Osp Perception 1469
Osp Perception 1469
36/3 | 2007
Varia
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/osp/1469
DOI : 10.4000/osp.1469
ISSN : 2104-3795
Éditeur
Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP)
Édition imprimée
Date de publication : 15 septembre 2007
Pagination : 379-400
ISSN : 0249-6739
Référence électronique
Marion Dutrévis et Marie-Christine Toczek, « Perception des disciplines scolaires et sexe des élèves : le
cas des enseignants et des élèves de l’école primaire en France », L'orientation scolaire et
professionnelle [En ligne], 36/3 | 2007, mis en ligne le 15 septembre 2010, consulté le 01 mai 2019.
URL : http://journals.openedition.org/osp/1469 ; DOI : 10.4000/osp.1469
Introduction
1 Les disciplines scolaires sont au cœur de l’orientation scolaire et professionnelle. En effet,
c’est sur la base d’une plus ou moins grande réussite dans telle ou telle discipline que les
élèves se verront conseiller ou, à l’inverse, refuser l’accès à une filière nécessitant un
niveau de maîtrise supérieur. Or, les disciplines scolaires, avant même de permettre un
choix d’orientation scolaire ou professionnelle, semblent investies de manière différente
par les élèves, selon qu’ils aspirent à réaliser tel ou tel projet professionnel. De plus, il
apparaît que ces disciplines sont également investies de manière inégale par les garçons
et par les filles. Ces disparités sont nettes si l’on s’arrête sur les choix de filières au niveau
des baccalauréats. En examinant les choix d’orientation (Duru-Bellat, 2004 ; Chatard,
2004) et les résultats des élèves, tout nous conduit à penser que ces choix s’installent très
tôt dans la scolarité des élèves. En 2005, en analysant les statistiques fournies par la
Direction de l’évaluation et de la prospective (DEP), on observe qu’en termes de taux de
succès global au baccalauréat, les filles réussissent mieux que les garçons. Toutefois, les
candidates sont minoritaires dans la filière scientifique S (45 %), ainsi que dans certaines
séries technologiques (seulement 8 % des effectifs de STI et 28 % de STAE) et
professionnelles (à peine 10 % des effectifs du secteur de la production). Inversement,
elles sont largement majoritaires en filière littéraire L (82 %), dans les séries
technologiques SMS (96 %) et STT (61 %) ainsi que dans le secteur des services du
4 Les disciplines ne sont pas toutes équivalentes quant à l’enjeu qu’elles véhiculent.
Certaines disciplines sont peu valorisées, c’est le cas notamment du dessin – discipline
nommée arts plastiques ou arts visuels dans les instructions officielles. D’autres, au
contraire, sont plus valorisées, comme les mathématiques par exemple (Chambon, 1990a,
1990b ; Huguet & Monteil, 1992 ; Monteil & Huguet, 2001 ; Mugny & Carugati, 1985). Cette
hiérarchie des disciplines scolaires conduit l’école en général et les parents en particulier
à développer des attentes de réussite en fonction de la valeur académique des disciplines.
Une étude menée par Monteil et Huguet (2001, 2002) a révélé que la valeur académique
accordée à certaines disciplines ou à certaines tâches est susceptible de réguler les
performances et que cet effet peut être modulé par le passé scolaire des élèves. Dans
l’étude en question, de bons et de mauvais élèves devaient mémoriser une figure
complexe adaptée de la figure de Rey. Les expérimentateurs présentaient cette même
figure dans deux contextes différents correspondant à des disciplines contrastées : la
géométrie versus les arts plastiques. Le but de cette expérience était de montrer que les
performances des élèves sont étroitement liées à la représentation qu’ils ont d’eux-
mêmes dans telle ou telle discipline : la seule évocation de la géométrie, lorsqu’elle active
chez eux des souvenirs d’échec (Huguet, 2006), serait ainsi susceptible d’inhiber leur
capacité à stocker et récupérer une information en mémoire. Les résultats sont éloquents.
Dans le contexte de la géométrie, les performances des élèves en échec scolaire sont très
inférieures à celles des élèves en réussite. En revanche, dans le contexte des arts
plastiques, leurs performances sont bien meilleures au point de ne plus différer de celles
des bons élèves. Ce sont donc bien les représentations construites au fil du temps par les
enfants à propos d’eux-mêmes qui s’avèrent déterminantes. Les résultats montrent que
les élèves faibles réalisent de meilleures performances dans le contexte moins valorisé
des arts par rapport à celui à fort enjeu social : la géométrie. Au contraire, les bons élèves
obtiennent de meilleures performances lorsque la tâche est présentée dans un contexte
de géométrie. Il est intéressant de noter que les performances des élèves dans le contexte
des arts plastiques sont équivalentes ; elles ne sont pas dépendantes de leur passé
scolaire. Une telle expérience révèle que les performances obtenues à une même tâche
peuvent être déterminées par une induction de contextes différents, contextes marqués
par un ancrage disciplinaire différent : un contexte à forte valeur académique versus à
faible valeur académique, et ceci plus fortement pour les élèves ayant un passé scolaire
caractérisé par des difficultés d’apprentissage. Cette recherche atteste fort bien que ce ne
sont pas les capacités des élèves qui sont en jeu ici mais bien la perception des contextes
liés aux disciplines scolaires qui régulent les performances.
5 Cette étude est confortée par une seconde recherche menée très récemment par Neuville
(2005) reprenant le même paradigme d’induction de contextes liés aux disciplines :
géométrie/arts plastiques. Dans ce travail, Neuville s’attache à observer les performances
des filles et des garçons à cette même tâche. Ses résultats montrent que les filles
obtiennent des performances plus faibles lorsque la tâche est intitulée géométrie. Ce sont
paradoxalement les filles – collégiennes – plus fortes en mathématiques qui, dans ce
contexte de la géométrie, réalisent les performances les plus faibles. Ici, semble-t-il, c’est
la crainte de confirmer la mauvaise réputation de leur groupe d’appartenance qui
constitue la source d’interférence négative (pour une interprétation similaire, voir
également Spencer, Steele & Quinn, 1999). Si, dans un tel contexte, la performance des
filles est altérée, elles réussissent cette épreuve comme les garçons lorsqu’on leur
présente cet exercice dans le cadre d’une activité d’arts plastiques. Conformément aux
stéréotypes de genre (Eccles, Jacobs & Harold, 1990 ; Guimond & Roussel, 2002),
l’évaluation sur un domaine dans lequel les filles sont réputées peu compétentes (la
géométrie) altère leur niveau de réussite. Lorsque la dimension évaluée est présentée
comme typiquement féminine (les arts plastiques), cet effet disparaît.
9 Les interactions enseignants-élèves sont fortement marquées par les attentes des
enseignants concernant la réussite des élèves. D’une manière générale, l’ensemble de ces
interactions semble façonner des comportements différents chez les élèves filles et
garçons (Duru-Bellat, 1995 ; Dweck et al., 1978 ; Callaghan & Manstead, 1983), favorisant
pour les garçons une meilleure confiance en eux alors même qu’ils reçoivent plus de
critiques. À l’inverse, les enseignants inviteraient les filles à expliquer leurs échecs par
des facteurs stables et incontrôlables (le manque d’aptitudes) et non par des facteurs
comme l’effort par exemple. De plus, les enseignants perçoivent les faibles performances
de manière différente selon le sexe de l’élève ; les faibles performances des filles dans les
matières scientifiques seraient perçues avec un certain fatalisme alors que les
enseignants essaient visiblement de lutter contre les difficultés des garçons en lecture.
D’autres travaux révèlent que, dans les matières scientifiques (Leder, 1987, 1990), la
nature des interactions enseignants-élèves est différente selon le sexe des élèves. Il
semblerait que l’on dénombre moins d’interactions avec les filles, moins
d’encouragements à trouver la bonne réponse, moins de temps pour répondre, moins de
remarques d’ordre cognitif, surtout des remarques de haut niveau cognitif en direction
des filles. D’ailleurs, ces éléments sont soutenus par une étude de Crossman (1987)
réalisée en classe de physique où l’on compte davantage d’interactions verbales des
enseignants avec les élèves garçons et plus de questions simples adressées aux filles. La
recherche de Kimball (1989) montre que ces différences semblent s’accroître avec l’âge.
Ainsi, dans un cours de géométrie de niveau lycée, les filles reçoivent 30 % des
interactions encourageantes alors que les garçons en reçoivent plutôt à hauteur de 70 %.
De plus, une recherche menée par Eccles et Jacobs (1986) révèle que les différences de
temps alloué se cumulent au cours de la scolarité. De manière complémentaire, d’autres
travaux montrent que les garçons sont le plus souvent à l’origine des interactions avec
l’enseignant dans ces cours de sciences (Morse & Handley, 1985). Ces différences
d’interaction maître-élèves selon le sexe, dans les matières scientifiques, sont d’ailleurs
plus marquées chez les bons élèves (Parsons, Kaczala & Meese, 1982).
10 L’ensemble de ces travaux alimente fort bien l’idée que les disciplines scolaires révèlent
des comportements différents tant du point de vue des enseignants que du point de vue
des élèves. En revanche, nous savons peu de choses concernant les perceptions explicites
mobilisées par ces différents acteurs. Aucune recherche n’a jamais évalué la perception
différenciée de l’ensemble des disciplines. Toutes les recherches, excepté celles menées
par Eccles aux États-Unis, mobilisent telle ou telle discipline en établissant un ou
plusieurs postulats de départ concernant la perception des disciplines par les différents
acteurs. Mais l’on ignore tout des perceptions explicites. Comment les élèves perçoivent-
ils les disciplines scolaires ? Ces perceptions sont-elles différentes en fonction du sexe des
élèves ? Les enseignants mobilisent-ils les mêmes perceptions ? Ont-ils des perceptions
équivalentes quel que soit le sexe des élèves ou bien leurs perceptions révèlent-elles les
stéréotypes de genre ? L’ensemble de ces questions compose notre problématique.
11 Dans cette recherche, nous souhaitons évaluer la perception de l’ensemble des disciplines
scolaires enseignées à l’école élémentaire, en se focalisant d’une part sur les perceptions
des élèves (étude 1) et d’autre part sur celles des enseignants (étude 2). En effet, la
perception des disciplines apparaît comme l’un des indicateurs les plus pertinents (Eccles
et al., 1983 ; Eccles et al., 1984 ; Eccles et al., 1993 ; Wigfield et al., 1997) dans l’explication
des différences de performances et de la répartition encore fortement sexuée des filières
et des professions.
enseignants de l’école primaire (étude 2). Nous posons l’hypothèse selon laquelle la
perception des disciplines refléterait les stéréotypes de genre véhiculés dans la société en
général et à l’école en particulier. Ainsi, les garçons et les filles interrogés devraient
différer dans leur perception des disciplines scolaires (Eccles et al., 1984 ; Eccles et al.,
1993 ; Wigfield et al., 1997). De même, les enseignants devraient témoigner d’une
perception différenciée de l’importance des disciplines scolaires pour les filles et les
garçons (Duru-Bellat, 1995).
13 De manière plus précise, dans l’étude 1, nous attendons des perceptions des disciplines
différenciées selon le sexe des élèves. À la lumière des travaux américains d’Eccles et ses
collaborateurs (Eccles et al., 1984 ; Eccles et al., 1993 ; Wigfield et al., 1997), la valeur
subjective accordée aux différentes disciplines scolaires devrait varier entre les filles et
les garçons, de façon conforme aux stéréotypes de genre. Les filles devraient donc
attribuer une grande valeur au français, aux arts plastiques et à la musique. Dans le même
temps, les garçons devraient plutôt valoriser les disciplines mathématiques et
scientifiques ainsi que le sport. Un constat similaire est également attendu sur le
classement de préférence des disciplines scolaires. Si les filles et les garçons ont
intériorisé les stéréotypes de genre, ils devraient exprimer une préférence pour les
disciplines scolaires stéréotypiques de leur groupe d’appartenance (Eccles et al., 1983).
Enfin, une mauvaise évaluation devrait être perçue comme plus grave par les filles dans
les disciplines socialement définies comme féminines alors que l’inverse devrait être
observé pour les garçons.
14 Notamment au regard des études sur les interactions enseignants-élèves, une seconde
étude nous a paru indispensable afin d’évaluer la perception des disciplines scolaires non
plus par les élèves mais par les enseignants de l’école primaire. D’un point de vue général,
on s’attend à observer une forte stratification des matières scolaires. Conformément aux
études préalables (Chambon, 1990a, 1990b ; Lenoir, Larose, Grenon & Hasni, 2000), les
disciplines liées à la maîtrise du français et des mathématiques devraient occuper une
position hégémonique. Suivraient les sciences puis les autres disciplines, le sport
occupant néanmoins une place plus importante dans cette hiérarchie que les arts
plastiques et la musique. Concernant plus spécifiquement les différences de sexe, les
enseignants devraient évaluer différemment l’importance des disciplines scolaires pour
l’avenir des filles et des garçons. Qu’il s’agisse de l’avenir professionnel de leurs élèves ou
d’une perspective d’avenir plus générale, les enseignants devraient considérer les
disciplines jugées typiquement féminines ou masculines comme respectivement plus
importantes pour les filles ou pour les garçons. Concernant l’avenir professionnel des
élèves, cet effet devrait être plus marqué pour le français et les mathématiques que pour
les disciplines dites secondaires, compte tenu de leur différenciation en termes de valeur
sociale. Enfin, les enseignants devraient également percevoir des différences de sexe dans
l’importance accordée aux disciplines scolaires par les garçons et les filles. Là encore, les
enseignants devraient rapporter une plus grande importance accordée par les élèves aux
disciplines stéréotypiques de leur groupe de genre (Duru-Bellat, 1995).
Étude 1
Méthode
Participants
15 Soixante-quatorze élèves inscrits en classe de CM2 ont participé à cette recherche. Notre
échantillon était composé de 43 filles et 31 garçons originaires de trois classes d’écoles
primaires du Puy-de-Dôme.
Matériel et procédure
16 L’étude menée auprès des élèves de CM2 s’est déroulée en situation de classe à l’aide d’un
questionnaire contenant l’ensemble de nos consignes et mesures. Sur la première page du
questionnaire, les élèves apprenaient qu’ils allaient répondre à des questions concernant
leur opinion sur différentes matières qu’ils apprenaient à l’école. Un exemple d’item ainsi
que les modalités de réponse leur étaient ensuite présentés. Avant de poursuivre,
l’expérimentatrice s’assurait que chaque élève avait compris les consignes de
complètement du questionnaire. Chaque page du questionnaire concernait une discipline
scolaire (les mathématiques, le français, le sport, l’orthographe, la géométrie, les arts
plastiques, la lecture, les sciences, la musique et la résolution de problèmes). Pour chaque
discipline proposée, les élèves devaient répondre à sept questions sur une échelle allant
de 1 : « pas du tout d’accord » à 5 : « tout à fait d’accord ». Les quatre premières questions
concernaient la valeur subjective accordée au domaine (Eccles et al., 1993). Cette échelle
comporte quatre items relatifs à l’importance de bien réussir dans le domaine, l’intérêt
pour le domaine, l’utilité du domaine et le fait d’aimer le domaine. Pour cette mesure,
plus les scores sont élevés, plus la valeur accordée à la discipline est importante. Les
travaux antérieurs d’Eccles (Eccles et al., 1983 ; Eccles et al., 1993) attestent des qualités
psychométriques de ces items et de leur compréhension par des élèves de CM2.
17 Les trois items suivants se focalisaient sur les enjeux évaluatifs liés à la discipline. Dans un
premier temps, les élèves devaient indiquer à quel point ils considéraient comme grave
une mauvaise évaluation dans chacune des disciplines. Dans un second temps, nous leur
demandions d’indiquer dans quelle mesure leur enseignant d’une part et leurs parents
d’autre part estimaient grave une mauvaise évaluation dans ces disciplines.
18 La dernière partie du questionnaire était consacrée à l’établissement d’un classement des
disciplines scolaires par ordre de préférence. Nous présentions aux élèves une liste de dix
disciplines scolaires (1) : les sciences, le sport, la lecture, la musique, la résolution de
problèmes, l’orthographe, la géométrie, les opérations, les arts plastiques et l’expression
écrite. Les élèves devaient classer les disciplines proposées par ordre de préférence en
indiquant « 1 » devant leur discipline préférée et en déclinant le classement jusqu’à « 10 »
qu’ils devaient annoter devant la discipline qu’ils aimaient le moins.
Résultats
Valeur subjective accordée aux disciplines
19 Afin de vérifier la consistance interne de cette mesure pour chacune des disciplines
scolaires proposées, nous avons calculé des alpha de Cronbach sur les quatre items de
l’échelle (Eccles et al., 1983 ; Eccles et al., 1984 ; Jacobs et al., 2002). Les alpha étant
satisfaisants (c’est-à-dire tous compris entre .66 et .90), nous avons calculé un score
moyen pour chaque discipline (voir tableau 1).
Tableau 1
Valeur subjective moyenne accordée aux disciplines scolaires par les élèves
F0
61 M ET M ET M ET F F0 2
68
Maths .66 4,36 0,65 4,29 0,69 4,46 0,60 1,33** 0,018
Français .69 4,11 0,66 4,18 0,62 4,03 0,71 0,97** 0,013
Sport .86 4,40 0,83 4,21 0,97 4,64 0,50 5,24** 0,069
Orthographe .74 4,14 0,72 4,18 0,70 4,10 0,76 0,19** 0,003
Géométrie .77 4,23 0,78 4,07 0,90 4,44 0,54 4,23** 0,056
Arts .78 4,15 0,81 4,29 0,64 3,97 0,97 2,87** 0,038
plastiques
Lecture .82 4,25 0,82 4,43 0,74 4,02 0,87 4,94** 0,065
Sciences .87 4,35 0,80 4,20 0,93 4,53 0,57 3,16** 0,043
Musique .91 3,80 1,20 3,89 1,20 3,67 1,10 0,61** 0,009
Résolution .78 4,24 0,80 4,12 0,93 4,40 0,60 2,12** 0,029
de
problèmes
Table 1
21 Des ANOVA ont été réalisées sur la valeur accordée à chacune des disciplines scolaires en
prenant le sexe comme variable inter-sujets. Les résultats sont partiellement en accord
avec nos hypothèses (voir tableau 1 pour l’ensemble des indices statistiques (2)). Tout
d’abord, les garçons attribuent une plus grande valeur à la géométrie que les filles. Un
effet similaire, bien que tendanciel, s’observe également en sciences. De plus, la valeur
subjective accordée au sport est également plus forte chez les garçons.
22 Les filles quant à elles accordent plus de valeur à la lecture que les garçons. Parmi les
disciplines secondaires, la valeur subjective attribuée aux arts plastiques tend à être plus
grande chez les filles que chez les garçons.
23 Concernant les autres disciplines (français, orthographe, musique et résolution de
problèmes), aucune différence de valeur subjective en fonction du sexe n’est significative
(tous les p > .14). Enfin, il est à noter que, sur l’échantillon total, une ANOVA à mesures
répétées montre que la valeur subjective accordée au français (M = 4,11) est
significativement inférieure à la valeur accordée aux mathématiques (M = 4,36), F(1,73) =
4,53, p < .05. Néanmoins, lorsque l’on effectue des analyses séparées en fonction du sexe,
on note que cette différence n’est significative que chez les garçons (respectivement M =
4,03 pour le français et M = 4,46 pour les mathématiques), F(1,32) = 6,32, p < .05.
24 Afin d’obtenir une représentation de la hiérarchie des disciplines selon les élèves, nous
leur avons demandé d’opérer un classement par ordre décroissant de préférence. Nous
avons établi un classement distinct pour les filles et les garçons (voir tableau 2). D’un
point de vue descriptif, il apparaît que, pour les filles, les matières préférées sont les arts
plastiques puis le sport. La lecture vient en 3e position, suivie de la musique puis des
disciplines scientifiques. L’expression écrite et l’orthographe ne sont respectivement que
8e et 10 e de ce classement. Concernant les garçons, les résultats montrent que leur
préférence s’oriente tout d’abord vers le sport, puis vers les disciplines liées à
l’apprentissage des mathématiques et des sciences. Les disciplines les moins appréciées
par les garçons sont celles relatives à la maîtrise de la langue française qui apparaissent
en 8e, 9e et dernière position dans la hiérarchie. Les analyses statistiques mettent en
évidence des différences significatives entre filles et garçons sur le classement de
plusieurs disciplines (voir tableau 2). Les filles expriment une préférence
significativement plus marquée pour la lecture, l’expression écrite et les arts plastiques
que les garçons (tous les p < .05). Cet effet n’est que tendanciel pour la musique. À
l’inverse, la résolution de problèmes tend à être mieux classée par les garçons que par les
filles. Les autres disciplines ne font pas apparaître de différences entre garçons et filles
(tous les p > .14).
Tableau 2
Classement de préférence des disciplines scolaires par les élèves en fonction du sexe
Arts plastique 2 4,22 2,52 1 3,63 2,29 5 4,97 2,63 5,35** 0,070
Expression écrite 9 6,89 2,28 8 6,29 2,31 10 7,66 2,04 6,94** 0,089
Table 2
26 D’une manière générale, la préférence des élèves (garçons ou filles) s’oriente dans un
premier temps vers une ou plusieurs disciplines secondaires. Viennent ensuite les
disciplines scientifiques puis les disciplines liées à l’apprentissage et à la maîtrise de la
langue française (exception faite de la lecture qui se trouve bien placée dans le
classement établi par les filles).
27 Enjeu évaluatif accordé par les élèves. Concernant l’enjeu évaluatif accordé aux différentes
disciplines par les élèves, on n’observe aucune différence en fonction du sexe des élèves
pour les dix disciplines proposées (tous les p > .22).
28 Enjeu évaluatif accordé par le maître. Contrairement à nos hypothèses, les garçons ont plus
tendance que les filles à penser qu’une mauvaise évaluation en français sera perçue
comme grave par leur maître (respectivement M = 3,64 et M = 3,10), F(1,72) = 3,64, p = .054,
F0 2
68 = 0,051. Si ce résultat peut sembler surprenant, il convient néanmoins de noter que, si
les effets ne sont pas significatifs dans les autres disciplines (tous les p > .14), les
moyennes des garçons sur cette mesure sont supérieures à celles des filles dans 9 des 10
disciplines étudiées (excepté les sciences).
29 Enjeu évaluatif accordé par les parents. Une mauvaise évaluation en musique sera
considérée comme plus grave par les parents pour les garçons (M = 3,13) que pour les
filles (M = 2,58), F(1,70) = 3,58, p < .07, F0
68
2 = 0,049. Aucune autre différence n’est
Étude 2
Méthode
Participants
Matériel et procédure
proposées étaient identiques à celles présentées aux élèves. Les participants notaient le
chiffre « 1 » devant la discipline qu’ils considéraient comme étant la plus importante et
hiérarchisaient les autres disciplines dans un ordre décroissant, jusqu’au chiffre « 10 »
qu’ils attribuaient à la discipline jugée la moins importante.
34 Le questionnaire s’achevait par trois questions nous permettant de recueillir des
informations sur le sexe de l’enseignant, son ancienneté et son niveau actuel
d’enseignement.
Résultats
Classement hiérarchique des disciplines scolaires
35 Notre intérêt s’est tout d’abord porté sur la hiérarchie des disciplines scolaires établie par
les enseignants. Il convient ici de noter que, si 58 enseignants ont participé à cette étude,
seuls 38 d’entre eux ont fourni le classement hiérarchique des disciplines que nous leur
demandions. Sur les 38 répondants, le nombre insuffisant d’hommes (n = 8) ne nous a pas
permis d’effectuer des comparaisons en fonction du sexe. De manière explicite, certains
enseignants nous ont fait part de leur refus de hiérarchiser les différentes disciplines. Il
est possible que cette question les ait placés dans une position délicate, les contraignant à
aller à l’encontre des instructions officielles. Les statistiques descriptives effectuées nous
fournissent plusieurs informations (voir tableau 3). Ainsi, la lecture semble être
largement en tête de la hiérarchie établie par les enseignants. De plus, l’écart type très
faible nous indique une forte homogénéité de la part des enseignants interrogés dans la
désignation de la lecture comme discipline primordiale pour les élèves. La résolution de
problèmes se classe en seconde position. Viennent ensuite les autres disciplines
rattachées à la maîtrise du français, puis les disciplines mathématiques et scientifiques, et
enfin le sport, les arts plastiques, et la musique.
Tableau 3
n Rang M ET
36 Note. Les chiffres entre parenthèses correspondent au classement de préférence établi par les élèves (voir
étude 1).
Table 3
37 Pour l’ensemble des questions suivantes, nous avons réalisé des ANOVA mixtes avec le
sexe des enseignants en variable inter-sujets et l’importance de chaque discipline pour les
filles et pour les garçons en variable intra-sujets. Les résultats doivent néanmoins être
pris avec précaution dans la mesure où le nombre de répondants (n = 13) est très inférieur
au nombre de répondantes (n = 43) 3. Les enseignants estiment que le sport est plus
important pour les garçons (M = 3,71) que pour les filles (M = 3,59), F(1,54) = 7,71, p < .05, F0
68
2 = 0,125 alors que pour les enseignantes, le sport semble aussi important pour les garçons
que pour les filles (respectivement M = 3,67 et M = 3,63). L’interaction est significative (F
(1,54) = 4,75, p < .05, F0
68
2 = 0,81). Les sciences tendent également à être considérées par
l’ensemble des répondants comme une discipline plus importante pour les garçons (M =
2
4,36) que pour les filles (M = 4,30), F(1,54) = 2,90, p < .10, F0
68 = 0,051. Enfin, les enseignants
38 Concernant l’avenir professionnel des élèves, nous avons cherché à examiner si les
disciplines considérées comme importantes par les enseignants correspondaient aux
rôles sociaux et aux stéréotypes de genre. Si tel est le cas, les enseignants devraient juger
les disciplines scientifiques comme plus importantes pour l’avenir professionnel des
garçons. Au contraire, la maîtrise du français devrait être considérée comme plus
importante pour l’avenir professionnel des filles. Seules deux disciplines font apparaître
des différences significatives. Ainsi, les enseignants considèrent que les mathématiques
constituent une discipline plus importante pour l’avenir professionnel des garçons (M =
2
4,52) que pour celui des filles (M = 4,41), F(1,54) = 4,05, p < .05, F0 68 = 0,070. Le sport est
également considéré comme plus important pour les garçons (M = 3,35) que pour les filles
2
(M = 3,22), F(1,53) = 7,57, p < .05, F068 = 0,125. De plus, l’interaction entre le sexe des
enseignants et l’importance du sport respectivement pour les filles et pour les garçons est
2
significative (F(1,53) = 4,60, p < .05, F0
68 = 0,080). Pour les enseignantes, l’importance du
sport semble très similaire chez les garçons et chez les filles (respectivement M = 3,19 et M
= 3,14). La différence est plus marquée chez les enseignants. Selon eux, le sport est plus
important pour l’avenir professionnel des garçons (M = 3,85) que pour celui des filles (M =
3,46).
39 Notre hypothèse avançait que les enseignants percevraient des différences de sexe dans
l’importance accordée par les élèves aux disciplines scolaires. Si cette perception
différenciée correspond aux stéréotypes de genre, alors les enseignants devraient
rapporter un intérêt plus grand des garçons pour les disciplines mathématiques,
scientifiques et pour le sport. Les filles devraient quant à elles être associées aux
disciplines littéraires, aux arts plastiques et à la musique. Les résultats vont dans le sens
de ces hypothèses (voir tableau 4 pour l’ensemble des statistiques descriptives et
analyses). Ainsi, selon les enseignants, les filles accorderaient plus d’importance au
français, à l’orthographe, à la lecture et aux arts plastiques que les garçons (tous les p <
.05). À l’inverse, et toujours sur la base de la perception des enseignants, les garçons
accorderaient plus d’importance aux mathématiques, aux sciences et au sport que les
filles (tous les p < .05). Seules les différences en mathématiques sont qualifiées par un effet
d’interaction avec le sexe des enseignants (F(1,54) = 4,60, p < .05, F0 2
68 = 0,092). Si tous les
enseignants pensent que les garçons accordent plus d’importance que les filles aux
mathématiques, cette différence est moins marquée chez les enseignantes (M = 4,16 et M =
4,02) que chez leurs collègues masculins (M = 4.15 et M = 3.46).
40 Néanmoins, et contrairement à nos hypothèses, les enseignants considèrent que les
élèves n’accordent pas une importance différenciée à la résolution de problèmes, à la
géométrie et à la musique en fonction de leur sexe (tous les p > .18).
Tableau 4
Perception des enseignants de l’importance accordée par les élèves aux différentes disciplines
scolaires
M ET M ET F F0 2
68
Table 4
Discussion
42 La perception des disciplines scolaires constitue un déterminant majeur de la réussite et
des choix d’orientation des élèves. Si ce constat transparaît dans les travaux menés en
sociologie, en psychologie et en sciences de l’éducation, on note une quasi-absence de
recherches permettant d’établir la perception explicite des disciplines scolaires par les
différents acteurs de l’éducation. Dans cette recherche, nous avons posé l’hypothèse
générale selon laquelle la perception des disciplines scolaires était en mesure de refléter
les stéréotypes de genre. Pour cela, nous avons réalisé une première étude auprès d’élèves
de CM2. Dans la mesure où seulement trois classes de CM2 ont été interrogées, une
certaine prudence est requise quant à l’interprétation des résultats. En effet, l’échantillon
de cette première étude est relativement modeste (n = 74). De plus, l’ensemble des élèves
interrogés provenait d’établissements d’un même département (Puy-de-Dôme). Nous
avons certes sollicité des établissements se trouvant soit en milieu urbain, soit en milieu
rural, mais il se peut que la proximité géographique de nos classes sous-tende des
conditions pédagogiques non généralisables sur un plan national. Néanmoins, plusieurs
éléments peuvent être dégagés des résultats obtenus. Nous avons dans un premier temps
cherché à déterminer si les garçons et les filles accordaient une valeur différente aux
disciplines scolaires (Eccles et al., 1983 ; Eccles et al., 1984 ; Eccles et al., 1997 ; Jacobs et al.,
2002). Même si les tailles d’effet rapportées sont relativement modestes, les résultats
corroborent partiellement l’hypothèse selon laquelle la valeur attribuée à chaque
discipline correspondrait aux stéréotypes de genre. En effet, les garçons accordent une
plus grande valeur que les filles à des disciplines dites « masculines », à savoir la
géométrie, le sport et les sciences. D’autres disciplines jugées typiquement féminines
telles que la lecture et les arts plastiques se voient attribuer une plus grande valeur par
les filles que par les garçons. Néanmoins, certaines disciplines ne font pas apparaître de
telles différences en fonction du sexe des élèves (français, mathématiques, orthographe,
résolution de problème et musique). Ce dernier résultat n’est pas en totale contradiction
avec la littérature existante. À titre d’exemple, Archer et Macrae (1991) ont montré dans
une étude que l’anglais (correspondant au français dans notre étude) et les
mathématiques sont considérés comme neutres sur la dimension masculine-féminine par
des enfants de 11-12 ans. Une étude intégrant à la fois des mesures de valeur subjective et
une évaluation des disciplines sur cette dimension masculine-féminine pourrait
permettre de déterminer si la valeur accordée aux disciplines scolaires par les élèves
concorde avec une vision stéréotypée de ces dernières.
43 Dans un second temps, nous avons demandé aux élèves d’établir une hiérarchie des
disciplines basée uniquement sur leurs préférences. Indépendamment du sexe, les élèves
tendent à exprimer une préférence envers les disciplines dites secondaires. Leur choix se
dirige ensuite vers les disciplines scientifiques et mathématiques. Exception faite de la
lecture pour laquelle les filles témoignent de l’intérêt, les disciplines rattachées à
l’apprentissage du français sont les moins appréciées par les élèves. Lorsque l’on
différencie les résultats en fonction du sexe des élèves, la hiérarchie établie varie. Les
filles montrent une préférence plus grande pour des disciplines dites « féminines » telles
que la lecture, l’expression écrite ou encore les arts plastiques alors que les garçons
accordent un intérêt plus grand à la résolution de problèmes. Même si, à l’évidence, des
recherches complémentaires sont nécessaires afin d’étayer plus solidement ces propos,
ces résultats nous laissent penser que les disciplines sont investies par les élèves de
manière différenciée.
44 Enfin, les questions portant sur les risques d’une mauvaise évaluation ne font apparaître
que peu de différences en fonction du sexe des élèves. Une tendance se dégage
néanmoins : les garçons rapportent fréquemment un enjeu évaluatif plus fort dans les
différentes disciplines que les filles. Cette tendance conforte, de manière pertinente, les
travaux de certains psychologues sociaux (Désert & Martinot, 2004 ; Martinot et al., 2006).
En effet, en étudiant l’évolution de la connaissance et de l’adhésion des jeunes aux
stéréotypes de genre sur les compétences scolaires, leurs recherches montrent que les
enfants ont connaissance d’un stéréotype selon lequel les filles sont meilleures que les
garçons à l’école. La connaissance d’un tel stéréotype pourrait expliquer la raison pour
laquelle, dans notre étude, une mauvaise évaluation tend à être plus redoutée par les
garçons que par les filles.
45 Une seconde étude, complémentaire à la première, a été menée auprès d’enseignants de
l’école primaire. Les résultats révèlent une hiérarchie des disciplines scolaires. Les
enseignants, d’une manière générale, placent les disciplines rattachées à l’apprentissage
du français au sommet de cette hiérarchie (seule la résolution de problèmes vient
s’immiscer dans ce début de classement). Suivent les disciplines mathématiques et
scientifiques puis les disciplines secondaires. La hiérarchie mise en évidence ici est le
reflet d’une hiérarchie existant dans les instructions officielles régissant la profession de
professeur des écoles. Ainsi, la maîtrise de la langue étant l’objectif d’apprentissage
primordial à l’école primaire, il est tout à fait normal de la retrouver au sommet de cette
hiérarchie sur l’importance des disciplines. Cependant, comme nous l’avons mentionné
lors de la présentation des résultats, 20 des 58 enseignants interrogés ont refusé de
classer les disciplines en fonction de leur importance. Cette décision peut s’expliquer par
une volonté de ne pas contredire les instructions officielles mais elle pourrait également
traduire une perception égalitaire des disciplines par les enseignants. Pour obtenir des
mesures plus objectives de l’importance accordée aux différentes disciplines scolaires, des
mesures concernant les pratiques réelles de classe pourraient s’avérer utiles. Nous
pourrions ainsi recenser pour chaque discipline : le temps d’enseignement, les formes
d’intervention (plus ou moins ludiques), le type de tâche demandée aux élèves, la nature
des pratiques évaluatives, la fréquence de ces évaluations, le statut des traces écrites des
élèves. Ceci permettrait de voir si l’importance rapportée par les enseignants prend
réellement effet dans le fonctionnement des classes.
46 De plus, les résultats font apparaître une stratification inverse chez les enseignants (voir
étude 2) et chez les élèves (voir étude 1). Cependant, les hiérarchies des disciplines étaient
effectuées selon des consignes différentes pour les enseignants (classement d’importance)
et pour les élèves (classement de préférence). Pour pouvoir effectuer des comparaisons
enseignants-élèves, il conviendrait que la dimension requise pour le classement des
disciplines soit identique dans nos deux échantillons. Un classement établi par les élèves
sur la base de l’importance des disciplines permettrait une comparaison directe avec la
hiérarchie proposée par les enseignants. Il serait également intéressant de se pencher sur
les différences éventuelles de classement en fonction de la dimension proposée. En effet,
il est possible que les élèves comme les enseignants opèrent une hiérarchie différenciée
des disciplines selon leur utilité pour la vie personnelle ou professionnelle, leur intérêt ou
encore leur importance en termes de réussite scolaire.
47 Suite à ce premier constat, nous nous sommes penchées sur les différences de perception
en fonction du sexe des élèves. Notre première interrogation a porté sur l’importance des
disciplines pour l’avenir des filles et des garçons. Qu’il s’agisse de l’avenir des élèves en
général ou de leur avenir strictement professionnel, les résultats font apparaître des
différences concordantes avec les stéréotypes de genre. Les arts plastiques sont la seule
discipline qui, selon les enseignants, est plus importante pour l’avenir des filles que pour
celui des garçons. Le sport fait apparaître l’effet inverse. La géométrie est également
considérée comme plus importante pour l’avenir professionnel des garçons, de même que
les sciences pour leur avenir en général.
48 Les différences filles-garçons sont d’autant plus marquées lorsque l’on interroge les
enseignants sur l’importance que, selon eux, les élèves accordent aux différentes
disciplines. Les résultats obtenus sur cette question sont en adéquation avec les
stéréotypes de genre. En effet, selon les enseignants, les garçons accordent plus
d’importance que les filles aux mathématiques, aux sciences, à la géométrie et au sport.
Le français, l’orthographe, la lecture et les arts plastiques sont au contraire perçus
comme des disciplines plus importantes pour les filles que pour les garçons. Ainsi, les
garçons valoriseraient les disciplines jugées typiquement masculines et les filles les
disciplines traditionnellement associées à leur groupe de genre.
49 Tout se passe comme si dans notre système scolaire, il existait une division sexuée des
disciplines scolaires et des filières : les sciences et les techniques sont territoire masculin,
les lettres, les beaux-arts, les relations aux autres et les savoirs tertiaires, territoire
féminin (Ormerod, 1981 ; Mosconi, 1994 ; Felouzis, 1996). Dès lors, on apprend à investir
les disciplines conformément à son sexe et à expliquer ses réussites et échecs en
référence aux types de feed-back émis par ses enseignants. Si, pour expliquer la
construction des différences de sexe, certains auteurs mettent en avant le rôle de la
sélection naturelle ou adoptent une conception bio-sociale et interactionniste (voir par
exemple Kimura, 1999), les deux études présentées dans ce travail traduisent plus un
problème de stéréotypes de genre propre à toutes les sociétés humaines organisées selon
un mode hiérarchique et dominées par les hommes (Bourdieu, 1998 ; Héritier, 2002 ;
Sidanius & Pratto, 1999 ; Traube, 2001). Dans cette perspective, les stéréotypes de genre se
construiraient ainsi progressivement au sein des différentes situations d’apprentissage.
Conclusion
50 Certains travaux montrent que la plus ou moins grande valorisation sociale des
disciplines scolaires est de nature à provoquer chez les élèves des comportements
différenciés. Dans cette perspective, notre recherche avait pour objectif d’étudier la
perception des disciplines scolaires par les enseignants et les élèves de l’école primaire.
Pour cela, deux études ont été menées auprès de ces différents acteurs de l’éducation.
Conformément à nos hypothèses, les données recueillies montrent que les disciplines
scolaires sont perçues de manière différente en fonction du sexe des élèves, et ce, à la fois
par les élèves eux-mêmes et par les enseignants. Ainsi, la perception des disciplines
semble refléter les stéréotypes de genre pour les élèves (étude 1) et pour les enseignants
(étude 2). De plus, et indépendamment du sexe des élèves, ces deux études suggèrent
également que les élèves opèrent une hiérarchie des disciplines scolaires différente de
celle des enseignants.
51 Dans la mesure où les attitudes envers les disciplines scolaires peuvent avoir plus
d’influence sur les choix d’orientation scolaire et professionnelle que la performance en
elle-même, ces premiers résultats encouragent la poursuite des recherches dans ce
domaine. Les différences rapportées dans ces deux études prennent-elles réellement effet
dans le fonctionnement des classes ? Les différences de valeur accordée aux disciplines
trouvent-elles dès l’école primaire un écho dans les choix d’orientation et les
performances scolaires des élèves ? Les parents, agents de socialisation fortement
influents, partagent-ils eux aussi une vision stéréotypée des disciplines scolaires ? Autant
de questions qui devraient nous permettre de mieux appréhender les déterminants
contextuels et motivationnels des choix d’orientation et des performances scolaires des
élèves.
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RÉSUMÉS
Les disciplines scolaires et les enjeux sociaux qu’elles véhiculent constituent un déterminant
majeur des choix d’orientation et de la réussite scolaires des élèves. Afin d’évaluer les
perceptions explicites des disciplines scolaires par les différents acteurs de l’éducation, deux
études ont été menées auprès de 74 élèves de CM2 (étude 1) et de 58 enseignants de l’école
primaire (étude 2). D’une manière générale, les résultats montrent que la perception des
disciplines scolaires correspond aux stéréotypes de genre chez les élèves comme chez les
enseignants. La contribution de cette recherche pour expliquer la répartition encore fortement
sexuée de filières d’études dont le prestige et la valeur sociale demeurent largement contrastés
sera discutée.
School subjects as well as their associate social values represent a powerful determinant of
children’s performance and achievement choices. In order to evaluate domain-specific explicit
perceptions, two studies were conducted with 74 fifth-grade children (study 1) and
58 elementary school teachers (study 2). The general pattern of results reveals that both children
and teachers’ domain-specific perceptions fit gender stereotypes. We then discuss the
contribution of such results to explain the remaining gendered–and valued–differences in the
distribution of school subjects.
INDEX
Keywords : academic domain hierarchy, academic motivation, Domain-specific perception,
gender stereotypes, subjective task value
Mots-clés : Hiérarchie des disciplines, Motivation scolaire, Perception des disciplines scolaires,
Stéréotypes de genre, Valeur subjective accordée à la discipline
AUTEURS
MARION DUTRÉVIS
est assistante post-doctorale en sciences de l’éducation à l’université de Genève. Elle est titulaire
d’un doctorat en psychologie sociale. Au cours de ses années de doctorat, elle s’est intéressée à
l’impact des réputations d’infériorité intellectuelle sur les performances et l’image de soi des
groupes stigmatisés. Elle est actuellement membre de l’équipe de recherche « Développement,
apprentissage et intervention en situation scolaire » au sein de laquelle elle étudie le rôle des
facteurs individuels et contextuels sur les performances et la motivation scolaires. Contact :
université de Genève, FPSE, sciences de l’éducation, Unimail, 40 bd du Pont d’Arve, CH-1211
Genève 4, Suisse. Courriel : [email protected].
MARIE-CHRISTINE TOCZEK
est maître de conférences en psychologie sociale de l’éducation à l’institut universitaire de
formation des maîtres de Clermont-Ferrand. Elle est actuellement membre du laboratoire de
recherche PAEDI, JE 2432 où elle étudie les caractéristiques psychosociales des situations
d’enseignement. Co-auteur du Défi éducatif (2004) et de Psychologie de l’enseignement (2006) parus
chez Armand Colin.