Fractures Du Cou-De-Pied de L'Enfant
Fractures Du Cou-De-Pied de L'Enfant
Les fractures du cou-de-pied (cheville et talus) sont rares mais pourvoyeuses de séquelles invalidantes.
Elles touchent particulièrement l’adolescent ou le préadolescent. Une bonne connaissance de ces
fractures et un bilan d’imagerie complet (faisant souvent appel au scanner avec reconstruction)
orienteront le traitement initial. Celui-ci pouvant être orthopédique ou chirurgical. La crainte de séquelles
impose un suivi clinique et radiographique régulier. Les troubles de croissance par épiphysiodèse totale ou
partielle ainsi que les nécroses avasculaires du talus constituent les complications les plus fréquentes et les
plus redoutables. La détection précoce de celles-ci permettra une prise en charge au cas par cas. Des
interventions chirurgicales itératives seront parfois nécessaires.
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Mots clés : Fracture de cheville ; Fracture de Tillaux ; Fracture de Mac Farland ; Fractures triplanes ;
Fracture du talus ; Épiphysiodèse post-traumatique ; Nécrose avasculaire
■ Introduction
Les fractures du cou-de-pied regroupant les fractures de la
cheville et celles du talus représentent moins de 5 % des
fractures de l’enfant de moins de 15 ans. Ces traumatismes
exposent à deux types de complications principales : une
atteinte de la physe pour les fractures du tibia et de la fibula,
une nécrose avasculaire pour celles du talus. Le risque de
séquelles est donc important. Elles seront prévenues par un
traitement adapté. Une surveillance prolongée permettra de
Figure 1. Fermeture du cartilage de croissance de l’extrémité distale du
détecter puis de corriger secondairement ces séquelles, si
tibia.
nécessaire.
Podologie 1
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Diagnostic
Clinique
Il repose sur l’impotence fonctionnelle, sur la recherche de
Figure 2. Classification de Salter et Harris complétée par Ogden. points douloureux à la palpation, et sur la constatation d’un
œdème ou d’un hématome.
Les atteintes cutanées sont fréquentes (érosion, ouverture,
Épidémiologie perte de substance) posant parfois des problèmes thérapeutiques
complexes de couverture osseuse.
Les fractures de la cheville ne constituent que 5 % de la Il faut enfin se méfier des fractures inaperçues dans le cadre
traumatologie pédiatrique, en revanche, elles représentent 20 % d’un polytraumatisme : toute anomalie doit être vérifiée par un
de l’ensemble des lésions des cartilages de croissance. cliché radiographique. L’intérêt de l’échographie est souligné,
C’est une fracture de l’adolescence avec un pic de fréquence mettant facilement en évidence l’hématome sous-périosté [7].
à 14 ans, elle est rare avant 11 ans (14 %) avec une nette Le diagnostic différentiel avec une « entorse » ligamentaire,
prédominance masculine (deux garçons pour une fille) [1]. Cela en particulier latérale, peut se poser.
explique que les accidents sportifs soient retrouvés dans 60 % Les règles d’Ottawa utilisées chez l’adulte ont le même intérêt
des observations. chez l’enfant. Ainsi, une douleur malléolaire (extrémité ou
rebord postérieur) avec une difficulté lors de la marche impose
Mécanisme une radiographie.
La cheville est constituée d’une pince tibiofibulaire et du talus Le mécanisme du traumatisme doit, si possible, être précisé
uni entre eux par les ligaments collatéraux (latéral et médial). car cela permet de prévoir la manœuvre de réduction orthopé-
La pince tibiofibulaire est solidarisée par les ligaments tibiofibu- dique [8]. Les traumatismes en abduction sont les plus fréquents
laires antérieur et postérieur. (40 %) entraînant des lésions de type 1, et surtout de type 2,
Cette particularité anatomique avec association de zone solide puis suivent par fréquence les traumatismes en rotation externe
(le pont osseux) et de zone fragile (le reste du cartilage de (25 %) donnant des types 2.
croissance, peu actif) explique les fractures spécifiques de
l’extrémité distale du tibia de l’adolescent. Imagerie
La zone de croissance étant fréquemment atteinte, les épi- On demandera des clichés standard de face et de profil. On
physiodèses représentent donc la majeure partie des n’hésitera pas à demander des clichés obliques pour dépister les
complications. lésions osseuses qui sont certainement sous-estimées [9].
Le scanner avec reconstruction permet une bonne analyse
Classification morphologique de la fracture et est très utile pour l’indication
thérapeutique. Les clichés dynamiques en inversion peuvent
Salter et Harris, dès 1963 [2], proposent une classification des
mettre en évidence une lésion type 1 de la fibula.
lésions des zones de croissance, complétée par Ogden [3] en
Ne pas oublier le dôme talien car les fractures de la cheville
1981 (Fig. 2).
peuvent s’accompagner d’une fracture ostéochondrale.
Type 1 : Le plus bénin. Il correspond à un décollement
Le bilan nous permettra de définir si la fracture est extra ou
épiphysaire pur ; son pronostic est généralement excellent parce
intra-articulaire, et de la classer selon Salter et Harris.
que les cellules germinales du cartilage de croissance sont
Ces distinctions sont primordiales pour l’indication théra-
intactes.
peutique. En effet les fractures articulaires nécessitent une
Type 2 : Le plus fréquent. Le trait de fracture passe dans le
réduction anatomique imposant dans la plupart des cas une
cartilage de croissance, remonte et détache un coin métaphy-
intervention chirurgicale.
saire. Son pronostic est généralement bon.
Type 3 : Grave. C’est le type même de la fracture intra-
articulaire, séparant en deux l’épiphyse. Le trait de fracture Fractures extra-articulaires
effectue ainsi un décollement épiphysaire dans le cartilage de
croissance ; cette fracture nécessite une réduction anatomique et Fractures métaphysaires
le plus souvent une contention interne associée (broches ou La fracture par tassement en « motte de beurre » est fréquente
vis). Le pronostic de cette fracture est toujours réservé car c’est chez l’enfant jeune (Fig. 3) Son diagnostic est parfois difficile car
une fracture articulaire et les défauts de réduction sont suscep- l’impotence clinique n’est pas toujours importante. Il faut être
tibles de perturber la croissance osseuse et le jeu articulaire. attentif à une variation de la courbe des corticales métaphysai-
Type 4 : Très grave. C’est une fracture articulaire avec un trait res (simple voussure), d’autant que souvent un seul os est
oblique qui sépare en coin l’épiphyse et la métaphyse ; cette touché, le plus souvent le tibia.
fracture traverse le cartilage de croissance. Elle est épiphysomé-
taphysaire, elle impose une réduction anatomique parfaite,
Lésions horizontales du cartilage de croissance
éventuellement par un abord chirurgical. C’est une fracture qui
a toujours un mauvais pronostic. C’est-à-dire les lésions de types 1 et 2, très fréquentes et de
Type 5 : Le plus redoutable. C’est un écrasement du cartilage diagnostic aisé sur le versant tibial, sous estimées sur le versant
de croissance dû à un mécanisme de compression. Son pronos- fibulaire, car le déplacement est à peine visible et le diagnostic
tic est toujours grave. Cette fracture passe le plus souvent d’entorse facilement porté (Fig. 4).
2 Podologie
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Fractures articulaires
Figure 6. Fracture de Tillaux.
Fracture malléolaire médiale
Elle peut être isolée sans atteinte de la physe. Cette variété est type 3, de profil le déplacement antérieur n’est pas toujours
rare et correspond à un mécanisme d’éversion, son traitement évident et souvent sous-estimé, d’où l’intérêt des clichés de trois
dépend du déplacement : on ne doit pas tolérer un diastasis de quarts [6] et du scanner.
plus de 2 mm.
Le plus souvent il existe une lésion de la physe de type 3 ou Fracture triplane
4 correspondant à la classique fracture de Mac Farland (Fig. 5A,
B). Tous les intermédiaires existent entre le type 3 pur et le Ainsi dénommée car elle se dessine dans les trois plans de
type 4 à gros fragment métaphysaire, mais le pronostic est l’espace. De très nombreuses variétés ont été décrites (de deux
identique et mauvais surtout si cette lésion survient avant l’âge à quatre fragments et même extra-articulaires [10]).
de 12 ans. Le traitement doit éviter l’exagération des lésions Nous insisterons sur les types les plus fréquents. La fracture
vasculaires tout en réussissant une réduction optimale. latérale à deux fragments est la plus classique (Fig. 7A, 8, 9),
retrouvée dans la moitié des cas pour Khouri [11], dans un tiers
des cas pour Rapariz [12]. Sur la radiographie de face la lésion est
Fracture marginale externe (Tillaux)
épiphysaire de type Salter 3, alors que sur le cliché de profil la
Survenant en fin de croissance, après fusion du bord interne lésion est de type 2 avec fragment métaphysaire postérieur.
de la physe, et surtout chez la fille, elle est due à un trauma- La fracture latérale à trois fragments (66 % des observations
tisme en rotation latérale et flexion plantaire ce qui entraîne, de Rapariz [12]) se présente de la même manière de face, en
par l’intermédiaire du ligament tibiofibulaire antérieur, une revanche a un aspect de lésion de type 4 de profil, avec
traction sur la partie antérolatérale de l’épiphyse détachant un fragment métaphysaire en général petit. L’attention doit être
fragment grossièrement quadrilatéral ; elle est isolée ou associée attirée par le trop bel aspect du cartilage de croissance qui est
à une fracture spiroïde de la fibula (Fig. 6). De face, il s’agit d’un trop ouvert. Le mécanisme a toujours été, pour ces fractures
Podologie 3
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Séquelles
Figure 7. Fracture triplane (A, flèches) de face profil et reconstruction Le plus souvent, elles sont liées aux traumatismes verticaux
scanographique (B, C). lésant la physe et donnant une fusion prématurée qui va
entraîner secondairement, en association et à des degrés divers,
inégalité de longueur du tibia et désaxation dans un plan
frontal (surtout varus) et/ou sagittal, cela étant fonction de l’âge
latérales, une éversion rotation latérale du pied. Le déplacement de survenue de l’accident. La majorité des fractures du cou-de-
est supérieur à 2 mm dans 77 % des cas, et est associé à une pied survenant en fin de croissance, la séquelle se résume à une
fracture de la fibula dans 50 % des cas [12]. L’analyse par scanner banale inégalité de longueur de 1 cm. Mais parfois le trauma-
(Fig. 7B, C) permet de mieux comprendre les traits de fractures tisme peut être iatrogène (vis malencontreuse pontant la zone
en les analysant sur les versants métaphysaire et épiphysaire, de croissance, mais aussi perforations parfois multiples pour
surtout lorsque le déplacement est minime (20 % des cas). mettre des broches de Kirschner).
Avec Ogden, plusieurs types de lésions sont décrits : l’épiphy-
Fracture malléolaire latérale siodèse subtotale qui entraîne un raccourcissement plus ou
Correspondant à un type 7 de Ogden, sa fréquence est moins important en fonction de l’âge au moment du trauma-
certainement sous-estimée car peu visible sur les clichés tisme, et les épiphysiodèses localisées. Celles-ci peuvent être soit
4 Podologie
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Traitement
Figure 10. Fracture de malléole médiale compliquée d’une épiphysio-
Initial dèse suivie d’une désépiphysiodèse.
Podologie 5
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Épidémiologie
Les fractures du talus sont extrêmement rares. Dans la
littérature, les séries ne regroupent que quatre à cinq cas
chacune.
Diagnostic
Outre la clinique qui retrouvera une importance fonction-
nelle totale, associée à un hématome et à un volumineux
œdème, le diagnostic repose sur l’imagerie avec des clichés de
face, profil et trois quarts. Le bilan lésionnel devant être très
Figure 13. Même patient que sur la Figure 11. Résultat à 12 ans de précis, il faudra avoir recours au scanner avec reconstruction en
recul. 3D (Fig. 16) [20, 21].
Séquelles
chirurgie identique controlatérale, si l’inégalité prévue dépasse
2 cm. Dans certains cas de cals vicieux articulaires, et pour Le risque essentiel est la nécrose avasculaire du talus en
prévenir les déformations secondaires du talus, on peut envisa- particulier dans les stades III et IV qui peuvent ensuite entraîner
ger une ostéotomie du cal, avec interposition de ciment, pour un raccourcissement du membre et une ankylose de la cheville.
éviter la récidive de l’épiphysiodèse [19]. Elle sera détectée par une scintigraphie à trois mois. Une
imagerie par résonance magnétique (IRM) et/ou un scanner avec
reconstruction 3D compléteront éventuellement le bilan.
Chez l’enfant très jeune, une revascularisation avec remode-
■ Fractures du talus lage peut être observée [20].
Généralités Traitement
Rappel anatomique Initial
Le talus est nourri par deux artères principales l’une postéro- Le principe du traitement est de restituer une anatomie en
médiale et l’autre antérolatérale, qui pénètrent le talus et évitant la nécrose. On proposera donc un traitement orthopé-
s’anastomosent dans le sinus du tarse (Fig. 14). La vascularisa- dique pour les fractures non déplacées et chirurgical dans les
tion du corps du talus provient donc de sa face inférieure. Les autres cas (Fig. 17). La durée de l’immobilisation est habituelle-
fractures intéressant le col et le corps du talus sont donc à ment de six semaines et une scintigraphie à trois mois détectera
risque de nécrose. une éventuelle nécrose.
6 Podologie
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Type I
Type II
Type III
■ Références
Prise en charge des nécroses du talus
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remodelage sont possibles ; il faut donc savoir surveiller and ankle fractures in children. J Pediatr Orthop 1982;2:386-96.
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pourrait être agressif et définitif [20]. cartilage de conjugaison de l’extrémité du tibia. Chir Pediatr 1979;20:
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Podologie 7
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Fraisse B., Chapuis M., Marleix S., Violas P. Fractures du cou-de-pied de l’enfant. EMC (Elsevier Masson
SAS, Paris), Podologie, 27-050-A-70, 2009.
8 Podologie