La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien
AGNÉRO PRIVAT MEL
Mener une réflexion sur la réalité du bicéphalisme de l’exécutif ivoi-
rien conduit, certes, à s’interroger sur l’effectivité et le sens de la dualité
organique du pouvoir exécutif. Mais, en plaçant au cœur de ce débat le
pouvoir exécutif, l’analyse de la réalité de son bicéphalisme interpelle
nécessairement la nature du régime politique que la Côte-d’Ivoire s’est
choisi. Bien qu’elle ne fasse plus débat, la nature du régime politique
ivoirien ne présente pas moins quelques complexités. Le régime poli-
tique de type présidentiel mis en place, au lendemain de l’indépendance
le 7 août 1960, par la Constitution du 3 novembre 19601, a été recon-
duit par le nouveau constituant2. Ce régime, décrit laconiquement par le
recteur Michel-Henry Fabre, illustre toute la complexité de la question.
Le régime de type présidentiel ou présidentialiste3 « combine », selon
cet auteur, les « deux régimes (présidentiel et parlementaire), mais la
combinaison est à sens unique, elle ne joue qu’au bénéfice du pouvoir
exécutif »4. Une combinaison dont la cohérence repose sur la conjugaison
d’éléments empruntés aux régimes parlementaire et présidentiel autour
desquels le droit public formule l’organisation des pouvoirs publics dans
Agnéro Privat Mel, docteur en droit public, enseignant-chercheur à l’Université de
Bouaké (Côte-d’Ivoire).
1. Loi n° 60-356 du 3 novembre 1960 portant Constitution de la République de la Côte-
d’Ivoire.
2. Loi n° 2000-513 du 1er août 2000 portant Constitution de la République de la Côte-
d’Ivoire. Pour une étude du régime politique ivoirien, notre thèse : Les enjeux de la Deuxième
République ivoirienne, thèse de doctorat en droit public, Université de Bourgogne, 2007.
3. Voir J. Buchman, L’Afrique noire indépendante, Paris, LGDJ, 1962, 434 p. ; M. Duverger,
Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 9e éd., 1966 ; R. Moulin, Le présiden-
tialisme et la classification des régimes politiques, Paris, LGDJ, 1978, 389 p.
4. M.-H. Fabre, Principes républicains de droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 3e éd., 1977,
p. 374. Lire également, F. Decaumont, La présidence de Georges Pompidou : essai sur le régime
présidentialiste français, Paris, Economica, 1979, 302 p.
Revue française de Droit constitutionnel, 75, 2008
514 Agnéro Privat Mel
l’État moderne, notamment dans les démocraties libérales5, dont s’inspi-
rent les constituants ivoiriens.
Une approche définitionnelle de ces deux régimes politiques, visant
à mettre en exergue leurs éléments essentiels, s’impose. Le régime parle-
mentaire, avec pour modèle la Grande-Bretagne, est un système poli-
tique qui s’appuie sur la collaboration des pouvoirs (exécutif et législatif
notamment), disposant de moyens de révocation mutuelle. Dans ce
régime, les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement sont
distinguées. Pourtant, il apparaît clairement que la première Constitu-
tion ivoirienne du 26 mars 1959, qui avait opté pour ce régime, réunit
en la personne du Premier ministre, M. Félix Houphouët-Boigny, les
deux fonctions6. Autant dire que ce monocéphalisme de l’exécutif ivoi-
rien ne correspondait pas à la réalité du régime parlementaire dans
lequel le bicéphalisme semble être une donnée caractéristique7. La dua-
lité du pouvoir exécutif (un chef de l’État8 et un Premier ministre) s’ar-
ticule autour d’un partage des pouvoirs dont la réalité revient au chef du
gouvernement, en l’occurrence le Premier ministre, issu de la majorité
élue au suffrage universel au Parlement bicaméral. Quant au régime pré-
sidentiel, comme aux États-Unis d’Amérique, il se caractérise par l’ab-
sence de collaboration et l’irrévocabilité mutuelle des pouvoirs exécutif
et législatif. Ce régime se singularise par le monisme de l’exécutif dont
les pouvoirs sont exclusivement concentrés entre les mains d’un Prési-
dent de la République assisté d’un gouvernement. Le Président améri-
cain est élu au suffrage universel indirect par un collège de grands élec-
teurs9. En somme, le régime présidentiel, revendiquant une rigoureuse
application de la théorie de la séparation des pouvoirs attribuée à Mon-
tesquieu, tend à imposer une spécialisation fonctionnelle des pouvoirs
exécutif et législatif qu’il importe, néanmoins, de relativiser10.
De ces deux régimes politiques, les régimes de type présidentiel, à
l’instar du cas ivoirien, retiennent la collaboration des pouvoirs, dont la
5. Voir G. Burdeau, Les régimes politiques. Traité de science politique, t. V, Paris, LGDJ, 1985,
608 p. ou encore J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchres-
tien, 10e éd., 1989, 874 p.
6. Par la loi constitutionnelle n° 60-205 du 27 juillet 1960 portant révision de la Consti-
tution du 26 mars 1960, le Premier ministre accéda au rang de chef de l’État à la tête du
nouvel État indépendant.
7. M. de Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 5e éd., 2005, p. 20.
8. Le roi ou la reine par exemple en monarchie ou le Président en République.
9. La coutume veut que le peuple désigne les grands électeurs, qui ont pris l’habitude de
faire savoir, au moment de leur élection, pour quel candidat à la présidence ils s’engage-
raient. L’on observe que les grands électeurs ont souvent tenu leurs engagements. Aussi se
pose la question de savoir si l’élection du président au suffrage universel direct ne devrait
pas être retenue ? Pour l’heure, le Sénat américain s’est toujours opposé à chaque tentative
de révision de l’actuel mode d’élection.
10. Le Président américain dispose d’un veto législatif pour s’opposer à l’adoption d’une
loi. Le rôle du Sénat en matière de politique étrangère est non négligeable. à ces éléments
s’adjoint la coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire qui rend plus
facile l’adoption des textes dont a besoin le Président.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 515
stabilité repose sur l’irrévocabilité mutuelle des pouvoirs exécutif et
législatif. Ici, les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement
sont exercées, sans partage, par un Président de la République élu au
suffrage universel direct. Ce régime qui ajoute à la singularité des
contextes socio-politiques des pays d’Amérique latine11 et africains de
tradition juridique française12 notamment, s’est imposé comme le vec-
teur circonstancié et efficace en vue de la construction nationale et du
développement socio-économique. Il implique, à cet effet, que le Parle-
ment (monocaméral en Côte-d’Ivoire) donne les moyens de sa politique
au Président de la République qui assume la responsabilité (théorique)
de la direction de la politique nationale devant le peuple. Il en résulte
une nette prépondérance de ce dernier sur les autres pouvoirs publics
constitutionnels et au sein de l’exécutif13. C’est, à dire vrai, la présence
d’un Premier ministre, chef du gouvernement, aux côtés du Président de
la République, qui nourrit la réflexion que suscite le Constitutionna-
lisme ivoirien. De ce point de vue, le monisme a toujours été le trait par-
ticulier de l’exécutif depuis la Constitution de 1959, puis sous l’égide
de la Constitution de 1960 instaurant un Président de la République,
chef de l’État et, de jure et de facto, le chef du gouvernement14. Les révi-
sions constitutionnelles de novembre 1980 et d’octobre 1985, créant
puis supprimant le poste de vice-président, n’eurent, de ce fait, aucune
conséquence.
Force est de reconnaître que l’ordonnancement constitutionnel ivoi-
rien, conforté par la pratique institutionnelle, annihile l’effectivité du
bicéphalisme de l’exécutif (I). Pourtant, la réintroduction du poste de
Premier ministre dans l’ordonnancement juridique ivoirien, en 1990,
instaurant un bicéphalisme réel par la volonté du Président Houphouët-
Boigny, allait contrarier la logique du régime politique de type prési-
dentiel, atteignant gravement la réalité du pouvoir exécutif. S’inscrit
dans le même mouvement, la conduite sous les auspices de la commu-
nauté internationale, depuis l’échec du coup d’État de septembre 2002,
du processus de paix en Côte-d’Ivoire (II).
11. Pour une étude du présidentialisme latino-américain, voir R. Moulin, op. cit., égale-
ment J. Lambert, « La transposition du régime présidentiel hors des États-Unis : le cas de
l’Amérique latine », RFSP, 1963, p. 583 et suiv.
12. Lire à ce propos, J. Buchman, op. cit. ; D.-G. Lavroff, Les Constitutions africaines…,
Paris, Pedone, 1963 ; J. Gicquel, « Le présidentialisme négro-africain. L’exemple camerou-
nais » in Mélanges Georges Burdeau, 1977 ; M. Tchodie, Essai sur le présidentialisme en Afrique
noire francophone : l’exemple togolais, thèse de doctorat de droit public, Université de Caen,
1993.
13. P. Nandjui Danho, La prééminence constitutionnelle du Président de la République en Côte-
d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2004, 163 p.
14. La Constitution du 3 novembre 1960 n’attribua pas expressément le titre de « chef
du gouvernement » au Président de la République.
516 Agnéro Privat Mel
I – UN BICÉPHALISME ANNIHILÉ : LA PRÉÉMINENCE
DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU SEIN DE L’EXÉCUTIF
La logique du régime de type présidentiel impose l’absence de toute
concurrence faite au Président de la République au sein de l’exécutif.
Cette vision se trouve consacrée par divers éléments retenus par le consti-
tuant ivoirien. La préoccupation de ce dernier a consisté à donner au Pré-
sident un statut (A) et des pouvoirs exclusifs (B) qui rendent illisible la
présence d’un Premier ministre dans le régime politique choisi (C).
A – UN STATUT ASSURANT LA PRÉÉMINENCE
DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
A cet effet, le maintien de l’élection du Président au suffrage univer-
sel direct apparaît incontestablement comme un vecteur logique et puis-
sant (1). Ce mode d’élection l’impose comme le seul représentant de
l’exécutif au plan interne et dans les rapports entre l’État ivoirien et les
autres États ou organisations internationales (2).
1 – L’élection du Président au suffrage universel direct
Le suffrage universel direct se présente comme un élément essentiel
du régime de type présidentiel. Pourtant, le régime présidentiel améri-
cain n’a pas retenu ce mode d’élection. Il lui a préféré une élection au suf-
frage universel indirect faisant intervenir l’ensemble des citoyens pour
choisir les grands électeurs qui éliront le Président15. Ce mode d’élection
pourrait constituer une entorse à la logique du régime présidentiel s’il se
révèle que le sens du vote des citoyens, au premier niveau, s’en trouve
contrarié. Quand il est retenu dans le régime parlementaire, comme c’est
le cas en France avec des éléments de rationalisation, il renforce la légiti-
mité politique du chef de l’État et son poids sur le gouvernement. Si bien
que cet élément finit par s’opposer à la logique du régime parlementaire.
La Côte-d’Ivoire a intégré l’élection du Président au suffrage univer-
sel direct dès la Constitution du 3 novembre 196016. La fidélité du nou-
veau constituant au régime politique antérieur justifie la formulation de
l’article 35, alinéa 1er aux termes duquel « le Président de la République
est élu (…) au suffrage universel direct ».
15. Le choix d’un collège électoral pour désigner le Président de la République française,
ainsi que le prévoyait la Constitution de 1958, fut remis en cause par la révision constitu-
tionnelle de 1962 lui substituant l’élection du Président au suffrage universel direct, selon
les vœux du général de Gaulle.
16. Art. 9 de la Constitution de 1960.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 517
Ce mode d’élection, forme d’expression politique mettant face à face
un candidat et ses concitoyens, concerne toute la population en âge de
voter dans un pays. Dans ce cadre, toute la population va pouvoir exer-
cer un droit que lui accorde la citoyenneté17. La mise en mouvement du
plus grand nombre de personnes à l’occasion du vote traduit l’universa-
lité, ainsi que l’exprime le principe « un homme une voix ». Chaque
voix pesant d’un poids égal, chaque électeur est appelé à décider directe-
ment pour choisir un candidat. Il y a, de ce fait, un rapport direct entre
le candidat et les électeurs. Néanmoins, dans le processus d’élaboration
du choix du Président, le rôle des partis politiques ne peut être minoré
pour autant. Il est déterminant voire pesant d’autant qu’il s’accapare le
candidat, mais le choix revient, en définitive, aux électeurs « face à eux-
mêmes dans le secret de l’isoloir ».
Par ce mode d’élection, le Président de la République élu réunit sur
sa personne la majorité des suffrages exprimés par l’universalité de ses
concitoyens, c’est-à-dire le peuple. Le Président de la République tire de
ce mode d’élection une légitimité d’autant plus grande que le peuple se
projette dans le vainqueur de l’élection. Aussi le professeur G. Conac
pouvait-il dire que « dans la mesure où la nation reste un projet fragile,
elle a besoin de s’incarner dans un homme qui lui donne en quelque
sorte son identité »18. De ce point de vue, il y a une personnalisation de
l’universalité des populations par le Président.
Sous l’ère Félix Houphouët-Boigny, ce mode d’élection contribuait à
la célébration, par les populations vivant en Côte-d’Ivoire19, de leur
reconnaissance au Président Houphouët-Boigny pour le « don qu’il fai-
sait de sa personne à la Nation » selon une formule prisée des militants
de l’ancien parti unique20. Dans le cadre du monopartisme, ce mode
17. Lire à ce propos O. Obou, Requiem pour un code électoral, Abidjan, collection Temps
nouveaux, PUCI, 2000, 194 p. L’auteur y consacre une importante étude aux droits poli-
tiques du citoyen ivoirien.
18. G. Conac, « Portrait d’un chef d’État », Pouvoirs, n° 25, 1983, p. 121.
19. Avant l’adoption du code électoral en décembre 1994, avaient la qualité d’électeurs
en Côte-d’Ivoire, outre les nationaux ivoiriens, les étrangers résidant dans le pays et inscrits
sur les listes électorales. Deux lois (1980 et 1990) permirent aux non ivoiriens d’origine
africaine de prendre part aux votes.
20. Dans la période 1946-1960, la Côte-d’Ivoire avait connu le multipartisme. Dès l’in-
dépendance, prônant l’unité pour le développement économique et social, le Parti démocra-
tique de Côte-d’Ivoire-section ivoirienne du Rassemblement démocratique africain (PDCI-
RDA) de Houphouët-Boigny, qui sortit vainqueur des élections de l’année 1957, réussit à
s’imposer de fait comme le seul parti politique autorisé. Il fallut attendre le printemps de
l’année 1990 pour la réouverture au pluralisme politique, comme le prévoyait déjà la
Constitution ivoirienne, avec le Front populaire ivoirien (FPI) de M. L. Gbagbo, né en clan-
destinité en 1982, l’Union des socio-démocrates (USD) de M. Zaourou, le Parti ivoirien des
travailleurs (PIT) de M. Wodié, le Parti socialiste ivoirien (PSI) de M. Moriféré parmi les
plus significatifs. Il y a lieu d’y inclure les deux partis importants formés par des dissidents
du PDCI-RDA, à savoir le Rassemblement des républicains (RDR) de M. Djéni Kobina, créé en
1994 et dirigé actuellement par M. Ouattara, et l’Union pour la démocratie et la paix en
Côte-d’Ivoire (UDPCI) de feu le général-président Guéi, né en 2001.
518 Agnéro Privat Mel
d’élection n’avait d’autre enjeu que celui de consacrer le plébiscite d’une
personnalité historique : le « Père de la Nation » Houphouët-Boigny.
Avec la disparition du Président Houphouët-Boigny, peu de temps après
l’ouverture au pluralisme politique, ce mode d’élection fut le vecteur
d’un processus de légitimation politique entrepris par son successeur à
son décès, M. Henri Konan Bédié21. Quant à la IIe République, au regard
du choix crucial de son premier Président, l’élection au suffrage univer-
sel direct devait assurer à celui-ci une légitimité à la fois populaire et
institutionnelle confortant sa prééminence sur les autres pouvoirs
publics constitutionnels22. Les Ivoiriens avaient espéré que ce mode
d’élection du Président puisse être un facteur de rassemblement. Le Pré-
sident est, en effet, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, l’image de
son peuple23. Par la confiance que lui accordent ainsi les populations, le
Président est investi de la mission de les représenter.
2 – Le Président de la République, seul représentant de l’État,
au sein de l’exécutif
C’est en substance ce qui ressort de l’article 32 de la Constitution en
vertu duquel l’élection du Président fait de ce dernier un représentant du
peuple. Mais conforté par le régime de type présidentiel, le Président
s’impose comme le seul représentant de l’exécutif au plan interne (a) et
le seul représentant de l’État au niveau international (b).
a) Dans les rapports de l’exécutif
avec les autres pouvoirs publics constitutionnels
Il peut sembler assez paradoxal d’envisager l’existence de rapports
entre le pouvoir exécutif et les autres pouvoirs étatiques dans un régime
présidentiel d’autant plus qu’il est marqué par une séparation dite stricte
des pouvoirs publics. Le régime présidentiel américain en témoigne
d’une certaine façon. Mais le régime de type présidentiel ivoirien se dis-
tingue du régime présidentiel par l’intégration de divers éléments
(empruntés au régime parlementaire) en vue d’instaurer une collabora-
21. Mais en raison d’un nouveau code électoral contenant des dispositions discriminantes
pour certaines candidatures, notamment celle de l’ancien Premier ministre Ouattara, et
avantageuses pour le parti au pouvoir, l’opposition politique significative (le FPI de Gbagbo
et le RDR de Ouattara) réunie dans un front républicain, refusa de présenter des candidats
à l’élection présidentielle de 1995. Le candidat du PDCI-RDA, M. Henri Konan Bédié,
l’emporta.
22. L’élection d’octobre 2000 sera énormément contestée pour le rejet des candidatures
de M. Ouattara (pour nationalité douteuse) et de M. Bédié (en exil en France) par la Cour
suprême. L’affaire du « charnier de Yopougon », découvert après les violences qui ont suivi
la résistance des Ivoiriens face à la tentative de coup de force électoral du général Guéi pour
se maintenir au pouvoir, renforcera encore plus, paradoxalement, la contestation.
23. Il n’était pas rare d’entendre parler de la Côte-d’Ivoire de Houphouët-Boigny, du
Sénégal de Senghor, du Togo d’Eyadema, etc.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 519
tion des pouvoirs publics. Dans ce cadre, le texte fondamental permet
d’observer, d’une part, que le Président réalise sur sa personne l’unité du
pouvoir exécutif. S’inspirant du régime présidentiel, les membres du
gouvernement sont des collaborateurs qui l’assistent dans la mise en
œuvre du programme sur lequel il a été élu. Le régime politique ivoirien
ne contrarie pas cet aspect malgré la présence du Premier ministre. Le
Président est, à dire vrai, le seul organe d’État au sein du pouvoir exécu-
tif. Confirme, d’autre part, cette approche, l’articulation de l’organisa-
tion et du fonctionnement des autres pouvoirs publics constitutionnels
autour du Président. Une vision qui se fait l’écho des propos de
M. Debré qui voyait en celui-ci la clé de voûte des institutions. En Côte-
d’Ivoire, dans leurs rapports avec le pouvoir exécutif, les autres pouvoirs
n’ont en face d’eux que le Président de la République au nom et pour le
compte duquel agissent ses collaborateurs dont le privilégié est le Pre-
mier ministre.
Ainsi, il peut paraître curieux de voir les Premiers ministres ivoiriens
faire, devant le Parlement, une « déclaration de politique générale ».
Cette pratique, qui n’est imposée par aucun texte, en réalité, est un
emprunt fait au régime parlementaire impliquant que le Parlement,
notamment la Chambre basse, approuve par le truchement d’un vote le
programme de gouvernement ou la déclaration de politique générale du
chef du gouvernement ou du Premier ministre24. Dans le cas ivoirien,
cette déclaration ne saurait être assimilée à la déclaration de politique
générale du chef de l’exécutif du régime parlementaire. Le Premier
ministre ivoirien ne fait, en réalité, que livrer le programme de gouver-
nement défini par le Président de la République, sans que cette déclara-
tion ne fasse l’objet d’un vote. Mais, empruntant au régime parlemen-
taire, ainsi que le prévoit l’article 82 de la Constitution, le Président de
la République peut déléguer au chef du gouvernement et aux ministres
le pouvoir de répondre devant les députés aux questions que ceux-ci lui
adressent.
Par ailleurs, la Constitution n’impose pas la consultation ou l’inter-
vention du Premier ministre dans le processus de nomination de certains
membres des autres pouvoirs publics constitutionnels, prérogative du
Président. C’est surtout au niveau international que le Président s’affiche
clairement comme le seul représentant de l’État.
b) Le Président de la République, seul représentant de l’État
dans l’ordre international
Il s’agit d’un élément que partagent, dans la plupart des régimes
politiques, les chefs de l’exécutif qu’il s’agisse du Président (américain
24. C’est le cas notamment en France (art. 49, al. 1er de la Constitution de 1958) ou
encore au Burkina Faso (art. 117, al. 1er de la Constitution de 1997).
520 Agnéro Privat Mel
ou français par exemple) ou du Premier ministre (britannique par
exemple). Dans le régime politique ivoirien, le Président, en sa qualité
de premier magistrat du pays, investi par le suffrage universel direct, est
chargé d’assurer la représentation de l’État dans ses rapports avec les
autres États ou institutions internationales25. Il dispose, à cet effet, du
pouvoir d’agir au nom et pour le compte de l’État. Aux termes de l’ar-
ticle 45 de l’actuelle Constitution, reconduisant l’article 16 de sa devan-
cière, le chef de l’État est le véritable chef de la diplomatie ivoirienne. Il
exerce en ce domaine un pouvoir de légation dit actif lorsque le Prési-
dent « accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès
des puissances étrangères » et passif quand il accrédite les « ambassa-
deurs et les envoyés extraordinaires des puissances étrangères ». En ce
domaine, le choix des États ou Nations avec lesquels la Côte-d’Ivoire
entretient des relations diplomatiques relève du pouvoir discrétionnaire
du Président d’autant qu’il s’agit de décisions hautement politiques.
Outre son statut, la prééminence du Président de la République est
confortée par les importants pouvoirs que lui reconnaît le constituant.
B – LA DÉTENTION EXCLUSIVE, PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE,
DES POUVOIRS DE L’EXÉCUTIF
L’économie de l’article 41 de la Constitution en vertu duquel « le
Président de la République est le détenteur exclusif des pouvoirs de
l’exécutif » finit de convaincre que le Président reste le véritable chef du
gouvernement (1). Il dispose, en ce sens, de pouvoirs léonins en matière
de défense nationale (2).
1 – Le Président de la République, véritable chef du Gouvernement
et de l’administration d’État
Malgré la présence d’un Premier ministre, les dispositions de l’arti-
cle 41 sont formelles. Il n’est pas dans l’intention du constituant ivoirien
de rechercher un quelconque équilibre entre le Président et le Premier
ministre26 d’autant que la logique du régime politique ivoirien impose le
Président comme le seul organe d’État au sein de l’exécutif. Dès lors, il
n’est pas douteux que le constituant vise plutôt à réaliser l’équilibre des
pouvoirs entre le Président et le Parlement. Dans ce sens, le gouverne-
25. Art. 34 in fine de la Constitution de 2000 : « Il est le garant de l’indépendance natio-
nale, de l’intégrité du territoire, du respect des engagements internationaux ».
26. En 2000, le PIT de M. Wodié ou encore le RDR de M. Ouattara, pour ne retenir que
ces exemples, avaient retenu dans leurs propositions de Constitution, un équilibre entre le
Président et le Premier ministre. Le professeur Dégni-Ségui croyait déjà à la nécessité de cet
équilibre, cf. « Evolution politique et constitutionnelle en cours et en perspective en Côte-
d’Ivoire », in G. Conac (dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Econo-
mica, 1993, p. 291-300.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 521
ment, chargé de la gestion quotidienne de l’État, reste, en réalité, sous
l’autorité du Président de la République qui en est le véritable chef27.
Avant la révision de novembre 1990, sans que le titre de « chef du
gouvernement » lui eût été attribué expressément, le Président n’en était
pas moins le chef. Les membres du gouvernement étaient, comme c’est
le cas aujourd’hui, responsables devant lui28. Cette approche était confor-
tée par la pensée du Président Sédar Senghor qui, déjà en 1970, voyait
dans la présence du Premier ministre dans le régime de type présidentiel
une « déconcentration »29. Elle traduit, selon cet illustre Sénégalais,
l’idée de donner aux collaborateurs du Président, notamment le Premier
ministre, le sens des responsabilités sans trahir le monolithisme de l’exé-
cutif. Dès lors, quand le Président Senghor avoua que le monocépha-
lisme du régime présidentiel ne s’en trouvait point contrarié, ses propos
étaient dans le droit fil de la pensée du général de Gaulle selon laquelle
« on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet. Mais, juste-
ment, il n’en est rien… il doit être évidemment entendu que l’autorité
indivisible de l’État est confiée tout entière au Président par le peuple
qui l’a élu. Qu’il n’y a aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni mili-
taire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui »30. Et pour-
tant, les systèmes politiques sénégalais et français, à cette époque, ne
pouvaient revendiquer une quelconque similarité. En effet, les propos de
De Gaulle sont d’autant plus pénétrants qu’il n’a échappé à personne que
le régime politique français en 1964 demeure un régime parlementaire
bien que rationalisé. Malgré la révision de 1962, la Constitution de
1958 reconnaît le Premier ministre comme le chef de l’exécutif ; le
constituant sénégalais n’a jamais retenu cet aspect. Cependant, force est
de reconnaître qu’en raison de son élection au suffrage universel direct et
notamment de la personnalité de De Gaulle, le centre du pouvoir exécu-
tif était le Président de la République. Cette approche se trouve renfor-
cée dès lors que les majorités présidentielle et parlementaire coïncident31.
27. Cette approche que consacrent le droit et les faits fait l’unanimité chez les auteurs qui
se sont intéressés à la question. Lire B. Asso, Le chef d’État africain. L’expérience des États afri-
cains de succession française, Paris, éd. Albatros, 1976 ; Dégni-Ségui, op. cit. ; F. Wodié, Insti-
tutions politiques et droit constitutionnel en Côte-d’Ivoire, Abidjan, PUCI, 1996 ; A. Coulibaly, Le
système politique ivoirien : De la colonie à la IIe République, Paris, L’Harmattan, 2002, 174 p. ;
A. Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’effectivité »,
cette Revue, n° 52, 2002, p. 721-748 ; P. Nandjui Danho, op. cit., ou récemment encore
A. Sall, « Processus démocratiques et bicéphalisme du pouvoir exécutif en Afrique noire :
essai d’un bilan », Revue juridique et politique, n° 3, 2006, p. 412 s.
28. Art. 12, alinéa 4 de la Constitution de 1960 repris à l’article 41 de la présente
Constitution.
29. Lire à ce sujet I. Fall, « La réforme constitutionnelle du 27 février 1970 », Penant,
1971.
30. Conférence de presse du général de Gaulle du 31 janvier 1964.
31. En période de cohabitation, comme a pu l’expérimenter l’histoire politique et insti-
tutionnelle française sous la Ve République, le Premier ministre redevient pleinement le
chef de l’exécutif.
522 Agnéro Privat Mel
Il en ressort que, dans le cas ivoirien, l’attribution au Premier
ministre du titre de « chef du gouvernement »32 ne semble avoir aucune
portée véritable d’autant que le constituant maintient tous les pouvoirs
de l’exécutif entre les mains du Président. Il convient de rappeler, à ce
sujet, que le Premier ministre avait perdu à la faveur de la révision
constitutionnelle de 1998 le titre de « chef du gouvernement »33.
Dans la logique du régime de type présidentiel, c’est en effet, « le
Président de la République (qui) détermine et conduit la politique de la
Nation » précise l’article 50 de la Constitution34. La symétrie avec le
régime présidentiel américain est éloquente sur ce point précis. Les
secrétaires d’État ou les ministres assistent le Président dans cette entre-
prise. Les orientations et la mise en œuvre de la politique générale éta-
tique sont définies et appliquées sous l’autorité du Président, faisant de
lui le maître d’œuvre de la politique de la Nation. Il y a lieu de préciser
qu’il est investi sur sa personne et (certainement) sur son programme. Il
lui revient, par conséquent, d’en déterminer les détails et de veiller à son
exécution. Ainsi, malgré la présence du Premier ministre, la réalité de la
pleine autorité sur le gouvernement appartient indiscutablement au
Président.
C’est dans le cadre du Conseil des ministres, organe délibérant du
pouvoir exécutif, réuni sous l’autorité du Président de la République,
qui en fixe l’ordre du jour et préside les travaux35, que sont examinés les
documents et textes élaborés sous la direction des ministres. Le Conseil
des ministres reste un organe consultatif au sein duquel le Président de
la République est le seul à décider par voie décrétale. Il importe de dire
que la présidence du Conseil conforte la prépondérance du Président
dans le régime politique ivoirien ainsi qu’en témoignent les règles exi-
geantes de délégation de cette présidence36.
La cohérence et l’efficacité de l’action gouvernementale imposent que
les attributions des membres du gouvernement soient nettement déter-
minées par le Président, ainsi que le prévoit l’alinéa 4 de l’article 41, afin
de permettre à chaque ministre de connaître « les contours de son dépar-
32. Art. 12 de la Constitution de 1960 reconduit à l’article 41, alinéa 2 de la Constitu-
tion de 2000.
33. L’expérience de la gestion de la suppléance de la République par l’ancien Premier
ministre Ouattara avant la disparition du Président Houphouët-Boigny avait été au centre
des conflits entre l’ancien Président Bédié (dauphin constitutionnel en 1993) et M. Ouat-
tara. Aussi le Président Bédié prit-il l’initiative de la révision constitutionnelle du 2 juillet
1998 qui ôta au Premier ministre le titre de « chef du gouvernement ».
34. Art. 21 de l’ancienne Constitution ivoirienne. Lire sur cette question A. Coulibaly,
« Les articles 41 et 50 de la Constitution ivoirienne : obstacles potentiels à la mise en œuvre
d’une alternance politique », Revue juridique et politique, 2003, n° 1, p. 39-52.
35. Art. 51 de la Constitution de 2000. Art. 22 de la Constitution de 1960.
36. Art. 53 de la Constitution de 2000. Art. 24 de la Constitution de 1960. Depuis le
début de la IIe République, le Président Gbagbo a délégué à quatre reprises la présidence du
Conseil des ministres. Au Premier ministre Affi, les Conseils des 21 mars et 17 juin 2001
et au Premier ministre Soro, celui du 20 avril 2007 et le suivant.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 523
tement et d’éviter les chevauchements nuisibles au bon fonctionnement
de l’administration »37. Les régimes présidentiel et parlementaire recon-
naissent cette compétence au chef du Gouvernement. Il ne serait pas
cohérent, par conséquent, de reconnaître au Premier ministre ivoirien
l’autorité sur les membres du gouvernement. La prééminence du Prési-
dent au sein de l’exécutif se révèle également à la reconnaissance à ce
dernier, uniquement, du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire le pouvoir
de prendre des mesures générales et impersonnelles d’exécution ou auto-
nomes, ayant la même valeur que la loi dans son domaine. Il lui est donc
reconnu de veiller à l’entrée en vigueur et à l’exécution des lois sur toute
l’étendue du territoire national. Dans cet esprit, en sa qualité de chef de
l’administration d’État, il est le seul à disposer du pouvoir de nommer
aux emplois supérieurs (civils et militaires) de l’État dont la liste est éta-
blie par la loi38. La présence du Premier ministre dans le régime poli-
tique ivoirien n’y change rien ; la symétrie avec le régime présidentiel
américain ne fait aucun doute alors que, dans le régime parlementaire,
ces prérogatives indispensables au chef de l’exécutif reviennent au Pre-
mier ministre.
Confirmant, en outre, la singularité du régime politique ivoirien, le
Président de la République est le seul au sein de l’exécutif à disposer
concurremment aux membres de l’Assemblée nationale de l’initiative de
la loi39. Il semble indispensable, en effet, de reconnaître au Président de
la République, chargé de déterminer et de conduire la politique de la
Nation, le pouvoir de déposer devant le Parlement les projets de loi
nécessaires à la mise en œuvre de sa politique40. Dans ce cadre, la Consti-
tution lui octroie, de surcroît, le pouvoir de se substituer à l’Assemblée
nationale pour prendre par voie d’ordonnance des mesures relevant du
domaine de la loi41. Il lui faut, néanmoins, même s’il ne rencontre pas de
difficulté à ce sujet, obtenir l’habilitation de l’Assemblée nationale qui
dispose de moyens de contrôler ce dessaisissement qui ne saurait entraî-
ner la rupture de l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif.
Intervenant dans la fonction législative, la Constitution reconnaît au
Président la possibilité de demander et d’obtenir une seconde délibéra-
tion de la loi42 ainsi que d’intervenir dans la périodicité du travail parle-
mentaire par la convocation, à sa demande, d’une session extraordinaire43.
37. V. Recueil des Communiqués des Conseils des ministres de la République de Côte-d’Ivoire, du
2 novembre 2000, p. 3.
38. Art. 46 de la Constitution de 2000. Art. 17 de la Constitution de 1960.
39. Art. 42, al. 1er de la Constitution de 2000. Art. 13 de la Constitution de 1960.
40. Le régime présidentiel américain ne reconnaît pas une telle prérogative au Président.
En France également, le Président de la République n’a pas l’initiative de la loi. Elle appar-
tient, fort logiquement dans le régime parlementaire, au chef du gouvernement.
41. Art. 75 de la Constitution de 2000. Art. 45 de la Constitution de 1960.
42. Art. 42, al. 4 de la Constitution de 2000. Art. 13, al. 4 de la Constitution de 1960.
43. Art. 63 de la Constitution de 2000. Art. 32 de la Constitution de 1960.
524 Agnéro Privat Mel
Dans cette fonction, il est le seul à disposer au sein de l’exécutif du
pouvoir de saisir le juge constitutionnel pendant l’élaboration de la loi
pour faire respecter les règles de compétences entre les pouvoirs exécutif
et législatif44 ou encore avant promulgation de la loi aux fins de vérifier
sa conformité à la Constitution45. C’est, de surcroît, fort logiquement
que, dans le régime politique ivoirien, le Président de la République
assure, à la fin du processus d’élaboration de la loi, sa mise en vigueur
par sa promulgation46 et veille à son exécution47.
C’est également le Président de la République, au sein de l’exécutif,
qui nomme les magistrats, en sa qualité de président du Conseil supé-
rieur de la magistrature48. Il lui revient aussi de nommer les juges
constitutionnels49. Il en est de même pour le président du Conseil éco-
nomique et social50 et le Médiateur de la République51.
Par ailleurs, ceci explique que le constituant confie au Président de la
République, en vertu de l’article 84 de la Constitution52, le pouvoir de
négocier et de ratifier les traités et les accords internationaux. La pra-
tique nous révèle que c’est en son nom que sont négociés les traités et
accords, mais il lui appartient en personne de les ratifier, après autorisa-
tion de l’Assemblée nationale dans certains cas énumérés par l’article 85
de l’actuelle Constitution53. Dans la même perspective, le Président de la
République peut saisir le Conseil constitutionnel pour s’assurer de la
conformité de l’engagement international à la Constitution. Dans le cas
contraire, aux termes de l’article 86 de la Constitution54, « l’autorisation
de le ratifier ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ».
En sa qualité de garant de « l’indépendance nationale, de l’intégrité
du territoire », le Président est doté de pouvoirs en vue de la défense
nationale.
2 – Le Président, seul détenteur, au sein de l’exécutif,
des pouvoirs de défense nationale
Le Président assure, en vertu de l’article 34 de la Constitution, l’in-
dépendance nationale et l’intégrité du territoire. L’organisation de la
défense nationale, prévue par une loi du 12 juin 1961, incombe au chef
44. Art. 76 de la Constitution de 2000. Art. 46 de la Constitution de 1960.
45. Art. 95 de la Constitution de 2000.
46. Art. 42, al. 2 de la Constitution de 2000. Art. 13, al. 2 de la Constitution de 1960.
47. Art. 44 de la Constitution de 2000. Art. 15 de la Constitution de 1960.
48. Art. 104 in fine de la Constitution.
49. Art. 89 et 90 de la Constitution.
50. Art. 2 de la loi n° 2001-304 du 5 juin 2001 déterminant la composition et le fonc-
tionnement du Conseil économique et social.
51. Art. 116 de la Constitution de 2000.
52. Article 53 de la Constitution de 1960.
53. Article 54 de la Constitution de 1960.
54. Article 55 de la Constitution de 1960.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 525
de l’État, qui est le chef suprême des armées55. Il importe de distinguer,
sur ce point, les circonstances exigeant le recours à des pouvoirs que l’on
qualifiera de traditionnels (bien que les conditions de leur mise en œuvre
ne se présentent pas souvent) par opposition aux pouvoirs de crise ou
encore pouvoirs exceptionnels exigés par des circonstances présentant le
caractère d’imprévisibilité et de gravité dès lors qu’elles interrompent le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Dans un
cas comme dans l’autre, la logique du régime politique ivoirien impose
que ces pouvoirs ne fassent intervenir que le chef de l’exécutif.
a) L’exercice de pouvoirs traditionnels
Ils renvoient notamment à l’hypothèse de l’état de siège. Prévu par le
texte fondamental56, l’état de siège peut être lié au siège militaire occa-
sionné par des puissances étrangères ou une rébellion ou une insurrection
militaire intérieures. L’état de siège peut être d’ordre politique ou fictif57,
voire tous ces aspects à la fois. L’appréciation de la situation incombe au
Conseil des ministres, par conséquent au Président de la République58.
Par ailleurs, le Président de la République peut décréter l’état d’ur-
gence. Il importe de préciser que l’état d’urgence n’est pas, contraire-
ment à l’état de siège, prévu par la Constitution. Il est institué par une
loi de 195959. Lorsque, tenant à des circonstances imprévisibles, le fonc-
tionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, le Président
dispose de pouvoirs exceptionnels pour y faire face.
b) Le recours aux pouvoirs exceptionnels
Il s’agit des pouvoirs exceptionnels de l’article 48 qui connaissent
depuis l’année 2005 leur première mise en œuvre de l’histoire politique
et institutionnelle ivoirienne60. Il convient de préciser que le Premier
ministre n’intervient nullement dans le déclenchement des pouvoirs de
55. Art. 47 de la Constitution de 2000. Art. 18 de la Constitution de 1960.
56. Art. 74 de la Constitution de 2000. Art. 43 de la Constitution de 1960.
57. Il est dit politique ou fictif pour le distinguer du siège militaire consécutif à une
situation de guerre civile. Aussi certaines voix se sont-elles élevées pour dénoncer la décla-
ration de l’état d’urgence étant donné qu’il n’y avait pas de situation de guerre civile en
France lors de la crise des banlieues de novembre 2005.
58. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit si elle n’est pas en session. Il lui revient
d’autoriser la prorogation de l’état de siège au-delà de quinze jours.
59. Loi n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l’état d’urgence, JORCI, 1959, p. 1072.
L’état d’urgence « peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national soit en cas de
péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements qui,
par leur nature ou leur gravité, sont susceptibles d’entraver la bonne marche de l’économie
ou les services publics ou d’intérêt social » en vertu de son article 1er.
60. Par son message à la Nation du 26 avril 2005, le Président mettait en œuvre les pou-
voirs de l’article 48 pour rendre éligibles exceptionnellement tous les signataires de l’accord
de Linas-Marcoussis qui souhaitent être candidats à l’élection présidentielle. Par cette déci-
sion, M. A. Ouattara dont la candidature fut rejetée en 2000 est rendu éligible s’il souhaite
être candidat.
526 Agnéro Privat Mel
l’article 48 ; le Président de la République est tenu de consulter les seuls
Présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel61.
L’étendue de ces pouvoirs témoigne incontestablement de la préémi-
nence du Président au sein de l’exécutif et sur les autres pouvoirs éta-
tiques. Il s’agit de prendre toutes les mesures, en tout domaine et toute
matière, exigées par les circonstances. Les actes pris en vertu de l’arti-
cle 48 ne sont soumis à aucun contrôle juridictionnel.
Le régime politique ivoirien consacre d’autant plus la prépondérance
du Président que la présence du Premier ministre se révèle totalement
illisible.
C – EN RAISON DE L’ABSENCE DE LISIBILITÉ DE LA PRÉSENCE
DU PREMIER MINISTRE DANS LE RÉGIME POLITIQUE IVOIRIEN
S’il tire bien plus sa nature du régime présidentiel américain, le pou-
voir exécutif ivoirien s’en détache, depuis quelques années maintenant,
par la réintroduction et le maintien du Premier ministre dans le texte
fondamental. A dire vrai, il est plutôt curieux d’envisager le Premier
ministre dans le régime de type présidentiel. L’exemple béninois mérite
d’être cité d’autant qu’en raison de la logique de ce régime politique, son
texte constitutionnel n’a pas prévu le Premier ministre62. Dans le cas
ivoirien, un poste de vice-président avait été créé63 symétriquement au
régime politique américain, mais il fut supprimé cinq ans après. Le Pre-
mier ministre ivoirien procède, ainsi que le gouvernement, du Prési-
dent (1). Mais, alors qu’il lui est restitué le titre de « chef du gouverne-
ment », il ne dispose d’aucun pouvoir propre (2).
1 – Un Premier ministre procédant du pouvoir discrétionnaire
du Président
Il peut être, aisément, déduit des termes de l’article 41 de la présente
Constitution que seul le Président est issu d’élection au sein de l’exécu-
tif. En vertu de l’alinéa 2 de ce texte, en effet, le Président « nomme le
Premier ministre (a) (...) qui est responsable devant lui. Il met fin à ses
61. Le Premier ministre est obligatoirement consulté au Mali (art. 50 de la Constitution
de 1992), au Gabon (art. 26 de la Constitution de 1991 modifiée en 1997) et en France
(art. 16 de la Constitution de 1958) par exemple, avant le déclenchement des pouvoirs
exceptionnels.
62. C’est par décret qu’en 1996, le Président Kérékou nomma M. A. Houngbedji au
poste de Premier ministre. La Cour constitutionnelle saisie pour vérifier que la Constitution
était respectée, lui donna raison dès lors qu’il n’y eut aucune incidence sur la nature du
régime politique.
63. Par une révision constitutionnelle, via une procédure dite d’urgence, le 25 novem-
bre 1980.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 527
fonctions (b) »64. Malgré la lettre de l’article 41, la formation du gou-
vernement revient au Président (c).
a) Le pouvoir discrétionnaire de désignation du Premier ministre
Force est de reconnaître que, dans la plupart des Constitutions des
États francophones qui ont choisi, à l’instar de la Côte-d’Ivoire, le
régime de type présidentiel avec un Premier ministre, à l’exception
notable du Bénin, celui-ci procède du Président de la République. S’il
n’est pas douteux que le régime politique ivoirien opère divers emprunts
au régime parlementaire, il ne se laisse séduire que par les éléments
contribuant à renforcer les pouvoirs du chef de l’État et sa légitimité
politique65. Aussi, en vertu de l’article 41, le Président de la République
dispose d’un pouvoir discrétionnaire de désignation du Premier
ministre. A l’exception des cas Ouattara66 (novembre 1990), Diarra67
(janvier 2003), Banny68 (décembre 2005) et Soro69 (mars 2007), le pou-
voir du Président de choisir son Premier ministre ne fut point concur-
rencé concernant Duncan70 (décembre 1993 et janvier 1996), Diarra
(sous la transition militaire de l’année 2000) et Affi71 (octobre 2000 dès
la prise de fonction du Président Gbagbo).
Une brève analyse des éléments retenus dans leur nomination révèle
qu’ils n’étaient pas des personnalités politiques de premier plan, encore
moins des leaders de la majorité présidentielle. Ces Premiers ministres
ne pouvaient donc pas se prévaloir d’une assise politique significative ;
ainsi ne peuvent-ils être des concurrents du Président. Il apparaît nette-
ment que l’importance politique du candidat est déterminante dans le
choix des Premiers ministres dont l’identité de vue avec le Président ne
peut faire de doute. Aussi sont nommés à ce poste les fidèles collabora-
teurs du Président72. L’on peut noter qu’outre le poste de Premier
64. Cette rédaction est identique à celle de l’art. 12 de l’ancienne Constitution ivoirienne
modifiée le 2 juillet 1998.
65. Lire sur ce point les travaux de A. G. N’Guessan, Le système constitutionnel ivoirien,
thèse de doctorat d’État en droit public, Université de Montpellier 1, 1983, 416 p. ;
D. M. Bléou, Le Président de la République ivoirienne, thèse de doctorat d’État en droit public,
Université de Nice, 1984 ; notre thèse, op. cit.
66. Inconnu sur la scène politique ivoirienne à cette époque où il occupait le poste de
gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
67. Sans affiliation politique connue.
68. Membre du PDCI-RDA au sein duquel il ne joue pas les premiers rôles. Il conserva son
poste de gouverneur de la BCEAO.
69. Chef de la rébellion armée en Côte-d’Ivoire. Son choix à ce poste s’est imposé logi-
quement après le « dialogue direct » entre l’État et la rébellion, qui conduisit – le 4 mars
2007 – à la conclusion de l’accord de Ouagadougou (Burkina Faso) sous les auspices du pré-
sident burkinabè Compaoré.
70. Ce technocrate est membre non influent du PDCI-RDA.
71. Il n’est pas un historique du FPI.
72. C’est le constat que faisait déjà dans l’étude qu’il consacra aux chefs d’États africains,
B. Asso, op. cit., p. 153 s.
528 Agnéro Privat Mel
ministre, ils avaient en charge la direction d’un département ministé-
riel73. De sorte que le Premier ministre, en sa qualité de collaborateur
privilégié du Président, est le premier des ministres74.
La logique du régime de type présidentiel ivoirien confortant une
telle approche, le Président ne tient nullement compte du fait majori-
taire au Parlement. Pourtant, la logique du régime ivoirien implique, au
surplus, que les électeurs donnent au Président une majorité confortable
au Parlement pour gouverner. L’ordre des deux élections conforte cette
vision ; l’élection présidentielle précède l’élection à l’Assemblée natio-
nale qui se déroulent l’une et l’autre dans la même année. L’histoire
politique et institutionnelle ivoirienne confirme la rareté des hypo-
thèses dans lesquelles la majorité présidentielle et la majorité parlemen-
taire ne coïncident pas. Le système monopartisan que la Côte-d’Ivoire
a longtemps connu favorisait cet état de fait. Dès lors, aucune expé-
rience où le choix d’un Premier ministre issu d’une majorité d’opposi-
tion s’est imposé au Président ivoirien ne peut être revendiquée. Bien
qu’il s’agisse d’une majorité de coalition75, l’actuelle majorité parle-
mentaire est favorable au Président de la République. Cependant, dans
l’hypothèse inverse, il ne serait pas impossible d’entrevoir des blocages
entre l’Assemblée nationale et le Président si ce dernier refusait, comme
ce fut le cas au Niger, de nommer le candidat proposé par la majorité
(parlementaire) d’opposition au poste de Premier ministre76. Précisons
que, dans le régime politique ivoirien, le pouvoir exécutif participe
effectivement à la fonction législative ; élément qui le distingue nota-
blement du régime présidentiel américain. Dans le cas où les majorités
présidentielle et parlementaire ne coïncident pas, il s’impose donc au
Président, en sa qualité de garant de la continuité de l’État, de veiller
à faire coïncider la volonté des citoyens et le bon fonctionnement des
pouvoirs publics constitutionnels pour éviter tout éventuel blocage
institutionnel77.
73. Il s’agissait des ministères de l’Économie, des Finances et du Plan (1993) et du Plan
et du Développement (1996) pour M. Duncan sous la présidence Bédié ; le ministère du
Plan, du Développement et de la Coordination gouvernementale pour M. Diarra (transition
militaire 2000) ; le ministère du Plan et du Développement pour M. Affi (2000) ; le minis-
tère de l’Économie et des Finances pour M. Banny (2005).
74. Lire à ce propos, S. Rials, Le Premier ministre, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1981, 127 p.
75. Elle réunit le FPI (dont est issu le Président de la République), l’UDCI et des députés
indépendants.
76. Les désaccords entre le Président Ousmane et le Premier ministre Issoufou conduisi-
rent au renvoi de ce dernier qui sera remplacé par M. Souley Abdoulaye, un proche du Pré-
sident. Le nouveau gouvernement tomba après le vote d’une censure par l’Assemblée natio-
nale. S’ensuivit la dissolution de l’Assemblée dont le renouvellement donnera une nouvelle
majorité à l’opposition qui obtint du Président la nomination de son candidat M. Hama
Amadou au poste de Premier ministre.
77. Il est donc politiquement excessif et juridiquement inexact de brandir l’épouvante du
« constat d’un certain vide juridico-constitutionnel » comme le soutient A. Coulibaly, « Les
articles 41 et 50 de la Constitution ivoirienne… », op. cit., p. 41-43.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 529
Ainsi donc, en accordant le droit et la pratique, le Président ivoirien
conserve une plus grande liberté dans le choix de son Premier ministre
qu’il peut également révoquer librement.
b) Le pouvoir discrétionnaire de révocation du Premier ministre
Le Premier ministre ivoirien est responsable devant le Président qui
met fin, discrétionnairement, à ses fonctions. Il suit de là que le Premier
ministre, comme le gouvernement, est tenu de rendre compte au Prési-
dent de l’exécution de la mission à lui confiée par celui-ci. La responsa-
bilité du gouvernement devant le Parlement, augurant du régime parle-
mentaire, ne caractérise donc plus le régime politique ivoirien choisi dès
1960. En réalité, le pouvoir du Parlement de censurer le gouvernement
n’était pas absent de la Constitution de 1959 qui épousait les grands
traits du régime parlementaire rationalisé que la France adopta en 1958.
En reconduisant à l’article 41 les dispositions de l’article 12 de la
Constitution de 1960 révisée en juillet 1998 aux fins d’accorder le droit
(révocation du Premier ministre) et la pratique (pleine autorité du Prési-
dent sur ses collaborateurs), le nouveau constituant reconnaît au Prési-
dent la liberté de démettre son Premier ministre. Le constituant main-
tient ainsi la réalité moniste de l’exécutif auquel la présence d’un
Premier ministre confère un caractère dualiste. Le dualisme de l’exécutif
« rend simplement compte de l’existence de deux organes au sein de
l’exécutif sans impliquer d’appréciation sur la répartition du pouvoir »78.
Dès lors, il ne saurait être déduit de l’intitulé du titre III de la présente
Constitution79 le caractère dyarchique de l’exécutif ivoirien. Il s’impose
avec force, en l’absence de contreseing des membres du gouvernement, le
Premier ministre y compris, comme l’avait retenu le constituant de
1959, seul le Président de la République est responsable politiquement
devant les électeurs même si le caractère théorique de cette responsabi-
lité est indéniable80. Le gouvernement procède, également, dans la pra-
tique, du pouvoir discrétionnaire du Président.
c) Un gouvernement procédant, en réalité, du Président
Les ministres, en vertu de l’article 41, alinéa 4 de la Constitution,
sont nommés par le Président de la République sur proposition du Pre-
mier ministre81. Ce dernier « donne des noms » de postulants à partir
desquels le Président fait ses choix. Il résulte de la lettre de l’article 41
que le choix des ministres ne ressort pas du pouvoir discrétionnaire du
78. T. Debard, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Ellipses, 2002, p. 118-119.
79. « Du Président de la République et du Gouvernement ». Cet intitulé a été emprunté
à l’ancienne Constitution.
80. Lire à propos du Président sous la Ire République, A. N’Guessan, op. cit. ; Bléou, op.
cit. et sous la IIe République, notre thèse, op. cit.
81. Art. 41, al. 4 de la Constitution de 2000. Art. 12, al. 4 de la Constitution de 1960.
530 Agnéro Privat Mel
chef de l’État, qui ne saurait s’affranchir de prendre les propositions du
Premier ministre. En réalité, le Président de la République est présent à
toutes les étapes de leur désignation. Il n’est pas faux de dire que les
ministres procèdent de sa volonté. Il semble que l’intervention du Pre-
mier ministre dans la désignation des ministres n’a aucun effet pratique,
d’où l’intérêt de mettre en adéquation l’esprit du constituant et la réalité
du régime ivoirien en reconnaissant au seul Président de la République
la nomination de ses collaborateurs.
Cette approche s’impose d’autant plus que le Président dispose du
pouvoir de mettre fin discrétionnairement à leurs fonctions, poursuit l’ar-
ticle 41, alinéa 4. Cet aspect est dans le droit fil du pouvoir du chef de
l’exécutif du régime présidentiel américain. Il est cependant intéressant
de rappeler que la rédaction de ce texte, qui date de la révision constitu-
tionnelle de juillet 199882, résulte du conflit né à l’occasion de la dispari-
tion de Houphouët-Boigny entre le Premier ministre de l’époque (Ouat-
tara) et le dauphin constitutionnel, président de l’Assemblée nationale
(Bédié). L’article 12 en 1993 exigeait que le Premier ministre remette au
Président de la République la démission de son gouvernement ; ce que
Ouattara tarda à faire alors qu’il avait été le premier à annoncer officielle-
ment le décès du Président Houphouët-Boigny. Il s’ensuivit ce que l’on
qualifia de « crise de succession du “Vieux”83 » à l’issue de laquelle le Pré-
sident de l’Assemblée nationale deviendra le Président de la République
par intérim. La logique du régime politique ivoirien impose qu’aucun
pouvoir propre ne soit reconnu au Premier ministre.
2 – Un Premier ministre sans pouvoirs propres
Le Premier ministre, comme l’atteste l’alinéa 3 de l’article 41 de la
Constitution, « anime et coordonne l’action gouvernementale »84. Le
Premier ministre n’a pas ainsi le pouvoir de direction du gouvernement.
Dès lors, la formulation de ce texte réduit le Premier ministre à veiller à
la cohérence et à l’efficacité de la politique déterminée par le chef de
l’État ; la gestion quotidienne de l’État étant assurée par le gouverne-
ment sous l’autorité du Président. À cet effet, le Premier ministre dirige
le Conseil du gouvernement85, instance collégiale informelle non délibé-
82. Loi n° 98-387 du 2 juillet 1998 portant révision de la Constitution du 3 novembre
1960.
83. Ainsi qu’on l’appelait affectueusement.
84. Cette disposition a été introduite dans la Constitution ivoirienne de 1960 par la révi-
sion de juillet 1998 à l’article 12, alinéa 3. Le constituant nigérien semble avoir inspiré son
homologue ivoirien, mais, à l’inverse de ce dernier, la formulation retenue au Niger en 1992
inclut la « direction » de l’action gouvernementale.
85. Le constituant sénégalais reconnaît cette instance qu’il désigne « Conseil interminis-
tériel » (art. 56, al. 4), ce fut le cas du Comité interministériel mis sur pied entre le 30 avril
1990 et le 6 novembre 1990 en Côte-d’Ivoire.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 531
rante et non décisionnelle86, chargé de préparer les conseils des ministres.
Ainsi donc, le Premier ministre ne peut disposer de pouvoirs qu’en vertu
de délégations de pouvoirs décidées par le Président dans des conditions
très restrictives selon les termes de l’article 53 de la Constitution.
Il apparaît avec évidence que le bicéphalisme de l’exécutif ivoirien
traduit bien plus un dualisme (organique) confortant, en réalité, un
monisme de l’exécutif. Cependant, dans certaines circonstances, l’effecti-
vité du bicéphalisme de l’exécutif a pu apparaître au grand jour.
II – UN BICÉPHALISME RÉVÉLÉ :
« LE PREMIER MINISTRE DE TRANSITION »
C’est dans des contextes de crise que surgit la question du bicépha-
lisme en raison du rôle dévolu au Premier ministre dans ce qu’il
convient bien de qualifier de « période de transition » dont la gestion
échoit ou sera confiée à un Premier ministre (A), d’où la dénomination
« Premier ministre de transition ». Ce dernier disposera, à cet effet, de
la direction de la politique économique nationale sous l’ère Félix Hou-
phouët-Boigny (B) et de la direction du gouvernement de réconciliation
nationale suite au coup d’État manqué de 2002 (C).
A – L’ÉMERGENCE DU PREMIER MINISTRE EN PÉRIODES DE CRISE
La réintroduction du poste de Premier ministre87 dans l’ordonnance-
ment juridique vers la fin de « règne du Vieux » (1) et la reconnaissance,
par les solutions de sortie de crise, au Premier ministre de la conduite du
processus de paix (2), participent de la réalité du bicéphalisme.
1 – Vers la fin de « règne du Président Félix Houphouët-Boigny »
L’analyse de la réintroduction du poste de Premier ministre se trouve
étroitement liée au contexte ivoirien de la fin des années 1980 cristalli-
sant des exigences démocratiques et des contraintes économiques aux-
quelles devait se soumettre rigoureusement la Côte-d’Ivoire88. Les chan-
86. C’est donc en violation de la Constitution ivoirienne que la résolution 1721 du
Conseil de sécurité de l’ONU a reconnu au Premier ministre le pouvoir de prendre des
décrets-lois et des ordonnances en Conseil du gouvernement.
87. Le 14 mai 1975, dans son discours d’ouverture du pré-congrès du PDCI-RDA,
M. Ph. Yacé, Président de l’Assemblée nationale, évoqua l’éventualité de la nomination
d’un Premier ministre, voire d’un Vice-président. V. B. Asso, op. cit., p. 157.
88. Le PDCI-RDA, ancien parti unique, opposa une fin de non-recevoir à la demande d’ap-
plication de l’art. 7 de la Constitution ivoirienne de 1960 prévoyant le pluralisme politique.
Le PDCI-RDA considérait cette demande comme une vue de l’esprit ; les mentalités n’étaient
pas encore prêtes, selon lui, pour ce qu’il ne croyait pas être une panacée. Mais le PDCI-RDA
532 Agnéro Privat Mel
gements dans le contexte ivoirien furent confortés par la fin du « règne
d’Houphouët-Boigny » caractérisée par deux faits majeurs. D’une part,
l’état de santé du Président Houphouët-Boigny se dégradait de plus en
plus et l’éloigna souvent du pays pour des soins89. D’autre part, les effets
de la crise économique étaient durement ressentis par les Ivoiriens comme
en témoignèrent les nombreux mouvements sociaux contestant fortement
la gestion du pays par le Président Houphouët-Boigny90. La question de
la capacité du Président de la République à trouver des solutions à la
crise économique91 allait propulser au devant de la scène politique ivoi-
rienne un homme et une fonction : le Premier ministre Alassane Ouat-
tara. C’est donc par la révision constitutionnelle du 6 novembre 199092,
modifiant notamment les articles 12 et 24, que fut institué un Premier
ministre. La Constitution de 1960 reconnaissait au Président un pouvoir
discrétionnaire de « (nomination du) Premier ministre, chef du gouver-
nement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions sur la
présentation par celui-ci de la démission du gouvernement »93. Le poste
de Premier ministre entraîna l’institution d’une Primature94. La présence
du Premier ministre pouvait s’expliquer par la volonté de limiter les
pouvoirs du Président de la République ainsi que l’ont tenté, suite aux
Conférences nationales souveraines95, le Bénin (février 1990), le Gabon
(avril 1990), le Mali (avril 1991) ou le Congo (juin 1991) voire le Came-
roun (avril et décembre 1991)96. D’autres pays, à l’image de la Côte-
d’Ivoire, ont dû forcer leur régime politique de type présidentiel pour
créer un poste de Premier ministre au sein de l’exécutif.
En Côte-d’Ivoire, qu’il fut imposé par les institutions financières
internationales97 ou par le choix discrétionnaire du Président Hou-
finit par céder sous la pression de la rue et le multipartisme est officiellement autorisé en
Côte-d’Ivoire indépendante depuis le 3 mai 1990. V. J.-N. Loucou, Multipartisme en Côte-
d’Ivoire, Paris, 1992, Neter, 130 p. ; D. Bailly, La réinstauration du multipartisme en Côte-
d’Ivoire ou la double mort d’Houphouët-Boigny, Paris, L’Harmattan, 1995, 283 p. ; P. N’Da, Le
drame démocratique africain sur scène en Côte-d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 1999, 288 p. ou plus
récemment, T. Koui, Multipartisme et idéologie en Côte-d’Ivoire. Droite, Centre, Gauche, Paris,
L’Harmattan, 2007, 225 p.
89. Le Président Houphouët-Boigny avait officiellement quatre-vingt-cinq ans. Force est
de reconnaître que très peu d’informations avaient filtré concernant son état de santé.
90. Lire sur ce point D. Bailly, op. cit. ; P. N’Da, op. cit.
91. Il s’est agi de faire supporter les efforts de restrictions budgétaires aux salariés en pro-
cédant à des réductions salariales allant de 15 % à 40 %.
92. Loi n° 90-1529 du 6 novembre 1990 portant création d’un poste de Premier ministre.
93. Art. 12, al. 2 de la Constitution de 1960 issu de la révision de 1990.
94. Siège de la fonction de Premier ministre.
95. Lire sur cette question, E. Boulaga, Les conférences nationales en Afrique noire, Paris, Kar-
thala, 1993, 229 p.
96. Les réformes institutionnelles d’avril 1991 rétablissant le poste de Premier ministre
(supprimé en février 1984) faisaient suite à la montée de la contestation politique. Le Prési-
dent P. Biya s’opposa, toutefois, à l’organisation d’une Conférence nationale souveraine.
97. Lire à ce propos, D. R. Bognon, « La situation en Côte-d’Ivoire : présidentialisme et
représentation nationale », in Les nouvelles Constitutions africaines : la transition démocratique,
H. Roussillon (dir.), Toulouse, Presse de l’IEP de Toulouse, 1995, p. 87-99.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 533
phouët-Boigny98, la conjoncture économique et sociale ainsi que les exi-
gences de pluralisme politique ont contribué à l’infléchissement du pou-
voir du Président dans le choix du Premier ministre Alassane Ouattara.
Avant d’occuper ce poste, M. Ouattara avait été nommé dès le 30 avril
1990 à la tête d’un « Comité interministériel » alors qu’il n’avait pas
encore quitté son poste de Gouverneur de la BCEAO, sans avoir le rang de
ministre99. Toutefois, il n’est pas douteux que la nomination de
M. Ouattara à ce poste faisait suite au relatif succès de ce dernier à faire
accepter des mesures drastiques visant à juguler les déséquilibres budgé-
taires100 pendant la présidence qu’il assura du Comité interministériel.
L’on peut observer qu’à l’instar de M. Ouattara, les Premiers ministres
des périodes de transition en Afrique francophone avaient en commun
d’être des technocrates sans affiliation politique connue101. Mais, en
Côte-d’Ivoire, l’affiliation et, dans une certaine mesure, la « consécra-
tion » politiques de M. Ouattara ne se firent pas attendre ; le Président
Houphouët-Boigny fit de lui, assez tôt, le numéro « deux » du PDCI-
RDA102. L’effectivité du bicéphalisme allait apparaître une autre fois à la
suite d’une crise armée en Côte-d’Ivoire.
2 – Après l’échec du coup d’État de septembre 2002
La situation à laquelle répond l’importance reconnue au Premier
ministre résulta de la tentative de coup d’État de la nuit du 18 au
19 septembre 2002. Une rébellion armée ne réussit pas à renverser le
régime légal du Président Gbagbo issu de l’élection présidentielle d’oc-
tobre 2000, mais parvint à contrôler la partie septentrionale du pays103.
La guerre que connut la Côte-d’Ivoire, pour la première fois de son his-
toire, eut des conséquences incalculables à tout point de vue104. Pour
98. Voir H. K. Bédié, Les chemins de ma vie, Paris, Plon, 2000, 120 p.
99. Aussi le professeur Wodié s’offusqua-t-il de cette situation qu’il qualifia d’ « incon-
gruité juridique et politique ». Lire l’auteur, F. Wodié, op. cit., p. 137.
100. Reprenant, semble-t-il, avec une approche différente celles proposées avec moins de
succès par son prédécesseur au ministère de l’Économie et des Finances, M. K. Koumoué.
101. Le Béninois Soglo était un ancien administrateur de la Banque mondiale ; le Gabo-
nais Oye M’Ba fut gouverneur de la Banque centrale des États d’Afrique centrale ; le Malien
S. Sacko était fonctionnaire international et le Congolais A. Milongo occupa le poste d’ad-
ministrateur à la Banque mondiale.
102. Avec un brin d’ironie, les adversaires politiques de M. Ouattara ne manquèrent pas
de saluer la nomination à ce poste de ce « nouveau venu » en politique. C’est effectivement
une activité et une scène, auparavant, étrangères à celui-ci, assidu et rompu à la gestion
financière dans les institutions internationales en l’occurrence le Fonds monétaire interna-
tional (FMI) et ensuite à la BCEAO. Ce « parachutage » ne manqua pas, d’ailleurs, d’agacer les
dignitaires du PDCI-RDA. Mais, semble-t-il, la volonté du Président Houphouët-Boigny ne
se contestait pas au sein du parti.
103. La récente suppression de la zone de confiance en Côte-d’Ivoire vise à mettre fin à la
partition du pays.
104. De nombreuses pertes en vie humaine, d’importantes destructions de biens maté-
riels, des milliers de déplacés de guerre (fuyant les zones d’affrontements militaires), etc.
534 Agnéro Privat Mel
trouver une porte de sortie à cette crise, des négociations eurent lieu sans
succès à Lomé105 puis à Linas-Marcoussis106 où elles aboutirent à la
conclusion d’un accord en fin janvier 2003107. Le programme du gouver-
nement de réconciliation, en vue de l’organisation d’élections libres,
ouvertes, régulières et transparentes, s’entend du désarmement, de la
démobilisation et de la réintégration (DDR) ; de l’identification et de la
confection de la liste électorale ; du désarmement et du démantèlement
des milices ; de la restauration de l’autorité de l’État et du redéploiement
de l’administration et des services publics sur l’ensemble du territoire
ivoirien ; l’indemnisation des victimes et l’aide au retour des déplacés de
guerre ; la préparation technique des élections ; la restructuration des
forces armées. Tenant aux difficultés d’application de « l’accord
parisien », d’autres conventions allaient venir en complément. Il s’est agi
des accords d’Accra II et III108 ; de Pretoria109 ; des résolutions 1633 et
1721110 puis de l’accord de Ouagadougou111. C’est dans le cadre d’un
gouvernement dit de « réconciliation nationale » que le nouveau Pre-
mier ministre devait s’imposer comme le « chef de l’exécutif » ivoirien.
Le gouvernement dit de « réconciliation nationale » désigne une forma-
tion gouvernementale ouverte à toutes les formations politiques signa-
taires de l’accord de Linas-Marcoussis112 dont la direction a été confiée au
Premier ministre pour conduire le programme au terme duquel devait se
tenir l’élection présidentielle de l’année 2005 dans une Côte-d’Ivoire
pacifiée. Les solutions de sortie de crise ont prévu que le gouvernement
de réconciliation nationale soit dirigé par un « Premier ministre de
consensus » puis un « Premier ministre acceptable pour tous » dont le
mandat prend fin au terme de l’élection présidentielle.
L’on peut déplorer que les travaux de la Commission d’enquête parlementaire sur ces faits
souffrent d’un manque de moyens matériels pour les mener à leur terme.
105. Elles réunirent, sous la conduite de feu le Président G. Eyadema en octobre 2002,
les représentants de l’État et les dirigeants de la rébellion armée.
106. A l’invitation du gouvernement français, sous la direction de l’ancien président du
Conseil constitutionnel français M. P. Mazeaud, la table ronde réunissait les partis poli-
tiques significatifs et les groupements rebelles. L’absence des représentants de l’État ivoirien
se révéla une erreur majeure dont la conséquence évidente fut le rejet des termes de l’accord
par une partie importante des populations ivoiriennes et les réticences des autorités légales,
le Président de la République en tête.
107. L’accord conclu le 24 janvier 2003 allait être placé sous les auspices de la Commu-
nauté internationale à la Conférence des chefs d’États les 25 et 26 janvier, rue Kléber à
Paris. L’accord fut entériné par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
108. En juillet 2004 dans la capitale ghanéenne.
109. Avril 2005.
110. La résolution 1633 fut adoptée en novembre 2005 et la 1721 en novembre 2006.
111. En mars 2007 dans la capitale du Burkina Faso.
112. Le FPI ; le PDCI-RDA ; le PIT ; le RDR ; l’UDPCI ; l’UDCI ; le MFA et les mouvements
rebelles (le MPCI ; le MPJ ; le MPIGO).
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 535
a) Du « Premier ministre de consensus »
au « Premier ministre acceptable pour tous »
Afin de conforter la réalité du bicéphalisme, les conventions ont fait
le choix de critères participant de l’infléchissement du Président dans un
domaine, la nomination du Premier ministre, où son pouvoir n’est point
partagé. Le choix du terme « Premier ministre de consensus » s’inscrit
dans ce mouvement. Ce terme « Premier ministre de consensus » men-
tionné au point 3-c de l’accord de Linas-Marcoussis n’existe ni dans l’ac-
tuelle Constitution ivoirienne ni dans ses devancières. Aussi importe-t-il
de s’en remettre à « l’accord parisien » pour tenter d’en découvrir le
sens. Sur ce point, l’accord n’est pas, quant à sa lettre, très prolixe d’au-
tant qu’il ne définit pas le terme qu’il utilise. En accordant le silence
éloquent de la lettre et l’esprit de l’accord, le sens de ce terme doit pou-
voir se révéler, ce dernier étant nécessairement lié aux circonstances qui
l’ont fait émerger. Aussi ce terme devrait-il frapper encore plus par son
évidence. En effet, la recherche d’un accord entre les belligérants,
ouvrant pour les Ivoiriens la voie de la réconciliation, renseigne sur les
critères intervenant dans la désignation du Premier ministre. Deux élé-
ments importants se dégagent : la pluralité des parties113 et leur entente.
Le terme « consensus » traduit, selon la plupart des dictionnaires, un
accord entre plusieurs parties sur un point de divergence ou en conflit114.
Cette définition opératoire finit de convaincre que le pouvoir de nomi-
nation du Président de la République est concurrencé, en réalité forte-
ment disputé115 par les autres parties et intervenants dans la résolution
de la crise, et établit que les parties, en s’accordant sur une personne,
confirment leur engagement à confier ensemble la conduite du processus
de paix au nouveau Premier ministre. Celui-ci doit ainsi apparaître
comme une personne neutre et non partisane. Il s’ensuit que le consen-
sus nécessaire entre les parties au conflit semble imposer que le choix du
« Premier ministre de consensus » ne soit pas laissé à la discrétion du
Président. Néanmoins, l’accord est resté muet sur les modalités de dési-
gnation du « Premier ministre de consensus », ce qui ne manquera pas,
au surplus, de soulever des difficultés.
113. Nous ne partageons pas l’approche que les organisateurs de la Table ronde de Linas-
Marcoussis ont eu des parties au conflit ivoirien. Nous expliquons dans notre thèse (op. cit.,
p. 505 s.) que la crise ivoirienne est la résultante d’un coup d’État manqué qui dégénéra en
guerre entre l’Armée républicaine et la rébellion armée (auteur du coup de force). Dès lors,
il est surprenant que les parties invitées en France aient été composées des partis politiques
et de la rébellion, l’État ivoirien fut le grand et impensable absent.
114. La revue Pouvoirs, n° 5, 1978, p. 17 s., propose diverses pistes de réflexion et des
essais de définition de la notion de consensus.
115. Le Président Gbagbo reconnaissait, d’ailleurs, avoir été humilié à l’occasion de la
nomination du Premier ministre de consensus. Lire à ce propos l’interview qu’il accorda au
quotidien français Le Monde du 19 février 2003.
536 Agnéro Privat Mel
Mais le manque de clarté de l’accord quant à la procédure de dési-
gnation du Premier ministre illustre ce qui apparaît comme une volonté
de mettre en veilleuse la Constitution ivoirienne qui, nous l’indiquions,
ne reconnaît qu’au seul Président de la République le pouvoir (discré-
tionnaire) de choisir le Premier ministre. Il est assez éloquent qu’en pla-
çant la désignation du Premier ministre en dehors des dispositions
constitutionnelles, son indépendance vis-à-vis du Président en ressorti-
rait renforcée d’autant. Il n’est pas douteux que le terme « Premier
ministre de consensus » vise, effectivement, à trouver un équilibre,
inexistant dans l’ordre constitutionnel ivoirien, au sein de l’exécutif. Sur
ce point, le « Premier ministre de consensus » pourrait s’apparenter au
Premier ministre du régime parlementaire, mais l’absence d’éléments
importants de ce régime116 empêche la similarité. Cependant, le choix
d’un « Premier ministre de consensus » participe pleinement de l’ambi-
tion de rendre effectif le bicéphalisme de l’exécutif voire de supplanter le
Président de la République. Les circonstances de la nomination de
M. Seydou Diarra au poste de Premier ministre démontrent nettement
que le Président Gbagbo n’a pu exercer discrétionnairement son pouvoir
constitutionnel, entraînant une farouche hostilité de nombreux Ivoi-
riens117. Cette situation, ajoutée au manque flagrant d’autorité du Pre-
mier ministre sur le gouvernement, conduira, à la fin du mandat consti-
tutionnel du Président Gbagbo118, à trouver un « Premier ministre
acceptable pour tous ».
Cette expression, qui se substitue au terme « Premier ministre de
consensus », est apparue dans la résolution 1633 du Conseil de sécurité
de l’ONU. Ce texte « prie instamment le président de l’Union Africaine,
le président de la CEDEAO et le Médiateur de l’Union Africaine de
consulter immédiatement toutes les parties ivoiriennes en vue de la
nomination, d’ici au 31 octobre 2005, d’un nouveau Premier ministre
116. Dans le scénario proposé par « l’accord parisien », le Premier ministre, ne rendant
compte qu’à la Communauté internationale, n’est pas responsable devant le Parlement qui
ne dispose pas, au surplus, de moyens de censurer le gouvernement. Il n’a été prévu pour le
pouvoir législatif, dans ce processus, qu’un rôle passif qu’il n’acceptera pas de jouer dans les
faits. La résistance de l’Assemblée nationale marquera encore l’histoire politique et institu-
tionnelle de la Côte-d’Ivoire.
117. Il semble que d’autres noms avaient été proposés, mais n’avaient pu obtenir l’adhé-
sion. Ce fut le cas de Mme Henriette Diabaté, secrétaire générale du RDR de M. Ouattara.
Lire à ce propos, Simone Gbagbo, Paroles d’honneur, Paris, Ramsay, 2007, p. 400 ; ou encore
le quotidien français Le Monde du 19 février 2003, op. cit. L’on se souvient des protestations
qu’avait suscitées, notamment à Abidjan, la nomination de M. Seydou Diarra dont l’avion
qui le ramenait en Côte-d’Ivoire, n’ayant pu atterrir à Abidjan à cause des manifestations
d’hostilité, alla au Ghana le temps que la situation s’apaisât.
118. L’expiration du quinquennat présidentiel en fin d’octobre 2005 n’entraîne pas dans
ces circonstances de crise, contrairement à certaines opinions répandues, une vacance de la
présidence de la République. La continuité de l’État impose le maintien du Président en
fonction. Il en sera ainsi de tous les pouvoirs publics, notamment l’Assemblée nationale
dont le renouvellement devait intervenir avant le 15 décembre 2005.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 537
acceptable pour toutes les parties ivoiriennes signataires de l’accord de
Linas-Marcoussis »119. Le nouveau vocable convainc aisément que le Pre-
mier ministre devra réunir l’assentiment des parties au conflit aux fins
d’assurer, comme son devancier, sa neutralité et son indépendance au
sein de l’exécutif. Mais surtout, la nouvelle expression impose une
approche nouvelle quant à la méthodologie et aux modalités du choix du
chef du gouvernement. Dans les faits, les parties signataires à « l’accord
parisien » ont été invitées à proposer des noms de personnalités éligibles
au poste de Premier ministre. Le choix définitif du Premier ministre a
été laissé au Président de la République ivoirienne. Cette méthode a eu
pour préoccupation d’éviter de frustrer les parties, notamment le Prési-
dent Gbagbo, mais son pouvoir discrétionnaire en ressortit affaibli d’au-
tant que le Président se trouve, contrairement au texte fondamental,
dans un cas de « pouvoir lié »120. Ainsi, quelle que soit la personnalité
retenue, elle a la particularité d’être « acceptable pour tous ». C’est dire
que ce vocable n’impose pas que l’unanimité des parties soit obtenue
pour désigner le Premier ministre. Ce vocable présente donc des simila-
rités avec le terme « consensus » et ses implications institutionnelles. De
ce point de vue, l’indépendance du Premier ministre est renforcée par
l’inamovibilité.
b) Un Premier ministre inamovible
L’affaiblissement du Premier ministre dans l’ordre constitutionnel
ivoirien résulte du pouvoir discrétionnaire du Président de mettre fin
aux fonctions de celui-ci121. La nécessité de donner une réalité au bicé-
phalisme a imposé qu’en l’absence de responsabilité du gouvernement
devant le Parlement, le pouvoir du Président de révoquer le Premier
ministre soit neutralisé. Ainsi, toutes les conventions ont retenu expres-
sément l’inamovibilité du Premier ministre jusqu’à la fin de l’élection
présidentielle122. Seul l’accord de Ouagadougou123 y dérogera ; si bien
qu’il est vain de trouver dans le décret de nomination du Premier
ministre, comme ce fut d’ailleurs le cas pour les précédents Premiers
ministres, la précision de la durée du mandat du Premier ministre. Le
texte fondamental ivoirien ne prévoit, en effet, aucun mandat pour le
Premier ministre, sauf à lier sa durée à ce poste au mandat du Prési-
119. Voir point 5 de la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l’ONU.
120. Il se dira plus tard que la désignation de M. Konan Banny au poste de Premier
ministre avait été imposée par le Président français Chirac.
121. C’est, de surcroît, ce que précisait le Président Gbagbo dans son message à la Nation
du 7 février 2003 : « Je peux citer dans le texte de Marcoussis que le Premier ministre
nommé est inamovible jusqu’en 2005 ; ce qui est contraire à la Constitution qui dit que le
Président nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions ».
122. Point 3-c de l’accord de Linas-Marcoussis ; point 5 de la résolution 1633 du Conseil
de sécurité ; point 6 de la résolution 1721 du Conseil de sécurité.
123. Accord conclu le 4 mars 2007.
538 Agnéro Privat Mel
dent124 ou au pouvoir de celui-ci de le révoquer. L’histoire politique et
institutionnelle ivoirienne ne peut revendiquer aucun exemple de révo-
cation d’un Premier ministre. Il s’ensuit que le départ du Premier
ministre Affi, au lendemain de la signature de l’accord de Linas-Mar-
coussis, a été obtenu en dehors du pouvoir discrétionnaire du président
Gbagbo. La nomination de M. Soro au poste de Premier ministre, en
vertu de l’accord de Ouagadougou, mettant fin en réalité à la résolution
1721, entraîna le départ de M. Banny. Cette dernière hypothèse contra-
riait nettement l’inamovibilité affichée du Premier ministre.
Quel que soit le contexte, en plus d’avoir conforté le statut du Pre-
mier ministre, il lui fut reconnu le pouvoir de diriger le gouvernement.
B – DE LA DIRECTION DU GOUVERNEMENT
À L’EXERCICE DE LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE (1990-1993)
Le bicéphalisme dut son effectivité à la volonté du Président Hou-
phouët-Boigny (1), puis se transforma en monocéphalisme de fait au
bénéfice du Premier ministre (2).
1 – L’abandon au Premier ministre de la direction
et la conduite de la politique économique
La réforme du 6 novembre 1990 appelle d’emblée une remarque. Ce
n’était pas simplement, ainsi que l’indique fort justement d’ailleurs le pro-
fesseur Wodié125, le Premier ministre « naissant » qui devenait le chef du
gouvernement, mais plutôt le Président qui avoua la perte de ce titre qui
l’avait toujours accompagné depuis que la première Constitution ivoi-
rienne de 1959 lui confia la direction de la destinée de la Côte-d’Ivoire.
L’importance de cette révision pouvait paraître bien relative si l’on ne l’en-
visage que du point de vue de celui qui reçoit une fonction. A la vérité, la
perte était bien plus significative. Le Président de la République Félix
Houphouët-Boigny demanda au Premier ministre de « l’aider, lui-même,
à faire de la bonne politique et (celui-ci) à faire de bonnes finances »126. Ces
propos prémonitoires de ce qu’il convient bien d’appeler « l’amende-
ment constitutionnel Houphouët-Boigny »127, tenus le 7 novembre 1990
124. C’est ce qu’illustrait la révision constitutionnelle du 25 novembre 1980 créant un
poste de vice-président élu en même temps que le Président.
125. Lire l’auteur, Institutions politiques…., op. cit., p. 139.
126. Lire le quotidien ivoirien Fraternité Matin du 8 novembre 1990.
127. Le choix de cette formulation est étroitement lié au contexte ivoirien. Alors que la
révision de la Constitution, obtenue la veille, ne reconnaissait aucun pouvoir propre au Pre-
mier ministre, les propos tenus par le Président le lendemain allaient permettre au Premier
ministre de diriger véritablement le gouvernement. La volonté du Président se présenta,
ainsi, comme un amendement à la Constitution.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 539
après la proclamation des résultats de la première élection présidentielle
concurrentielle à laquelle il venait de triompher de celui qu’on nomme
son opposant historique, M. Laurent Gbagbo, n’étaient-ils pas péné-
trants de cette forme d’aveu d’impuissance de l’homme qui a toujours
incarné aux yeux de ses concitoyens « l’omnipotence » ?
Le régime politique ivoirien s’apprêtait à expérimenter une forme de
« partage des pouvoirs » au sein de l’exécutif alors que la lettre du texte
constitutionnel ne reconnaissait qu’au Président de la République la
détention exclusive des pouvoirs de l’exécutif128. En vertu de « l’amende-
ment constitutionnel Houphouët-Boigny », le bicéphalisme se traduisit
par la répartition suivante : au Président de la République, le pouvoir
politique et au Premier ministre, le pouvoir de déterminer et de
conduire la politique économique nationale. En réalité, le texte constitu-
tionnel n’attribuait pas de pouvoirs propres au Premier ministre. Dès
lors, la détermination et la conduite de la politique nationale attribuée
par le constituant au Président comme le précisait l’article 21, était
abandonnée par ce dernier au profit du Premier ministre. Mais la dyar-
chie ainsi annoncée était également confortée par le texte fondamental à
travers la nouvelle rédaction de l’article 12 en vertu de laquelle « (le Pré-
sident de la République ne) met fin (aux) fonctions (du Premier ministre
que) sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement »129.
La position du droit était éclairante ; le Président ne peut en dehors de
l’accord du Premier ministre, le révoquer130. Il en était ainsi des
ministres dont la révocation n’intervient que sur proposition par le
Premier ministre de leur démission, comme c’est d’ailleurs sur proposi-
tion de celui-ci que le Président de la République les nomme131. En
accordant ainsi le droit et les faits, l’autorité du Premier ministre sur les
ministres ne faisait aucun doute. Si bien qu’il n’est pas inexact de penser
que dans les faits leurs attributions étaient définies par celui-ci alors que
le texte constitutionnel laissait cette prérogative au Président de la
République132.
Force est de reconnaître que dans ce contexte, la présence du Premier
ministre entraîna, outre un partage des pouvoirs de l’exécutif, un certain
réaménagement institutionnel dont l’illustration la plus manifeste fut
l’institution du Conseil de gouvernement sous la direction du Premier
128. Art. 12, al. 1er de la Constitution de 1960 reconduit à l’article 41 de la présente
Constitution.
129. Art. 12, alinéa 2 in fine.
130. Nous l’avons vu, depuis la révision constitutionnelle de juillet 1998, le Président de
la République, comme c’est le cas aujourd’hui, peut mettre fin sans aucune difficulté aux
fonctions du Premier ministre.
131. Ces dispositions précises ont été maintenues par le nouveau constituant.
132. A dire vrai, cet élément qui est une prérogative logique du chef du Gouvernement,
a été supprimé de l’article 12 en 1990 et a été réintroduit par la révision de 1998. L’ar-
ticle 41 de la nouvelle Constitution l’a reconduit.
540 Agnéro Privat Mel
ministre. Conforté par la confiance que le Président semblait placer en
lui, corroborée par « l’amendement Houphouët-Boigny », le Premier
ministre pouvait disposer, en dehors des cas de délégation présidentielle
obligatoire, des prérogatives de l’exécutif (tant que leur mise en œuvre
était faite sous l’autorité du Président de la République).
Dans cet esprit, il n’est pas douteux que les propositions du Premier
ministre, relativement à la formation du gouvernement du 30 novembre
1990, avaient été aisément entérinées par le Président de la Répu-
blique133. Pour conduire le programme de gouvernement, en réalité le
sien, c’est-à-dire la stabilisation et la relance économique avec comme
vecteur la politique de privatisation, le Premier ministre mit en œuvre
le pouvoir réglementaire (de nomination impliquant aussi le pouvoir de
révocation aux emplois supérieurs de l’État) en procédant à une réduc-
tion significative du nombre des administrateurs centraux de l’adminis-
tration d’État et en limogeant des autorités qui semblaient inamovibles
à la tête de l’Économie et des Finances, en l’occurrence, les directeurs
généraux des Impôts, des Douanes, de la Caisse de stabilisation, de la
Caisse autonome d’amortissement ou encore celui de la Caisse nationale
de prévoyance sociale. C’est également sous les ordres du Premier minis-
tre, agissant en qualité d’autorité de police générale, pouvoir classique
du Président, que fut réprimée la manifestation pacifique des « mar-
cheurs de la démocratie » en 1992134 pour dénoncer la répression conduite
nuitamment des contestations estudiantines de 1991135. Alors que les faits
et le droit confortaient la réalité du bicéphalisme de l’exécutif, les longues
périodesd’absence136 que le Président Houphouët-Boigny infligea au pays
ne manquèrent pas de soulever de nouvelles interrogations irriguant le
constitutionnalisme. Se retrouvèrent au centre des débats deux questions,
la suppléance du Président et la vacance de la présidence de la Répu-
blique, dont les frontières semblent s’être évaporées.
133. Le premier gouvernement Ouattara (du 30 novembre 1990) passa le nombre de
postes ministériels de 29 à 20. Mais il allait opérer un remaniement ministériel, le 14 no-
vembre 1991, par la création de deux ministères. Le remaniement ministériel du 17 mars
1992 mit fin aux fonctions du ministre des Postes et Télécommunications.
134. Le 18 février 1992, à l’appel de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO),
du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (SYNARES), de la Fédé-
ration estudiantine de Côte-d’Ivoire (FESCI), de la Fédération des syndicats autonomes de
Côte-d’Ivoire (FESACI) et des partis d’opposition surtout le Front populaire ivoirien (FPI), une
marche dans le quartier du Plateau à Abidjan a été réprimée et de nombreux participants
parmi lesquels des députés ont été jetés en prison au mépris de leur immunité.
135. Sous le commandement du général Robert Guéi, les éléments de la FIRPAC, une
unité de commandos d’élite de l’armée, intervenaient nuitamment dans les chambres de la
cité universitaire de Yopougon. L’on a déploré des exactions d’une extrême violence : des
viols, de nombreux blessés et des traitements inhumains et dégradants. Les auteurs de ces
faits ne furent pas sanctionnés.
136. Il s’agit des périodes de février à novembre 1992 puis de mai à novembre 1993.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 541
2 – La novation de la suppléance en intérim présidentiel de facto
Lorsqu’il est absent du territoire national, aux termes de l’article 24
de la Constitution révisée, le Premier ministre supplée le Président. Le
laconisme de cette formule n’en favorisait pas pour autant la clarté. La
continuité de la gestion de l’État justifie que les pouvoirs de l’exécutif
puissent être exercés en l’absence du titulaire. Mais la suppléance ne sau-
rait se traduire par une substitution réelle et parfaite du Premier
ministre au Président de la République ; l’article 12, alinéa 1er de la
Constitution de 1960 était formel : le Président est le détenteur exclusif
des pouvoirs de l’exécutif. Celui-ci pouvait déléguer certains de ses pou-
voirs au Premier ministre (uniquement)137 ; par conséquent, en dehors du
cas de la vacance de la présidence, nul ne pourrait exercer (avec certaines
réserves) la plénitude des pouvoirs du Président à sa place, encore moins
selon sa volonté, sauf à méconnaître gravement la Constitution. Dès lors,
au regard du régime politique ivoirien, l’exercice des pouvoirs de l’exé-
cutif en cas de suppléance n’avait de sens que dans le cadre d’une délé-
gation de pouvoirs. Or, les faits semblaient contrarier la satisfaction de
cette exigence ; le Premier ministre n’ayant pu se prévaloir d’une délé-
gation présidentielle expresse, sauf à penser que celle-ci pouvait valable-
ment intervenir de manière implicite. Certes, le texte fondamental était,
sur cette question, imprécis et le Premier ministre pouvait se targuer de
la confiance du Président de la République. Mais de là à revendiquer
cette interprétation (l’imprécision) pour justifier l’exercice des préroga-
tives du Président sans délégation ne saurait s’imposer. Aussi, c’est en
violation de la loi fondamentale que le Premier ministre a présidé le
Conseil des ministres du 17 novembre 1993 agissant en véritable Prési-
dent de la République138. Au bicéphalisme réel au sein de l’exécutif
s’était substitué un monocéphalisme au profit du Premier ministre. En
Côte-d’Ivoire, les faits illustraient plutôt l’impossibilité pour le Prési-
dent de la République, pour des raisons de santé, d’exercer ses fonctions
dans la période d’absence de mai à novembre 1993. D’ailleurs, le prési-
dent de la Cour suprême, M. Lanzéni Coulibaly, démissionnaire en mai
1993, n’avait pu être remplacé par le Président de la République. Cette
situation, qui avait été volontairement cachée aux Ivoiriens, aurait dû
ouvrir la vacance de la présidence, et dans cette hypothèse, il revenait au
président de l’Assemblée nationale, M. Konan Bédié, d’assurer l’intérim
du Président de la République.
137. Art. 24, al. 1er de la Constitution de 1960 révisée en 1990. L’on peut s’interroger sur
le point de savoir ce qui se serait passé si le Premier ministre ne pouvait pas assurer la sup-
pléance. Auparavant, la délégation présidentielle était faite au profit de tout membre du
gouvernement, si bien que la nouvelle rédaction de ce texte en 1990 souffrait de cette
lacune. Mais, force est de reconnaître que la question ne s’était pas posée.
138. Lire sur ce point, Wodié, op. cit., p. 351 s. Il arrivait, en réalité, au Premier ministre
d’aller à l’étranger faire signer au Président des décisions.
542 Agnéro Privat Mel
Cet état de faits et du droit furent à la base de la révision constitu-
tionnelle de juillet 1998139, fortement décriée par l’opposition politique
au Président Henri K. Bédié, qui ôta au Premier ministre le titre de
« chef du gouvernement »140, puis reconnut clairement au Président de
la République le pouvoir discrétionnaire de révoquer le Premier minis-
tre141. Enfin, les dispositions constitutionnelles en matière de suppléance
du Président de la République ont été précisées en prévoyant notam-
ment la faculté de déléguer au Premier ministre la présidence du Conseil
des ministres sur un ordre du jour précis142. Nonobstant, l’effectivité du
bicéphalisme de l’exécutif sera imposée comme cadre de résolution de la
crise armée qui secoue la Côte-d’Ivoire depuis septembre 2002.
C – LA DIRECTION DU « GOUVERNEMENT DE RÉCONCILIATION
NATIONALE » OU L’EXERCICE DES POUVOIRS PRÉSIDENTIELS
PAR LE PREMIER MINISTRE
Les conventions de sortie de crise ont prévu, pour y parvenir, que le
Premier ministre dispose d’une pleine autorité sur les membres du gou-
vernement (1) et des pouvoirs de l’exécutif (2).
1 – La pleine autorité du Premier ministre
sur les membres du gouvernement
Le pouvoir de former le gouvernement ou « le cabinet »143 est claire-
ment reconnu au Premier ministre par la résolution 1721 du Conseil de
sécurité qui l’affirme en son point 10 in fine. En vertu de cette disposi-
tion, « le Premier ministre exercera sa pleine autorité sur le gouverne-
ment qu’il aura constitué ». Pourtant, ce pouvoir apparaissait déjà, bien
qu’en filigrane, dans la résolution 1633 qui invita le Premier ministre à
exercer « pleinement son autorité sur son cabinet ». La logique du sta-
tut conféré au Premier ministre de transition et la mission à lui recon-
nue induisent que ce dernier, aux fins de disposer d’une pleine autorité
sur les ministres, ait un rôle déterminant dans la formation du gouver-
nement. Il peut paraître surprenant de vouloir trouver dans les conven-
tions de sortie de crise une prérogative que lui donne, dans une certaine
mesure, le texte fondamental. En effet, « sur proposition du Premier
139. Lire sur ce sujet, F. Meledje Djedjero, « La révision constitutionnelle du 2 juillet
1998 en Côte-d’Ivoire : Un réveil du présidentialisme autoritaire ? », Diritto Pubblico Com-
parato, Ed. Europeo 1999, Giappichelli Editore, Turin.
140. Art. 12, alinéa 2 de la Constitution de 1960 révisée en 1998.
141. Ibid.
142. Art. 24, alinéa 3 de la Constitution de 1960 révisée en 1998.
143. L’utilisation de ce vocable dans la résolution 1633 ne peut sembler être faite à but pure-
ment synonymique d’autant que la référence au régime parlementaire est plus qu’évidente.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 543
ministre, le Président de la République nomme les autres membres du
gouvernement (...) » précise l’alinéa 4 de l’article 41. Inspiré de la révi-
sion constitutionnelle de novembre 1990, le droit semble reconnaître au
Premier ministre le pouvoir de proposer la formation ou la composition
du gouvernement à la signature du Président. Dans cette logique, le Pré-
sident ne disposerait que du pouvoir de s’opposer à la liste que lui pré-
sente le Premier ministre144.
Mais, en période normale, la réalité politique ne s’accorde pas avec le
droit dans la mesure où le régime politique ivoirien confortant cette
vision, la formation du gouvernement est une prérogative régalienne du
Président de la République, nous l’avions vu. C’est donc l’ambition de
donner une réalité au bicéphalisme de l’exécutif avec une prédominance au
Premier ministre qui imposait que la formation du gouvernement soit
expressément confiée à celui-ci145 par les conventions, à l’inverse de l’ac-
cord de Linas-Marcoussis. Selon « l’accord parisien », les parties signataires
doivent être représentées, de manière équitable, dans le gouvernement146.
Cette modalité observée par tous les Premiers ministres de transition,
impliqua que ces derniers consultassent les parties signataires en vue de la
formation du gouvernement. Ce gouvernement qu’il convient bien d’ap-
peler « gouvernement de partis »147 entraîna l’affaiblissement de la liberté
du chef du gouvernement, en réalité, de son autorité sur les ministres148.
Même si les termes de la résolution 1721 sont éclairants quant au pouvoir
du Premier ministre de constituer le gouvernement, il reste que la nomi-
nation du gouvernement étant du pouvoir du Président, elle peut consti-
tuer une forte atténuation149. Les pouvoirs reconnus au Premier ministre
pour conduire sa mission participent de la réalité du bicéphalisme.
144. « Laissez Seydou Diarra faire ses consultations et me proposer un gouvernement.
Votre rempart est la dernière signature. C’est cela votre rempart. Un document que je n’ai
pas signé n’est pas valable » disait le Président Gbagbo le 7 février 2003.
145. Le quotidien ivoirien L’Intelligent d’Abidjan n° 697 du 29 décembre 2005 publia
une décision n° 2005-001 en date du 28 décembre 2005 établissant la liste des membres du
gouvernement de transition, attribuée au Premier ministre Banny. En réalité, la nomination
des membres du gouvernement a été faite et publiée par la présidence de la République.
146. Accord de Linas-Marcoussis, point 3-d.
147. Les mots de l’actuel président du Conseil économique et social ivoirien, M. Fologo,
sont, à cet égard, assez virulents. Il parla de « gouvernement de crapauds, de scorpions et de
crabes » pour dénoncer le manque de cohérence de ce qui devait être une équipe gouverne-
mentale.
148. Le constat est établi que ces derniers ne répondaient qu’aux mots d’ordre de leurs
formations politiques respectives.
149. La première formation du gouvernement proposée par le « Premier ministre de
consensus » Seydou Diarra fut rejetée par le Président Gbagbo. Déjà en 2003, pour clore les
débats sur la répartition des ministères, le Président Gbagbo déclarait : « Je n’ai pas encore
formé de gouvernement. Donc, il n’est pas question de dire que tel ministère appartient à tel
et tel autre appartient à tel autre. Les ministères ne sont attribués que lorsque le président de
la République de par les pouvoirs que vous lui avez donnés en l’élisant, pouvoirs confirmés
par la Constitution, signe le décret nommant le gouvernement de la République. Je n’ai
nommé aucun gouvernement ». Voir Gbagbo, Discours à la Nation du 7 février 2003, op. cit.
544 Agnéro Privat Mel
2 – Les pouvoirs nécessaires à la mission du Premier ministre
Les pouvoirs à déléguer (a) ou à attribuer au Premier ministre (b), à
cet effet, visent à réaliser la novation de ce collaborateur privilégié du
Président en « nouveau chef de l’exécutif ».
a) En vertu des délégations prévues par la Constitution
Aux termes de l’accord de Linas-Marcoussis, « (le gouvernement) dis-
posera, pour l’accomplissement de sa mission, des prérogatives de l’exé-
cutif en application des délégations prévues par la Constitution »150.
Alors que la formulation de ce texte semble assez nettement en faveur du
respect du texte fondamental, la question de la délégation de pouvoirs
met en conflit ouvert deux approches dont l’une, se prévalant de l’esprit
de « l’accord parisien », réclame tous les pouvoirs de l’exécutif au profit
du Premier ministre, et l’autre, affirmant l’autorité de la Constitution,
exige le respect du régime de type présidentiel qu’elle organise.
• L’interprétation utile de la Constitution
Cette méthode s’appuie sur l’interprétation fonctionnelle ou utile
d’un texte auquel est donné un sens permettant de remplir une fonction
ou une mission à lui attribuée151. Cette approche fait ainsi prévaloir une
interprétation de la Constitution ivoirienne servant à mettre en œuvre
« l’accord parisien ». La reconnaissance de la légalité constitutionnelle,
ici, n’a, dès lors, d’autre effet que de légitimer les termes dudit accord
d’autant que l’autorité de la Constitution s’efface au profit de l’esprit et
de la lettre de « l’accord parisien ». Cette interprétation vise à attribuer
au « Premier ministre de transition » les pouvoirs de l’exécutif, réalisant
ainsi l’effectivité d’une dyarchie avec un Premier ministre prédominant.
Cette vision revendique la compatibilité entre « l’accord parisien » et la
Constitution, de sorte que les dispositions pertinentes de celle-ci ne doi-
vent être entendues et mises en œuvre que dans l’esprit dudit accord. Il
s’ensuit que les dispositions constitutionnelles, notamment l’article 53
prévoyant la délégation de pouvoirs présidentiels, peuvent être paraly-
sées dans tous les termes contraires à « l’accord parisien ». Dans cet
esprit, les délégations de pouvoirs présidentiels prévues par la Constitu-
tion devraient s’entendre d’un véritable transfert des pouvoirs présiden-
tiels au « Premier ministre de transition ». Aussi, le « Premier ministre
de consensus », M. Diarra, s’est-il cru autorisé à réclamer au Président
Gbagbo « la plénitude des pouvoirs de l’exécutif en conformité avec l’ac-
cord de Linas-Marcoussis » pour dénoncer l’insuffisance, selon lui, des
150. Point 3-e.
151. Voir A. Kpodar, « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels
posés par l’accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », RRJ-DP, Presses universitaires
d’Aix-Marseille, 2005-4 (2), p. 2504-2526.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 545
pouvoirs que ce dernier lui avaient délégués. En faisant injonction au
Président de déléguer les pouvoirs de l’exécutif nécessaires à la conduite
du processus de paix, « l’accord parisien », auquel renvoie la résolution
1633 sur ce point, entend attribuer au Premier ministre des « pouvoirs
propres » pendant la durée de sa mission. La délégation de pouvoirs pré-
sidentiels vise, dans cette acception, à dépouiller le Président de ses pou-
voirs régaliens au profit du Premier ministre. Elle ressemble à s’y
méprendre à un « dessaisissement des pouvoirs présidentiels » ou une
« habilitation présidentielle » pour agir en lieu et place du Président. Il
apparaît avec évidence que l’interprétation utile de la Constitution
heurte gravement le régime politique qu’elle prévoit puisqu’un Premier
ministre prédominant au sein de l’exécutif ivoirien renverse l’ordre
constitutionnel et le cadre institutionnel qu’il instaure. Confortée dans
cette vision, le Premier ministre Banny s’opposa, même ouvertement, à
l’exécution de décrets du Président qui n’avaient pas été signés en
Conseil des ministres152. Face à cette approche, une interprétation reven-
diquant le respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution pour
mettre en œuvre la délégation de pouvoirs que prévoit « l’accord pari-
sien » fait de la résistance.
• La revendication de la pleine autorité de la Constitution
Cette approche vise à rappeler que la Constitution n’étant ni suspen-
due ni mise en veilleuse, le renvoi qu’opère « l’accord parisien » aux
règles constitutionnelles relatives à la délégation de pouvoirs présiden-
tiels ne saurait s’affranchir du respect de l’esprit et de la lettre du texte
fondamental. Cette approche revendique le respect du texte fondamental
comme cadre de résolution de la crise ivoirienne. Dès lors, « les déléga-
tions prévues par la Constitution » ne peuvent s’entendre que de celles
qui s’accordent avec la lettre et l’esprit de la Constitution, c’est-à-dire
qu’elles ne sauraient s’accommoder avec un déséquilibre du régime poli-
tique en vigueur153. Le Président demeure le détenteur exclusif des pou-
152. C’est par un communiqué en date du 27 novembre 2006 attribué au Premier
ministre, que ce dernier s’opposa à l’exécution des décrets pris par le Président de la Répu-
blique la veille, au motif que ces décisions sont des « actes de gouvernement », et à ce titre,
elles rendraient obligatoire « la consultation du Premier ministre et du gouvernement ».
Autrement dit, ces décisions auraient dû être prises dans le cadre du Conseil des ministres.
Une telle approche ne saurait s’imposer, car la jurisprudence administrative n’a retenu la
qualification d’« actes de gouvernement » (décisions émanant d’organes titulaires d’un pou-
voir public, en fait, d’autorités administratives) que pour refuser de contrôler des décisions
s’y rapportant. Or, en l’espèce, le juge administratif n’a point été saisi. Le Premier ministre
a livré une mauvaise interprétation de la notion d’ « actes de gouvernement » d’autant que
la convocation du Conseil des ministres n’induit pas cette qualification. Au surplus, « il ne
suffit pas qu’un acte, émané du (Président de la République) Gouvernement ou de l’un de
ses représentants, ait été délibéré en Conseil des ministres (...) (pour qu’il soit un) acte de
gouvernement ». Lire en ce sens les observations sous l’arrêt CE 19 février 1875, Prince Napo-
léon, Rec. 155, concl. David, GAJA, n° 3.
153. L’analyse que faisait le Président Gbagbo, dans son discours à la Nation du 7 février
2003, est sur ce point assez éloquente : « Il y a comme cela des points où on a essayé de faire
546 Agnéro Privat Mel
voirs de l’exécutif154 ; aucune délégation ne peut valablement intervenir
si elle tend à remettre en cause cette disposition. Certes, la Constitution
ivoirienne ne s’oppose pas à la délégation des pouvoirs présidentiels,
mais elle l’encadre sérieusement. Ainsi la délégation doit-elle être cir-
conscrite quant à sa matière ou son objet précis, puis à sa durée155. De ce
point de vue, la délégation de pouvoirs faite par le Président Gbagbo au
profit du Premier ministre Diarra, l’ayant été pour une durée de six mois
renouvelable paraît discutable. La nécessité de limiter la durée de la
délégation de pouvoirs avait été inspirée en 1998 puis reconduite en
2000 par l’exercice, par l’ancien Premier ministre Ouattara, des fonctions
présidentielles vers la fin de la vie du Président Houphouët-Boigny pen-
dant une durée assez longue de plus de six mois. La délégation de pou-
voirs ne saurait, ici, signifier la substitution réelle du Premier ministre au
Président pendant la durée prévue à cet effet. Ainsi, le Président peut
intervenir pendant la période prévue et dans la matière ou l’objet délégué
pour y mettre fin, même pour un motif d’opportunité. Au surplus, la
délégation de pouvoirs présidentiels prévue par la Constitution implique
la responsabilité du délégataire devant le déléguant. Or, les conventions
sur la crise ivoirienne, visant l’indépendance du Premier ministre, en sont
réfractaires. Toutefois, l’autorité de la Constitution demeurant prépondé-
rante, toute règle, prévue par « l’accord parisien » et les résolutions onu-
siennes, qui la méconnaît ne peut être appliquée, ainsi que le précisait le
Président Gbagbo : « toutes les atteintes contenues ça et là encore dans le
texte de la résolution (1721) et qui constituent des violations de la
Constitution de la République ne seront pas appliquées »156.
Cette situation de conflit d’interprétations fut à la base de l’accord
d’Accra III157. Sur la question de la délégation de pouvoirs, l’accord a
recommandé au Président Gbagbo de traduire « les termes de sa lettre158
sous forme de décret qui précisera les domaines couverts par cette délé-
gation de pouvoirs conformément aux dispositions pertinentes de l’ac-
glisser notre régime présidentiel vers un régime parlementaire. Mais nous ne sommes pas
dans un régime parlementaire, nous sommes dans un régime présidentiel et la clé de voûte
de toutes les institutions c’est le président de la République. J’entends conserver toutes les
prérogatives que la Constitution met à ma disposition. J’entends prendre toutes les respon-
sabilités qui sont contenues dans la Constitution. C’est pourquoi je vous dis que le texte de
Marcoussis ne sera pas considéré comme une Constitution bis. Chaque fois qu’il y aura une
contradiction entre le texte de Marcoussis et la Constitution, j’appliquerai la Constitution ».
154. Article 41 de la Constitution d’août 2000.
155. Article 53 de la Constitution d’août 2000.
156. Voir Discours à la Nation de S.E.M. Laurent Gbagbo du 2 novembre 2006.
157. L’accord d’Accra (Ghana) III faisait suite aux rencontres des 29 et 30 juillet 2004
sur la crise en Côte-d’Ivoire à l’invitation du Président ghanéen, Kufuor, et du secrétaire
général des Nations Unies, Annan, en présence des chefs d’État et de gouvernement afri-
cains, le Président Gbagbo et les parties signataires de l’accord de Linas-Marcoussis.
158. Par lettre en date du 12 décembre 2003 notifiée au Premier ministre, le Président
Gbagbo précisait que la délégation de pouvoir qui lui est conférée aux termes de l’article 53
de la Constitution permet à celui-ci de mettre en œuvre toutes les dispositions de l’accord
de Linas-Marcoussis.
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 547
cord de Linas-Marcoussis ». Pourtant, la question de la délégation allait
encore une fois être soulevée à Pretoria devant le Médiateur de l’Union
Africaine, le Président sud-africain Thabo M’Béki. L’accord de Pretoria159
reconnaîtra « que la délégation de pouvoirs dont jouit le Premier
ministre est suffisante pour lui permettre d’accomplir sa mission confor-
mément à l’accord de Linas-Marcoussis » car, en réalité, l’incohérence et
l’inefficacité de l’action gouvernementale tenaient plutôt au manque
d’autorité du Premier ministre sur les membres du gouvernement160.
Face à la résistance de l’approche favorable à l’autorité de la Constitution
ivoirienne, la résolution 1721 a entrepris d’octroyer des pouvoirs au Pre-
mier ministre sans faire référence au texte constitutionnel ivoirien.
b) En vertu de la résolution (1721) du Conseil de sécurité de l’ONU
Contrairement à « l’accord parisien » et à la résolution 1633 qui y
fait renvoi à ce sujet, l’ambition clairement affichée de donner au Pre-
mier ministre la prééminence au sein de l’exécutif justifia que la résolu-
tion 1721 lui octroyât d’immenses pouvoirs. Il a paru essentiel au
Conseil de sécurité, entérinant la décision du Conseil de paix et de sécu-
rité de l’Union africaine, de s’affranchir de la Constitution ivoirienne
pour donner au Premier ministre des pouvoirs161. Sur ce point, la résolu-
tion 1721, reprenant dans une formulation générale certains termes de la
résolution 1633, impose que le Premier ministre dispose « de tous les
pouvoirs nécessaires, de toutes les ressources financières, matérielles et
humaines requises et d’autorité totale et sans entraves »162. Il apparaît
nettement que la résolution 1721 tranche avec les conventions précé-
dentes sur la Côte-d’Ivoire dans la mesure où elle entend faire du Pre-
mier ministre le détenteur de tous les pouvoirs de l’exécutif et lui en
donne la prépondérance. Le Premier ministre a, à cet effet, le « pouvoir
de prendre toutes les décisions nécessaires, en Conseil des ministres ou
en conseil de gouvernement par ordonnance ou décret-loi »163. La
conduite de la politique nationale est ainsi confiée au Premier ministre
qui dispose, également, de toute l’autorité nécessaire sur les forces de
défense et de sécurité de Côte-d’Ivoire.
159. Il fut obtenu après la réunion des leaders politiques ivoiriens, le Président Gbagbo
y compris, le 6 avril 2006 sous la présidence du Médiateur Thabo M’Beki.
160. Des ministres ne participaient pas aux travaux du conseil de gouvernement sans que
le Premier ministre, Diarra, ne réagisse pour faire cesser ces absences. Aussi le Président de
la République prit-il, en mai 2004, des sanctions contre ces derniers.
161. Le point 4 de la résolution 1721 stipulait que « toutes les parties ivoiriennes s’y
conforment totalement et qu’elles n’invoquent aucune disposition légale pour faire obstacle
à ce processus ». Le Président Gbagbo révéla, dans son discours à la Nation du 2 novembre
2006, que cette disposition fut adoptée en remplacement d’une disposition du projet de
résolution en vertu de laquelle « les décisions du Conseil de sécurité prévalent sur la Consti-
tution ivoirienne et la législation du pays ».
162. Point 8.
163. Alinéa 2, point 8.
548 Agnéro Privat Mel
La logique de l’ambition poursuivie a, encore, conduit le Conseil de
sécurité à reconnaître au Premier ministre la pleine autorité sur le gou-
vernement qu’il aura constitué. Il est évident que la résolution affecte
gravement l’ordre constitutionnel que le coup d’État du 19 septem-
bre 2002 visait à interrompre. Il est, par conséquent, surprenant et para-
doxal que la résolution, prônant le respect de la souveraineté et de l’in-
dépendance de la Côte-d’Ivoire consacrant ainsi la reconnaissance de
l’autorité de sa Constitution, attribue, au mépris de ce texte, tous les
pouvoirs de l’exécutif au Premier ministre alors que rien n’est ôté au
Président. Aussi le Président Gbagbo, en sa qualité de gardien de la
Constitution, a déclaré que la Constitution ivoirienne sera appliquée et
les dispositions conventionnelles qui la méconnaissent ne le seront point164.
Au-delà de la situation ivoirienne à laquelle elle se rapporte, la réso-
lution onusienne pose la question du rapport entre une résolution du
Conseil de sécurité et une Constitution d’un État membre de l’ONU.
Même si le cadre de cette étude ne permet pas une analyse plus appro-
fondie de cet aspect, force est de reconnaître que la résolution 1721
répond à la question du conflit entre ces deux normes. Il est, en effet,
plus que paradoxal de reconnaître la souveraineté de l’État ivoirien et de
la méconnaître en même temps. En adhérant à l’ONU, aucun État (sou-
verain), sauf à se renier, n’a aliéné sa souveraineté165. En cas de conflit
consécutif à l’agression d’un membre de l’ONU, le Conseil de sécurité est
habilité à prendre des mesures sur la base du chapitre 7 de la Charte de
l’ONU relativement au maintien de la paix. Ces mesures ont force
contraignante à l’égard des parties. Mais ces mesures ne sauraient être
admises à violer la Constitution d’un État dont les institutions fonction-
nent malgré la crise.
Tant qu’est en vigueur la Constitution ivoirienne d’août 2000, il est
vain de trouver dans ses dispositions les éléments confortant un bicépha-
lisme réel de l’exécutif. L’esprit de la Constitution ivoirienne ne saurait
s’accommoder d’une telle approche, sauf à envisager une révision de la
loi fondamentale, au demeurant impossible en cas d’atteinte à l’intégrité
territoriale comme ce fut le cas en l’espèce166. La formulation de l’article
41, reconnaissant le Président de la République comme le détenteur
exclusif des pouvoirs de l’exécutif, n’offre, ainsi, aucune concession en
164. Voir Discours à la Nation du Président Gbagbo du 2 novembre 2006, op. cit.
165. Lire dans une autre approche, E. Boga Doudou, Souveraineté et développement (Côte-
d’Ivoire), doctorat d’Etat en droit public, Nice, 1981.
166. Dans son avis n° 003/CC/SG du 17 décembre 2003, le Conseil constitutionnel ivoi-
rien précisa, en effet, qu’en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire, « il ne peut ni être
engagé ou poursuivi une révision constitutionnelle, ni être procédé à une consultation du
peuple sur tout ou partie du territoire ».
La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien 549
faveur d’une réelle dyarchie. L’équilibre des pouvoirs que met en place la
Constitution ivoirienne interpelle plutôt, et surtout, les pouvoirs exécu-
tif, législatif et judiciaire167. Il s’ensuit que le Président de la République
réalise nécessairement dans l’esprit des constituants ivoiriens l’unité du
pouvoir exécutif. La délégation de pouvoirs présidentiels instaure le
moyen d’une déconcentration favorable à une meilleure exécution de la
politique déterminée et conduite par le Président de la République sous
son autorité et sa responsabilité. Bien qu’il soit prématuré de faire un
bilan du dernier accord en date sur la Côte-d’Ivoire, l’accord de Ouaga-
dougou a la particularité d’envisager la conduite du processus de paix
sous l’égide de la Constitution ivoirienne. En d’autres termes, le cadre
institutionnel retenu, à cet effet, reste dans le droit fil de celui instauré
par la Constitution ainsi que nous l’avons vu.
Dès lors, il n’y a pas lieu de parler de bicéphalisme effectif, mais plu-
tôt de collaboration étroite entre les deux têtes de l’exécutif au sein
duquel la prééminence du Président n’est plus disputée. Dans cet esprit,
le Président Gbagbo a pu déléguer, contrairement à ses rapports avec les
Premiers ministres Diarra et Banny, des pouvoirs au Premier ministre
Soro168. Cette collaboration a permis, jusque-là, d’obtenir des résultats,
que les accords précédents n’ont pu permettre d’obtenir, dans le proces-
sus de sortie de crise. Il reste, toutefois, que la présence d’un Premier
ministre dans le régime politique ivoirien ne semble pas pertinente et ne
devrait donc pas prospérer.
167. Notre thèse, op. cit.
168. Par lettre de mission du Président en date du 18 avril 2007 notifiée au Premier
ministre, ce dernier a reçu délégation de pouvoirs pour diriger les Conseils des ministres
relatifs au fonctionnement du gouvernement et aux attributions des membres du gouverne-
ment. Ainsi, le Premier ministre présida le Conseil des ministres du 20 avril 2007 au palais
de la présidence d’Abidjan-Plateau et infligea des sanctions disciplinaires aux ministres
(M. M. Dosso, Enseignement technique et formation professionnelle et M. Y. Soumahoro,
Commerce) suite à une violente dispute entre les deux personnalités.