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Textes 5 Ok

Le document présente une réflexion sur la beauté de la nature dans le Nouveau Monde, évoquant des paysages majestueux et solitaires. Il aborde également le rôle du poète comme visionnaire et défenseur des opprimés, ainsi que l'importance de l'éducation pour l'épanouissement de l'humanité. Enfin, il critique les méthodes éducatives modernes, plaidant pour un retour à des valeurs plus traditionnelles et morales dans l'éducation des enfants.

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Textes 5 Ok

Le document présente une réflexion sur la beauté de la nature dans le Nouveau Monde, évoquant des paysages majestueux et solitaires. Il aborde également le rôle du poète comme visionnaire et défenseur des opprimés, ainsi que l'importance de l'éducation pour l'épanouissement de l'humanité. Enfin, il critique les méthodes éducatives modernes, plaidant pour un retour à des valeurs plus traditionnelles et morales dans l'éducation des enfants.

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DANS LES DESERTS DU NOUVEAU MONDE

Un soir je m’étais égaré dans une forêt, une forêt à quelque distance de la
cataracte du Niagara; bientôt je vis le jour s’éteindre au tour de moi, et je
goûtai, dans toute sa solitude, le beau spectacle d’une nuit dans le désert du
nouveau monde.
Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des
arbres, à l’horizon opposé. Une brise embaumée, que cette reine de nuit s
amenait de l’orient avec elle, semblait la précédé dans la forêt comme sa
fraîche haleine. L’astre solitaire monta peu à peu dans le ciel : tantôt il
suivait paisiblement sa course azurée, tantôt il reposait sur les groupes des
nues qui ressemblaient à la cime de hautes montagnes couronnées de
neige. Ces nues ployant et déployant leurs voiles se déroulaient en zone
diaphane de satin blanc se dispersaient en légers flocons d’écume ou
formaient dans les cieux des bancs d’une ouate éblouissantes, si doux à
l’œil qu’on croyait ressentir leur et leur élasticité.
La scène sur la terre n’était pas moins ravissante : le jour bleuâtre et velouté
de la lune descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes
de lumière jusque dans l’épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière
qui coulait à mes pieds tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour
reparaissait brillante des constellations de la nuit, qu’elle répétait dans son
sein. Dans une savane de l’autre côté de la rivière, la clarté de la lune
dormait sans mouvement sur les gazons ; des bouleaux agités par des brises
et dispersés çà et là formaient des îles d’ombre flottantes sur cette mer
immobile de lumière. Auprès tout aurait été silence et repos sans la chute de
quelques feuilles, le passage d’un vent subit, le gémissement de la hulotte,
au loin, par intervalles, on entendait les sourds mugissements s de la
cataracte du Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de
désert en désert et expiraient à travers les forêts solitaires.
La grandeur, l’étonnante mélancolie de ce tableau ne sauraient s’exprimer
dans les langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en
donner une idée. En vain dans nos champs cultivés l’imagination cherche à
s’étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes ; mais
dans ces régions sauvages l’âme se plait à s’enfoncer dans un océan de
forêts, à planer sur le gouffre des cataractes, à méditer au bord des lacs et
des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu.
François René CHATEAUBRIAND, le Génie du christianisme

LE LAC
Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportée sans retour,
Ne pourrons- nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?
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O lac! L’année à peine a fini sa carrière,


Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! Je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre,
Du rivage charmé frappèrent les échos :
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :
«O temps ! suspends ton vol : et vous heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
De plus beaux de nos jours !
Assez des malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux :
Prenez avec leurs jours les soins qu’iles dévorent,
Oubliez les heureux.
Mais je demande en vain quelque moment encore,
Le temps m’échappe et fuit :
Je dis à cette nuit : Sois lente ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.
Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive;
Hâtons-nous, jouissons!
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule et nous passons ! »

Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, X.

FONCTION DU POETE
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
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Doit qu’on l’insulte ou qu’on le loue,


Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir!
Il voit quand les peuples végètent!
Ses rêves, toujours pleins d’amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu’importe! Il pense ;
Plus d’une âme inscrit en silence
Ce que la foule n’entend pas,
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !...
Peuples, écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçants les ombres,
Lui seul distingue en leur flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme.
Comme aux forêts et comme aux flots.
Victor HUGO, Les Rayons et les Ombres I

POETE TU PARLERAS
Toi que les dieux ont élu
pour que ruissellent de chants nos sources
et vibrent de sève nos forets
pour qu’arides ou herbeuses
nos montagnes soient montagnes
pour que terre soit terre
ferveur nos souffles
fidélités nos cœurs
hommes nos hommes
du plus profond ton âme
du plus tumultueux de ton sang
du plus clair de tes rêves
du plus orageux de tes désirs
du plus intense de tes incantations
ah, jaillir la puissance de la foi
le cri de leur délivrance
tu parleras
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tu parleras la langue de ton innocence


pour ceux que l’on écrase de calomnie
jusqu’à ce que leur peau en exsude
tu parleras la langue de la justice
pour ceux dont on aveugle la vue
au fer de barreaux
tu parleras de ton amour
pour ceux que l’on bat
pour ceux que l’on étouffe
pour ceux que l’on torture
pour les traqué tu parleras
pour les condamnés tu parleras
pour les déportés tu parleras
pour les non jugés tu parleras
pour les détenus tu parleras
pour les interdits tu parleras
pour les sans défense tu parleras
Pour ces milliers d’êtres morts parmi les morts
que l’on destine à la rage et à la haine
dans les ténèbres des prisons
tu parleras
car tu hais la violence
tu hais la calomnie
tu la le mensonge
tu hais la haine
tu parleras
à eux aussi, tu parleras
tu parleras jusqu’ aux confins des mers et des nuits
afin que revienne le jour
et qu’à nouveau pour eux
ruissellent des chants nos sources
et vibrent de sève nos forets
pour qu’arides ou herbeuses
nos montagnes soient montagnes
pour que terre soit la terre
ferveur nos souffles
fidélité nos cœurs
hommes nos hommes
ton être est paroles qui réconcilient avec la vie
parle…

EDUQUER POUR LE BIEN DE L’HUMANITE

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Les hommes qui élaborent des plans d’éducation devraient toujours


avoir présent à l’esprit le principe de pédagogie que voici : il faut élever les
enfants non pas en vue de l’état actuel de l’espèce humaine, mais en vue de
son état futur amendé, c’est-à-dire adapté à l’idée d’humanité et à sa
destination ultime.
L’organisation de l’enseignement devrait être confiée aux hommes les
plus compétents et les plus éclairés. Toute culture prend sa source chez
l’individu et s’étend à partir de là. Ce n’est que grâce aux efforts de
personnes d’esprit ouvert, préoccupés du bien de l’humanité et capables de
concevoir l’idée d’un état futur meilleur, que l’évolution progressive de la
nature humaine vers sa destination devient possible. Car il arrive souvent
encore que bien de grands considèrent leur peuple en quelque sorte comme
une partie du règne animal. Ils n’ont d’autre souci que d’en assurer la
propagation. Tout au plus, se préoccupent-ils encore de donner à leurs
sujets du savoir-faire, mais uniquement pour pouvoir les utiliser d’autant
mieux comme instrument de leurs desseins. Certes, les personnes privées
sont bien obligées, elles aussi, dans un premier temps, de se préoccuper des
contingences naturelles ; mais en suite elles sont à même de veiller à
l’épanouissement de la nature humaine; de développer non pas simplement
d’habilité des hommes, mais d’abord leur mœurs et surtout, chose la plus
difficile de toutes, de faire en sorte que les générations suivantes dépassent
le stade auquel ils sont eux-mêmes parvenus.
L’état sauvage, c’est l’indépendance de toute loi. La discipline
astreint l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir leur
pouvoir contraignant. Mais il faut que cette expérience ait lieu très tôt. C’est
pourquoi, au début, on envoie les enfants à l’école non pas tant pour qu’ils
s’y instruisent, mais pour qu’ils s’habituent à rester assis immobiles et à se
conformer scrupuleusement à ce qu’on leur prescrit, de sorte que dans la
suite ils ne mettent pas à exécution sur le champ toutes leurs fantaisies.
L’homme, par nature, a une telle propension à la liberté, que
lorsqu’il y a pris le goût, il lui sacrifie tout. C’est pourquoi, comme je l’ai dit,
il faut très tôt l’habituer à la discipline. Sinon, il sera difficile dans la suite de
changer ses dispositions. Il obéit alors à toutes ses lubies. C’est ce que l’on
constate chez les sauvages. Mais ce trait n’est pas chez eux le signe d’une
noble tendance à la liberté, comme le pensent Rousseau et d’autres, mais
une sorte de barbarie : l’animal ici n’a pas encore donné naissance à l’être
humain. C’est pourquoi il faut très tôt habituer l’homme à se soumettre aux
injonctions de la raison. Lorsque dans sa jeunesse on l’a laissé agir à sa
fantaisie, sans jamais lui résister, il garde une sorte de sauvagerie pendant
toute sa vie.
L’homme ne devient homme que par l’éducation. Il n’est que ce que
l’éducation fait de lui. Et il faut remarquer que l’homme ne peut être élevé
que par des hommes qui ont été eux-mêmes élevés.
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Emmanuel Kant, Pédagogie

EDUCATION ANCESTRALE, EDUCATION NOUVELLE


Autrefois, dans chaque famille, le fils, né d’une mère chaste, était
élevé non pas réduit, d’une nourrice achetée, mais dans le giron et entre les
bras d’une mère, dont toute la gloire était de garder la maison et de se faire
l’esclave de ses enfants. O choisissait, en outre, une arrente d’un âge mur, et
à ses vertus éprouvées, à ses hauts mérites on confiait toute la descendance
d’une même famille, et devant elle l’on n’eut osé rien dire qui blessât la
décence, ni rien faire dont l’honneur put rougir. Et ce n’étaient pas
seulement les études et les devoirs, mais les délassements et les jeux de ses
enfants que la mère réglait avec je ne sais qu’elle sainte et modeste retenue.
Ainsi Corneille, mère de César, ainsi Atia, mère d’Auguste, présidèrent, nous
dit – on, à l’éducation de leurs enfants, dont elles firent de grands hommes.
Par cette discipline et cette sévérité, on voulait que ces âmes pures et
innocentes, dont rienRG n’avait encore faussé la droiture primitive, se
saisissent avidement de toutes les belles connaissances, et que, vers quelque
science qu’elles se tournassent ensuite, art militaire, jurisprudence,
éloquence, elles s »y livrent sans partage et la dévore tout entière.
Aujourd’hui le nouveau-né est remis aux mains d’une misérable
servante grecque, à laquelle on adjoint un ou deux esclaves pris au hasard,
les plus vils d’ordinaire et les plus incapable d’un emploi sérieux. Ce sont
leurs contes et leurs préjugés qui imprègnent des âmes neuves et ouvertes à
toutes les impressions. Nul dans la maison ne prend garde à ce qu’il dit ni à
ce qu’il fait en présence du jeune maitre. Il y a plus : les parents même
accoutument les enfants non à l’honnêteté ou à la modestie, mais une
dissipation, à un persiflage qui après eux font entrer insensiblement
l’effronterie et le mépris de soi-même et des autres. Mais Rome a des vices
propres et particuliers, qui me semblent saisir l’enfant presque dans le sein
de la mère : je veux dire l’enthousiasme pour les histrions, la passion des
gladiateurs et des chevaux. Quelle place une âme obsédée, envahie par ces
viles passons, a – t – elle encore pour les arts honnêtes ? Combien chose ? Et
quelles autres conversations frappent nos oreilles, si nous entrons dans une
salle de cours ?

NE GATEZ PAS VOS FILS


(…) N’ayez dans votre maison que le moins de domestiques que vous
pourrez : il vaut mieux en augmenter le nombre que d’être forcé à le
diminuer. J’ai écrit à Valladolid pour qu’on envoie la page. Il importe peu que
vos fils en soient privés pendant quelques jours ; comme ils sont deux, ils
peuvent aller ensemble. Vous êtes porté et à l’éclat ; il faut vous mortifier en
ce point (…)
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Considérez que souvent on s’abime sans y penser, et qu’il vaut bien


mieux, devant Dieu et devant le monde, ne pas faire toute la dépense qu’on
souhaiterait de faire, et avoir de quoi donner l’aumône. Cela sera sans
comparaison plus avantageux à vous et à vos enfants. Je ne suis pas d’avis
que vous achetiez maintenant e mule, mais un cheval très commun, qui
serve soit pour les chemins, soit pour la maison. Il n y a a nulle nécessite
pour le moment que vos fils fassent leurs promenades autrement qu’à pied ;
laissez – les étudier.
Votre servante, Térèse de Jésus

LA TETE BIEN FAITE


Je voudrais qu’on fut soigneux de choisir à l’enfant un conducteur
qui eut plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requit tous les
deux, mais lus les mœurs et l’entendement que la science ; et qu’il se
conduisit en sa charge d’une nouvelle manière.
On ne cesse de cisailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un
entonnoir ;et notre charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit.je voudrais
qu’il corrigeât cette partie et que, de belle arrivée, selon l’apportée de l’âme
qu’il a en main, il commençant à la mettre sur la montre, lui faisant gouter
les choses, les choisir et discerner d’elle-même : quelquefois lui ouvrant
chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente et
parle seul ; je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour (…)
Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon,
mais du sens et de la substance et qu’il juge du profit qu’i aura fait, non par
le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra
d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages, et accommoder à autant de
divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien (…) ce
témoignage de crudité et d’indigestion que de regorger de viande comme on
l’a avalée : l’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et
la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire. Notre âme ne branle qu’à crédit,
liée et contrainte à l’appétit des fantaisies d’autrui, serve et captivée sous
l’autorité de leur leçon : on nous a tant assujettis aux cordes, que nous
n’avons plus de franches allures.
Notre vigueur et liberté est éteinte. (…)
Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine, et ne loge rien en sa tete par
simple autorité et crédit. Les principes d’Aristote ne lui soient principes, non
plus que ceux des stoïciens ou épicuriens : qu’on lui propose cette diversité
de jugements, i choisira, s’il peut, sinon, il en demeurera en doute : car s’il
embrasse le opinions de Xénophon et de Platon par son propre discours, ce
ne seront plus les leurs, ce seront les siennes… il faut qu’il emboive leurs
humeurs, non qu’il apprenne leurs préceptes. (…)
Que demanda jamais à son disciple ce qu’il lui semble de la
rhétorique, et de la grammaire, de telle ou telle sentence de Cicéron ? On
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nous les plaque en la mémoire toutes empênées comme des oracles où les
lettres et les syllabes sont de la substance de la chose. Savoir par cœur n’est
pas savoir ; c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire.
Ce qu’on sait droitement, on en dispose, sans regarder au patron,
sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance, qu’une suffisance
pure livresque, je m’attends qu’elle serve d’ornement, non de fondement :
suivant l’avis de Platon qui dit : « la fermeté, la foi, la sincérité, être la vraie
philosophie, les autres sciences et qui visent ailleurs, n’être que fard. » je
voudrais que Paluel ou Pompée, ces beaux danseurs de mon temps,
apprissent des cabrioles à les voir seulement faire, sans nous bouger de nos
places, comme ceux-ci veulent instruire notre entendement sans l’ébranler ;
ou qu’on nous apprit à manier un cheval, ou une pique, ou un luth, u la
voix, sans nous y exercer, comme ceux-ci nous veulent apprendre à bien
juger. Or, à cet apprentissage, tout ce qui se présente à nos yeux sert de livre
suffisant : la malice d’une page, la sottise d’un valet, un propos de table, ce
sont autant de nouvelles matières.
MONTAIGNE

LES ENFANTS, CES FLECHES VIVANTES

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit : parlez –
nous des enfants. Et il dit Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les
fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers vous
mais non de vous.

Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.


Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, car ils ont
leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs
âmes, car leurs âmes habitent la maison, que vous ne pouvez visiter, pas
même dans vos rêves. Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec
hier. Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont
projetés.

L’archer voit le but sur le chemin de l’infini, et il vous tend de sa


puissance pour que ses flèches puissent voler vite et loin. Que votre tension
par la main de l’Archer soit pour la joie,
Car de même qu’il aime la flèche qui vole, il aime l’arc qui est
stable.

LE SECRET DE MA MATERNITE
O mon Dieu, qu’il fait bon ici et que je suis contente avec vous, on
ne peut plus être ailleurs. Il n’y a pas besoin de rien dire, il n’y a qu’à vous
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apporter ma lourde personne et à rester en silence à vos pieds. Ce secret qu’il


y a dans mon cœur, il n’y a que vous qui le connaissiez. Il n y a que vous
avec moi qui compreniez ce que c’est que donner la vie. Une âme qui en fait
une autre, un corps qui nourrit un autre corps en lui de sa substance. Mon
enfant est en moi et nous sommes ensemble avec vous.
Et nous prions tous à la fois pour ce pauvre peuple effaré et
blessé et effacé qui m’entoure, afin qu’il se laisse penser et comprenne les
conseils de l’hiver et de la neige et de la nuit. Course que je n’aurai entendue
autrefois, avant qu’il y eut cet enfant en moi, alors que ma joie était en
dehors…
…Mon Dieu, qui êtes aujourd’hui, Mon Dieu, sui serez demain, je
vous donne mon enfant, ô mon Dieu, il frappe en moi et je sais qu’il existe.
Qu’importe le présent quand déjà mon enfant est tout formé ? C’est en lui
que je multiplie comme un grain de froment qui nourrira des peuples entiers,
c’est en lui que je me réunis et que je tends les mais de toutes parts à ces
peuples qui ne sont pas encore. Qu’ils sentent ma chair avec chair et dans
leur âme mon âme qui ne fait aucun reproche à Dieu mais qui dit
violemment Alléluia et merci,

LE TRAVAIL EST L’AMOUR RENDU VISIBLE


Alors un laboureur dit, parlez-nous du travail. Et il répondit,
disant : Vous travaillez pour pouvoir aller au rythme de la terre et de l’âme de
la terre. Car être oisif c’est devenir étranger aux saisons, et s’écarter de la
procession de la vie, qui avance majestueusement et en fière soumission vers
l’infini. Lorsque vous travaillez, vous êtes une flute à travers laquelle le
murmure des heures se transforme en musique.
Lequel d’entre vous voudrait être un roseau, muet et silencieux,
alors que tout chante à l’unisson ? Toujours on vous dit que le travail est
une malédiction et le labeur une infortune. Mais je vous dis que lorsque vous
travaillez vous accomplissez une part du rêve le plus lointain de la terre, qui
vous fut assignée lorsque ce rêve naquit.
Et en vous gardant unis au travail, en vérité vous aimez la vie, Et
aimer la vie à travers le travail, c’est être initié au plus intime secret de la vie.
Mais si dans votre douleur vous appelez la naissance une affliction et le
poids de la chair une malédiction inscrite sur votre front, alors je réponds
que seule la sueur e votre front lavera ce qui est inscrit.
On vous dit aussi que la vie est obscurité, et dans votre fatigue
vous répétez ce que disent les las. Et je vous dis que la vie est réellement
obscurité sauf là où il y a élan, Et tout élan est aveugle sauf là où il y a
savoir, Et tout savoir est vain sauf là où il y a travail, Et tout travail est vide
sauf là où il y a amour ; Et lorsque vous travaillez avec amour vous vous liez
à vous-même, et l’un à l’autre, et à Dieu.

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Et qu’est-ce que travailler avec amour ? C’est tisser l’étoffe avec


des fils tirés de votre cœur, comme si votre bien-aimé devait porter cette
étoffe. C’est bâtir une maison avec affection, comme si votre bien-aimé devait
demeurer en cette maison. C’est semer des grains avec tendresse et récolter
la moisson avec joie, comme si votre bien-aimé devait manger le fruit. C’est
mettre en toute chose que vous façonnez un souffle de votre propre esprit,
Et savoir que tous les morts bienheureux se tiennent auprès de
vous et veillent. Souvent je vous ai entendu dire, comme si vous parliez dans
votre sommeil, « celui qui travaille le marbre, et qui trouve la forme de son
âme dans la pierre, est plus nombre que celui qui laboure le sol.
Et celui qui saisit l’arc en ciel et l’étend sur la toile à la
ressemblance de l’homme, est plus que celui qui fait des sandales pour nos
pieds ». Mais moi je dis, non pas en sommeil, mais dans le plein éveil du
milieu du jour, que le vent ne parle pas plus doucement au changeant qu’au
plus infime de tous les brins d’herbe ; Et celui – là seul est grand qui
transforme la voix en un chant rendu plus doux par son propre amour. Le
travail est l’amour rendu visible.
Et si vous ne pouvez travailler avec amour mais seulement avec
dégout, il vaut mieux abandonner votre travail et vous asseoir à la porte du
temple et recevoir l’aumône de ceux qui œuvrent dans la joie. Car si vous
faites le pain avec indifférence, vous faite un pain amer qui n’apaise qu’à
moitié la faim de l’homme.
Et si vous pressez le raisin de mauvaise grâce, votre regret distille
un poison de vin.
Et si même vous chantez comme les anges et n’aimez pas le chant,
vous fermez les oreilles de l’homme aux voix du jour et aux voix de la nuit.
Khali GIBRAN 1883 – 1931

L’HOMME SE FORME PAR LA PEINE


Je n’ai pas beaucoup confiance dans ces jardins d’enfants et
autres inventions au moyen desquels on veut instruire en amusant. La
méthode n’est déjà pas excellente pour les hommes. Je pourrais citer des
gens qui passent pour instruits, et qui s’ennuient à la « Chartreuse de
Parme » ou au « Lys dans la Valée ». Ils ne lisent que des œuvres de seconde
valeur, où tout est disposé pour plaire au premier regard ; mais en se livrant
à des plaisirs faciles, ils perdent un plus haut plaisir qu’ils auraient conquis
par un eu de courage et d’attention.
Il n’y a point d’expérience qui élève mieux un homme que la
découverte d’un plaisir supérieur, qu’il aurait toujours ignoré, s’il n’avait
point pris d’abord un peu de peine. Montagne est difficile ; c’est qu’il faut
d’abord le connaitre, s’y orienter, s’y retrouver ; ensuite seulement on le
découvre. De même la géométrie par cartons assemblés, cela peut plaire ;
mais les problèmes plus rigoureux donnent aussi un plaisir bien plus vif.
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C’est ainsi que le plaisir de lire une œuvre au piano n’est nullement sensible
dans les premières leçons ; il faut savoir s’ennuyer d’abord. C’est pourquoi
vous ne pouvez faire gouter à l’enfant les sciences et les arts comme on goute
les fruits confits. L’homme se forme par la peine ; ses vrais plaisirs, il doit les
gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir. C’est la loi (…)
Surtout aux enfants qui ont tant de fraicheur, tant de force, tant
de curiosité avide, je ne veux pas qu’on donne ainsi la noix épluchée. Tout
l’art d’instruire est d’obtenir au contraire que l’enfant prenne de la peine et
se hausse à l’état d’homme. Ce n’est pas l’ambition qui manque ici ;
l’ambition est le ressort de l’esprit enfant. L’enfance est un état paradoxal où
l’on sent qu’on ne peut rester ; la croissance accélère impérieusement ce
mouvement de se dépasser, qui dans a suite ne se ralentira que trop.
L’homme fait doit se dire qu’il est en un sens moins raisonnable et moins
sérieux que l’enfant. Sans doute il y a une frivolité de l’enfant, un besoin de
mouvement et de bruit c’est la part des jeux ; mais il faut aussi que l’enfant
se sente grandir lorsqu’il passe du jeu au travail. Ce beau passage, bien loin
de le rendre insensible, je le voudrais marquer et solennel. L’enfant vous sera
reconnaissant de l’avoir forcé ; il vous méprisera de l’avoir flatté. L’apprenti
est à un meilleur régime ; il éprouve le sérieux du travail. Seulement par les
nécessités même du travail, il est mieux formé quant au caractère, non
quant à l’esprit. Si l’on apprenait à penser comme on apprend à souder, nous
connaitrons le peuple roi.

FORCE – LES DE BATIR ENSEMBLE


Ainsi me parlait mon père : Force-les de bâtir ensemble une tour
et tu les changeras en frères. Mais si tu veux qu’ils se haïssent jette-leur du
grain.
Il me disait encore : Qu’ils m’apportent d’abord le fruit de leur
travail. Qu’ils versent dans mes granges la rivière de leurs moissons. Qu’ils
bâtissent en moi leurs greniers. Je veux qu’ils servent ma gloire quand ils
flagellent les blés et qu’éclate autour l’écorce d’or. Car alors le travail qui
n’était que fonction pour la nourriture devient cantique. Car voilà qu’ils sont
mois à plaindre ceux dont les reins plient sous les sacs lourds quand ils les
portent vers la meule. Ou les remportent, blancs de farine. Le poids du sac
les augmente comme une prière. Et voilà qu’ils rient joyeux quand ils portent
les gerbes comme un candélabre de graines avec ses pointes et son
rutilement. car une civilisation repose sur ce qui est exigé des hommes, non
sur ce qui leur est fourni. Et certes ce blé, ensuite ils reviennent épuisés et
s’en nourrissent. Mais là n’est point pour l’homme la face importante des
choses. Ce qui les nourrit dans leurs cœurs ce n’est point ce qu’ils reçoivent
du blé. C’est ce qu’ils lui donnent.
Car une fois encore sont à mépriser ces peuplades qui récitent
les poèmes d’autrui ou font venir des architectures qu’ils paient pour édifier
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leurs villes. Ceux-là, je les appelle des sédentaires. Et je ne découvre plus


autour d’une comme une auréole le poudroiement d’or du blé que l’on bat.
Car il est juste que je reçoive en même temps que je donne afin d’abord de
pouvoir continuer de donner. Je bénis cet échange entre le don et le retour
qui permet de poursuivre la marche et de donner plus loin encore. Et si le
retour permet à la chair de se refaire c’est le don seul qui alimente le cœur.
L’homme, disait mon père, c’est d’abord celui qui crée. Et seuls
sont frères les hommes qui collaborent. Et seuls vivent ceux qui n’ont point
trouvé leur paix dans les provisions qu’ils avaient faites.
Antoine de SAINT EXUPERY

TANT QUE TU SERAS HEUREUX


Tant que tu seras heureux, tu compteras nombre d’amis ; si le
temps devient nuageux, tu seras seul, vois comme les colombes vont vers les
toits brillants, tandis qu’une tour salie ne reçoit point d’oiseau. Vers les
greniers vides jamais ne se dirigent les fourmis, aucun ami n’ira vers les
fortunes ruinées. Comme l’ombre qui nous accompagne quand nous
marchons aux rayons du soleil et qui s’enfuit dès qu’un nuage la cache, de
même le vulgaire inconstant suit l’éclat de la fortune et s’en va dès qu’un
nuage l’obscurcit. Je souhaite que cela semble toujours faux : par ce qui
m’arrive, je dois reconnaitre que c’est vrai. Tant que je fus solide, ma maison,
connue certes, mais non fastueuse, fut fréquentée par une foule suffisante,
mais dès qu’elle fut ébranlée, tous redoutèrent l’effondrement et tournèrent
prudemment le dos dans une fuite commune. Je ne m’étonne pas s’ils
craignent la foudre cruelle qui met le feu à tout ce qu’ils voient aux
alentours.
OVIDE
AIMER, C’EST AVOIR QUELQU’UN POUR QUI MOURIR
Le sage, même s’il se suffit, aie pourtant avoir un ami, ne serait-
ce que pour pratiquer l’amitié et ne pas laisser sans emploi une si noble
vertu. Ce n’est pas du tout pour la raison, que donnait Epicure dans la lettre
dont j’ai parlé : « le sage, disait-il, aura ainsi quelqu’un pour veiller sur lui
s’il est lui-même malade, pour le secourir s’il est prisonnier ou misérable ». ce
n’est pas cela : il y aura un ami sur qui veiller, si cet ami est malade, il aura
quelqu’un à tirer de la prison où l’aura enfermé l’ennemi. Ne songer qu’à soi
pour contracter une amitié, c’est mal penser. De telles amitiés finissent
comme elles ont commencé. Prends un ami pour obtenir son aide si tu es
prisonnier : au premier bruit que fera la chaine il s’échappera. Ce sont des
amitiés à terme, comme dit le peuple. L’ami choisi par intérêt plaira tant qu’il
sera utile.de tels amis sont légion autour de l’homme heureux : que a fortune
croule, c’est la solitude ; tous fuient, quand ils sont mis à l’épreuve. Que de
tristes exemples nous avons de gens qui s’éloignent par peur, fatalement, la
fin est en rapport avec le début : contracter une amitié par intérêt, c’est se
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résoudre à sacrifier plus tard cette amitié à un avantage que l’on préfère à
l’amitié même. Quel est mon but quand je cherche un ami ? je veux avoir
quelqu’un pour qui mourir, quelqu’un à suivre en exil, à défendre contre la
mort en me dévouant à lui. La liaison dont tu parles n’est pas amitié, mais
spéculation : elle a pour objet notre avantage, notre profit.
SENEQUE

L’AMI, QUELQU’UN AVEC QUI ECHANGER


Il y avait chez mes amis d’autres charmes qui me captivaient
davantage encore le cœur : c’était de causer, de rire ensemble, c’étaient les
regards d’une bienveillance mutuelle, la lecture en commun des beaux livres,
les plaisanteries entre camarades et les attentions réciproques ; quelquefois
un désaccord sans aigreur, comme on en a avec soi-même, et ces rares
dissentiments assaisonnant une unanimité presque constante ; c’était d’être
chacun tour à tour le maitre et l’élève d’autrui ;le regret impatient des
absents, l’accueil joyeux fait à ceux qui arrivent ; tous ceux qui s’entr’aiment,
se manifestent par l’expression, la langue, les yeux, par mille démonstrations
charmantes. Voilà grâce à quels aliments à n’en plus former qu’une seule.
C’est tout cela qu’on aime dans les amis, et on l’aime à ce point
que notre conscience se set coupable quand on n’aime pas qui vous aime et
qu’on ne rend pas amour pour amour, sans rien demander à l’être aimé que
les gages de son affection. De là ce deuil à la mort d’un ami, ces ténèbres de
douleurs, cette douleur qui se change en amertume pour le cœur tout noyé
de larmes, et la perte e la vie de ceux qui meurent devenant la mort de ceux
qui survivent.
Heureux celui qui vous aime, qui aime son ami en vous et son
ennemi pour l’amour de vous, celui-là seul ne perd aucun être cher, à tous
sont chers en celui qu’on ne peut perdre. Et qui est celui-là, sinon notre Dieu
qui crée le ciel et la terre et qui les remplit parce qu’il les a créés en les
remplissant.
ST. AUGUSTIN IVème siècle

LA MERE
Elle fixa ses yeux dans ceux de l’homme. Son visage était calme et
passif. Pas un mouvement, pas un geste ne hacha son maintien.
Sire, dit-il, à te voir, on dirait que tu n’as pas de mère… de ta
naissance à ce jour, tu n’as combattu que la femme, parce qu’elle est faible.
La joie que tu en tires est plus ignoble que l’acte. Je ne t’en veux pas d’avoir
agi ainsi : parce que tu es homme et parce que la femme est toujours femme,
et que la nature le veut ainsi. Je ne t’en veux pas, parce que tu as une mère ;
par elle, je respecte toute personne : fils de roi, fils d’esclave, la mère enfante
dans l’amour, met bas dans la douleur, et chérit dans le profond de ses
sentiments ce déchirement d’elle-même. Par elle je te pardonne… respecte la
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femme, pas pour ses cheveux blancs, pour ta mère d’abord, puis pour la
femme –même. C’est d’elle, la femme, que découle toute grandeur, celle du
maitre, d brave, du lâche, du griot, du musicien… dans un cœur de mère,
l’enfant est roi… tous ces gens qui t’entourent ont une mère, et dans leur
détresse comme dans leur joie, elle ne voit que son enfant.
Tuez-la, hurla le roi.
L’assistance n’obéit pas. Les paroles avaient touché. Le roi,
beuglent, hurlant de colère, injectait son amer fiel dans un langage vulgaire.
La mère sans orgueil ni fierté, reprit : vous fûtes témoins quand il se servit de
vos sœurs, sur ses ordres vos pères furent assassinés. Et maintenant il s’en
prend à vos mères et vos sœurs… a vous vois, on dirait que vous ne possédez
plus de dignité…
De plus en plus furieux, le roi se leva brusquement ; d’un revers
de main, il envoya la vieille sur le sol. Mais ce geste ne fut pas renouvelé. Le
roi se sentit saisi par les poignets, soulevé. Pour la première fois, les sujets
armés de courage se révoltèrent et leur roi fut destiné. (…)
Sembene OUSMANE

LA MATERNITE N’ETAIT PAS MON LOT


Un seul motif eut pesé assez lourd pour nous convaincre de nous
infliger ces lignes qu’on dit légitimes : le désir d’avoir des enfants ; nous ne
l’éprouvions pas. Là-dessus on m’a si souvent prise à partie on m’a posé tant
de questions que je veux m’expliquer.je n’avais, je n’ai, aucune prévention
contre la maternité ; les poupons ne m’avaient jamais intéressée, mais, un
peu plus âgés, les enfants me charmaient souvent ; je m’étais proposée d’en
avoir à moi au temps où je songeais à épouser mon cousin Jacques. Si à
présent, je me détournais de ce projet, c’est d’abord parce que mon bonheur
était trop compact pour qu’aucune nouveauté put m’allécher.
Un enfant n’eut pas resserré les liens qui nous unissaient Sartre et
moi, je ne souhaitais pas que l’existence de Sartre se reflétât et se prolongeât
dans celle d’un autre : il se suffisait, il me suffisait. Et je me suffisais : je ne
rêvais pas du tout de me retrouver dans une chair issue de moi. D’ailleurs, je
me sentais si peu d’affinité avec mes parents que d’avance les fils, les filles
que je pourrais avoir m’apparaissaient comme des étranges ; j’escomptais de
leur part ou de l’indifférence, ou de l’hostilité tant j’avais eu d’aversion pour
la vie de famille.
Aucun fantasme affectif ne m’incitait donc à la maternité. Et,
d’autre part, elle ne me paraissait pas compatible avec la voie dans laquelle
je m’engageais : je savais que pour devenir un écrivain j’avais besoin de
beaucoup de temps et d’une grande liberté. Je ne détestais pas jouer la
difficulté ; mais il ne s’agissait pas d’un jeu : la valeur, le sens même de ma
vie se trouvait en question. Pour risquer de les compromettre, il aurait fallu
qu’un enfant représentant â mes yeux un accomplissement aussi essentiel
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qu’une œuvre : ce n’était pas le cas. J’ai raconté combien, vers nos quinze
ans, Zaza m’avait scandalisée en affirmant qu’il valait autant avoir des
enfants que d’écrire des livres ; je continuais à ne pas voir de commune
mesure entre ces deux destins.
Par la littérature, pensais-je, on justifie le monde en le créant à
neuf, dans la pureté de l’imaginaire, et du même coup, on sauve sa propre
existence ; enfanter, c’est accroitre vainement le nombre des êtres qui sont
sur terre, sans justification. On ne s’étonne pas qu’une carmélite ayant
choisi de prier pour tous les hommes, renonce à engendrer des individus
singuliers. Ma vocation non plus ne souffrait pas d’entraves et elle me
retenait de ne poursuivre aucun dessein qui lui fut étranger.
Ainsi, mon entreprise m’imposait une attitude qu’aucun de mes
élans ne contrariait et sur laquelle je ne fus jamais tentée de revenir. Je n’ai
pas eu l’impression de refuser la maternité ; elle n’était pas mon lot ; en
demeurant sans enfants, j’accomplissais ma condition naturelle.
Simone de BEAUVOIR

LA SORCELLERIE
Ce qui trouble dans la sorcellerie, c’est vraisemblablement plus
l’appel à des techniques secrètes que l’objet lui – même. Il y a une imagerie
populaire du sorcier qui effraie facilement : le diseur de sort, malveillant par
nature, malfaisant par vocation, provocant au gré de ses humeurs la pluie, la
sécheresse ou la mort, bref un faiseur de malheurs. La force du sorcier réside
dans un contresens : il est simultanément rejeté et recherché, méprisé et
craint, détesté et adoré.
En soi, la sorcellerie ne me parait pas être une tare ; mais bien un
essai de réponse à la désagrégation présente à toute communauté. C’est que
l’homme a besoin d’un médiateur, maitre du bien et du mal, capable de
dérégler la fatalité des forces naturelles. Transfuge génial, le sorcier parvient
à incarner à la fois nos projets de domination de la nature et une présence
supra-humaine. Communiquant avec nous, il peut, tout en nous retenant,
prendre au vol, grâce à des appels mystérieux, des harmonies inconnues et
les déstructurer pour notre bonheur ou notre malheur.
Un tel prodige fait rêver. Et l’on comprend que la profession, qui a
tout d’un sacerdoce, compte, en sus de quelques rares mages, un nombre
élevé de fourbes et de mystificateurs. Le plus triste de ces farceurs est, sans
doute, le « démon » qu’on trouve à chaque coup, à chaque enquête, à chaque
procès, embarqué dans une aventure où il a tout l’air d’un minable voyageur
clandestin. Si exorcistes, juges et philosophes doivent obligatoirement le
chercher, c’est souvent par souci d’une mesure classique : naturel ou
surnaturel. Mais cette opposition finit par être une servitude obligée, logique.
L’inexpliqué provoqué brutalement (guérison, aéro-locomotion, capacité de
parler une langue non apprise, etc.) comme, en général, les implications des
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conversations avec les morts, du sabbat ou de lalycanthropie peuvent se


ramener à d’autres alternatives. Par exemple, maladie ou santé mentale,
science officielle ou technique ésotérique. Et même – pourquoi pas ? –
simplement aux mystères de l’esprit humain.
MUDIMBE VUMBI

ACCEDER A LA MODERNITE
S’il est vrai que le développement doit réaliser un plus grand
bonheur de l’homme, force est de reconnaitre que des peuples différents
n’ont pas la même vision de ce bonheur, le même idéal de vie.
Dans le passé, pour les peuples négro africains, l’essentiel n’était
pas la puissance matérielle, l’appétit suscité par la société de consommation
qui ne s’arrête pas de produire, même aux prix d’aliéner l’homme et de le
réduire à un instrument de production. Pour nous, l’essentiel c’était, avec la
satisfaction de nos besoins matériels, un certain acquis moral, spirituel,
humain, artistique, pour tout dire, culturel.
Aujourd’hui, cette vision du monde n’a pas changé et elle est
même de plus en plus partagée par d’autres peuples. Mais nos peuples se
rendent compte aussi qu’aucun progrès n’est encore possible dans cette voie
de l’enrichissement culturel si la pauvreté matérielle n’est pas vaincue. Ainsi
se trouve posé à nous le problème de la croissance économique, comme
condition d’un épanouissement humain, d’un progrès culturel.
Le désir d’accéder à la modernité est devenue donc très fort chez
nos peuples, mais il implique pour nous un développement équilibré, c'est-à-
dire une conciliation permanente et continue entre d’une part, la croissance
économique d’autre part, la sauvegarde de notre authenticité. Authenticité,
c’est à dire fidélité à l’esprit de notre civilisation. Cela, bien entendu, nous
commande l’acceptation de changements rendus nécessaires par la
civilisation techno-industrielle, à condition que ceux-ci ne soient pas
inhibiteurs du plein épanouissement de l’humain en l’Homme et ne tuent as
notre originalité, avec notre génie créateur.
L’avènement d’une vraie civilisation de la modernité n’est pas
uniquement lié au développement avancé de modernité, au développement
avancé de la technique à l’intérieur de sociétés cloisonnées. Il est surtout le
fait d’un dialogue des cultures. C’est dans la mesure où chaque peuple
apportera quelque chose de son génie et de son âme, que la modernité
pourra être un modèle valable du développement planétaire, donc
d’émulation pour chaque peuple, correspondant ainsi à l’existence d’une
civilisation de l’universel.
Les Négro-africains ont encore la possibilité de tirer tous ces
avantages de la civilisation industrielle et d’en rejeter tous inconvénients. Les
avantages sont, entre autres, le développement technique grâce à l’esprit de

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méthode en avant. Les inconvénients sont, essentiellement l’absence d’âme,


le refus de mettre l’Homme en avant.
Cet aspect humain, que les sociétés industrielles relèguent au
second plan, nous le mettons en avant, en tant qu’élément d’équilibre de
notre construction du mieux – être. Les valeurs négro-africaines ont fécondé
les civilisations de la vieille Europe et de l’Amérique, en leur apportant plus
de chaleur humaine et plus de passion dans l’expression, ce qu est le jet de
notre émotion.
Il reste à la civilisation négro-africaine de se laisser féconder par
les valeurs occidentales, grâce à un apport de rationalité et de méthode. Ainsi
s’ébauchera, sous nos yeux, une civilisation qui ne connaitra plus de
frontières, car basée sur la complémentarité d’éléments culturels les plus
dynamiques dans chaque peuple. Bref, une civilisation de compréhension
humaine et universelle.
DOIUF A.,

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