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Tire AFJ 5 3 Mbaye Mame

Le conte négro-africain, notamment à travers les Contes d'Amadou Koumba de Birago Diop, reflète la vie sociale et culturelle de l'Afrique en utilisant des éléments de parodie et de prosopopée pour illustrer les mœurs et les valeurs de la société. Ces récits, qui mêlent fantastique et humour, servent à transmettre des leçons morales et à revitaliser les traditions sénégalaises et africaines. En présentant des animaux anthropomorphes, Diop dépeint les défauts et qualités humaines, soulignant ainsi la complexité et la richesse de la culture africaine.

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Tire AFJ 5 3 Mbaye Mame

Le conte négro-africain, notamment à travers les Contes d'Amadou Koumba de Birago Diop, reflète la vie sociale et culturelle de l'Afrique en utilisant des éléments de parodie et de prosopopée pour illustrer les mœurs et les valeurs de la société. Ces récits, qui mêlent fantastique et humour, servent à transmettre des leçons morales et à revitaliser les traditions sénégalaises et africaines. En présentant des animaux anthropomorphes, Diop dépeint les défauts et qualités humaines, soulignant ainsi la complexité et la richesse de la culture africaine.

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Le conte négro-africain, un miroir de la société : le cas des Contes d’Amadou

Koumba de Birago Diop


Mame Alé MBAYE
Université Iba Der Thiam de Thiès
[email protected]

Résumé : Le conte fait partie intégrante de la tradition orale. C’est une histoire brève qui
raconte au passé les aventures fictives, fantastiques ainsi que les péripéties d’un personnage. Il
est à l’image de la société dont il s’inspire. Dans cette contribution, notre objectif consiste, à
partir des Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop, à justifier le reflet de la vie sociale dans
le conte africain pour dresser un tableau réaliste du monde rural africain. S’appuyant sur la
parodie et la prosopopée, l’auteur dresse un tableau réaliste du monde rural africain dans lequel
les vices, les qualités et les défauts qui caractérisent les animaux sont aussi le propre des êtres
humains. En outre, à travers le merveilleux et l’humour, il a su, non seulement, illustrer la
société dans toute sa complexité mais il a aussi et surtout restauré et redynamisé les cultures,
traditions, us, coutumes sénégalaises en particulier et africaines en général.
Mots -clés : Conte, tradition, parodie, société, réalité, fantastique.
Abstract: The tale is an integral part of oral tradition. It is a short narrative that recounts the
fictional and fantastic adventures of a character as well as the changes in his life. It is a reflection
of the society from which it draws inspiration. Using Birago Diop’s Contes d’Amadou Koumba,
our objective, in this contribution, is to justify the reflection of social life in the African tale and
depict a realistic picture of the African rural world. Relying on parody and prosopopoeia, the
author paints a realistic picture of the African rural world in which the vices, qualities and
defects that characterize animals are also specific to human beings. Furthermore, using the
supernatural and humor, he not only portrays society in all its complexity but, also and above
all, restores and revitalizes Senegalese cultures, traditions, habits, customs in particular and
African ones in general.
Keywords : Tale, tradition, parody, society, reality, fantasy.
Introduction
Le conte est un récit narratif en prose qui relate les aventures d’un personnage. Geneviève
Calame-Griaule nous explique en ces termes :
Le conte est un récit, une dramatisation, mettant en scène des personnages
imaginaires, humains, animaux ou surnaturels, et situant leurs aventures dans un
cadre imaginaire. Les personnages et le cadre du conte se superposent à ceux du
monde réel : on retrouve dans ce monde imaginaire du conte les relations familiale
et sociale, la géographie du monde réel, mais transposées (G. CALAME-GRIAULE,
G., 1978).

Cette définition suffit pour amorcer notre réflexion. Ainsi, en Afrique, les contes ont toujours
été très importants pour transmettre l'éducation aux valeurs essentielles des communautés et
intégrer la sagesse ancestrale. Il est en effet important de noter que ces contes ont toujours
fasciné les jeunes comme les adultes et qu'ils restent toujours inébranlables, même à l'ère du
réseau. C'est principalement à ce niveau que le lecteur se plonge dans une imagination dès qu'il
ouvre un livre, qui est sans doute l'un des nombreux faits réels qui ont captivé le célèbre écrivain

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Amadou Hampâté Bâ, pour qui : « entrer à l’intérieur d’un conte, c’est un peu comme entrer à
l’intérieur de soi-même. Un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image » (A.
H. BA, 1976).
En Afrique noire, chaque histoire a un sens, une valeur, voire une philosophie que seul
l'apprentissage dévoile. C'est la lecture d'un récit qui en est l'un des moyens. Ce proverbe fait
référence au miroir pour mettre en évidence cette image représentative des personnes qui
s'intéressent au conte. D'autre part, l'emploi du mot « image » permet de mettre en évidence que
le conte permet de représenter la manière dont un lecteur perçoit quelque chose. Ainsi, un conte
enseigne au lecteur qui, outre sa représentation des faits réels, s'identifie à son tour à un
personnage de la narration en fonction des faits ou des situations racontées. Notre objectif, dans
cette contribution, est de trouver, à travers le monde de la parodie et de la prosopopée, des
éléments qui justifient cette image du conte africain perçu comme miroir de la société.
Dès lors, il est de la responsabilité de chaque communauté humaine d'éduquer les jeunes, de
leur transmettre toute sa civilisation et sa culture. La transmission des contes, elle-même, joue
un rôle crucial dans la solidarité du groupe. Cette cohésion est renforcée par le contenu des
contes, qui contiennent de puissantes leçons de morale. Au même titre que Léopold Sédar
Senghor et Abdoulaye Sadji (1953), Birago Diop est l'un des écrivains engagés dans la
sauvegarde de la tradition orale. Quand on étudie les Contes d'Amadou Koumba (B. DIOP,
1958), on se plonge dans l'ambiance des veillées nocturnes en Afrique noire. En un mot, le
conte négro-africain soulève des questions qui interpellent l’humanité. Quelles sont ces
questions ? Quelle est la réponse du conte face à cette montée en puissance de la dégradation
des mœurs et à l'absence de repères ? Comment se fait-il que ces récits si anciens qu'on pourrait
croire archaïques nous parlent encore ?
En nous appuyant sur la théorie de la sociocritique et sur la méthode ethnosociologique, nous
allons aborder notre sujet sous deux angles qui, sans se contredire, se complètent. Ainsi, nous
aborderons « la représentation du quotidien » dans les Contes d’Amadou Koumba avant de nous
appesantir sur la dimension ludique de ces récits.
I. La représentation du quotidien
Le conte négro-africain francophone présente des éléments qui ne cessent de renvoyer le
lecteur à la réalité socio-culturelle de l’Afrique. Cette représentation fidèle des valeurs négro-
africaines est la préoccupation majeure des conteurs. En d’autres termes, le conte se distingue,
à l’image du roman et de la nouvelle, par la perception réaliste du quotidien des peuples
africains, en décrivant leurs mœurs, leurs souffrances, etc. et surtout en cherchant à mettre en
œuvre le patrimoine socio-culturel.

1.1. L’évocation des mœurs et des traditions


Le conte négro-africain de langue française apparait comme une source idéologique féconde
pour les conteurs qui s’intéressent le plus à son côté moraliste et didactique. D’ailleurs, selon
Pierre N’DA, sa première fonction est celle qui consiste à être au service de la société pour
corriger les mœurs (Pierre N’DA, 1984). Pour lui, le conte transmet des valeurs de la société,
enseigne le bien et le mal, invite au respect des règles de conduite à suivre pour le succès
personnel et pour l’intérêt commun. Il est « une alternative […] au chaos du monde » comme
l’explique Konan Yao Lambert en ces termes :

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Le conte africain est au service de la société ; il contribue à assurer sa survie. Moyen
de défense du groupe social, ce genre a un rôle de stabilisation. En cela, il constitue,
de par sa fonction cathartique et thérapeutique, le remède adéquat contre les travers
des humains. Utilisant le comique sous ses différentes formes, le conte donne des
enseignements propres à faciliter les rapports au sein de la communauté. Ainsi, par
le truchement du rire, les déviations d’ordre caractériel sont corrigées au profit du
vivre ensemble dans une sorte de mutualisme (KONAN, Y. L., 2017 : 1).
Ainsi, face à la dégradation des mœurs et à l’oublie des traditions, le conte reste une des
alternatives majeures pour sauver l’espèce humaine. Il permet de véhiculer des valeurs morales
et culturelles africaines. Sous cet angle, il apparaît comme une excellente source
d'apprentissage. C’est, en un mot, la vision du monde africain qui est décrite dans le conte. En
effet, comme la parole, il concerne la communauté. Il a pour fonction de représenter la pensée
et les valeurs collectives, atteignant ainsi des objectifs éducatifs, politiques et initiatiques. En
représentant les problèmes de la vie quotidienne, il assure la durabilité du groupe. Dans « Un
Jugement », il aborde des sujets tels que la hiérarchie, les tensions entre les générations, les
problèmes de polygamie, ainsi que la responsabilité des conjoints, en mettant l'accent sur le rôle
d'un mari et de son épouse dans la vie domestique. La mise en scène du quotidien et de ses
drames permet de réduire les tensions : c'est une catharsis grecque.
A travers cette remarque, l’on déduit que Birago Diop œuvre pour la réhabilitation des
valeurs culturelles du Sénégal et de l’Afrique. La transmission des coutumes, des traditions et
des récits de la famille et de la communauté est essentielle grâce à ses contes. Les enfants sont
initiés aux valeurs culturelles, aux rituels et aux pratiques qui influencent leur identité. Ils
enseignent également aux enfants les comportements à adopter dans la société et envers les
personnes âgées comme le révèle Viviane Azarian (2006 : 57) à travers les mots suivants :

Les mots-clés qui synthétisent le projet littéraire de Birago Diop : Conscience,


Nostalgie et Redécouverte de la tradition souligne en effet les trois intentions
majeures de l’écriture des Contes d’Amadou Koumba, dans cet effort de
réhabilitation culturelle de l’Afrique, Diop s’adresse aussi au lecteur africain chez
qui il veut éveiller la conscience de soi, il veut attester le dynamisme des cultures
africaines et leur capacité d’adaptation.
Autant les contes soutiennent les premiers apprentissages sociaux de l'enfant, autant ils
rappellent aux adultes leurs devoirs et leurs obligations envers leurs familles et leurs
communautés. En ce sens, la famille, cellule de base en Afrique, occupe une place dans ces
récits. Ces derniers invitent chaque maillon à jouer sa partition pour l’harmonie, l’équilibre et
l’unité du groupe. Dans ces conditions, des valeurs comme le pardon, l’hospitalité, la solidarité
et l’entraide… sont mises en avant pour promouvoir la cohésion familiale. Toutes les épreuves
imposées à Demba visent à lui rappeler ses devoirs envers sa famille et envers lui-même en sa
qualité de mari. L’absence de Koumba lui démontre à quel point la femme est essentielle dans
un foyer (« Le Jugement », pp. 25, 26, 27, 28). De plus, le bon fonctionnement d’une famille
dépend d’une bonne organisation hiérarchique des membres. La cohabitation entre les animaux
nous renvoie à la structure socio-culturelle de l’univers des humains. Ce maintien de l’harmonie
et de la cohésion sociale au sein de la communauté est enseigné par Mame Younouss Dieng à
travers son roman en langue wolof, Aawo bi : « na ndey di ndey, baay di baay, gune di doom»
(que le père soit papa, que la mère soit maman et que l’enfant soit un fils (ou fille).

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Il semble donc que Birago Diop se remémore de ses souvenirs personnels de son enfance,
dans la concession de sa grand-mère :
Dans la trame solide de ses contes et de ses sentences, me servant de ses lices sans
bravoures, j’ai voulu, tisserand malhabile, avec une navette hésitante, confectionner
quelques bandes pour coudre un pagne sur lequel grand-mère, si elle revenait, aurait
retrouvé le coton qu’elle fila la première ; et où Amadou Koumba reconnaîtra,
beaucoup moins vif sans doute, les colories des belles étoffes qu’il tissa pour moi
naguère (p.12)

Birago Diop explique sa rencontre avec Amadou Koumba Ngom à Kidira en 1937
(AZARIAN, V., 2006). Il l’évoque dans Plume raboutée-Mémoire I où il écrit : « C’est au cours
d’une tournée au confluent de la Falémé et du fleuve Sénégal qu’Amadou Koumba Ngom
m’apprit la lignée maternelle... » (Diop, 1978: 13)
C’est là où il fait la connaissance des animaux, où il apprend à décortiquer leur mode de
vie dont il se sert pour dénoncer la dégradation des mœurs chez les hommes :
Amadou Koumba m’a raconté, certains soirs – et parfois, de jour, je le confesse – les
mêmes histoires qui bercèrent mon enfance. Il m’n a appris d’autres qu’il émaillait
de sentences et d’apophtegmes où s’enferme la sagesse des ancêtres (p.11).

Le conte négro-africain est le reflet des mentalités, des pratiques et des comportements au
sein de la société. Comme chez les humains, les relations entre les animaux peuvent être
caractérisées par la haine et la méchanceté. Le rôle des animaux est très intéressant dans le cadre
du reflet de la réalité. C’est, d’ailleurs, le même trait caractéristique des fables d’Esope et de La
Fontaine. Ce monde animal est la reproduction de l’univers des humains. Les conteurs donnent
à ces animaux des attributs et des caractères humains. Ils pensent, sentent, s’expriment comme
les hommes. C’est l’anthropomorphisme. De tous les animaux évoqués par Birago Diop, le Lion
est « le roi de la brousse » (« La Lance de l’Hyène », p.87), l’autorité de la forêt. Il est aussi le
chef du clan des « N’Diaye ». C’est également lui « Bour-le-Roi », le justicier (« Tours de
Lièvre », p.108) Bouki-l’Hyène symbolise la fourberie, la sottise, la gourmandise et l’égoïsme.
Selon (Rolan Mercier ):

Ces rares succès sont acquis par la force brutale sur des animaux plus faibles que lui,
tels que Béy-la-Chèvre imprudemment aventurée dans la brousse (« Vérités
inutiles »). Il est en général victime de ses défauts, soit qu’il manque de mourir après
s’être fait planter des cornes sur la tête dans l’intention de devenir herbivore (« Bouki
herbivore ») (MERCIER, R., 1968, p.123).

Cette opération nous renvoie à la traque des biens mal acquis dans la vie réelle. Leuk-le
Lièvre, au contraire, est présenté comme le plus lucide, le plus astucieux et le plus malicieux.
Il trompe toujours Bouki-l’Hyène ou se venge de lui, à la moindre occasion : « sa politesse le
met souvent en péril mais au dernier moment son astuce lui permet d’échapper à la vengeance
de ses victimes » (MERCIER, R., 1968, p.123).

Mais, tous les deux représentent les grands bandits, vrais détourneurs de fonds publics,
voleurs, assassins et arnaqueurs de la pire espèce de l’époque moderne. Leur seule différence,
comme le souligne Roger Mercier, c’est que Bouki-l’Hyène se fait toujours avoir par manque
d’intelligence alors que, plus rusé, Leuk-le Lièvre s’en sort assez souvent. Sa malice lui permet
très souvent de renverser les tendances en faisant porter ses bêtises à Bouki-l’Hyène.

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Cet anthropomorphisme se poursuit également dans « Les Mauvaises compagnies » qui
mettent en scènes des personnages (crabe, rat, crapaud…) qui incarnent les vices les plus
sordides de l’être humain. Ces contes décrivent la cruauté, la traitrise et les vices des humains
comme la ruse, la paresse... Ces personnages sont, pour la plupart du temps, dans un extrême
égoïsme, contribuant à fragiliser les liens de solidarité, de fraternité et de cohésion sociale.
« Toute une galerie de personnages asociaux peuple les segments narratifs des contes », dit
Konan Yao Lambert. Dans « Les mauvaises compagnies I », Golo-le-Singe et Kakatar-le-
Caméléon se jouent de sales tours. Ayant été soupçonné de voler et boire le vin de palme que
N’Gor garde dans sa gourde, le Singe accuse le Caméléon pour se dédouaner. Mais, celui-ci ne
se laisse pas faire puisqu’il décide de se venger de son accusateur en accusant à son tour le
Caméléon d’être l’auteur. Dans « Le Jugement », Golo-le-Singe manipule ses partisans qui
occasionnent beaucoup de dommages dans le champ de pastèques de Demba comme on le
constate à travers ces propos :

Golo, le chef de la tribu des singes, avait un peu exagéré en visitant, cette nuit-là, le
champ de pastèque de Demba […] Lui et sa tribu avaient saccagé tout le champ. Ils
s’étaient conduits comme de vulgaires chacals ; et tout le monde sait que, si les
chacals passent pour les plus grands amateurs de pastèque que la terre ait enfantée,
ils demeurent également, jusqu’à nos jours, les êtres les plus mal élevés qui vivent
sous le soleil, ou plutôt sous la lune (p.21).

Furieux et très remonté, Demba déverse sa colère sur sa pauvre femme :

Golo avait exagéré, c’est entendu, et Demba n’avait pas été content, le matin, en
découvrant l’étendue des dégâts faits dans son champ ; mais de là à passer sa colère
sur Koumba, il y avait un fossé. Ce fossé, cependant, Demba franchi en même temps
que le seuil de demeure (p.22).

En effet, le tort que Golo et sa bande ont fait subir à Demba des conséquences imprévisibles,
comme pour dire que le malheur n’arrive jamais seul : sur un excès de colère et de désespoir, il
prononce la phrase extrême : « Retourne chez ta mère, je te répudie » (p.22). Dans la réalité,
Golo représente ce berger qui, voulant paître son troupeau, s’introduit dans le champ d’autrui,
détruisant tout sur son passage. Ce sont des pratiques qui existent au Sénégal, surtout chez
l’ethnie haalpulaar. Et, le pire est que ces moments se soldent très souvent par des remontées
de colère avec des dénouements tragiques.

Le conte sénégalais, dans le souci de refléter nos réalités, explique également l’impossibilité
de changer la nature profonde des êtres ainsi que la nécessité de retenir sa langue. C’est ce que
révèle « Fari l’ânesse ». La famine et la sécheresse ravagent le pays des ânes. Après plusieurs
séances de palabres, la reine Fari décide de quitter cette terre où il manque de tout pour un
endroit plus prometteur :

Après des conseils et des palabres interminables, il fut décidé que la reine Fari et des
courtisanes s’en iraient à la recherche de terres moins désolées, de régions plus
hospitalières, de pays plus nourriciers (p.14)

C’est ainsi qu’elles arrivent au royaume de N’Guer où habitent des hommes et où les récoltes
semblent plus florissantes. Pour s’y installer et profiter de la vie, Fari se transforme en femme
et se baigne avec ses compagnes avant d’être remarquées par le roi. Celui-ci, séduit par sa
beauté qui la distingue des autres, finit par faire d’elle « son épouse favorite » (p.16). Mais, les
jours passent et, comme « l’habitude est une seconde nature », elle commence à s’ennuyer et

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éprouve un besoin fou de retrouver leur nature et de faire des choses d’âne : « braire et péter,
se rouler par terre, ruer… » (p.16). Or, elle résiste à l’envie malgré la tentation qui monte :
malheureusement, elle finit par demander la permission au roi afin de se rendre au lac pour se
baigner. Elle en fait une routine puisque tous les soirs, au crépuscule, elles s’y rendent avec le
prétexte de faire en même temps des corvées (laver « les calebasses, les marmites et tous les
ustensiles sales » [p.16]). Là, elles font toutes leurs bêtises jusqu’au jour où elles se font
démasquer par Narr-le-maure qui alerte le roi. Celui-ci découvre la réalité un peu plus tard
(p.19).
Ceci serait à l’origine de la malédiction qui touche les ânes : « Et c’est depuis N’Guer et
depuis Fari, que les ânes peinent à coups de triques et trottent, chargés, par tous les chantiers,
sous le soleil et sous la lune » (p.19). Dans « Les Mamelles », Birago Diop retrace la genèse
des deux collines de Ngor, à Dakar (p.40).

Birago Diop s’attaque également à la fausse amitié caractérisée par des tromperies et des
coups bas de tout genre. Dans ces relations de façade, la trahison est une règle. C’est la
thématique de « Les mauvaises compagnies IV », conte dans lequel la trahison et la vengeance
sont au menu. Yambe-l’Abeille invite M’Bott-le-Crapaud à venir partager le repas ensemble
(pp.82-83) Ce qu’il accepte mais, à sa grande surprise, au lieu d’être reçu comme le voudrait la
coutume, avec beaucoup d’hospitalité, l’Abeille se moque de son « ami » en lui reprochant
d’avoir des mains sales (pp.83-84). Cette humiliation, difficile à supporter, oblige le Crapaud à
prendre sa revanche en invitant son camarade à son tour (pp.84-85). Cette faute amitié n’est
que le fruit d’une hypocrisie qui aveugle certaines personnes.

Tous ces vices sont d’une extrême gravité et sont aux antipodes des valeurs culturelles
africaines. Ils sont nuisibles à la société et constituent des freins au développement personnel
et à la cohésion sociale du groupe.

Toutefois, derrière cette image peu reluisante incarnée par certains animaux, Birago Diop
veut inviter les Sénégalais à beaucoup œuvrer pour la solidarité et à s’inspirer des vrais modèles
de bonnes conduites, car c’est dans l’union qu’ils deviennent forts. Dans ces conditions, il met
l’accent sur le sens du partage et sur la collectivité. En Afrique traditionnelle, le bien d’une
personne est celui de tout le monde. L’égoïsme n’a pas sa place dans les relations
interpersonnelles. L’on se rappelle de la générosité de Madiakhaté-Kala qui reçoit tout le
monde, même des personnes aux comportements insupportables comme Demba, l’homme qui
a violenté et répudié sa femme sous un excès de colère (p.29). De plus, face à la famine qui
affame tous les membres de la communauté, Gaindé-le-Lion se montre très généreux en venant
au secours de la population.
Tel est le sens de la vie communautaire. Le caractère de la communauté réside dans ce qui
est commun. C'est un groupe d'individus, qui vivent ensemble, qui partagent des intérêts et qui
ont des objectifs partagés. Il semble que cette valeur inspire tous, car l'individu ne vit pas pour
lui-même, mais pour la communauté, il doit être serviable, collaboratif et généreux. Ses actions
doivent être à la fois sociales, bénéfiques pour tous et pleines de sagesse.

1.2. La transmission d’une sagesse

En Afrique, le conte ne se limite pas à une fonction ludique ou divertissante que certains
auteurs mettent en avant comme la seule existante. Le conte est également l'apprentissage du
comportement quotidien, le moyen de transmettre une sagesse concrète. Selon un proverbe
wolof, « toutes les chansons des Wolofs sont des plaisanteries. Tous leurs récits sont empreints

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de philosophie profonde ». C'est cette philosophie profonde que nous tenterons de mettre en
évidence dans les Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop.
Justement, l’une des fonctions du conte sénégalais est d’édifier les membres de la
communauté auxquels il s’adresse. Dans « Penda » (1935), Ousmane Socé s’attaque aux jeunes
filles capricieuses qui s’expriment à travers la quête de l’impossible (DIATTA, A., 2020). De
même, à travers le jugement chez Madiakhaté Kala, Birago Diop cherche à transmettre une
sagesse purement sénégalaise. Demba répudie sa femme et refuse de le reconnaitre en public.
Mais, grâce à une astuce oratoire très prisée des Sénégalais, le sage finit par connaitre la vérité
et prononce le divorce devant l’assistance. Après l’échec des sages du village (p.26), Demba et
Koumba part à la quête d’un savant pouvant régler leur différend. Après plusieurs jours de
recherche, ils finissent par atterrir à Maka-Kouli, un village habité par des musulmans très
ancrés dans leurs traditions et très versés dans les sciences islamiques et coraniques. Dans ce
village, le chef ordonne à sa famille de traiter convenablement les hôtes en attendant le
lendemain pour statuer sur leur sort. Au jour tant attendu, le marabout fait exprès de les avoir
oublié et continue ses activités comme d’habitude. Puis, tard, dans la journée, il revient avec
une question piège : « Où est l’homme qui a répudié sa femme ? », Demba répond : « Me voici
[…] » (pp.28-29). Ainsi marque la fin du jugement et annonce le verdict : « Homme, ta langue
a, enfin, devancé ton esprit et ta bouche a consenti à dire la vérité. "Dites à sa femme de
retourner tranquillement chez sa mère, son mari a reconnu devant nous tous qu’il l’avait
répudiée" » (p.30).
Cet épisode est resté mémorable comme le confirme la phrase suivante : « Voilà pourquoi,
dit Amadou Koumba, l’on parle encore chez nous du jugement de Madiakhaté-Kala » (p.30).
Dans sa dynamique de reproduire le réel, le conte sénégalais enseigne la vie. Maman-Caïman
(pp.52-53) apprend à ses petits la philosophie de la vie en les invitant à rester attentifs pour
mieux appréhender le monde qui n’est pas toujours comme on le croit être. Malheureusement,
ils n’ont pas obéi aux sages conseils de leur maman. De même, dans « L’Héritage », les trois
de Samba décident d’entreprendre une quête initiatique qui les conduit vers un pays mystérieux
et mythique, où vit Kém Tanne, « l’homme qui savait tout » (p.165). Parmi les enfants, il y a
un qui se distingue par son intelligence et sa capacité à déchiffrer les mystères de l’existence.
Il explique à ses frères les vraies valeurs de la vie. Après qu’ils aient expliqué l’objectif de leur
visite, Kème Tanne révèle à Momar, à Moussa et à Birame la signification de ce qu’ils ont vu
sur le chemin de l'initiation avant de leur dire :
"Retournez chez vous, rependez vos outres, qui ne renferment que l’image
des vrais biens. Ton or, Moussa, ne représente pas plus – ni moins – que le
sable de Momar et que les cordes de Birame (tes femmes n’en seront pas
meilleures parce qu’elles auront colliers et bracelets, pas plus que la bride ne
fait pas le coursier)". "Retournez chez vous, rependez vos outres et n’oubliez
rien de ce que vos yeux ont vu, de ce que vos oreilles ont entendu et continuez
le labeur de votre père" (p.171).
Dans cette même veine qui consiste à enseigner la vie, le conte s’intéresse aux relations
interpersonnelles dont le socle est régi par le respect mutuel et la confiance réciproque. C’est le
thème principal dans « N’Gor-Niébé ». L’histoire est une vraie philosophie de la vie. La sagesse
sénégalaise recommande la discrétion. Etre discret, c’est avoir la capacité de garder des secrets.

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Tout le monde au village sait que N’Gor Sène ne mange pas de haricots (p.44). D’ailleurs,
ce refus lui vaut le surnom de « Celui-qui-ne-mange-pas-de-haricots » (p.44). Devant une telle
attitude bizarre, ses camarades décident d’engager les services d’une belle et jolie fille afin de
séduire N’Gor et l’obliger à manger de haricots :
N’Dèné, nous te donnerons tout ce que tu voudras : boubous, pagnes, argent et
colliers, si tu arrives à faire manger des niébés à N’Gor qui commence vraiment à
nous étonner, nous ses frères, car il ne nous explique même pas les raisons de son
refus. Aucun interdit n’a touché sa famille concernant les haricots (p.45).

Ayant deviné la manœuvre orchestrée et surtout vue le changement de sa fiancée qui est
devenue, d’un seul coup, plus attirante, plus romantique et plus attentionnée que d’habitude
(p.45), N’Gor se pose des questions dont le dénouement confirme sa méfiance de voir son secret
s’effriter dans tout Diakhaw :

N’Dèné, il est dans Diakhaw une personne à qui tu donnerais ton nez pour qu’elle
vive si elle venait à perdre le sien, une personne dont le cœur et le tien, une personne
dont le cœur et le tien ne font un, une amie pour laquelle tu n’as aucun secret, une
seule personne à qui tu te confies sincèrement ?

Cette question pleine de sagesse mettra à jour le complot ourdi contre lui puisque N’Dèné
va citer Thioro qui cite N’Goné quand la même question lui est posée. Celle-ci cite Djégane
comme étant l’amie à qui elle confierait tout. Djégane, à son tour, révèle le nom de son amie
intime, en l’occurrence Sira qui amène Khary et ainsi de suite, jusqu’à ce que N’Gor soit
« entouré de douze femmes venues appelées l’une par l’autre » (p.47). C’est pourquoi, N’Gor
conclut par un refus catégorique de céder à la demande de sa fiancée. Plus tard, dans la soirée,
il se rappelle de cette sagesse de Kocc Barma Fall qui dit : « donne ton amour à une femme
mais non ta confiance » (p.47).
Ces contes démontrent également l'importance de la parole et de sa bonne utilisation en
Afrique traditionnelle. Il est important de faire preuve de sagesse en devisant de manière saine
et en utilisant des proverbes, ce qui est souvent mentionné par les personnes âgées, et de
nombreux contes se concluent par ces proverbes. Ils acquièrent et adhèrent à l'éthique. Les
personnes âgées sont perçues comme des sages, en raison de leur expérience de vie. Ils sont
généralement connus lors des différents événements qui lient les individus. Dans les Contes
d'Amadou Koumba, le caïman s'adresse à la vache en lui disant : « Nagg, toi qui es si âgée et
qui possède la sagesse, peux-tu nous dire si le paiement d’une bonne action est une bonté ou
une méchanceté ? » (« Le Salaire », p.101)
Justement, la sagesse africaine est souvent contenue dans ces paroles codées. Sentant la
menace sur ses enfants, Maman Caïman les exhorte à s’éloigner le plus possible car, pour elle
« l’herbe sèche peut enflammer l’herbe verte » (p.55). Ce sentiment de prudence et de méfiance
doit animer toute personne ayant la lourde responsabilité de protéger sa progéniture. Le
dénouement de l’histoire donne raison à la génitrice.
Les contes de Birago Diop abordent donc une philosophie pratique, une éthique quotidienne
dans d’autres proverbes. On peut en citer très rapidement :
- « Qui suspend son bien déteste celui qui le regarde en haut » (« La Calebasse de Kouss »,
p.155), un proverbe qui met en évidence l’importance de la discrétion.
- « Kou yague dème, yague guisse » (sic, « qui marche longtemps voit beaucoup »,
« L’Héritage », pp. 166, 167 et 168). Ces paroles illustrent la valeur pédagogique, formatrice
de l’initiation. Le voyage est un grand formateur.

125
Bref, le sens de la sagesse de ces contes réside surtout à travers la dédicace du recueil. Birago
Diop dit : « A mes filles […] pour qu’elles apprennent et n’oublient pas que l’arbre ne s’élève
qu’en enfonçant ses racines dans la Terre nourricière ». Cette phrase, à elle seule, résume la
portée de ces contes.
II. Le caractère ludique du conte
Le conte est l'un des domaines littéraires qui suscite un intérêt scientifique croissant. Son
rôle d'art de la parole « traditionnel » a même été remis en question et il s'est intéressé aux arts
vivants du spectacle et de l'audiovisuel de la société moderne. Le ludisme (du latin ludus) est
un terme latin qui désigne le jeu et qui fait référence au comportement d'une personne qui
cherche à jouer dans toutes les situations. En littérature, la fonction ludique peut être utilisée
pour offrir une approche éducative en s'amusant. Le texte va inclure des aspects de jeu ou des
aspects comiques tout en cherchant à éduquer la communauté. La littérature orale peut
également jouer un rôle ludique en représentant une dimension de divertissement. C'est ainsi
qu'elle punit les mœurs en riant. C’est pourquoi, nous traiterons les éléments merveilleux,
fantastiques et l’humour.
2.1. Le recours aux éléments merveilleux et fantastiques
Le merveilleux émerge lorsque le surnaturel s’entrelace avec la réalité. En effet, les histoires
fantastiques transportent le lecteur dans un monde régi par des lois qui ne sont pas celles qui
font fonctionner notre univers. Cependant, ce monde surnaturel n’étonne ni le personnage ni le
lecteur. En illustration, on peut donner le cas des animaux qui parlent dans les Contes d’Amadou
Koumba mais cette prise de parole ne surprend pas les personnages.
Il est donc nécessaire de différencier le merveilleux du fantastique. En effet, le surnaturel est
présent dans le fantastique, mais à la différence du merveilleux, le personnage et le lecteur sont
étonnés par son apparition. Le surnaturel n'est donc pas admis dans le fantastique, alors qu'il
l'est dans le merveilleux. C’est l’avis de Florence Paravy qui écrit :
Nous employons ici, faute de mieux, le terme de “fantastique” au sens large,
signalant ainsi que les textes font intervenir des forces surnaturelles dans le monde
des hommes. L’appellation reste cependant très imparfaite dans la mesure où la
relation à l’au-delà, à l’invisible est forcément très différente en Afrique de ce qu’elle
peut être chez les écrivains occidentaux qualifiés de “fantastiques”. Si l’intrusion du
surnaturel dans l’univers quotidien est chez ces derniers foncièrement “hors-
normes”, si elle constitue la plongée dans une menaçante altérité, une “inquiétante
étrangeté”, il n’en va sans doute pas de même chez les romanciers africains, dont les
cultures n’ont pas encore creusé de fossé infranchissable entre rationnel et
irrationnel, visible et invisible (PARAVY, F., 1999 : 52).

Dans son effort de systématisation, Xavier Garnier emploie la notion de « magie » pour
mettre l’accent sur ce qui « concerne les transactions entre le monde visible et un monde
invisible immanent » (GARNIER, X., 1999 : 3).
Le conte africain francophone repose principalement sur ces deux éléments en ce sens qu’il
est souvent l’opposé du monde réel : il s’agit un univers où tout est possible. Le réel et l’irréel
coexistent. Ainsi, l’impossible n’existe pas dans cet univers : on ne doit pas s’étonner de voir
des animaux qui parlent et agissent comme des humains. La mention du rapport que l'homme
entretient avec le monde invisible est très fréquente dans les Contes d'Amadou Koumba : La
connexion étroite entre la réalité pratique et la sphère du suprasensible est développée à travers

126
différentes pratiques. Ainsi, l'aspect culturel et religieux joue un rôle essentiel dans la
compréhension de la vision du monde africain.
Dans ces contes de Birago Diop, le merveilleux est omniprésent : c’est l’histoire d’une
Afrique mythique, avec ses réalités, qui est évoquée. L'alliance entre l'homme, le naturel et le
surnaturel, l'animisme de l'univers, l'absence de limite entre la vie et la mort, les animaux ayant
des caractères et des faiblesses humaines. La magie est présente partout dans certains contes
comme « Les mamelles », une histoire étiologique qui explique la naissance des Mamelles du
Cap-Vert, avec des effets réalistes. Dans cette histoire, une femme bossue prend part à la soirée
dansante des filles-génies, organisée un vendredi de pleine lune. Elle profite du désordre pour
se décharger de sa bosse en croyant avoir porté sur son dos un enfant. Mais, quand une autre
veut imiter son geste, la fille-génie lui ajoute la première bosse. Dans le chagrin, la femme s'est
jetée à la mer et ses deux bosses se transforment en « Mamelles » (p.41), les deux collines du
Cap-Vert. Il est dangereux de s'endormir à l'ombre de ces arbres à certaines heures, car les
génies, les kouss, s'abritent souvent dans les branches des tamariniers (« Les Calebasses de
Kouss », p.162).
La place du merveilleux, du fantastique et de la magie dans la société africaine et, par
conséquent, dans le conte, est étroitement liée aux croyances traditionnelles. Le 20 octobre
1957, dans sa « Préface » aux Nouveaux contes d’Amadou Koumba, Léopold Sedar Senghor
écrit : « En Afrique Noire, toute fable, voire tout conte, est l’expression imagée d’une vérité
morale, à la fois connaissance du monde et leçon de vie sociale ».
On peut décrire ces éléments de la nature comme ayant un impact sur la réalité afin de rétablir
un équilibre défectueux ou en tant qu'intermédiaires entre les forces supérieures. En outre,
l'homme et la nature faisant partie d'un même réseau d'unité cosmique, il est possible d'établir
une communication de type mystique entre eux, permettant à l'homme d'entrer en contact avec
la dimension de l'invisible et de bénéficier des forces qui se dissimulent dans tout ce qui
l'entoure. Les arbres, les forêts, les lacs et les rivières, aucun élément de la nature ne manque
de la même vitalité qui anime l'homme. Avec une sorte de force dissimulée, ces éléments
paraissent parfois avoir une volonté individuelle. La cohabitation entre Malal-Poulo, le berger
et les animaux de la brousse dont Gaindé-le-Lion, Bouki-l’Hyène et Sègue-la-Panthère en dit
long (« La Lance de l’Hyène », pp.87-88). Le merveilleux se situe également dans ce
renversement de situation : ce ne sont plus les hommes qui ont peur des bêtes, mais l’inverse
(p.88). Dans « Le Salaire », Goné-l’enfant sauve Diassigue-le-Caïman d’une mort certaine en
le portant jusqu’au fleuve malgré les mauvaises intentions de celui-ci qui veut le manger
(pp.100-101).
La nature est ainsi personnifiée : elle manifeste ses actions à la manière de l'homme, avec
ses réactions et ses méthodes de transmission des savoirs. La plupart des personnages de Birago
Diop choisissent la forêt pour se métamorphoser. C’est le cas de Fari-l’ânesse (p.19), de M’bile-
la-Biche et les animaux de la brousse (« La Biche et les chasseurs ») qui prennent l’apparence
de jolies femmes afin de piéger le chasseur de N’Dioumane. Khary Gaye, envieuse et jalouse,
se jette dans la mer et donne naissance aux collines, appelées « Les Mamelles ».
Ceci dit, dans l’univers des Contes d’Amadou Koumba, il n’existe aucune démarcation entre
l’humain, le végétal, l’animal et le surnaturel : tous cohabitent. Les êtres humains se
transforment comme les animaux se parlent entre eux et communiquent avec les hommes
(« L’Héritage », p.168). Cette vision globale de l'univers est tellement harmonieuse dans ces

127
récits. Ils se présentent comme une exploration de l'irréel mais vécue comme une réalité.
Léopold Sédar Senghor, dans la « Préface » aux Nouveaux contes d’Amadou Koumba souligne
cette vision de l’univers africain en ces termes :
Ici non plus, il n’y nulle frontière entre les hommes. Tout vit, tout possède une âme :
l’astre, le caillou. C’est l’animisme négro-africain. Chaque être doué de caractères
sensibles se fait homme qui participe de Dieu, qui a gardé une partie de sa
merveilleuse puissance (1967 : 19).

Cependant, malgré cette relation entre le visible et l'invisible qui repose sur des interactions
constantes - en accord également avec la perception du monde africain - l’humour vient
désacraliser cette croyance. Il est donc question de la mise en scène des événements sociaux en
mettant l'accent sur le comique.
2.2. L’humour
L’humour, dans son sens le plus large, est une forme d’ironie « qui s'attache à souligner le
caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité, dans le but de
faire rire ou de divertir un public. »97.
L'humour représente une mentalité, une façon d'utiliser le langage, une façon de
communiquer. L'humour peut servir à diverses fins, telles qu'enseigner ou se battre. Sa nature,
non sa définition, est appréciée différemment d'une culture à l'autre, d'une région à l'autre, d'un
point de vue à l'autre, et même ce que certains estiment humoristique peut être qualifié de
plaisanterie, d'insulte... Cependant, rire est bénéfique pour la santé...
L’humour occupe une place prépondérante dans le conte négro-africain. En effet, dans une
société où les règles les plus élémentaires du bon voisinage sont bafouées et où les vices sont
idéalisés, la satire constitue une arme intelligente des conteurs pour déconstruire les mentalités.
C’est ce qu’affirme Mohamadou Kane quand il écrit : « Le comique et l’humour constituent les
moyens les plus adéquats de la satire qui s’exercent de diverses manières » (KANE, M., 1981 :
190).
Cette remarque vient confirmer Henry Bergson pour qui la dimension sociale de l’humour
est sans équivoque puisque « le rire, dit-il, vise surtout à réprimer, donc à prévenir les
automatismes qui prennent la vie à contre-pied et qui menacent finalement l’harmonie
sociale »98 (BERGSON, H., 1978 : 92). En ce sens, l’humour permet de corriger les travers par
le rire et par le comique. La consolidation de la vie sociale interprétée par les animaux passe
par lui. Il permet ainsi de « châtier les mœurs en les faisant rire », comme disait Molière à
travers sa célèbre phrase (« castigar ridendo mores »). Or, dans la plupart des contes africains,
l’humour se manifeste par des moqueries déplaisantes qui s’adressent directement aux défauts
et aux vices des personnages asociaux, ennemis de la fraternité et de la concorde sociale. Tel
est « le discours remède » (KANAN, Y. L., 2017) établit par les conteurs afin de purger les
mauvaises passions.

97
« Humour », «sur Dictionnaire Larousse. Consulté le 5 septembre 2024.
98
C’est nous qui soulignons.

128
Nous devons admettre que le conte africain est un genre ludique. En effet, il est très
recommandé pour se détendre, se divertir. On y trouve toutes les formes de d’humour. En
utilisant des animaux ou des individus tels que les marabouts, les chefs de village abusifs et
autoritaires, le conte africain présente une satire de la société.
D’abord, lorsque les personnes se retrouvent dans une situation embarrassante en raison de
leur sottise comme Bouki, de leur naïveté ou d'un quelconque retournement de situation,
l’humour permet de condamner et de ridiculiser ses défauts à travers le rire. Si des personnages
échouent également dans leurs tentatives de semer la terreur ou de faire mal, c’est parce que
Birago Diop veut démontrer que la mauvaise intention ne profite jamais à son auteur. Dans Les
Nouveaux contes d’Amadou Koumba, il écrit : « Si la cupidité ne t’a pas entièrement dépouillé,
c’est que tu n’es vraiment pas cupide » (1958 : 25). Cet humour féroce et tendre est ainsi décrit
:
L’hybride n’est pas toujours ce caractère inquiet et, parmi les produits de culture
antagonistes, surgit un original, les yeux plissés par le rire derrière des verres épais,
la bouche faite pour la raillerie et la satire (MERCIER, R. 1976)

Ensuite, quand les animaux imitent les hommes, on parle également de comique qui est un
registre de l’humour. De plus, selon Birago Diop, certains animaux frappent par leur virilisation
: « Koupou-Kala, le crabe, qui de ce jour-là eut le dos aplati et marche depuis vers sa main
droite et vers sa gauche, mais jamais plus droit devant » (p.67).
Et puis, lorsque Leuk ou l'hyène apparaissent, nous rions car nous sommes l'intelligence de
Leuk et la stupidité de l'Hyène, cela est dû à leur caractère. Avant que le récit ne commence
véritablement, nous éclatons de rire car nous sommes conscients d'avance que le duel entre
Leuk-le-Lièvre et Bouki-l'Hyène s’annonce épique et plein de rebondissement comme on le
constate dans «Tours de lièvre» (pp.115, 116, 117) ou dans « Les Calebasses de Kouss »
(p.155), « La Lance de l’hyène » (p. 90).
Enfin, le conte africain est rempli d’onomatopées qui participent à la provocation du rire, à
travers le talent de Birago Diop. Dans « Les Calebasses de Kouss » par exemple99, Leuk-le
Lièvre, se doutant de la sincérité de Bouk-l’Hyènei qui lui révèle son incapacité de mordre, dit
« hum ! » (p.159) mais son compagnon l’invite à entrer profondément sa patte dans sa bouche
pour en avoir le cœur net sans qu’il se rende compte qu’il s’agit d’un piège. Quand Leuk-le
Lièvre pénètre sa patte, Bouki-l’Hyène serre fermement ses dents, attirant un cri de détresse :
« Vouye yayo ! (Oh ! ma mère !) cria Leuk » (p.159).
Conclusion
On peut retenir, en définitive, que le conte sénégalais, à travers l’exemple des Contes
d’Amadou Koumba, constitue un miroir de la société qu’il décrit. Il permet de dénoncer
certaines mœurs et de valoriser d’autres tout en s’appuyant sur les richesses culturelles du
terroir. Dans ces conditions, Birago Diop, à l’image des autres conteurs négro-africains, met
l’accent sur la solidarité, l’hospitalité, la cohésion sociale afin de garantir l’équilibre et l’unité
au sein du groupe.
Malgré sa fictivité avouée, le conte reste un vecteur d’éducation morale, philosophique,

99
Il y en a d’autres dans le recueil mais je préfère me limiter à cet exemple pour ne pas trop extrapoler.

129
culturelle et historique. En plus, il offre une information sur l'environnement, les habitudes, les
structures, les croyances et la technologie de la société en mettant en scène la société. En un
mot, les Contes d’Amadou Koumba sont une introduction aux réalités africaines : une Afrique
paysanne, pastorale, artisanale. Au-delà de tout, Birago Diop peint une Afrique manichéiste, le
tout à travers une vision optimiste du monde. Les traits de mœurs qui caractérisent ses
personnages renvoient à la réalité villageoise dans sa particularité et dans sa splendeur.
Mohamadou Kane n’a-il pas raison de considérer les Contes d’Amadou Kouma comme un
« miroir fidèle de la sensibilité et de la sagesse africaine » (KANE, M., 1981) ?

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Diop : mise en parallèle des Contes d’Amadou Koumba et des Mémoires », Paris, Francofonía, p. 53-
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BERGSON, Henry/ 1978, Le rire. Essai sur la signification du comique, Paris, PUF, p.92.
CALAME-GRIAULE, Geneviève, Juillet-Septembre 1978, dans Notre librairie. No spécial, pp. 42-43.
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détectable », Présence Africaine, no 1 (179-180), pages 144-150.
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d’Amadou Koumba », Itinéraires, littératures et contact de cultures, vol. 1, pages 65-79.
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Diop », mis en ligne le 29 avril 2007.
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DIOP, Birago. Les nouveaux contes d’Amadou Koumba, Paris, Présence Africaine, 1958.
DIOP, Birago, 1978, La Plume raboutée. Mémoire I, Paris, Présence Africaine, 253 pages.
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MERCIER, Roger. BATTESTINI, M. S. ,1976, Birago Diop, un écrivain sénégalais, Paris, F. Nathan,
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