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Monord Entrevista

Jean-Claude Monod discute de la personnalisation du pouvoir en démocratie dans son livre 'Qu'est-ce qu'un chef en démocratie?', soulignant l'importance du charisme et de l'autorité. Il analyse les figures politiques contemporaines, notamment François Hollande et Emmanuel Macron, et la transformation des mouvements politiques sans chef, tout en abordant les implications du charisme dans le contexte néolibéral. Monod plaide pour une compréhension nuancée du rôle du chef dans la démocratie, en opposition à une vision simpliste qui le réduit à une figure autoritaire.

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Monord Entrevista

Jean-Claude Monod discute de la personnalisation du pouvoir en démocratie dans son livre 'Qu'est-ce qu'un chef en démocratie?', soulignant l'importance du charisme et de l'autorité. Il analyse les figures politiques contemporaines, notamment François Hollande et Emmanuel Macron, et la transformation des mouvements politiques sans chef, tout en abordant les implications du charisme dans le contexte néolibéral. Monod plaide pour une compréhension nuancée du rôle du chef dans la démocratie, en opposition à une vision simpliste qui le réduit à une figure autoritaire.

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nterviews/Entretiens / Le Club

https://tocqueville21.com/interviews/jean-claude-monod-chef-emancipateur/

Jean-Claude Monod: “Il y a une figure


qu’on peut exhumer, le chef
émancipateur”
Jean-Claude Monod
22 January 2018
normale supérieure, Jean-Claude Monod est l’auteur de Qu’est-ce qu’un chef
en démocratie?, une réflexion sur le charisme et l’autorité dans la politique
démocratique. Cinq ans après sa première publication, cet ouvrage a paru en
poche en 2017 avec une nouvelle postface de l’auteur, qui discute ici avec
Jacob Hamburger pourquoi aujourd’hui il est plus important que jamais de
comprendre la personnalisation du pouvoir en démocratie. Cet entretien suit
celui de Wendy Brown dans une série de conversations sur la démocratie, le
néolibéralisme, et l’actualité transatlantique.

Read this interview in English here.

Jacob Hamburger : Dans vos préface et postface, vous semblez associer


la présentation de François Hollande comme un « Président normal » lors
des élections de 2012 comme une signe d’une dépolitisation générale. Si
c’est le cas, 2017 a-t-il été une « ré-politisation » ?

Jean-Claude Monod : Dans la préface de la première édition, j’avais émis


quelques remarques sur le « Président normal », mais je n’avais pas en tête
cette figure en écrivant le livre. C’est en tout cas une notion que j’ai trouvé
intéressante. D’un côté, il y avait en 2012 l’« hyperprésident » Sarkozy,
extrêmement présent, saturant l’espace public ; et de l’autre côté, pendant
plusieurs mois avant le lancement de la campagne, le candidat probable du
Parti socialiste était Dominique Strauss-Kahn, une figure internationale, du FMI,
mais aussi une figure avec le dark side que l’on a découvert, une figure
excessive. Dans ce contexte, l’idée d’un « candidat normal » et d’un « Président
normal » était stratégiquement intéressante par rapport à ces hommes qui
manquaient de maîtrise d’eux-mêmes. Mais « normal » en quel sens ? Au sens
d’un retour à la norme de la Ve République, à sa lettre plutôt qu’à la pratique qui
s’est imposée : un Président qui n’a pas tous les prérogatives, qui partage avec
le Premier ministre ? Ou bien s’agit-il d’un Président qui se situe sur un plan
d’égalité avec les citoyens, qui ne prétend pas être exceptionnel, qui fait appel à
la « proximité » que Pierre Rosanvallon tient pour une des composantes de la
légitimité démocratique ? La question est restée peu tranchée, peu élaborée
par F. Hollande.

Le livre n’était cependant pas une polémique contre le « Président normal »,


mais une réflexion sur le charisme. Mon point de départ est Weber, dont la
question était celle de savoir si le charisme est anti-démocratique, voire
autoritaire, ou s’il peut être pensé comme un instrument de l’approfondissement
de la démocratie. En 2012, on voyait un partage de rôles, où la droite assumait
une culture du chef sur un mode qui le découplait de cet approfondissement
démocratique, et où la gauche était mal à l’aise avec la notion du charisme,
aboutissant à une position auto-contradictoire : cela a commencé même avec
Mitterrand, qui dénonçait la Constitution de la Ve République comme « coup
d’Etat permanent » mais qui est devenu ensuite un président très
« présidentiel ». La tentative de Hollande d’être « normal » n’a jamais pris
consistance. On a toujours eu le sentiment d’incapacité à incarner sa fonction.

En 2017, Emmanuel Macron a évidemment vu là une faille et entrepris


d’assumer une certaine verticalité dans l’exercice du pouvoir. Les institutions
telles qu’elles sont prévoient un certain charisme. Alors soit on les transforme,
soit on les assume. En ce sens, il a raison, même si ce n’était pas mon
candidat ! Sa stratégie était beaucoup mieux pensée que celle de Benoît
Hamon, par exemple, qui n’a cessé de répéter qu’il n’était pas un homme
providentiel, pas un tribun ou un César, ce que personne ne pensait qu’il
n’était !

Mais retournons à cette idée de dépolitisation. Vous le décrivez à des


moments comme un primat de l’économie sur la politique. Au moment où
vous sortez ce livre, le mouvement Occupy Wall Street venait d’apparaître
pour manifester contre ce primat. Mais ce mouvement, comme Nuit
Debout en France, s’est présenté comme un mouvement sans chef. Et
aujourd’hui on voit Jean-Luc Mélenchon, qui s’approprie ces critiques
tout en incarnant la figure classique du chef. Est-ce que ces
transformations de la gauche radicale signalent pour vous une
transformation dans la conceptualisation du chef ?

Tout à fait. En 2012, je m’intéressais aussi à la situation de la Grèce. On avait


l’impression que l’idée même de la souveraineté populaire, que le peuple a son
mot à dire sur l’économie, devenait obscène pour une partie des élites en
Europe. Je pensais à la domination néolibérale de la politique par l’économie.
Ces mouvements sans chef ont été importants et le sont toujours, mais ils ont
éprouvé les limites de cette forme d’organisation dite « horizontale ». Dans leur
dernier livre, paru aux Etats-Unis, Assembly, Negri et Hardt notent qu’il y a
aujourd’hui une grande richesse de mouvements sociaux mais une pauvreté
d’organisation. Chez Nuit Debout, par exemple, nombre de participants ont fini
par avoir l’impression de tourner en rond, ne faisant que délibérer sur les
conditions de délibération. Je pense que ces mouvements jouent un rôle positif
au renouvellement de la démocratie, mais en même temps, ils se heurtent aux
limites des mouvements sans chef.

Jean-Luc Mélenchon a occupé une sorte de créneau, en s’appuyant parfois sur


la pensée de Mouffe et Laclau, des penseurs qui tiennent à la nécessité
des leaders pour définir la politique. Il a essayé d’articuler une structure du
mouvement—différent du parti dans le sens où il est structuré autour d’une
personne— avec des formes de participation : des « plateformes citoyennes »,
etc. Le mouvement En Marche! a prétendu en faire autant. Les deux
mouvements sont intéressants en ce qu’ils assument une dimension tr ès
personnelle de la politique, tout en la combinant avec de nouvelles formes de
participation. Il semble que ces tentatives correspondent davantage au moment
où nous vivons que les partis traditionnels, avec leurs bureaux politiques et
leurs hiérarchies complexes, leurs courants. C’est une structure en crise.

L’élection française de 2017 a été une sorte de laboratoire pour penser la


figure du chef en démocratie. Mais même si vous discutez des exemples
ailleurs, est-ce que cette histoire de « dépolitisation » et « ré-politisation »
est spécifiquement française ? Le cas Américain nous fournit peut-être
des contre-exemples : Trump, une figure charismatique qui profite d’un
électorat dépolitisé ; ou Bernie Sanders, un chef de mouvement sans
charisme.

C’est vrai que c’est un livre dont beaucoup d’exemples sont français, mais pas
la majorité des exemples positifs ! En même temps, c’est une réflexion inspirée
par Max Weber, un théoricien allemand, et née aussi de discussions avec
Ernesto Laclau, théoricien argentin. Sans dire qu’il est universel ou
transhistorique, je pense que le champ d’application de l’analyse wébérienne
est extrêmement vaste, et non pas réductible à l’Occident. L’historicité du
charisme chez Weber n’est pas facile à comprendre. D’un côté, il y a l’idée que
le charisme a une affinité avec la religion, il repose sur la « croyance dans le
caractère extraordinaire » d’une personne. Mais le charisme a aussi une figure
quasiment révolutionnaire. Pour Weber, le charisme est capable d’une forme de
transformation qui ne passe ni par la tradition, ni par la rationalité légale. C’est
un changement qui se fait quand quelqu’un dit, comme Jésus, « Moi, je vous
dis… », et cela change des lois, etc. C’est peut-être la seule force
révolutionnaire des périodes dominées par la tradition. Finalement, Weber
estime que les structures de démocratie de masse favorisent le phénomène
charismatique, et surtout les médias de masse : les journaux, la radio, et puis la
télévision. Ces médias effectuent un changement émotionnel profond dans la
démocratie, et Weber essaie d’en rendre compte autrement que par la
psychologie des foules. Cette théorisation n’est pas française, et en fait Weber
voit la France de la IIIe République comme un système politique plutôt
« acéphale ».

Quant aux Etats-Unis, je suis d’accord. Je pense que le charisme peut favoriser
les intérêts dominants, ou se combiner avec la dépolitisation néolibérale,
surtout à travers une personnalité autoritaire sortie du monde économique telle
que Berlusconi ou Trump. C’est la domination économique pure plus un homme
de l’entertainement qui donne des dérivatifs aux attentes populaires :
l’ethnos plutôt que le demos, la xénophobie plutôt que la justice sociale et la
solidarité. Ce charisme pathologique, ultracapitaliste et xénophobe, est très
contemporain.

Mais est-ce que c’est la seule forme possible ? Pour ma part, je réagissais
contre une sorte d’automatisme sur la gauche contre toute forme de charisme,
qui le réduit à une pathologie ou à une anomalie. Et là on voit l’intérêt de Barack
Obama. Certes, son bilan est compliqué ou mitigé, mais pendant sa campagne,
j’avoue que j’étais assez impressionné par sa réussite à réintégrer au jeu
démocratique des gens qui en étaient détournés, qui ne s’y intéressaient plus. Il
a réussi à incarner un temps le progrès démocratique, la transgression de
certaines frontières. Je pense que Obama reste malgré tout un exemple du chef
démocratique, même avec toutes les déceptions qui suivent l’attente excessive
liée à sa personnalité ou à sa couleur.

Parlons encore de la question wébérienne qui est au cœur de votre livre.


Vous citez dans votre conclusion Raymond Aron, qui écrit, contre le souci
wébérien de la bureaucratisation, « Nous avons appris à craindre les
promesses des démagogues plus que la banalité de l’organisation
rationnelle ». Vu d’aujourd’hui, quelle vision du chef l’a emporté ?

Il est trop simple de dire qu’Aron ou Weber a raison. Aron invoque une
expérience qui s’est déroulée après la mort de Weber, et il dit que nous avons
appris à nous méfier davantage des personnalités charismatiques et de toutes
les dérives irrationnelles que de la banalité. Nous l’avons appris de l’expérience
totalitaire. Mais je pense que le mobile a tourné, si vous voulez, et on voit des
aspects aujourd’hui qu’Aron, libéral, n’a pas vu à son époque. Lui, il a vu les
dangers du populisme à tendance totalitaire et des prétentions d’un homme à
s’affranchir des normes patiemment construites de l’Etat de droit. Je pense que
cela garde une pertinence, mais ce qu’on voit aujourd’hui confirme aussi l’autre
face, ce qu’à vu Weber : si on enlève tous les éléments personnels de la
politique—la décision, l’incarnation, l’émotion—on peut se retrouver confrontés
à une technocratie ou une bureaucratie qui n’a pas besoin de s’incarner. Elle
peut exercer sa domination sur un mode dépolitisé sans recours à
l’autoritarisme. Aron aussi, par son optimisme libéral, ne voit pas l’éventuel
découplage entre le libéralisme et la démocratie qui s’est en partie réalisé dans
les dernières décennies, néolibérales.

J’étais initialement mal à l’aise avec ce mot « chef ». Mais il y a peut-être un


problème linguistique. Yves Cohen décrit dans un livre récent les vocabulaires
du chef dans plusieurs langues. En anglais, par exemple, leader, ça passe
mieux ; l’idée d’un democratic leader met ensemble deux notions qui vont assez
bien ensemble. En français, par contre, « chef » a une connotation marquée par
l’ordre militaire. C’est un mot qui rappelle le passage du militaire à la politique,
une notion un temps associée à Napoléon puis à la droite gaulliste. Ce qui m’a
intéressé, c’est que la philosophie a longtemps pensé cette notion. Rousseau,
par exemple, a comparé positivement le chef au maitre : le peuple se donne
ses chefs pour se libérer des maîtres ! Alors j’ai suivi cette notion dès la Grèce
ancienne jusqu’aux résistants républicains comme Marc Bloch, qui a opposé le
chef républicain au chef totalitaire. Il y a une figure qu’on peut exhumer, qui a
été couverte par l’expérience totalitaire qui fait que l’on pense tout de suite que
le chef, c’est le Führer. Or il y a de tout autre figures, le chef émancipateur,
celui qui dirige la révolte des esclaves, le résistant…

Qu’est-ce qu’un chef en démocratie? est un livre de philosophie politique.


Mais on peut lire le titre dans un deuxième sens, comme une étude sur
tous les chefs, et non seulement les chefs politiques, qui se
trouvent en démocratie. Qu’est-ce que la démocratie nous apprend le chef
d’entreprise, le chef de famille, etc. ?

Je suis plutôt orienté vers la sphère politique, mais le rapport aux autres
sphères est évidemment crucial. Ce qui m’a intéressé, c’est deux choses
contradictoires. D’abord, je voulais souligner l’idée, qu’on trouve chez Kojève,
de l’irréductibilité du chef politique à d’autres figures d’autorité. Kojève trouve
ceci chez Aristote, qui dit, contre la notion homogène de l’autorité chez Platon,
que le foyer, la famille, ce n’est pas la Cité. C’est une relation inégale, là où le
chef politique est un parmi ses égaux. On ne peut pas penser le chef politique
sur ces autres modèles. C’est un thème qui revient pendant les Lumières, une
critique de l’analogie médiévale entre Dieu, le Père, et le Roi—une théologie
politique paternaliste. Le début de la démocratie moderne, c’est l’idée que le
chef, ce n’est pas Dieu, ce n’est pas le père, ni le pasteur. La démocratie
implique un détachement des sphères.

D’un autre côté, il y a une transformation, qu’on peut peut-être approcher en


termes hégéliens, qui voit ces sphères en interaction constante. Ces sphères se
transforment de l’intérieur et ont des effets réciproques. Par exemple, la
question de l’exclusivité masculine dans l’autorité politique a été mise en cause
de façon indissociable de la mise en question de la famille patriarcale. C’est
étonnant à quel point tout cela est récent. Le droit privé français a été marqué
par la « puissance paternelle », une dissymétrie de droits entre le père et la
mère. Avant les années 1970, il fallait demander au mari le droit d’ouvrir un
compte bancaire. Ces transformations-là ne peuvent pas rester sans effet
politique, et on voit lentement une « féminisation » de la sphère politique. Non
pas seulement au sens où les femmes sont élues, peu à peu on voit un
changement du paradigme, de la conception du politique. Chez Butler ou chez
Derrida on voit que nos conceptions politiques sont très « phallocentriques ».

Votre livre est dans la tradition « descriptive » de la philosophie politique,


mais ici vous esquissez quand même des notions normatives :
notamment celles du « chef démocratique » et du « charisme du
progrès ». Ces concepts montrent pour vous que la démocratie n’est pas
le rejet de toute autorité, mais sa reconfiguration sur une base égalitaire.
Quels sont les enjeux et les acteurs contemporains de cette
reconfiguration ?

L’autorité est un concept que j’ai essayé de contourner dans le livre. Je ne veux
pas entrer dans le débat très médiatisé de la « crise de l’autorité ». Je reste
assez foucaldien dans le sens où Foucault a parlé des « mixtes de libération et
assujettissement ». Foucault nous apprend qu’il est rare qu’on ait un grand
mouvement d’émancipation qui mène à une libération complète. On voit par
exemple dans l’entreprise aujourd’hui, comme de nombreux sociologues du
travail ont souligné, une transformation en surface moins autoritaire qui
n’empêche pas des relations de pouvoir plus fortes et des dominations plus
subtiles. Le pouvoir est moins apparent— on ne voit plus le Père, le Patron—
mais on a des formes subtiles et profondes de contrôle, etc.

Cependant, même si j’hérite du discours antiautoritaire des années 1960-1970,


porté par Foucault parmi d’autres, il me semble qu’il y a un moment où on ne
peut pas se contenter d’un simple rejet de l’autorité. On est souvent face à des
situations, comme dans l’enseignement, où c’est une illusion de croire que
toutes les formes d’autorité reviennent à la violence. Il faut aussi une sorte
d’autorité pour assurer la transmission. On peut être progressiste et reconnaître
qu’on ne commence pas de rien. Pour qu’il y ait progrès, il faut de la
transmission. Si on doit être systématiquement en position de défiance par
rapport à ce qui vient avant nous, je trouve que c’est une situation pénible,
paralysante. Alors il faut essayer de penser positivement ce que peut être ce
rapport, sans naïveté et sans nostalgie.

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