étant jugées plus
« compliquées » reproduisant les stéréotypes attribués aux filles. En même temps, elles
vivent et étudient entre elles, ce qui contribue à les isoler. D’ailleurs, certaines
évoquent une certaine exaspération lors de la réalisation de travaux avec leurs
collègues masculins, car, disent-elles, elles doivent bien souvent les materner.
38 Parallèlement, d’autres étudiantes mentionnent être bien adaptées à leur situation
minoritaire dans le groupe qui les invisibilise, voire les dévalorise :
« Ce qui me fait de la peine un peu, c’est de voir qu’il n’y a pas beaucoup de filles pis
que c’est un domaine plus de gars. J’sais pas si tu comprends, on est encore ben gros
arrêtés sur l’idée du métier fait pour la femme ou fait pour l’homme. … On est huit,
je pense, sur quatre-vingts à peu près. »
39 Celles qui font le choix de continuer en informatique après une session estiment
généralement s’être bien intégrées au groupe, subissant cependant au passage des
dominations ordinaires qu’elles acceptent et/ou qu’elles justifient. Ainsi, une étudiante
souligne que :
« … les gars étaient ben corrects. Ils ne sont jamais été trop loin, jamais, jamais.
C’est sûr qu’on se faisait niaiser mais t’sais, ça fait partie de la gang pis si tu n’aimes
pas ça... » […] « Y’en a une qui était en audiovisuel, elle avait de la misère avec ça.
Elle voulait être au même niveau que les gars. Mais tu ne peux pas forcer ça ! Tu ne
peux pas, j’trouve. Faut laisser aller »6.
40 Entretenir des relations sociales soutenues suppose une présence au cours. Or, cette
condition n’est pas toujours facilement remplie, car plusieurs abandons du programme
dépendent des difficultés à concilier famille et études, quand ce n’est pas famille,
études et travail. Cette difficile conciliation est particulièrement ressentie par les
étudiantes en retour aux études qui sont aussi mères de famille. En effet, divers
incidents biographiques (maladie d’un enfant, par exemple) brisent l’organisation du
temps quotidien et rend difficile la fréquentation des cours, pouvant mener jusqu’à leur
abandon.
41 L’expérience relationnelle des étudiantes au cours du programme se caractérise
d’abord par la reconnaissance de leur situation de minorité au sein du programme ;
ensuite par l’obligation de subir, au sein de la vie quotidienne, des moqueries et des
commentaires souvent déplaisants de la part de leurs confrères. Notons qu’il existe
aussi une ségrégation sexuelle quand vient le temps de réaliser les travaux. Les filles se
regroupent généralement ensemble même si elles disent bien s’entendre avec leurs
collègues masculins.
42 Les raisons et les motifs pour lesquels les étudiantes s’inscrivent dans des programmes
fortement composés de garçons sont multiples. L’une est l’affinité avec le contenu
développé au cours de l’enseignement secondaire pour certaines, une autre le choix
s’inscrit dans un projet de mobilité sociale que pourrait procurer les études dans un
domaine d’avenir. Une majorité d’entre elles évoquent le manque de familiarité avec le
domaine, ce qui affectera leur rapport aux savoirs très tôt dans leur parcours scolaire.
43 En effet, plusieurs filles connaîtront des difficultés majeures d’apprentissage, car les
normes de compréhension et de réussite sont instituées selon le niveau de
connaissances et de compétences des garçons, majoritairement plus familiers avec les
technologies. En plus, les professeur·e·s, très majoritairement des hommes, participent
aussi à ce « nivellement par le haut » en prenant pour acquis que leurs étudiant·e·s
connaissent en totalité ou en partie les éléments de ce curriculum, comme l’exprime
une étudiante en informatique :
« … ça finit que les profs y pensent que tout le monde est comme ça… Ils ne
prennent pas le monde à un niveau assez bas, pis je pense qu’il y a beaucoup de
monde, ceux qui décrochent ou ceux qui n’aiment pas ça, comme moi, dans le fond,
je ne connaissais pas grand-chose en informatique pis j’ai décroché vite parce que,
je ne comprenais rien ».
44 D’autres étudiantes soulignent qu’elles ont bénéficié d’un traitement différencié
d’enseignants ou d’enseignantes qui auraient été moins sévères envers elles de par leur
condition de femme. Ainsi, il existe un curriculum caché composé des compétences et
des connaissances implicites que les garçons maîtrisent.
45 Cette différence d’affinité et de familiarité est aussi l’occasion de saisir les
catégorisations de la vie quotidienne des garçons qui rabaissent généralement les filles.
• Ils classent les filles en électronique et en informatique en deux catégories. D’un côté, celles
qui étudient beaucoup et qui réussissent très bien, voire mieux qu’eux sur les aspects
théoriques de leur formation ; et de l’autre côté, celles qui comprennent peu et qui ne sont
« vraiment » pas à leur place. La réussite scolaire devient donc une condition d’acceptation
de ces filles dans le programme.
• Des garçons apprécient moins les femmes qui leur enseignent. Ils abusent même de la
gentillesse d’une enseignante qui fond en larme devant la classe, n’en pouvant plus des
moqueries des étudiants, tout en discréditant son enseignement.
• Ils classent les différents domaines de la technique. Ainsi, un étudiant en technique
électronique explique qu’il y a deux branches propres à sa technique et que l’une de ses
branches est plus prisée par les filles, car le contenu appris dans cette branche serait plus
« simplet » et donc mieux adapté pour les filles dans le domaine de l’électronique. Ipso facto,
elles sont reléguées à un second rang.
46 De plus, des filles mentionnent qu’il est normal que les garçons performent mieux que
les filles dans ces domaines et qu’ils soient plus aptes à comprendre rapidement la
matière. Les filles sont plus portées à réussir dans certains domaines tandis que les
garçons sont plus amenés à se diriger dans d’autres filières de formation. Pour une
étudiante, les femmes n’ont pas l’intérêt de comprendre ce qui se passe « dans la
machine » étant d’emblée réputées moins compétentes. Celles qui persistent, qui ont un
intérêt envers le domaine et qui veulent y travailler, doivent redoubler d’ardeur sur les
plans intellectuels et relationnels pour se faire valoir à l’école ou sur le marché du
travail. Elles subissent donc la contrainte du double standard, un pour les garçons, un
autre pour les filles, qui les conduit à redoubler d’efforts, parce qu’elles sont de prime
abord des femmes. Ainsi à compétence égale, le travail d’un homme vaut toujours plus
que celui d’une femme. Tel que nous l’avons remarqué lors des entretiens, les femmes
doivent sans cesse être testées et leur travail doit toujours être évalué et certifié par les
hommes qui les entourent.
Discussion
47 Notre démarche a consisté à examiner l’évolution de la proportion de filles par famille
de programme en formation préuniversitaire et en formation technique dans les cégeps
du Québec. Malgré la féminisation croissante des programmes, nous constatons que la
démocratisation des études collégiales reste ségrégative (Merle, 2000), cette dernière
reproduisant la division traditionnelle du travail entre hommes et femmes. De plus, les
rapports de sexe se manifestent non seulement par une inégalité de composition des
étudiant·e·s mais aussi par leur destin : les garçons quittent moins dans les programmes
traditionnellement dits « masculins » alors que les filles voient leur probabilité de
quitter augmenter. Une conséquence connexe est l’allongement des parcours scolaires
des filles. D’ailleurs, un constat surprenant est la stabilité de cette situation depuis le
début des années 2000, ce qui incite à s’interroger sur l’efficacité des différentes
mesures mises en place pour inciter les filles à poursuivre leurs études dans des
programmes non traditionnels.
48 Nous avons poursuivi notre analyse en examinant les parcours des filles et des garçons
au cégep, en nous demandant quels facteurs expliquent les changements de type de
programme en distinguant les programmes où les garçons sont traditionnellement
majoritaires, ceux où sont inscrites en plus fortes proportions les filles et les
programmes mixtes, analyse peu fréquente dans le domaine. Trois facteurs de
différenciation de l’expérience scolaire des filles par rapport à celle des garçons sont
dégagés. Le premier relève de l’ancrage social des étudiant·e·s : l’origine sociale
influence la force du choix de programme, les filles de milieux plus favorisés seraient
moins à risque de changer de programmes. Le second tient des parcours scolaires
antérieurs : un retard scolaire au secondaire augmentent le risque de changer de
programme davantage chez les filles que les garçons. Le troisième met en évidence
l’expérience scolaire en cours, dont l’effet ne peut être dégagé qu’en introduisant un
volet longitudinal dans l’analyse. Le risque de changer de programme est moins élevé
chez les filles inscrites en formation technique que chez les garçons. Il est plus élevé
dans les cégeps publics que les collèges privés pour tous, et il est moins important chez
les filles que les garçons. Ce risque diminue avec l’ancienneté dans le programme, tout
en étant plus risqué chez les filles que les garçons. Finalement, les filles qui s’étaient
inscrites dans un programme où les garçons sont inscrits en plus fortes proportions
sont plus à risque de changer de programme alors que les garçons le sont moins. Cette
différence souligne des effets des rapports de sexe au cours de l’expérience scolaire en
cours, sans que l’on identifie des facteurs plus précis. Ainsi, comme le fait remarquer
Duru-Bellat, « les femmes ont plus de mal à oublier leur sexe que les hommes, de même
qu’un cycliste oublie davantage le vent quand il l’a dans le dos que quand il l’a de face »
(Duru-Bellat, 2004, p. 14).
49 Le recours au qualitatif précise les modes d’action des différents facteurs ou
dimensions. Les expériences vécues par ces étudiantes démontrent la force des
stéréotypes de sexe portés par les garçons qui dévalorisent la présence des filles dans
les filières de formation suivies majoritairement par les garçons, ce qui souligne que les
comportements et les classements de la vie quotidienne sont toujours fondés sur les
stéréotypes que les garçons accolent aux femmes (Vilhjàlmsdòttir & Arnkelsson, 2007 ;
Vouillot, 2007, 2010 ; Stevanovic & Mosconi, 2007 ; Lemarchant, 2007, 2017). Ces
stéréotypes sont étroitement associés aux hiérarchies présentes dans les relations de
sociabilité et les conditions d’acceptabilité des étudiantes dans le collectif étudiant 7
comme l’a souligné Lemarchant (2007). Ce cadre normatif produit et reproduit les
rapports sociaux de sexe. D’ailleurs, les enseignantes peuvent aussi en faire les frais 8.
D’ailleurs, comme l’ont montré les travaux de Lemarchant en France (2017), les
comportements sexistes des garçons auprès des filles inscrites dans une formation
professionnelle atypique sont parfois excusés ou minimisés par ces dernières en
justifiant le manque de maturité de leurs collègues garçons.
50 Ainsi, les filles subissent du sexisme qu’il soit hostile ou bienveillant (Doutre, 2012), de
la part de leurs collègues garçons et des enseignants. Soit ils ne croient pas que les filles
soient à leur place par des remarques et des plaisanteries déplacées ; soit ils adoptent le
ton paternaliste de celui qui peut leur tracer le chemin vers la réussite (Dugré 2006 ;
Blanchard et al., 2017). Elles doivent redoubler d’ardeur et surpasser la majorité de
leurs collègues pour prouver qu’elles ont leur place dans ce milieu fortement composé
de garçons. Si elles y arrivent, l’on dénotera leur talent d’exception alors que la place
de leurs collègues garçons n’est jamais questionnée parce qu’elle est considérée
normale, ce qui est une manifestation des stéréotypes de sexe (Dugré, 2006 ;
Lemarchant, 2017 ; Richard, 2019). Ainsi, même si les filles ne pensaient pas, à l’entrée
du programme, avoir de difficultés à faire carrière ou avoir à vivre des discriminations
lors de leur parcours professionnel (Doutre, 2012), l’expérience éducative de plusieurs
étudiantes québécoises sondées les conscientise à l’inégalité de traitement entre
hommes et femmes dans les programmes d’études et même dans leur insertion
professionnelle.
51 En plus, le rapport aux savoirs est aussi une manière de créer une hiérarchie entre
hommes et femmes, où ces dernières se retrouvent minorisées socialement et
culturellement (Lemarchant, 2007, 2017). Il existe un curriculum caché avec
l’instauration des préalables implicites requis par les professeurs et partagés par les
étudiants qui dictent le contenu des cours et le rythme des apprentissages. Si une
cadence accélérée peut plaire à plusieurs étudiants, il n’en demeure pas moins qu’elle
défavorise les néophytes qui sont en moindre nombre et sont généralement des filles.
Dès lors, une prophétie autorévélatrice se construit : les filles ralentissent
l’apprentissage et elles ne sont pas à leur place dans une sous-branche de la filière ou
dans un autre domaine qui convient mieux à leurs « compétences ».
52 Le rappel de leur condition minorisée ne se fait pas uniquement sous forme de railleries
ou de mauvaises plaisanteries (Cadaret et al., 2017) mais il est aussi au cœur même de
l’expérience éducative avec le rapport au savoir. Le cumul des deux a certainement un
effet démobilisateur quant à la poursuite de leurs études dans ces filières de formation.
Ipso facto, elles reconnaissent les différences associées aux rapports de sexe venant ainsi
conforter un discours naturaliste.
53 Ces mêmes éléments permettent aussi de formuler une hypothèse quant à l’effet des
mesures incitatives d’orientation des filles. Ces mesures seraient relativement efficaces
pour orienter les filles vers des métiers non traditionnels, mais la nature de
l’expérience scolaire dans les programmes en question, tant sur le plan intellectuel que
celui de la sociabilité quotidienne, conduit davantage de filles au désenchantement et à
quitter les programmes masculins (Lemarchant, 2017).
54 Nos résultats soulignent que les filles ne sont pas nécessairement désintéressées par les
filières de formation où les garçons sont inscrits en majorité, mais qu’elles
désenchantent rapidement à la suite de cette expérience où elles sont marginalisées par
la contrainte apparente du genre (Duru-Bellat, 2017). L’entrée dans les programmes est
souvent marquée par les perceptions que les garçons ont de ces programmes. Ils
confirment la pertinence sociale et économique des études dans ces domaines, mais, en
même temps, ils peuvent tout à fait minimiser l’importances des savoirs nécessaires à
la réussite. En plus, l’expérience scolaire et sociale des filles et des femmes dans le
programme les conduit à sentir qu’elles n’y ont pas leur place tant par les écarts de
compétences détenues que par les remarques quotidiennes qui entretiennent et
rappellent leur condition de femme. Celles qui décident de persister s’exposent à des
discours et des pratiques discriminatoires tout au long de leur parcours scolaire
professionnel où elles subiront un doublestandard et devront prouver leur valeur en
démontrant qu’elles ne sont pas « que femme » comme l’avait d’ailleurs remarqué
Dugré (2006) chez des femmes œuvrant dans le milieu de la construction québécois qui
ont fait état d’expériences similaires.
Conclusion
55 La démocratisation de l’éducation a modifié en profondeur l’accès des filles aux
ressources éducatives avec la disparition des programmes et des filières
institutionnellement spécifiques aux filles avec, par exemple, les instituts d’arts
ménagers. Toutefois, cette démocratisation a été et est toujours ségrégative (Merle,
2000). Les filles, comme les garçons, s’orientent souvent vers des programmes de
formation reproduisant la division sexuée du travail salarié et du travail domestique.
En même temps, nous assistons à une subversion de cette division sociale selon le sexe
comme le souligne l’existence de programmes d’études, où les garçons étaient
numériquement majoritaires, devenus mixtes par la présence accrue des filles. Il reste
que la présence des filles est toujours faible dans de nombreux programmes où les
garçons sont traditionnellement majoritaires, et inversement. Les filles ont réussi leur
entrée dans des professions prestigieuses comme médecine, mais, faut-il le rappeler, il
s’agit d’une profession du « care ». L’accès à ces études a aussi connu des changements
de règles. Dans d’autres domaines, les changements des modes de recrutement des
milieux de travail, comme l’obligation d’ouvrir davantage le recrutement aux femmes
dans certains emplois, ont aussi contribué à subvertir la situation. Il faut signaler la
lutte des groupes de femmes pour l’égalité à l’emploi, trop souvent restée invisible mais
qui reste fondamentale pour transformer les rapports de sexe.
56 Notre analyse a mis en évidence comment des rapports de sexe influencent les
changements de programmes de filles qui sont des transfuges, c’est-à-dire des
personnes qui ont choisi d’étudier dans un programme majoritairement composé de
garçons, mais qui n’ont pas été en mesure d’y poursuivre leurs études. Il reste que de
nombreuses filles maintiennent le statut de transfuge. Il serait alors intéressant de
connaître les facteurs, dont les dispositions sociales et culturelles, qui favorisent le
maintien dans le programme. Une hypothèse de sens commun serait de dire que de
meilleurs résultats scolaires pourraient favoriser le maintien, mais qu’en serait-il des
facteurs possibles comme des relations de sociabilité ?
57 Une autre piste à suivre serait d’envisager les départs et le maintien dans un
programme avec une perspective intersectionnelle. On sait que de nombreuses
inégalités sociales et scolaires sont le fait de l’effet combiné de différents facteurs
sociaux. Dès lors, il devient intéressant d’ouvrir l’analyse à des perspectives
intersectionnelles dont la particularité est de réfuter « le cloisonnement et la
hiérarchisation des grands axes de la différenciation sociale que sont les catégories de
sexe/genre, classe, race, ethnicité, âge, handicap et orientation sexuelle. » (Bilge, 2009,
p. 70).
58 Une troisième piste serait de s’intéresser à la minorité des garçons dans les
programmes qui sont en majorité composées de filles. Dans la mesure où les rapports
de sexe participent à la constitution des individus, quel que soit le sexe, nous pouvons
nous demander quels sont les ressorts qui ont conduit des garçons dans des
programmes majoritairement féminins et quels sont les facteurs qui modulent les
parcours des garçons. Nos données indiquent que le type de programme à l’entrée des
études collégiales n’augmente pas ou ne diminue pas le risque de quitter ce programme
pour les garçons. Mais quels autres facteurs influencent ce choix ? Quelles relations de
sociabilité entretiennent-ils avec les filles du programme ? Mettent-ils de l’avant leur
masculinité pour affirmer leur conformité aux stéréotypes attribués aux hommes
comme le soulignent Buscatto et Fusulier (2013) pour les hommes qui occupent des
professions composées en majorité de femmes ? Sur quelles bases les filles établissent-
elles les relations avec les garçons de ces programmes ?
59 Notre dernière remarque porte sur l’intérêt et l’importance de l’approche longitudinale
pour étudier un objet comme les rapports de sexe. L’orientation est un processus qui se
déroule dans le temps et qui n’est pas irréversible. Les personnes peuvent changer
d’idée et de choix scolaire. Dès lors, la démarche longitudinale permet de suivre ou de
retracer les aléas de leur réflexion. En même temps, elle ouvre sur la capacité à
articuler différentes temporalités et ainsi à dégager des facteurs cachés ou invisibles à
un regard strictement transversal. À cet égard, le poids de l’expérience scolaire des
changements de programme est important. Celle-ci est toujours largement structurée
par des rapports de sexe qui se manifestent dans la sociabilité quotidienne et dans les
apprentissages avec des effets tant du curriculum caché que du curriculum réel.
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NOTES
1. Le système éducatif québécois est assez différent de celui qui prévaut, par exemple en France.
Il est composé de 4 ordres d’enseignement : l’éducation préscolaire et primaire, le secondaire, le
collégial et l’enseignement universitaire. L’éducation primaire et secondaire est obligatoire.
L’enseignement collégial (les cégep) est la porte d’entrée dans l’enseignement supérieur. Les
élèves sortant du secondaire peuvent s’inscrire au collège d’enseignement général et technique
(cégep) dans l’enseignement collégial. Le cégep comporte deux filières : la formation
préuniversitaire qui conduit à l’université et la formation technique qui conduit au marché du
travail, bien que de plus en plus de diplômé·e·s de l’enseignement technique poursuivre à
l’université. Notre étude porte sur les programmes de cégep, que l’on ne peut pas assimiler à la
formation aux métiers, aux baccalauréats professionnels ou technologiques français ou à la
formation universitaire. Si on demande à un professeur de formation technique d’un cégep de
comparer les formations avec la France, il vous dira que les sections BTS et les IUT sont les
filières de formation les plus proches.
2. Une grande part du travail des conseillers et des conseillères qui œuvrent en milieu scolaire
consiste en des consultations individuelles pour aider les élèves à faire un choix qui a deux volets
: un professionnel et un scolaire par la décision de faire une demande d’admission dans un
programme d’études.
3. Ces constatations ont donné lieu à différentes actions de la part des pouvoirs publics et
d’associations scientifiques pour inciter les filles à s’orienter vers les sciences pures et le génie.
Pensons ici au concours « Chapeau, les filles ! » et son volet « Excelle Science » qui soulignent la
volonté et le travail des femmes qui, inscrites à un programme de formation professionnelle ou
technique ou au baccalauréat dans une discipline des sciences et des technologies, se dirigent
vers l’exercice d’un métier traditionnellement masculin ou à l’évènement « Les filles et les
sciences, un duo électrisant ! » tenu annuellement dans quatre villes du Québec : Montréal,
Québec, Rimouski, et Sherbrooke, qui vise à faire connaître aux adolescentes de 2 e et 3 e
secondaire la nature exacte des professions scientifiques et technologiques et les programmes
d’études qui y mènent.
4. Ce choix présente des avantages et des inconvénients. Il est possible d’obtenir rapidement des
informations permettant des analyses longitudinales en comparaison à l’élaboration d’enquêtes
spécifiques. Il est aussi relativement facile de dupliquer les analyses pour saisir de possibles
changements. Par contre, l’étendue des informations est moindre. En fait, nous nous retrouvons
en situation d’analyse secondaire. Pour pallier en partie à ce problème, nous avons construit
deux variables proximales, le capital scolaire des parents et le capital économique des parents.
5. Il ne faudrait pas croire que le public masculin est uniforme. En fait plusieurs filles distinguent
trois catégories de garçons qui renvoient aussi à des stéréotypes : (1) les passionnés aussi
qualifiés de « nerds », car plus introvertis, (2) les fêtards qui sont généralement moins attentifs
en classe et (3) les solitaires qui suivent leurs cours sans intégrer la vie sociale.
6. Il faut souligner que si les garçons ne sont jamais allés trop loin, il reste que dans les
entretiens, certains d’entre eux ont tenu des propos profondément machistes. Les filles n’étaient
donc pas seules à vivre avec le « boys club ». Un étudiant qui a hésité à se déclarer homosexuel au
cours de ses études raconte : « Je te dirais que j’ai eu deux amis ! [Rire] Ça a été les deux filles de la
technique. Y’avait trois filles, je me suis tenu avec les deux filles de la technique. Les autres… pas capable du
tout, du tout. Pourtant, je suis quelqu’un qui habituellement se lie d’amitié très rapidement avec tout le
monde. À l’université, je connais tout le monde et tout le monde me connaît déjà. Je suis dans l’association
étudiante, chose que je n’avais pas le goût de faire au cégep ».
7. En fait, il est souvent difficile de savoir si les stéréotypes fondent les hiérarchies ou s’ils en
sont une manifestation. Il est tout aussi possible d’interpréter les pratiques individuelles en
soulignant que les stéréotypes manifestés par un individu structurent les hiérarchies qui
construisent son univers. En même temps, les hiérarchies sociales, et les formes d’inégalités
sociales dont elles sont porteuses, se manifestent entre autres par l’expression de stéréotypes.
8. Nous nous retrouvons dans une situation analogue aux travaux de Courcy et al. (2006) qui a été
mise en évidence. Ces recherches se sont intéressées aux jugements d’adolescent·e·s concernant
les filles qui pratiquent des sports de tradition masculine. Les chercheuses avaient démontré qu’il
y avait trois fois plus de garçons que de filles qui entretenaient des jugements négatifs sur la
féminité de filles pratiquant un sport de tradition masculine et que la majorité des étudiant·e·s
sondé·e·s (64% des filles et 78% des garçons) souscrivaient aux représentations stéréotypées de la
féminité.
RÉSUMÉS
L’orientation scolaire et professionnelle est un processus qui se trouve à l’intersection de l’action
des systèmes éducatifs et des dispositions et attributs sociaux et culturels des élèves et des
étudiant·e·s. Observée depuis l’école, l’orientation prend la forme d’avis institutionnels quant à la
poursuite des études ou d’un tri des demandes entre les filières, les programmes, les voies ou les
ordres d’enseignement. Examinée par le biais des élèves, l’orientation devient un processus de
choix entre des programmes et aussi entre des choix professionnels. Parmi les facteurs lourds qui
modulent le tri comme le choix d’études, nous retrouvons les rapports sociaux de sexe. Le
présent article s’intéresse à l’effet de ces derniers sur l’accès et sur la poursuite des études des
filles qui ont choisi d’étudier dans des programmes traditionnellement composés d’une majorité
de garçons, en combinant des analyses quantitatives et qualitatives. Les premières soulignent le
risque élevé des départs des filles inscrites dans ces programmes. Les analyses qualitatives
précisent les mécanismes de ces départs, soit les motifs d’entrée dans ces programmes, les
relations sexuées au cours de l’expérience scolaire et des éléments implicites ou cachés du
curriculum.
INDEX
Keywords : educational and career counselling or guidance, gender stereotyping, gendered
socialization, access to post-secondary education, girls’ and boys’ educational experience
Mots-clés : orientation scolaire et professionnelle, stéréotypes de sexe, socialisation genrée,
accès aux études postsecondaires, expérience scolaire des filles et des garçons
AUTEURS
PIERRE DORAY
Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, Département de
sociologie, Université du Québec à Montréal
Thèmes de recherche : sociologie de l’éducation, parcours étudiant, enseignement
postsecondaire. [email protected]
ALEXANDRE LÉPINE
Centre interuniversitaire de recherche Observatoire compétences-emplois (OCE), Université du
Québec à Montréal
Thèmes de recherche : sociologie de l’éducation, parcours étudiant, enseignement
postsecondaire. [email protected]
JAUNATHAN BILODEAU
Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, Université du Québec à
Montréal.
Thèmes de recherche : sociologie de l’éducation, parcours étudiant, enseignement
postsecondaire. [email protected]