Directoire Sur La Piété Populaire
Directoire Sur La Piété Populaire
DIRECTOIRE
SUR LA PIÉTÉ POPULAIRE ET LA LITURGIE
PRINCIPES ET ORIENTATIONS
Cité du Vatican
Décembre 2001
PLAN
Abréviations et sigles
Extraits du "Message" de Sa Sainteté Jean-Paul II
Décret
***
INTRODUCTION (1-21)
PREMIÈRE PARTIE
CARACTÉRES PRINCIPAUX
DÉTERMINÉS PAR L’HISTOIRE, LE MAGISTÈRE, LA THÉOLOGIE (22-92)
La vie cultuelle: la communion avec le Père, par le Christ dans l’Esprit Saint
(76-80)
L’Église, communauté cultuelle (81-84)
Sacerdoce commun et piété populaire (85-86)
Parole de Dieu et piété populaire (87-89)
Piété populaire et révélations privées (90)
Inculturation et piété populaire (91-92)
DEUXIÈME PARTIE
ORIENTATIONS
Avant-propos (93)
Le dimanche (95)
Le temps de l’Avent
La Couronne de l’Avent (98)
Les Processions de l’Avent (99)
Les "Quatre-Temps d’hiver" (100)
La Vierge Marie dans le temps de l’Avent (101-102)
La Neuvaine de Noël (103)
La Crèche (104)
La piété populaire et l’esprit de l’Avent (105)
Le temps de Noël (106-123)
La Nuit de Noël (109-111)
La fête de la Sainte Famille (112)
La fête des Saints Innocents (113)
Le 31 décembre (114)
La solennité de la sainte Mère de Dieu (115-117)
La solennité de l’Épiphanie du Seigneur (118)
La fête du Baptême du Seigneur (119)
La fête de la Présentation du Seigneur (120-123)
Le temps du Carême (124-137)
La vénération de Jésus crucifié (127-129)
La lecture de la Passion du Seigneur (130)
La Via Crucis (131-134)
La Via Matris (136-137)
La Semaine Sainte (138-139)
Le dimanche des Rameaux
Les palmes et les rameaux d’olivier ou d’autres arbres (139)
Le Triduum pascal (140-151)
Le Jeudi Saint
La visite au reposoir (141)
Le Vendredi Saint
La procession du Vendredi Saint (142-143)
La représentation de la Passion du Christ (144)
L’évocation de la Vierge des Douleurs (145)
Le Samedi Saint
"L’Heure de la Mère" (147)
Le Dimanche de Pâques
La rencontre de Jésus Ressuscité avec sa Mère (149)
La bénédiction de la table familiale (150)
Le salut pascal à la Mère du Ressuscité (151)
Le temps pascal (152-156)
La bénédiction annuelle des familles dans leurs maisons (152)
La "Via Lucis" (153)
La dévotion à la divine miséricorde (154)
la neuvaine de la Pentecôte (155)
le dimanche de la Pentecôte (156)
Le temps ordinaire (157-182)
La solennité de la Très Sainte Trinité (157-159)
La solennité du Corps et du Sang du Seigneur (la Fête-Dieu) (160-163)
L’adoration du Saint-Sacrement (164-165)
Le Sacré-Cœur de Jésus-Christ (166-173)
Le Cœur Immaculé de Marie (174)
Le Très Précieux Sang de Jésus-Christ (175-179)
La solennité de l’Assomption (180-181)
La Semaine de prières pour l’unité des chrétiens (182)
Quelques principes
Les temps des pieux exercices mariaux (187-189)
La célébration de la fête (187)
Le samedi (188)
Triduums, septénaires, neuvaines (189)
Les "mois de Marie" (190-191)
Quelques pieux exercices recommandés par le Magistère (192-207)
La méditation de la Parole de Dieu (193-194)
L’Angelus (195)
Le "Regina cæli" (196)
Le Rosaire (197-202)
Les Litanies de la Sainte Vierge (203)
La consécration à la Vierge Marie (204)
Le scapulaire du Carmel et les autres scapulaires (205)
Les médailles de la Vierge Marie (206)
L’hymne "Akathistos" (207)
Le Sanctuaire (262-279)
Quelques principes (262-263)
La reconnaissance canonique (264)
Le sanctuaire, lieu des célébrations cultuelles (265-273)
La valeur exemplaire du sanctuaire (266)
La célébration de la Pénitence (267)
La célébration de l’Eucharistie (268)
La célébration de l’Onction des malades (269)
La célébration des autres sacrements (270)
La célébration de la Liturgie des Heures (271)
La célébration des sacramentaux (272-273)
Le sanctuaire, lieu d’évangélisation (274)
Le sanctuaire, lieu de la charité (275)
Le sanctuaire, lieu culturel (276)
Le sanctuaire, lieu de l’engagement œcuménique (277-278)
Le Pèlerinage (279-287)
Les pèlerinages bibliques (280)
Le pèlerinage chrétien (281-285)
La spiritualité du pèlerinage (286)
Le déroulement du pèlerinage (287)
CONCLUSION (288)
ABREVIATIONS ET SIGLES
Cf. comparez
Ibid Ibidem
Le Peuple de Dieu a besoin de voir dans les prêtres et les diacres un comportement plein
de révérence et de dignité, capable de l’aider à pénétrer les choses invisibles, même avec
peu de paroles et d’explications. Dans le Missel Romain, dit de Saint Pie V, comme dans
diverses liturgies orientales, on trouve de très belles prières avec lesquelles le prêtre
exprime le plus profond sens d’humilité et de révérence face aux saints mystères: celles-
ci révèlent la substance même de toute liturgie.
La célébration liturgique présidée par le prêtre est une assemblée priante, rassemblée
dans la foi et attentive à la Parole de Dieu. Son premier but est de présenter à la divine
Majesté le Sacrifice vivant, pur et saint, offert sur le Calvaire une fois pour toutes par le
Seigneur Jésus, qui se rend présent chaque fois que l’Église célèbre la Sainte Messe pour
exprimer le culte dû à Dieu en esprit et en vérité.
Je connais l’engagement de cette Congrégation pour promouvoir, avec les Évêques,
l’approfondissement de la vie liturgique dans l’Église. En vous exprimant ma
satisfaction, je souhaite que cette œuvre précieuse contribue à rendre les célébrations
toujours plus dignes et fructueuses.
La religiosité populaire, qui s’exprime dans des formes diversifiées et diffuses, quand
elle est sincère, a comme source la foi et doit être, par conséquent, favorisée. Dans ses
manifestations les plus authentiques, elle ne s’oppose pas au caractère central de la
Sainte Liturgie, mais, en favorisant la foi du peuple qui la considère comme une
expression religieuse connaturelle, elle prédispose à la célébration des mystères sacrés.
5. Une juste notion du rapport entre ces deux expressions de foi doit maintenir
fermement certains points et, parmi ceux-ci, essentiellement que la liturgie est le centre
de la vie de l’Église et qu’aucune autre expression religieuse ne peut s’y substituer ou
être considérée au même niveau.
Une telle évaluation est avant tout de la compétence de l’Évêque diocésain ou des
Évêques concernés par de telles formes de religiosité sur un territoire. Dans ce cas, il est
opportun que les Pasteurs confrontent leurx expériences pour offrir des orientations
pastorales communes, en évitant les contradictions dommageables au peuple chrétien.
Toutefois, que les Évêques aient à l’égard de la religiosité populaire une attitude positive
et encourageante, à moins de motifs contraires évidents.
***
Prot. N. 1532/00/L
DÉCRET
INTRODUCTION
Cette question requiert l’attention constante des Évêques, des prêtres et des diacres, ainsi
que des fidèles qui sont engagés dans la vie pastorale, et aussi des chercheurs, qui ont à
cœur d’assurer la promotion de la vie liturgique auprès des fidèles, autant que le
développement de la piété populaire.
2. Les relations existant entre la Liturgie et les pieux exercices ont été exprimées
explicitement par le Concile Vatican II dans la Constitution sur la sainte Liturgie. En
diverses circonstances, le Siège Apostolique et les Conférences des Évêques ont traité
plus amplement de ce sujet de la piété populaire, et elle fut de nouveau présentée par
Jean-Paul II lui-même, parmi les tâches à accomplir dans le cadre du renouveau
liturgique, dans la Lettre apostolique Vicesimus Quintus Annus: la "piété populaire ne
peut être ni ignorée, ni traitée avec indifférence ou mépris, car elle est riche de valeurs
et déjà par elle-même elle exprime le fond religieux de l’homme devant Dieu. Mais elle a
besoin sans cesse d’être évangélisée, pour que la foi qui l’inspire s’exprime par un acte
toujours plus réfléchi et authentique. Les "pieux exercices" du peuple chrétien, comme
aussi les autres formes de dévotion, sont accueillis et recommandés, pourvu qu’ils ne se
substituent pas et qu’ils ne se mélangent pas aux célébrations liturgiques. Une
authentique pastorale liturgique saura s’appuyer sur les richesses de la piété populaire,
les purifier et les orienter vers la liturgie comme offrande des peuples".
3. Ainsi, dans le but d’aider "les Évêques afin que, outre le culte liturgique, soient
favorisées et tenues en honneur les prières et les pratiques de piété du peuple chrétien
qui sont pleinement en accord avec les normes de l’Église", il a semblé opportun à ce
Dicastère de rédiger le présent Directoire, qui contient un exposé aussi complet que
possible des relations entre la Liturgie et la piété populaire, ainsi que certains principes
et des indications concernant leur application pratique.
Nature et structure
L’ensemble de ce Directoire, qui a pour but d’orienter et aussi, dans certains cas, de
prévenir de possibles abus et déviations, se distingue en outre par son caractère
constructif et son ton positif. Dans cette perspective, les Orientations comprennent, au
sujet des dévotions particulières, de brèves notices historiques, suivies du rappel des
divers pieux exercices, auxquels elles donnent lieu, et elles exposent les raisons
théologiques qui constituent leur fondement, en donnant des suggestions pratiques
concernant le temps, le lieu, le langage et les autres éléments qui sont nécessaires pour
réaliser l’harmonie indispensable entre les actions liturgiques et les pieux exercices.
Les destinataires
5. Les propositions concrètes, qui concernent seulement l’Église latine et en premier lieu
le Rite Romain, sont adressées avant tout aux Évêques, à qui il appartient de présider la
communauté cultuelle de leur diocèse, de faire progresser la vie liturgique et de
coordonner cette dernière avec les autres formes cultuelles; les destinataires de ces
propositions sont aussi les collaborateurs directs des Évêques, c’est-à-dire leurs Vicaires,
les prêtres et les diacres, et, à un titre particulier, les recteurs des sanctuaires. Enfin, elles
sont adressées aux Supérieurs majeurs des instituts de vie consacrée, masculins et
féminins, parce qu’un grand nombre de manifestations de la piété populaire se sont
développées à leur contact, et que, de cette collaboration des religieux, des religieuses et
des membres des instituts séculiers, on peut attendre beaucoup de résultats positifs pour
une juste harmonisation entre la Liturgie et la piété populaire.
La terminologie
6. Au cours des siècles, les Églises d’Occident se sont distinguées par leur capacité de
développer et d’enraciner, dans le peuple chrétien, avec et à côté des célébrations
liturgiques, des formes à la fois multiples et variées pour exprimer, avec simplicité et
ferveur, la foi en Dieu, l’amour envers le Christ Rédempteur, l’invocation de l’Esprit
Saint, la dévotion envers la Vierge Marie, la vénération des Saints, le devoir de la
conversion et la charité fraternelle. Il reste que, dans ce domaine si complexe, désigné
communément par les expressions de "religiosité populaire" ou de "piété populaire", la
terminologie employée n’est pas univoque, et c’est pourquoi il est indispensable
d’apporter quelques précisions. Tout en n’ayant pas la prétention de trancher
définitivement chacune des questions, il a paru important de présenter la définition
usuelle des locutions employées dans ce document.
Les dévotions
8. Dans ce document, le terme "dévotions" est employé pour désigner les diverses
pratiques extérieures (par exemple, les prières ou les chants; le respect de certains temps
et la visite de lieux particuliers, les insignes, les médailles, les habitudes et les normes),
qui, animées de l’intérieur par la foi, mettent un accent particulier sur la relation entre,
d’une part, le fidèle et, d’autre part, les Divines Personnes de la Très Sainte Trinité, ou la
bienheureuse Vierge Marie en se référant à ses privilèges de grâce ou aux titres qu’ils
expriment, ou encore les Saints, considérés dans leur configuration au Christ ou dans le
rôle qu’ils ont exercé dans la vie de l’Église.
La piété populaire
La piété populaire, définie très justement comme un "vrai trésor du Peuple de Dieu",
"traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend
capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la
foi. Elle comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu: la paternité, la providence,
la présence amoureuse et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement
observées ailleurs au même degré: patience, sens de la croix dans la vie quotidienne,
détachement, ouverture aux autres dévotions".
La religiosité populaire
10. Les réalités désignées par la locution "religiosité populaire" renvoient à une
expérience universelle: une certaine dimension religieuse est toujours présente dans le
cœur de chaque personne, comme dans la culture de chaque peuple, en particulier dans
le cadre de ses manifestations collectives. De fait, chaque peuple tend à exprimer sa
propre vision totalisante de la transcendance, ainsi que sa conception de la nature, de la
société et de l’histoire en se servant des médiations cultuelles, et il réalise ainsi une
synthèse particulière qui a une dimension humaine et spirituelle de grande valeur.
Quelques principes
Le primat de la Liturgie
11. L’histoire enseigne que, à certaines époques, la foi a été soutenue par des formes et
des pratiques de piété, qui, dans la majorité des cas, ont été souvent considérées par les
fidèles comme des événements particulièrement marquants et indissociables des
célébrations liturgiques. En vérité, "toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du
Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence, dont nulle
action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré".
Cependant, il faut surmonter l’équivoque qui consiste à soutenir que la Liturgie ne serait
pas "populaire": le renouveau conciliaire s’est fixé comme objectif de promouvoir la
participation du peuple à la célébration de la Liturgie, en favorisant des moyens et des
éléments (les chants, la participation active, les ministères dévolus aux laïcs...) qui, en
d’autres temps, avaient suscité l’élaboration de prières qui alternaient avec l’action
liturgique ou se substituaient à elle.
La primauté de la Liturgie sur les autres formes de prières chrétiennes, qui sont
possibles et légitimes, doit trouver un écho dans la conscience des fidèles: si les
sacrements sont indispensables pour pouvoir vivre unis au Christ, les diverses formes de
la piété populaire ont, en revanche, un caractère facultatif. On peut citer, à titre
d’illustration particulièrement importante et vénérable, le précepte de la participation à
la Messe dominicale; de leur côté, les pieux exercices, qui, pourtant, peuvent être
recommandés et répandus parmi les fidèles d’une manière habituelle, ne font jamais
l’objet d’une obligation, même si certaines communautés ou des fidèles, à titre
personnel, ont toujours la possibilité de considérer qu’ils ont un caractère impératif.
Ce principe doit être enseigné aux prêtres et aux fidèles dans le cadre de leur formation
respective; en effet, il faut affirmer sans ambiguïté la primauté de la prière liturgique et
de l’année liturgique sur toutes les autres pratiques de dévotion. Il est vrai, toutefois, que
cette même primauté ne peut en aucun cas être synonyme d’exclusion, d’opposition et de
marginalisation.
Valorisation et renouveau
12. Le caractère facultatif des pieux exercices ne peut en aucun cas signifier une
quelconque méconnaissance, ni même le mépris à leur égard. L’attitude juste qu’il
convient d’adopter est, au contraire, celle qui consiste à valoriser d’une manière
adéquate et avec sagesse, les richesses non négligeables de la piété populaire, avec ses
potentialités et la qualité de la vie chrétienne qu’elle est capable de susciter.
Ainsi, on comprend que le renouveau liturgique voulu par le Concile Vatican II doive
aussi, en quelque sorte, inspirer l’évaluation et le renouveau des pieux exercices et des
pratiques de dévotion. La piété populaire doit faire apparaître les éléments suivants:
l’inspiration biblique, car on ne peut concevoir une prière chrétienne sans référence
directe ou indirecte à un passage de la Bible; l’inspiration liturgique, puisque la piété
populaire met en relief ou du moins se fait l’écho des mystères célébrés dans les actions
liturgiques; l’inspiration œcuménique, c’est-à-dire la prise en compte des sensibilités et
des traditions chrétiennes diverses, tout en évitant de se prêter à des expériences
inopportunes; l’inspiration anthropologique, qui s’exprime, soit dans l’accueil de
symboles et d’expressions propres à un peuple, en évitant, toutefois, un archaïsme qui
serait privé de toute signification, soit dans l’effort qui vise à engager un dialogue avec
les sensibilités contemporaines. Un tel renouveau ne sera fructueux que s’il est réalisé
graduellement et avec pédagogie, en tenant compte des lieux et des circonstances.
13. La différence objective entre, d’une part, les pieux exercices et les pratiques de
dévotion, et, d’autre part, la Liturgie, doit apparaître clairement dans les expressions du
culte chrétien. Cela signifie, d’une part, que les formes particulières des pieux exercices
ne peuvent pas se mêler aux actions liturgiques, et, d’autre part, que les actes de piété et
de dévotion ont une place qui leur est propre, en dehors de la célébration de
l’Eucharistie et des autres sacrements.
Enfin, il faut éviter de qualifier les pieux exercices de "célébrations liturgiques", car ils
doivent conserver leur propre style, leur simplicité et leur langage particulier.
Les gestes
15. La piété populaire se caractérise par une variété très riche d’expressions corporelles,
de gestes et de symboles. On peut citer, par exemple, l’usage d’embrasser ou de toucher
avec la main les images et les lieux saints, les reliques ou les objets sacrés; le fait
d’entreprendre des pèlerinages ou d’organiser des processions, de parcourir des
tronçons de route ou certains parcours "spéciaux" à pieds ou à genoux; la présentation
d’offrandes, de cierges et d’ex-voto; le port d’habits particuliers; le fait de s’agenouiller et
de se prosterner, de porter des médailles et des insignes... De telles expressions, qui se
transmettent depuis des siècles de père en fils, constituent des moyens directs et simples
destinés à manifester extérieurement les sentiments présents dans le cœur des fidèles, et
aussi leur volonté de vivre d’une manière authentiquement chrétienne. Sans cette
dimension d’intériorité, les gestes symboliques risquent de devenir des coutumes vides
de sens et, dans le pire des cas, de dégénérer en superstition.
16. Bien que les énoncés des prières et les formules de dévotion soient rédigés en
employant un langage que l’on pourrait qualifier de moins rigoureux, si on les compare
aux prières de la Liturgie, ils doivent néanmoins s’inspirer des textes de la Sainte
Écriture, de la Liturgie, des Pères et du Magistère, tout en étant conformes à la foi de
l’Église. L’emploi des textes des prières et des actes de piété, qui ont un caractère stable
et public, requiert l’approbation de l’Ordinaire du lieu.
Le chant et la musique
17. De même, le chant, qui est l’expression naturelle de l’âme d’un peuple, occupe une
place de choix dans le cadre de la piété populaire. Le soin apporté à conserver les chants
traditionnels transmis par les générations précédentes, doit être associé au sens biblique
et ecclésial, et, par conséquent, doit se conjuguer avec la nécessité de révisions
successives ou de nouvelles compositions.
Certains peuples ont coutume d’associer le chant avec le battement des mains, le
mouvement rythmique du corps et la danse. Ces manières particulières d’exprimer les
sentiments intérieurs font partie des traditions populaires, spécialement à l’occasion des
fêtes des saints Patrons; elles sont recevables dans la mesure où elles constituent les
expressions d’une vraie prière commune, et non pas simplement un spectacle. Le fait
qu’elles aient cours habituellement dans des lieux bien déterminés ne signifie pas pour
autant qu’on doive encourager leur extension à d’autres lieux, dans lesquels leur usage
ne conviendrait pas par manque de connaturalité.
Les images
18. Une autre expression très importante de la piété populaire est le recours aux images
sacrées; celles-ci sont réalisées en tenant compte des règles de la culture ambiante et en
fonction de la grande diversité des artistes, et elles aident les fidèles à accéder aux
mystères de la foi chrétienne. Il convient d’affirmer que la vénération envers les images
sacrées appartient, par nature, à la piété catholique: le signe tangible de cet attachement
est constitué par le grand patrimoine artistique, présent dans les églises et les
sanctuaires, à la constitution duquel la dévotion populaire a souvent contribué.
Puisque l’iconographie, qui a sa place dans les édifices sacrés, n’est pas laissée à
l’initiative privée, les responsables des églises et des oratoires doivent exercer la
vigilance nécessaire, afin de garantir la dignité, la beauté et la qualité des images
présentées à la vénération publique des fidèles, en veillant en particulier à ce que des
tableaux ou des statues inspirés par les dévotions privées de quelques personnes, ne
soient pas imposés de facto à la vénération commune.
Les Évêques, de même que les recteurs des sanctuaires, doivent s’assurer que les images
sacrées destinées à l’usage des fidèles, qui sont réalisées de manières diverses, pour être
exposées dans les maisons, ou portées en pendentif, ou encore conservées
personnellement, ne dégénèrent ni dans la banalité, ni dans l’erreur.
Les lieux
20. L’alternance des jours et des nuits, la succession des mois et le changement des
saisons sont accompagnés par des expressions variées de la piété populaire. De même,
cette dernière est associée à des jours particuliers, où sont célébrés des événements
joyeux et tristes de la vie personnelle, familiale et communautaire. Surtout, la "fête",
avec ses journées de préparation, est destinée à donner du relief aux manifestations
religieuses qui ont contribué à forger la tradition particulière d’une communauté
déterminée.
Responsabilité et compétence
Il reste que des fidèles, à titre personnel - qu’ils soient clercs ou laïcs - ainsi que des
groupes particuliers doivent éviter de proposer publiquement et de propager des
prières, des formules et des initiatives, sans le consentement de l’Ordinaire.
Selon la norme de la Constitution apostolique Pastor Bonus précitée (n. 70), cette
Congrégation est compétente pour aider les Évêques dans la détermination des prières et
des pratiques de piété du peuple chrétien, pour émettre des dispositions qui s’appliquent
à des cas dépassant le cadre territorial d’une Église particulière, et pour imposer des
mesures complémentaires, si cela s’avère nécessaire.
***
PREMIÈRE PARTIE
CARACTÈRES PRINCIPAUX
Chapitre I
22. Les rapports entre la Liturgie et la piété populaire sont très anciens. Dans un premier
temps, il est nécessaire de présenter succinctement comment ces relations ont été vécues
tout au long des siècles. Sur ces fondements, il sera ensuite possible d’émettre des idées
ou d’énoncer des suggestions, dans le but de contribuer, dans un nombre non
négligeable de cas, à résoudre certaines questions qui se posent à notre époque.
Dès les premières générations chrétiennes, il est possible de relever l’existence de signes
et de gestes se rapportant à la piété personnelle; ceux-ci, en tout premier lieu,
provenaient de la tradition judaïque; de plus, tout en se conformant à l’exemple donné
par Jésus et saint Paul, ces initiatives des chrétiens s’inspiraient de leurs conseils au sujet
de la prière incessante (cf. Lc 18, 1; Rm 12, 12; 1 Th 5, 17), qui doit être adressée à Dieu
pour obtenir ou commencer toute chose dans l’action de grâce (cf. 1 Co 10, 31; 1 Th 2, 13;
Col 3, 17). Le pieux Israëlite commençait la journée en louant et en rendant grâce à Dieu,
et il accomplissait chaque action dans cet esprit tout au long du jour; ainsi, chaque
moment, qu’il fût joyeux ou triste, était l’occasion d’exprimer une prière de louange, de
demande ou de pardon. Les Évangiles et les autres écrits du Nouveau Testament
contiennent des invocations adressées à Jésus, qui, répétées par les fidèles en dehors du
contexte liturgique, étaient devenues en quelque sorte des prières jaculatoires, par
lesquelles ils exprimaient leur dévotion centrée sur le Christ. On peut penser que les
fidèles avaient l’habitude de répéter des locutions bibliques telles que: "Jésus, Fils de
David, aie pitié de moi" (Lc 18, 38); "Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir" (Mt 8, 1);
"Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume" (Lc 23, 42); "Mon
Seigneur et mon Dieu" (Jn 20, 28); "Seigneur Jésus, reçois mon esprit" (Ac 7, 59). Cette
forme de piété constituera le modèle à partir duquel se développeront d’innombrables
prières adressées au Christ par les fidèles de tous les temps.
De même, le culte des martyrs, si important dans les Églises locales, contient des
éléments qui proviennent d’usages populaires concernant la mémoire des défunts. De
tels éléments de la piété populaire se retrouvent aussi dans certaines expressions de
vénération à l’égard de la bienheureuse Vierge Marie, parmi lesquelles on peut citer la
prière du Sub tuum praesidium, et l’iconographie mariale présente dans les catacombes
de Priscille, à Rome.
Il est vrai que l’Église fait preuve de beaucoup de rigueur pour exiger les dispositions
personnelles requises de la part des fidèles, et pour imposer les conditions
indispensables en vue d’une célébration des mystères divins qui soit empreinte de
dignité (cf. 1 Cor 11, 17-32); pourtant, elle n’hésite pas à incorporer elle-même dans les
rites liturgiques des formes et des expressions de la piété individuelle, familiale et
communautaire.
À cette époque, la Liturgie et la piété ne s’opposent pas, aussi bien sur le plan doctrinal
que pastoral: de fait, elles concourent toutes les deux d’une manière harmonieuse à la
célébration de l’unique mystère du Christ, considéré dans son unité, et au soutien de la
vie surnaturelle et morale des disciples du Seigneur.
24. À partir du IV siècle, le nouveau contexte politique et social dans lequel se trouve
l’Église, encourage cette dernière à poser la question des rapports entre les expressions
liturgiques et celles de la piété populaire en des termes, non seulement de convergence
spontanée, mais aussi d’adaptation volontaire et d’inculturation.
Les diverses Église locales, mues par des intentions intensément missionnaires et
pastorales, acceptaient volontiers d’accueillir dans la Liturgie, tout en les purifiant, des
formes cultuelles solennelles et festives, appréciées par le peuple, qui, tout en provenant
de l’univers du paganisme, étaient capables d’émouvoir les âmes et de toucher
l’imagination. Ces formes, mises au service du culte, ne paraissaient pas contraires à la
Vérité de l’Évangile, ni à l’authenticité du vrai culte chrétien. Ainsi, il s’avérait que les
multiples expressions cultuelles ancrées dans les sentiments religieux les plus profonds
de la personne humaine, qui s’adressaient habituellement à des faux dieux et à des faux
sauveurs, trouvaient leur juste et véritable place dans le seul culte rendu au Christ, vrai
Dieu et vrai Sauveur.
25. Au cours des IV et V siècles, le sens du sacré marque de plus en plus explicitement le
temps et les lieux. De fait, en ce qui concerne tout d’abord le temps, les Églises locales,
qui se référaient déjà aux événements du Nouveau Testament relatifs au "jour du
Seigneur", aux festivités pascales et aux périodes réservées au jeûne (cf. Mc 2, 18-22),
établirent en outre des jours bien déterminés en vue de la célébration de certains
mystères du Christ Sauveur, dont, en particulier, l’Épiphanie, Noël et l’Ascension. Elles
fixèrent aussi certains jours pour honorer les mémoires des martyrs, le jour de leur dies
natali, pour évoquer l’entrée dans la vie éternelle de leurs pasteurs en l’anniversaire de
leur dies depositionis, enfin, pour célébrer certains sacrements ou des engagements
solennels. La sacralisation d’un lieu a pour origine la convocation, à cet endroit, de la
communauté en vue de la célébration des mystères divins et de la louange du Seigneur;
ce lieu, qui est alors soustrait au culte païen ou tout simplement à l’usage profane, est
exclusivement dédié au culte divin, et devient, du fait de la disposition même de son
espace architectonique, un reflet du mystère du Christ et une image de l’Église
célébrante.
26. C’est de cette époque que date le processus de formation, et, par la suite, de
différenciation des diverses familles liturgiques. En effet, les plus importantes Églises
métropolitaines, pour des motifs tenant à la langue, à la tradition théologique, à la
sensibilité spirituelle et au contexte social, célèbrent l’unique culte du Seigneur en se
référant à leurs propres usages culturels et populaires. Cette démarche conduit
progressivement à la création de familles liturgiques qui possèdent chacune leur propre
style de célébration et un ensemble complexe de textes et de rites. Il convient de relever
la présence, dans ces diverses Liturgies, de nombreux éléments d’origine populaire, y
compris durant ces périodes, qui sont généralement considérées comme
particulièrement brillantes.
De plus, les Évêques et les synodes régionaux interviennent dans l’organisation du culte,
en promulguant des normes, en vérifiant la rectitude doctrinale des textes et en veillant
sur leur beauté formelle, enfin en évaluant l’ordonnancement des rites. Ces
interventions contribuent à fixer les formes liturgiques, ce qui a pour conséquence
d’affaiblir la créativité, dépourvue de tout caractère arbitraire, qui prévalait à l’origine.
L’analyse de ce phénomène a permis à certains spécialistes de mettre en évidence l’une
des causes de la future prolifération des textes destinés à la piété privée et populaire.
27. Le pontificat de saint Grégoire le Grand (590-604), éminent pasteur et liturgiste, est
généralement considéré comme une référence exemplaire dans le domaine de la
fécondité des rapports entre la Liturgie et la piété populaire. De fait, ce Pontife entreprit
de réaliser une importante œuvre liturgique destinée à offrir au peuple romain, par
l’organisation des processions, des stations et des rogations, des formes liturgiques qui,
tout en correspondant à la sensibilité populaire, étaient solidement ancrées dans la
célébration même des mystères divins; il promulgua de sages directives afin d’éviter que
la conversion des nouveaux peuples à l’Évangile ne se fasse au détriment de leurs
propres traditions culturelles, mais, que, au contraire, la Liturgie puisse être enrichie de
nouvelles expressions cultuelles légitimes; il harmonisa les nobles expressions du génie
artistique avec celles, plus simples, de la sensibilité populaire; il renforça l’unité du culte
chrétien en le centrant d’une manière intangible sur la célébration de Pâques, de telle
sorte que les divers événements de l’unique mystère du salut - comme, par exemple,
Noël, l’Épiphanie et l’Ascension... - soient célébrés d’une manière particulière; enfin, il
favorisa l’extension du culte des Saints par la multiplication des mémoires.
Le Moyen Âge
28. Dans l’Orient chrétien, spécialement byzantin, la période médiévale est marquée par
la lutte contre l’hérésie iconoclaste, qui s’est déroulée en deux phases (725-787 et 815-
843); cette époque est considérée comme une ligne de partage en ce qui concerne le
développement de la Liturgie; celle-ci est bien visible autant dans les commentaires
classiques sur la Liturgie eucharistique que dans l’iconographie intéressant les édifices
du culte.
29. En Occident, la rencontre, qui remonte au V siècle, entre, d’une part, le christianisme
et, d’autre part, les nouveaux peuples, spécialement les Celtes, les Wisigoths, les Anglo-
saxons, les Francs et les Germains, donne lieu, durant le haut Moyen Âge , à un processus
de formation de nouvelles cultures et de nouvelles institutions politiques et sociales.
30. Parmi les causes qui, durant cette période, ont déterminé un tel dualisme, on peut
citer essentiellement:
- l’idée selon laquelle la Liturgie relève plutôt de la compétence des clercs, les laïcs
devant se contenter d’en être en quelque sorte les spectateurs;
- la connaissance insuffisante des Écritures de la part, non seulement des fidèles laïcs,
mais aussi de celle de nombreux clercs et religieux, rend difficile l’accès à la clef
indispensable qui permet d’ouvrir le cœur à la compréhension de la structure et du
langage symbolique de la Liturgie;
31. Durant le Moyen Âge, on vit surgir un grand nombre de mouvements spirituels et
d’associations, au profil juridique et ecclésial très divers, dont la vie et les activités
influèrent sur la mise en place des rapports entre la Liturgie et la piété populaire.
Ainsi, par exemple, les nouveaux ordres religieux de vie apostolique et évangélique,
dédiés à la prédication, adoptèrent des formes de célébration plus simples que celles qui
avaient cours dans les monastères, et aussi plus proches du peuple et de ses manières de
s’exprimer. De plus, ils contribuèrent à la création d’un certain nombre de pieux
exercices, dans lesquels ils exprimaient leur propre charisme, ce qui leur permit ainsi de
le transmettre aux fidèles.
De leur côté, les écoles de spiritualité constituaient alors des points de référence
importants dans la vie de l’Église; elles inspiraient des attitudes et des modes de vie
ancrés dans le Christ et dans l’Esprit Saint, qui, tout en exerçant une influence non
négligeable sur le choix de certaines célébrations (par exemple, l’évocation des épisodes
de la Passion du Christ), étaient aussi à l’origine de nombreux pieux exercices.
De même encore, la société civile, qui se définissait elle-même volontiers comme une
societas christiana, modelait certaines de ses structures sur celles de l’Église, allant
jusqu’à fixer ses propres points de repère sur les rythmes liturgiques; ainsi, par exemple,
lorsque, le soir venu, le son des cloches se faisait entendre, les paysans, qui travaillaient
dans les champs, savaient que le temps était venu de rentrer au village, et cette sonnerie
des cloches les invitait en même temps à adresser une salutation à la Vierge Marie.
- l’organisation de représentations sacrées, ayant pour objet les mystères célébrés durant
l’année liturgique, en particulier les événements du salut que sont la Nativité du Christ,
sa Passion, sa Mort et sa Résurrection;
33. Au Moyen Âge, les relations entre la Liturgie et la piété populaire sont à la fois
permanentes et complexes. De fait, durant toute cette période, il est possible d’observer
le double mouvement suivant: si, d’une part, la liturgie inspire et produit certaines
expressions de la piété populaire, d’autre part, et en sens contraire, des formes de la
piété populaire sont accueillies et intégrées dans la Liturgie. Ce double phénomène se
produit surtout en ce qui concerne les rites de consécration des personnes ou qui ont
pour objet des engagements personnels, les rites qui ont trait à la dédicace des lieux
sacrés, dans le domaine de l’institution d’un certain nombre de fêtes, et, enfin, dans
celui, ample et varié, des bénédictions.
Toutefois, on note, à cette époque, un certain dualisme dans les rapports entre la Liturgie
et la piété populaire. Vers la fin du Moyen Âge, ces deux réalités traversent une période
de crise: dans la Liturgie, à cause de la rupture de l’unité cultuelle, il arrive que des
éléments secondaires acquièrent une importance excessive au détriments des éléments
principaux; dans le domaine de la piété populaire, par manque d’une catéchèse
approfondie, des déviations et des exagérations altèrent l’expression appropriée du culte
chrétien.
L’époque moderne
34. Il ne semble pas que l’époque moderne, du moins à ses débuts, ait été une période
très favorable pour l’élaboration d’une solution équilibrée dans le domaine des relations
entre la liturgie et la piété populaire. Dans la seconde moitié du XV siècle, la devotio
moderna, qu’illustrèrent d’éminents maîtres de la vie spirituelle, et qui connut une
diffusion importante parmi les clercs et les laïcs érudits, favorisa le développement d’un
certain nombre de pieux exercices, marqués par un style méditatif et un ton affectif, qui
se référaient essentiellement à l’humanité du Christ - c’est-à-dire, en l’occurrence, les
mystères de son enfance, de sa vie cachée, de sa Passion et de sa Mort -. Toutefois, la
primauté accordée à la contemplation et la valorisation de la subjectivité, elles-mêmes
unies à un certain pragmatisme ascétique, qui exaltait le devoir à accomplir, avaient
pour conséquence que la Liturgie, en tant que source primordiale de la vie chrétienne,
n’exerçait pas une grande ascendance spirituelle sur les hommes et les femmes de cette
époque.
35. Parmi les expressions les plus typiques de la devotio moderna, il convient de citer
l’ouvrage De imitatione Christi; ce livre a exercé une influence extraordinaire et salutaire
sur de nombreux disciples du Seigneur, qui désiraient parvenir à la perfection
chrétienne. L’œuvre De imitatione Christi oriente les fidèles vers un type de piété plutôt
individuelle, en mettant l’accent sur le détachement du monde et l’invitation à écouter la
voix du Maître intérieur; en revanche, il semble que, dans ce même ouvrage, la place
dévolue aux aspects communautaires et ecclésiaux de la prière, ainsi qu’aux éléments de
la spiritualité liturgique, soit trop restreinte.
Les milieux qui pratiquent la devotio moderna mettent en valeur un certain nombre de
pieux exercices de qualité, qui, certes, manifestent sur le plan cultuel la dévotion de
personnes sincérement dévotes, mais qui, néanmoins, ont pour limite de ne pas toujours
contribuer à la valorisation pleine et entière de la célébration liturgique.
36. Entre la fin du XV siècle et le début du XVI siècle, les grandes découvertes
géographiques - en Afrique, en Amérique, et ensuite dans l’Extrême-Orient - ont pour
effet de présenter la question des rapports entre la Liturgie et la piété populaire d’une
manière complètement nouvelle.
37. Dans les premières années du XVI siècle, parmi les hommes les plus convaincus de la
nécessité d’une réforme appropriée de l’Église, on peut citer les moines camaldules Paul
Giustiniani et Pierre Querini, auteurs d’un Libellus ad Leonem X, qui contient
d’importantes indications en vue de revitaliser la Liturgie et d’en ouvrir les trésors à tout
le peuple de Dieu: il convient de citer, notamment, la nécessité de l’instruction du clergé
et des religieux, qui doit surtout être un enseignement biblique; l’adoption de la langue
vernaculaire dans la célébration des mystères divins; la réorganisation des livres
liturgiques; l’élimination des éléments illégitimes et altérés de certaines formes erronées
de la piété populaire; et la nécessité d’une catéchèse destinée, en particulier, à
transmettre aux fidèles la valeur de la Liturgie.
38. Peu de temps après la clôture du Concile œcuménique de Latran V (16 mars 1517),
qui édicta quelques règles concernant l’éducation des jeunes à la Liturgie, débuta la crise
due à l’apparition du protestantisme, dont les protagonistes soulevèrent de nombreuses
objections sur des points essentiels de la doctrine catholique à propos des sacrements et
du culte promu par l’Église, y compris la piété populaire.
Toutefois, il convient de noter que cette réforme eut aussi, indirectement, quelques effets
négatifs: le caractère invariable, dont était revêtue la Liturgie, semblait provenir des
indications fournies par les rubriques, plus que de sa propre nature; de plus, le fait que
la Liturgie paraissait résulter de l’action de la seule hiérarchie contribuait à renforcer le
dualisme, qui existait déjà entre cette dernière et la piété populaire.
Les "missions populaires", qui datent de cette époque, contribuent elles aussi à la
diffusion des pieux exercices. Celles-ci font apparaître la coexistence entre la Liturgie et
la piété populaire, tout en manifestant un certain déséquilibre entre les deux
composantes de cette même réalité: en effet, les missions, dont le but est essentiellement
de conduire les fidèles à s’approcher du sacrement de la réconciliation et à recevoir la
communion eucharistique, recourent abondamment aux pieux exercices; ceux-ci
constituent donc le moyen le plus sûr pour inciter ces mêmes fidèles à la conversion
dans le cadre d’une action de type cultuel, elle-même marquée par une participation
populaire qui ne fait jamais défaut.
Les pieux exercices étaient souvent recueillis et consignés dans des livres de prières qui,
munis de l’approbation ecclésiastique, constituaient de véritables manuels destinés au
culte; ils étaient utilisés aussi bien durant les divers moments de la journée, du mois et
de l’année, que dans les circonstances innombrables de la vie.
La piété populaire, qui, dans le passé, s’était révélée efficace pour endiguer les effets
négatifs du protestantisme, se révèle capable de contrer les idées corrosives du
rationalisme et, à l’intérieur de l’Église, de remédier aux conséquences néfastes du
jansénisme. Cette double confrontation, ainsi que le développement ultérieur des
missions populaires, ont pour conséquence d’enrichir encore la piété populaire: certains
aspects du Mystère de la foi sont ainsi mis en valeur d’une manière toute nouvelle; tel est
le cas, par exemple, du Cœur du Christ, et des nouveaux "jours" qui polarisent la piété
des fidèles, comme les neuf "premiers vendredis" du mois.
43. La Réforme catholique avait renforcé les structures et l’unité du rite de l’Église
romaine. Durant le XVIII siècle, qui fut marqué par une grande expansion missionnaire,
l’Église avait introduit sa propre Liturgie et ses structures institutionnelles au milieu des
peuples à qui le message évangélique était annoncé.
Au XVIII siècle, dans les territoires de mission, les rapports entre la Liturgie et la piété
populaire se définissent en des termes semblables à ceux qui étaient déjà observés aux
XVI et XVII siècles, tout en les accentuant:
- Quant à la piété populaire, elle est, d’une part, soumise au danger du syncrétisme
religieux, surtout là où l’évangélisation demeure superficielle; et, d’autre part, elle
acquiert progressivement une autonomie plus grande et une maturité plus profonde, du
fait qu’elle ne se limite pas aux seuls pieux exercices diffusés par les évangélisateurs,
mais qu’elle en crée d’autres, qui s’enracinent dans la culture locale.
L’époque contemporaine
44. Au XIX siècle, après la crise provoquée par la Révolution française, dont l’intention
était d’éradiquer la foi catholique en s’attaquant notamment au culte chrétien, on assiste
à un renouveau très significatif de la Liturgie.
Cette renaissance fut précédée et préparée par un développement vigoureux de
l’ecclésiologie, qui présentait l’Église, non seulement comme une société hiérarchique,
mais aussi comme le Peuple de Dieu et comme une communauté réunie pour la
célébration du culte. Parallèlement à ce réveil de l’ecclésiologie, il convient de relever,
comme prémices du renouveau liturgique, la floraison des études bibliques et
patristiques, et le dynamisme ecclésial et œcuménique de certains hommes tels que
Antonio Rosmini († 1855) et John Henry Newman († 1890).
45. Le XIX siècle n’est pas seulement marqué par le renouveau de la Liturgie mais il est
caractérisé aussi par un développement de la piété populaire, qui s’effectue d’une
manière autonome. Ainsi, la renaissance du chant liturgique coïncide avec la création de
nouveaux chants populaires; de même, la diffusion de certains ouvrages liturgiques, tels
que les missels bilingues à l’usage des fidèles, s’accompagne de la prolifération des
livrets de dévotion.
Le mouvement culturel connu sous le nom de romantisme, qui met en valeur les
sentiments humains et religieux de l’homme, favorise la recherche, la compréhension et
la valorisation de la dimension populaire, y compris dans le domaine cultuel.
Durant ce siècle, on assiste aussi à un phénomène qui a une portée considérable: des
expressions cultuelles promues localement sur la base d’initiatives venant du peuple, et
se référant à des événements exceptionnels de caractère surnaturel - miracles,
apparitions...-, obtiennent successivement une reconnaissance officielle, puis la faveur,
et enfin la protection de l’autorité ecclésiale, et elles sont insérées dans la Liturgie elle-
même. À titre d’illustration, on peut évoquer les divers sanctuaires, édifiés pour
accueillir des pèlerinages, qui constituent à la fois des centres importants pour la
Liturgie pénitentielle et eucharistique, et aussi des lieux où s’exprime la piété mariale du
peuple.
Il reste qu’au XIX siècle les relations entre, d’une part, la Liturgie, qui se situe dans une
phase de réveil, et, d’autre part, la piété populaire, qui traverse une période d’expansion,
sont perturbées par un élément négatif: l’accentuation de la superposition des pieux
exercices aux actions liturgiques, qui était un phénomène déjà présent à l’époque de la
Réforme catholique.
Toutefois, un tel refus ne tenait pas suffisamment compte du fait que les expressions de
la piété populaire, qui, généralement, avaient été approuvées et recommandées par
l’Église, avaient soutenu la vie spirituelle d’une multitude de fidèles, et qu’elles avaient
engendré des fruits incomparables de sainteté, tout en contribuant très largement à la
sauvegarde de la foi et à la diffusion du message chrétien. Cela explique pourquoi Pie
XII, dans l’encyclique Mediator Dei du 21 novembre 1947, dont le contenu exhaustif
manifestait l’intention de son auteur de prendre la tête du mouvement liturgique,
opposa à ce refus la défense de ces pieux exercices, avec lesquels s’était identifiée, en
quelque sorte, la piété catholique durant les derniers siècles.
47. Le parcours historique, qui a été retracé, met en évidence le fait que la question des
rapports entre la Liturgie et la piété populaire ne se posent pas seulement à l’époque
contemporaine: tout au long des siècles, elle s’est présentée de nombreuses fois, sous des
dénominations et des formes différentes, et il lui a été donné diverses solutions. Il est
donc nécessaire de tirer de l’expérience de l’histoire quelques indications permettant de
répondre aux exigences pastorales qui se posent fréquemment et de façon urgente.
48. L’histoire montre tout d’abord que les relations entre la Liturgie et la piété populaire
se détériorent durant les périodes où la conscience des valeurs essentielles de la Liturgie
s’atténue dans l’esprit des fidèles. On peut citer les trois causes suivantes d’un tel
affaiblissement:
49. Chacun de ces éléments, qu’il n’est pas rare de rencontrer ensemble dans un même
lieu, engendre un déséquilibre dans les rapports entre la Liturgie et la piété populaire,
au détriment de la première et pour l’appauvrissement de la seconde. Pourtant, ces
difficultés doivent être surmontées en recourant à une action catéchétique et pastorale
bien menée et persévérante.
50. À notre époque, ce thème des rapports entre la Liturgie et la piété populaire est
considéré avant tout à la lumière des directives contenues dans la Constitution
Sacrosanctum Concilium; celles-ci cherchent à définir des relations harmonieuses entre
ces deux expressions de la piété, à partir du double postulat suivant: la piété populaire
est objectivement subordonnée à la Liturgie, et elle trouve en même temps dans cette
dernière sa finalité.
Par conséquent, il faut avant tout éviter de poser la question des rapports entre la
Liturgie et la piété populaire en termes d’opposition, ou même d’équivalence ou de
substitution. De fait, la conscience de l’importance primordiale de la Liturgie et la
recherche de ses expressions les plus justes ne doivent pas conduire à obscurcir la
nature profonde de la piété populaire, et tout autant à la mépriser ou à la considérer
comme superflue ou, tout simplement, à estimer qu’elle serait préjudiciable à la vie
cultuelle de l’Église.
Il est vrai qu’une méconnaissance plus ou moins importante de la piété populaire, ou des
manifestations d’hostilité à l’égard de celle-ci, révèlent chez leurs auteurs une évaluation
inadéquate de certains éléments qui constituent la vie de l’Église, et semblent plus
provenir de préjugés idéologiques que de la doctrine de la foi. De telles attitudes ont les
conséquences suivantes:
- elles ne tiennent pas compte du fait que la piété populaire est elle aussi une réalité
ecclésiale promue et soutenue par l’Esprit Saint,
51. Toutefois, les rapports entre la Liturgie et la piété populaire font apparaître aussi le
phénomène contraire d’une valorisation tellement importante de la piété populaire
qu’elle s’exerce au détriment de la Liturgie de l’Église.
Un fait de ce genre est à déplorer tout simplement dans certaines situations concrètes,
mais il peut être aussi le fruit d’un choix théorique qui engendre une situation pastorale
déviante: la Liturgie ne serait plus dans ce cas "le sommet auquel tend l’action de l’Église,
et en même temps la source d’où découle toute sa vertu", mais une expression cultuelle
qui serait considérée comme étrangère à la compréhension et à la sensibilité du peuple
et qui, ainsi, serait négligée et reléguée à une place secondaire, ou encore qui serait
réservée à des groupes particuliers.
53. Pour justifier le choix qui tend à privilégier les exercices de la piété populaire au
détriment des actions liturgiques, on entend fréquemment des affirmations de ce genre:
- La Liturgie ne parvient pas à impliquer le fidèle dans la totalité de son être, c’est-à-dire
dans l’unité de son corps et de son esprit; en revanche, la piété populaire, en s’adressant
directement à l’homme, concerne à la fois son corps, son cœur et son esprit;
- la piété populaire est un domaine bien déterminé, qui, de surcroît, est adapté à la vie de
prière: en effet, grâce aux pieux exercices, le fidèle est introduit dans un vrai dialogue
avec le Seigneur, qui est constitué d’expressions parfaitement compréhensibles et qu’il
fait siennes; en revanche, la Liturgie, en faisant prononcer par le fidèle des mots qui ne
sont pas les siens et qui sont souvent étrangers à son contexte culturel, se révèle être,
dans sa vie de prière, moins un moyen qu’un empêchement.
- les diverses formes de rites, qui constituent la piété populaire, sont reçues et accueillies
par le fidèle, à cause de la correspondance existant entre sa propre culture et le langage
des rites; en revanche, les rites propres à la Liturgie ne sont pas compris par ce même
fidèle, parce que les formes expressives de ces rites proviennent d’un univers culturel
qu’il perçoit comme un monde différent et lointain.
Toutefois, il est certain que la présence en certains endroits de ces idées est le signe
qu’une conception juste de la Liturgie chrétienne est fortement compromise, sinon
même complétement vidée de son contenu essentiel.
55. L’exaltation unilatérale de la piété populaire, qui a pour corollaire la mise à l’écart de
la Liturgie, ne concorde pas avec le fait que les éléments essentiels de cette dernière ont
été institués par la volonté du Christ lui-même; de plus, cette position a pour
conséquence préjudiciable de ne pas souligner, comme elle le devrait, la valeur
sotériologique et doxologique irremplaçable de la Liturgie. Après l’Ascension du
Seigneur dans la gloire de son Père et à la suite du don de l’Esprit Saint, la glorification
parfaite de Dieu et le salut de l’homme sont réalisés avant tout et par excellence par la
célébration de la Liturgie; celle-ci requiert l’adhésion de la foi, et par c’est par elle que le
croyant est inséré au cœur de l’événement fondamental du salut: la Passion, la Mort et la
Résurrection du Christ (cf. Rm 6, 2-6; 1 Co 11, 23-26).
57. L’accent mis exclusivement sur la piété populaire, qui, selon l’affirmation
susmentionnée, doit se déployer dans l’orbite de la foi chrétienne, peut comporter les
effets négatifs suivants: accélérer le processus de détachement d’une partie des fidèles
par rapport à la révélation chrétienne; inclure de nouveau, d’une manière abusive ou
déséquilibrée, certains éléments de la religiosité cosmique et naturelle; provoquer
l’introduction, dans le culte chrétien, d’un certain nombre d’éléments ambigus
provenant de croyances pré-chrétiennes, ou exprimant unilatéralement la culture ou la
psychologie d’un peuple ou d’une ethnie; créer l’illusion de pouvoir atteindre la
transcendance au moyen d’expériences néfastes; compromettre le sens authentiquement
chrétien du salut, qui est le don gratuit de Dieu, en proposant, au contraire, un salut qui
proviendrait de la seule conquête de l’homme et serait donc le fruit de ses efforts
personnels (de fait, il ne faut jamais oublier le danger potentiel de la déviation
pélagienne); enfin, accentuer, dans la mentalité des fidèles, le rôle des médiateurs
secondaires, que sont la Bienheureuse Vierge Marie, les Anges, les Saints et parfois,
parmi ces derniers, les principaux protagonistes de l’histoire nationale, en leur faisant
accomplir une fonction qui n’appartient qu’à l’unique Médiateur, Jésus-Christ.
58. La liturgie et la piété populaire sont deux expressions authentiques, quoique non
équivalentes, du culte chrétien. De fait, la Constitution sur la sainte Liturgie montre bien
qu’au lieu de vouloir les opposer ou de considérer qu’ils sont deux éléments
interchangeables, il convient plutôt de les harmoniser: "Les pieux exercices du peuple
chrétien [...] doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la Liturgie, à en découler
d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est
de loin supérieure".
La Liturgie et la piété populaire sont donc deux expressions cultuelles qui doivent se
situer dans une relation mutuelle et féconde, même si la Liturgie est toujours appelée à
constituer un point de référence permettant de "canaliser avec lucidité et prudence les
désirs ardents de prière et de vie charismatique" qui se manifestent dans la piété
populaire. De son côté, la piété populaire, avec ses valeurs symboliques et expressives,
est en mesure d’aider la Liturgie à réussir son travail d’inculturation, et elle peut aussi
lui procurer des éléments stimulants en vue d’accroître d’une manière efficace son
dynamisme et sa créativité.
L’importance de la formation
59. À la lumière de ce qui vient d’être exposé, la formation, aussi bien des clercs que des
laïcs, apparaît bien comme le moyen approprié pour résoudre les causes de déséquilibre
ou de tension entre la Liturgie et la piété populaire. En plus de cette nécessaire
formation liturgique, qui est une œuvre de longue haleine, toujours à redécouvrir et à
approfondir, et en complément de cette dernière, une formation dans le domaine de la
piété populaire s’impose dans le but de constituer une spiritualité harmonieuse et de
qualité.
De fait, puisque "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule
Liturgie", le fait de se limiter exclusivement à l’éducation liturgique est insuffisante pour
assurer correctement la croissance spirituelle des fidèles dans toutes ses dimensions. Du
reste, l’action liturgique, et en particulier la participation à l’Eucharistie, ne peut
produire de fruit dans une vie marquée par l’absence de toute prière individuelle, et
dépourvue des valeurs qui sont transmises par les formes traditionnelles de dévotion du
peuple chrétien. L’habitude prise à notre époque de se tourner vers des pratiques
"religieuses" en provenance de l’orient, qui sont adaptées de façons diverses sur les
autres continents, est un indice de la quête spirituelle de nos contemporains, qui touche
le sens même de l’existence, en particulier face à la souffrance et aussi dans un but de
partage. Les générations post-conciliaires - d’une manière variable selon les pays - n’ont
pas fait l’expérience des formes de dévotion que connaissaient bien les générations
précédentes: afin que la vie spirituelle de ces fidèles puisse s’épanouir d’une manière
vraiment personnelle, il est donc important d’intégrer pleinement, dans la catéchèse et
l’éducation, le patrimoine constitué par la piété populaire, et d’une manière toute
spéciale les exercices spirituels recommandés par le Magistère.
Chapitre II
LITURGIE ET PIÉTÉ POPULAIRE
DANS LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE
60. Après avoir exposé, dans un premier temps, l’attention portée à la piété populaire
par le Magistère du Concile Vatican II, des Pontifes Romains et des Évêques, il a semblé
opportun, dans un deuxième temps, de présenter une synthèse organique des
enseignements de ce même Magistère dans le double but de faciliter l’élaboration
d’orientations doctrinales dans le domaine de la piété populaire, et de favoriser une
action pastorale appropriée.
61. Selon le Magistère, la piété populaire est une réalité vivante qui se situe dans l’Église,
tout en étant indissociable de l’Église: elle trouve sa source dans la présence constante et
active de l’Esprit Saint qui anime l’Église tout entière; son point de référence est
constitué par le Mystère du Christ Sauveur; sa finalité est la gloire de Dieu et le salut des
hommes; enfin, sa conformation dans l’histoire est constituée par "la rencontre
fructueuse entre l’œuvre d’évangélisation et la culture". Le Magistère n’a donc pas
manqué d’exprimer maintes fois son estime envers la piété populaire et ses diverses
manifestations; en revanche, il n’a pas hésité à faire connaître sa réprobation à tous ceux
qui l’ignorent, la négligent ou la méprisent, en leur enjoignant d’adopter envers elle une
attitude plus positive qui tienne compte de ses valeurs. Enfin, le Magistère n’a pas hésité
à présenter la piété populaire comme le "vrai trésor du peuple de Dieu".
Les documents du Magistère se font l’écho des attitudes intérieures et des vertus
promues, mises en valeur et entretenues par la piété populaire d’une manière toute
particulière: ainsi, la patience et "la résignation chrétienne dans les situations
irrémédiables", la confiance en Dieu, la force de supporter les souffrances et de
discerner le "sens de la croix dans la vie quotidienne", le désir sincère de plaire au
Seigneur, de réparer les offenses commises à son encontre, et de faire pénitence, enfin, le
détachement envers les choses matérielles, la solidarité et l’ouverture aux autres, c’est-à-
dire "le sens de l’amitié, de la charité et de l’union familiale."
62. La piété populaire se réfère volontiers au mystère du Fils de Dieu qui, par amour
pour les hommes, s’est fait petit enfant et notre frère, en naissant, dans la pauvreté,
d’une Femme elle-même humble et pauvre, et elle évoque aussi avec un intérêt très vif le
Mystère de la Passion et de la Mort du Christ.
63. La fusion harmonieuse entre le message du Christ et la culture d’un peuple, dont les
manifestations de la piété populaire constituent bien souvent une bonne illustration, est
un motif qui suscite l’estime du Magistère à l’égard de celle-ci.
De fait, les manifestations les plus appropriées de la piété populaire montrent que, d’une
part, le message chrétien parvient bien à assimiler les éléments les plus caractéristiques
de la culture d’un peuple, et que, d’autre part, il réussit à rendre cette même culture
perméable au message évangélique en exerçant une influence bénéfique sur sa
conception de la vie, de la liberté, de la mission et du destin de l’homme.
Ainsi, la transmission des expressions propres à une culture, qui s’effectue des parents à
leurs enfants,et donc d’une génération à une autre, comporte en même temps la
transmission des principes chrétiens. Dans certains cas, la fusion est tellement étroite
que les éléments de la foi chrétienne sont devenus en même temps des éléments
intégrants de l’identité culturelle d’un peuple. Il en est ainsi, par exemple, de la piété qui
s’exprime à l’égard de la Mère du Seigneur.
Au sujet des différents apports positifs de la piété populaire, il convient de noter, tout
d’abord, qu’il n’est pas possible de ne pas tenir compte de "ces dévotions qui sont
pratiquées en certaines régions par le peuple fidèle avec une ferveur et une pureté
d’intention émouvantes". De même, on peut affirmer que la saine religiosité populaire,
"peut être, grâce à ses racines éminemment catholiques, une antidote contre les sectes et
une garantie de fidélité au message du salut". La piété populaire montre aussi qu’elle
constitue un instrument providentiel pour la sauvegarde de la foi, dans les régions où les
chrétiens sont dépourvus d’assistance pastorale; de plus, là où l’évangélisation s’avère
insuffisante, "la population exprime en grande partie sa propre foi en recourant surtout
à la piété populaire". Enfin, la piété populaire constitue un "point de départ" approprié et
irremplaçable "permettant au peuple de parvenir à une foi plus mûre et plus profonde".
65. Le Magistère, qui tient à mettre en évidence les valeurs propres de la piété populaire,
ne cesse, toutefois, de signaler certains dangers qui peuvent la menacer: ainsi, la
présence insuffisante de certains éléments essentiels de la foi chrétienne, parmi lesquels
la signification de la Résurrection du Christ pour le salut de l’humanité, le sens de
l’appartenance à l’Église et la personne et l’action du Saint Esprit; la disproportion entre,
d’une part, l’attachement envers le culte des Saints et, d’autre part, l’affirmation de la
souveraineté absolue de Jésus-Christ et de son mystère; le contact direct trop rare avec la
Sainte Écriture; l’éloignement de la vie sacramentelle de l’Église; la tendance à séparer le
culte des obligations de la vie chrétienne; la conception utilitariste de certaines formes
de piété; l’emploi de "signes, de gestes et de formules, qui, parfois, prennent une
importance excessive, jusqu’à la recherche du spectaculaire"; le risque, dans des cas
extrêmes, de "favoriser la pénétration des sectes et même en arriver à la superstition, à
la magie, au fatalisme ou à l’oppression".
66. En vue de remédier à ces carences et à ces défauts éventuels de la piété populaire, le
Magistère de notre temps rappelle avec insistance qu’il faut l’"évangéliser", en
établissant un contact fécond entre cette dernière et la parole de l’Évangile. Cette
relation privilégiée contribuera à "la libérer progressivement de ses défauts, en la
purifiant et en la consolidant, et donc en faisant en sorte que ses éléments ambigus
acquièrent une physionomie plus claire dans ses contenus de foi, d’espérance et de
charité".
67. En rappelant que "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule
Liturgie" et que le chrétien "doit aussi entrer dans sa chambre pour prier le Père dans le
secret", et qu’ainsi, "enseigne l’Apôtre, il doit prier sans relâche", le Magistère de l’Église
rappelle que chaque chrétien - qu’il soit clerc, religieux ou laïc - est le sujet des diverses
formes de prières, soit quand il prie en privé, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, soit
quand il prie de façon communautaire dans des groupes d’origines et de physionomies
diverses.
69. Les confréries et les autres pieuses associations sont aussi des sujets importants de la
piété populaire. Outre l’exercice de la charité et l’engagement social, la promotion du
culte chrétien constitue l’une des finalités de ces institutions: il s’agit du culte envers la
Très Sainte Trinité, le Christ et ses mystères, la bienheureuse Vierge Marie, les Anges, les
Saints et les Bienheureux, de même que les prières pour les âmes des fidèles défunts.
L’Église reconnaît les confréries et leur accorde la personnalité juridique, elle approuve
leurs statuts et considère favorablement leurs finalités et leurs activités cultuelles. Elle
veille toutefois à ce que les confréries soient bien insérées dans la vie de la paroisse et du
diocèse, en se gardant de toute attitude d’opposition ou d’isolement.
70. Les pieux exercices constituent une expression typique de la piété populaire. Ils sont
très divers par leur origine historique et leur contenu, par leur langage et leur style, par
leur usage et leurs destinataires. Leur importance a été soulignée par le Concile Vatican
II, qui les a vivement recommandés, tout en prenant le soin de mentionner les conditions
de leur légitimité et de leur validité.
71. La nature du culte chrétien, ainsi que les caractéristiques qui lui sont propres,
exigent que les pieux exercices soient avant tout conformes à la saine doctrine, ainsi
qu’aux lois et aux normes de l’Église. Ils doivent aussi être en harmonie avec la sainte
Liturgie, tenir compte autant que possible des temps de l’année liturgique et donc
favoriser "une participation consciente active à la prière commune de l’Église".
72. Les pieux exercices font partie intégrante du culte chrétien, ce qui explique
l’attention constante de l’Église à leur égard, afin que, par leur entremise, Dieu soit
glorifié d’une manière qui soit digne de Lui, et que l’homme reçoive les fruits spirituels
et l’aide lui permettant de mener une vie chrétienne cohérente.
L’attitude des Pasteurs à l’égard des exercices spirituels a revêtu divers aspects
complémentaires: elle a été faite d’incitation et d’encouragement, d’orientation et,
parfois, de correction. La vaste gamme des pieux exercices comprend: tout d’abord, les
pieux exercices qui sont célébrés avec l’approbation du Siège Apostolique et ceux que ce
dernier a recommandés tout au long des siècles; puis, les pieux exercices des Églises
particulières "qui sont célébrés sur l’ordre des Évêques, selon les coutumes ou les livres
légitimement approuvés" ; puis, les autres pieux exercices prévus par le droit particulier
ou les coutumes propres aux familles religieuses ou aux confréries et aux autres pieuses
associations de fidèles; ceux-ci ont souvent reçu l’approbation explicite de l’Église; enfin,
les pieux exercices qui sont célébrés dans le cadre de la vie familiale ou personnelle.
Certains pieux exercices, introduits de façon coutumière par la communauté des fidèles,
et qui sont approuvés par le Magistère, jouissent de la concession d’indulgences.
73. L’enseignement de l’Église relatif aux rapports entre la Liturgie et les pieux exercices
peut être exprimé d’une manière concise de la façon suivante: d’une part, la Liturgie
étant, par nature, de loin supérieure aux pieux exercices, il est nécessaire de lui
conférer, dans la vie pastorale, "la place primordiale qui lui revient face aux pieux
exercices"; d’autre part, la Liturgie et les pieux exercices doivent coexister en tenant
compte du respect de la hiérarchie des valeurs et de la nature spécifique de chacune de
ces deux expressions cultuelles.
74. Le respect attentif de ces principes doit permettre de consentir un réel effort visant à
harmoniser, si possible, les pieux exercices avec les rythmes et les exigences de la
Liturgie; ainsi il sera possible, "sans mêler ou confondre les deux formes de piété",
d’éviter la confusion ou le mélange hybride entre la Liturgie et les pieux exercices. Le
respect de ces mêmes principes doit conduire à ne pas opposer la Liturgie et les pieux
exercices ou, contre l’avis même de l’Église, à ne pas éliminer ces derniers, ce qui, dans
le cas contraire, aurait pour effet de laisser un vide que, dans la plupart des cas, rien
d’autre ne pourrait combler au grand détriment des fidèles.
75. Le Siège Apostolique s’est efforcé d’indiquer les critères théologiques et pastoraux,
historiques et littéraires qui doivent être employés, le cas échéant, en vue de restaurer
les pieux exercices. Il s’est attaché à préciser de quelle manière les pieux exercices
peuvent accentuer leur référence à la Bible et à la Liturgie, dont ils doivent s’inspirer, et
quelle place ils doivent laisser à la dimension œcuménique. De même le Siège
Apostolique a donné des indications visant à mettre en valeur le noyau essentiel des
pieux exercices, identifié grâce à la recherche historique, tout en tenant compte, dans
cette œuvre de restauration, de certains aspects de la spiritualité contemporaine, des
acquis d’une saine anthropologie et de la culture ainsi que du style expressif du peuple à
qui ils sont destinés, sans pour autant rejeter les éléments traditionnels ancrés dans les
coutumes populaires.
Chapitre III
PRINCIPES THÉOLOGIQUES
EN VUE DE L’ÉVALUATION ET DU RENOUVEAU
DE LA PIÉTÉ POPULAIRE
La vie cultuelle: la communion avec le Père, par le Christ dans l’Esprit Saint
Le culte et la prière d’Israël ont avant tout pour objet la mémoire des mirabilia Dei,
c’est-à-dire les interventions salvifiques de Dieu dans l’histoire, ce qui a pour effet de
maintenir vive la vénération du peuple à l’égard des événements par lesquels se sont
accomplies les promesses de Dieu; celles-ci, dès lors, constituent le point de référence
constant pour la réflexion de la foi et la vie de prière d’Israël.
77. Conformément à son dessein éternel de salut, "Dieu, qui avait souvent parlé, dans le
passé, à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées, nous a
parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, et par qui aussi il a créé le monde"
(He 1, 1-2). Le mystère du Christ, et surtout sa Pâque, c’est-à-dire son passage de la Mort à
la Résurrection, est, de fait, la révélation pleine et définitive, et l’accomplissement des
promesses du salut. Puisque c’est par Jésus, "le Fils unique de Dieu" (Jn 3, 18) que le Père
nous a tout donné, sans rien garder pour lui-même (cf. Rm 8, 32; Jn 3, 16), il est évident
que le point de référence essentiel pour la foi et la vie de prière du peuple de Dieu se
trouve dans la personne et l’œuvre du Christ: en lui, nous avons le Maître de la vérité (cf.
Mt 22, 16), le Témoin fidèle (cf. Ap. 1, 5), le souverain Prêtre (cf. He 4, 14), le Pasteur de
nos âmes (cf. 1 P 2, 25), le Médiateur unique et parfait (cf. 1 Tm 2, 5; He 8, 6; 9, 15; 12, 24):
c’est par lui que l’homme va vers le Père (cf. Jn 14, 6), que montent vers Dieu la louange
et la supplication de l’Église et que descend sur l’humanité tout don de Dieu.
Mis au tombeau avec le Christ et ressuscités avec lui dans le baptême (cf. Col. 2, 12; Rm 6,
4), soustraits à la domination de la chair et introduits dans celle de l’Esprit Saint (cf. Rm
8, 9), nous sommes appelés à la perfection, c’est-à-dire à la plénitude de la stature du
Christ (cf Ep 4, 13); dans le Christ, nous avons le modèle d’une existence dont chaque
moment reflète une attitude d’écoute de la parole du Père et d’accueil de ses
commandements, et qui exprime un consentement sans partage du Fils à la volonté de
son Père: "Ma nourriture est d’accomplir la volonté de celui qui m’a envoyé" (Jn 4, 34).
Le Christ est donc le modèle parfait de la piété filiale et du dialogue continuel avec le
Père, c’est-à-dire l’exemple parfait d’une recherche ininterrompue de la relation vivante,
intime et confiante avec Dieu, qui illumine, soutient et guide l’homme durant toute son
existence.
78. L’Esprit Saint, qui a été donné aux fidèles pour les transformer progressivement dans
le Christ, les guide dans leur vie de communion avec le Père (cf. Rm 8, 14); il répand en
eux "l’esprit des fils adoptifs", par lequel ils adoptent l’attitude filiale du Christ (cf. Rm 8,
15-17) et ses propres sentiments (cf. Ph 2, 5). L’Esprit Saint rend présent l’enseignement
du Christ (cf. Jn 14, 26; 16, 13-25), afin que les fidèles soient en mesure d’interpréter à la
lumière de cet enseignement les divers événements de la vie et de l’histoire; il les
conduit à la connaissance des profondeurs de Dieu (cf. 1 Co 2, 10) et il leur permet de
faire de leur propre vie un "culte spirituel" (cf. Rm 12, 1); il les soutient au milieu des
contradictions et des épreuves auxquelles ils sont confontés, au cours de leur itinéraire
laborieux de transformation dans le Christ; enfin, il suscite, alimente et guide leur prière:
"l’Esprit de Dieu vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander
pour prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède pour nous, en des
gémissements ineffables; et Celui qui voit le fond des cœurs sait quels sont les désirs de
l’Esprit: Il sait qu’en intervenant pour les fidèles, l’Esprit veut ce que Dieu veut" (Rm 8,
26-27).
Le culte chrétien doit à l’Esprit Saint à la fois son origine et son développement, et c’est
dans ce même Esprit qu’il s’accomplit et trouve son achèvement. Ainsi, il convient
d’affirmer que, sans la présence de l’Esprit du Christ, il n’existe ni culte liturgique digne
de ce nom, ni piété populaire authentique.
79. À la lumière des principes qui viennent d’être exposés, il paraît nécessaire d’affirmer
que la piété populaire constitue vraiment un élément du dialogue entre Dieu et l’homme
par le Christ et dans l’Esprit Saint. Il ne fait aucun doute qu’elle porte en elle une
empreinte trinitaire, nonobstant certaines carences qu’on peut parfois déplorer, comme,
par exemple, la confusion entre Dieu le Père et Jésus.
La piété populaire est, de fait, très sensible au mystère de la paternité de Dieu: elle
s’émeut face à sa bonté, elle admire sa puissance et sa sagesse; elle se réjouit de la beauté
de la création et loue son auteur, le Créateur; elle proclame que Dieu ordonne de faire le
bien et félicite ceux qui vivent honnêtement et qui cheminent dans la droiture, tandis
qu’elle réprouve le mal et fuit ceux qui s’obstinent à suivre la voie de la haine et de la
violence, de l’injustice et du mensonge.
La piété populaire concentre particulièrement son attention sur la figure du Christ, Fils
de Dieu et Sauveur de l’homme: elle traduit les sentiments ressentis en présence du
mystère de sa naissance, en évoquant l’amour infini qui habite cet Enfant, vrai Dieu et
en même temps notre frère, pauvre et persécuté depuis le début de son existence. La
piété populaire aime aussi évoquer les nombreuses scènes de la vie publique du
Seigneur Jésus, dans la figure du Bon Pasteur qui se porte à la rencontre des publicains
et les pécheurs, ou du Thaumaturge qui guérit les malades et secourt les pauvres, ou
encore du Maître qui dit la vérité. Surtout, la piété populaire aime contempler les
mystères de la Passion du Christ, en tant qu’expression d’un amour sans limites envers
les hommes et de solidarité absolue avec leurs souffrances: Jésus trahi et abandonné,
flagellé et couronné d’épines, crucifié entre deux criminels, détaché de la croix et déposé
en terre, pleuré par ses amis et ses disciples.
80. Il convient donc de renforcer chez les fidèles la conscience de la présence de la Très
Sainte Trinité, que la piété populaire porte déjà en elle, ne serait-ce qu’en germe. C’est
dans ce but que les indications suivantes sont données:
- De même, il est nécessaire que les expressions de la piété populaire mettent plus
clairement en lumière la personne et l’action de l’Esprit Saint. L’absence d’un "nom"
attribué à l’Esprit Saint, de même que l’habitude de ne pas le représenter en employant
des images anthropomorphiques ont eu pour conséquence une certaine absence, au
moins partielle, de l’Esprit Saint aussi bien au niveau des textes que dans les autres
formes d’expression de la piété populaire, sans oublier le rôle que la musique et les
gestes du corps peuvent jouer pour manifester la présence de cette personne de la Très
Sainte Trinité. Une telle lacune peut être comblée en recourant à l’évangélisation de la
piété populaire, au sujet de laquelle le Magistère de l’Église s’est maintes fois prononcé.
- Il est nécessaire aussi que les expressions de la piété populaire mettent en valeur le
caractère primordial et fondateur de la Résurrection du Christ. De fait, la proximité du
Sauveur envers l’humanité souffrante, qui est traduite d’une manière si intense dans le
cadre de la piété populaire, doit toujours être jointe à la réalité future de sa glorification.
Une telle attitude est nécessaire pour exposer intégralement le projet de salut de Dieu
dans le Christ, et pour percevoir l’unité inséparable du Mystère pascal du Christ. C’est
seulement ainsi que peut apparaître le visage authentique de la révélation chrétienne,
qui est la réalisation de la victoire de la vie sur la mort dans la célébration de Celui qui
"n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants" (Mt 22, 32), c’est-à-dire du Christ, le Vivant,
qui était mort et qui, maintenant, vit pour les siècles des siècles (cf. Ap 1, 18) et de l’Esprit
Saint "qui est Seigneur et donne la vie".
- Enfin, il est nécessaire que la dévotion à la Passion du Christ conduise les fidèles à une
participation pleine et consciente à l’Eucharistie, dans laquelle le corps du Christ offert
en sacrifice pour chacun de nous est donné en nourriture (cf. 1 Co 11, 24), et le sang de
Jésus versé sur la croix pour la nouvelle et éternelle Alliance et pour la rémission des
péchés, est donné comme boisson. Le moment le plus intense et le plus significatif de
cette participation se situe dans la célébration du Triduum pascal, qui est le sommet de
l’Année liturgique, et dans la célébration dominicale des saints Mystères.
81. L’Église, ce "peuple réuni dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit", peut être
définie comme une communauté cultuelle. De fait, selon la volonté de son Seigneur et
Fondateur, les nombreux rites qu’elle célèbre ont pour finalité la gloire de Dieu et la
sanctification de l’homme; ceux-ci se rapportent tous, selon des manières différentes et à
des degrés divers, à la célébration du Mystère pascal du Christ, et ils contribuent à la
réalisation de la volonté de Dieu, qui est de réunir ses enfants dispersés dans l’unité d’un
seul peuple.
L’Église, en célébrant les divers rites, annonce l’Évangile du salut et proclame la Mort et
la Résurrection du Christ, et elle accomplit ainsi, par ces signes sensibles, son œuvre de
salut. Ainsi, dans l’Eucharistie, elle célèbre le mémorial de la bienheureuse Passion, de la
glorieuse Résurrection et de l’admirable Ascension du Christ, et, dans les autres
sacrements, elle reçoit les autres dons de l’Esprit Saint, qui proviennent de la Croix du
Sauveur. L’Église glorifie le Père, avec des psaumes et des hymnes, pour toutes les
merveilles qu’il a accomplies dans la Mort et l’Exaltation du Christ, son Fils, et elle le
supplie d’accorder le salut à tous les hommes, c’est-à-dire les bienfaits du mystère pascal.
Dans les sacramentaux, institués pour venir en aide aux fidèles dans les situations et les
nécessités les plus variées, l’Église supplie le Seigneur, afin que toutes leurs activités
soient soutenues et illuminées par l’Esprit de Pâques.
83. Les vraies formes de la piété populaire sont elles aussi les fruits de l’action de l’Esprit
Saint, et elles peuvent être considérées comme des expressions de la piété de l’Église: en
effet, elles sont mises en œuvre par des fidèles qui vivent en communion avec l’Église,
qui professent sa foi et respectent les normes qui régissent son culte; de plus, un grand
nombre d’entre elles ont été explicitement approuvées et recommandées par l’Église
elle-même.
84. La piété populaire, en tant qu’expression de la piété de l’Église, est soumise aux lois
générales du culte chrétien et à l’autorité pastorale de l’Église, qui exerce par rapport à
elle une action de discernement, de reconnaissance de son authenticité, et de rénovation
en la mettant en relation avec la Parole révélée, la tradition et la Liturgie elle-même.
- de se faire une conception plus adéquate des rapports entre l’Église particulière et
l’Église universelle. La piété populaire a tendance, en effet, à concentrer son attention
sur les valeurs et les centres d’intérêt locaux et immédiats, et elle risque alors de se
fermer aux valeurs universelles et à la réflexion ecclésiologique.
- de comprendre d’une manière à la fois correcte et féconde les relations entre les
ministères et les charismes; de fait, les premiers sont nécessaires à l’expression du culte
liturgique, tandis que les seconds sont souvent présents dans les manifestations de la
piété populaire.
85. Les sacrements de l’initiation chrétienne introduisent le fidèle dans l’Église, peuple
prophétique, sacerdotal et royal, à qui il appartient de rendre à Dieu le culte en esprit et
en vérité (cf Jn 4, 23). Le fidèle exerce donc ce sacerdoce par le Christ et dans l’Esprit
Saint, non seulement dans le cadre de la Liturgie, et spécialement au cours de la
célébration de l’Eucharistie, mais aussi par de nombreuses autres expressions de la vie
chrétienne, dont celles qui font partie des manifestations de la piété populaire. De fait,
l’Esprit Saint lui confère la capacité d’offrir à Dieu des sacrifices de louange, d’élever
vers lui des prières et des supplications, et, en premier lieu, de faire de sa propre vie un
"sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu" (Rm 12, 1; cf. He 12, 28).
86. En se basant sur ce sacerdoce commun des fidèles, la piété populaire aide ces
derniers à persévérer dans la prière et la louange de Dieu le Père, à rendre témoignage
au Christ (cf. Ac 2, 42-47) et, en soutenant leur vigilance dans l’attente de sa venue dans
la gloire, elle rend raison de l’espérance de la vie éternelle (cf. 1 P 3, 15). De plus, tout en
conservant des éléments spécifiques appartenant à un contexte culturel particulier, la
piété populaire exprime les valeurs ecclésiales qui caractérisent, selon des manières
différentes et à des degrés divers, tout ce qui naît et se développe à l’intérieur du Corps
mystique du Christ.
87. La Parole de Dieu, contenue dans la Sainte Écriture, gardée et proposée par le
Magistère de l’Église, et célébrée dans la Liturgie, constitue un élément privilégié et
irremplaçable de l’action de l’Esprit Saint dans la vie cultuelle des fidèles.
La piété populaire trouve dans la Sainte Écriture une source inépuisable d’inspiration,
des modèles de prière inégalables et des propositions de thèmes particulièrement
fécondes. En outre, la référence constante à la Sainte Écriture constitue à la fois une
référence et un critère pour ceux qui ont la charge de tempérer l’exhubérance avec
laquelle le sentiment religieux populaire se manifeste en de nombreux cas, donnant lieu
à des expressions ambiguës et par conséquent inadéquates de la piété populaire.
88. Toutefois "la prière doit aller de pair avec la lecture de la Sainte Écriture, pour que
s’établisse le dialogue entre Dieu et l’homme; c’est pourquoi il convient de prévoir, en
principe, dans les diverses formes de la piété populaire, l’insertion de textes de l’Écriture
Sainte, opportunément choisis et correctement commentés.
89. Pour atteindre ce but, on prendra modèle sur les célébrations liturgiques, qui
comportent, comme éléments constitutifs, des textes de la Sainte Écriture présentés selon
des modes différents en fonction des divers types de célébrations. Toutefois, puisqu’une
diversité légitime de projets et de présentations est laissée aux différentes expressions de
la piété populaire, il n’est sans doute pas nécessaire de leur appliquer les mêmes
dispositions que celles qui sont prévues, en ce qui concerne la proclamation de la Parole
de Dieu, dans les rites qui font partie de la Liturgie.
On peut affirmer que, dans les tous les cas, le modèle offert par la Liturgie constitue,
pour la piété populaire, une sorte de sauvegarde, qui lui permet de maintenir une
échelle correcte des valeurs, dont fait partie, en premier lieu, l’attitude consistant à
écouter avec attention Dieu qui parle. De même, ce modèle permet à la fois de découvrir
l’harmonie existant entre l’Ancien et le Nouveau Testament, et d’interpréter l’un des
deux à la lumière de l’autre; de plus, en tirant parti d’une expérience séculaire, ce même
modèle apporte des solutions qui ont pour objet, d’une part, une actualisation
appropriée du message biblique, et, d’autre part, la mise en valeur d’un critère valide
permettant d’évaluer l’authenticité de la prière.
En ce qui concerne le choix des textes, il est souhaitable de recourir à de brefs passages,
facilement mémorisables, incisifs et faciles à comprendre, même s’ils sont difficiles à
mettre en pratique. Il est vrai aussi que quelques exercices de piété comme la Via Crucis
et le Rosaire facilitent une meilleure compréhension de la Sainte Écriture: de fait,
l’assimilation par la mémoire de ces gestes et de ces prières permettent de se souvenir
plus facilement des épisodes évangéliques se rapportant à la vie de Jésus.
90. Depuis toujours et en tous lieux, la religion populaire s’est intéressée aux
phénomènes et aux faits extraordinaires, qui sont souvent liés à des révélations privées.
Celles-ci concernent particulièrement la piété mariale, du fait des "apparitions" et de
leurs "messages" respectifs, même si elles débordent ce cadre. À ce propos, il convient de
rappeler ce que déclare le Catéchisme de l’Église Catholique: "Au fil des siècles il y a eu
des révélations dites "privées" dont certaines ont été reconnues par l’autorité de l’Église.
Elles n’appartiennent cependant pas au dépôt de la foi. Leur rôle n’est pas d’ "améliorer"
ou de "compléter" la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus
pleinement à une certaine époque de l’histoire. Guidé par le Magistère de l’Église, le sens
des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ces révélations constitue un appel
authentique du Christ ou de ses saints à l’Église" (n. 67).
91. La piété populaire est naturellement marquée par le contexte historique et culturel
dans lequel elle se développe. Ce caractère particulier se traduit par la variété de ses
expressions, qui ont prospéré et se sont affermies dans les diverses Églises particulières
tout au long des siècles, et qui constituent autant de signes d’un véritable enracinement
de la foi dans des peuples particuliers et de son intégration dans la vie quotidienne des
fidèles. De fait, "la religiosité populaire est la forme première et fondamentale d’
"inculturation" de la foi; tout en se conformant sans cesse aux orientations de la Liturgie,
elle est appelée à son tour à illuminer la foi à partir du cœur". La piété populaire résulte
donc de la rencontre entre le dynamisme novateur du message de l’Évangile et les
diverses composantes d’une culture particulière.
Toutefois, le fait que les pieux exercices et les pratiques de dévotion se réfèrent à
l’expression des sentiments populaires, ne signifie pas pour autant qu’il faille les
considérer sous un angle purement sujectif. Étant sauve la compétence particulière de
l’Ordinaire du lieu et des Supérieurs Majeurs - s’il s’agit de dévotions liées à des Ordres
religieux -, il convient que la Conférence des Évêques se prononce à propos des pieux
exercices qui intéressent l’ensemble d’une nation ou une partie importante du territoire.
Une attention soutenue et un grand discernement sont donc nécessaires afin d’empêcher
que ne s’insinuent dans les pieux exercices, par le biais des différentes formes de
langages, des concepts contraires à la foi chrétienne, ou que ne soient introduites des
expressions cultuelles viciées par le syncrétisme.
Il est nécessaire, en particulier, que le pieux exercice, qui fait l’objet d’un processus
d’adaptation ou d’inculturation, conserve son identité profonde et sa physionomie
propre. Cela requiert de maintenir très explicitement les références à son origine
historique, ainsi que les éléments doctrinaux et culturels qui le caractérisent.
***
DEUXIÈME PARTIE
ORIENTATIONS
EN VUE DE L’HARMONISATION DE LA PIÉTÉ POPULAIRE
AVEC LA LITURGIE
Avant-propos
93. Dans l’intention d’aider ceux qui doivent appliquer les principes qui viennent d’être
exposés dans l’action pastorale concrète, il a paru souhaitable de présenter certaines
orientations sur le rapport nécessaire entre la piété populaire et la Liturgie, en vue de
susciter une vie pastorale à la fois harmonieuse et profitable aux fidèles. Cette
présentation des exercices et des pratiques de piété les plus répandus ne prétend donc
pas être exhaustive, et elle ignore en particulier ceux qui ont un caractère local. Étant
donné qu’il est difficile de tracer des limites rigoureuses entre des domaines qui ont tant
d’affinités, les orientations en question seront émaillées çà et là de certaines indications
concernant plus particulièrement la pastorale liturgique.
La présentation des exercices et des pratiques de piété est répartie en quatre chapitres:
- le cinquième a trait à la vénération de la sainte Mère du Seigneur, qui occupe une place
particulière aussi bien dans le domaine de la sainte Liturgie que dans celui de la piété
populaire;
- Le sixième est sur le culte des Saints et des Bienheureux, qui occupe aussi un espace
important dans la Liturgie et dans la dévotion des fidèles;
- Le septième concerne la prière pour les défunts, qui fait appel aux différentes
expressions de la vie cultuelle de l’Église;
- Le huitième regarde enfin les sanctuaires et les pèlerinages, qui sont des lieux
significatifs et des expressions caractéristiques de la piété populaire comportant de
nombreuses implications dans le domaine liturgique.
Puisqu’il se réfère à des pieux exercices de nature et de caractère différents, qui sont
destinés à être appliqués dans des situations très diverses, le texte formule des
propositions en respectant constamment un certain nombre de présupposés
fondamentaux: la supériorité de la Liturgie sur les autres expressions cultuelles; la
dignité et la légitimité de la piété populaire; la nécessité pastorale d’éviter toute forme
d’opposition entre la Liturgie et la piété populaire, ou au contraire la confusion entre ces
deux domaines, ce qui donnerait lieu à ces célébrations de caractère hybride.
Chapitre IV
ANNÉE LITURGIQUE ET PIÉTÉ POPULAIRE
94. L’Année liturgique est la structure temporelle à l’intérieur de laquelle l’Église célèbre
l’ensemble des mystères du Christ: "de l’Incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension,
jusqu’au jour de la Pentecôte, et jusqu’à l’attente de la bienheureuse espérance et de
l’avènement du Seigneur".
Le dimanche
95. Le "jour du Seigneur", en tant que "jour de fête primordial" et "fondement et noyau
de toute l’Année liturgique", ne doit pas être subordonné aux manifestations de la piété
populaire. Il est évident que les pieux exercices sont célébrés en prenant le dimanche
comme point de référence chronologique.
Pour le bien pastoral des fidèles, il est licite de reporter au dimanche "per annum" les
célébrations du Seigneur, ou en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie ou des Saints
dont la date coïncide avec un jour de semaine, dans la mesure où les fidèles font preuve
d’une piété particulière à leur égard et à condition qu’elles aient la primauté sur le
dimanche lui-même.
Le temps de l’Avent
- l’attente, qui consiste à faire mémoire de la première et humble venue du Sauveur dans
notre chair mortelle; attente aussi de l’ultime et glorieuse venue du Christ, Seigneur de
l’histoire et Juge universel;
- l’espérance joyeuse que le salut opéré par le Christ (cf. Rm 8, 24-25) et les fruits de la
grâce déjà présents dans le monde parviennent à leur maturité et à leur plénitude, de
telle sorte que la promesse soit transformée en possession, la foi en vision, et qu’ainsi
"nous lui soyons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est". (1 Jn 3, 2).
97. Le temps liturgique de l’Avent transparaît volontiers dans les formes de la piété
populaire, spécialement lorsqu’il s’agit de faire mémoire de la préparation de la venue
du Messie. La longue attente qui a précédé la naissance du Sauveur est solidement
ancrée dans la conscience du peuple chrétien. Les fidèles savent que Dieu soutenait
l’espérance d’Israël dans la venue du Messie au moyen des prophéties.
L’Avent donne lieu à des expressions variées de la piété populaire, qui soutiennent la foi
du peuple et transmettent de génération en génération un certain nombre de valeurs,
qui font partie de ce temps liturgique.
La Couronne de l’Avent
98. La disposition de quatre cierges sur une couronne constituée de rameaux toujours
verts, qui est en usage spécialement dans les pays germaniques et en Amérique du Nord,
est devenue le symbole de l’Avent dans les maisons des chrétiens.
100. Dans l’hémisphère nord, le temps de l’Avent est marqué par la célébration des
"Quatre-Temps d’hiver". Ceux-ci signalent à la fois l’entrée dans une saison nouvelle et
aussi une suspension des activités dans certains secteurs de la société. La piété populaire
est très attentive au déroulement du cycle vital de la nature: tandis que se célèbrent les
"Quatre-temps d’hiver", la semence est enfouie dans le sol en attendant que, par sa
lumière et sa chaleur, le soleil la fasse germer, en reprenant son cycle à partir du solstice
d’hiver.
Dans les régions où la piété populaire a suscité des formes de célébrations s’inspirant du
changement des saisons, il faudra les conserver et les valoriser pour qu’elles constituent
vraiment des moments privilégiés de supplications adressées au Seigneur, et qu’elles
permettent aux fidèles de réfléchir sur les différents sens du travail humain: la
collaboration de l’homme à l’œuvre créatrice de Dieu, l’autoréalisation de la personne, le
service du bien commun et l’actualisation du projet de la rédemption.
Il reste que la valorisation de l’Avent, qui est "un moment particulièrement adapté au
culte de la Mère du Seigneur" ne signifie pas pour autant que ce temps liturgique doive
être présenté comme un "mois de Marie".
La Neuvaine de Noël
La Crèche
104. Outre les représentations de la crèche de Béthléem, qui existent depuis les premiers
siècles dans les églises, la coutume s’est répandue, à partir du XIII siècle, d’installer de
petites crèches dans les maisons, en prenant exemple sur celle qui, en 1223, avait été
aménagée à Greccio par saint François d’Assise. Leur préparation - à laquelle les enfants
sont tout particulièrement associés - permet de rendre présent le mystère de Noël auprès
des différents membres de la famille, qui, parfois, se recueillent pour un moment de
prière ou pour lire les passages de l’Écriture Sainte, qui concernent la naissance de Jésus.
Le temps de Noël
108. La piété populaire se fait l’écho, à travers des expressions qui lui sont propres, d’une
grande partie du mystère riche et complexe de la manifestation du Seigneur. Elle est
particulièrement attentive aux événements de l’enfance du Sauveur, par lesquels celui-ci
a manifesté son amour pour nous. De fait, la piété populaire évoque d’une manière
intuitive:
- la valeur de la "spiritualité du don de soi", qui est propre à Noël: "un enfant nous est né,
un fils nous a été donné" (cf. Is 9, 5), un don qui est l’expression de l’amour infini de Dieu,
qui "a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique" (Jn 3, 16);
- le message de solidarité qui est apporté par l’événement de Noël: solidarité avec
l’homme pécheur, manifestée en Jésus, qui est Dieu fait homme "pour nous et pour notre
salut"; solidarité avec les pauvres, puisque le Fils de Dieu "de riche qu’il était s’est fait
pauvre" pour nous enrichir "par sa pauvreté" (2 Co 8, 9);
La Nuit de Noël
109. Entre les premières Vêpres de Noël et la célébration de la Messe de minuit, les
nombreuses expressions de la piété populaire, diverses selon les pays, comprennent en
particulier la tradition des chants de Noël, qui contribuent à transmettre le message de
joie et de paix propre à cette solennité. Or, il est opportun de valoriser ces différentes
expressions et, le cas échéant, de les harmoniser avec les célébrations de la Liturgie. Il
convient de citer, par exemple:
- le repas du soir de Noël. La famille chrétienne qui, chaque jour, selon la tradition,
demande au Seigneur de bénir la table et rend grâce à Dieu pour la nourriture qu’elle
reçoit de lui, accomplira ce geste avec une intensité particulière et une grande attention
au cours de ce repas du soir de Noël, au cours duquel se manifestent la solidité des liens
familiaux ainsi que la joie qui en découle.
110. L’Église souhaite que, la nuit du 24 décembre, les fidèles participent si possible à
l’Office des lectures comme préparation immédiate à la célébration de la Messe de
minuit. Lorsque l’Office des lectures n’est pas célébré, il convient d’organiser une veillée
qui, en s’inspirant de cet Office, peut être composée de chants, de lectures et d’autres
éléments de la piété populaire.
- la prière des fidèles devra avoir un caractère vraiment universel dans le choix des
intentions et, si cela s’avère possible et opportun, par l’emploi de diverses langues; à
l’offertoire, la présentation des dons comportera toujours un élément qui évoquera ceux
qui vivent dans des situations marquées par la pauvreté.
112. La fête de la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph (le dimanche dans l’octave de
la Nativité) offre aux familles chrétiennes des possibilités très amples pour accomplir
certains rites, ou pour organiser des moments de prières adaptés à cette célébration
liturgique.
Toutefois, en dehors du jour même de cette fête, les fidèles se confient volontiers à la
Sainte Famille de Nazareth dans de nombreuses circonstances de leur vie: ainsi,
beaucoup font partie de l’Association de la Sainte Famille dans le but de mieux
conformer la vie de leur propre famille au modèle de la Famille de Nazareth; de même,
nombreux sont les fidèles qui adressent de fréquentes prières à la Sainte Famille pour se
placer sous sa protection et demander son aide à l’heure de la mort.
113. Le 28 décembre, l’Église célèbre, depuis le VI siècle, la mémoire des enfants victimes
de la fureur aveugle d’Hérode, qui désirait tuer Jésus (cf. Mt 2, 16-17). La tradition
liturgique les appelle les "Saints Innocents" et elle les considère comme des martyrs. Tout
au long des siècles, l’art, la poésie et la piété populaire ont exprimé les sentiments de
tendresse et de sympathie des fidèles envers ce "tendre troupeau d’agneaux immolés";
de tels sentiments ont toujours été accompagnés d’un mouvement d’indignation due à la
violence avec laquelle ces enfants ont été arrachés des bras de leurs mères d’avant d’être
assassinés.
De nos jours les enfants subissent ancore d’innombrables formes de violence, qui
attentent à leur vie et constituent des attaques contre leur dignité, leur vie morale et leur
droit de recevoir une éducation digne de ce nom. Il faut toujours avoir présent à l’esprit
la foule innombrable des enfants vivant encore dans le sein de leurs mères et qui sont
tués avant même de voir le jour, à cause des lois qui autorisent l’avortement, ce crime
abominable. Attentive aux problèmes concrets, la piété populaire a suscité, en de
nombreux endroits, des initiatives d’ordre cultuel mettant en valeur le respect du
caractère sacré de la vie, ainsi que des gestes de charité dans des domaines aussi divers
que l’assistance aux mères qui attendent un enfant, l’adoption des enfants et le
développement de leur instruction.
Le 31 décembre
114. Quelques pieux exercices, qui marquent la date du 31 décembre, ont la piété
populaire pour origine. Dans la plus grande partie des pays occidentaux ce jour coïncide
avec la fin de l’année civile. Cette fête conduit les fidèles à méditer sur le "mystère du
temps" qui passe à la fois rapidement et inexorablement. Cette réflexion suscite en eux
les deux réactions suivantes: tout d’abord, un sentiment mêlé de repentir et de regret
pour les fautes qui ont été commises, et pour toutes les occasions de vivre dans la grâce
de Dieu, qui ont été perdues durant l’année qui s’achève; ensuite, le désir de remercier
Dieu pour tous les bienfaits reçus de lui.
Cette double attitude a donné naissance respectivement à deux pieux exercices: d’une
part, l’exposition prolongée du Saint-Sacrement qui permet aux communautés
religieuses et aux fidèles de bénéficier de longs moments de prière, surtout silencieuse;
d’autre part, le chant du Te Deum, qui exprime la louange et l’action de grâces des fidèles
pour tous les bienfaits obtenus de Dieu durant l’année qui va s’achever.
Dans certains lieux, surtout dans les communautés monastiques et dans les associations
de laïcs, dont la spiritualité accorde une place importante à la dévotion eucharistique, la
nuit du 31 décembre est marquée par une veillée de prières, qui s’achève par la
célébration de la Sainte Messe. Il convient d’encourager l’organisation de telles veillées;
toutefois, celles-ci doivent être célébrées en tenant compte des éléments liturgiques de
l’Octave de Noël; de plus, elles doivent être conçues non seulement comme un acte de
réparation tout à fait juste face à l’insouciance et à la débauche, qui marquent le passage
d’une année à l’autre, mais encore comme une veillée offerte au Seigneur pour les
prémices du nouvel an.
116. En Occident le 1 janvier marque le commencement de l’année civile. Les fidèles, qui
sont immergés eux aussi dans l’atmosphère festive si caractéristique du début de
l’année, échangent avec tous ceux qu’ils rencontrent les vœux de "bonne année".
Toutefois, tout en respectant cette coutume, ils doivent être capables de lui donner une
nouvelle dimension en insistant sur sa signification chrétienne et ils peuvent même en
faire un acte de piété religieuse. En effet, les fidèles savent que la "nouvelle année" est
placée sous le pouvoir souverain du Christ et c’est pourquoi, en échangeant les vœux du
nouvel an, ils confient ce dernier, d’une manière plus ou moins explicite, au Seigneur
tout-puissant, à qui appartiennent les jours et les siècles pour l’éternité (cf. Ap 1, 8; 22,
13).
Cette volonté des fidèles de conférer au nouvel an une dimension pleinement chrétienne
se traduit dans la coutume très répandue de chanter le Veni, creator Spiritus, en ce jour
du 1 janvier, pour demander à l’Esprit Saint d’inspirer, tout au long de l’année, les
pensées et les actions de chaque fidèle et des communautés chrétiennes.
117. L’un des principaux vœux de nouvel an, que se souhaitent mutuellement les
hommes et les femmes, est celui de la paix. Ce "vœu de la paix" a de profondes racines
bibliques et christologiques, qui se rapportent spécialement au mystère de la Nativité.
Les hommes de tous les temps ont évoqué unanimement le "bien de la paix", tout en
n’hésitant pas à le remettre en cause fréquemment d’une manière violente et
destructrice, qui a pour nom: la guerre.
Depuis 1967, le Siège Apostolique, qui a toujours montré sa solidarité avec les aspirations
profondes des peuples, a décidé de célébrer, à la date 1 janvier, la "Journée mondiale de
la paix".
La piété populaire n’est pas demeurée insensible à cette initiative du Siège Apostolique;
c’est pourquoi, dans le contexte de la naissance du Prince de la paix, elle a fait de ce jour
un moment intense de prières pour la paix, et d’éducation à la paix et aux valeurs qui lui
sont indissolublement liées, parmi lesquelles il convient de citer notamment la liberté, la
solidarité et l’esprit fraternel, la dignité de la personne humaine, le respect de la nature,
le droit au travail, et le caractère sacré de la vie, ce qui incite les chrétiens à dénoncer les
situations marquées par l’injustice, qui ont pour effet de troubler les consciences et de
menacer la paix.
118. Le contenu très riche de la solennité de l’Épiphanie, dont l’origine remonte aux
premiers siècles, a inspiré le développement de multiples traditions et de nombreuses
expressions authentiques de la piété populaire. Parmi ces dernières, il convient de citer:
- La bénédiction des maisons, sur les portes desquelles les fidèles ont placé la croix du
Seigneur, le chiffre de l’année qui commence et les initiales des noms traditionnels des
saints Mages (C+M+B), qui sont aussi celles de l’expression: "Christus mansionem
benedicat", écrites avec de la craie bénite. Ces gestes, qui sont accomplis en présence de
nombreux enfants accompagnés par les adultes, expriment le désir des fidèles de
recevoir la bénédiction du Christ par l’intercession des saints Mages, et ils sont aussi
l’occasion de recueillir des offrandes en faveur des œuvres caritatives et missionnaires;
- Les gestes de solidarité en faveur des hommes et des femmes qui, à l’exemple des
Mages, proviennent de pays lointains. Ainsi, la piété populaire suscite chez les fidèles
cette attitude d’accueil cordial et de solidarité concrète à l’égard de tous hommes, qu’ils
soient chrétiens ou non.
120. Jusqu’en 1969, la fête du 2 février, qui est ancienne et d’origine orientale, portait en
Occident le nom de "purification de la bienheureuse Vierge Marie", et elle concluait, en
ce quarantième jour après la Nativité du Seigneur, le temps liturgique de Noël.
- ils participent volontiers à la procession qui évoque l’entrée de Jésus dans le Temple, et
en premier lieu la rencontre du Fils avec Dieu le Père, dans la demeure duquel il pénètre
pour la première fois, ainsi que sa rencontre avec Siméon et Anne. En Occident, cette
procession, dont le caractère pénitentiel s’était substitué à l’immoralité des défilés
païens, fut marquée par l’introduction du rite liturgique de la bénédiction des cierges,
allumés en l’honneur du Christ "lumière pour éclairer les nations" (Lc 2, 32);
- ils se montrent sensibles au geste accompli par la Vierge Marie, qui présente son Fils
dans le Temple et, qui, en obéissant à la Loi de Moïse, se soumet au rite de la purification.
La piété populaire a mis en valeur cet épisode de la purification en le présentant comme
un témoignage de l’humilité de la Vierge Marie; c’est pourquoi le 2 février fut souvent
considéré comme la fête de ceux qui accomplissent d’humbles services dans l’Église.
Le Rituale Romanum rénové prévoit la bénédiction d’une mère, soit avant, soit après
l’enfantement; il faut toutefois noter que la bénédiction postérieure à l’accouchement ne
peut être donnée que dans le cas où la nouvelle mère n’a pas pu être présente à la
cérémonie du baptême de son enfant.
Il est néanmoins très important que les mères et leurs proches parents, en demandant de
telles bénédictions, se conforment aux intentions de la prière de l’Église, c’est-à-dire
qu’elles aient lieu dans une communion de foi et de charité, et dans la prière, afin que
l’attente de l’enfant s’effectue dans la joie (bénédiction avant l’enfantement) et avec le
désir de rendre grâces à Dieu pour le don reçu de lui (bénédiction après l’enfantement).
122. Dans certaines Églises locales, le 2 février est devenu la fête de ceux qui se
consacrent au service du Seigneur et de leurs frères dans les diverses formes de la vie
consacrée; cette signification particulière provient de la valorisation de certains
éléments du récit évangélique de la fête de la Présentation du Seigneur (Lc 2, 22-40),
comme, par exemple, l’obéissance de Joseph et de Marie à la Loi du Seigneur, la pauvreté
de ces saints époux et la virginité de la Mère de Jésus.
Le Temps du Carême
124. Le Carême est le temps liturgique qui précède Pâques et prépare les fidèles à
célébrer cette solennité. C’est un temps d’écoute attentive de la Parole de Dieu et de
conversion, de préparation ou de rappel du baptême, de réconciliation avec Dieu et avec
les frères, et une occasion de recourir plus fréquemment aux "diverses armes de la
pénitence chrétienne": la prière, le jeûne et l’aumône (cf. Mt 6, 1-6. 16-18).
Faute d’avoir pu percevoir facilement les grands mystères de la foi exprimés par le
Carême, les expressions de la piété populaire répercutent peu les valeurs et les thèmes
principaux de ce temps liturgique: il convient de citer, en particulier, le rapport entre le
"signe des quarante jours" et les sacrements de l’initiation chrétienne, ainsi que le
mystère de "l’exode" qui est présent tout au long de l’itinéraire du Carême. En revanche,
la tendance constante de la piété populaire à évoquer les mystères de l’humanité du
Christ, a incité les fidèles à concentrer leur attention sur la Passion et la Mort du
Seigneur.
125. Dans le Rite romain, le début des quarante jours de pénitence est marqué par le
signe austère des cendres, qui caractérise la Liturgie du Mercredi des Cendres. Ce signe a
pour origine le rite antique au cours duquel les pécheurs convertis se soumettaient à la
pénitence canonique; de fait, le geste qui consiste à se couvrir de cendres signifie la
reconnaissance de la fragilité et de la condition mortelle de l’homme, qui ressent le
besoin de se tourner vers la miséricorde de Dieu pour obtenir de lui le salut. Ainsi, loin
de le réduire à un geste purement extérieur, l’Église a voulu le conserver pour exprimer
cette attitude de pénitence, à laquelle chaque baptisé est appelé durant l’itinéraire du
Carême. Il est donc nécessaire d’aider les nombreux fidèles, qui viennent recevoir les
cendres, à comprendre le sens profond de ce geste, destiné à ouvrir leurs cœurs à la
conversion et au renouveau pascal.
À titre d’exemple destiné à illustrer cette interaction, la piété populaire privilégie des
jours et des pieux exercices bien précis, ainsi que des activités apostoliques et caritatives
déterminées, que la Liturgie de Carême elle-même prévoit et recommande. La pratique
du jeûne, qui caractérise ce temps liturgique depuis les premiers siècles de l’Église, est
un "exercice" qui libère volontairement des désirs liés à la vie sur cette terre; il permet
donc de redécouvrir la nécessité d’aspirer à la vie qui vient du ciel: "ce n’est pas
seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu" (cf. Dt 8, 3; Mt 4, 4; Lc 4, 4; antienne de la communion du premier Dimanche de
Carême).
128. Les expressions de dévotion envers le Christ crucifié, qui sont nombreuses et
variées, ont une importance particulière dans les églises dédiées au mystère de la Croix,
ou dans lesquelles sont vénérées des reliques, considérées comme authentiques, du
lignum Crucis. Il est vrai que la "découverte de la sainte Croix", qui remonte selon la
tradition à la première moitié du IV siècle, et qui fut suivie de la diffusion de parcelles
très vénérées de cette même Croix dans le monde entier, suscita un développement
notable du culte de la Croix.
Il reste que la piété envers la Croix a toujours besoin d’être éclairée. Il faut donc montrer
aux fidèles que la Croix se réfère avant tout à l’évènement de la Résurrection: la Croix et
le tombeau vide, la Mort et la Résurrection du Christ sont inséparables dans le récit
évangélique et dans le plan de salut de Dieu. La foi chrétienne proclame que la Croix est
l’expression tangible du triomphe du Christ sur le pouvoir des ténèbres; c’est pourquoi
elle est souvent représentée couverte de pierres précieuses, et elle est devenue un signe
de bénédiction quand elle est tracée sur soi-même ou sur d’autres personnes, et sur des
objets.
129. Les fidèles ont volontiers mis en évidence certains aspects de la Passion du Christ,
qui sont devenus autant de dévotions particulières. Cette attitude s’explique par la
tendance, qui est propre à la piété populaire, de spécifier et de différencier les divers
éléments du texte évangélique, qui, en l’occurrence, présente lui-même les différents
épisodes du récit de la Passion d’une manière détaillée. Parmi ces dévotions liées à la
Passion du Christ, on peut citer: celle qui s’adresse à l’ "Ecce Homo", au Christ méprisé et
torturé, "portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre" (Jn 19, 5), que Pilate
présente au peuple; la dévotion aux saintes plaies du Seigneur, en particulier celle qui
s’adresse à la blessure de son Cœur transpercé, et au sang jailli de ce Cœur et qui donne
la vie; l’évocation des instruments de la Passion, parmi lesquels la colonne de la
flagellation, l’escalier du prétoire, la couronne d’épines, les clous, la lance qui transperça
le côté du Christ, de même que le saint suaire et le linceul de l’ensevelissement.
Ces diverses expressions de la piété populaire, qui ont été promues dans certains cas par
des personnes réputées pour leur sainteté, sont légitimes. Toutefois, afin d’éviter un
morcellement excessif dans la contemplation de l’unique mystère de la Croix, il convient
de souligner le caractère complexe de l’événement de la Passion en se basant sur la
tradition biblique et patristique.
Une telle lecture, d’une grande portée doctrinale, attire l’attention des fidèles sur le
contenu même du récit ou sur sa disposition générale, et elle suscite en eux des
sentiments de piété authentique, parmi lesquels il convient de citer: le regret des fautes
commises, qui provient de leur perception que le Christ est mort pour la rémission des
péchés de tout le genre humain, et donc aussi de leurs propres péchés; la compassion et
la solidarité envers l’Innocent injustement persécuté; le sentiment de gratitude envers
Jésus pour l’amour infini dont, durant sa Passion, ce Frère aîné a fait preuve envers tous
les hommes; l’engagement à suivre les exemples de douceur, de patience, de
miséricorde, de pardon des offenses et d’abandon confiant entre les mains du Père,
donnés par Jésus d’une manière à la fois abondante et efficace durant sa Passion.
La "Via Crucis"
131. Parmi les pieux exercices destinés à vénérer la Passion du Seigneur, peu sont aussi
estimés par les fidèles que la Via Crucis. Ce pieux exercice leur permet de revivre avec
une attention particulière cette ultime étape du chemin parcouru par Jésus durant sa vie
terrestre: depuis le Mont des Oliviers, où dans "le domaine appelé Gethsémani" (mc 14,
32), le Seigneur "fut saisi par l’angoisse" (Lc 22, 44), jusqu’au Mont du Calvaire où il fut
crucifié entre deux bandits (cf. Lc 23, 33), et au jardin où il fut déposé dans un sépulcre
neuf, creusé dans le roc (cf. Jn 19, 40-42).
132. La Via Crucis peut être considérée comme la synthèse d’un certain nombre de
dévotions qui remontent au Moyen Âge: le pèlerinage en Terre Sainte, durant lequel les
fidèles se rendent sur les lieux même de la Passion du Seigneur; l’évocation des "chutes
du Christ" sous le poids de la Croix et celle du "chemin de croix douloureux du Christ",
qui est marqué par une procession accomplie d’église en église en mémoire des étapes
parcourues par le Christ durant sa Passion; la dévotion aux "stations du Christ", qui se
réfèrent aux différents endroits où le Christ fut contraint de s’arrêter au long du chemin
qui le conduisait au Calvaire, soit à cause de l’attitude de ses bourreaux, soit du fait de
l’épuisement de ses forces physiques, ou encore, parce qu’il manifestait son amour
envers les hommes et les femmes, qui assistaient à sa Passion, en s’efforçant d’établir un
dialogue avec eux.
Dans sa forme actuelle, déjà attestée dans la première moitié du XVII siècle, la Via Crucis
est constituée de quatorze stations; cette dévotion, qui fut surtout diffusée par saint
Leonardo da Porto Maurizio († 1751), est approuvée par le Saint-Siège et enrichie
d’indulgences.
133. La Via Crucis est un chemin tracé par l’Esprit Saint, ce feu divin qui brûlait dans le
Cœur du Christ (cf. Lc 12, 49-50) et le poussait à marcher vers le Calvaire; elle est aussi
un chemin vénéré par l’Église, qui a conservé le souvenir très vif des paroles et des
événements qui ont marqué les derniers jours de son Époux et Seigneur.
De plus, des expressions très variées, qui caractérisent la spiritualité chrétienne, sont
présentes dans le pieux exercice de la Via Crucis: ainsi, la conception de la vie en tant
que chemin ou pèlerinage à accomplir, ou comme un passage, à travers le mystère de la
Croix, de l’exil de cette terre vers la patrie céleste; le désir de s’unir profondément à la
Passion du Christ; les exigences de la sequela Christi, qui, pour le disciple, consiste à
marcher derrière le Maître, en portant chaque jour sa propre croix (cf. Lc 9, 23).
Toutes ces raisons permettent d’afirmer que la Via Crucis est un exercice de piété
particulièrement adapté durant le temps du Carême.
134. Les orientations suivantes sont destinées à accomplir le pieux exercice de la Via
Crucis d’une manière frutueuse:
- La forme traditionnelle de la Via Crucis, avec ses quatorze stations, doit être considérée
comme la forme ordinaire et typique de ce pieux exercice; toutefois, en certaines
occasions, il peut être permis de remplacer l’une ou l’autre des "stations" par d’autres,
qui évoquent certains épisodes du récit évangélique de ce chemin douloureux accompli
par le Christ, et qui ne font pas partie de la forme traditionnelle.
- Il existe aussi d’autres formes de la Via Crucis, qui sont, soit approuvées par le Siège
Apostolique, soit employées publiquement par le Pontife Romain: celles-ci peuvent être
employées selon l’opportunité.
- La Via Crucis est un pieux exercice qui évoque la Passion du Christ; toutefois, il est
opportun que sa conclusion permette aux fidèles d’ouvrir leur cœur à l’attente, pleine de
foi et d’espérance, de la résurrection; c’est pourquoi, en prenant exemple sur la station à
l’Anastasis à la fin de la Via Crucis à Jérusalem, il est possible de conclure le pieux
exercice en évoquant la résurrection du Seigneur.
135. Les textes de la Via Crucis sont innombrables. Ils ont été composés par des pasteurs
convaincus des fruits spirituels de ce pieux exercice, auquel ils ont manifesté un sincère
attachement; ces textes ont aussi parfois pour auteurs de pieux fidèles laïcs, que leur
sainteté, leur doctrine ou leurs dons d’écrivains ont rendu célèbres.
Le fait d’accomplir la Via Crucis d’une manière sage et équilibrée en alternant les textes
lus, le silence, les chants, la procession entre les stations et les arrêts permettant la
méditation, permet à ce pieux exercice de porter tous ses fruits spirituels.
La "Via Matris"
136. L’union du Christ crucifié et de la Vierge des douleurs dans le projet de salut de Dieu
(cf. Lc 2, 34-35) a pour effet de les associer dans la Liturgie et la piété populaire.
Tout comme le Christ est "l’homme des douleurs" (Is 53, 3), par lequel il a plu à Dieu "de
tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le
sang de sa croix" (Col 1, 20), Marie est aussi la "femme douloureuse", que Dieu a voulu
associer à son Fils comme une mère unie à sa Passion (socia passionis).
Dès l’enfance du Christ et jusqu’à sa mort, la vie de la Vierge Marie fut associée au rejet
que subissait son Fils, et elle fut donc marquée tout entière par le signe de l’épée,
annoncée par Siméon (cf. Lc 2, 35). La piété du peuple chrétien a donc distingué dans
cette vie douloureuse de la Mère, sept épisodes principaux, auxquels elle a donné le nom
des "sept douleurs" de la Vierge Marie.
Le pieux exercice de la Via Matris dolorosa, ou plus simplement de la Via matris, s’est
formé sur le modèle de la Via Crucis, et il fut approuvé par le Saint-Siège. Des ébauches
de la Via Matris existent depuis le XVI siècle, mais la forme actuelle de ce pieux exercice
ne remonte pas au-delà du XIX siècle. L’intuition fondamentale de la Via Matrix est de
présenter la vie entière de la Vierge, depuis l’annonce prophétique de Siméon (cf. Lc 2,
34-35) jusqu’à la mort et la sépulture de son Fils, comme un chemin de foi et de
souffrances: il s’agit d’un chemin marqué par sept "stations", qui correspondent aux
"sept douleurs" de la Mère du Seigneur.
137. Le pieux exercice de la Via Matris s’harmonise bien avec certains thèmes propres à
l’itinéraire du Carême. De fait, étant donné que les souffrances de la Vierge Marie ont été
causées par le rejet du Christ de la part des hommes, il est inévitable que la Via Matris
fasse constamment référence au mystère du Christ en tant que serviteur souffrant du
Seigneur (cf. Is 52, 13 - 53, 12), et rejeté par son peuple (cf. Jn 1, 11; Lc 2, 1-7; 2, 34-35; 4,
28-29; Mt 26, 47-56; Ac 12, 1-5). De plus, ce pieux exercice renvoie aussi au mystère de
l’Église: les stations de la Via Matris constituent, en effet, les étapes de ce chemin de foi et
de souffrances, sur lequel la Vierge Marie a précédé l’Église, et que cette dernière devra
suivre jusqu’à la consommation des siècles.
La "Piétà", qui est un thème inépuisable de l’art chrétien depuis le Moyen Âge, peut être
considérée comme l’expression majeure de la Via Matris.
La Semaine Sainte
138. "Pendant la Semaine Sainte, l’Église célèbre les mystères du salut accomplis par le
Christ les derniers jours de sa vie terreste, à partir de son entrée messianique à
Jérusalem".
L’implication du peuple chrétien dans les rites de la Semaine Sainte est très forte; le rôle
de la piété populaire dans leur formation est donc tellement importante que certains
d’entre eux conservent des traces de leur origine. Toutefois, au cours des siècles, les rites
de la Semaine Sainte se sont progressivement présentés sous la forme de deux cycles
parallèles: l’un de nature strictement liturgique, et l’autre marqué par un certain
nombre de pieux exercices, en particulier des processions.
139. "La Semaine Sainte commence avec le "Dimanche des Rameaux et de la Passion du
Seigneur", qui unit le présage du triomphe du Christ Roi et l’annonce de sa Passion".
Toutefois, il est nécessaire que les fidèles soient correctement instruits au sujet de la
véritable signification de cette célébration, afin qu’ils en saisissent toute sa portée. Par
exemple, il conviendra de leur redire que le plus important est de participer à la
procession elle-même, et qu’il ne suffit donc pas de se procurer la palme ou le rameau
d’olivier; de plus, ceux-ci ne doivent pas être conservés en guise d’amulettes, ou dans le
seul but d’obtenir une guérison, ou bien encore dans le but d’éloigner les esprits
mauvais, c’est-à-dire de protéger les maisons et les champs des dommages que ces
esprits pourraient leur causer; de telles attitudes relèveraient sans doute de la
superstition.
La palme et le rameau d’olivier doivent avant tout être conservés comme un témoignage
de la foi dans le Christ, le roi messianique, et dans sa victoire pascale.
Le Triduum pascal
LE JEUDI SAINT
La visite au reposoir
Il est nécessaire d’éclairer les fidèles sur la vraie signification du reposoir: ce geste de
déposer le Saint-Sacrement au reposoir, qui doit être accompli avec une austère
solennité, est accompli essentiellement dans le but de conserver le Corps du Seigneur en
vue de la communion des fidèles, durant l’Action liturgique du Vendredi Saint, ainsi que
pour la communion en Viatique des malades; il est aussi une invitation à une adoration
silencieuse et prolongée de l’incomparable Sacrement qui a été institué en ce jour.
Il conviendra donc que le lieu du reposoir ne soit pas qualifié de "sépulcre", et il faudra
veiller, au moment de sa préparation, à ne pas lui donner l’aspect d’une sépulture: le
tabernacle, en particulier, ne doit pas avoir la forme d’un sépulcre ou d’une urne
funéraire. Ainsi, le Saint-Sacrement devra être conservé dans un tabernacle fermé, et il
ne sera donc jamais exposé dans un ostensoire.
En cette nuit du Jeudi Saint, après minuit, l’adoration se fait sans solennité, puisque le
jour de la Passion du Seigneur a déjà commencé.
LE VENDREDI SAINT
142. Le Vendredi Saint, l’Église célèbre la Mort rédemptrice du Christ. Durant la Liturgie
de l’après-midi, elle médite donc sur la Passion de son Seigneur, elle intercède pour le
salut du monde, elle adore la Croix et elle évoque sa propre origine, en se souvenant
qu’elle est issue du Cœur transpercé du Sauveur (cf. Jn 19, 34).
Parmi les manifestations de la piété populaire du Vendredi Saint, outre la Via Crucis, la
procession évoquant la "mort du Christ" tient une grande place. Cette dernière
représente, avec les accents propres de la piété populaire, le petit groupe des amis et des
disciples de Jésus qui, après avoir détaché son corps de la Croix, le portèrent jusqu’au
lieu où se trouvait le "sépulcre taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé"
(Lc 23, 53).
L’atmosphère particulière de la procession évoquant la "mort du Christ", qui est
caractérisée par l’austérité, le silence et la prière, permet aux nombreux fidèles, qui y
participent, de mieux percevoir les diverses significations du mystère de la sépulture de
Jésus.
143. Il est nécessaire que de telles manifestations de la piété populaire, tant du point du
choix de l’horaire que de la manière de rassembler les fidèles, n’apparaissent pas aux
yeux de ces derniers comme des éléments qui viendraient remplacer les célébrations
liturgiques du Vendredi Saint.
Dans le projet pastoral du Vendredi Saint, il faudra donc veiller à accorder la première
place à la Liturgie solennelle qui doit être célébrée, tout en la mettant particulièrement
en valeur; il sera donc nécessaire de montrer aux fidèles qu’aucun pieux exercice ne
peut être préféré à cette célébration et se substituer à elle.
144. En de nombreux pays, la Semaine Sainte, et surtout le Vendredi Saint, donnent lieu
à des représentations de la Passion du Christ. Il s’agit souvent de véritables
"représentations sacrées", qu’il est possible de considérer, à bon droit, comme des pieux
exercices. De fait, de telles représentations sacrées s’enracinent dans la Liturgie elle-
même. Certaines d’entre elles qui, sont nées, pour ainsi dire, dans les sanctuaires
monastiques, en suivant un processus de dramatisation progressive, sont parvenues sur
les parvis des églises.
De même, il faut rejeter toutes les pratiques pénitentielles consistant à se faire clouer sur
une croix.
- L’Heure de la "Desolata", durant laquelle les fidèles, avec des expressions de dévotion
intense, "tiennent compagnie" à la Mère du Seigneur, demeurée seule, immergée dans
une profonde douleur, après la mort de son Fils unique; en contemplant la Pietà, c’est-à-
dire la Vierge serrant son Fils mort sur sa poitrine, ils comprennent qu’en la personne de
Marie se concentre la douleur de l’univers due à la mort du Christ. De plus, Marie
personnifie aussi toutes les mères qui, tout au long de l’histoire, ont pleuré la mort d’un
fils. Ce pieux exercice qui, en certains endroits de l’Amérique latine, est appelé El
pésame, ne devra pas se limiter à exprimer des sentiments humains face à la douleur
d’une mère, mais, dans la foi en la résurrection, il aidera à mieux comprendre la
grandeur de l’amour rédempteur du Christ, auquel sa Mère est associée.
LE SAMEDI SAINT
146. "Le Samedi Saint, l’Église demeure auprès du tombeau de son Seigneur, méditant la
Passion et la Mort du Christ, ainsi que sa descente aux enfers, et elle attend sa
Résurrection dans la prière et le jeûne."
"L’Heure de la Mère"
147. La tradition enseigne que Marie réunit en quelque sorte en sa personne le corps de
l’Église tout entière: elle est la "credentium collectio universa". Ainsi, la Vierge Marie qui
se tient près du sépulcre de son Fils, selon les diverses représentations de la tradition
ecclésiale, est l’icône de l’Église Vierge, qui veille près du tombeau de son Époux, dans
l’attente de la célébration de la Résurrection.
Cette intuition d’une telle relation étroite entre Marie et l’Église provient du pieux
exercice appelé "l’Heure de la Mère": tandis que le corps du Fils repose dans le sépulcre
et que son âme est descendue aux enfers pour annoncer aux ancêtres dans la foi, qui
vivent encore dans l’ombre de la mort, leur libération imminente, la Vierge, anticipant et
personnifiant l’Église, attend la victoire de son Fils sur la mort en faisant preuve d’une
foi inaltérable.
LE DIMANCHE DE PÂQUES
148. Le dimanche de Pâques, qui est la plus grande solennité de l’année liturgique, est
marqué lui aussi par un certain nombre de manifestations de la piété populaire: ce sont
toutes des expressions cultuelles, qui exaltent la vie nouvelle et la gloire du Christ
ressuscité, ainsi que la toute-puissance de Dieu qui jaillit de sa victoire sur le péché et sur
la mort.
L’affirmation de la Liturgie, selon laquelle Dieu a comblé de joie la Vierge Marie par la
résurrection de son Fils, a été traduite et, en quelque sorte, représentée par la piété
populaire dans le pieux exercice de la Rencontre de la Mère avec son Fils ressuscité: le
matin de Pâques deux processions, la première se formant autour de l’image de la Mère
douloureuse, et la seconde autour de celle du Christ ressuscité, vont à la rencontre l’une
de l’autre pour signifier que la Vierge fut la première à participer pleinement au mystère
de la résurrection de son Fils.
La remarque déjà faite à propos de la procession, qui évoque "la mort du Christ", vaut
aussi pour ce pieux exercice: son déroulement ne doit pas revêtir une solennité
équivalente, et encore moins supérieure à celle qui caractérise les célébrations
liturgiques du dimanche de Pâques, ni donner lieu à des interférences inappropriées
entre cette manifestation de la piété populaire et la Liturgie.
La liturgie pascale est marquée tout entière par la nouveauté: de fait, nouvelle est alors
la nature, puisque, dans l’hémisphère nord, la solennité de Pâques coïncide avec le réveil
du printemps; nouveaux sont le feu et l’eau; et nouveaux sont les cœurs des chrétiens,
renouvelés par le sacrement de Pénitence, et comme cela est de bonne augure, par les
sacrements de l’Initiation chrétienne; nouvelle, en quelque sorte, est aussi l’Eucharistie:
tous ces éléments et ces signes sensibles évoquent et transmettent la vie nouvelle
inaugurée par le Christ dans sa résurrection.
Parmi les pieux exercices qui sont liés à l’événement pascal, il convient de citer la
traditionnelle bénédiction des œufs, qui est un symbole de la vie, et la bénédiction de la
table familiale; cette dernière est une coutume traditionnelle et quotidienne dans de
nombreuses familles chrétiennes, qu’il convient d’encourager; de plus, le jour de Pâques,
elle revêt une signification toute particulière: le chef de famille, ou un autre membre de
la communauté domestique, bénit le repas de fête en employant l’eau qui a été bénite
durant la Vigile pascale, et que les fidèles ont rapportée dans leurs demeures en louant le
Seigneur.
151. En certains endroits, la fin de la veillée pascale, ou bien celle des deuxièmes Vêpres
de Pâques, sont marquées par un pieux exercice d’une courte durée: des fleurs sont
présentées pour être bénites, puis elles sont distribuées aux fidèles comme un signe
exprimant la joie pascale, enfin l’image de la Vierge douloureuse est vénérée et
couronnée, tandis que les participants chantent le Regina caeli. Les fidèles, qui s’étaient
associés aux douleurs de la Vierge Marie durant la Passion, manifestent ainsi, en
communion avec elle, la joie de la résurrection.
Ce pieux exercice, qui ne doit pas être intercalé dans la Liturgie, reflète les divers aspects
du Mystère pascal, et il constitue une preuve supplémentaire de la manière dont la piété
populaire perçoit l’association de la Mère à l’œuvre rédemptrice de son Fils.
Le temps pascal
La "Via lucis"
153. À une époque récente, un pieux exercice, dénommé Via lucis, s’est répandu dans
certaines régions. En prenant modèle sur la Via Crucis, les fidèles, pendant la Via lucis,
sont invités à parcourir un itinéraire en considérant successivement les différentes
apparitions, qui permirent à Jésus - depuis sa Résurrection jusqu’à son Ascension, et
dans la perspective de la Parousie - de manifester sa gloire à ses disciples, en attendant
qu’ils reçoivent l’Esprit Saint qu’il leur avait promis (cf. Jn 14, 26; 16, 13-15; Lc 24, 29), de
conforter leur foi, de porter à leur accomplissement ses nombreux enseignements sur le
Royaume, et, enfin, de définir la structure sacramentelle et hiérarchique de l’Église.
Le pieux exercice de la Via lucis permet aux fidèles d’évoquer l’événement central de la
foi - la Résurrection du Christ - et leur condition de disciples, que le sacrement pascal du
baptême a fait passer des ténèbres du péché à la lumière de la grâce (cf. Col 1, 13; Ep 5,
8).
Pendant des siècles, la Via Crucis, en permettant aux fidèles de participer à l’événement
initial du mystère pascal - la Passion -, a contribué à fixer les divers aspects de son
contenu dans la conscience du peuple. À notre époque, d’une manière équivalente, la Via
lucis peut permettre de rendre présent auprès des fidèles le second moment si vital de la
Pâque du Seigneur, la Résurrection, à condition que ce pieux exercice se déroule dans
une grande fidélité par rapport au texte évangélique.
On dit communément: "per crucem ad lucem"; il est vrai que la Via lucis peut en outre
devenir une excellente pédagogie de la foi. De fait, la Via lucis, avec la métaphore du
chemin à parcourir, permet aux fidèles de mieux comprendre l’itinéraire spirituel, qui
part de la constatation de la réalité de la souffrance, qui, selon le dessein de Dieu, ne
constitue pas le point d’ancrage définitif de la vie humaine, et aboutit à l’espérance de
rejoindre le vrai but poursuivi par chaque homme: la libération, la joie, la paix, qui sont
des valeurs essentiellement pascales.
Enfin, dans une société souvent marquée par l’angoisse et le néant, qui caractérisent la
"culture de la mort", la Via lucis constitue au contraire un stimulant efficace permettant
d’instaurer une "culture de la vie", c’est-à-dire une culture ouverte aux attentes de
l’espérance et aux certitudes de la foi.
154. La dévotion à la divine miséricorde, qui est liée à l’octave pascale, s’est propagée à
une époque récente, à partir des messages de la religieuse, Sœur Faustine Kowalska,
canonisée le 30 avril 2000; elle est centrée sur la personne du Christ, mort et ressuscité,
source de l’Esprit Saint, qui pardonne les péchés et transmet la joie du salut. Puisque la
Liturgie du "deuxième Dimanche de Pâques ou de la divine miséricorde"- comme il est
désormais appelé - constitue le réceptacle naturel où s’exprime l’accueil de la
miséricorde du Rédempteur de l’homme, les fidèles doivent donc être éduqués à
comprendre une telle dévotion à la lumière des célébrations liturgiques de ces jours de
Pâques. En effet, "le Christ de Pâques est l’incarnation définitive de la miséricorde, son
signe vivant: signe du salut à la fois historique et eschatologique. Dans le même esprit, la
liturgie du temps pascal met sur nos lèvres les paroles du Psaume: "Je chanterai sans fin
les miséricordes du Seigneur" (Ps 89 (89), 2).
La neuvaine de la Pentecôte
155. La Sainte Écriture atteste que, durant les neuf jours qui séparent l’Ascension de la
Pentecôte, les apôtres "d’un seul cœur participaient fidèlement à la prière, avec quelques
femmes, dont Marie, la Mère de Jésus, et avec ses frères" (Ac 1, 14), en attendant d’être
"revêtus d’une force venue d’en haut" (Lc 24, 49). Le pieux exercice de la neuvaine de la
Pentecôte est donc issu de la réflexion menée dans la prière concernant ce mystère du
salut, et il s’est propagé parmi les fidèles.
Toutefois, il est possible de constater qu’une telle "neuvaine" est déjà présente dans le
Missel et la Liturgie des Heures, surtout les Vêpres: les textes bibliques et eucologiques
font référence, de diverses manières, à l’attente du Paraclet. C’est pourquoi, lorsque cela
est possible, la neuvaine de la Pentecôte peut consister dans la célébration solennelle des
Vêpres. Dans les lieux où une telle célébration n’est pas possible, il faut faire en sorte que
la neuvaine de la Pentecôte respecte les thèmes liturgiques de chacun des jours, qui
séparent l’Ascension de la Vigile de la Pentecôte.
Dans certains endroits, ces jours offrent l’occasion de célébrer la semaine de prières
pour l’unité des chrétiens.
LA PENTECÔTE
Le dimanche de la Pentecôte
L’Esprit Saint, tout en ouvrant nos cœurs à la communion avec Dieu dans la prière, nous
incite à nous tourner vers notre prochain avec des sentiments authentiques de
rencontre, de réconciliation, de témoignage, de désir de justice et de paix, de renouveau
moral, de vrai progrès social et d’élan missionnaire. C’est dans cet esprit que, dans
certaines communautés, la Pentecôte est célébrée comme " une journée de la souffrance
pour les missions".
Le temps ordinaire
157. L’Église célèbre la solennité de la Très Sainte Trinité le dimanche après la Pentecôte.
À la fin du Moyen Âge, la dévotion croissante des fidèles à l’égard du mystère de Dieu Un
et Trine, qui, depuis l’époque carolingienne, avait occupé une place importante dans le
domaine de la piété privée et avait donné naissance à diverses expressions de la piété
liturgique, incita Jean XXII à étendre, en 1334, la fête de la Trinité à toute l’Église latine.
Cette décision eut à son tour une influence déterminante dans l’apparition et le
développement de certains pieux exercices.
En ce qui concerne les diverses formes qu’emprunte la piété populaire pour évoquer
l’incomparable Trinité, qui est "le mystère central de la foi et de la vie chrétienne", il est
sans doute moins important de présenter tel ou tel pieux exercice en particulier, que de
souligner à leur propos que toute forme authentique de piété chrétienne doit avoir pour
référence incontournable le seul vrai Dieu Un et Trine, c’est-à-dire "le Père tout-puissant
et son Fils unique et l’Esprit Saint". Tel est le mystère de Dieu, qui a été révélé dans le
Christ et par le Christ. Telle est sa manifestation dans l’histoire du salut. Celle-ci, en effet,
n’est autre que "l’histoire de la voie et des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique,
Père, Fils et Saint-Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se détournent
du péché".
Il existe effectivement un grand nombre de pieux exercices qui ont un aspect et une
dimension trinitaire. La plus grande partie d’entre eux débutent avec le signe de la croix,
accompagné des paroles: "au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit"; or c’est cette
même forme qui est employée lors du baptême des disciples de Jésus (cf. Mt 28, 19), au
moment où commence pour chacun d’entre eux une vie de communion intime avec
Dieu, en tant que fils du Père, frères du Fils incarné et temples de l’Esprit Saint. D’autres
pieux exercices, qui adoptent des formes semblables à celles de l’actuelle Liturgie des
Heures, s’ouvrent en rendant "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit". D’autres encore
s’achèvent par la bénédiction donnée au nom des trois Personnes divines. Et il existe
aussi de nombreux exercices qui, en s’inspirant du schéma typique de la prière
liturgique, sont adressés "au Père par le Christ et dans l’Esprit", et présentent donc des
formules doxologiques inspirées des textes liturgiques.
158. Le culte représente le dialogue de Dieu avec l’homme par le Christ et dans l’Esprit
Saint; une telle affirmation est déjà présente dans la première partie de ce Directoire. Il
est donc nécessaire que l’orientation trinitaire soit aussi un élément constant de la piété
populaire. Ainsi, il convient d’aider les fidèles à prendre conscience que les pieux
exercices en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, des Anges et des Saints ont
comme finalité ultime le Père, de qui tout procède et vers qui tout conduit; de même que
le Fils, le Verbe incarné, mort et ressuscité, unique médiateur (cf. 1 Tm 2, 5), sans lequel
il est impossible d’accéder au Père (cf. Jn 14, 6), et enfin l’Esprit Saint, seule source de
grâce et de sanctification. Il est important d’écarter le risque d’entretenir l’idée d’une
"divinité" qui fasse abstraction des Personnes Divines.
159. Parmi les pieux exercices qui s’adressent directement à Dieu Un et Trine, il est
important de mentionner, en plus de la brève doxologie (Gloire au Père et au Fils et au
Saint-Esprit) et de la doxologie développée (Gloire à Dieu au plus haut des cieux...), le
Trisagion biblique (Saint, Saint, Saint), et liturgique (Dieu Saint, Saint Fort, Saint
Immortel, aie pitié de nous), très répandu en Orient et dans certains pays, ordres et
congrégations de l’Occident.
160. Le jeudi qui suit la solennité de la Très Sainte Trinité, l’Église célèbre la solennité du
Très Saint Corps et Sang du Seigneur. La Fête-Dieu, étendue à toute l’Église par le pape
Urbain IV, en 1264, constitua, d’une part, une réponse de la foi et du culte aux doctrines
hérétiques concernant le mystère de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, et,
d’autre part, elle représenta le couronnement d’un mouvement de dévotion ardente
envers l’incomparable Sacrement de l’autel.
161. La dévotion eucharistique, qui est tellement enracinée dans le peuple de Dieu, doit
toutefois être éduquée, afin de mettre en évidence ces deux réalités fondamentales:
Le Rituel Romain déclare à ce propos: "Lorsque les fidèles adorent le Christ présent dans
le Sacrement, ils doivent se rappeler que cette présence dérive du sacrifice et tend à la
communion sacramentelle en même temps que spirituelle".
162. La procession de la solennité du Corps et du Sang du Christ est en quelque sorte la
"forme typique" des processions eucharistiques. Elle constitue, en effet, un prolongement
de la célébration de l’Eucharistie: aussitôt après la Messe, l’Hostie, qui a été consacrée
pendant la célébration, est portée en procession en dehors de l’église afin que le peuple
chrétien "rende un témoignage public de foi et de piété envers le Saint-Sacrement".
Les fidèles comprennent et manifestent une grande estime pour les valeurs exprimées
dans la procession du Corpus Domini: ils prennent conscience qu’ils font partie de ce
"peuple de Dieu", qui chemine avec son Seigneur, et qui proclame sa foi en celui qui est
vraiment le "Dieu-avec-nous".
Toutefois, il est nécessaire que les normes qui régissent le déroulement des processions
eucharistiques soient observées, en particulier celles qui garantissent la dignité et le
respect dû au Saint-Sacrement; de même, il est tout aussi nécessaire que les éléments
typiques de la piété populaire, comme l’ornementation des rues et des fenêtres,
l’hommage floral, les autels où sera déposé le Saint-Sacrement durant les haltes de la
procession, les chants et les prières, "visent à ce que tous manifestent leur foi au Christ et
ne s’occupent que du Seigneur", en écartant toutes formes de compétition.
Il est important que les fidèles comprennent que la bénédiction du Saint-Sacrement n’est
pas une forme de piété eucharistique qui se suffirait à elle-même, mais qu’elle constitue
la conclusion d’une célébration cultuelle suffisamment prolongée. La norme liturgique
interdit donc "l’exposition faite uniquement pour donner la bénédiction".
L’adoration du Saint-Sacrement
Sa forme primitive peut être reliée à l’adoration qui suit la célébration de la Messe in
Cena Domini du Jeudi Saint, devant les saintes Espèces déposées au reposoir. Cette
adoration constitue une expression très élevée de la relation qui existe entre la
célébration du mémorial du sacrifice du Seigneur et sa présence permanente dans les
Espèces consacrées. La conservation des saintes Espèces, qui est motivée avant tout par
la nécessité de pouvoir en disposer dans le but d’administrer le Viatique aux malades, a
fait naître chez les fidèles l’habitude tout à fait louable de se recueillir devant le
tabernacle pour adorer le Christ présent dans le Saint-Sacrement.
- l’adoration désignée sous le nom d’Adoration perpétuelle, ainsi que celle dite des
Quarante Heures, qui mobilisent une communauté religieuse tout entière, ou une
association eucharistique, ou encore une communauté paroissiale, et qui sont des
occasions de mettre en valeur de nombreuses expressions de la piété eucharistique.
Pendant ces moments d’adoration, il conviendra d’aider les fidèles à recourir à la Sainte
Écriture, qui est un livre de prières incomparable, à employer des chants et des prières
adaptés, à se familiariser avec quelques éléments simples de la Liturgie des Heures, à
suivre le rythme de l’Année liturgique, et à demeurer dans la prière silencieuse. Ils
comprendront ainsi progressivement qu’ils ne doivent pas insérer des pratiques de
dévotion en l’honneur de la Vierge Marie et des Saints durant l’adoration du Saint-
Sacrement. Toutefois, à cause du lien étroit qui unit Marie au Christ, la méditation des
mystères de l’Incarnation et de la Rédemption du Rosaire peut contribuer à donner à la
prière une orientation profondément christologique.
Le Sacré-Cœur de Jésus-Christ
166. Le vendredi qui suit le deuxième dimanche après la Pentecôte, l’Église célèbre la
solennité du Sacré-Cœur de Jésus. De nombreuses expressions de piété, qui s’ajoutent à
la célébration liturgique, s’adressent au Cœur du Christ. Il ne fait aucun doute, en effet,
que, parmi les expressions de la piété ecclésiale, la dévotion au Cœur du Sauveur a été et
demeure l’une des plus répandues et des plus estimées.
L’expression "Cœur de Jésus", entendue dans le sens contenu dans la divine Écriture,
désigne le mystère même du Christ, c’est-à-dire la totalité de son être, ou le centre intime
et essentiel de sa personne: Fils de Dieu, sagesse incréée; Amour infini, principe du salut
et de sanctification pour toute l’humanité. Le "Cœur du Christ" s’identifie au Christ lui-
même, Verbe incarné et rédempteur; dans l’Esprit Saint, le Cœur de Jésus est orienté, par
nature, avec un amour infini à la fois divin et humain, vers le Père et vers les hommes,
ses frères.
167. La dévotion au Cœur du Christ a des fondements solides dans la Sainte Écriture,
ainsi que les Pontifes Romains l’ont souvent rappelé.
Jésus, qui ne fait qu’un avec le Père (cf. Jn 10, 30), invite ses disciples à vivre en
communion intime avec lui, à accueillir sa personne et ses paroles comme des
références normatives qui doivent inspirer leurs propres comportements, et il se révèle
comme un maître "doux et humble de cœur" (Mt 11, 29). Il est possible d’affirmer que, en
un certain sens, la dévotion au Cœur du Christ est l’expression cultuelle de ce regard
que, selon la parole prophétique et évangélique, toutes les générations chrétiennes
portent vers Celui qui a été transpercé (cf. Jn 19, 37; Za 12, 10), c’est-à-dire vers le Cœur
du Christ, transpercé par la lance, d’où jaillirent le sang et l’eau (cf. Jn 19, 34), qui sont les
signes de "l’admirable Sacrement de toute l’Église".
De même, le texte johannique, qui narre la scène où le Christ montre ses mains et son
côté à ses disciples (cf. Jn 20, 20), et celle qui présente la demande, que Thomas adresse
au Christ, de pouvoir étendre sa main pour la placer dans son côté (cf. Jn 20, 27), a exercé
une influence importante sur l’origine et le développement de la piété envers le Sacré-
Cœur de la pert des fidèles de l’Église.
168. Ces textes et d’autres encore, qui présentent le Christ comme l’Agneau pascal, certes
immolé, mais aussi victorieux (cf. Ap 5, 6), ont fait l’objet d’une méditation assidue de la
part des Saints Pères, qui en dévoilèrent les richesses doctrinales, et qui, dès lors,
invitèrent les fidèles à approfondir le mystère du Christ en entrant par la porte ouverte
de son Cœur. Ainsi, saint Augustin déclare: "l’entrée est accessible grâce au Christ qui en
est la porte. Celle-ci s’est ouverte pour toi aussi, quand son Cœur fut ouvert par la lance.
Souviens-toi de ce qui en jaillit, et choisis donc par où tu peux entrer. Du côté du
Seigneur qui mourait sur la croix, le sang et l’eau jaillirent, au moment où son Cœur fut
ouvert par la lance. L’eau te procure la purification et le sang la rédemption".
169. Le Moyen Âge a été une époque particulièrement féconde pour le développement de
la dévotion envers le Sacré-Cœur du Sauveur. Des hommes célèbres pour leur sainteté et
leur doctrine, comme saint Bernard († 1153) et saint Bonaventure († 1274), et des
mystiques comme sainte Lutgarde († 1246), sainte Mathilde de Magdebourg († 1282), les
saintes religieuses Mathilde († 1299) et Gertrude († 1302) du monastère de Helfte,
Ludolphe de Saxe († 1378), sainte Catherine de Sienne († 1380) approfondirent le mystère
du Cœur du Christ, en qui ils virent un "refuge", auprès duquel il est possible de refaire
ses forces, le foyer de la miséricorde, le lieu de la rencontre avec Jésus, le Sauveur, la
source de l’amour infini du Seigneur, la fontaine d’où surgit l’eau vive du Saint-Esprit, la
vraie terre promise et le véritable paradis.
171. Les formes de dévotions au Cœur du Sauveur sont très nombreuses; certaines ont
été explicitement approuvées et fréquemment recommandées par le Siège Apostolique.
Parmi ces dernières, on peut citer:
- la consécration personnelle, qui, selon Pie XI, "parmi toutes les pratiques se référant au
culte du Sacré-Cœur, est sans conteste la principale d’entre elles";
- la consécration de la famille, qui permet au foyer familial, tout en étant déjà associé au
mystère d’unité et d’amour entre le Christ et l’Église en vertu du sacrement de mariage,
de s’offrir sans partage au Seigneur afin qu’il puisse régner dans le cœur de chacun de
ses membres;
- les Litanies du Cœur de Jésus, approuvées en 1891 pour toute l’Église, dont l’inspiration
est éminemment biblique, et qui ont été enrichies par l’octroi d’indulgences.
- l’acte de réparation est une prière formulée par le fidèle, qui, en se souvenant de la
bonté infinie du Christ, désire implorer sa miséricorde et réparer les nombreuses et
diverses offenses qui blessent son Cœur rempli de douceur.
- La pratique des neuf premiers vendredis du mois, qui a pour origine la "grande
promesse" faite par Jésus à sainte Marguerite-Marie Alacoque. À une époque où la
communion sacramentelle des fidèles était très rare, la pratique des neuf premiers
vendredis du mois contribua d’une manière significative à la reprise de la pratique plus
fréquente des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. À notre époque, la dévotion
des neuf premiers vendredis du mois, si elle est pratiquée d’une manière adéquate sur le
plan pastoral, peut encore apporter des fruits spirituels indéniables. Il reste qu’il est
nécessaire que les fidèles soient convenablement instruits sur les points suivants: tout
d’abord, il convient de ne pas pratiquer cette dévotion avec une confiance qui
ressemblerait plutôt à de la vaine crédulité, car, dans l’ordre du salut, une telle attitude a
pour effet de supprimer les exigences incontournables, qui dérivent d’une foi vivante, et
de détourner l’attention du fidèle de l’obligation de mener une vie conforme à l’Évangile;
ensuite, il faut réaffirmer la place absolument prédominante du dimanche, le "jour de
fête primordial", qui doit être marqué par la pleine participation des fidèles à la
célébration eucharistique.
Les expressions de la piété populaire envers le Cœur Immaculé de Marie se calquent sur
celles qui s’adressent au Sacré-Cœur du Christ, tout en maintenant la distance
infranchissable entre le Fils, vrai Dieu, et la Mère, dans sa condition de créature: il
convient de citer, en particulier, la consécration personnelle des fidèles, de même que
celle des familles, des communautés religieuses et des nations; la réparation, accomplie
au moyen de la prière, la mortification et les œuvres de miséricorde; la pratique des Cinq
premiers samedis du mois.
Il faut noter que les observations faites à propos des Neuf premiers vendredis
s’appliquent à la communion sacramentelle des Cinq premiers samedis consécutifs: il
s’agit, en particulier, de la nécessité d’évaluer à sa juste mesure le signe de ces cinq
premiers samedis, et de la manière adéquate de s’approcher de la communion dans le
contexte de la célébration de l’Eucharistie; ainsi, cette dévotion doit être considérée
comme une occasion propice pour vivre intensément, avec une attitude inspirée de celle
de la Vierge Marie, le Mystère pascal qui se célèbre dans l’Eucharistie.
175. Dans le contexte de la révélation biblique, c’est-à-dire aussi bien dans les figures de
l’Ancien Testament que dans la phase d’accomplissement et de perfectionnement
apportés par le Nouveau Testament, le sang est intimement lié à la vie et donc, par
antithèse, à la mort, avec les thèmes de l’exode et de la Pâque, du sacerdoce et des
sacrifices cultuels, de la rédemption et de l’alliance.
Les principaux passages de la Bible, qui illustrent le mystère du salut exprimé par le
sang, sont les suivants:
- l’événement de la mort du Christ, car par son sang versé sur la croix, Jésus donne la
paix au ciel et sur la terre (cf. 1 Col 1, 20);
- le coup de lance qui transperce l’Agneau immolé, dont le côté ouvert laisse jaillir le
sang et l’eau (cf. Jn 19, 34), signe tangible de l’accomplissement de la Rédemption, et
expression de la vie sacramentelle de l’Église - l’eau et le sang s’appliquant
respectivement au Baptême et à l’Eucharistie -, symbole aussi de l’Église, née du Cœur
transpercé du Christ endormi sur la croix.
176. Le mystère du sang versé par Jésus se relie aux titres christologiques suivants: tout
d’abord celui de Rédempteur: le Christ, en effet, nous a rachetés de l’esclavage antique
avec son sang innocent et précieux (cf. 1 P 1, 19) et "nous purifie de tout péché" (1 Jn 1,
7); puis celui de souverain Prêtre "des biens à venir", parce que le Christ "entra une fois
pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux,
mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle" (He 9, 11-12);
celui de Témoin fidèle (cf. Ap. 1, 5), vengeur du sang des martyrs (cf, Ap 6, 10) qui "furent
immolés pour la Parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu" (Ap 6, 9); celui de
Roi, qui, étant Dieu, "règne par le bois de la croix", orné de la pourpre de son propre
sang; enfin, celui d’Époux et d’Agneau de Dieu, dans le sang duquel les membres de la
communauté ecclésiale - c’est-à-dire son Épouse - ont lavé leurs vêtements (cf. Ap 7, 14;
Ep 5, 25-27).
177. Du fait de l’importance particulière du sang rédempteur, son évocation occupe une
place centrale et essentielle dans la célébration du culte: avant tout, au cœur même de
l’assemblée eucharistique, où l’Église adresse à Dieu le Père, en action de grâces, le
"calice de bénédiction" (1 Co 10, 16; cf. 115-116, 13) et le présente aux fidèles comme le
sacrement de la vraie "communion au sang du Christ" (cf. 1 Co 10, 16), puis,tout au long
de l’Année liturgique. En effet, l’Église évoque le mystère du Sang du Christ, non
seulement au cours de la solennité du Corps et du Sang du Seigneur (le Jeudi qui suit la
solennité de la Très Sainte Trinité), mais aussi à l’occasion de nombreuses autres
célébrations, si bien que la célébration cultuelle du Sang versé pour notre rachat (cf. 1 P
1, 18) est présente durant toute l’Année liturgique. Ainsi, par exemple, durant le temps
de Noël, durant l’office des Vêpres, l’Église, en se tournant vers le Christ, chante: "Nos
quoque, qui sancto tuo / redempti sumus sanguine, / ob diem natalis tui/ hymnum novum
concinimus". Toutefois, surtout durant le Triduum pascal, la valeur et l’efficacité
rédemptrices du Sang du Christ sont des motifs de célébration et d’adoration constantes
de la part des fidèles. Le Vendredi Saint, durant l’adoration de la Croix, l’Église chante:
"Mite corpus perforatur, sanguis unde profluit; / terra, pontus, astra, mundus quo
lavantur flumine !"; et elle chante le jour même de Pâques: "Cuius corpus sanctissimum/
in ara crucis torridum,/ sed et cruorem roseum/ gustando, deo vivimus".
Dans certains lieux et Calendriers particuliers, la fête du Très Précieux Sang du Christ est
encore célébrée le 1 juillet: elle évoque les différents titres du Rédempteur.
178. La dévotion à l’égard du Sang du Christ, présente dans le culte liturgique, est passée
dans la piété populaire, où elle a trouvé un large espace et de nombreuses expressions.
Parmi ces dernières, on peut citer:
- les Litanies du Sang du Christ: le formulaire actuel a été approuvé par le pape Jean XXIII
le 24 février 1960; il contient des éléments historiques se rapportant au mystère du salut,
et il est émaillé de nombreuses références bibliques;
- l’Heure d’adoration du précieux Sang du Christ, qui revêt des formes très variées, tout en
poursuivant un but unique: la louange et l’adoration du Sang du Christ présent dans
l’Eucharistie, l’action de grâces pour les bienfaits de la Rédemption, la prière
d’intercession pour obtenir la miséricorde et le pardon, et l’offrande du précieux Sang
pour le bien de l’Église;
- La Via Sanguinis: ce pieux exercice, institué récemment, a pour lieu d’origine, pour des
raisons d’ordre anthropologique et culturel, l’Afrique, où il est aujourd’hui très répandu
dans les communautés chrétiennes. Durant la Via Sanguinis, les fidèles, en se rendant
d’un endroit à un autre comme dans la Via Crucis, revivent les différents épisodes de la
vie du Seigneur Jésus, durant lesquels ce dernier versa son Sang pour notre rédemption.
179. La dévotion envers le Sang du Seigneur, versé pour notre salut, et la prise de
conscience de sa valeur immense, ont favorisé la diffusion de représentations
iconographiques, qui ont été bien accueillies par l’Église. Celles-ci sont essentiellement
de deux sortes: d’une part, celles qui se réfèrent à la coupe eucharistique contenant le
sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, et, d’autre part, celles qui montrent le sang
rédempteur jaillissant des mains, des pieds et du côté du Christ crucifié. Parfois, le sang
inonde abondamment la terre, comme un torrent de grâces qui lave les péchés; parfois,
cinq anges, se tenant près de la croix, tendent un calice dans lequel ils recueillent le
sang, qui jaillit de chacune des cinq plaies; il arrive que ce même rôle soit rempli par un
personnage féminin, qui représente alors l’Église, l’Épouse de l’Agneau.
- l’Assomption est pour tous les hommes "la confirmation consolante que se réalisera
l’espérance finale: cette glorification totale est en effet le destin de tous ceux que le Christ
a fait frères, ayant avec eux "en commun le sang et la chair" (He 2, 14; cf. Ga 4, 4)" (aspect
anthropologique);
- la Vierge Marie est l’icône eschatologique de tout ce que l’Église "désire et espère être
tout entière" (aspect ecclésiologique);
- Elle est enfin la preuve vivante de la fidélité du Seigneur à sa promesse: en effet, celui-ci
a préparé à son humble Servante une récompense magnifique en réponse à son
adhésion fidèle au projet divin, c’est-à-dire une destinée de plénitude et de bonheur
éternel, de glorification de son âme immaculée et de son corps virginal, et de parfaite
configuration à son Fils ressuscité (aspect mariologique).
181. La piété populaire est très sensible à la fête mariale du 15 août. De fait, en de
nombreux endroits, elle est considérée comme la fête par antonomase de la Vierge, car
elle est connue sous le nom de "jour de sainte Marie", ou comme l’Immaculée pour
l’Espagne ou pour l’Amérique latine.
Dans les pays de culture germanique, la coutume s’est répandue de bénir des herbes
aromatiques, le 15 août. Cette bénédiction, qui fut accueillie à une certaine époque dans
le Rituale Romanum, constitue un exemple incontestable d’une évangélisation adéquate
des rites et des croyances pré-chrétiennes: pour obtenir ce que les païens désiraient en
recourant aux rites magiques, en particulier atténuer les dommages dus aux plantes
nuisibles et accroître l’efficacité des herbes curatives, il est indispensable de se tourner
vers Dieu, puisque, c’est par sa Parole que "la terre produisit l’herbe, les plantes qui
portent leurs semences [...] et les arbres qui donnent, selon leur espèce, le fruit qui porte
sa semence" (Gn 1, 12).
De même, il est possible de rattacher, pour une part, à cette même démarche
d’inculturation, l’usage antique d’attribuer à la Sainte Vierge, en s’inspirant de la Sainte
Écriture, des symboles et des titres empruntés au monde végétal, comme ceux de la
vigne, de l’épi, du cèdre et du lys, et de voir en elle une fleur odoriférante pour ses vertus
et plus encore le "rameau sorti de la souche de Jessé" (Is 11, 1), qui a généré le fruit béni,
Jésus.
182. En se conformant à la prière suivante de Jésus: "Que tous ils soient un, comme toi,
Père tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous eux aussi, pour que le monde
croie que tu m’as envoyé" (Jn 17, 21), l’Église invoque, à chaque Eucharistie, le don de
l’unité et de la paix. De plus, dans la partie concernant les Messes célébrées à des
intentions et pour des circonstances diverses, le même Missel Romain contient trois
formulaires de Messes "pour l’unité des chrétiens". Cette intention particulière est aussi
présente dans les intercessions de la Liturgie des Heures.
Afin de respecter les diverses sensibilités de "nos frères séparés", les expressions de la
piété populaire doivent elles aussi tenir compte des exigences de l’œcuménisme. En effet,
"la conversion des cœurs et la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées
pour l’unité des chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout l’œcuménisme et
peuvent à bon droit être appelées œcuménisme spirituel". Ainsi, un autre moment
privilégié de rencontre entre les catholiques et les chrétiens appartenant à d’autres
Églises ou Communautés ecclésiales, peut être constitué par la prière commune des
chrétiens, afin d’obtenir la grâce de l’unité, pour présenter à Dieu les nécessités et les
préoccupations communes, ou bien encore pour rendre grâces à Dieu et implorer son
aide. "La prière commune est particulièrement recommandée pendant la "Semaine de
prières pour l’unité des chrétiens", ou pendant la période qui s’écoule entre l’Ascension
et la Pentecôte". La prière pour l’unité des chrétiens est aussi enrichie par des
indulgences.
Chapitre V
LA VÉNÉRATION ENVERS LA SAINTE MÈRE DU SEIGNEUR
Quelques principes
183. La piété populaire, à la fois variée dans ses expressions et profonde dans ses
motivations, qui s’adresse à la Vierge Marie, est un fait ecclésial remarquable et
universel. Elle jaillit de la foi et de l’amour du peuple de Dieu envers le Christ,
Rédempteur du genre humain, et de la compréhension de la mission que, dans l’ordre du
salut, Dieu a confiée à Marie de Nazareth; la Vierge Marie n’est donc pas seulement la
Mère du Seigneur et du Sauveur, mais elle est aussi, sur le plan de la grâce, la Mère de
tous les hommes.
De fait, "les fidèles comprennent facilement le lien vital qui unit le Fils à la Mère. Ils
savent que le Fils est Dieu, et que elle, la Mère, est aussi leur mère. Ils en déduisent la
sainteté immaculée de la Vierge et, tout en la vénérant comme une reine glorieuse dans
le ciel, ils sont certains que Marie, très miséricordieuse, intercède en leur faveur; ils
invoquent donc sa protection avec une grande confiance. Les plus pauvres sentent
particulièrement sa proximité. Ils savent qu’elle connut comme eux la pauvreté, qu’elle
souffrit beaucoup, et qu’elle fit preuve de patience et de douceur. Ils ressentent à son
égard de la compassion pour la douleur qu’elle éprouva au moment de la crucifixion et
de la mort de son Fils, et ils se réjouissent avec elle pour la résurrection de Jésus. Ils
célèbrent avec joie ses fêtes, ils participent volontiers aux processions organisées en son
honneur et ils se rendent en pèlerinage dans les sanctuaires qui lui sont consacrés, ils
aiment chanter ses louanges et ils lui offrent leurs hommages en formulant des vœux.
Enfin, ils ne tolèrent pas qu’on l’offense et ils prennent spontanément sa défense contre
ceux qui refusent de l’honorer".
L’Église elle-même exhorte tous ses fils - les ministres sacrés, les religieux et les fidèles
laïcs - à développer leur piété personnelle et communautaire à l’aide des pieux exercices,
qu’elle approuve et recommande. En effet, le culte liturgique, nonobstant son
importance objective et sa valeur irremplaçable, son efficacité exemplaire et son aspect
normatif, n’épuise pas toutes les possibilités mises en œuvre par le peuple de Dieu pour
exprimer sa vénération envers la sainte Mère du Seigneur.
184. Les relations entre la Liturgie et la piété populaire mariale doivent être établies à la
lumière des principes et des normes, qui ont été énoncés à plusieurs reprises dans le
présent document. Il reste que, par rapport à la piété mariale du peuple de Dieu, la
liturgie doit toujours apparaître comme une "forme exemplaire", une source
d’inspiration, un point de référence constant et un but ultime.
186. La disposition fondamentale du Magistère au sujet de ces pieux exercices est qu’ils
doivent être orientés vers "ce centre du culte unique appelé à bon droit chrétien, car c’est
du Christ qu’il trouve son origine et son efficacité, c’est dans le Christ qu’il trouve sa
pleine expression et c’est par le Christ que, dans l’Esprit, il conduit au Père". Ainsi, les
pieux exercices célébrés en l’honneur de la Vierge Marie doivent comporter les
caractéristiques communes suivantes, même si celles-ci peuvent varier en fonction des
particularités propres de chacun d’entre eux:
- ils expriment la note trinitaire qui distingue et qualifie le culte rendu à Dieu, Père, Fils
et Saint-Esprit, révélé dans le Nouveau Testament, de même que l’élément
christologique, qui est une composante essentielle de ce culte et met en lumière la
médiation unique et nécessaire du Christ, ainsi que sa dimension pneumatologique,
puisque toute forme authentique de piété provient de l’Esprit et qu’elle est accomplie
dans l’Esprit; enfin, ils soulignent le caractère ecclésial du culte chrétien: en effet, les
baptisés, qui forment le peuple de Dieu, prient ensemble au nom du Seigneur (cf. Mt 18,
20) et ils sont unis dans la Communion des Saints;
La célébration de la fête
187. Les pieux exercices célébrés en l’honneur de la Vierge Marie sont presque tous liés à
une fête liturgique inscrite dans le Calendrier général du Rite Romain, ou dans les
Calendriers particuliers des diocèses ou des familles religieuses.
Il arrive que, parfois, le pieux exercice précède l’institution de la fête (c’est le cas du saint
Rosaire), parfois aussi la fête est de loin antérieure au pieux exercice (comme pour
l’Angelus Domini). Une telle constatation permet de mettre en évidence le rapport
existant entre la Liturgie et les pieux exercices, et aussi le fait que ces derniers atteignent
leur point culminant dans la célébration de la fête. La fête, parce qu’elle fait partie de la
Liturgie, se rapporte à l’histoire du salut, et elle célèbre un aspect de l’association de la
Vierge Marie au mystère du Christ. Elle doit donc être célébrée en observant les normes
liturgiques, et en respectant la hiérarchie existant entre les "actes liturgiques" et les
"pieux exercices", qui leur sont associés.
Le samedi
188. Parmi les jours plus particulièrement dédiés à la Vierge Marie, le samedi occupe
une place particulière, puisqu’il a été élevé au rang de mémoire de sainte Marie. Cette
mémoire remonte certainement à l’époque carolingienne (IX siècle), mais on ignore les
motifs pour lesquels le samedi fut choisi, à cette époque, comme un jour dédié à la
Vierge Marie. Il est vrai que de nombreuses explications furent données par la suite,
même si ces dernières ne satisfont pas entièrement les spécialistes de l’histoire de la
piété populaire.
De nos jours, tout en faisant abstraction de ses origines historiques incertaines, certaines
valeurs propres à cette mémoire sont fréquemment mises en évidence avec juste raison:
"la spiritualité contemporaine est plus sensible aux différents aspects qui appartiennent
à l’être même de cette célébration: la mémoire de la fidélité inébranlable de la
"bienheureuse Vierge Marie qui, en tant que mère et disciple, durant le "grand samedi",
au moment où le Christ gisait dans le tombeau, demeurait forte uniquement grâce à sa
foi et son espérance, seule au milieu des disciples, dans l’attente confiante de la
Résurrection du Seigneur"; le prélude et l’introduction à la célébration du dimanche, en
tant que fête primordiale et mémoire hebdomadaire de la Résurrection du Christ; le
signe, avec son rythme hebdomadaire, que la "Vierge Marie est constamment présente et
active dans la vie de l’Église".
189. Il est fréquent de préparer et de faire précéder une fête, dont la célébration est un
moment culminant, par un triduum, un septénaire ou une neuvaine. Ces "temps et ces
modes d’expression propres à la piété populaire" doivent être accomplis en harmonie
avec les "temps et les modes d’expression propres à la Liturgie".
Les triduums, les septénaires et les neuvaines peuvent non seulement favoriser
l’élaboration de nouveaux pieux exercices en l’honneur de la bienheureuse Vierge
Marie, mais ils peuvent aussi aider les fidèles à mieux comprendre la place et le rôle que
celle-ci occupe dans le mystère du Christ et de l’Église.
En effet, les pieux exercices, loin de demeurer étrangers aux acquis progressifs, qui
proviennent de la recherche biblique et théologique au sujet de la Mère du Sauveur,
doivent devenir, sans modifier leur nature propre, des moyens catéchétiques en vue de
la présentation et de la diffusion de ces divers éléments doctrinaux.
Les triduums, les septénaires et les neuvaines peuvent être considérés comme une vraie
préparation à la fête mariale, s’ils contribuent à stimuler les fidèles dans leur résolution
de s’approcher des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, et d’approfondir leur
vie chrétienne, en suivant l’exemple de la Vierge Marie, qui fut le premier et le plus
parfait disciple du Christ.
Dans certaines régions, les apparitions de La Vierge Marie à Fatima inspirent aux fidèles
des rencontres de prières mariales, qui ont lieu le 13 de chaque mois.
190. Au sujet de la pratique du mois particulièrement dédié à la Vierge Marie, qui est
répandue dans de nombreuses Églises, tant de l’Orient que de l’Occident, il est opportun
de rappeler des orientations essentielles.
En Occident, les mois dédiés à la Vierge Marie, surgis à une époque, où les références à la
Liturgie en tant que forme normative du culte chrétien étaient peu abondantes, se sont
développés parallélement au culte liturgique. Cette situation a engendré des problèmes
de caractère liturgico-pastoral, qui demeurent encore et qui, du fait de leur importance,
méritent d’être évalués très soigneusement.
191. En se limitant à l’évocation de la coutume occidentale de célébrer un "mois marial"
en mai (en novembre, dans certains pays de l’hémisphère sud), il est opportun de tenir
compte à la fois des exigences de la Liturgie, des diverses attentes des fidèles, et de leur
maturation dans la foi, et il convient aussi d’étudier l’ensemble des problèmes, que pose
cette pratique des "mois de Marie", dans le cadre de la "pastorale d’ensemble" de l’Église
locale; ainsi, il est nécessaire de remédier aux situations, qui sont marquées par des
orientations contradictoires au niveau pastoral, et qui ont pour effet de désorienter les
fidèles, comme cela pourrait advenir, par exemple, en présence d’initiatives visant à la
suppression du "mois de Marie".
Dans la plupart des cas, la solution la plus opportune vise à harmoniser les éléments du
"mois marial" avec le temps de l’Année liturgique, dans lequel il se situe. Ainsi, par
exemple, durant le mois de mai, qui coïncide en grande partie avec les cinquante jours
du temps liturgique de Pâques, les pieux exercices doivent mettre en évidence la
participation de la Vierge Marie au mystère pascal (cf. Jn, 19, 25-27) et à l’événement de
la Pentecôte (cf. Ac 1, 14), qui inaugure le chemin de l’Église, c’est-à-dire un itinéraire
qu’elle-même, en participant à la nouveauté inaugurée par le Ressuscité, parcourt sous
la conduite de l’Esprit Saint. Et puisque cette période des "cinquante jours" est le temps
liturgique particulièrement consacré à la célébration et à la mystagogie des sacrements
de l’initiation chrétienne, les pieux exercices du mois de mai peuvent utilement mettre
en évidence la place éminente que la Vierge Marie, glorifiée dans le ciel, occupe sur la
terre, "ici et maintenant", dans la célébration des sacrements du Baptême, de la
Confirmation et de l’Eucharistie.
Il est nécessaire, dans tous les cas, de se conformer très soigneusement à la directive de
la Constitution Sacrosanctum Concilium, selon laquelle "on orientera les esprits des
fidèles avant tout vers les fêtes du Seigneur, par lesquelles se célèbrent pendant l’année
les mystères du salut", auxquels il est certain que la bienheureuse Vierge Marie a été
associée.
Il est sans doute opportun de dispenser un enseignement catéchétique aux fidèles, dans
le but de les convaincre que le dimanche, mémoire hebdomadaire de la Pâque, est
vraiment "le jour de fête primordial". Enfin, en tenant compte du fait que, dans la
Liturgie Romaine, les quatre semaines de l’Avent constituent un temps marial, qui est
inséré d’une manière harmonieuse dans l’Année liturgique, il faut aider les fidèles à
découvrir et à mettre en évidence, d’une manière convenable, les nombreuses
références à la Mère du Seigneur, qui sont proposées durant toute cette période.
192. Le présent document n’a pas pour objet d’énoncer la liste exhaustive des pieux
exercices recommandés par le Magistère. Il convient néanmoins de mentionner ceux qui
méritent une attention particulière, afin de proposer quelques indications relatives à
leur déroulement, et suggérer éventuellement quelques améliorations.
194. "Les célébrations de la Parole, à cause des nombreuses possibilités qui sont offertes
sur les plans thématique et structurel, contiennent des éléments multiples qui favorisent
l’organisation de ce genre de rencontres; celles-ci constituent à la fois une illustration de
la piété authentique des fidèles et un moment approprié en vue de développer une
catéchèse systématique sur la Vierge Marie. Toutefois, l’expérience déjà acquise dans ce
domaine permet de constater qu’il faut veiller à ne pas considérer les célébrations de la
Parole, sous un aspect principalement intellectuel ou exclusivement didactique; elles
doivent, en revanche, - par les cantiques, les prières et les autres modes de participation
des fidèles - réserver une juste place aux moyens d’expressions, simples et familiers, de
la piété populaire, qui s’adressent immédiatement au cœur de l’homme".
L’Angelus
195. En méditant la traditionnelle prière de l’Angelus Domini trois fois par jour, à l’aube,
le midi et au crépuscule, les fidèles font mémoire du message de Dieu, transmis à la
Vierge Marie par l’archange saint Gabriel. L’Angelus se réfère donc à l’événement central
du salut: selon le dessein du Père, le Verbe de Dieu, par l’action de l’Esprit Saint, s’est fait
homme dans le sein de la Vierge Marie.
"Il est donc souhaitable que, en quelques occasions, surtout dans les communautés
religieuses, dans les sanctuaires dédiés à la bienheureuse Vierge Marie, au cours de
certaines rencontres, l’Angelus Domini [...] soit solennisé, par exemple, par le chant des
Ave Maria, et par la proclamation de l’évangile de l’Annonciation", ainsi que la sonnerie
des cloches.
Le "Regina cæli"
196. Durant le temps pascal, en se conformant à la disposition du pape Benoît XIV (20
avril 1742), la célèbre antienne du Regina cæli remplace la prière de l’Angelus Domini. Le
Regina cæli, dont l’origine date probablement des X-XI siècles, réussit à unir le mystère
de l’incarnation du Verbe (le Christ, que tu as porté dans ton sein) et l’événement pascal
(il est ressuscité, comme il l’avait promis), tandis que "l’invitation à la joie" (Réjouissez-
vous), que la communauté ecclésiale adresse à la Mère de Jésus pour la Résurrection de
son Fils, se rattache à "l’invitation à la joie" ("Réjouis-toi, comblée de grâce", Lc 1, 28), que
Gabriel adresse à l’humble Servante du Seigneur, appelée à devenir la mère du Messie
sauveur.
Le Rosaire
197. Le Rosaire ou Psautier de la Vierge est l’une des plus belles prières qui s’adressent à
la Mère du Seigneur. Ainsi, "les Souverains Pontifes ont à maintes reprises exhorté les
fidèles à la prière fréquente du Rosaire, qui s’inspire de l’Écriture Sainte et qui est
centrée sur la contemplation des événements du salut manifestés dans la vie du Christ,
auxquels la Vierge Marie fut étroitement associée. De plus, la valeur et l’efficacité de
cette prière sont attestées par les témoignages de nombreux Pasteurs et d’hommes
réputés pour la sainteté de leur vie".
Le Rosaire est une prière essentiellement contemplative, car sa méditation "exige que le
rythme soit calme et que l’on prenne son temps, afin que la personne qui s’y livre puisse
mieux méditer les mystères de la vie du Seigneur". Le Rosaire est expressément
recommandé dans la formation et dans la vie spirituelle des clercs et des religieux.
198. L’Église manifeste son estime à l’égard de la prière du saint Rosaire en proposant un
rite de la Bénédiction des chapelets. Ce rite met en relief le caractère communautaire de
la prière du Rosaire; de fait, à la bénédiction des chapelets est jointe celle des personnes
qui méditent les mystères de la vie, de la mort et de la résurrection du Seigneur, afin
qu’elles "réussissent à établir une harmonie parfaite entre la prière et leur vie".
De plus, comme le suggère le Livre des Bénédictions, la bénédiction des chapelets peut
être accomplie d’une manière avantageuse "en présence du peuple", spécialement à
l’occasion des pélerinages dans les sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, ou au cours des
célébrations des fêtes de la bienheureuse Vierge Marie, en particulier de celle du
Rosaire, et au moment de la clôture du mois du Rosaire, à la fin du mois d’octobre.
199. Les suggestions qui sont présentées dans le présent document visent à rendre la
prière du Rosaire plus profitable pour les fidèles, tout en respectant ses caractéristiques
particulières.
Dans certaines occasions, la prière du Rosaire peut prendre la forme d’une célébration
composée de divers éléments: "la proclamation des passages de la Bible relatifs à chacun
des mystères, le chant de certaines parties de la prière, une sage répartition des rôles
entre les différents participants, la solennisation de l’introduction et de la conclusion de
la prière".
200. La méditation du Rosaire peut consister en la récitation d’un chapelet quotidien, qui
correspond à l’une des trois séries de mystères. Dans ce cas, et selon une coutume bien
établie, des jours de la semaine déterminés sont assignés aux différents mystères: ainsi,
les mystères joyeux sont médités le lundi et le jeudi, les mystères douloureux le mardi et
le vendredi, et les mystères glorieux le mercredi, le samedi et le dimanche.
Si cette distribution des mystères est observée d’une manière trop rigide, elle peut
parfois créer un contraste regrettable entre le contenu des mystères, qui sont médités, et
ce que propose la liturgie du jour: c’est le cas, par exemple, lorsque la méditation des
mystères douloureux a lieu un vendredi, qui est en même temps le jour de Noël. En
présence de tels cas, il semble opportun de rappeler que "la caractérisation liturgique
d’un jour déterminé prévaut sur son rang dans la semaine; de même, à certains jours de
l’Année liturgique, il est possible de prier le Rosaire en substituant certains mystères par
d’autres qui s’harmonisent mieux avec le temps liturgique du moment". Par exemple, le
6 janvier, solennité de l’Épiphanie, les fidèles prennent une bonne initiative en décidant
de méditer les mystères joyeux, et de consacrer ainsi le cinquième mystère à l’adoration
des Mages plutôt qu’au recouvrement de Jésus, âgé de 12 ans, dans le Temple de
Jérusalem. Il reste que de telles substitutions doivent être effectuées avec pondération, et
dans un esprit de fidélité à la Sainte Écriture et à la Liturgie.
201. Dans le but de favoriser la contemplation, et afin d’harmoniser l’âme avec la voix de
celui qui médite le saint Rosaire, un certain nombre de Pasteurs et d’experts ont maintes
fois suggéré de reprendre l’usage de la "clausule", cet élément ancien qui n’a jamais
complétement disparu.
La clausule, qui s’harmonise bien avec le caractère répétitif et méditatif du Rosaire, est
constituée de quelques mots qui suivent le nom de Jésus, et ont un rapport avec le
mystère énoncé. Une clausule appropriée, permanente pour chaque dizaine, brève dans
son énoncé et fidèle à la Sainte Écriture et à la Liturgie, peut constituer une aide de
qualité en vue de la prière méditée du saint Rosaire.
202. "En présentant aux fidèles la valeur et la beauté de la prière du chapelet, il convient
d’éviter d’employer des expressions qui, d’une part, rejetteraient dans l’ombre d’autres
formes excellentes de prières et qui, d’autre part, ne tiendraient pas suffisamment
compte de l’existence d’autres formes de prières mariales de ce genre, pourtant
approuvées elles aussi par l’Église"., ou qui pourraient provoquer un sentiment de
culpabilité chez celui qui ne le médite pas habituellement: "Le Rosaire est une prière
excellente, au regard de laquelle le fidèle doit pourtant se sentir sereinement libre, invité
à le réciter, en toute quiétude, par sa beauté intrinsèque".
203. Les Litanies constituent l’une des formes de prières adressées à la Vierge Marie
recommandées par le Magistère. Elles sont essentiellement composées d’une série
d’invocations adressées à la Vierge Marie, qui se succèdent selon un rythme uniforme,
créant ainsi un climat de prière caractérisé par une louange constante et une
supplication insistante. De fait, les invocations, qui sont généralement très brèves,
comprennent deux parties: la première est une louange ("Virgo clemens"), la seconde est
une supplication ("ora pro nobis").
Deux formulaires de litanies sont insérés dans les livres liturgiques du Rite Romain: les
litanies de Lorette, à l’égard desquelles les Pontifes Romains ont constamment exprimé
leur attachement; les litanies pour le rite du couronnement d’une image de la bienheureuse
Vierge Marie, qui, dans certaines occasions, peuvent constituer une alternative
appropriée au formulaire des Litanies de Lorette.
Il s’avère qu’une prolifération de formulaires de litanies n’est pas utile du point de vue
pastoral; toutefois, dans le même temps, il faut prendre en considération le fait qu’une
limitation imposée trop rigoureusement aurait pour effet de ne pas tenir suffisamment
compte de la richesse de certaines Églises locales ou familles religieuses. La
Congrégation pour le Culte Divin a donc demandé instamment de "retenir certains
formulaires anciens ou nouveaux, réputés pour leur rigueur doctrinale et la beauté de
leurs invocations, qui sont en usage dans des Églises locales ou des Instituts religieux". Il
est évident que cette exhortation concerne surtout des lieux déterminés ou des
communautés bien précises.
À la suite de la prescription du pape Léon XIII, demandant que, durant le mois d’octobre,
la méditation du Rosaire s’achève avec le chant des Litanies, beaucoup de fidèles ont
commis l’erreur de penser que les Litanies constituaient une sorte d’appendice du
Rosaire. En réalité, les Litanies sont avant tout un acte cultuel qui se suffit à lui-même: de
fait, elles peuvent être employées en guise d’hommage adressé à la Vierge Marie, ou
comme chant de procession, ou encore être intégrées dans une célébration de la Parole
de Dieu ou bien dans d’autres célébrations.
La consécration à la Vierge Marie
Les Pontifes Romains ont exprimé à maintes reprises leur attachement à l’égard de cette
pieuse pratique de la "consécration à Marie", spécialement en prononçant publiquement
eux-mêmes des formules qui sont demeurées célèbres.
À la lumière de la dernière volonté exprimée par le Christ sur la croix (cf. Jn 19, 25-27),
l’acte de "consécration" est une reconnaissance de la place unique occupée par Marie de
Nazareth dans le mystère du Christ et de l’Église, en particulier de la valeur exemplaire
et universelle de son témoignage évangélique, de la confiance en son intercession et
dans l’efficacité de sa protection, et il permet de mieux prendre conscience des multiples
aspects du rôle unique exercé par la Vierge Marie, en tant que vraie Mère dans l’ordre de
la grâce, à l’égard de tous et de chacun de ses fils.
Il convient de noter, toutefois, que le mot "consécration" est employé dans un sens large
et impropre: "on dit, par exemple, "consacrer les enfants à la Vierge Marie", alors qu’en
réalité on entend plutôt les placer sous la protection de la Vierge et solliciter sa
protection maternelle". On peut donc mieux comprendre pourquoi un certain nombre
de personnes suggèrent d’employer le terme d’ "acte de confiance" plutôt que celui de
"consécration". De fait, à notre époque, à la lumière des progrès accomplis par la
théologie liturgique, qui requiert l’emploi rigoureux des mots, on aurait tendance à
réserver le mot consécration à l’offrande totale et perpétuelle d’une personne à Dieu,
elle-même fondée sur les sacrements du Baptême et de la Confirmation, et dont l’Église,
par une intervention spécifique, se porte garante.
Il est donc nécessaire d’instruire les fidèles sur la nature d’une telle pratique. Si cette
dernière comporte, il est vrai, les caractères d’un don total et perpétuel, il s’agit
néanmoins d’une analogie par rapport à la "consécration à Dieu"; de même, elle ne doit
pas être le fruit d’une émotion passagère, mais être le résultat d’une décision
personnelle, libre et mûrie dans le contexte d’une conception authentique du
dynamisme de la grâce; la consécration doit être réalisée d’une manière appropriée, en
s’inspirant des formes liturgiques: il s’agira donc d’un acte de consécration au Père par le
Christ dans l’Esprit Saint, en implorant l’intercession glorieuse de la Vierge Marie, à
laquelle la personne s’offre totalement, afin de demeurer fidèle aux promesses de son
Baptême, et en adoptant à son égard une attitude filiale; enfin, la consécration doit être
accomplie en dehors de la célébration du Sacrifice eucharistique, car il s’agit d’un geste
de dévotion qui ne peut être assimilé à la Liturgie: la consécration à Marie, en effet, se
distingue substantiellement des autres formes de consécration liturgique.
205. L’histoire de la piété mariale comporte la "dévotion" envers divers scapulaires, dont
le plus célèbre est celui de la bienheureuse Vierge du Mont Carmel. La diffusion de cette
pratique est vraiment universelle, et il n’y a donc aucun doute que les directives
conciliaires concernant les pratiques et les pieux exercices "recommandés tout au long
des siècles par le Magistère", s’appliquent aussi à elle.
Le scapulaire du Carmel est une forme réduite de l’habit religieux des frères de la
Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel: bien que cette dévotion se soit répandue
au-delà du cercle des fidèles, qui sont en relation avec la vie et la spiritualité de la famille
carmélitaine, le scapulaire conserve néanmoins de nombreux liens avec cette dernière.
Le scapulaire est le signe extérieur d’une relation spéciale, filiale et confiante entre la
Vierge, Mère et Reine du Carmel, et les personnes qui se confient à elle en lui consacrant
tout leur être, et qui recourent avec une entière confiance à son intercession maternelle;
il est aussi un rappel tangible de la primauté de la vie spirituelle et de la nécessité de la
prière d’oraison.
Le scapulaire, qui est imposé au cours de la célébration d’un rite particulier, déterminé
par l’Église, "renouvelle le choix fait au baptême de revêtir le Christ, avec le secours de la
Vierge Marie qui veut avant tout que nous devenions conformes au Christ, à la louange
de la sainte Trinité, jusqu’à ce que nous entrions avec l’habit des noces dans la patrie du
ciel".
L’imposition du scapulaire du Carmel, tout comme la remise des autres scapulaires, "doit
retrouver l’authenticité de ses origines: il ne doit pas se réduire à un geste plus ou moins
improvisé, mais il doit plutôt être le fruit d’une préparation particulièrement soignée, au
cours de laquelle le fidèle apprend à connaître la nature et les buts de l’association, à
laquelle il adhère, ainsi que les obligations auxquelles il s’engage pour toute sa vie".
206. Les fidèles aiment beaucoup porter sur eux, presque toujours attachées au cou, des
médailles portant l’image de la Bienheureuse Vierge Marie. Ce geste de dévotion
constitue de leur part un témoignage de foi, un signe de vénération à l’égard de la sainte
Mère du Seigneur, et l’expression de leur confiance envers la protection maternelle de la
Vierge Marie.
L’Église bénit ces objets de piété, en rappelant qu’ils "ont pour rôle de rappeler aux
fidèles l’amour de notre Seigneur et d’augmenter leur confiance dans l’aide de la Vierge
Marie", mais elle exhorte aussi les fidèles à ne pas oublier que la dévotion envers la Mère
de Jésus exige avant tout "le témoignage d’une vie chrétienne qu’on est en droit
d’attendre de leur part".
Parmi les médailles, la plus répandue est celle qui est connue sous le nom de "médaille
miraculeuse", qui a bénéficié dans le passé, et bénéficie encore de nos jours d’une
diffusion vraiment exceptionnelle. Elle a pour origine les apparitions de la Vierge Marie,
en 1830, à une humble novice des Filles de la Charité, la future sainte Catherine Labouré.
La médaille, qui a été réalisée en suivant les indications fournies par la Vierge à sainte
Catherine, récapitule les mystères de la foi concernant la personne de Marie: en effet,
son symbolisme particulièrement riche évoque à la fois le mystère de la Rédemption,
l’amour du Cœur du Christ et du Cœur douloureux de Marie, la vocation de la Vierge
Marie en tant que médiatrice de toutes grâces, le mystère de l’Église, les relations entre
la terre et le ciel, et entre la vie temporelle et la vie éternelle.
L’hymne "Akathistos"
Dans les années récentes, cette hymne s’est répandue aussi dans les communautés de
fidèles de rite latin. Certaines célébrations solennelles mariales, qui ont eu lieu à Rome
en présence du Saint-Père, ont contribué à la diffusion de l’hymne acathiste, qui a ainsi
bénéficié d’un retentissement très important dans toute l’Église. Cette hymne très
ancienne, qui est considérée comme un exemple magnifique de la tradition mariale la
plus antique de l’Église indivise, est à la fois un appel et une prière d’intercession en
faveur de l’unité des chrétiens, qui est appelée à se réaliser sous la conduite de la Mère
du Seigneur: une telle richesse de louanges, rassemblée dans les différentes formes de la
grande tradition de l’Église, pourrait nous aider à faire en sorte que celle-ci se remette à
respirer pleinement de ses "deux poumons", oriental et occidental".
Chapitre VI
Quelques principes
208. Le culte des saints, et spécialement des martyrs, qui s’enracine dans la Sainte
Écriture (cf. Ac 7, 54-60; Ap 6, 9-11; 7, 9-17) est un fait très ancien, qui est attesté avec
certitude dans l’Église, depuis la première moitié du II siècle. L’Église, tant d’Occident
que d’Orient, a toujours vénéré les Saints, et elle n’a pas hésité à défendre
vigoureusement ce culte, en particulier à l’époque du protestantisme, face aux objections
qui étaient présentées contre certains aspects traditionnels de cette dévotion; elle a aussi
mis en évidence les fondements théologiques de cette vénération, de même que son
étroite connexion avec la doctrine de la foi; enfin, elle a édicté des normes dans le but de
réglementer le culte des saints, autant dans ses expressions liturgiques que populaires, et
elle a souligné la valeur exemplaire du témoignage de ces remarquables disciples du
Seigneur, hommes et femmes, dans le but d’inciter les fidèles à mener comme eux une
vie chrétienne authentique.
- "l’Église est une, sainte, catholique et apostolique". L’Église est "sainte", par la présence
en elle de "Jésus-Christ qui, avec le Père et l’Esprit saint, est célébré comme le "seul
saint"", grâce à l’action de l’Esprit de sainteté, et parce qu’elle est dotée des moyens de
sanctification. Ainsi, l’Église, bien qu’elle soit composée d’hommes pécheurs, est "parée,
déjà sur la terre, d’une sainteté encore imparfaite mais véritable"; elle est "le peuple
saint de Dieu", dont les membres, selon le témoignage des Écritures, sont appelés des
"saints" (cf. Ap 9, 13; 1 Co 6, 1; 16, 1).
- La "communion des saints": l’Église du ciel, l’Église qui vit dans l’état dit du
"Purgatoire", c’est-à-dire dans l’attente de la purification finale, et l’Église qui chemine
sur la terre communient "dans la même charité envers Dieu et envers le prochain"; de
fait, tous ceux qui appartiennent au Christ, et qui ont reçu le même Esprit Saint, forment
une seule Église, et sont tous unis dans le Christ.
- La doctrine de l’unique médiation du Christ (cf. 1 Tm 2, 5): celle-ci n’exclut pas d’autres
médiations subordonnées, mais ces dernières s’exercent toutefois à l’intérieur et en
référence à la médiation du Christ.
211. La doctrine de l’Église et sa Liturgie présentent les Saints et les Bienheureux qui
contemplent déjà "dans la lumière le Dieu Un et Trine". Ils sont donc:
- des disciples exemplaires du Seigneur et donc des modèles de vie évangélique; ainsi,
dans les procès de canonisation, l’Église reconnaît l’héroïcité de leur vertu et elle les
propose donc à l’imitation des fidèles;
- des citoyens de la Jérusalem céleste, qui chantent sans fin la gloire et la miséricorde de
Dieu. En effet, ils sont déjà passés de ce monde au Père, en suivant le Christ dans sa
Pâque;
- des intercesseurs et des amis des fidèles durant leur pélerinage sur la terre: les Saints,
tout en connaissant le bonheur éternel auprès de Dieu, ne sont pas indifférents aux
peines de leurs frères et sœurs, et ils les accompagnent sur leur chemin par leur prière et
leur protection;
- des patrons des Églises locales, dont ils furent souvent les fondateurs (saint Eusèbe de
Verceil) ou les Pasteurs illustres (saint Ambroise de Milan); des patrons des différentes
nations: c’est-à-dire des apôtres de leur conversion à la foi chrétienne (saint Thomas,
saint Barthélemy, pour l’Inde), ou des figures privilégiées de leur identité nationale (saint
Patrick, pour l’Irlande); des patrons des corporations et des professions (saint Omobono,
pour les tailleurs); des patrons et des protecteurs dans des circonstances particulières,
comme au moment de l’enfantement (sainte Anne, saint Raymond Nonat), ou à l’heure
de la mort (saint Joseph), et pour obtenir des grâces particulières (ainsi, sainte Lucie
pour conserver la vue), etc.
Ce que l’Église confesse, elle en rend grâce à Dieu le Père, en proclamant: "dans la vie des
Saints, tu nous procures un modèle, dans leur intercession un appui, et dans la
communion avec eux une famille".
212. Enfin, il convient de rappeler que le but ultime de la vénération des Saints est la
gloire de Dieu et la sanctification de l’homme, grâce au témoignage de ces vies
totalement conformes à la volonté divine, et par l’imitation des vertus de ceux qui furent
d’éminents disciples du Seigneur.
De même, tant dans la catéchèse que dans les différentes rencontres organisées en vue
de la transmission de la foi, il convient de montrer aux fidèles que la relation avec les
Saints, si elle est conçue à la lumière de la foi, bien loin de diminuer "le culte d’adoration
rendu à Dieu le Père par le Christ dans l’Esprit, l’enrichit au contraire plus
glorieusement", et que "le culte authentique des saints ne consiste pas tant à multiplier
les actes extérieurs, mais plutôt à pratiquer un amour fervent et effectif", qui se traduit
dans le témoignage d’une vie chrétienne exemplaire.
213. L’Église, dans son enseignement, présente, dans un langage clair et sobre,
"l’existence des êtres spirituels et incorporels, que la Sainte Écriture appelle les Anges,
comme une vérité de foi. À ce témoignage explicite de l’Écriture correspond l’unanimité
de la Tradition".
Selon l’Écriture Sainte, les Anges sont les messagers de Dieu, "invincibles porteurs de ses
ordres, attentifs au son de sa parole" (Ps 103, 20), placés au service de son dessein de
salut, "envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut" (He 1, 14).
214. Les fidèles n’ignorent pas généralement les nombreux épisodes de l’Ancienne et de
la Nouvelle alliance, dans lesquels les saints Anges manifestent leur présence. Ainsi, ils
savent notamment que les Anges gardent les portes du paradis terrestre (cf Gn 3, 24),
qu’ils sauvent Agar et son enfant Ismaël (cf. Gn 21, 17), qu’ils retiennent la main
d’Abraham qui s’apprête à sacrifier Isaac (cf Gn 22, 11), qu’ils annoncent des naissances
prodigieuses (cf. Jg 13, 3-7), qu’ils gardent les pas du juste (cf. Ps 91, 11), qu’ils louent sans
cesse le Seigneur (cf. Is 6, 1-4), et qu’ils présentent à Dieu les prières des Saints (cf. Ap 8,
3-4). Ils se souviennent aussi de l’Ange qui intervint en faveur du prophète Elie, en fuite
et à bout de forces (cf. 1 R 19, 4-8), d’Azarias et de ses compagnons jetés dans la fournaise
(cf. Dn 3, 49-50), de Daniel enfermé dans la fosse aux lions (cf. Dn 6, 23). Enfin, l’histoire
de Tobie leur est familière: Raphaël "l’un des sept Anges qui se tiennent devant le
Seigneur" (Tb 12, 15), rendit de nombreux services à Tobie, au jeune Tobie, son fils, et à
Sara, la femme de ce dernier.
Les fidèles savent aussi que les anges sont présents dans un certain nombre d’épisodes
de la vie de Jésus, où ils exercent une fonction particulière: ainsi, l’Ange Gabriel annonce
à Marie qu’elle concevra et donnera naissance au Fils du Très-Haut (cf. Lc 1, 26-38), et, de
même, un Ange révèle à Joseph l’origine surnaturelle de la maternité de la Vierge (cf. Mt
1, 18-25); les Anges annoncent aux bergers de Béthléem la joyeuse nouvelle de la
naissance du Sauveur (cf. Lc 2, 8-14); "l’Ange du Seigneur" protège la vie de l’enfant Jésus
menacée par Hérode (cf. Mt 2, 13-20); les Anges assistent Jésus pendant son séjour dans
le désert (cf. Mt 4, 11) et ils le réconfortent durant son agonie (cf. Lc 22, 43); enfin, ils
annoncent aux femmes, qui se rendent au tombeau du Christ, que celui-ci est
"ressuscité" (cf. Mc 16, 1-8), et ils interviennent encore au moment de l’Ascension pour
révéler aux disciples le sens de cet événement et pour annoncer que "Jésus... reviendra
de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel" (Ac 1, 11).
215. L’Église qui, à ses débuts, fut gardée et défendue par le ministère des Anges (Ac 5,
17-20; 12, 6-11) expérimente constamment la"protection mystérieuse et puissante" de ces
esprits célestes, qu’elle vénère et dont elle sollicite l’intercession.
216. Tout au long des siècles, les fidèles ont exprimé leur foi dans le ministère des Anges
en recourant à de nombreuses formes de piété: ainsi, ils ont choisi les Anges comme
patrons des villes et protecteurs des corporations; ils ont érigé en leur honneur des
sanctuaires célèbres (le Mont-Saint-Michel en Normandie, Saint-Michel de Cluse dans le
Piémont, et Saint-Michel du Mont-Gargan dans les Pouilles), et fixé des jours de fête;
enfin, ils ont composé des hymnes et des pieux exercices.
La dévotion envers les Anges Gardiens suscite aussi un style de vie qui est caractérisé
par:
- l’action de grâces adressée à Dieu qui accepte de placer des esprits d’une si grande
sainteté et dignité au service des hommes;
- une confiance sereine dans les situations difficiles, inspirée par la conviction que le
Seigneur guide et assiste le fidèle sur le chemin de la justice, en recourant en particulier
au ministère des Anges.
Parmi les prières adressées à l’Ange Gardien, celle de l’Angele Dei est particulièrement
répandue; dans de nombreuses familles, elle fait partie de la prière du matin et du soir,
et, en de nombreux endroits, elle accompagne aussi la prière de l’Angelus Domini.
217. Les expressions de la piété populaire envers les saints Anges sont légitimes et
bienfaisantes, mais elles peuvent donner lieu à des déviations, parmi lesquelles il
convient de citer:
- certains fidèles peuvent être tentés de considérer les événements de la vie quotidienne
d’une manière schématique et simpliste, voire infantile, en rendant le Malin responsable
de leurs difficultés, y compris les plus minimes, et, au contraire, en attribuant à l’Ange
Gardien leurs succès et leurs réalisations positives; or, de telles interprétations n’ont
aucun rapport, ou si peu, avec le véritable progrès spirituel de la personne qui consiste à
rejoindre le Christ. Il faut aussi réprouver l’usage de donner aux Anges des noms
particuliers, que la Sainte Écriture ignore, hormis ceux de Michel, Gabriel et Raphaël.
Saint Joseph
218. Dans sa sagesse providentielle, Dieu réalisa son plan de salut en assignant à Joseph
de Nazareth, "homme juste" (cf. Mt 1, 19), et époux de la Vierge Marie (cf. Ibid.; Lc 1, 27),
une mission particulièrement importante: d’une part, introduire légalement Jésus dans
la lignée de David de laquelle, selon la promesse des Écritures (cf. 2 S 7, 5-16; 1 Ch 17, 11-
14), devait naître le Messie Sauveur, et, d’autre part, assumer la fonction de père et de
gardien à l’égard de cet enfant.
En vertu de cette mission, saint Joseph est très présent dans les mystères de l’enfance du
Sauveur: il reçut de Dieu la révélation de l’origine divine de la maternité de Marie (cf. Mt
1, 20-21), et il fut le témoin privilégié de la naissance de Jésus à Bethléem (cf. Lc 2, 6-7), de
l’adoration des bergers (cf. Lc 2, 15-16) et de celle des Mages venus de l’Orient (cf. Mt 2,
11); il accomplit son devoir religieux à l’égard de l’Enfant en l’introduisant dans
l’Alliance d’Abraham, lors de la circoncision (cf. Lc 2, 21), et en lui donnant le nom de
Jésus (cf, Mt 1, 21); selon de la Loi, il présenta l’Enfant au Temple et le racheta en offrant
le don des pauvres (cf. Lc 2, 22-24; Esd 13, 2.12-13) et, rempli d’étonnement, il entendit le
cantique prophétique de Siméon (cf. Lc 2, 25-33); il protégea la Mère et le Fils durant la
persécution d’Hérode en fuyant en Égypte (cf. Mt 2, 13-23); il se rendait chaque année à
Jérusalem avec la Mère et l’Enfant pour la fête de la Pâque et il assista, avec effroi, à
l’événement de la disparition de Jésus, âgé de 12 ans, qui était demeuré dans le Temple
(cf. Lc 2, 43-50); il vécut dans la maison familiale de Nazareth, exerçant son autorité
paternelle à l’égard de Jésus, qui lui était soumis (cf. Lc 2, 51), et il lui enseigna la Loi et
son métier de charpentier.
219. Tout au long des siècles, et surtout à l’époque récente, la réflexion de l’Église a mis
en évidence les vertus de saint Joseph, parmi lesquelles: la foi, qui, chez lui, se traduisait
par une adhésion entière et courageuse au projet de salut de Dieu; l’obéissance
inconditionnelle et silencieuse à la volonté de Dieu; l’amour et le respect fidèle de la Loi,
la piété sincère et la force dans les épreuves; l’amour virginal dont il fit preuve à l’égard
de la Vierge Marie, l’exercice assidu de ses devoirs de père de famille, et l’attrait pour
une vie cachée et laborieuse.
221. La Liturgie fait souvent référence à la figure et au rôle de saint Joseph dans les
célébrations des mystères de la vie du Sauveur, en particulier celles qui concernent sa
naissance et son enfance, c’est-à-dire durant le temps de l’Avent, celui de Noël,
spécialement à l’occasion de la fête de la Sainte Famille, lors de la solennité du 19 mars et
à l’occasion de la mémoire du 1 mai.
Le nom de saint Joseph est mentionné dans le Communicantes du Canon Romain et dans
les Litanies des Saints. Les Prières pour les mourants suggèrent d’invoquer le saint
Patriarche; de même, la communauté prie pour que l’âme du mourant, en quittant ce
monde, soit introduite "dans la paix de la Jérusalem céleste avec la Vierge Marie, Mère
de Dieu, saint Joseph, tous les Anges et les Saints".
222. La vénération de saint Joseph occupe aussi une place importante dans la piété
populaire: par exemple, dans des expressions diverses et nombreuses du folklore de
certains peuples; dans la coutume, datant de la fin du XVII siècle, de considérer le
mercredi comme un jour dédié à saint Joseph; à ce propos, il convient de noter que
certains pieux exercices, comme les Sept mercredis, se rattachent à cette pieuse tradition.
La dévotion des fidèles à l’égard de saint Joseph inspire aussi les pieuses invocations, que
de nombreuses personnes aiment prononcer spontanément, de même que certaines
formules de prières, comme celle qui fut composée par le pape Léon XIII: Ad te, beate
Joseph, et qui est dite chaque jour par de nombreux fidèles, et aussi les Litanies de saint
Joseph, approuvées par saint Pie X, et, enfin, le pieux exercice du chapelet des Sept
angoisses et des sept joies de saint Joseph.
225. Depuis les premiers siècles de l’Église, les fidèles célèbrent avec ferveur le culte de
saint Jean Baptiste; il s’est même enrichi d’éléments provenant de la culture populaire.
Outre la célébration de sa mort (le 29 août), au même titre que tous les autres saints,
saint Jean Baptiste est le seul dont on célèbre aussi solennellement la naissance (24 juin),
comme pour le Christ et la sainte Vierge Marie.
On peut constater que beaucoup de baptistères sont dédiés à saint Jean Baptiste, ce qui
permet de souligner son rôle essentiel lors du baptême de Jésus; de même, de
nombreuses fontaines baptismales évoquent sa figure en le représentant en train de
baptiser. Son emprisonnement éprouvant et sa mort violente font aussi de lui le patron
de ceux qui sont en prison, ainsi que des condamnés à mort, ou de ceux qui subissent de
lourdes peines à cause de leur foi.
Il est très probable que la date de naissance de saint Jean Baptiste (24 juin) fut fixée en
fonction de celle de la conception du Christ (25 mars), et de sa naissance (25 décembre):
selon le signe donné par l’ange Gabriel au moment où Marie conçut le Sauveur, la mère
du Précurseur était déjà enceinte depuis six mois (cf. Lc 1, 26. 36). Dans l’hémisphère
nord, la solennité du 24 juin est aussi liée au cycle solaire. Elle se célèbre, en effet, au
moment où le soleil, en se dirigeant vers le sud du zodiaque, commence à descendre à
l’horizon: ce phénomène céleste est devenu le symbole de la figure de Jean Baptiste, qui,
à propos du Christ et de lui-même, déclara: "Lui, il faut qu’il grandisse; et moi, que je
diminue" (Jn 3, 30)
La mission de Jean, qui était venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (cf.
Jn 1, 7), a donné naissance à la coutume d’allumer des feux dans la nuit du 23 au 24 juin,
et, là où cette tradition existait déjà, elle a permis de lui donner une signification
chrétienne: de fait, l’Église bénit ces feux en priant pour que les fidèles passent des
ténèbres du monde à la Lumière de Dieu qui ne s’éteindra jamais.
226. Les rapports mutuels entre la Liturgie et la piété populaire, et leur influence
réciproque, sont particulièrement importants dans le domaine spécifique du culte des
Saints et des Bienheureux. Il paraît opportun de rappeler brièvement les principales
formes de vénération prévues dans la Liturgie de l’Église: ces diverses dispositions sont
destinées à éclairer et à guider les expressions de la piété populaire.
227. La célébration d’une fête en l’honneur d’un Saint - et cela vaut aussi à leur propre
niveau pour les Bienheureux - est sans aucun doute une expression éminente du culte de
la communauté ecclésiale: elle inclut très souvent la célébration de l’Eucharistie. La
détermination du "jour de fête" du Saint est une décision très importante sur le plan
cultuel, mais elle est souvent complexe, parce qu’elle dépend de nombreux facteurs
d’ordre historique, liturgique et culturel, qui ne sont pas faciles à harmoniser.
Dans l’Église de Rome et dans d’autres Églises locales, la célébration la plus ancienne fut
celle de la mémoire des martyrs, le jour anniversaire de leur passion, qui marquait à la
fois leur suprême identification au Christ et leur naissance au ciel; elle fut suivie par la
célébration du conditor Ecclesiae, c’est-à-dire les évêques qui avaient dirigé ces Églises et
les autres confesseurs de la foi, ainsi que de la commémoration annuelle de la dédicace
de l’église cathédrale. La multiplication de ces diverses célébrations rendirent nécessaire
la constitution progressive des calendriers liturgiques locaux, où furent mentionnés la
date et le lieu de la mort de chacun des Saints ou groupe de Saints.
Ces calendriers particuliers permirent d’élaborer des calendriers généraux, dont les plus
célèbres sont le Martyrologe syriaque (V siècle), le Martyrologium Hieronimianum (VI
siècle), celui de saint Bède (VIII siècle), de Lyon (IX siècle), de Usardo (IX siècle) et
d’Adone (IX siècle).
228. Le Calendrier Romain est intimement lié à l’histoire du Martyrologe; il a pour objet
de mentionner le jour et le degré des célébrations en l’honneur des Saints.
Conformément à la disposition du Concile Vatican II, le Calendrier Romain Général
comprend seulement les mémoires des "saints qui présentent véritablement une
importance universelle", en laissant aux calendriers particuliers, qu’ils soient nationaux,
régionaux, diocésains ou des familles religieuses, le soin d’indiquer les mémoires des
autres Saints.
Il est opportun de rappeler la raison pour laquelle le nombre des célébrations des Saints
a été réduit, ainsi que la nécessité d’en tenir compte sur le plan pastoral: cette décision a
été prise pour que "les fêtes des saints ne l’emportent pas sur les fêtes qui célèbrent les
mystères du salut eux-mêmes". Au cours des siècles, en effet, "la multiplication des fêtes,
des vigiles et des octaves, ainsi que la complication progressive des diverses parties de
l’année liturgique" avaient "souvent poussé les fidèles aux dévotions particulières, de
telle sorte que leurs esprits ont été quelque peu détournés des mystères fondamentaux
de notre rédemption".
229. À partir de la réflexion sur les faits qui ont marqué l’origine, le développement et les
différentes révisions du Calendrier Romain Général, il est possible de présenter les
quelques orientations pastorales suivantes:
- il est nécessaire d’instruire les fidèles sur le lien existant entre les fêtes des Saints et la
célébration du mystère du Christ. En effet, la raison d’être des fêtes des Saints est de
mettre en lumière les réalisations concrètes du dessein de salut de Dieu, et de
"proclamer les merveilles du Christ chez ses serviteurs"; les fêtes des membres de
l’Église, que sont les Saints, sont en réalité aussi des fêtes de la Tête de cette même Église,
c’est-à-dire des fêtes du Christ;
- il convient d’encourager les fidèles à célébrer en priorité les Saints qui, dans l’Église
particulière, sont considérés comme les plus importants: par exemple, les Patrons ou
ceux qui, les premiers, ont annoncé la Bonne Nouvelle à la communauté des origines;
- enfin, il est utile d’enseigner aux fidèles le critère d’ "universalité", qui caractérise les
Saints inscrits dans le Calendrier Général, ainsi que le sens du degré de leur célébration
liturgique: solennité, fête et mémoire (obligatoire ou facultative).
Le jour de la fête
230. Le jour de la fête du saint revêt une grande importance tant du point de vue de la
Liturgie que de la piété populaire. Dans un laps de temps très bref, de nombreuses
expressions cultuelles de nature liturgique ou populaire concourent à donner une
physionomie propre à ce "jour du Saint", ce qui ne va pas sans poser des difficultés, voire
des risques de conflits.
Les divergences éventuelles doivent être résolues à la lumière des normes du Missel
Romain et du Calendrier Romain Général concernant les degrés de célébrations des Saints
et des Bienheureux, qui sont fixées en fonction de leur relation avec la communauté
chrétienne (Patron principal du lieu, Titulaire de l’Église, Fondateur ou Patron principal
d’une famille religieuse). Il faut aussi tenir compte du transfert éventuel de la fête du
Saint au dimanche suivant, et des dispositions concernant la célébration des fêtes des
Saints durant certains temps particuliers de l’Année liturgique.
Ces normes doivent être observées, non seulement à cause de l’obéissance due à
l’autorité liturgique du Saint-Siège, mais aussi et surtout pour les raisons qui justifient
l’existence même de ces dispositions: le respect envers le mystère du Christ et la
cohérence avec l’esprit de la Liturgie.
En particulier, il est nécessaire d’éviter que les raisons qui ont justifié le déplacement de
dates de certaines fêtes de Saints ou de Bienheureux - par exemple, du Carême au Temps
ordinaire - ne soient pas suivies d’effet dans la pratique pastorale: ainsi, le fait de
célébrer la fête liturgique d’un Saint en se conformant à la nouvelle date, tout en
continuant de la célébrer à l’ancienne date dans le cadre de la piété populaire, a pour
conséquence de rompre gravement l’harmonie entre la Liturgie et la piété populaire, et,
surtout, elle donne lieu à une répétition inutile de la même célébration, tout en générant
chez les fidèles la confusion et le désarroi.
231. Il est nécessaire que la fête du Saint soit préparée, puis célébrée avec beaucoup de
soin, tant du point de vue liturgique que pastoral.
Cette exigence comporte avant tout une présentation adéquate de la finalité pastorale du
culte des Saints, qui est totalement destiné à célébrer la gloire de Dieu, "admirable dans
ses Saints", et aussi à encourager les fidèles à conformer leur vie à l’enseignement et à
l’exemple du Christ, en imitant les Saints, qui sont les membres éminents de son Corps
mystique.
De plus, il est nécessaire que la figure du Saint soit présentée d’une manière appropriée.
De fait, en se plaçant dans la perspective de la conception très juste qui prévaut à notre
époque, il convient qu’une telle présentation ne se base pas tant sur des faits
légendaires, qui entourent parfois la vie du Saint, ni sur ses qualités de thaumaturge,
que sur la valeur de sa personnalité chrétienne, la grandeur de sa sainteté et l’efficacité
de son témoignage évangélique, ainsi que sur le charisme personnel grâce auquel il a
enrichi la vie de l’Église.
232. Le "jour du Saint" a aussi une grande valeur anthropologique: c’est un jour de fête.
Et il est notoire que la fête répond à une nécessité vitale de l’homme, et qu’elle se fonde
ultimement sur son aspiration à la transcendance. Par ses manifestations empreintes de
joie et de gaieté, la fête affirme la valeur de la vie et de la création. En rompant avec la
monotonie de la vie quotidienne et avec certaines formes de vie trop conventionnelles,
en libérant aussi momentanément les fidèles de leur asservissement à l’égard de trop
nombreuses contraintes matérielles, la fête exprime à la fois la recherche d’une liberté
sans entraves, l’aspiration à un bonheur parfait et l’exaltation de la pure gratuité. Sur le
plan culturel, la fête met en évidence le génie particulier d’un peuple, c’est-à-dire les
valeurs qui le caractérisent et le distinguent des autres peuples, et les expressions les
plus réussies de sa propre culture, y compris de son folklore. La fête est aussi un moyen
de socialisation qui permet d’étendre le cercle de ses amis, et d’ouvrir ses relations de
voisinage à de nouveaux membres de la communauté.
233. Divers facteurs menacent la qualité de la "fête du Saint" tant du point de vue
religieux qu’anthropologique:
Du point de vue religieux, il peut arriver que la "fête du Saint", appelée "fête patronale"
dans le cadre de la paroisse, soit progressivement vidée du contenu spécifiquement
chrétien qui était le sien à l’origine - et qui consistait à honorer le Christ dans l’un de ses
membres -, et qu’elle devienne surtout une manifestation sociale ou folklorique, et, dans
le meilleur des cas, une occasion privilégiée de rencontre et de dialogue entre les
membres d’une même communauté.
Du point de vue anthropologique, il convient de noter qu’il n’est pas rare que des groupes
ou des personnes, en croyant "faire la fête", se détachent en réalité du véritable sens de
cette expression en raison de leurs comportements. En effet, la fête est la participation
de l’homme à la domination de Dieu sur la création et à son "repos" actif, qui est toute
autre chose qu’une oisiveté stérile; elle est aussi la manifestation d’une joie simple et
communicative, et non la la soif démesurée d’un plaisir égoïste; enfin, elle est
l’expression d’une vraie liberté, et non la recherche de formes de divertissement
ambiguës, qui génèrent elles-mêmes sournoisement de nouvelles formes d’esclavage. On
peut donc affirmer avec certitude que la transgression des normes éthiques, non
seulement contredit la loi du Seigneur, mais encore constitue une blessure à la
signification anthropologique de la fête.
234. Le jour de la fête d’un Saint ou d’un Bienheureux n’est pas l’unique forme de
présence de ces derniers dans le cadre de la Liturgie. De fait, la célébration de
l’Eucharistie constitue un moment privilégié de communion avec les Saints du ciel.
Les rapports constants entre la Sainte Écriture et l’hagiographie chrétienne ont donné
lieu, dans le contexte de la célébration eucharistique, à la formation d’un ensemble de
Communs, dans lesquels sont proposés des passages de la Bible qui illustrent les divers
aspects de la vie des Saints. À propos de la relation étroite entre la Sainte Écriture et la
vie des Saints, on peut observer encore que la Sainte Écriture oriente et jalonne le
chemin des Saints vers la plénitude de la charité, et qu’ils sont donc, chacun pour leur
part, des commentateurs vivants de la Parole de Dieu.
Les Litanies des Saints, qui contiennent des éléments provenant à la fois de la tradition
liturgique et de la piété populaire, illustrent la confiance de l’Église dans l’intercession
des Saints, et elles mettent en valeur son expérience de la communion qui unit l’Église de
la Jérusalem céleste et l’Église qui est encore en pèlerinage sur la terre. Il est permis
d’invoquer, dans les Litanies des Saints, les noms de ceux qui sont inscrits dans les
Calendriers liturgiques des diocèses et des Instituts religieux. Il est évident qu’il est
interdit d’insérer dans les Litanies les noms de personnes, dont le culte n’est pas
reconnu.
236. Le Concile Vatican II rappelle que "selon la Tradition, les saints sont l’objet d’un
culte dans l’Église, et l’on y vénère leurs reliques authentiques et leurs images".
L’expression "reliques des Saints" indique surtout les corps - ou des éléments significatifs
de ces corps - de tous ceux qui, par la sainteté héroïque de leur vie, se révélèrent sur
cette terre des membres éminents du Corps mystique du Christ et des temples vivants de
l’Esprit Saint (cf. 1 Co 3, 16; 6, 19; 2 Co 6, 16). De plus, les objets qui ont appartenu aux
Saints sont aussi considérés comme des reliques: il s’agit des objets personnels, des
vêtements, des lettres, et des objets qui ont été mis en contact avec leurs corps ou leurs
tombeaux (huiles, morceaux d’étoffe (brandea)), et aussi des objets qui ont touché les
images vénérées du Saint.
237. Le Missel Romain renové recommande de "garder l’usage de déposer sous l’autel à
consacrer des reliques de saints, même non martyrs". Cette place des reliques, par
rapport à l’autel, indique donc que le sacrifice des membres de l’Église a pour origine et
prend tout son sens, à partir de l’unique sacrifice de la Tête de cette même Église; de
plus, les reliques expriment symboliquement la communion de toute l’Église à l’unique
sacrifice du Christ, et donc la mission qui est confiée à cette Église de témoigner, même
au prix du sang, de sa fidélité à son Époux et Seigneur.
Cette expression éminemment liturgique du culte des reliques n’est pas la seule; en effet,
la piété populaire en comprend bien d’autres. Il est vrai néanmoins que les fidèles
aiment vénérer les reliques. Il est donc nécessaire de mettre en place une pastorale, qui
soit capable de promouvoir le véritable sens du culte des reliques; il s’agit, en effet:
- d’empêcher la division excessive des reliques, qui ne respecte pas la dignité du corps
humain; les normes liturgiques prévoient, en effet, que les reliques doivent être "assez
grandes pour qu’on puisse comprendre qu’elles sont les restes de corps humains";
- d’exhorter les fidèles de ne pas se laisser gagner par la manie de collectionner des
reliques; il est arrivé que, dans le passé, on ait à déplorer les conséquences déplorables
de ce genre d’habitudes.
- de veiller au bon usage des reliques, afin d’éviter tout risque de fraudes, toute forme de
trafic, et toute autre avilissement du culte en superstition.
Les différent actes de la dévotion populaire envers les reliques des Saints doivent être
accomplis avec une grande dignité, et dans un climat de foi authentique. Parmi les
principales expressions de la piété populaire, on peut citer le fait d’embrasser les
reliques, de les illuminer et de les orner de fleurs, de les employer pour bénir ou de les
porter en procession, et aussi de les apporter aux malades pour les réconforter et mettre
ainsi en valeur leur demande de guérison. Il faut éviter dans les tous les cas d’exposer
des reliques sur la table de l’autel, car celle-ci est réservée au Corps et au Sang du roi des
martyrs.
Les Saints Pères reconnaissaient dans le mystère du Christ, le Verbe incarné, "l’image du
Dieu invisible" (col 1, 15) et aussi le fondement du culte adressé aux saintes images:
"l’incarnation du Fils de Dieu a inauguré une nouvelle "économie" des images".
239. La vénération des images, qu’elles soient peintes, ou réalisées sous la forme de
statues, de bas-reliefs ou d’autres représentations, est importante aussi bien dans le
cadre de la Liturgie que dans le domaine de la piété populaire: les fidèles prient devant
elles, tant dans les églises que dans leurs propres maisons. Ils les ornent de fleurs, de
lumières et de pierres précieuses; ils emploient des formes diverses pour leur rendre un
hommage religieux, ils les portent en procession, ils accrochent auprès d’elles des ex-
voto en signe de reconnaissance; ils les déposent dans des cavités ou des petits
monuments érigés dans les champs ou le long des routes.
Toutefois, afin d’éviter certaines déviations, la vénération des images doit être fondée
sur une conception théologique appropriée. Il est donc nécessaire que les fidèles
connaissent la doctrine de l’Église concernant le culte des saintes images, qui est
contenue dans les décrets des conciles œcuméniques et dans le Catéchisme de l’Église
Catholique.
- des signes saints, qui, comme tous les signes liturgiques, ont comme référence ultime le
Christ; de fait, les images des Saints "renvoient à la figure du Christ qui est glorifié en
eux";
- une évocation de nos Frères les Saints, "qui continuent à participer à l’histoire du salut
du monde et auxquels nous sommes unis, spécialement dans la célébration des
sacrements";
- une aide pour la prière: la contemplation des saintes images facilite la supplication et
stimule la prière de reconnaissance pour les grâces insignes que Dieu a accomplies dans
la vie des Saints;
- une exhortation à imiter les Saints, car "plus les yeux se posent sur ces images, plus le
souvenir et le désir d’imiter ceux qui y sont représentés sont vifs et augmentent chez
celui qui les contemple"; le fidèle est appelé à imprimer dans son cœur ce qu’il
contemple avec les yeux: le Saint est une "vraie image de l’homme nouveau", transformé
dans le Christ par l’action de l’Esprit Saint, qui est demeuré fidèle à sa propre vocation;
- une forme de catéchèse: "le peuple est instruit et confirmé dans la foi à travers l’histoire
des mystères de notre Rédemption, qui sont exprimés au moyen des images peintes ou
d’autres formes de représentation, et il dispose ainsi des moyens qui lui permettent de se
rappeler et de méditer assidument les articles de la foi".
241. Il est nécessaire avant tout d’enseigner aux fidèles le caractère relatif du culte
chrétien des images. En effet, les images ne sont pas vénérées pour elles-mêmes, mais
pour ceux qu’elles représentent. C’est pourquoi "on doit leur rendre l’honneur et la
vénération qui leur sont dus, non qu’on croie qu’il y a en elles du divin ou quelque vertu
qui justifieraient leur culte, ou qu’on doive leur demander quelque chose, ou qu’on doive
mettre fermement sa confiance dans les images, comme il arrivait autrefois aux païens
qui mettaient leur espérance dans les idoles, mais parce que l’honneur qu’on leur rend
remonte aux modèles originaux qu’elles représentent".
242. À la lumière de ces enseignements, les fidèles doivent éviter de commettre l’erreur
d’établir des comparaisons entre les saintes images. Le fait que certaines images soient
l’objet d’une vénération particulière, jusqu’à devenir le symbole de l’identité religieuse
et culturelle d’un peuple, d’une ville ou d’un groupe, doit être expliqué à la lumière de la
grâce particulière qui est à l’origine du culte rendu à ces images, et à partir des
événements historiques et des éléments culturels qui ont concouru à les établir dans
cette fonction de représentation: il est compréhensible que le peuple veuille
commémorer fréquemment un événement de ce genre; une telle célébration renforce sa
foi, glorifie Dieu, sauvegarde sa propre identité culturelle, et lui permet d’adresser avec
confiance des prières incessantes, que le Seigneur, selon sa parole (cf. Mt 7, 7; Lc 11, 9;
Mc 11, 24) est prompt à exaucer; ainsi, par ce moyen, l’amour de Dieu et du prochain
augmente, l’espérance se dilate et la vie spirituelle du peuple chrétien ne cesse de
croître.
243. Les saintes images sont, par nature, autant des signes sacrés que des œuvres d’art.
De fait, "surtout quand elles sont remarquables de beauté artistique et de noblesse
religieuse, elles sont comme un écho de cette beauté qui vient de Dieu et conduit à Dieu".
Toutefois, l’image sacrée n’a pas d’abord pour fonction de procurer une satisfaction
esthétique, mais d’introduire au Mystère. Lorsque l’aspect esthétique prend le dessus, ce
qui arrive parfois, l’image est considérée plus comme un "thème" artistique que comme
un moyen de transmettre un message spirituel.
En Occident, la production iconographique, dont les thèmes sont très variés, n’est pas
soumise, à la différence de l’Orient, à des normes strictes contenues dans des canons
vénérables, qui sont en vigueur depuis des siècles. Cela ne signifie pas pour autant que
l’Église latine ait négligé d’exercer une certaine vigilance sur la production
iconographique: ainsi, elle a interdit à de nombreuses reprises d’exposer dans les églises
des images, qui seraient contraires à la foi, de même que celles qui ne seraient pas
dignes ou qui pourraient induire les fidèles en erreur, ou encore qui seraient
l’expression d’une abstraction désincarnée ou déshumanisante; de fait, certaines images
sont plus le reflet d’un humanisme clos sur lui-même que les exemples d’une spiritualité
authentique. Il faut réprouver aussi la tendance qui consiste à retirer systématiquement
les images des lieux sacrés, ce qui a pour effet de nuire gravement à la piété des fidèles.
La piété populaire est attachée aux saintes images, en qui les fidèles reconnaissent des
éléments de leur propre culture: ils sont donc sensibles aux représentations réalistes,
aux personnages, qu’ils peuvent facilement identifier, et aux évocations des différents
aspects de la vie de l’homme: la naissance, la souffrance, le mariage, le travail et la mort.
Il convient, toutefois, d’éviter que l’art religieux populaire ne dégénère en des
représentations superficielles ou mièvres, qui seraient privés de contenu véritable: c’est
pourquoi les œuvres d’art destinées à l’usage liturgique ne doivent pas s’affranchir des
règles de l’iconographie, et elles sont appelées à former un art chrétien véritable, dont
les expressions diffèrent en fonction des époques et des divers courants culturels.
244. L’usage cultuel des images des Saints incite l’Église à les bénir, surtout celles qui
sont destinées à la vénération publique des fidèles. l’Église demande donc que, en
suivant l’exemple des Saints, "nous imitions leur exemple pour suivre le Seigneur et
parvenir à la plénitude de l’homme parfait, qu’est le Christ". De même, l’Église a
promulgué des normes concernant l’accueil et la disposition des images dans les édifices
du culte; celles-ci doivent être strictement suivies. Ainsi, il est interdit de poser sur l’autel
des statues et des images de Saints, ainsi que des reliques pour les proposer à la
vénération des fidèles. L’Ordinaire a le devoir de veiller à ce que ne soient pas vénérées
des images indignes, ou qui induiraient les fidèles en erreur, ou encore qui les
inciteraient à s’adonner à des pratiques superstitieuses.
Les processions
- certaines processions ont pour but d’évoquer des événements du salut qui concernent
le Christ lui-même: ainsi, la procession du 2 février qui commémore la présentation du
Seigneur au Temple (cf. Lc 2, 22-38), celle du Dimanche des Rameaux, qui évoque l’entrée
messianique de Jésus dans la ville de Jérusalem (cf. Mt 21, 1-10; Mc 11, 1-11; Lc 19, 28-38;
Jn 12, 12-16). Il convient aussi de mentionner la procession de la Vigile pascale, qui fait
mémoire du "passage", accompli par le Christ, des ténèbres du tombeau à la gloire de la
Résurrection; cette procession constitue aussi une synthèse et un accomplissement de
tous les exodes de l’ancien Israël, et elle est le prélude des différents "passages" que le
disciple du Christ est appelé à effectuer dans la célébration des divers sacrements,
surtout dans le rite du baptême, de même que dans la célébration des obsèques;
- diverses autres processions sont encore prévues dans le cadre de certaines célébrations
liturgiques: ainsi, les processions des stations de Carême, durant lesquelles la
communauté se rend du lieu fixé pour la collecta à l’église de la statio; la procession
organisée pour recevoir, dans l’église paroissiale, le saint chrême et les autres saintes
huiles, qui ont été bénits durant la Messe chrismale du Jeudi Saint; la procession de
l’adoration de la Croix, prévue dans la célébration liturgique du Vendredi Saint; la
procession qui a lieu durant les Vêpres du jour de Pâques, pendant laquelle "en chantant
des psaumes, on va en procession aux fonts baptismaux"; les "processions" qui sont
prévues à certains moments de la célébration eucharistique: à l’entrée du célébrant et
des ministres, au moment de la proclamation de l’Évangile, lors de la présentation des
dons, au moment de la communion au Corps et au Sang du Seigneur; la procession
organisée pour porter le Viatique aux malades, dans les endroits où elle est encore en
vigueur; le cortège funèbre qui accompagne le corps du défunt de sa maison à l’église, et
de l’église au cimetière; enfin, la procession organisée à l’occasion de la translation des
reliques.
246. La piété populaire a réservé une place très importante aux processions, surtout à
partir du Moyen Âge, et ce mouvement a atteint son apogée à l’époque baroque: pour
honorer les Saints patrons d’une cité, d’une contrée ou d’une corporation, les fidèles
prirent alors l’habitude de porter en procession les reliques ou une statue, ou encore une
image du Saint à travers les rues de la ville.
Les processions, dans ses formes les plus authentiques, permettent au peuple d’exprimer
sa foi; de plus, leur enracinement dans la culture locale contribue à réveiller le
sentiment religieux des fidèles. Il reste que, au même titre que les autres pieux exercices,
les "processions de dévotion en l’honneur des Saints" sont susceptibles d’engendrer
quelques erreurs préjudiciables à la foi chrétienne: ainsi, il peut arriver que ces
dévotions l’emportent sur les sacrements, qui sont alors relégués au second plan, et que
ces manifestations externes prévalent sur les dispositions intérieures des fidèles; de
même, la procession peut être considérée à tort comme le moment le plus important de
la fête du Saint. On peut citer aussi la tendance, qui prévaut chez certains fidèles
insuffisamment instruits, de considérer le christianisme uniquement comme la "religion
des Saints". Enfin, il faut prendre garde à ne pas transformer la procession, qui doit
constituer avant tout un témoignage de foi, en un simple spectacle ou une parade de type
folklorique.
247. Afin que la procession conserve dans chaque cas son caractère authentique de
manifestation de la foi, il est nécessaire que les fidèles soient instruits de sa nature
particulière du point de vue théologique, liturgique et anthropologique.
Sur le plan théologique, il faut mettre en évidence le fait que la procession est un signe de
la nature profonde de l’Église: celle-ci est le peuple de Dieu qui chemine avec le Christ, et
derrière lui, tout en étant conscient de ne pas avoir de demeure définitive dans ce
monde (cf. He 13, 14), ou encore un peuple qui marche sur les routes de la cité terrestre
vers la Jérusalem céleste. La procession est aussi le signe du témoignage de foi que la
communauté chrétienne doit rendre à son Seigneur à l’intérieur des structures de la
société civile. Elle est, enfin, le signe de l’engagement missionnaire de l’Église, qui, depuis
ses débuts, et selon le commandement du Seigneur (cf. Mt 28, 19-20), s’est lancée sur
toutes les routes et les chemins du monde entier pour annoncer l’Évangile du salut.
Du point de vue liturgique, les processions, y compris celles qui ont un caractère plus
populaire, doivent être orientées vers la célébration de la Liturgie: ainsi, il convient de
présenter une procession organisée d’une église jusqu’à une autre église, comme le signe
du chemin que doit accomplir la communauté vivant dans le monde pour rejoindre la
communauté, qui demeure dans les cieux. De même, il est important que la procession
soit organisée par l’Église, et que ce soit elle qui la préside, afin d’éviter des
manifestations irrespectueuses et dégradantes. Il faut faire en sorte de prévoir, au début
de la procession, un moment de prière, qui doit nécessairement inclure la proclamation
de la Parole de Dieu. Le chant doit être mis en valeur, de préférence celui des psaumes,
avec l’apport éventuel des instruments de musique. Durant la procession, il est opportun
de munir les fidèles de cierges ou de flambeaux allumés, et de prévoir des haltes, qui
doivent alterner avec la marche, donnant ainsi l’image de toute vie humaine, qui
comporte elle aussi des moments de marche, ponctués par des arrêts. La procession doit
se conclure par une prière doxologique, adressée à Dieu, source de toute sainteté, et par
la bénédiction de celui qui la préside, l’Évêque, le prêtre ou le diacre.
Chapitre VII
248. "C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet".
Toutefois, la foi dans le Christ transforme cette énigme en la certitude d’une vie sans fin.
De fait, Jésus a déclaré qu’il a été envoyé par le Père "pour que tout homme qui croit en
lui ne meure pas, mais obtienne la vie éternelle" (Jn 3, 16), et aussi: "la volonté de mon
Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle; et moi,
je le ressusciterai au dernier jour". (Jn 6, 40). En référence à l’Écriture Sainte, l’Église
professe donc sa foi dans la vie éternelle, par ces mots contenus dans le Symbole de
Nicée-Constantinople: "j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir".
En se fondant sur la Parole de Dieu, l’Église croit et espère fermement que "tout comme
le Christ est vraiment ressuscité d’entre les morts et vit pour l’éternité, les justes, eux
aussi, après leur mort, sont appelés à vivre pour toujours avec le Christ ressuscité".
249. La foi dans la résurrection des morts, qui est un élément essentiel de la révélation
chrétienne, implique une vision spécifique de l’événement inéluctable et mystérieux de
la mort.
La mort est la conclusion de la phase terrestre de la vie humaine, mais "pas de notre
être", puisque l’âme est immortelle. "Nos vies sont inscrites dans un laps de temps
déterminé, durant lequel nous nous transformons et nous vieillissons; ainsi, comme
pour toutes les créatures, qui peuplent cette terre, la mort apparaît comme la fin
naturelle de la vie"; du point de vue de la foi, la mort est aussi "la fin du pèlerinage de
l’homme sur cette terre; elle est aussi la fin de ce temps de grâce et de miséricorde que
Dieu offre à chaque homme pour mener à bonne fin sa vie terrestre selon son projet
divin, et pour décider de son destin éternel".
S’il est vrai que la mort est un phénomène naturel, il apparaît aussi qu’elle correspond
au "salaire du péché" (Rm 6, 23). De fait, selon une interprétation authentique des
affirmations contenues dans la Sainte Écriture (cf. Gn 2, 17; 3, 3; 3, 19; Sg 1, 13; Rm 5, 12;
6, 23), le Magistère de l’Église "enseigne que la mort est entrée dans le monde à cause du
péché de l’homme".
Jésus, le Fils de Dieu, "né d’une femme, sujet de la loi juive" (Ga 4, 4), a lui aussi subi la
mort, qui est propre à la condition humaine; et tout en éprouvant de l’angoisse face à
elle (cf. Mc 14, 33-34; He 5, 7-8), "il l’accepta en se soumettant sans réserve et librement à
la volonté de son Père. L’obéissance de Jésus a transformé la malédiction de la mort en
bénédiction".
La mort est devenue le passage à la plénitude de la vraie vie; l’Église renverse donc la
logique et la prospective de ce monde en appelant le jour de la mort du chrétien son dies
natalis, ou le jour de sa naissance au ciel, où "la mort n’existera plus, et il n’y aura plus
de pleurs, de cris, ni de tristesse, car la première création aura disparu" (Ap 21, 4).
Comme l’exprime si bien la Liturgie, la mort est donc le prolongement de la vie d’ici-bas,
selon un mode complètement nouveau: "car pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur,
la vie n’est pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre,
ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux".
Enfin, la mort du chrétien est un événement de grâce, dans la mesure où, dans le Christ
et par le Christ, elle acquiert un sens positif. Cette certitude est fondée sur
l’enseignement des Écritures: "en effet, pour moi vivre, c’est le Christ, et mourir est un
avantage" (Ph 1, 21); "voici une parole sûre: si nous sommes morts avec lui, avec lui nous
vivrons" (2 Tm 2, 11).
250. Selon la foi de l’Église, le fait de "mourir avec le Christ" commence avec le Baptême:
en le recevant, le disciple du Seigneur est déjà sacramentellement "mort avec le Christ"
et ressuscité à une vie nouvelle; s’il meurt dans la grâce du Christ, la mort physique est le
sceau de cette "mort avec le Christ", et elle le porte ainsi à son propre achèvement en
l’incorporant pleinement et pour toujours au Christ Rédempteur.
Ainsi, l’Église, en priant pour les âmes des défunts, implore Dieu en leur faveur pour
qu’ils obtiennent de Lui la vie éternelle; cette prière n’est pas uniquement destinée aux
disciples du Christ, mais aussi à tous les défunts, dont Dieu seul connaît la foi.
251. Au moment de sa mort, le juste rencontre Dieu, qui l’appelle à lui pour le rendre
participant de sa vie divine. Toutefois, personne ne peut être accueilli dans l’amitié et
l’intimité de Dieu, s’il n’a pas d’abord été purifié des conséquences personnelles de
toutes ses fautes par Dieu lui-même. "L’Église appelle Purgatoire cette purification finale
des élus, qui est tout autre chose que le châtiment des damnés. L’Église a formulé la
doctrine de la foi relative au Purgatoire en particulier dans les décrets des Conciles de
Florence et de Trente".
Cette doctrine a suscité la pieuse habitude des prières de suffrages pour les âmes du
Purgatoire. Elles sont une supplication pressante adressée à Dieu pour qu’il accorde sa
miséricorde aux fidèles défunts, qu’il les purifie du feu de sa charité et les introduise
dans son Royaume de lumière et de vie.
Les suffrages sont une expression cultuelle de la foi dans la communion des Saints. De
fait, "l’Église en ses membres qui cheminent sur la terre a entouré de beaucoup de piété
la mémoire des défunts dès les premiers temps du christianisme en offrant aussi pour
eux ses suffrages, car "la pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de
leurs péchés, est une pensée sainte et pieuse" (2 M 12, 46)". Parmi ces prières, viennent
en premier lieu la célébration du sacrifice eucharistique, puis d’autres expressions de
piété, comme les prières, les aumônes, les œuvres de miséricorde, les indulgences en
faveur des âmes des défunts.
252. Dans la liturgie romaine, comme dans les autres liturgies latines et orientales, les
prières de suffrages pour les défunts sont fréquentes et variées.
Les obsèques chrétiennes comprennent, selon les différentes traditions, trois moments
essentiels, même si les conditions de vie dans les villes imposent souvent de réduire leur
nombre à deux, voire à un seul:
- La veillée de prière dans la maison du défunt, ou, selon les circonstances, dans un autre
lieu adapté, durant laquelle les parents, les amis et les fidèles élèvent vers Dieu des
prières en faveur du défunt, écoutent "les paroles de la vie éternelle" et, à la lumière de
ces dernières, dépassent les seules prospectives offertes par le monde d’ici-bas, pour se
tourner vers les promesses authentiques fondées sur la foi dans le Christ ressuscité. La
veillée de prières a aussi pour but d’apporter du réconfort aux proches du défunts, et
d’exprimer la proximité des chrétiens à leur égard, selon les paroles de l’Apôtre: "pleurez
avec ceux qui pleurent" (Rm 12, 15).
- la célébration de l’Eucharistie, qui est très souhaitable quand elle est possible. Durant
cette sainte messe, la communauté ecclésiale écoute "la parole de Dieu qui proclame le
mystère pascal, donne l’espérance de se revoir dans le Royaume de Dieu, ravive la piété
envers les défunts et exhorte au témoignage d’une vie vraiment chrétienne". Celui qui
préside commente la Parole durant une homélie "qui doit éviter la forme et le style d’un
éloge funèbre". Dans l’Eucharistie, "l’Église, telle une Mère, exprime sa communion
effective avec le défunt: en offrant au Père et dans l’Esprit Saint, le sacrifice de la Mort et
de la Résurrection du Christ, elle demande que son enfant soit purifié de ses péchés et de
leurs conséquences, et qu’il soit admis à la plénitude pascale des noces éternelles dans le
Royaume". Une lecture attentive de la Messe des obsèques permet de comprendre à quel
point la Liturgie exprime que l’Eucharistie est le banquet eschatologique, le vrai
refrigerium chrétien du défunt.
- le rite de l’adieu, le cortège funèbre et la sépulture: le rite de l’adieu (ad Deum) au défunt
est la "recommandation" de son âme à Dieu de la part de l’Église, "l’ultime salutation
adressée par la communauté chrétienne à l’un de ses membres avant la sépulture de son
corps". Le cortège funèbre manifeste que la Mère Église, qui, sacramentellement, a porté
le chrétien dans son sein tout au long de son pèlerinage sur la terre, désire accompagner
son corps durant son repos dans l’attente du jour de la résurrection (cf. 1 Co 15, 42-44).
253. Chacun des rites des obsèques chrétiennes doit être accompli avec une grande
dignité et le sens religieux qui convient. Il est donc nécessaire que le corps du défunt, qui
a été le temple de l’Esprit Saint, soit traité avec un grand respect, que l’ornementation
funéraire soit digne, et exempte de toute ostentation et de toute pompe inutile, et que les
signes liturgiques, comme la croix, le cierge pascal, l’eau bénite et l’encens, soient
employés d’une manière appropriée.
Toutefois, à notre époque, la pratique de l’incinération se répand pour des raisons liées
aux transformations des conditions de vie et d’environnement. À ce propos la législation
ecclésiastique dispose que "à ceux qui ont choisi l’incinération de leur corps, on
accordera les funérailles chrétiennes, sauf s’il est évident qu’ils ont fait ce choix pour des
motifs contraires à la foi chrétienne". Les fidèles qui ont fait ce choix sont expressément
invités à ne pas conserver les urnes des défunts de leurs familles dans leur maisons,
mais à leur donner une sépulture décente, jusqu’à ce que Dieu fasse resurgir ceux qui
reposent dans la terre et que la mer rende les morts qu’elle contient (cf. Ap 20, 13).
255. l’Église offre le sacrifice eucharistique pour les défunts, non seulement au moment
des funérailles, mais aussi le jour anniversaire de leur mort, spécialement le troisième,
ou le septième ou encore le trentième jour après leur décès. La célébration de la Messe
pour le repos de l’âme d’un défunt, que l’on a connu sur cette terre, est la manière
chrétienne de se souvenir et de prolonger, dans le Seigneur, la communion avec ceux qui
ont franchi le seuil de la mort. De plus, le 2 novembre, l’Église réitère l’offrande du saint
sacrifice pour tous les fidèles défunts, pour lesquels elle célèbre aussi la Liturgie des
Heures.
Il est donc important d’éduquer les sentiments des fidèles sur le sens qu’il convient
d’attribuer à la mort de leurs propres défunts, à partir de la célébration eucharistique,
et, ainsi, leur expliquer le véritable sens de la prière de l’Église, qui vise à obtenir que les
défunts de tous les temps et en tous lieux, soient associés à la gloire du Christ ressuscité;
les fidèles doivent donc éviter de tomber dans une vision trop possessive ou
particulariste de la Messe pour leur "propre" défunt. La célébration de la Messe pour les
défunts est aussi une occasion pour faire une catéchèse sur les fins dernières.
256. La piété populaire, au même titre que la liturgie, est très attentive à mettre en
valeur la mémoire des défunts, et elle exhorte notamment les fidèles à se tourner vers
Dieu pour lui adresser des prières de suffrages en faveur de ceux qui sont décédés
Dans le cadre de la "commémoration des fidèles défunts", la question des relations entre
la Liturgie et la piété populaire doit être abordée avec beaucoup de prudence et de
délicatesse sur le plan pastoral, tant du point de vue doctrinal que de celui de
l’harmonisation nécessaire entre les célébrations liturgiques et les pieux exercices.
257. Il est avant tout nécessaire que les diverses expressions de la piété populaire soient
bien enracinées dans les éléments essentiels qui constituent la foi chrétienne, c’est-à-
dire, en l’occurrence, la signification pascale de la mort de ceux qui, par le Baptême, ont
été incorporés au mystère de la mort et de la résurrection du Christ (cf. Rm 6, 3-10),
l’immortalité de l’âme (cf. Lc 23, 43), la communion des saints, car "l’union de ceux qui
sont encore en chemin, avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ,
n’est nullement interrompue; au contraire, selon la foi constante de l’Église, cette union
est renforcée par l’échange des biens spirituels": "notre prière pour eux peut non
seulement les aider mais aussi rendre efficace leur intercession", de même que la
résurrection de la chair, la manifestation glorieuse du Christ, "qui viendra juger les
vivants et les morts", la récompense ou, au contraire, le châtiment en fonction des
œuvres accomplies par chacun, et, enfin, la vie éternelle.
Les usages et les traditions de certains peuples dans le domaine spécifique du "culte des
morts" sont profondément marqués par des éléments particuliers, qui font partie de leur
culture locale: il s’agit notamment de conceptions anthropologiques qui sont liées au
désir de prolonger les liens familiaux, et plus généralement, les relations sociales et
amicales, avec les défunts. L’examen et l’évaluation de ces coutumes doivent être
effectués avec la prudence requise, afin d’éviter de les considérer trop rapidement
comme des relents de paganisme, à moins que ces usages ne soient manifestement
contraires à l’Évangile.
- le danger de maintenir dans les expressions de la piété populaire envers les défunts,
des éléments ou des aspects inacceptables du culte païen des ancêtres;
259. L’erreur doctrinale et pastorale, qui consiste à "occulter la mort et les divers
éléments qui l’entourent", est très répandue dans la société moderne, ce qui entraîne
souvent des conséquences dommageables.
Les médecins, le personnel médical et les proches parents estiment souvent qu’il est de
leur devoir de cacher au malade le caractère imminent de sa mort, et il est vrai aussi que
ce dernier meurt presque toujours hors de sa maison du fait des progrès de
l’hospitalisation.
Il est habituel de constater qu’aucune place n’est prévue pour accueillir la réalité
incontournable de la mort dans la civilisation urbaine de ce temps, qui est uniquement
celle des vivants: ainsi, dans les immeubles situés dans les villes, l’exiguïté des
appartements rend impossible l’organisation d’une veillée funèbre dans l’une des pièces
de l’habitation; de même, dans les rues, l’intensité de la circulation provoque
l’interdiction des cortèges funèbres, car leur lenteur constituerait une gêne pour le trafic
automobile. De plus, on peut facilement observer que, dans les aires urbaines, le
cimetière a changé de place: alors qu’autrefois, il était autour de l’église, ou non loin
d’elle, en particulier dans les villages - il était donc à la fois une composante et un signe
de la communion entre les vivants et les défunts dans le Christ -, le cimetière est
maintenant situé dans la périphérie, et on l’installe toujours plus loin des habitations,
pour éviter qu’il ne soit englobé au fur et à mesure de l’expansion de la ville.
La civilisation moderne refuse "la visibilité de la mort", et elle s’efforce donc d’en
éliminer les signes. Dans un certain nombre de pays, ce rejet a pour conséquence le
développement de l’embaumement du cadavre: il s’agit, par un procédé chimique, de
conserver le corps du défunt afin qu’il ait encore toutes les apparences de la vie.
260. La piété populaire envers les défunts s’exprime de multiples manières, selon les
lieux et en fonction de traditions très diverses. On peut citer notamment:
- l’adhésion à des confréries et des associations pieuses qui ont pour but d’ "ensevelir les
morts", en offrant des suffrages pour les défunts et en manifestant la solidarité concrète
des chrétiens avec les proches parents du disparu, conformément à la conception
chrétienne de la mort.
- les suffrages fréquents pour les défunts: ils peuvent revêtir différentes formes, qui ont
déjà été mentionnées: les aumônes, les diverses autres œuvres de miséricorde, les
indulgences, et, surtout, les prières, notamment le psaume De profundis, ou la brève
formule du Requiem aeternam, qui accompagne souvent la prière de l’Angelus, la
méditation du chapelet, et la bénédiction de la table familiale.
Chapitre VIII
261. Le sanctuaire, qu’il soit dédié à la Très Sainte Trinité, au Christ Seigneur, à la
binheureuse Vierge Marie, aux Anges, aux Saints ou aux Bienheureux, est sans doute
l’un des lieux où les rapports entre la Liturgie et la piété populaire sont les plus
fréquents et concrets. "Dans les sanctuaires seront plus abondamment offerts aux fidèles
les moyens de salut en annonçant avec zèle la parole de Dieu, en favorisant
convenablement la vie liturgique surtout pour la célébration de l’Eucharistie et de la
pénitence, ainsi qu’en entretenant les pratiques éprouvées de piété populaire".
En relation étroite avec le sanctuaire, on trouve le pèlerinage, qui est lui aussi une forme
très répandue et caractéristique de la piété populaire.
À notre époque, l’intérêt pour les sanctuaires et la participation aux pèlerinages, loin de
s’affaiblir du fait de la sécularisation, fait preuve au contraire une grande vigueur parmi
les fidèles.
Le Sanctuaire
Quelques principes
263. Le sanctuaire, comme les églises, a une grande valeur symbolique: il est l’icône de la
"demeure de Dieu parmi les hommes" (Ap 21, 3), et il évoque "le mystère du Temple", qui
s’accomplit dans le corps du Christ (cf. Jn 1, 14; 2, 21), dans la communauté ecclésiale (cf.
1 P 2, 5), et dans la personne de chaque fidèle baptisé (cf. 1 Co 3, 16-17; 6, 19; 2 Co 6, 16).
Pour les fidèles, les sanctuaires sont souvent, à cause de leur origine, la mémoire d’un
événement considéré par eux comme extraordinaire, et qui a provoqué l’émergence de
manifestations de dévotion durable, ou des témoignages de piété et de reconnaissance de
tout un peuple pour les grâces reçues en ce lieu. À cause des nombreux signes de
miséricorde qui se manifestent dans les sanctuaires, ces derniers sont aussi des lieux
privilégiés où Dieu vient en aide aux hommes, et où se manifeste l’intercession de la
bienheureuse Vierge Marie, des Saints ou des Bienheureux. De même, leur emplacement,
souvent élevé ou solitaire, leur beauté austère ou, au contraire, agréable, font des
sanctuaires des témoins privilégiés de l’harmonie du cosmos, et des lieux où se reflète la
beauté de Dieu. La prédication, qui résonne constamment dans les sanctuaires est, pour
les fidèles à la fois un appel efficace à la conversion, une invitation à vivre dans la
charité et à multiplier les œuvres de miséricorde, enfin, une exhortation à vivre en
suivant fidèlement le Christ. Les sacrements, qui peuvent être reçus dans ces lieux,
permettent de consolider la foi des fidèles; ils leur permettent aussi de croître dans la
grâce, et ils leur procurent le secours et l’espérance dans les épreuves qu’ils peuvent
rencontrer. Les sanctuaires, en mettant en valeur un aspect particulier du message
évangélique, peuvent être considérés comme une illustration et même un prolongement
de la Parole de Dieu. Enfin, l’orientation eschatologique des sanctuaires contribue à
transmettre aux fidèles le sens de la transcendance; leur présence dans ces lieux les
incitent à diriger leurs pas, à travers les chemins de la vie d’ici-bas, vers le sanctuaire du
ciel (cf. He 9, 11; Ap 21, 3).
"Toujours et partout, les sanctuaires chrétiens ont été ou ont voulu être des signes de
Dieu, de son irruption dans l’histoire humaine. Chacun d’eux est un mémorial du
mystère de l’Incarnation et de la Rédemption".
La reconnaissance canonique
264. "Par sanctuaire on entend une église ou un autre lieu sacré où les fidèles se rendent
nombreux en pèlerinage pour un motif particulier de piété avec l’approbation de
l’Ordinaire du lieu".
Toutefois, il ne faut pas oublier que, localement, de nombreux autres lieux de culte,
souvent humbles - comme certaines petites églises situées dans les villes ou à la
campagne - assument un rôle similaire à celui des sanctuaires, tout en ne bénéficiant pas
d’une reconnaissance canonique. Ils font eux aussi partie de la "géographie" de la foi et
de la piété du peuple de Dieu, puisqu’ils marquent l’emplacement d’une communauté
qui demeure sur un territoire déterminé et qui, dans la foi, chemine vers la Jérusalem
céleste (cf. Ap 21).
266. Les responsables des sanctuaires ont le devoir de veiller à la qualité exemplaire des
cérémonies: "La promotion d’une Liturgie de qualité fait partie des fonctions, qui sont
dévolues aux sanctuaires; il s’agit même d’une obligation inscrite dans le Code de droit
canonique. Cette promotion concerne moins l’obligation d’augmenter le nombre des
célébrations que celle d’améliorer la qualité de celles qui existent déjà. Les recteurs des
sanctuaires doivent être bien conscients de leur responsabilité dans ce domaine. Ils
doivent comprendre, en effet, que les fidèles, qui se rendent dans les différents
sanctuaires, doivent en repartir réconfortés sur le plan spirituel et édifiés par les
célébrations liturgiques auxquelles ils ont participé: celles-ci auront su leur transmettre
le message du salut par la noble simplicité de leurs rites et le respect fidèle des normes
liturgiques. Ces mêmes recteurs doivent savoir aussi que les effets d’une célébration
liturgique exemplaire ne se limitent pas à ladite célébration accomplie dans le
sanctuaire: en effet, les prêtres et les fidèles, qui participent à des cérémonies de qualité,
sont portés à les faire connaître dans leurs propres lieux de culte d’origine".
La célébration de la Pénitence
267. Pour de nombreux fidèles, la visite du sanctuaire est une occasion particulièrement
favorable, et qui équivaut souvent à une recherche très ardente, de s’approcher du
sacrement de Pénitence. Il est donc nécessaire de préparer avec soin les différents
éléments qui font partie de ce sacrement. Parmi ces derniers, on peut citer, en
particulier:
- La préparation au sacrement: les fidèles ont souvent besoin d’être aidés dans
l’accomplissement de certains actes qui font partie du sacrement: ce soutien a surtout
pour but d’orienter leur cœur vers Dieu, "parce que la vérité de la Pénitence dépend
d’une sincère conversion". Il est donc utile d’organiser des rencontres de préparation,
qui sont proposées dans l’Ordo Paenitentiae, grâce auxquelles, par l’écoute et la
méditation de la Parole de Dieu, les fidèles sont conduits à célébrer fructueusement le
sacrement. Il convient du moins de mettre à la disposition des fidèles, des personnes
idoines qui puissent les aider, non seulement à préparer la confession de leurs péchés,
mais encore et surtout à éprouver un sincère repentir pour les fautes commises.
- Le choix du rite, afin de permettre aux fidèles de mieux prendre conscience de la
dimension ecclésiale du sacrement de Pénitence. Dans cette optique, la célébration du
Rite pour la réconciliation de plusieurs pénitents avec la confession et l’absolution
individuelle (seconde forme), à condition qu’elle soit préparée avec soin, ne devrait pas
constituer une exception, mais un fait normal; de telles célébrations devraient
notamment être organisées à des périodes déterminées ou à l’occasion de célébrations
particulièrement importantes de l’Année liturgique. En effet, "la célébration
communautaire manifeste plus clairement la nature ecclésiale de la Pénitence". La
réconciliation avec absolution générale, qui, par définition, ne comporte pas la
confession individuelle et intégrale des péchés, est une forme tout à fait exceptionnelle et
extraordinaire du sacrement de Pénitence, qui ne peut être considérée sur le même plan
que les deux autres formes ordinaires, comme s’il s’agissait d’une simple alternative; de
plus, la grande affluence des pénitents, à l’occasion de certaines fêtes et de pèlerinages,
n’est pas une condition suffisante pour justifier le recours à cette forme extraordinaire
du sacrement.
La célébration de l’Eucharistie
268. "La célébration de l’Eucharistie est le sommet et comme le foyer de toute l’action
pastorale des sanctuaires"; c’est pourquoi, il convient de lui prêter la plus grande
attention afin que son déroulement soit exemplaire, et qu’elle puisse conduire les fidèles
à une rencontre profonde avec le Christ.
Le rite doit se dérouler selon les indications de l’Ordo, en particulier "s’il y a là plusieurs
prêtres, chacun d’eux impose les mains sur quelques malades et fait l’Onction, en disant
la formule qui l’accompagne. Les prières sont dites par le seul célébrant principal".
La célébration des autres sacrements
- l’attention à la nature de chacun des sacrements; ainsi, par exemple, les sacrements de
l’initiation chrétienne, qui requièrent une longue préparation et ont pour effet
d’enraciner le baptisé dans la communauté ecclésiale, devraient être normalement
célébrés dans le cadre de la paroisse;
- l’assurance que la célébration de chacun des sacrements a bien fait l’objet d’une
préparation adéquate; les responsables d’un sanctuaire ne doivent pas notamment
s’engager à célébrer le sacrement de mariage sans avoir reçu auparavant l’autorisation
de l’Ordinaire ou du curé;
- l’évaluation sereine des multiples situations concrètes, qui sont souvent imprévisibles,
et pour lesquelles il n’est pas possible d’établir des normes rigides.
271. Le séjour dans un sanctuaire offre un temps et un lieu favorables pour la prière
personnelle et communautaire, et il est aussi une occasion privilégiée pour aider les
fidèles à apprécier la beauté de la Liturgie des Heures, et à s’associer à la louange
quotidienne que, au cours de son pèlerinage sur la terre, l’Église élève vers le Père, par le
Christ, et dans l’Esprit Saint.
Les recteurs des sanctuaires sont donc invités à prévoir des célébrations dignes et
festives de la Liturgie des Heures, spécialement celles des Laudes et des Vêpres, qu’ils
introduiront d’une manière opportune dans les programmes destinés aux pèlerins, en
leur suggérant de prier une partie ou la totalité d’un Office votif particulièrement lié au
sanctuaire.
272. Depuis les premiers siècles, l’Église a coutume de bénir les personnes, les lieux, la
nourriture et les objets. Toutefois, à notre époque, cette pratique se heurte à quelques
difficultés, à cause d’habitudes et de conceptions erronées profondément enracinées
dans la mentalité de certains groupes de fidèles. Les bénédictions constituent
néanmoins, dans le cadre des sanctuaires, une question d’ordre pastoral assez
importante; en effet, les nombreux fidèles, qui se rendent dans ces lieux pour implorer
la grâce et l’aide du Seigneur, ainsi que l’intercession de la Mère de la miséricorde et des
Saints, demandent souvent aux prêtres de leur accorder les bénédictions les plus variées.
Dans le but de guider les recteurs des sanctuaires dans la pastorale des bénédictions, les
orientations suivantes leur sont donc adressées:
- ils sont tenus d’appliquer progressivement et patiemment les principes contenus dans
le Rituale Romanum, qui concourent tous à faire en sorte que les bénédictions soient
perçues avant tout par les fidèles comme des expressions authentiques de la foi en Dieu,
dispensateur de tous biens;
- ils doivent mettre en évidence d’une manière adéquate - quand cela s’avère possible -
les deux moments qui constituent "la structure typologique" de toute bénédiction: d’une
part, la proclamation de la Parole de Dieu, qui donne un sens au signe sacré, et, d’autre
part, la prière, par laquelle l’Église loue Dieu et l’implore de lui accorder ses bienfaits,
comme le rappelle aussi le signe de la croix tracé par le ministre ordonné.
- ils doivent opter pour une célébration communautaire de préférence à une célébration
individuelle ou privée, et encourager les fidèles à participer activement et consciemment
à cette bénédiction.
273. Il est souhaitable que, durant les périodes de grande affluence de pèlerins, les
recteurs des sanctuaires prévoient, durant la journée, des moments particuliers réservés
aux célébrations des bénédictions; ils les organiseront de telle manière que les fidèles
puissent comprendre la vraie signification des bénédictions, et qu’ils prennent
l’engagement d’observer les commandements de Dieu, afin que leur vie corresponde aux
exigences qui résultent d’une demande de bénédiction.
Les éléments essentiels du message évangélique doivent être proposés, d’une manière
directe ou indirecte, au fidèle qui se rend dans un sanctuaire: on peut citer, en
particulier, le contenu du discours sur la Montagne, qui est un programme de vie,
l’annonce joyeuse de la bonté et de la paternité de Dieu et de sa providence
miséricordieuse, le commandement de la charité, la signification rédemptrice de la croix,
et le destin transcendant de toute vie humaine.
- "dans l’accueil et l’hospitalité réservés aux pèlerins, surtout les plus pauvres, à qui sont
offerts, dans la mesure du possible, des lieux et des structures pour se reposer;
- dans la disponibilité et le service de tous ceux qui se rendent dans le sanctuaire: fidèles
érudits et peu instruits, pauvres et riches, compatriotes et étrangers".
276. Tout en étant un lieu de culte, il n’est pas rare que le sanctuaire soit aussi par nature
un "bien culturel": en effet, dans ses différents éléments, il constitue comme la synthèse
des nombreuses manifestations de la culture locale: témoignages historiques, œuvres
d’art, documents littéraires, expressions musicales typiques.
Le sanctuaire est donc souvent un point de référence sûr qui permet de définir l’identité
culturelle d’un peuple. Et puisque le sanctuaire réalise une synthèse harmonieuse entre
la nature et la grâce, la piété et l’art, il peut se présenter aussi comme une expression
privilégiée de la via pulchritudinis par la contemplation de la beauté de Dieu, du mystère
de la Tota pulchra, et de la merveilleuse proximité des Saints.
De même, il faut noter la tendance, toujours plus forte, de faire du sanctuaire un "centre
culturel" spécifique, c’est-à-dire un lieu où se tiennent des cours et des conférences, et
dans lequel sont promues des initiatives intéressantes dans le domaine de l’édition; il est
aussi un endroit où sont organisées des représentations sacrées, des concerts, des
expositions et d’autres manifestations artistiques et littéraires.
Les recteurs des sanctuaires sont donc appelés à aider les pèlerins à mieux prendre
conscience de cet "œcuménisme spirituel", dont parlent le décret conciliaire Unitatis
redintegratio et le Directoire œcuménique; en effet, les chrétiens doivent toujours avoir
présent à l’esprit le but ultime de réaliser l’unité, en manifestant ce désir dans la prière,
la célébration eucharistique et la vie quotidienne. Il convient donc que, dans les
sanctuaires, la prière pour l’unité des chrétiens soit intensifiée pendant certaines
périodes de l’Année liturgique, en profitant, en particulier, de l’occasion donnée par la
semaine de prières pour l’unité des chrétiens, et aussi durant les jours qui séparent
l’Ascension de la Pentecôte, pendant lesquels les chrétiens évoquent la communauté de
Jérusalem réunie dans la prière et dans l’attente de la venue de l’Esprit Saint, qui est
destinée à la confirmer dans l’unité et dans sa mission universelle.
De plus, les recteurs des sanctuaires sont incités à saisir toutes les opportunités qui
peuvent se présenter pour organiser des rencontres de prières entre les chrétiens des
diverses confessions. Durant ces rencontres, qui doivent être préparées avec soin et en
commun, il convient de donner la première place à la Parole de Dieu, et de mettre en
valeur les manières de prier, qui sont propres aux différentes confessions chrétiennes.
Selon les circonstances, il peut être opportun de prêter attention aux membres des
autres religions, même si cette démarche doit demeurer exceptionnelle: de fait, il arrive
que des sanctuaires soient fréquentés par des non-chrétiens; ces derniers les visitent, car
ils sont attirés par les valeurs propres du christianisme. Il importe donc que les actes du
culte chrétien, qui se déroulent dans les sanctuaires, soient strictement conformes avec
l’identité catholique de ces lieux, sans jamais cacher ce qui appartient en propre à la foi
de l’Église.
278. Dans les sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, l’engagement œcuménique présente
des aspects particuliers. En effet, sur le plan surnaturel, sainte Marie, qui a donné
naissance au Sauveur de tous les peuples, et fut à la fois le modèle et le premier des
disciples du Christ, exerce certainement une mission de concorde et d’unité à l’égard des
disciples de son Fils; cela explique pourquoi l’Église catholique la salue sous le vocable
de Mater unitatis. En revanche, sur le plan historique,la figure de Marie a été souvent à
l’origine de polémiques et de divisions entre les chrétiens, du fait d’interprétations
diverses de son rôle dans l’histoire du salut. Toutefois, il faut reconnaître que, de nos
jours, le dialogue œcuménique s’avère particulièrement fructueux dans le domaine de la
mariologie.
Le Pèlerinage
279. Le pèlerinage est une pratique religieuse universelle, et aussi une expression
typique de la piété populaire; il est étroitement lié au sanctuaire, dans la vie duquel il
constitue un élément indispensable: en effet, il est possible d’affirmer que le pèlerinage a
besoin du sanctuaire, tout comme, inversement, le sanctuaire a besoin du pèlerinage.
Les pèlerinages bibliques
280. Dans la Bible, il convient tout d’abord de mettre en évidence, à cause de leur
symbolisme religieux, les pèlerinages des patriarches Abraham, Isaac et Jacob à Sichem
(cf. Gn 12, 6-7; 33, 18-20), Béthel (cf. Gn 28, 10-20; 35, 1-15) et Mambré (Gn 13, 18; 18, 1-
15), où Dieu se manifesta à eux et promit de leur donner la "terre promise".
La montagne sur laquelle Dieu se révéla à Moïse (cf. Ex 19-20), le Sinaï, devint, pour les
tribus des Hébreux, qui avaient fui l’Égypte, un lieu sacré; puis, la traversée du désert du
Sinaï prit pour eux l’aspect d’un long pèlerinage, qui devait les conduire jusqu’à la terre
promise: ce voyage était béni de Dieu, qui marchait avec son peuple, le guidait et le
protégeait du milieu de la Nuée (cf. Nb 9, 15-23); les signes de sa présence étaient l’Arche
de l’Alliance (Nb 10-33-36) et la Tente de la Rencontre (cf. S. 7, 6).
Jérusalem devint le siège du Temple et de l’Arche de l’Alliance, et elle fut considérée par
les Hébreux comme leur ville-sanctuaire, ainsi que le but par excellence du "saint
voyage" tant désiré (Ps 84, 6), durant lequel le pèlerin avançait "parmi les cris de joie et
les actions de grâce de la multitude en fête" (Ps 42, 5), jusqu’à la "demeure de Dieu", afin
de se tenir en sa présence (cf. Ps 84, 6-8).
Trois fois par an, les hommes, qui étaient membres du peuple d’Israël, devaient "se
présenter devant le Seigneur" (cf. Ex 23, 17), c’est-à-dire qu’ils étaient tenus de se rendre
au Temple de Jérusalem: cela donnait lieu à trois pèlerinages à l’occasion de la fête des
Azymes (la Pâque), des Semaines (la Pentecôte) et des Tentes; de même, toutes les pieuses
familles israëlites ne manquaient pas de se rendre dans la cité sainte pour la célébration
annuelle de la Pâque; c’est ce que faisait aussi la famille de Jésus (cf. Lc 2, 41). Durant sa
vie publique, Jésus se rendit régulièrement en pèlerinage à Jérusalem (cf. Jn 11, 55-56). Il
faut noter, à ce propos, que l’évangéliste Luc présente l’action rédemptrice de Jésus
comme un pèlerinage, qui révèle le mystère de sa personne (cf. Lc 9, 51-19, 45); en effet,
le but intentionnel de la mission du Seigneur est la cité messianique, Jérusalem; elle est
le lieu de son sacrifice pascal et le terme de son exode vers le Père: "Je suis sorti du Père,
et je suis venu dans le monde; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père" (Jn
16, 28).
Enfin, il convient de noter que l’Église commence son itinéraire missionnaire à l’occasion
d’un rassemblement d’un grand nombre de pèlerins à Jérusalem, qui étaient "des juifs
fervents issus de toutes les nations qui sont sous le ciel" (Ac 2, 5).
Le pèlerinage chrétien
281. Les chrétiens considèrent qu’il n’existe plus aucun lieu de pèlerinage, dans lequel ils
ont l’obligation de se rendre; en effet, d’une part, Jésus a dévoilé le mystère du Temple en
l’attribuant à sa propre personne (cf. Jn 2, 22-23), et, d’autre part, il est passé de ce
monde vers le Père (cf. Jn 13, 1), en accomplissant lui-même l’exode définitif: ainsi,
désormais, toute la vie des disciples du Christ est une marche vers le sanctuaire céleste,
et l’Église elle-même est consciente d’être "en pèlerinage sur la terre".
Il reste que les accointances indéniables existant entre, d’une part, la doctrine du Christ
et, d’autre part, les valeurs spirituelles du pèlerinage ont incité l’Église, non seulement à
affirmer la légitimité de cette forme de piété, et même à l’encourager tout au long des
siècles.
282. Durant les trois premiers siècles, hormis quelques exceptions, le pèlerinage ne fait
pas partie des expressions du culte chrétien: l’Église craignait alors la diffusion, parmi
les baptisés, de coutumes religieuses issues du judaïsme ou du paganisme, où la pratique
du pèlerinage était à son apogée.
Toutefois, on note aussi, à cette époque, que, dans le contexte chrétien, de nouveaux
fondements sont posés, annonçant ainsi une reprise de cette pratique du pèlerinage: il
s’agit essentiellement du culte des martyrs; de fait, les chrétiens se rendent près des
tombeaux de ces témoins du Christ particulièrement exemplaires pour vénérer leurs
dépouilles mortelles; or, ce qui n’était au départ qu’une "pieuse visite" prendra
progressivement l’aspect d’un véritable "pèlerinage de dévotion".
Des basiliques sont bientôt édifiées sur les "lieux saints": ainsi, l’Anastasis, construite à
l’endroit du Saint Sépulcre, et le Martyrium sur le Mont du Calvaire, sont des édifices
particulièrement visités par les pèlerins, à cause de l’importance des événements du
salut qu’ils évoquent. Il en est de même des différents endroits où se sont déroulées
l’enfance du Sauveur et sa vie publique: ils sont eux aussi devenus des lieux de
pèlerinage, de même que, progressivement, les lieux saints de l’Ancien Testament, en
particulier le Mont Sinaï.
284. Le Moyen Âge est considéré comme l’âge d’or des pèlerinages: outre leur fonction
religieuse, leur rôle est décisif dans l’édification de la chrétienté occidentale, car ils
contribuent à amalgamer les divers peuples qui vivent sur le continent européen, en
stimulant leurs échanges réciproques sur le plan culturel.
Les lieux de pèlerinage sont alors nombreux. Tout d’abord, il faut citer Jérusalem, qui,
malgré l’occupation musulmane, continue à exercer une attraction spirituelle très
importante: ainsi, elle est à l’origine du phénomène des croisades, dont la cause et le
fondement étaient justement de permettre aux fidèles de se rendre en pèlerinage au
sépulcre du Christ; elle inspire aussi la vénération des reliques de la passion du
Seigneur: ainsi, la tunique, la sainte face, l’escalier saint (scala santa) et le linceul attirent
d’innombrables fidèles et pèlerins. Rome accueille aussi, à cette époque, de nombreux
pèlerins, qui viennent vénérer les tombes des apôtres Pierre et Paul (ad limina
Apostolorum), visiter les catacombes et les basiliques, et rencontrer le Successeur de
Pierre, en reconnaisant ainsi le ministère particulier que ce dernier exerce au service de
l’Église universelle (ad Petri sedem). De même, le pèlerinage de Saint-Jacques de
Compostelle est très fréquenté entre le IX et le XVI siècle, et encore de nos jours: les
pèlerins convergent vers ce lieu saint en suivant les nombreux "chemins" qui sillonnent
les différents pays européens; ce pèlerinage comporte divers aspects d’ordre religieux,
social et caritatif, qui sont complémentaires. Parmi les autres lieux de pèlerinage les plus
renommés, on peu encore citer: Tours, où se trouve le tombeau de saint Martin,
vénérable fondateur de cette Église; Canterbury, le lieu du martyre de saint Thomas
Becket, qui eut un grand retentissement dans toute l’Europe; le Mont-Gargan, dans les
Pouilles, Saint-Michel de Cluse dans le Piémont, le Mont Saint-Michel en Normandie, qui
sont dédiés à l’archange saint Michel; enfin, Walsingham, Rocamadour et Lorette, qui
sont des sanctuaires célèbres dédiés à la Vierge Marie.
La spiritualité du pèlerinage
286. En dépit des mutations qu’il a subies au cours des siècles, le pèlerinage conserve, à
notre époque, ses caractéristiques essentielles, qui déterminent sa spiritualité
particulière.
De plus, la longue marche d’Israël vers la terre promise, appelée l’exode, fait partie aussi
de la spiritualité du pèlerinage: le pèlerin sait que "la cité que nous avons ici-bas n’est
pas définitive" (He 13, 14), et c’est pourquoi au-delà du but immédiat du sanctuaire, il
avance, à travers le désert de la vie, vers le Ciel, qui est la vraie Terre promise.
La prière du pèlerin s’adresse très souvent à la bienheureuse Vierge Marie, aux Anges et
aux Saints, qu’il considère à juste raison comme des intercesseurs auprès du Très-Haut.
Les saintes images, qui sont vénérées dans le sanctuaire, sont des signes de la présence
de la Mère de Dieu et des Saints auprès du Seigneur dans la gloire, "qui vit pour toujours
afin d’intercéder en faveur des hommes" (He 7, 25), et qui est toujours présent dans la
communauté réunie en son nom (cf. Mt 18, 20; 28, 20). L’image sacrée, vénérée dans le
sanctuaire, qui représente le Christ, ou la Vierge Marie, ou encore les Anges ou les Saints,
est le signe de la présence divine et de l’amour providentiel de Dieu; c’est pourquoi ce
signe est saint. Cette image est aussi le témoignage des multiples prières qui se sont
élevées devant elle, de génération en génération: prières de supplications dans les
besoins, prières exprimant la douleur de celui qui est affligé, prières aussi de jubilation
et de remerciements de la part de celui qui a obtenu grâces et miséricorde.
Le déroulement du pèlerinage
287. À l’image du sanctuaire, qui a été défini comme un lieu de prières, le pèlerinage
peut être présenté comme un chemin, dont chaque étape est marquée et animée par la
prière. Durant ce parcours, qui mène au sanctuaire, la Parole de Dieu est destinée à
éclairer, guider, nourrir et soutenir le pèlerin.
La réussite d’un pèlerinage, tant du point de vue culturel que pour les fruits spirituels,
qu’il peut apporter au fidèle, dépend du bon ordonnancement des célébrations et de la
présentation appropriée de ses diverses phases.
Le départ du pèlerinage doit être marqué par un moment de prières, qui se déroule dans
l’église paroissiale ou dans un lieu plus adapté; il peut consister en la célébration de
l’Eucharistie ou d’une partie de la Liturgie des Heures, ou encore en une bénédiction
particulière des pèlerins.
La dernière étape du pèlerinage doit donner lieu à une prière plus intense; il est
souhaitable que, à l’approche du sanctuaire, le chemin soit accompli à pieds, et que des
prières et des chants accompagnent cette procession; les pèlerins ne manqueront pas de
s’arrêter près des édicules qui jalonnent éventuellement le trajet qui mène au
sanctuaire.
L’accueil des pèlerins peut donner lieu à une sorte de "liturgie du seuil"; celle-ci n’est pas
seulement destinée à souligner la dimension humaine de la rencontre entre les pèlerins
et les responsables du sanctuaire, mais elle doit revêtir une signification éminente au
niveau de la foi. De plus, il est souhaitable, si possible, que les responsables des
sanctuaires aillent eux-mêmes à la rencontre des pèlerins pour accomplir avec eux la
dernière étape du chemin.
La conclusion du pèlerinage doit être soulignée par un moment de prières, qui a lieu soit
dans le sanctuaire, soit dans l’église, d’où les pèlerins sont partis. Il est l’occasion pour les
fidèles de rendre grâces à Dieu pour le don du pèlerinage qui s’achève, et il leur permet
aussi de demander au Seigneur de les aider à mieux vivre leur vocation chrétienne à
leur retour à la maison.
Depuis les premiers siècles de l’Église, le pèlerin désire emporter avec lui des "souvenirs"
du sanctuaire qu’il a visité. Il convient de veiller à la qualité des objets, des images et des
livres, afin qu’ils soient en mesure de transmettre l’esprit authentique du lieu saint. Il
faut aussi veiller à ce que les points de vente, qui se trouvent dans l’enceinte du
sanctuaire, soient dépourvus de tout caractère mercantile.
CONCLUSION
Il revient aux Évêques, avec l’aide de leurs collaborateurs immédiats, spécialement les
recteurs des sanctuaires, d’établir des normes et de donner des orientations pratiques en
tenant compte des traditions locales et des expressions particulières de la religiosité et
de la piété populaire.