Introduction au Droit
Cours de Monsieur Gilles Dumont
Chargés d’enseignement dirigés : M. Omar Kayal – Mme Julie Rostand
Licence en Droit, 1ère année
Année 2024-2025
Thème 5
L’application de la loi dans le temps
Bibliographie sur la séance 5 : à vous de chercher ! TOUS les manuels d’introduction au droit
contiennent une partie sur l’application de la loi dans le temps.
1. Définitions
Cherchez dans un lexique juridique toutes les définitions suivantes :projet de loi, proposition de loi,
promulgation, entrée en vigueur, dispositions transitoires, abrogation, non-rétroactivité, ordonnance,
instance en cours, décision irrévocable, autorité de la chose jugée, revirement de jurisprudence.
2. L’application de la loi dans le temps
a. L’application immédiate aux situations en cours
DOC. 2 : Cass. civ. 3, 4 mars 2009, n° 07-20578.
b. La non-rétroactivité de la loi nouvelle
DOC. 3 : Affaire Perruche, Ass. Plén., 17 nov. 2000, n° 99-13701, Bull., A. P., n° 9, p. 15.
DOC. 4 : Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé, dite « Loi anti-Perruche », article 1er, alinéas 1 à 3.
DOC. 5 : Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (extraits)
DOC. 6 : Cass. civ. 1, 31 oct. 2012, n° 11-22756.
3. Exercices
A. Chronologie d’une affaire célèbre
À l’aide des documents 3 à 6, faites un résumé chronologique de « l’Affaire Perruche », en insistant
sur la question de l’application du droit dans le temps.
B. Fiche d’arrêt
Etablissez la fiche d’arrêt du DOCUMENT 6 (Cass. civ. 1, 31 octobre 2012).
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1. L’application dans le temps de la loi
a. L’application immédiate aux situations en cours
DOCUMENT. 2 : Cass. civ. 3, 4 mars 2009, n° 07-20578.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 15
septembre 2007), statuant en matière de référé, décembre 2005 ; qu'en retenant cependant, pour
que la société civile immobilière Saint-Denis décider que la société Saint-Denis République
République (la SCI) est propriétaire d'un avait l'obligation de reloger les locataires de
immeuble à usage commercial donné à bail le l'immeuble exploité par la société Le
26 février 2004 à la société Le Montagnard Montagnard, que " les dispositions applicables
pour l'exploitation d'un fonds de commerce à la demande de relogement considérée sont
d'hôtel meublé ; que, le 27 juillet 2005, cet celles de l'ordonnance n° 2005-1566 du 15
immeuble a fait l'objet d'un arrêté de péril et décembre 2005, relative à la lutte contre
que, par arrêté préfectoral du 14 décembre l'habitat insalubre ", la cour d'appel a donné un
2005, il a été déclaré irrémédiablement effet rétroactif à ce texte en violation de l'article
insalubre et interdit à l'habitation et à toute 2 du code civil ;
utilisation de jour comme de nuit ; que onze 2° / qu'à supposer même que l'ordonnance du
occupants de l'immeuble ont assigné la SCI et 15 décembre 2005 soit applicable en la cause,
la société Le Montagnard aux fins d'être les nouveaux articles L. 521-1 et suivants du
dispensés du paiement des loyers à compter du code de l'habitation et de la construction font
27 juillet 2005 et obtenir leur relogement ;
peser l'obligation de relogement sur " le
Sur le premier moyen : propriétaire ou l'exploitant " de l'immeuble
concerné ; qu'ils visent ainsi, selon les cas, la
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de la
personne qui a un lien de droit avec l'occupant
condamner sous astreinte à reloger certains
c'est-à-dire de façon alternative soit le
occupants de l'immeuble, alors, selon le moyen
propriétaire, s'il est le bailleur direct de
:
l'occupant, soit l'exploitant si c'est ce dernier
1° / que la loi, ne disposant que pour l'avenir, qui a introduit l'occupant dans les lieux ; qu'en
n'a pas d'effet rétroactif ; qu'en conséquence, si conséquence, l'existence d'un exploitant exclut
la loi nouvelle s'applique aussitôt aux effets à toute obligation de relogement à la charge du
venir des situations juridiques légales en cours propriétaire des lieux ; qu'en décidant pourtant
au moment où elle entre en vigueur, elle ne en l'espèce que la société Saint-Denis
saurait en revanche, sans avoir d'effet rétroactif, République, propriétaire de l'immeuble
régir rétrospectivement les conditions de litigieux, était tenue de reloger les locataires qui
constitution et les effets passés d'opérations n'avaient de lien qu'avec la société Le
juridiques antérieurement achevées ; qu'en Montagnard, cependant qu'une telle obligation
l'espèce, tant l'arrêté de péril du 27 juillet 2005 devait être exclusivement mise à la charge de la
que l'arrêté d'insalubrité irrémédiable du 14 société Le Montagnard, exploitant de l'hôtel, la
décembre 2005, qui ont donné naissance à cour d'appel a violé les articles L. 521-1 et
l'obligation de reloger les locataires de suivants du code de la construction et de
l'immeuble concerné et sont donc constitutifs l'habitation ;
de la situation juridique litigieuse, sont
Mais attendu, d'une part, qu'une loi nouvelle
antérieurs à la date d'entrée en vigueur de
s'applique immédiatement aux effets à venir
l'ordonnance du 15 décembre 2005, soit le 17
des situations juridiques non contractuelles en
décembre 2005 ; que la détermination de la
cours au moment où elle entre en vigueur ; que
charge de l'obligation de relogement doit donc
la cour d'appel a exactement retenu que les
être faite au regard des articles L. 521-1 à L.
dispositions applicables à la demande de
521-3 du code de la construction et de
relogement formée par les occupants de
l'habitation, dans leur version antérieure à
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l'immeuble par assignations des 7 et 9 mars exploitante pour qu'elle assure le relogement
2006 étaient celles de l'ordonnance n° 2005- des occupants, ces derniers étaient fondés à
1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte saisir aux mêmes fins la SCI, également tenue
contre l'habitat insalubre ; d'assumer cette obligation ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
retenu, à bon droit, qu'il résultait des articles L. Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le
521-1 et L. 521-3-1 du code de la construction second moyen, qui ne serait pas de nature à
et de l'habitation tels que modifiés par permettre l'admission du pourvoi ;
l'ordonnance précitée, que l'obligation de
relogement incombait indifféremment au PAR CES MOTIFS :
propriétaire ou à l'exploitant et que la mairie de REJETTE le pourvoi ;
Saint-Denis ayant sollicité en vain la société
b. La non-rétroactivité de la loi nouvelle
DOCUMENT. 3 : Affaire Perruche, Ass. Plén., 17 nov. 2000, n° 99-13701, Bull., A. P., n° 9,
p. 15.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première par des motifs tirés de la circonstance que les
branche du pourvoi principal formé par les séquelles dont il était atteint avaient pour seule
époux X..., et le deuxième moyen du pourvoi cause la rubéole transmise par sa mère et non
provoqué, réunis, formé par la caisse primaire ces fautes et qu'il ne pouvait se prévaloir de la
d'assurance maladie de l'Yonne : décision de ses parents quant à une interruption
de grossesse ;
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu, cependant, que dès lors que les fautes
Attendu qu'un arrêt rendu le 17 décembre 1993
commises par le médecin et le laboratoire dans
par la cour d'appel de Paris a jugé, de première
l'exécution des contrats formés avec Mme X...
part, que M. Y..., médecin, et le Laboratoire de
avaient empêché celle-ci d'exercer son choix
biologie médicale de Yerres, aux droits duquel
d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la
est M. A..., avaient commis des fautes
naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce
contractuelles à l'occasion de recherches
dernier peut demander la réparation du
d'anticorps de la rubéole chez Mme X... alors
préjudice résultant de ce handicap et causé par
qu'elle était enceinte, de deuxième part, que le
les fautes retenues ;
préjudice de cette dernière, dont l'enfant avait
développé de graves séquelles consécutives à PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire
une atteinte in utero par la rubéole, devait être de statuer sur les autres griefs de l'un et l'autre
réparé dès lors qu'elle avait décidé de recourir à des pourvois :
une interruption volontaire de grossesse en cas CASSE ET ANNULE, en son entier, l'arrêt
d'atteinte rubéolique et que les fautes commises rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la
lui avaient fait croire à tort qu'elle était cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence,
immunisée contre cette maladie, de troisième la cause et les parties dans l'état où elles se
part, que le préjudice de l'enfant n'était pas en trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
relation de causalité avec ces fautes ; que cet droit, les renvoie devant la cour d'appel de
arrêt ayant été cassé en sa seule disposition Paris, autrement composée que lors de
relative au préjudice de l'enfant, l'arrêt attaqué l'audience du 17 décembre 1993.
de la Cour de renvoi dit que " l'enfant Nicolas
X... ne subit pas un préjudice indemnisable en
relation de causalité avec les fautes commises"
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DOCUMENT. 4 : Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé, dite « Loi anti-Perruche », article 1er, alinéas
1 à 3.
« I. - Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son
préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas
permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-
vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une
faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice.
Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de
l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. (...) »
NB : les alinéas 1 à 3 de la loi n° 2002-303 sont devenus l’article L 114-5 du Code de l’action
sociale et des familles par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
DOCUMENT. 5 : Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (extraits)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 avril 2010 par le Conseil d'État (décision n° 329290
du 14 avril 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Viviane L. et portant sur la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit :
- des premier et troisième alinéas de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles,
- du 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
(...)
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé ;
Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées ;
(...)
Vu l'arrêt n° 99-13701 de la Cour de cassation du 17 novembre 2000 ;
(...)
Vu les observations produites pour l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (...)
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 mai 2010 ;
(...)
- SUR LE 2 DU PARAGRAPHE II DE L'ARTICLE 2 DE LA LOI DU 11 FEVRIER 2005
SUSVISÉE :
19. Considérant qu'aux termes du 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février
2005 susvisée : « Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des
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familles tel qu'il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à
la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l'exception
de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation » ;
20. Considérant que, selon la requérante, l'application immédiate de ce dispositif « aux
instances en cours et par voie de conséquence aux faits générateurs antérieurs à son
entrée en vigueur » porte atteinte à la sécurité juridique et à la séparation des pouvoirs ;
21. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société
dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de Constitution » ;
22. Considérant en conséquence que, si le législateur peut modifier rétroactivement une
règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition
de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions
de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines
et des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle,
ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé
soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de
la validation doit être strictement définie ;
23. Considérant que le paragraphe I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est
entré en vigueur le 7 mars 2002 ; que le législateur l'a rendu applicable aux instances
non jugées de manière irrévocable à cette date ; que ces dispositions sont relatives au
droit d'agir en justice de l'enfant né atteint d'un handicap, aux conditions d'engagement
de la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l'égard des parents,
ainsi qu'aux préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée ; que, si
les motifs d'intérêt général précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent
rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées
antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits
des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue
d'obtenir la réparation de leur préjudice ; que, dès lors, le 2 du paragraphe II de l'article
2 de la loi du 11 février 2005 susvisée doit être déclaré contraire à la Constitution,
DÉCIDE:
(...)
Article 2.- Le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées est contraire à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et
notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958
susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juin 2010, où siégeaient : M. Jean-
Louis DEBRÉ, Président, MM. Jacques BARROT, Michel CHARASSE, Jacques CHIRAC,
Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert
HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 11 juin 2010.
Journal officiel du 12 juin 2010, page 10847, texte n° 69, Recueil, p. 105.
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DOCUMENT 6 : Cass. civ. 1, 31 oct. 2012, n° 11-22756.
Sur le premier moyen pris en sa première Qu'en statuant ainsi, alors que, s'agissant
branche : d'un dommage survenu antérieurement à
l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002,
Vu l'article 2 du code civil, ensemble
l'article L. 114-5 du code de l'action sociale
l'article L. 114-5 du code de l'action sociale
et des familles n'était pas applicable,
et des familles ;
indépendamment de la date de
Attendu que, pour rejeter les demandes de l'introduction de la demande en justice, la
M. X... et de Mme Y... à l'encontre de Mme cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Z..., médecin gynécologue, et de M. A...,
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de
médecin gynécologue-obstétricien, à la
statuer sur les autres griefs du pourvoi :
suite de la naissance de leur fille Hineata,
atteinte de trisomie 21, la cour d'appel a CASSE ET ANNULE, dans toutes ses
retenu qu'en vertu du second de ces textes, dispositions, l'arrêt rendu le 12 mai 2011,
qu'elle a jugé applicable dès lors que entre les parties, par la cour d'appel de
l'instance au fond avait été engagée après Papeete ; remet, en conséquence, la cause et
l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, les parties dans l'état où elles se trouvaient
leur préjudice moral, au demeurant le seul avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les
dont il pouvaient solliciter la réparation, renvoie devant la cour d'appel de Papeete,
n'était pas réparable en l'absence de faute autrement composée.
caractérisée établie à l'encontre des deux
praticiens ;